2.4. Le réacteur hybride, médaille d'or du marketing scientifique
Le
réacteur hybride est une idée ancienne. L'idée d'utiliser
les accélérateurs de particules comme le cyclotron pour faire des
essais de matériaux ou produire du plutonium a été
proposée dans les années 50 par E. Lawrence au laboratoire de
Livermore. Ces idées ont ensuite été approfondies par les
équipes de Chalk River au Canada et dans les années 70-80 aux
Etats-Unis au laboratoire national de Brookhaven. Depuis 5 ans, ces techniques
sont réévaluées à Los Alamos. Carlo Rubbia, ancien
directeur général du CERN, prix Nobel de physique, les a remises
sur le devant de la scène en proposant son amplificateur
d'énergie à neutrons rapides de haute puissance fondé sur
l'utilisation d'un accélérateur de protons et sur le cycle
thorium-uranium en réacteur.
Une convergence d'idées et de stratégies de recherche se produit
en France sur ce thème comme on l'a vu plus haut. Cette convergence est
en train de donner naissance à un projet comportant une
multiplicité d'objectifs. Le démonstrateur serait ainsi le
dénominateur commun d'équipes - le CEA et le CNRS - jusqu'alors
peu accoutumées à travailler ensemble sur la conception des
réacteurs. Il est vrai que la réinscription de l'énergie
nucléaire dans un cadre de recherche pluraliste vaut bien quelques
investissements.
La démarche actuelle est certes prudente en prévoyant des
études préalables à la définition du
démonstrateur. Le projet lui-même est poli avec soin de
manière à avoir une acceptabilité maximale auprès
des organismes dispensateurs de crédits. Mais en tout état de
cause, il semble important de soulever quelques questions clé,
même si l'aspect lisse et consensuel que prend le thème des
réacteurs hybrides, les décourage a priori.
De nombreux projets diversifiés et à objectifs multiples, proposés dans le monde entier
Le
principe du réacteur hybride a été exposé en
première partie du présent rapport. Rappelons que la partie
nucléaire du réacteur est constituée d'assemblages
fertiles et fissiles. A ce titre, il ressemble à un réacteur
nucléaire dans la mesure où c'est la fission qui fournit de
l'énergie. Mais ce réacteur est sous-critique : il ne peut
entretenir la réaction en chaîne sans les neutrons provenant de la
cible où se produit la spallation sous l'action des protons
accélérés.
En réalité, le réacteur hybride est une sorte de
" meccano "
, dont les composants peuvent être divers et
dont la finalité peut varier du tout au tout.
Les réacteurs hybrides peuvent être classés en fonction de
leur structure. Alors les critères utilisables peuvent être les
suivants :
- les
réacteurs à cyclotron (accélérateur circulaire)
avec une intensité du courant de protons limitée à 10-15
mA, ce qui limite la puissance possible du réacteur à 200 MWe ou
les réacteurs mettant en jeu un accélérateur
linéaire, avec une intensité du courant de protons et une
puissance électrique pouvant atteindre respectivement 100-200 mA et 1200
MW
- le type de cible utilisée pour la spallation
- le spectre d'énergie neutronique : neutrons rapides, neutrons
thermiques, neutrons de résonance
- la forme du combustible utilisé : solide, liquide, ou quasi-liquide
(lits de boulets)
- la nature du réfrigérant et de l'éventuel
modérateur
- le type de cycle du combustible
Mais ils peuvent aussi être classés par rapport à leur
finalité. On distingue alors :
- les réacteurs électrogènes
- les réacteurs dédiés à la destruction du
plutonium ou à l'incinération des actinides mineurs et des
produits de fission.
Les deux tableaux suivants présentent les caractéristiques essentielles des projets les plus avancés. Il s'agit dans tous les cas de projets " papier ", dont aucun pays n'a entamé la réalisation. La raison en est que des études poussées et des expériences portant sur chaque pièce du " meccano " sont encore indispensables.
Tableau 33 : principaux concepts de réacteurs hybrides à neutrons thermiques 63( * )
nom du projet |
objectifs du projet |
caractéristiques techniques |
ATW
|
production
d'énergie
|
intensité du courant de protons : 250 mA
|
AMSB
|
réacteur électrogène de démonstration |
intensité du courant de protons : 300 mA
|
ABB
|
réacteur électrogène de démonstration |
intensité du courant de protons : 300-350 mA
|
ADFFT
|
réacteur de recherche |
intensité du courant de protons : 25 mA
|
EA
|
réacteur électrogène de démonstration |
utilisation d'un cyclotron
|
Le
réacteur hybride est par nature composé d'un grand nombre de
composants et peut viser différents objectifs. Il n'est donc pas
étonnant de constater, de par le monde, un foisonnement de
" design "
et d'objectifs.
Pour le compte de l'Office, M. Claude Birraux, député de
Haute-Savoie, s'est penché, en particulier au cours de l'année
1996, sur le projet Rubbia
64(
*
)
.
Une audition publique et contradictoire a été organisée le
21 novembre 1996, en présence du père du système. Ce
projet se présentait alors dans sa version initiale de réacteur
électrogène
" plus sûr que les plus
sûrs "
des réacteurs actuels par suite de sa dimension
sous-critique.
Il est de constater que ce projet a pu être conçu initialement
dans le but d'atteindre un niveau de sûreté très
supérieur aux actuels réacteurs à eau
légère, puis devenir un réacteur électrogène
de puissance et adopter enfin sa configuration actuelle d'incinérateur
d'actinides mineurs, devenant ainsi une sorte de grand équipement
adaptable à la configuration politique du terrain.
PHOENIX
|
réacteur électrogène de démonstration |
intensité du courant de protons : 104 mA
|
ATP
|
réacteur de recherche tourné vers la destruction des actinides mineurs |
1
ère
version : cible de sel fondu (NaCl) à
laquelle sont mélangés les actinides mineurs et le
plutonium ; intensité du courant de protons : 25 mA :
énergie du flux incident de protons : 1,5 GeV
|
FSMH
|
réacteur de démonstration pour la production d'électricité et la destruction d'actinides mineurs |
intensité du courant de protons : 270 mA
|
FEA
|
réacteur électrogène reconverti en incinérateur de déchets |
intensité du courant de protons : 12,5 - 20 mA
|