III. LE MAINTIEN DU CADRE DE VIE ET DES CONDITIONS D'EXISTENCE

Au-delà de l'épreuve que représente le règlement de la succession en tant que tel, la détresse du conjoint survivant se trouve aggravée lorsqu'il conduit à bouleverser ses conditions de vie. C'est pourquoi, les deux propositions de loi ne visent pas seulement à revaloriser les droits successoraux proprement dits du conjoint survivant, mais aussi à lui permettre de rester dans son cadre de vie.

A. LA RECONNAISSANCE D'UN DROIT D'HABITATION ET D'USAGE

Les deux textes proposent d'insérer un nouveau paragraphe dans le Code civil pour accorder au conjoint survivant le droit de continuer à habiter le logement conjugal. Ce droit d'habitation (proposition Vidalies), ou au maintien du logement (proposition About), serait complété par un droit d'usage portant sur les meubles garnissant le logement.

Cette disposition est essentielle. Le souhait de finir ses jours dans son cadre de vie habituel, qui figure parmi les revendications prioritaires des associations de conjoints survivants, paraît particulièrement légitime si l'on considère que plus de la moitié des veuves ont dépassé 75 ans. Elles n'ont actuellement aucune garantie en la matière car, même si elles bénéficient de l'usufruit de la succession, celui-ci peut être converti en rente à tout moment et la conversion imposée par les héritiers.

La proposition de loi Vidalies suggère d'accorder au conjoint survivant, jusqu'à son propre décès et sauf volonté contraire exprimée par le défunt dans un testament par acte public 9 ( * ) , un droit d'habitation du logement qui constituait la résidence principale des époux, ainsi qu'un droit d'usage sur le mobilier garnissant ce logement. Le conjoint successible, les autres héritiers, voire un seul d'entre eux, pourront exiger que soient dressés un inventaire des meubles et un état de l'immeuble.

Le droit d'habitation serait reconnu personnellement au conjoint. Celui-ci ne pourra donc donner le logement en location (contrairement à ce qu'il peut faire dans le cadre d'un usufruit) ; toutefois, l'Assemblée nationale a complété la proposition de loi pour admettre cette possibilité dans le cas où l'évolution de l'état de santé de l'intéressé ne lui permettrait plus de rester dans les lieux et justifierait son hébergement dans un établissement spécialisé. Il a été précisé, par un amendement d'origine gouvernementale, que la location ne serait possible que pour l'habitation, les baux commerciaux ou professionnels, qui accordent des droits plus importants aux locataires en matière de renouvellement, pouvant se révéler excessivement contraignants pour la succession.

Afin de ne pas remettre en cause l'équilibre nécessaire avec les autres successibles, la valeur des droits d'habitation et d'usage du conjoint s'imputerait sur la valeur de ses droits successoraux. Si celle-ci est supérieure à celle-là, le conjoint pourra prendre le complément sur la succession ; dans le cas contraire, il sera dispensé de récompenser la succession à raison de l'excédent.

A la suite d'un amendement du Gouvernement visant à préciser les droits de mutation dus par le conjoint qui aura opté pour le droit d'habitation et d'usage, la valorisation de ce droit a été fixée à 60 % de la valeur de l'usufruit, dont les attributs sont plus complets.

Il est prévu que la volonté de bénéficier des droits d'habitation et d'usage devra être exprimée par le conjoint dans le délai d'un an à compter du décès, et que ces droits pourront être ultérieurement convertis en rente viagère ou en capital , mais uniquement, à la différence de la conversion d'usufruit, par commun accord entre le conjoint et les autres héritiers. Il est utile d'envisager la possibilité d'une telle conversion, dans l'intérêt même du conjoint survivant : après avoir préféré dans un premier temps conserver son habitation, celui-ci pourra souhaiter changer d'hébergement, ou, vieillissant, s'y verra contraint, et la rente ou le capital qu'il tirera de la conversion pourra lui permettre d'envisager un tel changement.

Il est par ailleurs proposé, dans l'hypothèse où l'habitation est un logement loué, de favoriser la transmission du droit au bail au conjoint survivan t. En application de l'article 1751 du Code civil, les époux bénéficient de la cotitularité du bail lorsqu'ils habitent le logement ensemble, mais la jurisprudence considère qu'au décès de l'un des époux, ses héritiers deviennent titulaires du bail avec le conjoint survivant. Cette solution peut être source de conflits. Aussi la proposition de loi prévoit-elle que le conjoint, qui sera effectivement dans les lieux à l'époque du décès, bénéficiera d'un droit exclusif sur le bail, sauf renonciation expresse de sa part.

Quand les époux n'auront pas vécu ensemble dans le logement, la proposition de loi prévoit que le conjoint sera en concours sur le droit au bail et qu'il appartiendra au juge de trancher entre les intérêts en présence. Le régime de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs, qui s'applique en l'absence de cotitularité du bail, est ainsi précisé.

La proposition de loi de notre collègue About vise à instaurer au profit du conjoint survivant un « droit au maintien de son logement », susceptible d'être exercé dans le même délai d'un an après le décès, et, corrélativement, un droit au maintien du mobilier garnissant le logement, en envisageant trois cas :

- si le couple se trouvait, avant le décès, dans une location, le conjoint survivant sera prioritaire au moment du transfert du contrat de location : dans le cas où le bail appartenait indivisément aux deux époux, le droit au bail sera attribué au conjoint s'il en fait la demande (et non automatiquement comme dans la proposition de loi Vidalies) et, dans le cas d'un droit au bail détenu par le seul défunt, la transmission au conjoint sera de plein droit ;

- si les époux étaient propriétaires en commun du logement, le conjoint survivant bénéficiera d'une attribution préférentielle, en propriété ou en usufruit; l'attribution préférentielle du logement demandée par le conjoint survivant sera de droit, sauf si, s'agissant d'un logement en indivision, le maintien dans l'indivision a été prononcé par le juge à la demande des héritiers ; si l'attribution préférentielle lui a été accordée judiciairement, le conjoint bénéficiera, pour le paiement d'une fraction de la soulte (égale au plus à la moitié), de délais qui ne pourront cependant excéder cinq ans ; en cas de vente de l'immeuble, le solde de la soulte deviendra immédiatement exigible ;

- si le logement était la propriété personnelle du défunt, le conjoint survivant pourra en demander la concession à bail ; il appartiendra au juge de se prononcer en cas de conflit (la demande ne pourra être rejetée que si elle excède manifestement les besoins et les facultés du conjoint) et de régler les modalités du bail.

Il n'est pas prévu, dans la proposition de loi About, que le défunt puisse s'opposer de son vivant à l'exercice par le conjoint survivant de son droit au maintien dans son logement. Votre Délégation ne peut qu'être favorable à cette option et recommande a contrario au législateur de ne pas suivre la proposition faite sur ce point par le texte voté par l'Assemblée nationale. Le droit au logement du conjoint survivant doit être intangible .

* 9 Testament reçu par deux notaires ou par un notaire assisté de deux témoins - article 971 du Code civil.

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