De nouvelles matrices d'immobilisation à très long terme pour le plutonium

Les techniques de piégeage d'un élément lourd comme le plutonium font à l'heure actuelle de nombreux progrès. L'insertion dans une matrice de verre est une technique industrielle démontrée chaque jour par Cogema à La Hague. En complément à ce procédé, apparaissent d'autres techniques comme celles des céramiques, qui semblent particulièrement prometteuses pour le plutonium.

Ainsi, en France, des chercheurs de l'IN2P3 ont réussi à synthétiser un phosphate de thorium de formule Th 4 (PO 4 ) 4 P 2 O 7 dans lequel on peut remplacer une partie des ions thorium par des ions uranium ou plutonium, sans que la structure cristalline du phosphate de thorium change. On crée ainsi une solution solide dans laquelle des atomes de plutonium remplacent de 25 à 41 % des atomes de thorium 26( * ) .

Des équipes australiennes et américaines développent quant à elles des composés à base de silicate et de titanate qui présentent des propriétés similaires à celles des roches trouvées dans la nature 27( * ) .

Ces techniques s'inspirent de ce que l'on trouve dans la nature où de nombreuses roches conservent à l'état de trace de l'uranium ou thorium. On a en effet mis en évidence à Oklo (Gabon) des piles atomiques spontanées qui ont fonctionné pendant 500 ans et ceci il y a 2 milliards d'années. Un confinement efficace des sous-produits des réactions nucléaires a été réalisé, naturellement, par des roches du même type que celles étudiées, pendant la même durée, soit la moitié de l'âge de la Terre.

Les matrices cristallines synthétiques actuellement étudiées -phosphates diphosphates de thorium, silicates de zirconium, monazites, apatites - devraient être assez stables pour immobiliser des matériaux radioactifs jusqu'à des milliards d'années.

Le tableau suivant présente une évaluation des performances comparées des différentes matrices.

Tableau 14 : performances de différents matériaux 28( * ) vis-à-vis de la lixiviation 29( * )

matrice

fraction de masse dissoute

en g par m2 et par jour

Diphosphate de thorium

10 -7

Monazites (CaPO 4 )

10 -6

Zircon (ZrSiO 4 )

10 -5

Synroc

10 -5 à 10 -4

Les chiffres ci-dessus sont relatifs à la dissolution dans de l'eau distillée, un milieu beaucoup plus oxydant et corrosif que les eaux basiques et réductrices que l'on trouve en sous-sol. Ils peuvent sembler décevants, dans la mesure à la durabilité des matrices doit se compter en millions d'années. En réalité, dans le cas du diphosphate de thorium, le mécanisme de dissolution porterait en lui-même un auto-blocage. En effet, le passage en solution du solide est rapidement contré par la très faible solubilité du phosphate. A peine dissout, le diphosphate de thorium précipite rapidement à la surface de la matrice. Une sorte de réparation automatique de l'attaque initiale se produit donc. Des expériences sont en cours pour vérifier la portée de ce mécanisme et estimer la durabilité à long terme.

Dans ce créneau prometteur, la France, grâce au CNRS, qui a bien sûr déposé les brevets nécessaires, semble avoir une avance sur les autres pays. Selon certaines informations, les Etats-Unis testeraient le procédé français.

En tout état de cause, des céramiques des types ci-dessus devraient être préférées aux verres pour piéger des déchets radioactifs à haute activité, dès lors que les éléments sont séparés. La technique du verre s'appliquerait mieux aux mélanges d'éléments différents 30( * ) . De plus les céramiques semblent mieux résister dans la durée à la lixiviation 31( * ) que les verres.

Il est donc vraisemblable que la voie inaugurée par l'IN2P3 débouche sur des applications. La condition en est évidemment que ses coûts de mise en oeuvre deviennent compétitifs. Les verres, compte tenu des volumes actuellement fabriqués, garderont toutefois longtemps une avance à cet égard. Une autre condition, fondamentale, est aussi que l'on ne puisse facilement récupérer le plutonium une fois celui-ci placé en solution solide. Différents stratagèmes peuvent être imaginés à cet égard, comme la pollution du plutonium par des poisons radioactifs. Ces poisons pourraient être introduits au moment de la fabrication ou au contraire être fabriqués par irradiation neutronique.

En tout état de cause, des résultats complémentaires sont nécessaires pour éventuellement confirmer que l'on peut immobiliser des quantités importantes de plutonium pour des durées très longues, avec efficacité et sûreté, notamment en prévenant toute possibilité d'extraction du plutonium des céramiques.

Si cette possibilité était avérée, c'est toute la problématique du plutonium - déchet ou combustible - qui pourrait être déplacée.