Annexe IV
Avis du
Centre Européen des Entreprises à participation Publique et des
Entreprises d'Intérêt Economique Général (CEEP)
Répondant à la demande des Conseils européens de Lisbonne et de Feira, la Commission européenne a élaboré une communication destinée à mettre à jour le texte qu'elle avait rédigé en 1996 sur les services d'intérêt général.
Ce nouveau texte, essentiellement destiné à clarifier et à actualiser, selon ses auteurs, la relation entre l'ouverture des marchés et la nécessité de tenir compte de l'existence de services d'intérêt général, sur la base de l'article 16 du traité, a permis de confirmer certaines positions énoncées précédemment :
- rôle éminent, mis en valeur par le nouvel article 16 du traité, que jouent les services d'intérêt général en faveur de la cohésion sociale et territoriale de l'Union Européenne ;
- nécessité pour ces services de répondre prioritairement et de façon transparente aux besoins évolutifs des utilisateurs et des citoyens incluant la protection de l'environnement, l'égalité de traitement et le droit d'accès pour tous, notamment pour des personnes à bas revenus ou handicapées ;
- principes de neutralité à propos du statut de propriété des opérateurs, de liberté des Etats membres pour définir leur SIG et de proportionnalité des moyens à mettre en oeuvre ;
- choix des missions d'intérêt général tenant compte des caractéristiques techniques et économiques des services et des spécificités culturelles et historiques des Etats membres ;
- approche progressive de la politique d'ouverture des marchés, fondée sur l'évaluation du fonctionnement des performances et de la compétitivité des services d'intérêt économique général ;
- référence au service universel pour les télécommunications.
Ce texte a également apporté un certain nombre de précisions importantes concernant :
- les limites de l'application de l'ouverture des marchés aux services d'intérêt général ; celle-ci ne touche ni les services régaliens de l'Etat, ni les services sociaux (comme l'éducation nationale ou les régimes de base de sécurité sociale), ni les services de caractère local n'affectant pas le développement des échanges entre Etats membres ;
- les conditions dans lesquelles les Etats membres peuvent octroyer des droits spéciaux ou exclusifs ou des financements particuliers à un ou plusieurs opérateurs, spécialement lorsqu'il s'avère nécessaire de confier à un seul opérateur la mission de satisfaire un besoin d'intérêt général par l'attribution d'un droit de concession ;
- le rôle réservé aux utilisateurs et aux prestataires de service à propos de la définition des services et de l'évaluation de leurs performances ;
- La possibilité pour les pays de maintenir les niveaux de qualité des SIG dans le cadre des engagements pris avec l'OMC.
Le CEEP approuve ces rappels et ces précisions supplémentaires, dont certains sont sans doute inspirés de la proposition de Charte européenne des SIG présentée par le CEEP et la CES et mentionnée dans la Communication.
Cependant, le CEEP est amené à formuler un certain nombre d'observations :
1. A propos des sujets abordés ci-dessus :
a) Le CEEP demande que les textes sectoriels relatifs aux différents services d'intérêt général et leur application soient cohérents avec les principes émis dans la présente communication (en particulier pour ce qui concerne progressivité de l'ouverture des marchés, la neutralité à propos du statut de propriété des opérateurs, le respect du principe de proportionnalité et la reconnaissance de la spécificité technique et économique des services, ainsi que la spécificité culturelle et historique des Etats membres). Le CEEP invite également les Etats membres et la Commission à veiller à ce que les négociations de l'Accord général sur le commerce des services n'aboutissent en aucune façon à une mise en cause des services publics en Europe.
b) En outre, le CEEP souhaiterait que soient apportées de plus amples précisions sur les points suivants :
- à propos des avantages résultant de la prise en compte de l'intérêt général, certains besoins de la société dans son ensemble sont insuffisamment mis en valeur (perspectives à long terme, gestion des ressources rares, aménagement du territoire, partage équitable de la rente, calcul d'économies externes) ;
- à propos de l'évaluation, le CEEP voudrait connaître " les autres actions destinées à faciliter un examen des résultats obtenus en matière de fonctionnement de ces services et d'application des cadres réglementaires ". Ce devrait être l'objet d'une communication de définir ces actions. Le CEEP observe que les sondages réalisés par Eurobaromètre et cités dans la communication aboutissent à ce paradoxe que ce ne sont pas les marchés les plus ouverts à la concurrence qui apparaissent aux consommateurs comme les plus satisfaisants en matière de prix. Il serait utile d'expliquer ce phénomène. De même, il serait important de préciser de quelle manière pourraient intervenir les utilisateurs et les opérateurs dans la définition des services d'intérêt général, les utilisateurs intervenant aussi dans l'évaluation des effets de la concurrence et de la satisfaction du service rendu ;
- l'octroi de certains types de concessions se fait, dans certaines circonstances, par appel d'offres. Dans ces cas, il faudrait éviter que les opérateurs ne souffrent d'insécurité juridique du fait de concessions de trop courte durée qui les empêcheraient d'envisager une gestion à long terme nécessaire à l'intérêt général. S'agissant des services de caractère local, le CEEP tient à affirmer qu'en aucun cas la mise en concurrence de certains marchés ne doit être obligatoire lorsque ces services n'affectent pas les échanges entre Etats membres ;
- outre les services locaux et les services sociaux, il aurait été souhaitable d'inclure, parmi les exceptions à l'ouverture des marchés, le secteur d'économie sociale, qui est à but non lucratif ;
- le caractère évolutif des SIG étant souligné, faut-il interpréter la possible évolution du service universel comme une prise en compte de l'évolution des besoins des utilisateurs (ce que le CEEP approuve), ou bien au contraire comme un régime transitoire " pendant le processus de passage d'une situation de prestation de services sous monopole à celle de marché ouvert à la concurrence " ? Le CEEP, pour sa part, estime que la concurrence ne peut remédier à toutes les inégalités sociales et territoriales. Le CEEP insiste pour que la Commission européenne précise sa position sur un problème aussi sensible. De plus, on peut s'étonner que la communication n'évoque le service universel que pour les télécommunications, sans autre référence, même pour la Poste. Pourtant, dans la communication de 1996, " le développement du concept de service universel ou d'obligation de service public " était considéré comme une " voie à explorer " ; le présent document n'a pas cru devoir aborder cet approfondissement ;
- d'une façon plus générale, le rapport entre concurrence et missions d'intérêt général, qui est un élément essentiel du système, n'est pas suffisamment éclairé. Le principe de proportionnalité (tel qu'il découle de l'article 86.2 du Traité) est mentionné, mais son application, notamment concernant le financement des services d'intérêt général, n'est pas clarifiée.
2. Certains sujets fondamentaux n'ont pas été traités dans cette Communication, en particulier :
a) La régulation des services d'intérêt général n'est nulle part mentionnée. Il s'agit là d'un recul par rapport à la communication de 1996, qui évoquait la nécessité de " disposer d'un état des lieux concernant les formes de régulation " et " d'accroître la coordination au niveau européen pour permettre le suivi de l'activité des régulateurs et des opérateurs " , afin de " renforcer la solidarité et la coordination européenne " . Il conviendrait, sachant que les autorités de régulation sont sous contrôle national, de définir le statut des forums européens sectoriels des régulateurs qui servent de lieux de débats et de comparaison pour les autorités de régulation participant à ces réunions. D'ailleurs, une réflexion se développe sur d'éventuelles formes plus communautaires de régulation ; il paraît étonnant que la communication l'ait ignoré.
b) La communication est muette au sujet des moyens de " renforcer la coordination et la solidarité européenne " . C'est son point faible. Elle prend comme appui certaines actions connexes comme la mise en oeuvre (trop souvent retardée) des réseaux transeuropéens, la création d'un espace européen de la recherche ou le document " Europe 2000 plus ". Mais elle n'évoque nullement les possibilités d'introduire, dans les secteurs qui ne relèvent pas exclusivement des compétences des Etats membres, un ensemble minimal (ou universel) de garanties communes dans l'accès à certains SIG, fixées au plan communautaire. Ces garanties, précisées au besoin par des directives sectorielles complétant les textes actuels sur le " service universel ", seront arrêtées sans préjudice des mesures demeurant du ressort des Etats membres, définies de façon transparente et non discriminatoire. Le CEEP regrette, pour les garanties minimales envisagées ci-dessus, que la Charte des droits fondamentaux soit aussi elliptique que la communication sur ce sujet.
c) Les nouvelles technologies ne font l'objet que de quelques allusions, alors qu'elles sont amenées à bouleverser nombre de services d'intérêt général, en particulier par des mises en réseau généralisées. Il aurait fallu ouvrir quelques perspectives sur les conséquences de ce phénomène, dans l'esprit des conclusions du Conseil européen de Lisbonne.
En conclusion, cette communication, destinée à rassurer quelques acteurs, apporte une certaine valeur ajoutée à la réflexion, par les confirmations et les précisions qu'elle contient. Néanmoins, on ne peut que souhaiter l'approfondissement de certains sujets, et la levée d'équivoques qui inquiètent le CEEP (en particulier sur l'évaluation des performances, les concessions, l'évolution du service universel). De même, le CEEP insiste sur la nécessaire conformité des directives sectorielles avec la présente communication. Enfin, il regrette que la partie " une perspective européenne " soit nettement insuffisante ; il espère que la Commission européenne pourra prochainement procéder à son enrichissement.
Ces observations du CEEP ne font que confirmer l'intérêt que l'on doit porter aux trois questions posées lors du dernier Conseil des Ministres du Marché Intérieur-Consommation et Tourisme, auxquelles il est demandé de répondre :
- mieux définir les critères d'application des règles du marché intérieur et de la concurrence, afin que ces règles et leurs applications prennent pleinement en compte la reconnaissance des missions de service public ;
- évaluer régulièrement la manière dont sont définies et assurées les missions de service public (avec procédure de consultation des usagers-citoyens) ;
- concrétiser le contenu de l'art. 16 autrement que par l'intermédiaire des législations sectorielles.
Enfin le CEEP estime qu'une communication de la Commission européenne est insuffisante pour apporter la sécurité juridique nécessaire aux services d'intérêt économique général. Il est de la responsabilité du Conseil européen de définir les orientations, objectifs, et principes que l'Union européenne retient comme fondements de son action. La Charte européenne des SIG, demandée par le Parlement européen et dont le CEEP et la Confédération européenne des syndicats ont proposé un modèle, vise à donner à l'Union européenne ces références.