Compte-rendu intégral des auditions
de la
commission des Lois du 27 juin 2001
- M. Michel Sappin , directeur de la défense et de la sécurité civiles et M. Alain Perret , sous-directeur de l'organisation des secours et de la coopération civilo-militaire (ministère de l'Intérieur) ;
- M. le colonel Michel Lagrange , chargé du territoire national au Centre opérationnel interarmées ;
- M. le général de division Gaubert , général commandant la zone défense Nord à Lille, Gouverneur militaire de Lille ;
- M. Christophe Pezron , responsable du programme SECOIA (site d'élimination des chargements d'objets identifiés anciens) à la Délégation générale pour l'armement (ministère de la Défense).
M.
Michel Sappin, directeur de la défense et de la sécurité
civiles
et M. Alain Perret, sous-directeur de l'organisation des secours et
de la coopération civilo-militaire (ministère de
l'Intérieur)
M. Jacques LARCHÉ, président
C'est à l'initiative de notre collègue, M. Jacques Machet, que nous allons procéder à un certain nombre d'auditions sur la question du déminage et, plus particulièrement, sur ce qui s'est passé à Vimy et à Suippes.
Pour commencer, nous allons entendre M. Michel Sappin, directeur de la défense et de la sécurité civiles et M. Alain Perret, sous-directeur de l'organisation des secours et de la coopération civilo-militaire.
Je leur souhaite la bienvenue et leur laisse la parole.
M. Michel SAPPIN
Monsieur le Président, je suis venu avec Monsieur Perret, sous-directeur des opérations de secours et en charge du service de déminage. Nous sommes heureux de pouvoir parler avec vous d'un problème bien connu. De fait, dans le Nord et dans l'Est de la France, des obus notamment chimiques sont découverts quotidiennement. Statistiquement, cette affaire devrait encore durer un siècle.
Pendant la Première Guerre Mondiale, plus d'un milliard d'obus ont été tirés dans le Nord et dans l'Est de la France. Il semblerait qu'un sur quatre n'ait pas explosé, d'où le nombre considérable d'obus enfouis. Ce problème est donc extrêmement important d'un point de vue quantitatif. Il dure depuis un siècle et durera encore longtemps, d'autant plus que ce sont ajoutés les obus de la Seconde Guerre Mondiale, dont un sur dix n'a pas explosé. La proportion est moindre, mais elle reste significative.
Nous nous sommes seulement attelés à ce problème à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, puisqu'il n'y a pas eu de véritables opérations coordonnées d'enlèvement des obus entre 1919 et 1944. Durant cette période, tout se déroulait de manière pragmatique et peu organisée. Mais à partir de laLibération en 1945, d'importants efforts ont été entrepris. Le premier chef du service de déminage a été Raymond Aubrac. Il y a passé de nombreuses années de sa vie. C'est à partir de cette date que ce problème a été véritablement pris en main. D'ailleurs, ce service de déminage a connu d'importantes pertes humaines. En effet, depuis 1945, 617 démineurs ont perdu la vie et des milliers d'autres ont été blessés dans des activités d'enlèvement d'obus. Entre 1945 et 2000, plus de 660 000 bombes, 13,5 millions de mines et 24 millions d'obus et d'engins divers ont été découverts, neutralisés et détruits.
Aujourd'hui, la situation a connu quelques forts soubresauts, notamment avec les affaires de Vimy et de Châtelet sur Retourne qui sont d'ailleurs très différentes l'une de l'autre. Ces affaires exposent bien les deux faces du problème : les munitions chimiques (Vimy) et les munitions traditionnelles (Châtelet sur Retourne). Le service du déminage du Ministère de l'Intérieur s'est organisé progressivement depuis 1945. Je vais laisser Monsieur Perret vous en parler plus en détail. Mais auparavant, je tiens à dire qu'au niveau de la philosophie globale du Ministère, nous essayons depuis des années de persuader les pouvoirs publics et les parlementaires de l'acuité de ce problème. En effet, le service de déminage du Ministère de l'Intérieur est sous-dimensionné par rapport à l'immensité des besoins. Par ailleurs, notre budget n'est pas à la hauteur de la tâche, même si des efforts importants ont été réalisés au cours de ces dernières années, notamment grâce aux interventions parlementaires. Le Sénat a ainsi oeuvré très positivement pour l'équipement des démineurs. Une prise de conscience est en cours sous la pression des évènements. J'espère qu'elle va permettre d'accélérer la mutation de ce service de déminage.
Monsieur le Président, avec votre accord, Monsieur Perret va vous présenter brièvement ce service. Puis je reviendrai sur le contexte de l'affaire de Vimy. Cela permettra d'introduire le débat.
M. Alain PERRET
Le service de déminage du Ministère de l'Intérieur présente une grande originalité : son recrutement provient essentiellement de personnels qui ont bénéficié des dispositions de la loi 70-2 du 2 janvier 1970 tendant à faciliter l'accès des officiers à des emplois civils. Il s'agit donc de militaires de l'Armée de Terre ou de marins plongeurs démineurs de la Marine nationale. Ces personnes ont déjà acquis 15 ans d'ancienneté et sont généralement passées par une école de police. Une fois intégré au sein du Ministère, il faudra 7 années de formation supplémentaire pour qu'un démineur soit parfaitement adapté à sa mission spécifique (désobusage et débombage). Par conséquent, nos hommes ont à l'évidence une remarquable compétence. Je ne parle pas de l'aspect psychologique et de leur dévouement. Les chiffres évoqués par Monsieur Sappin sont édifiants de ce point de vue.
Ce dispositif fait qu'au plan territorial, nous disposons de 16 centres de déminage. La plupart d'entre eux sont concentrés sur le Nord de la France. Deux centres sont situés outremer, en Guyane et en Guadeloupe. Pour information, nous avons la mission de dépolluer la fusée Ariane qui est montée pièce par pièce à Kourou en Guyane. Chacune de ces pièces est contrôlée par les spécialistes du déminage du Ministère. En outre, nous disposons de trois antennes : une à Bayonne, une à Ajaccio et une à Bastia.
Dire que le service de déminage ne traite que les obus ramassés dans la campagne serait quelque peu limitatif. Depuis 1974, son champ de compétence s'est sensiblement élargi. Outre le débombage, les démineurs interviennent de manière significative, soit au titre de la prévention dans des missions menées conjointement avec le service de protection des hautes personnalités, soit dans des actions de nature antiterroriste. Par exemple, en 2000, les démineurs sont intervenus sur 2 300 objets suspects, dont 80 étaient de véritables bombes.
Ainsi, la mission du service de déminage est réalisée par des hommes dont la compétence est exemplaire. Elle s'est sensiblement élargie et nécessite la maîtrise de technologies très avancées. Aujourd'hui, les démineurs disposent de robots, de moyens de radiographie des obus et d'une compétence en matière de munitions chimiques qui les met au premier plan de l'action conduite concomitamment avec les Armées. A cette occasion, je rappelle que le Ministère de l'Intérieur est compétent en matière de ramassage, de stockage et de marquage des obus chimiques. Mais il appartient au Ministère de la Défense de réaliser une usine de démantèlement et de destruction des munitions chimiques, dans le cadre du programme SECOIA qui, je crois, est à l'ordre du jour de votre Commission.
Je tenais à évoquer ce service très original, doté d'une compétence exceptionnelle.
M. Michel SAPPIN
Je précise que ce service est constitué d'environ 150 démineurs, ce qui est peu par rapport aux besoins. Viennent toutefois s'y adjoindre une centaine d'aides artificiers de la police nationale. Ceux-ci n'ont pas les mêmes compétences et n'ont pas reçu la même formation longue, notamment en matière de munitions de guerre. Cela étant, il n'est pas simple d'avoir deux catégories différentes de personnel démineur au sein du Ministère de l'Intérieur, appartenant à deux directions différentes (la Direction générale de la Police nationale et la Direction de la Sécurité civile). Nous nous efforçons de résoudre au mieux cette petite complication.
J'aimerais revenir sur l'affaire de Vimy et sur l'explication de la problématique des munitions chimiques. Parmi les très nombreux obus trouvés chaque année (500 à 600 tonnes), une partie correspond à des munitions chimiques de la Première Guerre Mondiale (20 tonnes environ). Ces munitions sont diverses. Les unes, à paroi mince, enferment essentiellement du phosgène et les autres, à paroi plus épaisses, enferment essentiellement de l'ypérite. Peuvent également être trouvés d'autres types de munitions allemandes, françaises ou anglaises qui ont été tirées ou expérimentées à cette époque. L'état de dégradation de ces munitions est important, ce qui rend leur manipulation dangereuse. Spontanément, certaines munitions peuvent présenter des dégagements toxiques.
Jusqu'aux années 1992-1993, la façon d'éliminer ces munitions chimiques était relativement simple. Nous les emmenions en Baie de Somme. Pendant la marée basse, nous creusions un grand trou dans lequel les obus chimiques étaient disposés. Nous les mélangions avec quelques obus explosifs. Lorsque la marée venait les recouvrir, nous faisions tout sauter. Nous avons procédé de cette manière pendant environ 30 ans. A part quelques poissons qui auraient pu se plaindre, cela n'a jamais posé de problème. Nous n'enregistrions aucune remarque défavorable. La marée était tellement puissante que tout se passait bien, quel que soit le nombre de bombes. Nous faisions pétarder les munitions explosives traditionnelles dans les centres prévus à cet effet et éliminions les munitions chimiques dans la Baie de Somme.
Mais en 1993-1994, nous avons connu un changement brutal. Le mouvement écologiste a commencé à s'intéresser à de nombreuses choses, pas uniquement en matière de déminage. Des associations se sont créées et ont protesté. Elles n'étaient pas favorables à ce genre de méthode d'élimination des munitions chimiques, ce que je peux parfaitement comprendre. Bien évidemment, je parle en tant que responsable du déminage et non en tant que responsable de l'environnement. Je ne porte donc pas de jugement de valeur. Par ailleurs, la France a ratifié un traité sur l'élimination des munitions chimiques, mettant en oeuvre un dispositif de destruction et de surveillance fait par une commission internationale d'experts. Il était donc évident que nous ne pouvions plus procéder à un pétardage sauvage en Baie de Somme. En outre, un accident s'est produit dû à une erreur de manipulation. L'explosion a entraîné des dégâts sérieux, y compris sur le plan humain. Partant de tous ces constats, la décision d'arrêter le pétardage en Baie de Somme a été prise. C'est alors que l'Administration française a dû réfléchir à un autre procédé d'élimination des munitions chimiques.
Entre 1994 et aujourd'hui, nous avons programmé un nombre incalculable de réunions entre les services du Ministère de l'Intérieur, ceux du Ministère de la Défense, ceux du Ministère de l'Environnement, ceux du Ministère des Affaires Etrangères, les experts et le Secrétariat général de la Défense nationale. Lorsque je suis arrivé dans ce service il y a un an et demi, nous étions en pleine période de réflexion. Nous rencontrions notamment une difficulté, évoquée précédemment par Monsieur Perret : les textes confient au Ministère de l'Intérieur la collecte et la garde des munitions et au Ministère de la Défense la responsabilité de la destruction des armes chimiques.
Eliminer correctement les munitions chimiques, conformément à la convention internationale, n'est pas simple. Techniquement, le procédé n'est pas facile à mettre au point. Les ingénieurs de la Direction Générale pour l'Armement nous ont longuement expliqué leurs difficultés. Il faut savoir également que, si les Belges et les Allemands connaissent un certain nombre de nos problèmes, la quantité d'obus n'a rien à voir à celle que nous connaissons en France. Leur élimination peut donc être abordée différemment, d'autant plus que les réglementations divergent selon les pays. En France, depuis quelques années, notre difficulté réside dans la mise en oeuvre du programme SECOIA d'élimination industrielle des munitions chimiques. Le coût de ce démantèlement s'est développé au cours des années. En 1993-1994, nous parlions d'un programme de 150 à 200 millions de francs. Nous en sommes aujourd'hui à 700 ou 800 millions.
Ainsi, entre 1994 et aujourd'hui, nous avons dû trouver d'autres solutions quant à nos obus chimiques. C'est alors que la décision a été prise de les rassembler en un point principal, Vimy, avec deux autres centres, Woippy et Landres. Nous avons donc entassé ces munitions sans avoir le droit de les traiter. Sachant que les découvertes d'anciens obus sont quotidiennes, le stock a considérablement augmenté. A l'époque, les Gouvernements en charge de ce dossier pensaient que ce stockage durerait un ou deux ans avant le démarrage du programme SECOIA. Malheureusement, au fil des années, les perspectives de construction de SECOIA ont été repoussées à l'horizon 2006-2007.
Malgré les précautions prises dans la manière de ranger ces caisses de munitions, le site de Vimy a très vite été saturé. En outre, la détérioration de ces munitions s'est accélérée. De fait, celles-ci sont restées longtemps en plein air, avant le commencement de travaux en 1999. Nous avons installé des toits au-dessus des caisses. Mais la situation s'est encore aggravée jusqu'à l'affaire de Vimy, fin mars début avril 2001. Lors d'une inspection, nous avons constaté une déformation assez préoccupante des caisses renfermant ces munitions. Elles étaient fabriquées en plastique spécifique capable de résister à la corrosion des fuites d'acide. Ce fut le cas, mais s'est posé un problème de surcharge. Les caisses ont souffert d'un poids trop important pour leur capacité et ont commencé à céder.
Nous nous sommes donc retrouvés dans une situation d'urgence, avec la nécessité d'intervenir très rapidement pour éviter une rupture de caisse. De fait, dans un tel cas, son contenu risquait de chuter dans la caisse en dessous et d'entraîner une réaction en chaîne dont les experts ont estimé qu'elle pouvait avoir des conséquences extrêmement grave sur la population autour de ce dépôt. En outre, dans certaines circonstances défavorables, une explosion en chaîne massive avec un vent porteur risquait d'entraîner un nuage toxique, d'où la décision du Premier ministre d'évacuer la population le temps de remettre de l'ordre dans le dépôt de Vimy (transférer à Suippes les munitions chimiques transportables et mettre au sol celles restant à Vimy). L'objectif était de recréer des conditions de sécurité maximale.
Cette opération a donc eu lieu. Tout s'est bien passé. Nous avons pu transporter à Suippes toutes les munitions chimiques et faire en sorte que celles laissées à Vimy soient mieux conservées. Parmi les munitions qui sont restées à Vimy, certaines sont encore dites « douteuses » puisque leur état de dégradation est tel que nous n'avons plus la possibilité de les identifier par leur aspect extérieur ou par une inscription quelconque. Ce sont des munitions dont nous ne savons pas si elles sont explosives ou chimiques. Parfois, la composition exacte du gaz des munitions chimiques est également difficile à établir. Cela exige que nous passions toutes ces munitions devant une machine « à lever le doute » pour en connaître la structure interne. Nous devons commencer rapidement le tri de ces munitions pour pouvoir les traiter.
Je vous ai brièvement résumé la situation. L'affaire de Vimy a permis à tout le monde de prendre conscience de ces problèmes. Celle de Châtelet sur Retourne, quelques semaines plus tard, a été une piqûre de rappel tout à fait utile même s'il ne s'agissait en aucun cas de munitions chimiques. Ainsi, nous avons tous pris connaissance de la situation. Les décisions prises par les Ministres de l'Intérieur et de la Défense ont permis d'accélérer la réflexion sur le programme SECOIA. Nous avons convaincu de nombreuses personnes et administrations, sauf peut-être la Direction du Budget, de l'effort nécessaire à porter en termes d'hommes et de moyens. Nous avons demandé à chaque préfet de zone de défense de faire un état exact des stocks de munitions connus ou supposés. En effet, une sorte de mémoire collective vit encore, qui permettrait par exemple de savoir que des obus ont été placés dans tel lac dans les années 20. Cela n'a jamais fait l'objet d'un état exhaustif. C'est pourquoi nous allons y travailler. Nous espérons disposer d'un état plus réel de la situation, qui nous permettra de définir un plan d'action. Ce dernier exigera certainement un nombre plus important de démineurs.
M. Jacques LARCHÉ, président
Mes chers collègues, à titre personnel, je vois matière à s'inquiéter. Je sais que notre collègue Jean-Pierre Schosteck, dans son avis budgétaire annuel, signale le nombre de victimes, soit une moyenne de 11 personnes par an. Grâce à la formation longue dont vous avez parlé, le nombre d'accidents a-t-il diminué ses dernières années ?
M. Michel SAPPIN
Tout à fait Monsieur le Président. Heureusement, les accidents de démineurs sont beaucoup moins nombreux aujourd'hui. Le dernier, qui était dû à une erreur de manipulation, a eu lieu à Vimy il y a trois ans. Les opérations manuelles à effectuer sont tellement courantes qu'il existera toujours des risques incompressibles, même avec une formation ou une expérience. Je précise que se produisent également de nombreux accidents d'agriculteurs ou d'enfants qui manipulent ou jouent avec des obus trouvés. La presse fait parfois état d'informations étonnantes, comme l'existence de collectionneurs de munitions. En outre, nous avons actuellement une préoccupation. Dans quelques mois, nous allons commencer les travaux du TGV, dont le tracé passe à travers des champs de bataille de la Première Guerre Mondiale. Nous savons pertinemment que nous allons trouver un nombre important de munitions.
M. Patrice GELARD
Je rencontre ce problème dans ma région. En 2000, au Havre, nous avons dû déminer 600 engins de guerre. En l'occurrence, la Marine Nationale s'en occupe.
M. Jacques LARCHÉ, président
Qu'en est-il de la prise en charge des familles des personnes qui ont perdu la vie en travaillant au sein du service de déminage ?
M. Alain PERRET
Il s'agit de fonctionnaires de police. Des soutiens familiaux sont prévus, notamment des modalités de recrutement privilégié pour les épouses en qualité de secrétaire du commissariat de police ou dans les Préfectures, lorsque celles-ci sont démunies. Les règles concernant les policiers morts en service commandé s'appliquent.
M. Jacques MACHET
Monsieur le Directeur, je viens d'écouter vos propos avec beaucoup d'attention. Je connais bien cette situation dans ma région. J'habite dans le secteur de Suippes, dans un village qui a subi la Première Guerre Mondiale pendant quatre ans. J'ai été agriculteur durant 40 ans et ai retourné des obus chaque année avec ma charrue ou mon tracteur. Vous venez de dire que de nombreux accidents concernaient les agriculteurs. Mais les accidents n'ont lieu que vis-à-vis de ceux qui les manipulent. A Suippes, des hommes appelés récupérateurs venaient chercher les obus trouvés et les mettaient dans des étaux. Ceux-ci étaient les premières personnes en danger. Les agriculteurs ramassaient simplement les obus. Je me souviens qu'un jour, en passant mon rotovator, j'ai découvert un obus. J'ai eu très peur. Mais je vous assure qu'il n'y a eu aucun accident d'agriculteurs dans ma région. Pourtant, les obus remontant tous les ans vers la surface, il nous arrive encore d'en trouver dans une terre que nous avons travaillée pendant 20 ans.
Personnellement, je cherche à prendre la juste mesure des risques. Seulement, le problème qui m'a été posé est celui de l'arrivée des munitions chimiques de Vimy à Suippes. Les élus ont appris l'information à la télévision. Nous n'avons pas été prévenus. En tant qu'élu, je ne peux pas comprendre que le silence soit resté complet au niveau des responsables locaux. Nous n'avons pas du tout apprécié cet état de fait.
M. Michel SAPPIN
Monsieur le Sénateur, la décision du départ des munitions de Vimy vers Suippes a été prise extrêmement rapidement. Lorsque nous nous sommes aperçus de la rupture des caisses à Vimy, nous devions trouver instantanément un terrain susceptible d'accueillir ces caisses. Nous n'avions pas le choix. Pour pouvoir envisager le stockage, il fallait un camp militaire avec suffisamment d'espace libre aux alentours. Le Ministère de la Défense nous a proposé le site de Suippes sur lequel devrait être construite l'usine SECOIA. Ainsi, la décision, la mise en route du convoi et le chargement des caisses se sont déroulés en 48 ou 72 heures. Ensuite, le Préfet de la Marne a compris la préoccupation des élus. Des opérations portes ouvertes ont été organisées pour les élus et la proche population. Aujourd'hui, vous êtes totalement informés des conditions de stockage des caisses.
M. Jacques MACHET
D'autres caisses sont arrivés depuis.
M. Michel SAPPIN
Non. Il n'y a eu qu'un seul arrivage, celui du grand convoi médiatisé.
M. Jacques MACHET
Monsieur le Préfet m'a pourtant informé qu'il en était arrivé d'autres.
M. Michel SAPPIN
Monsieur le Sénateur, devant cette commission, je peux vous affirmer qu'il n'y a jamais eu d'autres livraisons de munitions chimiques à Suippes que celle du grand convoi. Il est seulement arrivé des containers vides car nous avons l'intention de transférer à Suippes les autres munitions chimiques triées entre temps à Vimy. Plutôt que de les entreposer sur un autre terrain militaire, il est logique et normal de simplifier la manipulation de ces obus en les stockant à Suippes, là où ils vont être traités dans l'usine SECOIA. Cela évitera tout problème ultérieur de transport et de manipulation. Actuellement, ces caisses sont donc dans des containers réfrigérés.
M. Jacques MACHET
J'ai entière confiance sur la sécurité aujourd'hui. Mais allez-vous pouvoir assurer cette sécurité jusqu'à ce que l'usine SECOIA soit opérationnelle ?
M. Michel SAPPIN
Les conditions de stockage actuelles sont sûres. Les munitions à paroi mince sont entreposées dans des containers réfrigérés, containers que nous allons faire entrer dans les silos Hades.
M. Jacques MACHET
Les containers ne peuvent matériellement pas entrer dans ces silos.
M. Michel SAPPIN
Je peux pourtant vous l'assurer. Nous avons rentré les containers à l'intérieur des silos Hades et avons fermé les portes. Le système fonctionne très bien. Je tiens d'ailleurs des photos à votre disposition. Ainsi, les risques en termes de conservation sont aujourd'hui minimes.
M. Jacques MACHET
Je connais bien les silos Hades.
M. Jean-Pierre SCHOSTECK
J'avais préparé une liste de questions, mais je ne veux pas prolonger le débat. Nous sommes encore sous le choc des informations apportées dans les rapports successifs concernant ce problème de munitions. Cela étant, si nous ne prenons pas la pleine mesure du problème et si nous continuons de pratiquer une politique ressemblant à celle du Sapeur Camembert, nous serons au-dessous de toutes les responsabilités. J'aimerais vous poser une question précise : quand l'usine SECOIA sera-t-elle prête à fonctionner ? De fait, cet aspect est le plus important. Nous ne pourrons pas continuer indéfiniment à stocker des produits dangereux.
M. Jacques LARCHÉ, président
Selon vous, le lieu du risque a-t-il simplement été déplacé ou le fait de transférer ces munitions à Suippes a-t-il fortement diminué ce risque ?
M. Michel SAPPIN
Le risque zéro n'existe pas. Mais les conditions de conservation des munitions chimiques à Suippes et les conditions dans lesquelles seront stockées celles qui seront transférées ultérieurement sont et seront les meilleures compte tenu de la situation de ces obus à paroi mince. Il n'en reste pas moins que Vimy sera encore le lieu d'arrivages de munitions chimiques de plus en plus détériorées. Plus les années passent, plus la situation s'aggrave. Cela pose bien le problème de la date de mise en service de l'usine SECOIA. C'est davantage au Ministère de la Défense d'en parler, puisqu'il a la responsabilité de la construction de cette usine. Je sais simplement que les dates évoquées dans les dernières réunions interministérielles étaient 2005-2006. Je ne peux pas vous en dire plus aujourd'hui.
M. Jacques LARCHÉ, président
Quel est le temps nécessaire pour la construction de cette usine ?
M. Jacques MACHET
Il faut la volonté de l'entreprendre. Or cette volonté n'existe actuellement pas.
M. Michel SAPPIN
Le processus lui-même n'est pas au point. De fait, il convient de trouver un système d'élimination entièrement automatisé pour deux raisons. Premièrement, tout le monde peut comprendre la raison de précaution. Deuxièmement, une raison juridique fait que les militaires du ministère de la Défense n'ont pas le droit de toucher aux munitions abandonnées ou anciennes. Ce problème du concours de l'Armée s'est posé à Vimy dans la mesure où seuls les démineurs peuvent travailler en zone Z1 et Z2 et manipuler les obus. Les spécialistes du Ministère de la Défense n'ont pas le droit de le faire. Le règlement militaire l'interdit. Par conséquent, il faut trouver un système avec lequel aucune manipulation manuelle ne sera nécessaire dès lors que les munitions seront prises en charge par le Ministère de la Défense. Les industriels capables de faire une telle usine ne sont pas pléthores. Ils sont en pleine réflexion pour mettre au point le processus industriel. La construction de l'usine pourra seulement avoir lieu ensuite. Elle demandera certainement deux ans.
M. Jacques MACHET
Les Allemands et les Belges traitent actuellement les obus. Il semble qu'ils n'utilisent pas le meilleur moyen. Qu'en est-il ?
M. Michel SAPPIN
En Allemagne, le problème est presque résolu. A notre connaissance, les Allemands ne rencontrent plus de difficultés. Ils ont enlevé leurs obus dans les années 45-60 de manière pragmatique. Je précise que le nombre d'obus en Allemagne est sensiblement moins élevé qu'en France. En Belgique, les obus sont aussi nettement moins nombreux qu'en France. Les Belges ont donc la possibilité d'utiliser des procédés plus simples et plus rapides. Je pense notamment à la technique du perçage-pompage. Celle-ci nous a paru intéressante, mais n'a pas été retenue par les experts français. Nous ne pouvons donc pas l'utiliser. Les Belges ne se servent de cette technique que sur les obus à paroi mince. Il n'est pas encore possible de l'utiliser sur les obus à paroi dure.
M. Maurice ULRICH
Dans ma totale ignorance, j'aimerais exprimer mon sentiment d'inquiétude. J'ai l'impression que nous sommes en face d'un cas de coopération difficile entre deux Ministères. Je suis inquiet à la pensée qu'il faudra entre 4 et 5 ans pour mettre au point un processus de traitement des munitions chimiques. Il me semble également étrange que les militaires n'aient pas le droit de toucher les munitions. Tout cela risque d'aller très lentement pour des raisons d'opposition administrative.
M. Michel SAPPIN
Je serai désolé d'avoir involontairement favorisé une telle opinion. Aux vues du coût du programme SECOIA, vous pouvez comprendre qu'il est difficile de trouver 700 à 800 millions de francs dans un contexte de diminution forte du budget de la Défense nationale. Cela peut expliquer certaines crispations. Cela étant, en termes de travail interministériel, je ne pense pas qu'il y ait une opposition entre les Ministères. Les difficultés sont réelles. Nous avons essayé de les régler ensemble. Je vous rappelle que les problèmes se posent davantage en termes techniques, avec les experts qui interviennent massivement dans ces dossiers. S'agissant de mettre au point un nouveau procédé, l'unanimité entre eux est difficile à atteindre. Chaque fois qu'une solution a été étudiée, nous en sommes souvent arrivés à une situation de blocage due aux avis divergents des experts. Mais les Ministères sont relativement solidaires dans cette affaire. Tout le monde se rend compte de l'urgence et de la difficulté du problème. Je précise que ce dossier est sous l'autorité du Premier ministre.
M. Jacques MACHET
Cela fait tout de même 80 ans que ce problème perdure. L'urgence ne semble pas avoir été prise en compte.
M. Michel SAPPIN
Vous l'avez dit vous-même : les munitions remontent en surface au fil des années. Le travail de Raymond Aubrac après la Libération a été magnifique. Malheureusement, je vous ai fait part des pertes que cela a occasionnées. La France avait été plus ou moins nettoyée. Puis, les ans passants, de nouveaux obus ont été découverts. Un grand nombre d'entre eux sont aujourd'hui trouvés dans des chantiers de construction ou des chantiers publics (autoroutes, voies TGV...).
M. Jacques LARCHÉ, président
Historiquement, pendant combien de temps a-t-on utilisé les prisonniers allemands pour trouver les obus ?
M. Michel SAPPIN
Jusqu'en 1950. Les prisonniers allemands y ont payé un lourd tribut. Parmi les morts dont je vous parlais, la moitié était des prisonniers allemands.
M. Jacques LARCHÉ, président
Il me reste à vous remercier pour toutes ces informations.