B. UN SYSTÈME ADOPTÉ PAR DES PAYS AUX TRADITIONS POLITIQUES TRÈS DIFFÉRENTES
1. Des pays marqués par la culture libérale
• Le cas du Royaume-Uni illustre parfaitement la tendance analysée plus haut, consistant à séparer la conception des politiques publiques de leur mise en oeuvre qui revient à des agences. Ce programme a été dénommé Next Steps .
Comme le note le rapport précité de l'IGF, « l'élément structurant de la réforme de la gestion publique au Royaume-Uni réside dans le vaste mouvement qui a consisté, entre 1988 et 1995 environ, à réorganiser l'administration publique, suivant un principe de séparation des fonctions de définition et de gestion des politiques publiques ». Accroissement de l'autonomie de gestion, responsabilisation accrue des dirigeants, engagements en termes de résultats sont les principaux traits de fonctionnement des agences.
Il convient toutefois d'insister sur un élément important de ce programme, souligné par le rapport de l'IGF : « l'organisation de l'administration britannique en agences ne conduit pas en elle-même à une privatisation ou à un démembrement de l'Etat », les agences n'ayant de toute façon pas la personnalité morale.
• Aux Etats-Unis , il existe de puissantes agences, auxquelles est applicable, sauf disposition contraire, le Government Performance and Results Act de 1993 23 ( * ) . Certaines agences ont ainsi élaboré des conventions de performance, définissant les responsabilités dans la poursuite des objectifs, et mettant en place des outils de suivi au jour le jour et d'évaluation. La définition d'objectifs et la responsabilisation concernent tous les niveaux organisationnels. Par ailleurs, en 1997, 32 agences employant 1,4 million d'agents fédéraux ont été désignées dans le cadre de la National Performance Review pour aller plus loin dans la réforme et mettre en oeuvre des recommandations adaptées leur situation particulière.
Exemples de recommandations adressées à certaines agences fédérales
Agence |
Recommandations |
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Department of Defense |
Amélioration de la qualité des biens et services
achetés
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Department of Energy |
Privatisation des réserves de pétrole de Elk Hills
en Californie
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Social Security Administration |
Amélioration de la prise en compte des plaintes provenant
de personnes handicapées
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Source : General Accounting Office, septembre 2000.
Le Department of Labor fournit un autre exemple d'indicateurs adaptés aux objectifs spécifiques poursuivis dans cette administration. Il illustre l'idée que le Government Performance and Results Act a un impact sur de nombreuses politiques publiques et que la réforme de l'Etat peut modifier tous les aspects de la vie administrative.
Exemples d'objectifs |
Indicateurs |
Résultats |
Améliorer l'effectivité de l'analyse de l'économie américaine |
Nombre de statistiques publiées à temps, mesure de la qualité des principaux indicateurs, nombre moyen de consultations des indicateurs par Internet chaque mois |
En 1999, objectif non atteint : nombreux indicateurs non
prêts à temps
|
Améliorer le respect du droit du travail par les employeurs |
Taux de violations, impact des études ciblées sur certains secteurs en terme de changements comportementaux |
Individualisés par secteur de l'économie |
Réduction du nombre de jours non travaillés pour cause de blessures au travail |
Nombre de jours non travaillés |
2001 : baisse de 2 % par rapport à 2000 |
Améliorer l'accès aux données disponibles sur Internet |
Accroître de 5 % le nombre d'utilisateurs du site Internet, réduire le nombre de clics nécessaires pour atteindre les principales informations de 5 %, accroître l'indice de satisfaction des utilisateurs du site |
Objectif atteint en 2000 |
Source : Department of Labor, Fiscal Year 2002 Annual Performance Plan.
Les agences d'expérimentation furent choisies pour leur haut degré d'interaction avec le public ou leur impact présumé sur les autres administrations, d'où le nom de l'initiative : High Impact Agencies . Parmi ces agences se trouvent les services fiscaux, l'administration des régimes publics de retraite, les douanes, les ministères du commerce, de l'agriculture, de l'éducation, de la santé, du travail, des affaires étrangères...
L'exemple des services fiscaux fédéraux américains : l' Internal Revenue Service
L' Internal Revenue Service (IRS) a fait l'objet d'une réforme en profondeur à la suite d'une crise intervenue en 1996 et 1997. parmi de nombreux maux - obsolescence du matériel informatique, défaut de formation des agents -, le mauvais traitement réservé aux contribuables avait en effet retenu l'attention du Congrès et des média, conduisant à une mise en cause publique des responsables de cette administration.
L' Internal Revenue Service Act de 1998 poursuit l'objectif d'améliorer le service aux contribuables. Le texte de cette loi assigne à l'IRS la mission de « procurer aux contribuables américains un service de grande qualité en les aidant à comprendre et à assumer leurs devoirs fiscaux et en appliquant la législation avec intégrité et impartialité ». L'IRS, s'appuyant sur les conclusions d'une étude réalisée par un cabinet de conseil, a décliné cette mission selon cinq lignes d'action et trois objectifs principaux :
Lignes d'action |
Objectifs |
Aborder les problèmes selon le point de vue des contribuables Permettre aux gestionnaires de tous niveaux d'être responsables des services placés sous leur autorité Opérer un alignement des mesures de performance à tous les niveaux hiérarchiques Favoriser les échanges et la communication internes Insister sur l'intégrité absolue des agents, qui doivent travailler pour l'intérêt général |
Service individualisé à chaque contribuable (simplification des déclarations de revenus, assistance) Service à tous les contribuables (impartialité et lutte contre la fraude), Amélioration de la productivité grâce à un environnement de travail de qualité (satisfaction des employés, stabilité des effectifs lorsque la croissance économique et la qualité du service le permettent) |
De surcroît, l'IRS, comme d'autres agences a fait l'objet de 295 recommandations dans le cadre de la National Performance Review . Certaines ont pu donner lieu à des applications rapides, tandis que d'autres ont nécessité des changements structurels.
Le service aux contribuables a rapidement fait l'objet d'améliorations : assistance téléphonique 24 heures sur 24, en anglais ou en espagnol, possibilité de paiement par carte bancaire, renversement de la charge de la preuve au bénéfice des contribuables, limitation des possibilités de saisies, enregistrement des plaintes des usagers portant sur le comportement d'un agent, renforcement du rôle de l'avocat du contribuable...
L'IRS a élaboré un système de mesure des performances rénové. L'ancien système privilégiait une approche quantitative autour des chiffres de vérifications, de redressements, de recouvrements, réalisés par chaque agent, et les montants qui en résultaient. La mesure de la performance doit désormais contribuer aux objectifs de l'agence. L'appréciation du travail d'un agent repose sur des éléments constituant le service-client.
L'organisation administrative de l'IRS a été profondément remaniée. Quatre directions ont été définies et ont succédé aux découpages antérieurs. La répartition du travail a désormais pour critère le type de public et ses besoins, particuliers, petites entreprises et travailleurs indépendants, grandes entreprises, démembrements de l'Etat. Cette réorganisation doit également permettre de faciliter le recrutement de cadres dirigeants issus du secteur privé disposant de compétences et savoir-faire appropriés.
Conformément à ce que préconise le Government Performance and Results Act , les agences ont remis au Congrès en mars 2000 leur premier rapport de performance. Selon le General Accounting Office , 60 % des objectifs que les agences s'étaient fixés en 1999 ont été atteints. En outre, une étude du GAO réalisée en 2000 a montré que, sur un total de 72 recommandations adressées à dix agences dans le cadre de la National Performance Review , 90 % avaient donné lieu à une application totale ou partielle.
• Aux Pays-Bas , les agences ont été créées à la suite d'un rapport gouvernemental de 1991 : il s'agissait d'améliorer les performances des ministères et d'accroître l'efficacité des services publics. L'activité des agences concerne essentiellement cinq secteurs : l'économie, les finances, l'environnement, la santé publique, et l'éducation et la culture. Le 1 er janvier 2001, le ministère des affaires économiques a transformé en agence son bureau d'information pour les exportations et les marchés extérieurs. Le pays comptait 22 agences en 2000, l'objectif du gouvernement étant d'atteindre le chiffre de 30 agences en 2002. Elles emploient plus de 26.000 agents.
La transformation de l'activité d'un ministère en agence aux Pays-Bas Pour qu'une partie des activités d'un ministère soit transformée en agence, trois conditions doivent être réunies : - les produits et les services rendus par les agences doivent être mesurables ; - un rapport d'audit indépendant, établi préalablement à la création de l'agence, doit conclure en faveur de la création de cette dernière ; - la preuve doit être apportée que la création d'une agence permettrait d'améliorer l'efficience et de mieux maîtriser les coûts du service rendu. Ces trois conditions sont très importantes, car elles démontrent que l'administration néerlandaise fait l'objet d'observations constantes sur l'efficacité et la rationalité de son organisation. |
Le principal avantage d'une agence réside dans son degré plus élevé d'autonomie, notamment en ce qui concerne l'utilisation de ses ressources. Un directeur d'agence a notamment toute latitude pour le recrutement du personnel, ainsi que pour la réalisation des investissements.
Par ailleurs, la comptabilité des agences est calquée sur celle des entreprises privées : elles disposent ainsi d'une comptabilité patrimoniale et d'une comptabilité analytique leur permettant de mieux maîtriser leurs coûts. Leurs comptes sont audités puis certifiés par le ministère de tutelle, dont le bilan inclut les données financières transmises par les agences.
2. Les agences dans des pays de tradition sociale-démocrate
Les pays anglo-saxons, de tradition libérale, n'ont pas été les seuls à recourir au modèle des agences : ces dernières ont également vu le jour dans des pays marqués par la culture sociale-démocrate. Il n'est donc pas exact d'assimiler cette pratique administrative à une sorte de démembrement de l'Etat.
• La Norvège connaît un système proche de celui des agences, appelé « directorat ». Les directorats sont des entités autonomes placées sous le contrôle direct d'un ministère. Ce sont des structures très répandues dans l'administration norvégienne, et nombre d'entre eux sont délocalisés. Ils assurent la mise en oeuvre des politiques publiques, tandis que les ministères, dont les effectifs sont très limités, se concentrent sur les tâches de conception et d'évaluation.
Deux directorats ont été récemment renforcés ou créés :
- depuis le 1 er juillet 2000, le directorat de l'immigration traite lui-même toutes les demandes d'asile, alors que cette tâche était auparavant partagée avec la police ;
- depuis le 1 er janvier 2001, l'administration de la police a été détachée du ministère de la justice et de la police, et confiée au nouveau directorat de la police, l'objectif assigné à ce dernier étant de retirer des policiers des bureaux pour les affecter davantage sur le terrain.
• Le système administratif de la Finlande se caractérise par le modèle d'agences en réseau souvent puissantes, face à des ministères en nombre réduit (13). Une réforme a été engagée dans ce pays de façon progressive à partir de 1988, dans le but de renforcer les mécanismes de marché et d'adopter les techniques en vigueur dans le secteur privé. La sphère publique a donc été recentrée sur son coeur d'activités traditionnelles.
En 1988, l'Etat a procédé à la transformation de plusieurs directions d'administration centrale en unités d'activités soumises, à des degrés variables, aux mécanismes concurrentiels . Ces unités sont aujourd'hui :
- les agences : au nombre d'environ 80, les agences emploient des personnels relevant du droit du travail ; leurs relations avec leur ministère de tutelle sont régies par des « quasi-contrats », renégociés chaque année, et qui fixent des objectifs généraux, tout en laissant une grande latitude à leurs dirigeants pour les atteindre ;
- les entreprises commerciales d'Etat : créées par une loi de 1988, elles relèvent totalement du secteur concurrentiel, et ne peuvent compter que sur les ressources apportées par leur activité ; certaines d'entre elles doivent toutefois remplir des obligations de service public ;
- les sociétés anonymes d'Etat au nombre de 40, elles fonctionnent comme des entreprises du secteur privé, certaines d'entre elles étant d'ailleurs partiellement privatisées à l'exemple de la compagnie aérienne ; certaines peuvent toutefois être soumises à des obligations de service public, comme la poste.
• La Suède présente une situation similaire. Ce pays ne compte que 13 ministères employant environ 3.000 fonctionnaires : l'essentiel de leurs compétences opérationnelles a été transféré en 1990 à de puissantes agences au nombre de 250, qui comptent 200.000 fonctionnaires. C'est par ailleurs au sein des agences que les grandes lignes de la réforme budgétaire et comptable ont été introduites et expérimentées 24 ( * ) .
• Au Danemark , les agences sont liées à l'Etat par des contrats de performance, qui se déclinent en une succession de contrats, entre l'agence et son directeur, au sein de l'agence, puis au niveau des salariés. Cette initiative est considérée comme la plus réussie des réformes entreprises au cours des années 1990 : en 1999, environ 80 agences avaient conclu de tels contrats, et le mouvement va s'amplifiant.
Le prix de la qualité du service public En 1997, le gouvernement danois a créé, en collaboration avec les syndicats de la fonction publique, un « prix de la qualité du service public », destiné à récompenser l'agence jugée la plus performante. L'appréciation repose sur 9 critères : qualité de la direction, gestion du personnel, orientation et stratégie, ressources, procédures, satisfaction des salariés, satisfaction des clients, incidences sur la société, résultats commerciaux. L'évaluation est effectuée par un organisme indépendant s'inspirant du « modèle d'excellence » de la European Foundation for Quality Management . Les meilleurs services administratifs obtiennent 650 points (sur un maximum de 1.000 points), là où des entreprises privées peuvent obtenir jusqu'à 700, voire 800 points. En 1997, le premier prix de la qualité du service public avait été attribué à un service régional de l'agence danoise du marché du travail. * 23 Cf. chapitre deux. * 24 Cf. chapitre deux. |