2) donner un nouveau rôle au médecin du travail pour assurer un meilleur suivi des populations exposées
a) ses missions actuelles
Actuellement, la totalité des salariés en France
doit bénéficier d'une surveillance médicale
réalisée par un médecin spécialiste en
médecine du travail. Mis en place en 1946, ce système est
largement appliqué dans le secteur privé, mais plus lent à
se mettre en place dans le secteur public. Placé sous la
responsabilité du chef d'entreprise, le médecin du travail est
théoriquement assuré de son indépendance grâce
à un statut de salarié protégé le plaçant en
dehors de la hiérarchie de l'entreprise. Il exerce son activité
sous le contrôle des représentants des salariés de
l'entreprise (comité d'entreprise, comité d'hygiène et de
sécurité et des conditions de travail,
délégués des salariés), de l'inspection du travail
et plus particulièrement de l'inspection médicale du travail. Le
code du travail a défini ses missions et les moyens dont il doit
disposer pour les réaliser. Depuis 1979, les textes
réglementaires ont introduit la notion de tiers temps, qui impose au
médecin la nécessité de disposer d'un tiers du temps dont
il dispose dans chaque entreprise pour étudier les postes de travail et
en permettre l'évolution en terme de protection de la santé.
Cette mesure est le complément indispensable des visites
médicales organisées régulièrement pour
étudier toutes les relations entre la santé et le travail au
niveau individuel (aboutissant à la détermination de l'aptitude),
mais aussi au niveau de la collectivité (participation aux études
épidémiologiques).
Un tel système, basé sur une couverture médicale de la
population adaptée aux risques de chacun, présente
néanmoins un certain nombre de limites qui ont déjà fait
l'objet de rapports critiques. En effet, l'efficience du système peut
être mise en cause dans certains domaines.
b) les difficultés de l'exercice de ses missions
- Salariés du secteur privé
- effectif insuffisant des médecins formés, et donc effectif
excessif des salariés suivis par chaque médecin ;
- difficultés d'exercice maximales dans des secteurs
interentreprises, interprofessionnels et géographiques (grande
dispersion des PME suivies par un même médecin, tant sur le plan
des activités que sur celui de la localisation ; faibles effectifs
des PME rendant parfois la confidentialité de certaines activités
difficile ; indépendance relative à une période de
grandes difficultés économiques et à un marché de
l'emploi très problématique dans nombre de secteurs).
- ambiguïtés dans le rôle respectif de l'employeur et du
médecin du travail dans l'évaluation des risques : s'il est clair
que la réglementation rend l'employeur responsable de cette
évaluation, l'expérience montre qu'il n'en a souvent pas la
compétence et qu'il ne donne pas toujours à son médecin du
travail tous les éléments pour l'aider. Or, la mission
médicale du médecin du travail n'a de chance d'être
efficace que s'il peut cibler son activité en fonction des risques
détectés.
- inadéquation du système actuel de cotisation des
entreprises aux services de médecine du travail auxquels elles
adhèrent, qui ne donnent pas assez de souplesse à une adaptation
des prestations offertes en fonction des risques réels et des efforts
faits par l'entreprise pour les maîtriser.
- complexité croissante des procédés de travail
évoluant de plus en plus vite avec des marges de manoeuvre de plus en
plus réduites du fait de la concurrence. Ceci rend le médecin
plus fragile par rapport à la veille technologique incessante qu'il doit
faire.
- transformation de la notion classique de l'entreprise, dont les diverses
formes de statuts renforcent les migrations de salariés et l'absence de
suivi médical stable par un médecin donné. Ceci se traduit
par une difficulté accrue dans la surveillance des effets à long
terme, qui devient maximale chez les salariés en situation de
précarité d'emploi.
- Salariés du secteur public
La mise en place de la loi de 1946 a été beaucoup plus tardive
dans la fonction publique, qui ne connaît l'obligation de la surveillance
médicale systématique que depuis 1995. Si le problème de
précarité d'emploi se pose moins (CES, agents contractuels non
titulaires), le déficit en médecin du travail y est maximum. Le
statut encore mal défini du médecin du travail dans ce secteur
aggrave encore la situation.
- Non salariés
La médecine du travail n'existe pas pour les non salariés. Outre
l'absence de surveillance médicale de cette catégorie d'actifs,
cet état de fait pose également un problème de fond :
comment arriver à motiver un artisan chef d'entreprise de la
nécessité de la médecine du travail pour ses
salariés, alors que lui-même, participant le plus souvent
effectivement à toutes les tâches réalisées dans son
entreprise, n'en bénéficie pas ? Rappelons que la majorité
des entreprises des secteurs 2 et 3 sont dans cette situation.
c) développer la surveillance après exposition professionnelle
Le problème de la surveillance
post-professionnelle des personnes (retraités) qui, au cours de leur
activité salariée, ont été exposées à
des agents cancérogènes est précisée par le
décret du 26 mars 1993 et par son arrêté d'application du
28 février 1995. Elle est organisée par les Caisses Primaires
d'Assurance Maladie et est accordée sur production par
l'intéressé de l'attestation d'exposition remplie par l'employeur
et par le médecin du travail. Ce suivi est réalisé par le
médecin choisi par l'assuré social suivant les mêmes
modalités que la surveillance médicale spéciale dont le
travailleur a, le cas échéant, bénéficié
pendant son activité, notamment en ce qui concerne les examens
complémentaires éventuels. Les dépenses correspondant
à cette surveillance post-professionnelle sont imputées sur le
fonds d'action sanitaire et social.
Il importera de préciser deux aspects :
- la diffusion des protocoles adéquats auprès de ces
médecins
- la synthèse des informations recueillies par les caisses pour
permettre une évaluation épidémiologique de cette
population (cf. infra).
Dans le cadre de ce suivi post-professionnel, la SNCF a annoncé qu'elle
allait envoyer à ses 240.000 retraités un questionnaire visant
à repérer, puis à placer sous surveillance
médicale, les anciens agents qui ont été exposés
à des fibres d'amiante.
Les services médicaux de la SNCF
estiment qu'au moins 3.626 agents ont été exposés à
l'amiante à un moment donné de leur carrière.
Le suivi
médical post-professionnel sera pris en charge par la caisse de
prévoyance des cheminots.
En revanche, un problème majeur persiste dans le suivi
médical des sujets ayant été exposés dans d'autres
entreprises que celle où ils sont actuellement en activité.
En effet, outre le problème de la transmission de l'information, qui ne
peut être faite que par le salarié lui-même (cf. chapitre
II-C), se pose le problème des modalités actuelles de la prise en
charge de cette surveillance médicale spéciale. Elles sont en
effet en cours de discussion : il n'est pas toujours évident de faire
supporter à l'entreprise actuelle le coût de la surveillance
résultant des expositions de son salarié dans d'autres
entreprises.
Une solution serait de financer ces dépenses sur le fonds d'action
sanitaire et sociale et le fonds de prévention des accidents du travail
et des maladies professionnelles.
d) mettre l'accent sur certaines missions : la surveillance épidémiologique
Alors que, jusqu'à présent, les missions des
médecins du travail étaient orientées vers le diagnostic
et le soin,
elles devront être orientées davantage vers la
prévention
. Il importe également que toutes les actions
individuelles des médecins du travail puissent faire l'objet d'une
analyse collective afin de mieux définir les populations
concernées et de poursuivre le recueil des informations concernant d'une
part l'ampleur du problème au niveau de l'ensemble de la population et
d'autre part les effets potentiels des faibles doses (y compris les expositions
passives).
A cette fin, plusieurs systèmes de recueil d'information peuvent
être mobilisés et compléter l'action de la médecine
du travail :
- la Sécurité Sociale, à travers l'échelon
médical des Caisses et l'INRS ;
- le réseau des instituts de médecine du travail et
l'inspection médicale du travail ;
- le
Réseau National de Santé Publique
,
créé le 17 juin 1992 et organisé par la DGS avec le
concours de la DRT, qui a mis en place une unité spécifique de
Surveillance Epidémiologique du Risque Amiante (SERA) chargée de
coordonner les recherches publiques réalisées dans le domaine de
l'amiante. La mise en place du Programme de Surveillance Nationale du
Mésothéliome, annoncé par le Ministre du Travail et des
Affaires Sociales, en est un exemple. Rappelons que la base de données
EVALUTIL a également été initiée grâce
à un financement du RNSP.