II. LE FINANCEMENT DES TRENTE-CINQ HEURES EN 2000 : UN TROU CONSTATÉ DE 13 MILLIARDS DE FRANCS
L'établissement public n'est, pour l'instant, toujours
pas
constitué.
Ce retard représente pour le Gouvernement un avantage : tant que le
FOREC n'est pas constitué, son « déficit »
n'apparaît nulle part.
Pour le moment, l'ACOSS joue le rôle de
« collecteur » des recettes du FOREC. Votre rapporteur a pu
constater que cette mission n'avait pas été sans lui poser des
problèmes, puisqu'une discordance a longtemps existé entre les
montants des recettes enregistrées par le ministère de l'Economie
et des Finances et l'ACOSS.
Lorsque votre rapporteur a effectué son contrôle sur pièces
et sur place, le 14 février 2001, l'ACOSS disposait déjà
des chiffres définitifs pour 2000.
A. DES RECETTES INFÉRIEURES AUX « PRÉVISIONS »
1. Un total à peine supérieur à 59 milliards de francs
En 2000, le montant global des recettes encaissées a été de 59 milliards de francs , à comparer aux 63,9 milliards de francs prévus par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 et à l'évaluation de 67 milliards de francs figurant dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001.
Recettes du FOREC janvier - décembre
2000 :
des
prévisions aux réalisations
(en millions de francs)
|
Prévisions PLFSS 2000 |
Prévisions PLFSS 2001 |
Résultats 2000 |
RECETTES |
|
|
|
Tabacs |
39.500 |
44.600 (2) |
38.431 |
TGAP |
3.250 |
2.800 |
2.599 |
CSB |
4.250 |
3.800 |
2.769 |
Alcools |
5.600 |
6.100 |
5.541 |
Alcools FSV |
- |
5.400 |
5.400 |
Contribution budgétaire |
4.300 |
4.300 |
4.300 |
Taxe sur les heures supplémentaires (1) |
7.000 |
- |
- |
TOTAL |
63.900 |
67.000 |
59.040 |
(1)
recette annulée par la
décision du Conseil constitutionnel 13 janvier 2000.
(2)
y compris le reliquat de droits tabacs de 3,1 milliards de
francs.
Par rapport aux prévisions initiales, la loi de financement de la
sécurité sociale pour 2001 et la loi de finances rectificative
pour 2000 avaient tenté un « colmatage », à
travers l'affectation de l'intégralité des droits sur les alcools
au FOREC dès 2000, au détriment du FSV, et d'un reliquat de
droits tabacs affecté initialement à l'Etat (8,5 milliards de
francs de recettes supplémentaires).
L'écart entre les prévisions et les encaissements s'explique
principalement pour deux raisons :
- le produit décevant des « nouveaux
impôts »
;
- la présentation douteuse par le Gouvernement, lors de la
discussion des deux derniers projets de loi de financement de la
sécurité sociale, des évaluations de recettes.
L'effet des décisions du Conseil constitutionnel sur les recettes 2000
doit en conséquence être relativisé.
2. Le produit décevant des « nouveaux impôts »
Pour
2000, tant la contribution sociale sur les bénéfices que la taxe
générale sur les activités polluantes n'ont pas atteint
les montants escomptés.
Lors de son entretien avec votre rapporteur, le 14 février 2001,
à l'occasion du contrôle au ministère de l'Economie et des
Finances, Mme Sophie Mahieux, Directeur du Budget, a reconnu que
la
contribution sociale sur les bénéfices
(- 1.450 millions de
francs par rapport à la prévision initiale) avait fait l'objet
d'une erreur d'évaluation par les services du ministère de
l'Economie et des Finances.
Cette nouvelle contribution a été considérée comme
un « succédané » de l'impôt sur les
sociétés. Or, le champ des entreprises qui lui sont assujetties
n'est pas identique. L'évolution n'est pas calée par rapport au
résultat imposable. La CSB est marquée par l'effet
« solde-acompte » : en 2001, les entreprises versent des
acomptes sur 2001 et le solde 2000. En 2000, elles n'ont versé que des
acomptes pour 2000, sans s'acquitter d'un solde pour 1999 : la CSB
n'était pas un « impôt mûr ».
S'agissant de la
taxe générale sur les activités
polluantes
(- 650 millions de francs par rapport à la
prévision initiale), il est utile, pour expliquer la moins-value
constatée, de revenir au chiffre définitif de l'année
1999, première année de perception de cette taxe : celle-ci
était censée rapporter 1,935 milliard de francs. Selon la
Cour des comptes
13(
*
)
, le
montant final est proche de la prévision révisée de la loi
de finances rectificative (1,8 milliard de francs). En conséquence,
il y a un « effet base » 1999.
Le dispositif d'élargissement de l'assiette de la TGAP adopté par
l'article 7 de la loi de financement de la sécurité sociale pour
2000 (lessives, granulats, produits phytosanitaires) et d'intégration de
la taxe et de la redevance sur les installations classées était
censé procurer 1,1 milliard de francs supplémentaires
14(
*
)
. Il semble que cet effet ait
été surévalué d'environ 500 millions de
francs.
3. La présentation douteuse des recettes du FOREC
Compte
tenu de la « débudgétisation » du FOREC, les
parlementaires ne disposent pour analyser sa situation que de l'annexe
f)
du projet de loi de financement de la sécurité sociale,
fort succincte sur la partie « recettes », et du
« jaune » budgétaire
« Bilan des
relations financières entre l'Etat et la protection
sociale »
.
En ce qui concerne les
droits sur les alcools
, votre rapporteur
s'était inquiété des différences d'estimations de
recettes entre ces deux documents officiels.
Les prévisions de recettes « droits alcools » du FOREC
(en millions de francs)
Recettes |
Annexe PLFSS |
Annexe PLF |
Ecart |
47 % droits consommation alcools |
5.600 |
np |
- |
Reste droits alcools FSV |
5.880 |
np |
- |
Total droits alcools 2000 |
11.500 |
11.068 |
432 |
Droits alcools 2001 |
12.000 |
11.570 |
362 |
np : non précisé
Une différence de 432 millions de francs en 2000 et de 362 millions de
francs en 2001 apparaissait entre les deux « sources »
gouvernementales, ce qui peut s'expliquer par une différence entre des
prévisions établies en
« encaissements/décaissements » et des
prévisions établies en « droits
constatés ».
S'agissant des
droits sur les tabacs
, l'écart entre les
prévisions de septembre 2000, présentées à l'annexe
f)
du PLFSS pour 2001, et les résultats définitifs est
important (6 milliards de francs) : il ne s'explique pas seulement par la
décision du Conseil constitutionnel, qui intervient pour 3,1 milliards
de francs.
En fait, la prévision, annoncée en septembre 1999, de 39,5
milliards de francs, intégrait la mise en place de la réforme
d'accélération des procédures de reversement aux
affectataires, qui permettait de faire apparaître un mois double en
octobre 2000.
Le projet d'accélération des circuits de reversement des droits sur les tabacs
La
recette d'un mois est aujourd'hui transférable aux affectataires le mois
suivant.
Le ministère de l'Economie et des Finances souhaite supprimer
l'étape de la centralisation des sommes dans les recettes
régionales. Mis en place au moment judicieux,
l'accélération permettrait de rattacher la recette de
décembre (évaluée de 3 à 3,3 milliards de francs)
à l'année en cours, en comptabilité de caisse comme en
comptabilité de droits constatés.
Cette accélération, qui nécessite des modifications des
circuits informatiques de la Direction générale des douanes et
des droits indirects, s'est avérée impossible à mettre en
oeuvre : d'abord prévue pour septembre 2000, puis pour janvier 2001,
elle ne serait susceptible d'intervenir qu'au 1
er
juillet 2001.
Cette réforme n'a pas eu lieu en 2000 : l'administration a
été au courant de cette mauvaise surprise dès mars 2000.
En revanche, un gain exceptionnel et non reconductible de 1,78 milliard de
francs réalisé en début d'année a été
constaté, suite à un report de la date d'exigibilité
applicable au SEITA.
Le soupçon de votre rapporteur reprend alors forme : les recettes du
FOREC auraient-elles été présentées au Parlement
en droits constatés
, permettant de rattacher à l'exercice
2000 un certain nombre de « bonnes nouvelles » ?
Une note du 27 novembre 2000 de la Direction de la sécurité
sociale vient confirmer ses craintes.
Pour rendre plus crédible l'« affichage » de
certaines recettes du FOREC lors du projet de loi de financement de la
sécurité sociale pour 2000 et 2001, le Gouvernement a choisi de
les présenter en
droits constatés
et non en
encaissements-décaissements
. Mais les dépenses du FOREC
restaient en
encaissements/décaissements
...
Autant dire que le compte FOREC 2000 de l'annexe
f)
du projet de loi de
financement de la sécurité sociale pour 2001 n'avait
décidément ni queue ni tête.
Le système aurait permis de valoriser lors du débat parlementaire
les recettes tabacs 2000 de 3,7 milliards de francs, les recettes alcools
2000 de 400 millions de francs et les recettes TGAP de 200 millions de francs.
Encaissements/décaissements et droits constatés
(en millions de francs)
Recettes |
Prévisions affichées lors du PLFSS (droits constatés) |
Encaissements/
|
Ecart |
Droits tabacs(*) |
41.500 |
37.800 |
3.700 |
Droits alcools |
11.500 |
11.100 |
400 |
TGAP |
2.800 |
2.600 |
200 |
(*)
hors les 3,1 milliards de francs prévus initialement
Or, si les comptes du FOREC, comme ceux de l'ensemble des régimes et
des organismes de sécurité sociale, doivent être
effectivement établis en droits constatés, le Parlement continue
d'examiner les chiffres de la loi de financement en
encaissements/décaissements.
Les comptes des régimes et organismes font normalement l'objet d'un
« retraitement » en encaissements/décaissements.
Dans le cas du FOREC, comme l'établissement public n'était
pas constitué, le retraitement a été effectué par
la Direction de la sécurité sociale.
Pour masquer dans une annexe distribuée au Parlement en octobre 2000
le déséquilibre du FOREC, toutes les astuces comptables -que
votre rapporteur se permettra de juger douteuses- ont été
utilisées.
4. Un effet « mineur » des décisions du Conseil constitutionnel
En
réponse à la publication partielle de la première
synthèse de ce contrôle, le Gouvernement et plusieurs
parlementaires de la majorité ont tenté d'expliquer que le
principal responsable du déficit du FOREC n'était autre que le
Conseil constitutionnel.
Sur 2000, le Conseil constitutionnel a tout d'abord annulé la taxe sur
les heures supplémentaires, par sa décision n° 99-423
DC du 13 janvier 2000.
Selon une note de la Direction du budget en date du 17 janvier 2000, le produit
de la taxe sur les heures supplémentaires, annoncé pour
7 voire 9 milliards de francs,
« se situait en
réalité dans une fourchette de 3 milliards à
6 milliards de francs »
. Selon la même note,
même en l'absence de décision du Conseil constitutionnel,
« le problème serait apparu en gestion 2000 »
.
La taxation des heures supplémentaires : du simple au triple
(en millions de francs)
Source |
Evaluation |
Etude d'impact |
9.000 |
Rapport n°1826 (XI ème législature) Assemblée nationale, p. 232 |
5.400 |
Rapport économique, social et financier du PLF 2000, p. 246 |
6.000 |
Martine Aubry (JO débats AN, p. 7033) |
7.500 |
Note de la Direction du budget - 17 janvier 2000 |
de 3.000 à 6.000 |
Ainsi,
la décision du Conseil constitutionnel n'a fait que précipiter
l'apparition d'une situation de déséquilibre qui se serait de
toute façon produite en cours d'année. Ou, pour se montrer
optimiste, la décision du Conseil, en réalité,
n'était pas si grave puisque la recette dont elle privait le FOREC avait
été grossièrement surestimée.
Dans sa décision n° 2000-441 DC du 28 décembre 2000 sur
la loi de finances rectificative pour 2000, le Conseil constitutionnel a
annulé l'affectation de 3,1 milliards de francs de droits sur les tabacs.
Mais il est simple de comprendre, par une simple soustraction à la
portée de tous, que le niveau des recettes du FOREC aurait dû
alors atteindre 63,9 milliards de francs
15(
*
)
. Or, il se situe à 59
milliards de francs.