2. Un pouvoir fort
Le pouvoir exercé par le Président Hafez al-Assad pendant trente années repose sur trois piliers : le parti Baas, l'armée, la minorité alaouite. Il ne faut pas s'en étonner si l'on rappelle que l'ancien chef de l'Etat, lui-même issu de la minorité alaouite, membre du parti Baas dès 1946, a été formé à l'école militaire de Homs en 1955 et a assuré le commandement en chef de l'aviation en 1965.
a) Une vie politique dominée par le parti Baas
Le parti Baas domine très largement les institutions et la vie politique syrienne. Ce mouvement (" Al-Baas al-Arabi " la résurgence arabe-) est né en 1939 à l'initiative de Michel Aflak et Salah Bitar d'une scission au sein de la Ligue d'action nationaliste fondée en 1932. Son programme, entièrement voué à la promotion de la Nation arabe intègre les éléments de la doctrine socialiste quand il fusionne en 1953 avec le parti socialiste arabe pour former le Parti socialiste de la résurgence arabe. Il adopte alors la devise " Unité- liberté- socialisme ". Le parti Baas a pris le pouvoir en Syrie en 1963 et en Irak en 1968. Depuis lors, l'antagonisme entre les deux branches du Baas affecte les relations entre l'Irak et la Syrie. Cependant l'organisation actuelle du parti maintient encore l'idéal unitaire. En effet, la direction du Baas à l'échelle de la Syrie est assurée par une direction " régionale " en théorie sous l'autorité -en fait, totalement indépendante- d'un Conseil national de commandement, réputé incarner les aspirations unitaires de la Nation arabe. La direction régionale se compose de 21 membres désignés par un Comité central dont les 90 membres sont eux-mêmes élus par les sections locales. Le parti, sous l'autorité de Hafez al-Assad, est devenu un mouvement de masse fort de quelque 1,4 millions de membres.
En Syrie, la place éminente du parti au sein du dispositif institutionnel se trouve consacrée par la Constitution de 1973 : " le parti Baas arabe socialiste est le parti dirigeant la société et l'Etat ".
Sans doute, au moment de son accession au pouvoir, le Président Hafez al-Assad a-t-il autorisé certains partis interdits depuis le 12 mars 1958. Ce pluralisme apparaît cependant strictement encadré : les six formations autorisées (l'Union socialiste arabe, l'Organisation des unionistes socialistes, le mouvement des socialistes arabes, le parti unioniste socialiste démocrate, les deux partis communistes syriens) se regroupent en effet autour du parti Baas au sein du Front national progressiste . Régi par une charte nationale du 7 mars 1972, le Front laisse une large prépondérance au Baas, responsable de manière exclusive, en particulier, des activités au sein des forces armées et dans les milieux universitaires. La charte nationale interdit l'activité des autres partis. Il ne faut pas s'étonner, dès lors, que le Front domine le système institutionnel et, au premier chef, le Conseil du peuple , organe parlementaire de 250 députés élus tous les quatre ans. Au début de la précédente décennie, ce monopole a cependant connu une première brèche : lors des élections de 1990, le tiers des sièges au Conseil du Peuple a été réservé à des candidats indépendants (alors que, lors des élections précédentes, la totalité était attribuée au parti Baas et à ses alliés). Ces derniers ont surtout vocation à exprimer des intérêts économiques et sociaux.
La prépondérance du Baas apparaît également prédominante au moins formellement dans le mode de désignation du chef de l'exécutif . En effet, le président de la République est élu par le Conseil du peuple sur la base d'une proposition du commandement régional du parti Baas. Le Chef de l'Etat est aussi le secrétaire général du parti ; il préside en outre le Front national progressiste.
Le parti a cependant perdu beaucoup de son influence sous l'effet du pouvoir personnel exercé par Hafez al-Assad. Ainsi, les congrès régionaux se sont tenus de manière trop irrégulière pour permettre un renouvellement effectif des cadres. En fait, à bien des égards, le parti apparaît comme une instance de légitimation plutôt que de décision .
b) Le rôle essentiel de l'armée
L'armée est l'héritière des " forces auxiliaires " -devenues en 1930 " troupes spéciales " pendant la période mandataire aux côtés de l'armée du Levant. Ces unités privilégiaient alors un recrutement communautaire : Alaouites, Arméniens, Chrétiens étaient appelés en principe à servir ensuite dans leur région d'origine. Les sunnites, opposés, dans leur majorité, au mandat répugnaient, en revanche, à s'engager dans ces forces. Aussi l'armée a-t-elle traditionnellement compté dans ses rangs, en particulier parmi les officiers, les représentants des nombreuses minorités présentes en Syrie.
Le rapide aperçu de l'histoire de la Syrie moderne l'a montré, l'armée a joué, depuis l'indépendance, un rôle important dans la vie politique du pays. L'état de guerre quasi permanent avec Israël a naturellement contribué à donner aux militaires une influence politique décisive.
Chacune des trois armées dispose de son service de renseignement dont l'action, combinée à celle des structures civiles de même type, assure une surveillance étroite et efficace de la population.
c) La position particulière de la communauté alaouite
La doctrine alaouite s'apparente au chiisme dont elle s'est séparée à partir du septième Imam.
La communauté alaouite, forte d'un million de personnes en Syrie, constitue, aux côtés du Baas et de l'armée, le dernier élément de cette triade sur laquelle le Président Hafez al-Assad s'est appuyé. Installés principalement dans le nord du pays (région de Lattaquié et djébel Ansariyé) les Alaouites ont incontestablement bénéficié de la période mandataire : la France n'a pas seulement suscité la création d'un éphémère Etat des Alaouites, elle a également favorisé l'accès de cette minorité au sein de l'armée et de l'administration. Minoritaires, les Alaouites occupent, depuis la prise du pouvoir d'Hafez al-Assad, une place prééminente dans les instances de décision syrienne. D'après une étude récente 2 ( * ) , sur les 31 officiers titulaires des postes clefs dans l'armée, 19 seraient alaouites.
La minorité alaouite n'apparaît pas cependant toujours unie, comme en témoignent les dissensions au sein même de la famille au pouvoir. Ainsi les ambitions politiques du frère de Hafez al-Assad, Rifaat, l'ont conduit, à plusieurs reprises, à s'opposer à l'ancien Chef de l'Etat. En 1984, des affrontements mettaient ainsi aux prises une partie de l'armée aux brigades de défense de Rifaat. La tentation de Rifaat de se présenter comme le successeur de Hafez al-Assad, alors même que celui-ci cherchait à ouvrir la voie du pouvoir à son fils Bachar, explique le limogeage du frère du président défunt, le 8 février 1998, de son poste de vice-président et son départ forcé de Syrie.
* 2 H. Batatu, Syria's Peasantry, Princeton University Press.