CONCLUSION
A l'évidence, les réalisations de la politique commune des transports ne sont pas à la hauteur des ambitions affichées par la construction d'une communauté européenne qui soit un espace dynamique d'échanges, de production et de solidarité .
L'effort constant de libéralisation du marché des services de transport engagé depuis quinze ans ne peut seul en tenir lieu, s'il ne s'accompagne pas d'une vigoureuse harmonisation des conditions de concurrence, d'une meilleure intégration des considérations environnementales et de sécurité, et de la réalisation urgente des infrastructures nécessaires pour répondre à une demande qui se développe avec une telle vigueur qu'elle aboutit à des phénomènes de congestion et de saturation inacceptables .
Quelles sont les raisons de ce retard persistant ?
Les fondateurs de la Communauté européenne avaient pourtant bien conscience de l'importance pour l'unification du continent européen d'une politique commune des transports, qu'ils ont veillé à inscrire expressément dans le traité d'origine.
Mais il s'agit d'un domaine de souveraineté particulièrement sensible pour les Etats membres, conditionnant le dynamisme de leurs économies et l'aménagement de leurs territoires. Par ailleurs, le secteur des transports est organisé sur un mode corporatiste ; et toute réforme trop hardie est susceptible d'entraîner des mouvements sociaux capables de bloquer un pays entier. Ceci explique qu'il y ait eu, pendant longtemps, au Conseil un consensus implicite pour n'engager que peu ou pas d'action dans le domaine des transports, et que les négociations en matière de transports y soient encore aujourd'hui particulièrement difficiles.
Pour la première fois de son histoire, le Conseil avait été condamné en 1985 par la Cour de Justice des Communautés européennes pour carence dans ce domaine.
Depuis cette date, bien qu'une prise de conscience ait eu lieu, les retards et les reports se sont accumulés.
Cet attentisme n'est désormais plus de mise.
L'unification du marché européen des transports rend insoutenables les distorsions de concurrence résultant du manque d'harmonisation sociale et fiscale.
L'érosion des parts de marché des modes de transport les plus économes en énergie et les plus respectueux de l'environnement démontrent l'insuffisance des mesures adoptées jusqu'à présent pour corriger les évolutions spontanées.
Les perspectives d'augmentation des besoins de mobilité, liée à la croissance économique et à l'élargissement, et la saturation des infrastructures existantes soulignent l'inadéquation des moyens financiers consacrés aux transports en Europe.
Il est donc temps que la politique commune des transports soit menée avec une autre ambition et passe à la vitesse supérieure .
Une telle relance de l'Europe des transports implique que les instances communautaires satisfassent une condition préalable, qui est de connaître les données de base ; endossent une responsabilité, qui est de décider sur les points cruciaux ; répondent à une urgence, qui est d'harmoniser les conditions de concurrence ; et lèvent une contrainte, qui est de financer les infrastructures.
1. Un préalable : connaître les données de base
Il s'agit d'abord d'harmoniser et de compléter l'outil statistique de la Commission, qui a perdu de sa précision avec la suppression des déclarations aux frontières et qui se fonde sur des unités de mesure dont la pertinence est parfois insuffisante ou critiquable. Plutôt qu'en tonnes / kilomètres, il peut être aussi intéressant de raisonner en valeur ajoutée ou en volume d'encombrement. La notion de qualité de services rendus aux usagers des transports doit être analysée et prise en considération sous tous ses aspects.
Il s'agit ensuite d'analyser les trafics et de calculer les coûts. Sur le premier point, la mise en oeuvre du réseau européen de navigation par satellite Galileo et de systèmes de transport intelligents devrait permettre un suivi fin et en temps réels des trafics et des disfonctionnements des systèmes de transport. Sur le second point, l'établissement de méthodes de calcul communes à tous les Etats membres constitue le préalable à une tarification au coût marginal social pour les grands axes de transports transeuropéens.
Il s'agit enfin de renforcer la transparence financière . Actuellement, les bilans sectoriels, notamment financiers, des différents modes de transport restent volontairement obscurs et confus, les Etats membres cherchant souvent à dissimuler le montant exact de leurs contributions publiques, ce qui, à l'évidence, peut être un élément important de distorsion des conditions de concurrence.
2. Une responsabilité : décider sur les points cruciaux
Il s'agit d'abord d'établir un schéma cohérent des réseaux transeuropéens de transport .
C'est un impératif sur lequel il convient que des décisions soient prises rapidement au plus haut niveau. La Commission prépare actuellement une actualisation du schéma arrêté en 1996. Le résultat de son travail devra être apprécié à l'aune de son autonomie par rapport aux diverses priorités nationales et de la prise en compte des liaisons réellement structurantes pour le continent européen, telles que les liaisons Est-Ouest qui doivent préparer l'adhésion des pays d'Europe centrale et orientale.
Il s'agit ensuite de lever les obstacles au renouveau indispensable du rail et au développement du ferroutage. Sur ce point, il existe un large accord des responsables politiques mais un certain scepticisme des opérateurs et des chargeurs. Les réformes structurelles engagées depuis 1991 n'ont pas encore fait la preuve de leur efficacité. Le débat entre accès des tiers aux réseaux ou coopération entre entreprises ferroviaires apparaît théorique, l'essentiel devant être la qualité de l'offre faite aux chargeurs. Celle-ci, malheureusement, souffre d'insuffisances croissantes qui expliquent la diminution de la part modale du ferroviaire, alors que par ailleurs tous s'accordent à souhaiter et à vouloir une augmentation de celle-ci.
3. Une urgence : harmoniser les conditions de concurrence
Le secteur des transports est un domaine essentiel du développement économique et de la solidarité territoriale.
Mais il est particulièrement sensible à la qualité des services et à l'harmonisation des règles et conditions de concurrence.
Il s'agit donc impérativement de réduire les distorsions de concurrence inacceptables qui existent encore dans les domaines techniques, fiscaux et sociaux. Celles-ci ont été avivées par la réalisation du marché unique des transports, et risquent de s'accroître encore après l'adhésion des pays d'Europe centrale et orientale.
Il s'agit aussi, après avoir défini des principes communs de tarification pour les grandes infrastructures de transport transeuropéennes, de les mettre en pratique de manière harmonisée dans les différents Etats membres.
4. Une contrainte : financer les infrastructures
L'Europe des transports doit d'abord être réalisée sur le réseau de base des grandes liaisons structurantes reliant les capitales et les grands pôles économiques des Etats membres.
La réalisation de ces grands axes de transports transeuropéens nécessitera des investissements colossaux.
Il est donc impératif de raisonner sur le très long terme, avec suffisamment d'ambition pour satisfaire les besoins d'une Europe élargie, en croissance et qui aspire à une meilleure solidarité territoriale.
Toutefois, compte tenu du coût de ces infrastructures et des possibilités financières des Etats membres et de l'Union européenne, il est nécessaire de tenir compte des rentabilités réelles de chacun de ces grands projets. De ce point de vue, le transport routier possède l'avantage de pouvoir autofinancer ses infrastructures par les péages ou les recettes fiscales induites. A l'inverse, les infrastructures ferroviaires ou portuaires nécessitent un apport extérieur massif en contributions publiques.
Il s'agit aussi de concentrer les financements communautaires sur les maillons du réseau transeuropéen de transport les plus stratégiques. Le taux de participation communautaire actuel de 10 % apparaît totalement insuffisant, et pourrait être relevé pour les investissements urgents visant à lever les principaux goulots d'étranglement.
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Les mesures évoquées ci-dessus ne suivent pas un ordre des priorités déterminé, mais appellent une mise en oeuvre parallèle.
Comme dans d'autres domaines, l'élément clé de la réussite de cette action est d'abord la volonté politique, ensuite la vérité des coûts et des rentabilités, enfin la mobilisation des crédits budgétaires et des participations financières.
Une politique commune des transports digne de ce nom nécessite des milliards d'euros d'investissements, qui relèvent bien davantage des budgets nationaux que du budget communautaire.
Il est donc essentiel que chacun des Etats membres dégage les financements nécessaires, en maîtrisant ses dépenses de fonctionnement et ses déficits publics.
En bonne théorie économique, un recours raisonné à l'emprunt apparaît également souhaitable et concevable, s'agissant de dépenses d'infrastructure susceptibles de bénéficier aux générations futures.
La réalisation d'une politique européenne des transports ambitieuse se heurte à un triple obstacle qu'il conviendra de lever aussi rapidement que possible :
- d'abord, bien appréhender l'évolution de la demande et la qualité des services de tous les modes de transports et avoir le courage d'engager un vaste débat public sur ce sujet ;
- ensuite, surmonter les réticences nationales et les corporatismes de tous ordres pour mettre en place le réseau de base des liaisons transeuropéennes, dans le cadre d'une politique d'égalisation des conditions de concurrence entre pays et entre modes de transport ;
- enfin, s'assurer d'un financement cohérent et suffisant pour la réalisation de ces grands travaux, dont le coût devra être adapté aux exigences croissantes des citoyens de l'Europe dans le domaine de la qualité des services, du respect de l'environnement et de la garantie de la meilleure sécurité possible.