C. UNE POLITIQUE D'HARMONISATION ENCORE TIMIDE
1. L'harmonisation technique
Le transport fluvial et le transport aérien sont de longue date harmonisés techniquement, et l'intervention communautaire n'a pas été nécessaire pour ces deux modes de transport.
Dans le transport routier, l'harmonisation technique communautaire est orientée sur les questions de sécurité. Elle concerne les dimensions maximales et les poids maximaux autorisés en trafic international (directive 96/53/CE du 25 juillet 1996), l'installation de limiteurs de vitesse (directive 92/6/CEE du 10 février 1992), la profondeur des rainures des pneumatiques (directive 89/459/CEE du 9 juillet 1989), le port obligatoire de la ceinture de sécurité (directive 91/671/CEE du 31 décembre 1991), le rapprochement des législations relatives au contrôle technique (directive 96/96/CE du 20 décembre 1996).
Les conditions de délivrance et le modèle d'un permis de conduire communautaire ont par ailleurs été définis par la directive 91/439/CEE du 29 juillet 1991, qui permet de faciliter la reconnaissance réciproque par les Etats membres des permis de conduire nationaux, ainsi que la libre circulation des personnes qui s'établissent dans un Etat membre autre que celui dans lequel elles ont passé un examen de conduite.
L'harmonisation technique dans le transport routier est encore loin d'être totale. Ainsi, aucun accord n'a pu être trouvé à ce jour quant aux interdictions de rouler le week-end pour les poids lourds. La Commission a présenté au mois de janvier 2000 une proposition de directive qui limiterait l'interdiction de 22 heures le samedi à 22 heures le dimanche, exclusivement sur les grands axes routiers définis dans le réseau transeuropéen de transport. Actuellement, sept Etats membres appliquent des restrictions à la circulation des poids lourds, suivant des horaires variables. Cette situation entraîne des interruptions lors des longs trajets d'aller et retour, jugées excessives par les transporteurs, notamment pour les régions périphériques.
L'harmonisation communautaire apparaît particulièrement nécessaire pour le réseau ferroviaire européen, qui s'est constitué depuis 150 ans sur des bases techniques et réglementaires nationales. Certes, un souci d'harmonisation technique est apparu assez tôt, avec les règles communes fixées dans le cadre de l'Union Internationale des Chemins de fer (UIC) pour la libre circulation des matériels remorqués.
Mais certains cloisonnements « naturels » (formalités douanières, visites techniques des véhicules, barrière de la langue pour les conducteurs, longueur des étapes de conduites...) expliquent que pendant longtemps l'harmonisation technique des systèmes de contrôle-commande et de traction des trains n'a pas paru nécessaire au développement du transport ferroviaire en Europe.
Les différences d'écartement des voies ferrées en Europe est l'exemple d'absence de coordination le plus connu (l'Espagne, le Portugal, la Finlande et l'Irlande ne partagent pas la norme commune). Mais ce n'est ni le seul, ni même le plus gênant. En fait, l'incompatibilité technique des systèmes ferroviaires européens a plutôt eu tendance à se renforcer au cours des dernières décennies. L'électrification des réseaux s'est traduite par la coexistence de cinq systèmes électriques différents. La modernisation de la signalisation a débouché sur seize systèmes de signalisation électronique différents et incompatibles. Les systèmes informatiques ferroviaires nationaux ne sont pas interconnectés, et les échanges d'informations aux frontières continuent de se faire sur papier.
L'avènement du train à grande vitesse a représenté un nouveau défi pour le chemin de fer européen, car il devient alors particulièrement absurde de s'arrêter à la frontière pour changer de locomotive. La directive 96/48 du 23 juillet 1996 relative à l'interopérabilité du système ferroviaire transeuropéen à grande vitesse a mis en place une procédure de définition de spécifications techniques d'interopérabilité (STI). Elle prévoit également l'évaluation indépendante de la conformité et la reconnaissance mutuelle de la certification. Le respect des STI est obligatoire sur l'ensemble du réseau à grande vitesse.
La proposition de directive relative à l'interopérabilité du système ferroviaire conventionnel, présentée par la Commission le 25 novembre 1999 et en voie d'être définitivement adoptée, s'inspire directement de la directive « grande vitesse ». Elle place le système ferroviaire européen sous le contrôle d'un Organisme Commun Représentatif (OCR), chargé de définir des STI. En l'occurrence, il s'agit de l'Association Européenne pour l'Interopérabilité Ferroviaire (AIEF), créée pour mettre en oeuvre l'interopérabilité du système ferroviaire à grande vitesse. Les Etats membres ont l'obligation de veiller à ce que les éléments du système ferroviaire dont ils autorisent la mise en service ou l'exploitation soient conformes aux STI.
Toutefois, l'interopérabilité ferroviaire conventionnelle sera forcément lente à être mise en oeuvre. Avec réalisme, la Commission considère qu'accélérer le remplacement des équipements existants « imposerait, en règle générale, une charge financière importante sur les entreprises ferroviaires et les gestionnaires de l'infrastructure, et grèverait les finances publiques des Etats membres, sans générer les bénéfices correspondants ».
Elle en conclut que « l'harmonisation doit donc se centrer sur les sous-systèmes et les constituants d'interopérabilité dont on pourra tirer d'intéressants bénéfices à moyen terme, sans imposer aux chemins de fer une charge financière qui saperait les efforts consentis pour augmenter leur compétitivité. »
2. L'harmonisation fiscale
La directive 93/89/CEE du 25 octobre 1993 relative à l'application par les Etats membres des taxes sur certains véhicules utilisés pour le transport de marchandises par route ainsi que des péages et droits d'usage perçus pour l'utilisation de certaines infrastructures a constitué une première tentative d'harmonisation de la fiscalité applicable au transport routier.
Annulé par la Cour de justice des communautés européennes pour des raisons de forme, ce texte a été remplacé par la directive 1999/62/CEE du 17 juin 1999 relative à la taxation des poids lourds pour l'utilisation de certaines infrastructures. En ce qui concerne les taxes sur les véhicules , la directive fixe des taux minimaux et prévoit la possibilité pour les Etats membres d'appliquer des taux réduits ou des exonérations. En ce qui concerne les péages et droits d'usage , la directive précise les conditions que doivent remplir les Etats membres pour pouvoir les mettre en place :
- application exclusive aux autoroutes, ponts, tunnels et routes de montagne franchissant des cols ;
- non discrimination en raison de la nationalité du transporteur ou de l'origine ou de la destination du transport ;
- absence de contrôle aux frontières intérieures ;
- possibilité de faire varier les taux en fonction des catégories d'émissions des véhicules ou du moment de la journée.
La Commission a entrepris de réviser complètement les droits d'accises sur le diesel , en adoptant le 15 novembre 2000 une proposition de décision du Conseil relative à la prolongation ou non des exonérations et réductions. La directive 92/82/CEE du 19 octobre 1992 sur les droits d'accises applicables aux huiles minérales fixe des taux minimum obligatoires, mais les taux effectifs sont très différents entre les Etats membres, de 245 euros pour 1.000 litres au Portugal à 797 euros pour 1.000 litres au Royaume-Uni.
La Commission propose de prolonger pour cinq ans les dérogations qui s'avèrent conformes aux politiques communautaires dans le domaine de l'environnement, de l'énergie ou des transports et ne conduisent pas à des distorsions de concurrence contraires à l'intérêt communautaire. Elles concernent des secteurs variés, comme par exemple les transports publics locaux ou les différenciations de taxes en fonction de catégories environnementales. Pour le diesel consommé par des véhicules utilitaires, c'est-à-dire essentiellement les transporteurs routiers, mais aussi les pêcheurs et les agriculteurs, la Commission propose de n'autoriser la prolongation des réductions de droits d'accises que pour une durée de deux ans non renouvelable. En effet, la Commission estime que ces réductions des accises sur le diesel ne constituent pas une réponse adaptée à la hausse du prix du brut, car elles ne font qu'encourager les pays producteurs à maintenir des prix élevés, tout en renforçant artificiellement la compétitivité du transport routier.
Une distorsion majeure de la concurrence entre modes de transport résulte de l'exonération fiscale du kérosène utilisé par les avions. La Commission a évoqué ce dossier au mois de mars 2000 en publiant une communication sur la taxation du carburant d'aviation . La difficulté est que la création d'une taxe communautaire sur le kérosène serait préjudiciable à la compétitivité des compagnies d'aviation européennes par rapport à leurs concurrentes des pays tiers.
L'instauration d'une taxe générale sur le carburant d'aviation ne peut être envisagée que dans le cadre de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI). Mais des solutions communautaires de substitution sont envisageables, telles que des taxes additionnelles au prix du billet des passagers, des taxes basées sur la distance parcourue et les caractéristiques du moteur de l'avion, des taxes associées aux redevances aéroportuaires d'atterrissage et de décollage.
3. L'harmonisation sociale
L'accroissement de la compétitivité dans le secteur des transports ne saurait se traduire par une dégradation des conditions de travail, dangereuse pour les personnels concernés et facteur de concurrence déloyale. Or, les secteurs des transports aérien, ferroviaire, routier, maritime et fluvial sont restés en dehors du champ de la directive 93/104/CE relative à l'aménagement du temps de travail, en raison de leur nature spécifique.
Les conditions de travail dans les transports aérien et ferroviaire échappent à l'action de la Communauté qui, en revanche, est intervenue récemment dans les transports maritime et routier.
La directive 1999/63/CE du 21 juin 1999 donne effet à l'accord relatif au temps de travail des gens de mer conclu le 30 septembre 1998 par l'Association des armateurs de la Communauté européenne (ECSA) et la Fédération des syndicats des transporteurs de l'Union européenne (FST). En vertu de cet accord, pour les marins naviguant sur un navire immatriculé dans un Etat membre, les horaires de travail ne doivent pas dépasser 14 heures par période de 24 heures et 72 heures par période de 7 jours, tandis que le nombre minimal d'heures de repos ne peut être inférieur à 10 heures par période de 24 heures et 77 heures par période de 7 jours.
L'harmonisation sociale dans le transport maritime est restée prudente. La directive communautaire précitée se borne à entériner un accord interprofessionnel européen, qui lui-même se cale sur les conventions adoptées au sein de l'OMI et de l'OIT. En effet, l'adoption d'une législation plus stricte aurait réduit encore la compétitivité des pavillons des Etats membres, et accéléré le mouvement de transfert des flottes contrôlées par les armateurs européens vers des registres de libre immatriculation.
Bien qu'elle soit à l'évidence particulièrement nécessaire, l'harmonisation des conditions de concurrence dans le transport routier a été tardive et difficile. Les propositions avancées en 1998 par la Commission ont été longtemps bloquées par les divisions entre Etats membres, avant qu'un accord politique ne se dégage au Conseil Transports du 21 décembre 2000 sur les textes suivants :
- une proposition de directive relative à l'aménagement du temps de travail, qui fixe le temps moyen de travail hebdomadaire à 48 heures, avec la possibilité d'une extension à 60 heures à condition que la moyenne de 48 heures ne soit pas dépassée sur une période de quatre mois. Précision importante : les travailleurs indépendants sont exclus du champ d'application de la directive ;
- une proposition de directive sur la création d'une attestation de conducteur garantissant que son détenteur est employé selon la législation de l'Etat dans lequel le transporteur est établi. Il s'agit de faire échec à la technique consistant pour une entreprise de transport routier établie dans un Etat membre à employer des conducteurs ressortissants de pays tiers à des conditions défavorables (salaire inférieur, temps de travail illimité, mauvaise couverture sociale).
Le règlement relatif aux interdictions de circuler le week-end, bien qu'il n'ait pas directement de portée sociale, était également joint aux deux textes ci-dessus. L'effort d'harmonisation sociale dans le transport routier reste donc limité, et suppose, pour avoir un impact réel, un accroissement des contrôles des temps de conduite et de repos.