3°/ LES CONSÉQUENCES POUR LA POLYNÉSIE FRANÇAISE
Les importantes et graves manifestations qui se sont
déroulées pendant l'été 1995 pour protester contre
la reprise des essais nucléaires ont bien montré que cette
affaire se déroulait dans un contexte bien particulier et
différent de celui de la Métropole. On ne peut nier, en effet,
les particularités du peuple polynésien et la
spécificité des problèmes liés à
l'insularité.
Depuis la loi du 12 avril 1996, la Polynésie française
dispose d'une large autonomie, les compétences de l'Etat étant
strictement définies et limitées aux matières relevant de
la souveraineté.
L'avenir des atolls de Mururoa et de Fangataufa devra dont être
décidé avec les autorités de la Polynésie
française, qui sont désormais
"compétentes dans toutes
les matières qui ne sont pas dévolues à l'Etat par la loi
du 12 avril 1996"
.
Dès lors que cette loi n'a réservé ni la protection de
l'environnement, ni celle de la santé publique, à l'Etat, ce sont
donc bien les Polynésiens et leurs représentants qui devront
prendre en charge toutes les questions qui relèvent de ces deux domaines.
A/ Le statut juridique des deux atolls
Par une procédure peut-être légale dans la
forme mais quelque peu douteuse quant au fond, la Commission permanente de
l'Assemblée territoriale a cédé gracieusement, le
6 février 1964, les atolls de Mururoa et de Fangataufa à
l'Etat français
"pour les besoins du Centre d'expérimentations
du Pacifique"
.
Cette même délibération de la Commission permanente avait
toutefois prévu qu'
"au cas de cessation des activités du
Centre d'expérimentations du Pacifique, les atolls de Mururoa et de
Fangataufa feront d'office retour gratuit au domaine du territoire dans
l'état où ils se trouveront à cette époque, sans
dédommagement ni réparation d'aucune sorte de la part de
l'Etat"
.
Si on devait suivre à la lettre ces dispositions supposées avoir
été acceptées librement par les Polynésiens, la
situation serait parfaitement claire : à partir du moment où
l'Etat français n'a plus besoin des deux atolls, il les redonne au
Territoire, dans l'état où ils se trouvent, à charge pour
les autorités de la Polynésie française de se charger de
tous les problèmes qui pourraient survenir.
L'iniquité de cette disposition était tellement flagrante que le
Gouvernement français a décidé de passer avec la
Polynésie une convention pour le renforcement de l'autonomie
économique, destinée en fait à atténuer le choc
économique qu'ont produit l'arrêt définitif des essais
nucléaires et la fermeture du CEP. Pour ne pas trop pénaliser
l'économie du territoire, l'Etat s'est ainsi engagé à
verser chaque année jusqu'en 2006 une enveloppe de 990 millions de
francs, les dépenses effectives du CEP résultant des
activités de démantèlement étant au départ
complétées par des subventions jusqu'à concurrence du
montant contractuellement prévu.
Si le maintien pendant dix ans des flux financiers qui résultaient de
l'activité du CEP peut, dans une certaine mesure, justifier la
surveillance que l'Etat va continuer à exercer sur les deux atolls, il
n'en demeure pas moins que Mururoa et Fangataufa doivent être
désormais considérés comme faisant pleinement partie de la
Polynésie française.
Toutes les mesures qui pourront être prévues pour assurer la
surveillance contre les intrusions ou pour suivre l'évolution de la
radioactivité ne pourront donc être prises qu'avec l'accord des
Polynésiens eux-mêmes.
Il sera sans doute relativement aisé de parvenir à un accord pour
toute la période de transition, mais qu'en sera-t-il au terme des dix
années prévues ?
Il n'est pas certain en effet que la Polynésie française soit, en
2006, techniquement et économiquement en état d'assurer la
surveillance effective des anciens sites d'essais. Des conventions avec les
organismes, tels que l'ANDRA ou l'IPSN, qui pourraient se charger de cette
tâche pour le compte de la Polynésie devraient être
étudiées dès maintenant. Il ne faudrait pas en effet
attendre la disparition de la DIRCEN, prévue pour 1999, pour mettre en
place les mécanismes de surveillance qui devraient rester en place
pendant une durée de temps qu'il est impossible de déterminer
aujourd'hui.
B/ Le suivi sanitaire des populations polynésiennes
Si toutes les études actuellement disponibles semblent
démontrer que les essais souterrains n'ont eu aucun impact sur la
santé des populations du Pacifique Sud, il ne faut cependant pas oublier
que les essais aériens d'avant 1974 ont entraîné des
retombées radioactives qui, sans être préoccupantes, n'en
sont pas moins significatives selon les termes du rapport Tazieff. Il ne faut
pas oublier non plus que plusieurs milliers de travailleurs polynésiens
ont séjourné à Mururoa et qu'ils doivent pouvoir
bénéficier d'un suivi médical régulier et
spécifique.
Bien que le problème de l'impact sanitaire des essais n'entre pas, au
sens strict, dans le cadre du présent rapport essentiellement
consacré à la gestion des déchets, on ne peut passer sous
silence le malaise que cette question provoque dans la population
polynésienne, qui ne sait plus très bien qui croire.
En effet, comme le note très bien la CRII-RAD :
"Celui qui
s'interroge sur l'impact sanitaire des essais est confronté à
deux discours inconciliables :
- d'un côté des témoignages, souvent bouleversants,
sur des cas de malformations, d'enfants mort-nés, sur des familles
lourdement touchées par le cancer, sur des décès suspects,
des cercueils plombés ...
- de l'autre les affirmations catégoriques des autorités
militaires : toutes les précautions ont été prises,
il n'y a pas de pollution et donc pas d'impact
sanitaire."
93(
*
)
Il est certain que quelques groupuscules, pour des motifs pas toujours
très clairs, cherchent à affoler la population en mettant toutes
les maladies qui surviennent en Polynésie sur le compte des essais.
Mais, d'un autre côté, peut-on se satisfaire des
déclarations officielles qui évacuent le problème d'un
trait de plume :
"Aucune augmentation de maladies pouvant être
d'origine radiologique (cancers ...) n'a été observée
parmi les populations polynésiennes ou parmi les personnels civils et
militaires de la base"
?
94(
*
)
Actuellement, la situation radiologique de la Polynésie
française, suivie régulièrement aussi bien par le SMSRB
que par l'IPSN, est bonne : en 1995, la valeur de la radioactivité
artificielle correspondait à moins de 1 % de l'exposition due
à la radioactivité naturelle.
Mais en a-t-il été toujours ainsi dans le passé et
n'a-t-on pas enregistré à certaines périodes des
expositions significatives sur le plan sanitaire ?
Quelques exemples récents nous montrent que les études
épidémiologiques, surtout quand elles portent sur les effets des
faibles doses de radioactivité, sont très difficiles à
conduire et que leurs résultats ne sont pas toujours très
probants.
Il n'en demeure pas moins que pour mettre fin aux controverses qui
continuent à se développer, comme nous avons pu le constater
à Tahiti, il serait indiqué de lancer une étude
sérieuse et indépendante sur la mortalité par cancer dans
l'ensemble de la Polynésie.
Pour en finir avec les rumeurs et les craintes souvent injustifiées, il
ne suffit pas d'affirmer péremptoirement qu'il n'y a pas de risque, il
faut tenter d'en apporter la preuve et par des moyens qui seront
considérés comme crédibles par les populations
concernées. En 1982, le rapport Tazieff faisait déjà
remarquer :
"Bien que l'objet de cette mission soit essentiellement
scientifique et technique, il faut noter que les participants de la mission ont
pu retirer de leurs contacts avec les représentants de la population
l'impression que le manque systématique d'informations où on les
a laissés ne favorise pas l'établissement de relations confiantes
avec les spécialistes qu'on leur demande ensuite de croire."
Sur la question de l'éventuel impact sanitaire des essais, il ne semble
pas, malheureusement, que la situation ait beaucoup évolué depuis
1982.
Le rapport de l'AIEA va très certainement faire le point
définitivement sur la situation radiologique des deux atolls. Si on veut
tourner définitivement la page après l'arrêt des essais, il
faut qu'une enquête du même type soit conduite sur l'état
sanitaire des populations de la Polynésie française.
Si une telle enquête devait, par malheur, conclure qu'il y a eu dans
certains cas une liaison entre les essais et l'état de santé de
quelques personnes, il y aurait alors lieu de prévoir les
réparations nécessaires.
Le coût de telles réparations ne serait de toute façon que
tout à fait minime par rapport aux sommes dépensées pour
les essais, et il faut également toujours se souvenir que les
Polynésiens n'avaient pas demandé à accueillir ces essais,
sur lesquels il n'ont d'ailleurs même pas été
véritablement consultés.