TRAVAUX DE LA COMMISSION
I. RÉUNION DU MARDI 30 JANVIER 2001
Durant la réunion de commission du mardi 30 janvier
2001,
M. Jean Delaneau, président,
a fait état des travaux
envisagés par MM. Charles Descours, Jean-Louis Lorrain et Alain
Vasselle, rapporteurs des lois de financement de la sécurité
sociale dans le cadre de leur mission de suivi de l'application de ces lois.
Il a indiqué que les rapporteurs avaient retenu, pour leurs travaux, une
préoccupation commune, celle des nombreux fonds créés par
les lois de financement : fonds de financement des trente-cinq heures et
fonds de réserve des retraites, ces deux fonds faisant apparaître
de grandes incertitudes quant à leur financement et quant à leur
statut, fonds d'investissement pour les crèches et fonds médicaux
et hospitaliers.
Il a précisé que ces travaux de suivi et de contrôle sur
pièces et sur place donneraient lieu à plusieurs communications
des rapporteurs dans le courant du printemps et à la publication d'un
rapport d'information qui pourrait être rendu public début juin.
Il a en outre indiqué que la commission entendrait début avril
une communication de M. Charles Descours sur les améliorations
souhaitables de la loi organique relative aux lois de financement de la
sécurité sociale. Cette communication, qui fait suite au rapport
très complet présenté par M. Charles Descours en juin
1999, devrait déboucher sur le dépôt d'une proposition de
loi organique.
II. RÉUNION DU JEUDI 5 AVRIL 2001
Réunie le jeudi 5 avril 2001, sous la
présidence de
M. Jean Delaneau, président, la commission a entendu une
communication de M. Charles Descours
, rapporteur des lois de
financement de la sécurité sociale (équilibres financiers
et assurance maladie) sur les
résultats de sa mission de
contrôle
sur pièces et place sur le
fonds de financement de
la réforme des cotisations patronales de sécurité
sociale
(FOREC), et
ses propositions de réforme de la loi
organique du 22 juillet 1996
relative aux
lois de financement de la
sécurité sociale
.
M. Charles Descours, rapporteur,
a rappelé que les rapporteurs de
la loi de financement de la sécurité sociale avaient
décidé de contrôler, au cours du premier semestre 2001, les
fonds de la protection sociale. Il a précisé que ce programme de
contrôle avait débuté le 10 janvier par l'envoi d'un
questionnaire à Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la
solidarité. Il a ajouté que les réponses lacunaires aux
questions portant sur le « fonds de financement de la
réforme des cotisations patronales » (FOREC) avaient
achevé de le convaincre de se rendre pour effectuer un contrôle
« sur pièces et sur place », le
14 février dernier, à l'Agence centrale des organismes de
sécurité sociale, au ministère de l'emploi et de la
solidarité et au ministère de l'économie et des finances.
Il a observé que le choix de contrôler le FOREC n'était pas
né de l'opposition de la majorité sénatoriale à la
politique de réduction du temps de travail, puisque la loi du
19 janvier 2000, dite « loi Aubry II », était
désormais « une loi de la République ». Il a
ajouté que le rapport de contrôle n'avait pas pour objet de se
prononcer sur la pertinence de la loi sur la réduction
négociée du temps de travail, mais sur la gestion du dossier du
financement des trente-cinq heures par le Gouvernement.
Il a jugé que cette « gestion » était
« à proprement parler catastrophique » :
surévaluation de recettes, sous-estimation de dépenses et
répétition d'erreurs constitutionnelles. Il a rappelé que
les échos donnés par la presse aux premiers résultats du
contrôle l'avaient conduit, en accord, avec le président Delaneau,
à adresser aux commissaires un exemplaire de la note qu'il avait
rédigée dès le 20 février dernier.
M. Charles Descours, rapporteur,
a résumé ses conclusions
par trois adjectifs : structurel, virtuel et réel.
Le financement des trente-cinq heures n'est pas assuré : son
déficit est structurel.
L'organisme chargé de leur financement, le « fonds de
financement de la réforme des cotisations patronales », n'a
toujours pas été constitué : le FOREC est virtuel.
En revanche, la menace sur les comptes de la sécurité sociale est
bien réelle.
S'agissant du déficit,
M. Charles Descours, rapporteur,
a
confirmé son ampleur : 13 milliards de francs en 2000, entre 15 et
21 milliards de francs en 2001. Il a relevé que le chiffre
communiqué pour 2001 était une prévision, à la
différence de celui de 2000, qui est déjà constaté.
Il a observé cependant que cette prévision était
« hautement probable ».
Il a indiqué que les recettes avaient été
surévaluées par le Gouvernement, comme le montre l'écart
entre les dernières prévisions communiquées en septembre
2000 au Parlement (67 milliards de francs figurant à l'annexe f du
projet de loi de financement) et le « résultat » (59
milliards de francs). Cet écart ne s'explique pas seulement par
l'annulation de 3,1 milliards de francs de droits tabacs par le Conseil
constitutionnel, dans sa décision du 28 décembre 2000 sur la
loi de finances rectificative. La préparation de l'annexe f a
été l'occasion de « gonfler »
artificiellement des recettes, en mélangeant deux modes de
comptabilisation, la comptabilisation en encaissements/décaissements et
la comptabilisation en droits constatés.
M. Charles Descours
a considéré que cette
« petite duperie comptable » n'était rien à
côté des prévisions « normées »
de dépenses.
Il ressort en effet des notes du ministère de l'emploi et de la
solidarité et du ministère de l'économie et des finances
que, dès le mois d'avril 2000, le Gouvernement disposait de
prévisions de dépenses supérieures à 70 milliards
de francs pour 2000 et aux alentours de 90 milliards de francs en 2001.
Lors de la préparation du projet de loi de financement de la
sécurité sociale pour 2001, le Gouvernement a choisi sciemment de
sous-estimer les dépenses, probablement faute de recettes
suffisantes : seuls 67 milliards de francs ont été
prévus pour 2000 et 85 milliards de francs pour 2001.
La prévision de dépenses pour 2001 réalisée par les
régimes sociaux, disponible dès octobre 2000,
s'élève à 100 milliards de francs. Elle repose sur
une hypothèse, qu'il conviendra naturellement de vérifier :
l'accélération, au 1
er
janvier 2001, du nombre
d'entreprises passant aux trente-cinq heures, compte tenu du
renchérissement du coût des heures supplémentaires.
L'évaluation de la direction de l'animation, de la recherche, des
études et des statistiques (DARES), direction du ministère de
l'emploi et de la solidarité, se situe quelque peu en dessous :
95 milliards de francs.
M. Charles Descours, rapporteur,
a constaté que l'administration
avait multiplié les notes alertant les ministres sur la situation
financière du FOREC et que le choix de sous-estimer la situation avait
été pris en toute connaissance de cause par le Gouvernement.
Concernant les recettes 2001 du FOREC, il a indiqué qu'elles se
situaient plutôt entre 79 et 80 milliards de francs, en raison de la
décision du Conseil constitutionnel sur l'extension de l'assiette de la
taxe générale sur les activités polluantes et de la
révision à la baisse de certaines recettes.
En conséquence, il a estimé que le déficit
prévisionnel du FOREC en 2001 était compris entre 15 milliards de
francs, en étant « optimiste », et 21 milliards
de francs, en étant « pessimiste ». Le
déficit cumulé sur deux années serait ainsi compris entre
28 et 34 milliards de francs.
Il a ajouté que, de manière structurelle, il manquait 30
milliards de francs par an pour financer les trente-cinq heures.
M. Charles Descours, rapporteur,
a constaté que
l'établissement public « FOREC » était pour
l'instant « virtuel », compte tenu de l'absence de
publication du décret de création, prévu à
l'article 5 de la loi de financement de la sécurité sociale pour
2000. Il a observé que la responsabilité de l'administration
n'était pas en cause, puisqu'elle avait multiplié les tentatives
pour constituer cet établissement public, d'abord dans les
premières semaines de l'année 2000, puis à la fin de cette
même année.
Il a ajouté que le décret avait été examiné
par le Conseil d'Etat en novembre 2000 et que rien ne s'opposait à sa
signature et à sa publication au Journal officiel.
Il a indiqué qu'une réunion interministérielle, tenue le
1
er
décembre 2000, à Matignon, semblait avoir
conclu à « l'urgence d'attendre ». En effet, si le
FOREC était créé, il serait nécessaire d'afficher
clairement un budget. Ce budget ne pourrait être qu'en
déséquilibre. Or, la loi de financement de la
sécurité sociale pour 2000 a prévu que le FOREC
était nécessairement en équilibre. Pour respecter la loi,
il faudrait dans ce cas adopter une loi de financement rectificative avant de
constituer le FOREC, ce qu'a refusé le Gouvernement en 2000.
M. Charles Descours, rapporteur,
a remarqué que, tant que le
FOREC n'était pas créé, les dispositions votées en
loi de financement pour 2000, relatives à la compensation des pertes de
cotisations des régimes, n'avaient pas à s'appliquer. Ces
dispositions prévoient en effet que si le FOREC ne dispose pas assez de
recettes pour compenser les pertes de cotisations des régimes sociaux,
l'Etat le supplée dans les conditions analogues à la compensation
« classique » des exonérations de cotisations de
sécurité sociale, principe posé par l'article
L. 131-7 du code de la sécurité sociale.
Il s'est déclaré en conséquence
« pessimiste » sur la création à venir du
FOREC.
M. Charles Descours, rapporteur,
a considéré que le
déficit du financement des trente-cinq heures faisait peser sur la
sécurité sociale « une menace réelle ».
En réaction aux articles de presse sur le financement des trente-cinq
heures, Mme Elisabeth Guigou s'est référée à
la « vieille antienne » de la « théorie
des retours » pour les finances sociales, déjà entendue
de 1997 à 1999 et rejetée unanimement par les partenaires
sociaux, et qui consiste à expliquer qu'il est normal que la
sécurité sociale contribue au financement des emplois
créés par « le bon effet » de la politique du
Gouvernement. Dès lors, la sécurité sociale prendrait
à sa charge le déficit 2000 et le FOREC ne serait pas
constitué.
M. Charles Descours
a observé qu'une lettre en date du
22 février 2001 de Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi
et de la solidarité, dépourvue de base légale, avait
autorisé l'ACOSS à répartir les encaissements du FOREC
entre les régimes et les branches, afin de permettre
l'arrêté des comptes. Cette lettre se place dans
l'hypothèse d'une compensation partielle dans une comptabilité en
encaissements/décaissements et « totale » dans une
comptabilité en « droits constatés »,
à travers « des restes à recouvrer ».
Il a indiqué que le régime général serait en
excédent en 2000 de 3 à 4 milliards de francs, même en
tenant compte de la compensation partielle des exonérations de
cotisations.
Il a estimé que la théorie des « retours »
était absurde et n'avait d'autre raison que de justifier la
« ponction » sur les organismes de sécurité
sociale. Il a rappelé en outre que la sécurité sociale
contribuait déjà au financement des trente-cinq heures, à
travers toutes les « tuyauteries » mises en place par les
lois de financement de la sécurité sociale pour 2000 et 2001,
tandis que l'Etat s'était affranchi, dans le domaine, de toute
contrainte.
Il a ainsi évalué la « participation » de la
sécurité sociale à 11 milliards de francs en 2000 et
à plus de 18 milliards de francs en 2001. Il a remarqué
qu'elle était bien supérieure au soi-disant
« retour » pour les organismes de base de
sécurité sociale qu'aurait calculé le Commissariat
général du Plan : 6,8 milliards de francs pour
l'année 2000. En conséquence, ce n'est plus la théorie des
retours qui s'applique, mais le système antérieur à la loi
du 25 juillet 1994 : un système de non-compensation des
exonérations de cotisations de sécurité sociale. En effet,
si le déficit 2000 du FOREC était finalement laissé
à sa charge, la sécurité sociale financerait 75 % des
dépenses supplémentaires occasionnées par les trente-cinq
heures en 2000, soit 32 milliards de francs, chiffre que l'on obtient en
retranchant des 72 milliards de francs les 40 milliards de francs de
la « ristourne Juppé ».
M. Charles Descours, rapporteur,
a observé qu'une loi de
financement de la sécurité sociale serait nécessaire pour
revenir sur le texte adopté par la loi de financement pour 2000. Dans ce
cas, le Gouvernement devrait alors se déjuger par rapport à tous
les arguments mis en avant, lors des débats parlementaires de 1999 et de
2000, pour justifier la création du FOREC : pérennité
des allégements de charges, contrôle des fonds publics,
transparence des comptes et neutralité pour les organismes de
sécurité sociale.
Il a estimé que le Gouvernement devrait trouver une solution d'ici
octobre 2001, date du dépôt du projet de loi de financement de la
sécurité sociale pour 2002, pour équilibrer le FOREC.
Cet équilibre est difficile à atteindre :
- réduire les dépenses, comme le propose le ministère
de l'économie et des finances, revient à diminuer la compensation
du coût financier des trente-cinq heures pour les entreprises et toucher
à une réforme emblématique du Gouvernement ;
- augmenter les recettes, revient à augmenter la part
affectée de la taxe sur les conventions d'assurance, ce qui a pour
conséquence directe une réduction moins importante que
prévu du déficit budgétaire.
M. Charles Descours, rapporteur,
a jugé que la piste du
« nouveau barème », évoquée par
certains, consistait à nouveau à jouer sur les mots car elle
revenait à réduire d'autorité le taux des cotisations de
sécurité sociale pour éviter de compenser des
exonérations. Au demeurant, le barème traiterait sur le
même pied d'égalité les entreprises passées aux
trente-cinq heures et les entreprises qui ne sont pas passées aux
trente-cinq heures.
Pour conclure, il a indiqué que le Gouvernement annoncerait probablement
ses décisions à la mi-mai, date de la prochaine commission des
comptes de la sécurité sociale et que, compte tenu de la
« saga » du FOREC, il n'en attendait rien de bon pour la
sécurité sociale.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard
a ironisé sur la majorité
sénatoriale, qui, simultanément, appelle à des
allégements de charges sur les bas salaires et en déplore le
coût. Elle a estimé que la loi sur la réduction
négociée du temps de travail avait eu justement pour objet de
« donner un sens » à la réduction des charges
patronales. Elle a considéré que la transparence était un
objectif partagé et que le FOREC aurait pu aider à cette
transparence.
S'agissant de la sous-estimation des dépenses, elle a observé que
l'opposition aurait également critiqué le Gouvernement si les
dépenses avaient été surestimées pour
accroître le succès des trente-cinq heures. Elle a estimé
que le coût de la politique de la réduction du temps de travail
devait être assumé. Elle a rappelé en outre l'impact des
décisions du Conseil constitutionnel sur le niveau des recettes.
En ce qui concerne le déficit, elle a indiqué que le débat
était « ouvert », à la suite des travaux du
commissariat général du plan et qu'il était
nécessaire que les organisations syndicales et patronales fassent
connaître leur avis sur cette question.
Elle a considéré que la piste du « nouveau
barème » était très intéressante et
s'inscrivait dans le cadre d'une réforme structurelle des cotisations
patronales.
M. Philippe Nogrix
a remercié le rapporteur pour les
éclaircissements apportés. Il a déploré la
complexité des « tuyauteries ». Il a regretté
la charge financière des trente-cinq heures pour les entreprises.
Il a souhaité que la commission puisse étendre ses investigations
au coût des trente-cinq heures dans la fonction publique.
M. Roland Muzeau
a distingué deux parties dans le rapport de
M. Charles Descours. La première partie est relative aux chiffres,
et apparaît incontestable. La seconde est interprétative :
elle est bien évidemment critiquable. Il importe de déterminer
quels sont les effets de retours, y compris pour les entreprises :
celles-ci semblent avoir bénéficié amplement des
trente-cinq heures, en procédant à des restructurations.
M. Alain Vasselle
s'est interrogé sur le coût des
trente-cinq heures dans la fonction publique, y compris territoriale, ainsi que
sur leur coût financier pour les très petites et moyennes
entreprises. S'agissant des « tuyauteries », il a
estimé qu'il était nécessaire d'appréhender les
équilibres sociaux branche par branche.
S'adressant au président, il a souhaité que la commission des
affaires sociales continue à publier des
« schémas » pour expliquer les différents
financements.
M. Jean Delaneau, président,
a observé que le rapport de
M. Charles Descours était un rapport « quasi
comptable » et qu'il portait non pas sur l'application des
trente-cinq heures, mais sur le seul sujet de leur financement.
Répondant à M. Alain Vasselle, il a rappelé que les
rapports de la commission comportaient déjà de tels
«schémas» et qu'il était avant tout nécessaire
que le Gouvernement simplifie les différentes
« tuyauteries ».
En réponse à MM. Philippe Nogrix et Alain Vasselle,
M. Charles
Descours, rapporteur,
s'est montré soucieux du respect des
compétences des différentes commissions, gage de
l'efficacité des travaux du Sénat. Si l'analyse de la situation
du FOREC est à l'évidence au coeur des compétences de la
commission des affaires sociales, la question des trente-cinq heures dans la
fonction publique de l'Etat et la fonction publique territoriale relève,
sans nul doute, de la compétence de la commission des finances qui ne
manquera pas de prendre les initiatives qui s'imposent dans ce domaine crucial
pour la préparation du budget 2002.
Il a précisé qu'il lui apparaissait souhaitable d'étudier
également la fonction publique hospitalière, qui doit passer aux
trente-cinq heures en 2002. Le coût, estimé à
12 milliards de francs, rejaillit directement sur les dépenses
hospitalières et sera l'un des sujets les plus importants de la
prochaine loi de financement de la sécurité sociale.
Répondant à Mme Marie-Madeleine Dieulangard, il a observé
que la différence entre la « ristourne
Juppé » et la « ristourne Aubry » tenait
à la nécessité de compenser aux entreprises le
surcoût des trente-cinq heures, dans le cadre de la loi RTT, tandis que
la « ristourne Juppé » n'était assortie
d'aucune obligation.
Il a précisé que l'effet de la décision du Conseil
constitutionnel du 28 décembre 2000 devait être
relativisée : sans elle, le déficit 2000 serait de 10
milliards de francs et le déficit 2001 resterait compris entre 11 et
17 milliards de francs.
La commission a décidé
d'autoriser la publication de la
communication de M. Charles Descours sous la forme d'un rapport
d'information
.
M. Jean Delaneau, président,
a précisé qu'un
document provisoire serait rapidement disponible puis joint aux autres
communications des rapporteurs des lois de financement pour la publication
définitive d'un rapport d'information unique mi-juin.