III. L'URBANISME ET L'ENVIRONNEMENT : DEUX OBJECTIFS CONCILIABLES ?
M. LEFONDRE, professeur à l'université de Caen, vice-président de l'Association française de droit des collectivités locales
Le thème que l'on m'a demandé de traiter est énoncé, comme celui traité précédemment, sous une forme interrogative, formulation qui laisse à penser que l'on n'est pas trop sûr qu'il soit possible, aussi évidemment et facilement que cela, de concilier les objectifs respectifs de l'urbanisme et de l'environnement. Il est vrai que, sous l'angle historique, il y a eu incontestablement des divergences de priorités entre l'urbanisme et son encadrement normatif, d'un côté, et les préoccupations de protection de l'environnement, de l'autre côté.
Le développement du droit de l'urbanisme, en effet, est largement né de la croissance urbaine. L'urbanisme et son droit ont été d'abord soucieux d'assurer et d'encadrer le développement de l'urbanisation : ils ont donc été susceptibles d'être accusés -et ils le demeurent quelquefois- de sacrifier l'environnement. En outre, au quotidien, il demeure toujours relativement délicat de concilier des préoccupations qui, sur le terrain, continuent de s'opposer entre, par exemple, le développement économique local au travers de la possible extension de la carrière et la réduction des nuisances et pollutions. Dans une telle situation banale et concrète, la solution n'est pas évident et ne saute pas aux yeux. De même qu'entre la forte demande de possibilités de constructions individuelles en périphérie urbaine et la nécessaire sauvegarde des activités agricoles, le choix demeure difficile et controversé.
Pourtant, depuis 1976, la montée en puissance des soucis de protection de l'environnement a abouti, au travers d'une production normative intense, à ériger en nécessités d'intérêt général et priorités nationales un certain nombre de préoccupations environnementales dans des domaines de plus en plus diversifiés. Je me garderais bien de dresser la liste complète de toutes ces grandes lois dont l'intervention a scandé l'évolution de notre législation depuis 1976. Et cette évolution a concerné aussi bien le versant protection de la nature et des espaces naturels que le versant lutte contre les pollutions et nuisances, ces deux versants caractérisant traditionnellement l'objet et le domaine du droit de l'environnement.
Cette production normative a conduit effectivement à imposer à l'urbanisme, aux documents d'urbanisme, aux décisions d'urbanisme, de plus en plus systématiquement, la prise en compte et le respect de tout un certain nombre de préoccupations environnementales. On a assisté à une diversification et à une démultiplication de ces préoccupations qui, en application de dispositions textuelles, doivent être intégrées dans les processus de décisions en matière d'urbanisme. Tel est le premier phénomène qui a marqué l'évolution des rapports entre urbanisme et environnement.
Corollairement, ont a assisté également à une certaine multiplication d'instruments de planification et programmation dans le cadre même de législations se voulant exclusivement environnementales. La citation faite il y a quelques minutes du rapport du Conseil d'Etat de 1992 évoquait déjà ce phénomène de concurrence entre documents d'urbanisme, que nous avions l'habitude de connaître et de rencontrer, et toute une gamme de documents d'environnement pouvant s'appliquer sur les mêmes territoires. Une sorte de concurrence se trouve créée et d'évidents problèmes d'articulation se trouvent posés.
Ce sont ces deux aspects d'évolution contemporaine des liens entre urbanisme et environnement que je voudrais reprendre en s'interrogeant sur l'apport du projet de loi dans son état actuel.
A - Le premier phénomène est donc celui de l'extension et de la diversification des contraintes environnementales imposées avec plus ou moins d'intensité à l'urbanisme et à son droit. Cette extension s'était manifestée, depuis un certain nombre d'années, par des ajouts successifs dans le contenu de dispositions centrales de notre code de l'urbanisme, celles qui exigent que les documents et décisions prennent en compte la protection de l'environnement. J'évoque ici les ajouts qu'ont connu les articles centraux du code de l'urbanisme que constituent les articles L.110 et L.121-10. Ce dernier, on le sait, énonce l'obligation légale d'un équilibre entre besoins du développement économique et urbain et préoccupations de protection environnementale. Au fil de diverses lois, grandes ou petites, on n'avait pas cessé d'ajouter des références à des éléments particuliers de protection environnementales. Ainsi, le droit de l'urbanisme se voyait imposer une sorte d'obligation générale de concilier ses propres objectifs avec ceux, de plus en plus nombreux et sectoriels, qui s'étaient définis par le droit de l'environnement. Dans ce contexte, la jurisprudence administrative avait été logiquement conduite à se montrer de plus en plus exigeante, certains diraient même rigoriste sur la prise en considération et le respect de ces contraintes d'environnement que les textes énonçaient et précisaient ainsi au fil des années. Et l'on sait qu'en matière de contentieux des POS, le juge administratif s'est montré de plus en plus exigeant quant au contenu des analyses de l'environnement, au sens large du terme, que doivent comporter les rapports de présentation : l'insuffisance de ces analyses était mise en avant pour contester le POS et en obtenir l'annulation.
Au regard de cette situation et des problèmes rencontrés, qu'apporte le projet de réforme du droit de l'urbanisme en cours de discussion ?
Au premier degré, je serais tenté de répondre qu'il n'apporte pas grand chose de neuf et qu'il s'inscrit plutôt dans une sorte de continuité. Si l'article L121-10 précédemment évoqué est abrogé par le projet de loi, c'est pour être remplacé par un nouvel article L 121-1 qui reprend la même philosophie d'ensemble pour imposer aux divers documents d'urbanisme un certain nombre d'exigences. On peut toutefois noter que ce nouvel article, sans apporter de profonds changements, participe de cette démultiplication des objets environnementaux et que le débat parlementaire, pour ce qu'on peut en juger jusqu'à présent, a conduit à surajouter des précisions supplémentaires en la matière. L'intervenant précédent n'avait donc pas tort de s'inquiéter de cet article qui pourra, sans aucun doute, être utilisé pour contester la légalité de nombreux documents d'urbanisme au nom de préoccupations de protection environnementale.
J'ajouterai une double remarque concernant ce nouvel article L.121-1. D'une part, s'agissant des ajouts parlementaires, ont peut rester perplexe sur la portée de l'objectif précisé de réduction des nuisances sonores en termes de mixité urbaine. Je ne suis pas sûr que soit aussi facilement conciliable la volonté de réintégrer des activités économiques en secteur d'habitat et l'exigence d'une limitation des nuisances sonores. D'autre part, et plus largement, le souci de favoriser la mixité urbaine me paraît susceptible de remettre en cause l'évolution d'un nombre important de documents d'urbanisme dans lesquels la séparation des zones d'habitat et des zones d'activités économiques s'était accentuée. Il y avait peut-être là une solution de facilité pour les urbanistes, les responsables politiques et les gestionnaires administratifs mais il sera aléatoire de recréer une mixité.
B - Le deuxième phénomène souligné tient au développement de schémas, plans, documents de programmation en matière d'environnement et à leur articulation délicate avec les documents et règles d'urbanisme. S'agissant des données existantes, les textes avaient déjà révélé des variations de terminologie laissant place à des incertitudes d'interprétation juridique. Entre une exigence de compatibilité, concept connu mais gardant une part de mystère et des obligations de prise en considération ou de prise en compte, il y a, à l'évidence, une différence d'intensité mais comment l'appréhender ? Sur cette question, le projet de loi me paraît apporter très peu d'éléments de clarification, ce qui aurait pourtant été souhaitable et utile. Certes, au travers de nouvelles formulations, on voit se dégager des solutions plus nettes quant aux rapports entre documents d'urbanisme et documents d'environnement. Ainsi, les chartes des parcs naturels régionaux, qui avaient déjà connu un renforcement de leur autorité juridique, sont clairement définis comme supérieures et s'imposant tant aux POS et aux futurs plans locaux d'urbanisme qu'aux schémas directeurs et futurs schémas de cohérence territoriale.
Le seul apport novateur important, mais qui risque d'entraîner des difficultés de mise en oeuvre, concerne les plans de déplacement urbain. Allant au-delà de ce qu'avait prévu la loi de 1996, le projet de loi accentue l'importance de ce document ainsi que son autorité juridique. Les plans de déplacement urbain devront intégrer des considérations de plus en plus diverses en vue d'atteindre un objectif politique affiché qui est une meilleure maîtrise de la circulation automobile et des déplacements individuels. Or, ce faisant, le risque est grand d'en faire un document concurrent du schéma de cohérence territoriale qui se voit assigner des objectifs identiques. Je ne suis pas sûr que, dans la réalité de la gestion locale, il soit aussi aisé que cela d'assurer la cohérence entre les deux types de documents.
En conclusion, pour revenir à la question posée, l'urbanisme et l'environnement ont-ils des objectifs inconciliables ? Si on se fie à la volonté du législateur, la réponse du juriste ne peut être que négative : au contraire, la conciliation est exigée, imposée par la loi. Mais l'impression générale qui se dégage, c'est que, de plus en plus, ce sont les exigences environnementales qui s'imposent aux préoccupations urbanistiques.
M. HERISSON
Nous allons ouvrir un débat avec la salle sur cette première partie.
M. LENOIR, vice-président du Conseil Français des Urbanistes
Les exposés de ce matin posent d'une façon très intéressante tout le problème de l'urbanisme. Tout d'abord, le rapport que vous avez établi est extrêmement clair et montre bien ce qu'est l'urbanisme quand on doit assurer que les documents de planification reposent sur un projet de développement humain, économique et environnemental.
Par ailleurs, on s'aperçoit que cette assurance nécessaire n'est pas forcément très claire dans l'esprit de tous les intervenants de l'urbanisme, et qu'en particulier la distinction entre urbanisme et environnement ne permet pas de progresser d'une façon intéressante. En effet, actuellement, il n'existe pas de définition de l'urbanisme et lorsque M. Guitelmacher parle de l'urbanisme comme d'un ensemble de règles, je crois que c'est extrêmement réducteur. L'urbanisme doit avoir une définition qui n'existe pas en France. Il existe un code de l'urbanisme, mais personne ne sait ce qu'est l'urbanisme. Entre des règles, des plans et toutes sortes de définitions qui accommodent l'urbanisme, il serait nécessaire de s'entendre sur une définition.
Je peux donner très rapidement une définition que l'Etat a acceptée : " l'urbanisme est une pratique spécifique qui a pour objet de proposer une organisation réfléchie et responsable des territoires constitués par les espaces naturels, ruraux et urbains, dans le respect de l'intérêt général et la recherche d'équilibres territoriaux. L'îlot, l'espace public, le quartier, la ville, l'agglomération, le pays sont différentes échelles de l'urbanisme et s'inscrivent dans l'aménagement du territoire et le développement durable. L'urbanisme étudie les enjeux dans la durée et propose les traductions spatiales des politiques sociales, économiques, environnementales et culturelles et met en évidence les choix possibles d'occupation et d'usage de l'espace pour le court, le moyen et le long terme. "
L'Etat, sous la forme de la signature d'un protocole entre le ministère de l'Equipement et l'Office professionnel de planification des urbanistes, a officialisé cette définition. Il serait certainement utile de la proposer dans la loi de façon à ce qu'en effet les réglementations les plus diverses viennent alimenter la réglementation de l'urbanisme et lui soient soumises. Cela aurait une importance très grande puisque l'organisation des territoires au niveau de la vie quotidienne dépend effectivement des collectivités dans le cadre de la décentralisation. Il n'est pas sûr que cette organisation dépende uniquement des communes. C'est au niveau des bassins de vie que cela doit être.
Au niveau des communes, le schéma de cohérence territoriale proposé par la loi est tout à fait intéressant puisqu'il doit assurer la cohérence entre ces différentes réglementations et leur application par les POS étudiés au niveau intercommunal et en s'assurant des cohérences dans le schéma de cohérence générale. Il procède de l'alimentation de la réglementation d'urbanisme à partir des études et des pratiques dans d'autres domaines, aussi bien concernant le sous-sol que du point de vue de l'environnement, des installations classées. Il y a des contradictions ou des différences entre la réglementation s'appliquant aux installations classées et la réglementation d'urbanisme, une autorisation d'exploiter une installation classée peut venir contredire des dispositions de POS, il y a donc une nécessité d'assurer cette unicité du territoire, et c'est bien à la collectivité qu'il s'agit de donner cette possibilité d'assurer cette unicité.
J'en terminerai pour assurer qu'au niveau local des études, des réflexions, des concertations et des décisions pertinentes, il est nécessaire de disposer de moyens, et la loi sur ce point est totalement muette. Il n'existe actuellement pas de moyens spécifiques à l'urbanisme, ou du moins le titre de la loi qui traite du financement de l'urbanisme est totalement inadapté puisqu'il ne traite guère que de la voirie, ce qui n'est pas l'urbanisme, c'est une simple partie technique. Il serait nécessaire de doter la collectivité compétente, ou l'inter-communalité compétente, de moyens leur permettant d'aborder au niveau global l'ensemble des questions posées par l'urbanisme, tel que nous venons de le définir.
Mme PRATS, secrétaire générale du Comité national des entrées de ville
Je ne peux qu'approuver totalement ce qu'ont dit MM. François-Poncet et Hérisson sur l'insuffisance, pour ne pas dire l'absence, dans la proposition du Gouvernement, du traitement du problème des entrées de ville.
Ce problème ne se pose pas uniquement en termes d'aménagements futurs. Un certain nombre de mesures devraient être prises pour la restructuration du tissu existant et des entrées de villes existantes. Et d'autre part, sur le traitement des friches industrielles. Le rapport Dupont, sur ce point, avait fait des propositions intéressantes. La profession, notamment le Centre National des Centres Commerciaux, avait abondé en ce sens.
Deuxième point : le développement durable. Un certain nombre de participants dans cette salle ont assisté hier à une présentation par le maire de Rome de son schéma directeur qui comporte 65 % d'espaces verts inconstructibles, qui prône la protection du patrimoine architectural et archéologique du centre historique et qui propose l'historisation des zones périurbaines. Je crois que nous aurions intérêt à aller dans ce sens. En tout état de cause, on ne peut faire l'économie du développement durable, qui est une préoccupation montante dans l'opinion publique nationale, européenne et internationale.
Enfin, je ne peux qu'abonder sur ce qu'a dit M. Lenoir concernant les nécessaires cohérences. La décentralisation est nécessaire et elle doit être encore accentuée, mais il faut des processus permettant d'assurer les cohérences au niveau des territoires et au niveau national, notamment en ce qui concerne la protection des ressources naturelles et culturelles.
M. de CAUMONT
J'ai été le rapporteur d'un des textes qui ont été évoqués tout à l'heure comme élément de complication du droit de l'urbanisme, il s'agit de la loi " montagne ". Je voudrais dire que l'expérience de ces deux premières grandes lois d'aménagement du territoire limitées à une partie du territoire que sont la loi " montagne " et la loi " littoral ", est contrastée. Je n'ai donc aucune hostilité à l'égard des toilettages qui sont nécessaires.
En revanche, je voudrais indiquer quelles sont, à mon sens, les limites de la clarification et de la simplification du droit de l'urbanisme. L'urbanisme, c'est une démarche qui doit concilier des contraires, ou tout au moins des préoccupations qui ne sont pas naturellement convergentes. Par conséquent, c'est un droit d'orientation. C'est un droit complexe, ce n'est pas un droit en noir et blanc. Et d'ailleurs, c'est bien ainsi parce que le trio des élus, des administrateurs et des juges, n'aurait plus grand-chose à faire s'il suffisait d'un ordinateur pour interpréter, appliquer et sanctionner ce droit.
Je voudrais éclairer le débat de l'expérience tirée de la loi " montagne ".
La loi " montagne " cherche à concilier développement et protection. Jusque-là, on avait trop vu des aménageurs ravageurs d'un côté et des écologistes intégristes de l'autre, qui se valorisaient mutuellement de leurs contradictions. La troisième voie n'était pas trouvée.
Avec la loi " montagne ", on a voté un texte de convergence entre développement et protection. Seulement, le sujet demeure quand même plein de contradictions. Par exemple, quand on parle de constructibilité dans la continuité des villages existants et de protection des terrains agricoles, c'est évident que les terres marginales des villages existants sont souvent les meilleures terres agricoles. Il faut donc arbitrer.
Lorsqu'on parle de ne reconstruire que des bâtiments qui conservent leurs fondations, c'est parce que l'on est à la fois attaché à la reconstruction de bâtiments anciens qui avaient du caractère, mais que l'on ne peut pas se permettre de faire n'importe quoi en haute montagne pour des gens qui occuperont temporairement mais demanderont à être déneigés quand ils viendront.
Par conséquent, il faut à chaque fois que les élus, parce qu'ils ont le sens de l'intérêt général, les administrateurs qui sont chargés du contrôle de la légalité mais aussi du conseil -on a relevé cette contradiction-, et les juges parce qu'ils jouent un rôle de régulation indispensable, prennent leurs responsabilités. Et comme l'urbanisme n'est pas une science exacte, il y a des bavures. Mais cela progresse et cela doit progresser dans le concert entre ces trois types de partenaires, qui sont d'ailleurs réunis dans la salle.
Alors je voudrais dire à travers cela qu'un certain nombre de clefs pour l'avenir existent. La loi qui est actuellement en gestation apporte sans doute une contribution utile, mais ce qui est fondamental, c'est que l'Etat applique ses propres directives.
J'ai eu la chance d'être à la fois membre du corps préfectoral, élu à différents niveaux, et directeur de l'Institut d'urbanisme de Paris. J'ai eu les différents regards complémentaires qui peuvent se porter sur la pratique de l'urbanisme. J'ai fait du contentieux de l'urbanisme en tant que président d'une association de défense de l'environnement. Je dois dire que je suis confronté souvent à une première contradiction qui est celle de l'Etat conseilleur et non payeur, et de l'Etat qui réglemente.
En l'occurrence, il faut qu'il y ait un autre rapport de force entre les représentants de l'Etat et les élus. Et ce rapport de force passe par des moyens d'expertise indépendants, à la disposition des élus comme des défenseurs de l'environnement, c'est-à-dire que cela ne soit pas des moyens de reprise du pouvoir.
J'en viens à la montée de l'inter-communalité. Il n'est pas, dans la plupart des cas, pertinent de faire de l'urbanisme au niveau de chaque commune. Il faut que l'inter-communalité monte en régime suffisamment vite pour permettre une reprise en main de l'urbanisme par les élus du peuple à un niveau pertinent et sous le contrôle de la population. Dans cette auguste maison, j'oserais évoquer le contrôle démocratique de l'inter-communalité, c'est-à-dire le suffrage universel.
Enfin, je voudrais dire qu'une réunion comme celle-ci est de nature à faire progresser le sujet, mais qu'il vaudrait mieux qu'il y ait concertation permanente entre les partenaires que j'ai évoqués tout à l'heure afin de suivre l'ensemble des textes en gestation avec les contradictions que l'on connaît entre le désir de faire dans la sécurité et de ne pas se trouver confronté à des catastrophes financières, mais le désir aussi de sauvegarder un cadre de vie qui est le bien de tous.
Je terminerai en disant qu'en montagne, le développement économique consiste à permettre à des jeunes de travailler dans chaque fond de vallée, si la défense de l'environnement va jusqu'à les empêcher de travailler dans les fonds de vallée, c'est dommage, mais finalement il y a possibilité de surmonter cette contradiction en appliquant intelligemment les textes législatifs et non pas en les appliquant à la lettre, surtout quand ce sont des textes d'orientation.
M. HERISSON
La tribune va réagir à ces interventions.
M. GUITELMACHER
Je dirais au président du Conseil des urbanistes que je lui donne acte que la définition de l'urbanisme était bien trop sectorielle dans un premier temps. A la grande ambition que vous avez exposée en donnant cette définition, ambition normale et que nous partageons, j'ajouterai quand même le mot humilité. Je trouve que nous avons tous, sans exception, opérateurs, élus, fait des erreurs, et à un temps " t ", quand il est décidé quelque chose, il ne faut jamais oublier que le temps va apporter une amodiation importante dans ce que nous pensons.
La division entre lieu d'habitation, lieu de travail et circulation est complètement erronée 40 ou 50 ans après. Donc, dans tous les travaux que nous pouvons faire les uns et les autres, il ne faut pas oublier que nous faisons beaucoup d'erreurs et l'humilité doit être le fondement de toutes nos démarches.
INTERVENANT , Urbaniste
Je crois que l'urbanisme réglementaire de 60 a atteint ses limites et je me demande, à la lecture du texte, si l'on ne va pas retomber dans les mêmes errements que ceux que nous avons connus durant les 30 dernières années.
Il ne faut pas oublier que l'urbanisme consiste avant tout à obtenir la satisfaction des hommes de la société, le bien-être de vie des habitants. Or, l'urbanisme réglementaire qu'on nous a fabriqué et que nous avons appliqué, s'arrête à un certain stade du processus. Le processus de transformation de l'espace se prolonge, au-delà de l'application de la règle, par un ensemble de jeux d'acteurs, par un ensemble de décisions qui échappent à la règle, mais qui doit, de mon point de vue, se gérer, se contrôler, s'accompagner, s'évaluer dans le temps de manière à permettre aux élus locaux responsables de l'espace d'intervenir le moment venu, quand il est encore temps, et non, comme souvent nous l'avons vu, de façon curative quand il est trop tard.
Pour cela, cet urbanisme réglementaire devrait à mon sens avoir une béquille, qui serait un urbanisme de contractualisation, de concertation, qui ferait davantage appel au dialogue entre les acteurs en aval de la décision. Mais pour que cette prise en compte de la gestion par tous les acteurs soit effective, encore faut-il qu'elle soit préparée en amont de la décision. Après, il est trop tard. Après, c'est chacun pour soi. L'intérêt sectoriel prime et l'intérêt général disparaît. Et il ne faut pas s'étonner si tous les beaux projets qu'on a pu concocter et approuver dans le passé dérivent et que l'esthétique urbaine de nos cités et banlieues s'en trouve altérée.
Je crois que cette dimension de l'urbanisme dans sa gestion et son suivi devait être prise en compte. Je ne sais pas si c'est cette loi qui pourra le faire, mais sûrement dans le futur faudra-t-il se pencher sur le problème pour donner un équilibre entre réglementation et gestion de l'espace, de l'urbanisme et de nos cités.
M. GRANGE, Directeur d'agence d'urbanisme
Trois réactions ou interrogations. La première par rapport à la présentation du Président Guitelmacher sur la définition qu'il a faite de l'urbanisme dans son préambule, qui était de l'ordre de la forme urbaine, et ensuite son propos sur la règle et la pratique de la règle. Dans votre préambule, vous parliez bien de la constitution de la ville dans sa forme et dans ce qu'elle doit être comme creuset de la socialisation. Le code de l'urbanisme, lui, règle des problèmes d'usage, d'affectation des sols et il n'aide pas du tout, en tout cas tel qu'il existe aujourd'hui, à aller vers une logique de forme urbaine et de projets urbains. J'ai été étonné par ce décalage entre les deux parties de votre propos.
Par rapport au débat sur les entrées de ville, il est assez logique que le droit de l'urbanisme soit au coeur de beaucoup de choses et le grand ratage français des entrées de ville, notamment lié à un certain développement très français de la fonction commerciale, est justement qu'on n'a pas su réfléchir en termes d'urbanisme commercial et c'est seulement une approche de marché du commerce, dans un grand écart entre la liberté de commercer et un certain colbertisme, qui a fait qu'en la matière nous avons tout raté par rapport à nos voisins, notamment du nord de l'Europe.
Le grand enjeu du droit de l'urbanisme aujourd'hui est celui de la gestion du conflit d'usage. Et c'est tout le lien avec l'environnement. Le conflit d'usage est à la fois de moins en moins accepté par les habitants par rapport à l'usage du présent, et c'est aussi la responsabilité vis-à-vis des générations futures. Tel est le point essentiel de ce mot un peu galvaudé de "développement durable". C'est celui de notre responsabilité sur la gestion de l'espace vis-à-vis des générations futures.
Enfin, il s'agirait de mettre en relation le contentieux et la place de l'Etat. Je suis toujours un peu choqué quand on met en avant l'Etat avec un grand E en le critiquant. L'Etat, ce sont d'abord des élus qui votent des lois proposées par des gouvernements composés de ministres, qui sont eux-mêmes des élus locaux, et des députés et sénateurs qui sont eux-mêmes des élus locaux. A priori, les lois sont mûrement réfléchies et ensuite il y a la difficulté pour l'administration de les faire respecter.
On s'est un peu axé sur le fait qu'il y a beaucoup de contentieux abusifs. Malheureusement, par rapport à l'application de certaines lois, sur la nécessité desquelles on peut débattre, le secteur associatif vient souvent suppléer une insuffisance du contrôle de l'Etat. On connaît le problème avec la loi " littoral ". J'aurais tendance à dire, en étant volontairement excessif, qu'un des éléments de la décentralisation à poursuivre, c'est le rôle que se serait donné l'Etat pour appliquer sa mission de contrôle de légalité et de façon équitable à l'échelle de l'ensemble du territoire national. Quand on en discute avec les Préfets ou Directeurs départementaux de l'Equipement, il est difficile de résister à des élus locaux, anciens ou futurs ministres. Et il n'est pas agréable de penser aux placards des préfets hors cadres ou au placard du ministère de l'Equipement.
UN INTERVENANT
Je voulais rebondir sur la définition de l'urbanisme en demandant si on ne se trompe pas d'époque. Cette loi n'est-elle pas l'occasion de lancer une nouvelle approche de l'urbanisme qui n'est plus celle des 30 dernières années ? Le projet de loi s'intitule " renouvellement solidarité urbaine ". Le renouvellement de la ville, c'est bien l'enjeu qui est devant nous : comment organiser la restructuration des entrées de ville, la profonde transformation des grands ensembles de l'habitat social, comment organiser la requalification des friches de certains quartiers anciens ? Cela nous amène à avoir une conception nouvelle de l'urbanisme, qui n'est plus le traitement spatial de l'organisation du bâti, mais c'est aussi : comment développer et faire en sorte que les collectivités locales mettent en oeuvre des projets longs, difficiles, complexes et onéreux ?
Aujourd'hui, le projet de loi dans sa partie réglementaire apporte des réponses, notamment avec la définition de ce schéma de cohérence qui donne un cadre général de cohérence de l'ensemble de ces projets. Par contre, le projet reste très muet dans sa partie correspondant à l'urbanisme opérationnel. Bien sûr, il y a des procédures d'aménagement, des contrats, mais, ce qui manque pour répondre au besoin des années à venir, c'est bien de disposer d'un cadre d'action qui permettrait aux collectivités locales d'organiser ces projets grands, difficiles, longs, complexes, onéreux dans lesquels ils prennent des risques politiques importants.
Il me paraît possible aujourd'hui que dans ce projet on puisse intégrer cette notion de projet cadre et de territoire de projet. Je pense que ce serait en plus l'occasion de tourner la page d'une politique de la ville beaucoup trop fondée sur un zonage qui se révèle stigmatisant et contre-productif, pour aller vers une notion de territoire de projet autour duquel convergent les volontés politiques, les investissements publics et privés.
M. ALTHAPE
Je voulais revenir sur le rapport lui-même. Notre souhait dans le cadre de la Commission des Affaires économiques était tout simplement de voir sur le terrain quelle était la règle de l'application du code de l'urbanisme et proposer quelques mesures susceptibles de faire évoluer l'application du droit de l'urbanisme. Aujourd'hui, force est de constater que si les lois sont sous la responsabilité des élus -et l'Etat ne fait qu'appliquer les lois votées par les élus, comme l'a dit un intervenant-, je rappelle que les lois dans leur esprit sont bonnes, que l'application n'est pas forcément conforme à l'esprit de la loi.
Il est vrai que dans un projet de loi comme celui-ci, c'est à nous, législateurs, de veiller à ce que le pouvoir réglementaire ait une place moindre pour que la loi soit applicable, lisible et comprise par les maires, mais aussi par tous les habitants d'une cité ou d'un espace rural.
Rappelons-nous que, dans notre esprit, la démarche que nous avons entreprise avec ce rapport, consiste justement à faire apparaître les difficultés d'application des textes tels qu'ils sont aujourd'hui et à lancer un processus de réforme.
Je constate, à travers quelques réflexions qui ont été faites, que le projet n'apporterait pas grand-chose, que les députés n'ont pas fait de grandes avancées sur la loi. Je me félicite d'être, dans un pays comme le nôtre, pour que le Sénat apporte sa pierre et qu'à la sortie de ce texte on ait réellement pu faire avancer le droit de l'urbanisme.
Mes collègues ici présents et moi veillerons à ce que le droit de l'urbanisme soit fait pour ceux qui vivent dans la cité ou dans des espaces ruraux, c'est-à-dire à ce qu'il tienne enfin compte de la réalité des choses. En abrogeant des textes complexes qui ont donné lieu à beaucoup de contentieux, nous devons faire du droit de l'urbanisme un droit parfaitement assimilable. Il faut pour cela appliquer deux règles, dont l'énoncé constitue d'ailleurs le titre de ce rapport :
- la simplification, et je reconnais que ce n'est pas forcément très simple de simplifier un droit de l'urbanisme parce qu'il y a tellement d'intérêts qu'il faut aussi mesurer la difficulté de son application ;
- une réelle décentralisation, car ce n'est qu'à travers cette décentralisation que les maires pourront prendre le pouvoir qui leur revient. N'oublions pas que les lois de décentralisation datent de 1982 : elles ont près de 20 ans, et qu'avec la fiscalité, c'est sans doute le droit de l'urbanisme qui est resté le plus centralisateur.
J'ai parfaitement entendu vos différentes interventions et je souhaite répondre plus précisément sur le traitement des entrées de ville. Nous n'allons pas refaire l'histoire. Dans notre rapport, nous avons anticipé sur ce que nous souhaitions voir, c'est-à-dire une très forte concertation en amont du projet, et nous avons été les premiers à intégrer un projet de développement ou de territoire et non pas faire un POS, qui n'est jamais qu'un document cartographique où on est entrain de dire ce qu'est la valeur d'un terrain par rapport à un autre.
Nous avons voulu démontrer qu'il fallait nécessairement mener une concertation très forte et surtout amener les citoyens et la collectivité à adhérer à un projet. Aujourd'hui, un projet urbain ne peut être qu'un projet à moyen terme d'évolution et d'expansion de la ville. Il faut qu'une collectivité soit capable de dire quel est le nombre d'habitants qu'elle compte accueillir, quels types d'activités elle a l'intention de mettre en place. C'est dans ce cadre-là que nous avons fait ce rapport. Et je suis très heureux que le projet de loi aille dans cet esprit-là. Nous constatons aujourd'hui qu'un projet d'urbanisme ne peut s'inscrire que dans cette démarche.