B. LA SÉCURITÉ SOCIALE EST LA VARIABLE D'AJUSTEMENT DE LA POLITIQUE BUDGÉTAIRE DU GOUVERNEMENT
1. L'arrêté des comptes de 2000
La forme
de « politique de l'autruche » conduite par le Gouvernement
a atteint ses limites, compte tenu de l'imminence de l'arrêté des
comptes 2000 des régimes sociaux.
L'ACOSS, qui stocke les impositions affectées dans une sorte de
« compte spécifique d'attente », a attendu des
instructions avant de « répartir » entre les
régimes et les branches les recettes 2000.
En l'absence de telles instructions adressées aux agents comptables de
l'ACOSS et des caisses du régime général, la tenue de la
réunion du printemps 2001 de la Commission des comptes de la
sécurité sociale aurait été compromise, sauf
à faire apparaître, dans une
présentation en
«
encaissements/décaissements »,
un
déficit du régime général d'environ
70 milliards de francs.
Dans le cas d'une
présentation en droits constatés
, les
comptes des branches du régime général seraient, par
construction, équilibrés, les régimes et les caisses
faisant apparaître dans leurs recettes des
« créances »
sur le FOREC.
Premier effet direct du contrôle effectué par votre rapporteur,
l'instruction ministérielle a été finalement faxée
le jeudi 22 février 2001 à l'ACOSS. Il lui a été
demandé de répartir les recettes disponibles au prorata des
pertes de recettes constatées par les régimes et par les caisses.
Le régime agricole a ainsi « perçu » 3,2
milliards de francs, pour 4 milliards de francs de pertes de cotisations,
et le régime général 55,8 milliards de francs, pour 68,1
milliards de francs de pertes de cotisations.
Une telle instruction ministérielle, dont un projet avait
été préparé dès le courant du mois janvier
2001 par la Direction de la sécurité sociale, manque de base
légale en l'absence de constitution du FOREC : l'ACOSS a pour seule
mission d'encaisser des recettes sur un compte spécifique.
Pour passer outre, le Gouvernement se livre à une interprétation
des travaux préparatoires de l'article 5 de la loi de financement de la
sécurité sociale pour 2000 créant le FOREC.
En
encaissements/décaissements
, les différents
régimes « supportent » ainsi le déficit 2000
du FOREC :
- 12,3 milliards de francs pour le régime général ;
- 0,8 milliard de francs pour le régime agricole.
En
droits constatés
, des
« restes à
recouvrer »
sur le FOREC neutralisent comptablement, pour les
régimes sociaux, le déficit du FOREC.
En cas de constitution de ce fonds, selon les dispositions de l'article L.
131-9, ces
« restes à recouvrer sur le
FOREC »
se transformeraient en
« restes à
recouvrer sur l'Etat »
.
2. Le prétexte de l'équilibre du régime général
Le
régime général de sécurité sociale serait
à l'équilibre en 2000, même en
encaissements/décaissements. Cette donnée a été
confirmée par M. Pierre-Louis Bras, directeur de la
sécurité sociale, lors de l'entretien du 14 février
2001.
Pour le Gouvernement, il suffit d'afficher un régime
général « à l'équilibre ». La
« cagnotte sociale » -estimée à plus de
20 milliards de francs en 2000, compte tenu de la progression de la masse
salariale- prendrait ainsi en charge la dérive des dépenses
d'assurance maladie (17 milliards de francs) et le
« trou » du financement des trente-cinq heures
(12 milliards de francs sur le champ du régime
général).
Cette position ressort également des
« réponses » du Gouvernement au questionnaire de
votre rapporteur : tant que « l'équilibre » des
régimes sociaux n'est pas en cause, le Gouvernement n'a pas à
agir.
Les
« restes à recouvrer »
des caisses se
transformeraient, au fil du temps, en
« créances
irrecouvrables »
. La sécurité sociale, qui
participe d'ores et déjà au financement des trente-cinq heures
pour 11 milliards de francs en 2000
39(
*
)
se verrait infliger une charge
supplémentaire de 13 milliards de francs pour 2000.
Financement des dépenses
supplémentaires
occasionnées par les trente-cinq heures en
2000
(en millions de francs)
Prélèvement supplémentaire CSB |
2.769 |
Prélèvement supplémentaire TGAP |
800 |
Sous-total prélèvements supplémentaires |
3.569 |
Droits alcools participation sécurité sociale |
10.941 |
Prise en charge du déficit 2000 |
13.136 |
Sous-total sécurité sociale |
24.077 |
Contribution budgétaire |
4.300 |
TOTAL |
31.946 |
En 2000, la sécurité sociale prendrait en charge 24 des 32 milliards de francs représentant les dépenses supplémentaires occasionnées par les trente-cinq heures, c'est-à-dire les dépenses excédant les 40 milliards de francs de la ristourne « bas salaires » qui existait avant les lois Aubry.
Vers
un financement des trente-cinq heures à 75 % par la
sécurité sociale ?
Cette
« participation » est bien supérieure au
« retour » pour les organismes de base de
sécurité sociale qu'aurait calculé le Commissariat
général du Plan
40(
*
)
pour l'année 2000, soit
6,8 milliards de francs.
En définitive, il ne s'agit plus de la théorie des retours,
mais d'un retour au système antérieur à la loi du 25
juillet 1994, consistant à ne pas compenser à la
sécurité sociale les exonérations de cotisations de
sécurité sociale.
En ce qui concerne les exonérations de cotisations de janvier 2000,
point qui n'est toujours pas tranché au 31 mars 2001, le temps joue
indéniablement en faveur du ministère de l'Economie et des
Finances : compte tenu de l'adoption prochaine par le Parlement de la loi
de règlement pour 1999, qui a déjà fait l'objet d'une
lecture à l'Assemblée nationale et du silence des deux collectifs
budgétaires de 2000, il appartiendrait paradoxalement à
la loi
de règlement pour 2000
de régulariser ce « reste
à recouvrer sur l'Etat », portant sur
l'exercice 1999
.
Il est vrai que des crédits correspondant à des compensations
d'exonérations de cotisations sont nécessairement
évaluatifs ; comme il convient que l'Etat s'acquitte de sa dette,
les montants inscrits en loi de finances ne sont jamais réellement
identiques aux dépenses réellement estimées pour
l'année.
3. L'hypothèse d'une absence de constitution du FOREC
Le
Gouvernement semble désormais vouloir renoncer à une constitution
du FOREC. C'est effectivement le meilleur moyen de ne pas faire
apparaître son déséquilibre et de ponctionner la
sécurité sociale.
Mais une loi de financement de la sécurité sociale sera
nécessaire pour revenir sur le texte de la loi de financement pour
2000
.
Le Gouvernement devra alors se déjuger spectaculairement, par rapport
à tous les arguments qui avaient été mis en avant pour
justifier la création du FOREC : pérennité des
allégements de charges, contrôle des fonds publics, transparence
des comptes et neutralité pour les organismes de sécurité
sociale.
Le Gouvernement peut encore choisir une tactique dite « loi
Thomas »
41(
*
)
:
ni abrogation, ni application. Mais une telle stratégie l'obligerait
à afficher un équilibre du compte FOREC pour 2001 et 2002
à l'annexe
f)
du projet de loi de financement de la
sécurité sociale pour 2002.
L'épreuve de vérité aurait lieu dans ce cas en octobre
2001.
4. Une détérioration de la trésorerie de l'ACOSS
Le point
le plus bas du profil de trésorerie de l'ACOSS se monte à
20,1 milliards de francs en 2000 (contre 19,4 en 1999).
L'absence d'une amélioration significative de ce profil par rapport
à 1999, alors même que les encaissements des URSSAF ont
été supérieurs de 18,5 milliards de francs par
rapport à la prévision initiale de la loi de financement de la
sécurité sociale, s'explique par la charge que représente
le déficit de financement du FOREC (12 milliards de francs pour le
seul régime général).
Sur 2001, compte tenu d'une prévision de croissance de la masse
salariale du secteur privé très élevée
(5,9 %), il n'y aura pas de « cagnotte sociale ».
Toute nouvelle dérive des dépenses d'assurance maladie, et la
prise en charge du déficit 2000 du FOREC, pèseront sur la
trésorerie de l'ACOSS.
Le plafond d'avances retenu par la loi de financement de la
sécurité sociale pour 2001 (29 milliards de francs) risque ainsi
d'être dépassé.
Contrairement à ce qu'affirme le Gouvernement dans ses réponses
au questionnaire, le régime général supporte en
trésorerie le déficit du FOREC et risque de le traîner
comme un boulet.
*
* *
Force
est de constater que le financement des trente-cinq heures est aujourd'hui dans
l'impasse.
Réduire le coût de cette politique
, comme le propose le
ministère de l'Economie et des Finances, c'est diminuer la compensation
du coût financier des trente-cinq heures pour les entreprises et remettre
en cause une réforme emblématique du Gouvernement.
Augmenter les recettes qui lui sont attribuées,
c'est augmenter
la TGAP et la CSB et donc les prélèvements obligatoires, ou
encore majorer la part affectée de taxe sur les conventions d'assurance,
ce qui a pour conséquence directe une réduction moins importante
que prévu du déficit budgétaire.
La piste d'un nouveau barème des cotisations sociales se substituant aux
mécanismes d'exonérations actuellement en vigueur, a
été évoquée ici ou là.
Dans le contexte actuel, cette porte de sortie consisterait, pour le
Gouvernement, à jouer une nouvelle fois sur les mots.
Le FOREC reposait initialement sur une
« trouvaille » : la sécurité sociale
finançait massivement un fonds chargé de lui compenser
intégralement ses pertes de recettes.
De même, la piste d'un nouveau barème, intégrant les
exonérations, mettrait fin à l'obligation -toute relative en
l'espèce-, d'une compensation de ces dernières à la
sécurité sociale.
Il semble que le Gouvernement entende annoncer ses
« décisions » lors de la prochaine réunion de
la Commission des comptes de la sécurité sociale, au milieu du
mois de mai.
L'analyse des avatars du financement des trente-cinq heures depuis près
de trois ans fait craindre à votre rapporteur qu'il n'en sorte rien de
bon pour la sécurité sociale.