B/ QUELLES SOLUTIONS ?
M. HERISSON
Nous allons poursuivre en abordant le deuxième thème qui porte sur les solutions, avec un grand point d'interrogation.
I. MODERNISER UN DROIT " IRRÉFORMABLE " ?
M. ALTHAPE , rapporteur du groupe de travail sur la modernisation du droit de l'urbanisme, Sénateur des Pyrénées-Atlantiques
C'est avec ma double casquette de rapporteur du groupe de travail sur la modernisation du droit de l'urbanisme et de rapporteur du projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement urbains que j'interviens aujourd'hui. Je saisis cette occasion pour saluer la présence parmi nous de nos collègues Pierre Jarlier et Jacques Bimbenet, qui sont respectivement les rapporteurs pour avis de la Commission des Lois et de la Commission des Affaires sociales sur ce texte.
Je m'efforcerai de ne pas confondre mes deux fonctions, bien que ce soit un exercice un peu difficile.
En créant ce groupe de travail sur la modernisation du droit de l'urbanisme, nous avons souhaité aller sur le terrain pour faire le point avec les citoyens et les élus locaux. Nous avons tous constaté combien l'urbanisme demeure, derrière une apparence technique, un sujet véritablement politique. Un maire me disait d'ailleurs qu'il considérait qu'il s'agissait là de l'un des derniers pouvoirs qui subsistaient entre les mains des communes.
Le bilan de nos travaux montre que notre droit de l'urbanisme est caractérisé par un déficit de concertation. C'est pourquoi il faut favoriser l'établissement d'un débat en amont de l'élaboration des documents de planification, alors que, comme vous l'avez tous constaté, il fait actuellement défaut.
Dans le POS, le rapport de présentation tient lieu d'exposé souvent vague, parfois même fumeux, qui dresse de façon imprécise un état des lieux très approximatif. Comme l'observe un spécialiste que nous avons cité dans notre rapport, pour légitimer le rapport de présentation il faut " taire auprès des juges administratifs et des administrations nationales son arrière-fond contractuel et modeste négocié parcelle par parcelle. "
Si avant d'élaborer le projet soumis à l'enquête publique, les grandes options envisageables étaient publiquement discutées, on parviendrait sans doute mieux qu'aujourd'hui à obtenir un consensus. Encore faudrait-il que l'Etat présente son porter à connaissance dès cette première phase de concertation. Trop souvent aujourd'hui le maire doit justifier face à ces concitoyens les appréciations de la DDE quant aux textes applicables.
Nous considérons en outre qu'il est nécessaire que chaque commune ou structure de coopération intercommunale compétente élabore, à l'occasion de cette phase de concertation, un véritable projet communal. Il préciserait combien et quels logements les habitants souhaitent, quels modes de transport seront privilégiés, quelles activités économiques, sociales et culturelles seront mises en oeuvre.
C'est ce projet que le POS sera amené à mettre en oeuvre très concrètement. Ainsi sortirait-on d'une situation où, bien souvent, le rapport de présentation est élaboré après le POS lui-même. Je note au passage qu'il nous semble utile et nécessaire que celui-ci puisse être révisé en tant que de besoin et dans un délai raisonnable. Vous connaissez tous la longueur des procédures de révision de POS et la situation des communes qui se retrouvent avec des POS constamment en état de révision. L'essentiel est que ces transformations s'inscrivent dans le cadre d'un véritable projet qui varie dans le temps et non pas dans les errements d'une politique conduite au jugé.
Un autre champ ouvert à la concertation serait, selon nous, la définition des périmètres de risque. Nous avons constaté que les techniciens sont bien souvent désarmés. Ils établissent un diagnostic de risque qui comporte un aléa. Ils sont nécessairement tentés de voir large car ils redoutent que leur responsabilité ne soit mise en cause si un incident survient. Ne conviendrait-il de mettre davantage la population au fait des dangers qu'elle encourt et des risques qui la menacent ? Ce souci de dialogue doit également se traduire pendant l'élaboration et après l'entrée en vigueur du POS.
Nous avons constaté que la commission de conciliation est agonisante, lorsqu'elle existe. Elle n'a, bien souvent, pas vu le jour. Pourquoi ne pas renforcer les compétences de cette institution ? Nous considérons qu'elle pourrait notamment servir de " juge de paix " quand les plaideurs sont de bonne foi et que les questions à régler sont relativement simples. Pourquoi ne pas prévoir, par exemple, la faculté de recourir à elle avant de saisir le juge administratif d'un refus de permis de construire ou d'une autorisation ? De même, les notions contestées ne pourraient-elles pas être soumises à cette commission avant toute action contentieuse ?
De la sorte, on déterminerait dans un délai d'un ou deux mois les modalités d'application de notions qui varient selon les diverses régions du territoire de façon plus appropriée. Le juge serait, le cas échéant, saisi ultérieurement.
Notre droit de l'urbanisme est, par certains aspects, trop uniforme. Il convient mieux à un despote éclairé qui veut construire une cité idéale qu'à des élus qui essaient modestement de gérer l'existant. Hélas, les cités radieuses ont fait long feu. Comment adapter, dans le cadre du principe d'égalité, les procédures et les normes aux situations locales ? Tel est l'enjeu de la réforme du droit de l'urbanisme.
Celui-ci touche d'ailleurs par certains côtés à la politique du logement. Nous avons par exemple constaté sur le terrain les grandes difficultés rencontrées par les élus pour obtenir des prêts sociaux en milieu rural. Il arrive trop souvent que les DDE considèrent que ces instruments sont réservés aux villes, alors même qu'il existe une demande en milieu rural. Ceci relève plus des mentalités administratives que du droit strict. On ne peut que s'étonner de voir la situation des PLA où, sur un financement annuel de 70 000 prêts, seulement 45 000 sont utilisés. Il y a là un problème de coordination, et quand on sait les difficultés rencontrées pour obtenir un PLA en milieu rural, on pourrait penser qu'il y a là un gâchis organisé.
Les règles d'urbanisme sont bien souvent appliquées, non pas trop strictement, mais de façon trop uniforme par les DDE. De ce fait, les exceptions sont gérées directement par le préfet qui doit tenir des " lits de justice " sur le terrain. Ainsi la négociation s'introduit-elle dans les cas extrêmes, là où les services de l'équipement tentent d'appliquer sans ménagement les règles générales.
Concernant l'architecture et les paysages, nous sommes convaincus que beaucoup reste à faire, notamment eu égard à l'apparence et à la qualité des constructions, notamment en milieu rural. Trop de POS sont photocopiés et donc inadaptés aux situations locales. Trop de dispositions du RNU sont appliquées dans leur lettre, alors même qu'elles sont insuffisantes dans leur esprit en termes architecturaux. Beaucoup reste à faire sur ce point. Je crois que les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) pourraient être encouragés ; ils sont, eux aussi, entre deux eaux.
Certains de nos collègues sénateurs ont entrepris une action à ce sujet sur lequel nous déplorons d'ailleurs l'immobilisme du Gouvernement. Les CAUE sont dans une situation financière proche de la dernière extrémité. Il est vrai qu'aujourd'hui le rendement de la taxe du CAUE varie selon le potentiel de chaque département. Il est de 6 millions de francs dans les Bouches du Rhône et 354 000 francs en Lozère. On pourrait penser que l'Etat abonde les petits départements et autorise même les CAUE à obtenir des financements privés si cela s'avère nécessaire.
Les élus des régions dans lesquelles on trouve des zones " mitées " de toute éternité connaissent des difficultés innombrables qui leur vaut l'application de la règle de constructibilité limitée. Quand on vote une loi d'aménagement du territoire pour donner une chance au milieu rural et que dans un acte aussi simple que la construction, on vous oppose une loi qui vous interdit de construire, on peut s'interroger sur la cohérence des lois entre elles !
Il est d'ailleurs révélateur que périodiquement, lors de chaque débat sur l'urbanisme, un consensus se dégage chez les élus de la montagne pour estimer que le code de l'urbanisme est inapplicable dans certaines dispositions. On a observé ce phénomène récurrent en 1985, 1995 et 2000. Nos collègues de l'Assemblée Nationale viennent d'adopter un certain nombre d'amendements relatifs à l'application de la loi " montagne ". Au Sénat, il faudra les regarder de près pour savoir s'ils sont réellement applicables.
On n'en arriverait sans doute pas à ces extrémités si l'Etat appliquait les règles de droit avec discernement. J'observe qu'il s'avère incapable d'élaborer des documents adaptés à la variété des situations locales. Les prescriptions particulières prévues en 1985, les directives territoriales d'aménagement imaginées en 1995 n'ont pas vu le jour. Cela traduit bien l'impasse dans laquelle se trouve la puissance publique. Il est plus facile de refuser un permis de construire dans une commune de 150 000 habitants où l'on en dépose deux par an, que de mettre un terme à l'urbanisation de la région parisienne, qui, si j'en crois les spécialistes, sera totale dans les 200 ans qui viennent.
Sans préjuger des conclusions auxquelles nous conduiront les auditions que j'effectue en qualité de rapporteur du projet de loi " SRU ", il convient d'assouplir les dispositions de la loi " montagne ", non pas pour urbaniser à tout va, mais pour s'adapter aux besoins du terrain. Il est vrai que la loi " montagne " fut une bonne loi dans la mesure où elle a freiné une urbanisation galopante dans les stations de sports d'hiver. Mais dans la montagne, il y a plusieurs niveaux. Il y a l'agglomération et le village historique, qui lui aussi mérite un développement auquel, du fait de l'application intégrale de cette loi, on ne peut plus aujourd'hui assurer un développement. On arrive presque à la situation paradoxale où on ne pourrait plus aujourd'hui construire en zone de montagne. Cela, les élus sur place ne peuvent accepter, d'autant qu'il existe une demande de gens qui veulent se retrouver dans ces espaces pour assurer leur destin. Quel dommage que la loi ne puisse pas assurer cette fonction !
Je tiens à souligner l'effort réalisé par les collectivités locales dans leur ensemble, et spécialement les départements. Compte tenu de la carence des moyens de l'Etat quand on voit l'évolution des lignes budgétaires pour assister les collectivités, on ne peut qu'être effrayé, d'où les initiatives qui se sont mises en place au niveau local, et notamment les " syndicats de moyens " destinés à venir en aide aux communes qui ne disposent pas d'une expertise en matière d'urbanisme et d'architecture. La loi de décentralisation a donné du pouvoir au maire, mais le maire d'une petite commune rurale n'a aucun moyen d'expertise. Il ne pourra les obtenir qu'en mutualisant ses moyens. Il faudra que des communes de 3 000 habitants puissent créer un syndicat de moyens pour se payer les experts que l'Etat ne leur donne plus. Je pourrais citer l'exemple de mon département où nous sommes sur la bonne voie.
Je ne reviendrai pas sur la confusion des rôles évoquée par M. Hérisson. L'Etat ne peut être le fournisseur, le conseiller et le contrôleur des collectivités locales.
De gros efforts méritent d'être accomplis en matière de préservation de l'environnement et de développement de la qualité architecturale. Nous proposons des dispositions tendant à améliorer la protection du domaine littoral et des dispositions destinées à préserver les fonds marins situés à proximité de ces côtes.
Permettez-moi enfin, en guise de conclusion, de vous indiquer que notre groupe de travail n'a pas jugé utile de modifier l'appellation des documents d'urbanisme. Nous avons constaté que pour bon nombre d'élus locaux le régime des schémas directeurs d'aménagement d'urbanisme était encore en vigueur ! Or, je vous rappelle que ceux-ci ont été supprimés en 1991 au profit des schémas directeurs. C'est dire le temps qu'il faudra pour passer du POS au PLU. Je n'en dirai pas plus sur ce sujet, craignant d'être taxé de parti pris, mais peut-être que le Sénat essaiera de faire évoluer ceci...
Je donne la parole à M. Auby, qui va nous présenter le régime des procédures d'aménagement.