TITRE II
" DOMPTER LA LAVE
RADIOACTIVE ? "
Tel est
le titre par lequel le journal allemand " Der Spiegel "
présentait le projet EPR.
Le but du présent titre n'est pas de réaliser une hagiographie du
projet EPR, mais de vous en présenter les principales innovations
scientifiques et techniques, après avoir analysé son apport
à la recherche scientifique.
Chapitre I
La recherche et développement
générée
par le projet EPR
Le
projet EPR va au-delà d'un simple projet industriel ;
l'amélioration régulière de la qualité de nos
centrales nucléaires implique le maintien d'un acquis technologique qui
lui-même repose sur l'existence de projets et de défis
technologiques à relever, condition nécessaire pour garder les
équipes mobilisées.
Dans cette perspective, le projet EPR doit être regardé comme le
catalyseur de toutes les actions touchant à la recherche en
matière de réacteur à eau pressurisée, lesquelles
s'appuient d'abord sur un fonds commun lié aux travaux
déjà accomplis sur l'ensemble de la filière des
réacteurs nucléaires à eau pressurisée (REP).
Ceci conduit nécessairement à nous interroger sur le rôle
du programme EPR dans le maintien des compétences de la filière
électronucléaire française et, plus largement,
européenne.
Du fait de son caractère évolutif, la plupart des composants et
des équipements de l'EPR sont issus de techniques
éprouvées en France ou en Allemagne.
Néanmoins, si les composants et les équipements sont de facture
classique, leur organisation a été refondue pour l'EPR. En effet,
si le circuit primaire principal subit peu de modifications, l'installation
générale ainsi que l'architecture des systèmes et du
contrôle-commande connaissent des évolutions sensibles.
La phase d'avant-projet détaillé, dont l'objectif était de
sélectionner et d'approfondir les principaux choix de conception du
projet, est achevée. Elle doit être suivie par une phase
" d'étude palier " au cours de laquelle les études
d'ingénierie seront complétées pour fournir les dossiers
nécessaires à une réalisation.
Il faudra, en effet, que soient validées les recommandations des
autorités de sûreté sur l'amélioration de la
" défense en profondeur " par la mise en oeuvre de moyens
supplémentaires destinés à la prévention
d'hypothétiques accidents graves et à la réduction
drastique de leurs conséquences sur l'environnement.
Comme nous le verrons dans les chapitres suivants, c'est dans ce dernier
domaine que le projet EPR présente les besoins de recherche et de
développement les plus marqués, tout particulièrement sur
les cinq points suivants :
-- la prévention du risque de fusion haute pression par un
dispositif de dépressurisation du circuit primaire qualifié
(soupapes de décharge au pressuriseur) ;
-- la prévention de déflagration rapide et de
détonation d'hydrogène en réduisant très vite la
concentration à l'intérieur de l'enceinte au moyen de
recombineurs catalytiques, et si nécessaire d'igniteurs, pour limiter
l'importance du pic de pression qui pourrait résulter d'une
combustion ;
-- la prévention d'une interaction entre le coeur en fusion et le
béton par récupération du corium dans un compartiment
spécial équipé d'un revêtement de protection ;
-- le contrôle de la pression dans l'enceinte au moyen d'un
système d'évacuation de la chaleur résiduelle du corium
par aspersion (CHRS), avec un refroidissement de l'eau permettant de ramener la
pression de l'enceinte à la pression atmosphérique, à long
terme ;
-- la récupération de toutes les fuites et la
prévention d'un bipasse de l'enceinte au moyen d'une enceinte à
paroi double.
Le caractère évolutif du projet EPR explique qu'il
bénéficie, y compris sur les points évoqués
ci-dessus, de toute la recherche et développement existants pour les
réacteurs nucléaires en fonctionnement.
Mais il constitue un projet motivant pour les équipes en place ; si
le programme EPR n'existait pas, ces dernières seraient dans la
situation d'un architecte qui ne réaliserait que des travaux
d'entretien ... Je vous laisse imaginer son niveau de compétence au
bout de quelques années !
Du fait de son caractère évolutionnaire, ce projet s'inscrit dans
la continuité des réacteurs N4 français et Konvoi
allemands. Il retient les meilleures options de chaque technologie tout en
devant satisfaire aux exigences de sûreté des deux pays, en
particulier par la prise en compte dès le stade de sa conception
d'accidents graves, tels que la fusion du coeur, pour en réduire la
probabilité et les rejets dans l'environnement. Malgré ces
apports, il doit rester compétitif par une amélioration des
performances et de la disponibilité et par une réduction des
coûts d'investissement.
La recherche, effectuée en général pour la filière
REP, en France comme en Allemagne, peut se décliner autour de trois
axes :
• la R & D générale, pour la filière qui vient
en soutien au parc actuel,
• la R & D plus spécialement générée par
les options du réacteur EPR,
• la R & D d'innovation, destinée à
proposer, à plus long terme, des options alternatives
intéressantes pour les projets de centrale nucléaire.
En France, la R & D est effectuée principalement par le
CEA dans la cadre d'accords de collaboration tripartite avec les partenaires
industriels, EDF et FRAMATOME.
En Allemagne, elle est principalement effectuée par le Centre de
recherche de Karlsruhe (FZK), en collaboration avec le partenaire industriel
Siemens et les électriciens allemands, et par divers laboratoires
universitaires et industriels dans le cadre d'un groupement de recherche AGIK
(Arbeits-Gruppe-lnnovative-Kerntechnik).
Un accord de coopération entre le CEA et FZK permet d'harmoniser les
actions de R & D dans les deux pays.
Par ailleurs, il existe de nombreuses coopérations internationales aux
niveaux européen et mondial, principalement dans le domaine de la
sûreté nucléaire.
I Recherche et développement générale consacrée à la filière REP
Nous ne
ferons pas ici une description extensive de cette R & D, nous
nous contenterons d'en évoquer les points principaux.
Elle concerne en particulier le développement des méthodes et des
logiciels qui sont utilisés dans les projets. Ces logiciels, qui
rassemblent toute la connaissance issue de la R & D, doivent
évoluer en fonction de l'amélioration des connaissances et du
développement des ordinateurs. Le CEA se doit de les maintenir à
leur meilleur niveau car la recherche d'une meilleure sûreté et
d'une meilleure compétitivité implique une très bonne
connaissance des marges de sécurité et, par conséquent,
des calculs aussi précis que possible.
Le CEA transfère ces logiciels à EDF et FRAMATOME, qui les
intègrent dans leurs chaînes de calcul industrielles soit
intégralement, soit sous forme de modélisations qualifiées.
Ces logiciels concernent les disciplines utilisées dans l'industrie
nucléaire (cf. infra), à savoir :
• la neutronique (code cellule APOLLO et code coeur CRONOS),
• la thermohydraulique (code circuits TRIO et code coeur FLICA),
• la mécanique (CASTEM),
• les outils décrivant le transport des produits de corrosion et
de fission et la contamination (PACTOLE, PROFIP),
• la thermohydraulique accidentelle (CATHARE).
Le développement de ces logiciels implique des programmes
expérimentaux de qualification associés.
Un effort tout particulier a été mené en France dans le
domaine de la thermohydraulique accidentelle, pour permettre de décrire
en détail les problèmes de refroidissement du coeur en situation
accidentelle : un code de calcul CATHARE a été
spécialement développé pour la filière REP et
qualifié sur un important programme expérimental, comportant en
particulier une boucle, système BETHSY, reproduisant à
l'échelle 1, en hauteur, et au 1/100, en volume, un réacteur
FRAMATOME 3 boucles du palier CPY. La qualité de la physique du
code et la rigueur de la méthodologie adoptée pour cette
qualification permettent l'extrapolation aux autres réacteurs de la
filière avec un bon niveau de fiabilité.
Par ailleurs, un axe très important de recherche concerne le
vieillissement des matériaux, pour répondre aux besoins du parc
actuel et à l'augmentation éventuelle de sa durée de vie.
Ces études seront utilisées dans le projet EPR, conçu pour
une durée de vie de soixante ans et dont le développement est
lui-même conditionné par la durée de vie des centrales en
service.
Dans ce volet se place également la R & D pour le
combustible, produit consommable qui peut être utilisé dans tous
les réacteurs de la filière. Les évolutions du combustible
concernent principalement, pour les deux types actuellement utilisés
-combustible Oxyde d'uranium et combustible MOX-, l'augmentation du taux de
combustion (passage de 45 à 60 GWj/T), la tenue aux transitoires
(suivi de charge) et l'allongement des cycles de fonctionnement (passage de 1
à 2 ans), qui contribuera beaucoup à l'augmentation de la
disponibilité des REP. Mais il faut noter que l'idée d'un
réacteur qui fonctionnerait entièrement avec du combustible MOX
semble aujourd'hui abandonnée, essentiellement pour des raisons
d'homogénéité et, par voie de conséquence, de
facilité de la gestion du parc de centrales.