Chapitre V
LES ATOLLS DE MURUROA ET DE FANGATAUFA CONSTITUENT DES SITES
DE STOCKAGE DE DÉCHETS RADIOACTIFS QU'IL FAUDRA GÉRER EN TANT QUE
TELS
La décision, en 1996, du Président de la
République de renoncer définitivement aux essais
nucléaires et de démanteler, par voie de conséquence, le
Centre d'Expérimentations du Pacifique permet d'envisager avec
sérénité le sort qui devra être
réservé aux anciens sites d'expérimentation.
Le déchaînement médiatique qui avait suivi la reprise des
essais avait conduit à une certaine surenchère dans les
prévisions catastrophiques. Aujourd'hui, le calme est revenu et il est
désormais possible de faire une évaluation sérieuse de la
situation ; c'est ce qu'ont entrepris de faire les experts mandatés
par l'AIEA dont le rapport devrait être publié au début de
l'année 1998.
Dans l'attente des conclusions de ce rapport, toutes les remarques et
propositions qui peuvent être faites n'ont qu'un caractère
provisoire et pourront être revues en fonction des éléments
nouveaux qui pourraient être éventuellement apportés par
les experts de l'AIEA.
L'ensemble des déchets, qu'ils proviennent des tirs eux-mêmes ou
des manipulations effectuées avant et après les essais, vont
subsister pendant des siècles et même pendant des
millénaires pour certains des éléments qu'ils contiennent.
Alors qu'en Métropole on s'interroge depuis plus de dix années
sur la possibilité d'ouvrir des centres souterrains de stockage de
déchets radioactifs, les impératifs de la défense
nationale ont conduit à créer, de fait, sans étude
préalable et sans autorisation spécifique, un dépôt
de substances radioactives dans des couches géologiques qui
n'étaient peut-être pas particulièrement adaptées
à cet usage.
Le rapport de l'équipe Cousteau faisait remarquer à ce sujet que
"l'atoll de Mururoa est un très mauvais site de stockage de
déchets radioactifs"
et qu'en outre,
"il n'y a aucune raison de
croire que si certains critères de confinement semblent
nécessaires au stockage des déchets des centrales
nucléaires civiles, ils ne soient plus nécessaires pour stocker
les déchets nucléaires militaires"
.
83(
*
)
Sans aller jusqu'à prétendre d'emblée que Mururoa
constitue un très mauvais site de stockage des déchets
radioactifs, il faut bien reconnaître qu'il y a une énorme
disproportion entre la faiblesse des études préalables qui y ont
été effectuées et le luxe de précautions dont on
s'entoure pour créer un centre de stockage en Métropole et dans
les autres pays qui se trouvent confrontés à ce problème.
Néanmoins, quelles que soient les réserves que l'on puisse
émettre sur la démarche qui a été suivie, le fait
est aujourd'hui que les déchets sont enfouis dans le sol des atolls,
qu'ils y sont définitivement et qu'il n'existe aucune possibilité
de modifier cette donnée.
A partir du moment où on considère que les atolls de Mururoa et
de Fangataufa constituent désormais des sites de stockage
définitif de déchets radioactifs sans utilité militaire,
ils devront être gérés et surveillés dans des
conditions aussi proches que possible de celles qui seront applicables aux
centres de stockage qui devraient être créés en
Métropole.
1°/ LES DEUX ATOLLS DEVRONT RESTER INHABITÉS ET ÉTROITEMENT SURVEILLÉS
Un des objectifs principaux de cette surveillance va
être de s'assurer que la mémoire de ce stockage ne va pas
s'estomper au fil des années et qu'il n'y aura jamais d'intrusion
humaine risquant de faire remonter les radioéléments
jusqu'à la biosphère.
Bien qu'il ne semble pas y avoir de ressources économiquement
intéressantes dans le sous-sol des atolls, l'intrusion humaine
involontaire reste une éventualité qu'on ne peut écarter
d'emblée.
La surveillance institutionnelle des installations de stockage de
déchets radioactifs même après la fermeture des sites est
un sujet qui est de plus en plus étudié, aussi bien par les
organisations internationales telles que l'AEN
84(
*
)
que par les autorités
nationales.
En France, la Règle fondamentale de sûreté des stockages
définitifs de déchets radioactifs en formation géologique
profonde (III 2 F) du 1er juin 1991 précise les
précautions qui doivent être prises pour permettre d'assurer la
sûreté des sites de stockage après la période
d'exploitation :
"Il faut fixer une date minimale avant laquelle
aucune
intrusion involontaire ne peut se produire en raison du maintien de la
mémoire de l'existence du stockage. Cette mémoire dépend
de la pérennité des mesures qui peuvent être mises en
oeuvre : l'archivage, les documents institutionnels résultant de la
réglementation, le marquage en surface..."
. Dans cette Règle
fondamentale de sûreté, on a estimé que
"la perte de
mémoire de l'existence du stockage peut raisonnablement être
située au-delà de 500 ans"
.
On peut en effet craindre qu'au fil des années, la collectivité
nationale se désintéresse peu à peu de ces sites sans
intérêt économique et apparemment sans danger, au risque de
faire retomber la charge de la surveillance sur les collectivités
locales voisines directement concernées (à condition toutefois
qu'elles aient les moyens techniques et financiers d'assurer cette tâche).
Comme cela a été très bien développé dans
une étude récente
85(
*
)
, la
surveillance institutionnelle des
sites constitue également un facteur de confiance du public et facilite
l'acceptation du site par les populations concernées.
Mais la mise en place de cette surveillance à long terme des intrusions
humaines passe par la mise en place d'une institution ou par le choix d'une
institution déjà existante.
Pour le moment, il est prévu que l'armée assurera cette
tâche pendant les dix années qui suivront la fermeture du CEP,
grâce à un contingent d'une trentaine de légionnaires qui
demeureront à Mururoa avec comme base arrière l'atoll proche de
Hao.
Au-delà de cette période de dix ans prise en charge par
l'armée, il conviendrait de transférer la surveillance des sites
de Mururoa et de Fangataufa à l'ANDRA, chargée par la loi du
30 décembre 1991 d'assurer la gestion de tous les centres de
stockage de déchets radioactifs.
Pendant un certain temps, il avait été question de
réhabiliter les deux atolls pour leur trouver une destination
nouvelle : village de vacances, centre de recherche, ...
Lors de notre visite, nous avons pu constater que Mururoa allait être
nettoyé, c'est-à-dire débarrassé de toutes les
installations de surface qui n'ont plus d'utilité. Les
équipements réutilisables sont donnés au territoire de la
Polynésie française ou à des communes voisines ; les
ferrailles, une fois compressées, devraient être
cédées à un ferrailleur asiatique.
Si ces ferrailles, bien que non contaminées, ne trouvaient pas
d'acquéreur, elles ne devraient en aucun cas être immergées
comme cela avait été envisagé. Pour permettre à
tout moment de les contrôler et pour éviter que le doute
s'installe, le mieux serait de les stocker en surface dans des alvéoles
de béton recouvertes ensuite de terres selon les principes mis en oeuvre
par l'ANDRA dans son centre de l'Aube.
Les quatre barges qui servaient à forer les puits de tirs ont
déjà été vendues en Australie, ce qui ne manque pas
de piquant quand on se rappelle les campagnes hystériques
déclenchées dans ce pays contre les essais français.
Il est clair que, même débarrassés de leurs principales
installations de surface, ces deux atolls devront rester à tout jamais
inhabités.
Les conditions dans lesquelles les déchets ont été enfouis
dans le sous-sol de ces atolls font qu'il ne sera jamais possible d'y autoriser
un séjour de longue durée non contrôlé.
Etant donné l'éloignement des zones habitées et l'absence
d'eau potable, cette éventualité est, pour le moment, d'ailleurs
totalement théorique, mais on ne peut jamais prévoir ce qui se
passera dans un avenir plus ou moins lointain.
Dès que seront connues les conclusions des experts de l'AIEA et une
fois le démantèlement des installations terminé, il faudra
envisager le classement des deux atolls en zone protégée afin de
constituer, comme le demande M. Daniel Pardon, des
"sanctuaires
protégés"
.
86(
*
)
De tels sanctuaires deviennent en effet de plus en plus rares en
Polynésie, où le développement des transports et du
tourisme pèse très lourd sur la flore et surtout sur la faune des
atolls. En laissant la nature reprendre ses droits et malgré toutes les
perturbations qu'ils ont pu connaître du fait des essais, ces deux atolls
pourraient devenir, si les autorités locales souscrivent à un tel
projet, des lieux de référence pour suivre l'évolution de
l'environnement polynésien.
Le transfert de la charge de la surveillance des sites et leur classement en
sanctuaires naturels ne devraient pas avoir d'incidence sur les changements
éventuels de statut juridique de ces deux sites, question qui sera
évoquée un peu plus loin dans le présent rapport.