3) assurer une meilleure reconnaissance et réparation des maladies professionnelles
a) les principes de la réparation des maladies professionnelles
L'organisation de la réparation des maladies
professionnelles est définie dans le cadre du code de la
Sécurité sociale. Elle repose sur deux systèmes qui se
complètent :
- Le système des tableaux
est basé sur la notion de
présomption d'imputabilité et permet de réparer toutes les
affections qui y sont inscrites, en rapport avec les nuisances
spécifiques, sous certaines conditions (délai de prise en charge,
durée d'exposition, critères diagnostiques, listes de travaux
exposant au risque) précisées pour chaque tableau. L'essentiel de
la demande se fait donc indépendamment du niveau de la Caisse Primaire
de la Sécurité Sociale (enquête administrative comprenant
la recherche des paramètres d'exposition à la nuisance). Lorsque
ces démarches aboutissent à la conformation de la maladie et de
l'exposition au risque, alors le lié entre les deux est établi
automatiquement, sauf preuve contraire apportée par la Caisse.
Dans le cadre de l'amiante, le Code de la Sécurité Sociale a
intégré plusieurs versions successives :
-- dès 1945, réparation de l'asbestose dans un tableau
commun pour l'ensemble des pneumoconioses ;
-- à partir de 1975, individualisation du tableau 30
réparant l'asbestose et le cancer broncho-pulmonaire compliquant
l'asbestose ;
-- en 1985, introduction du mésothéliome, des autres tumeurs
primitives de la plèvre et du cancer broncho-pulmonaire. A cette
époque, la définition des maladies cancéreuses
était assortie d'un critère sur lequel les médecins
(collège de trois médecins ou médecin agréé
en matière de pneumoconiose) devaient se prononcer :
« lorsque la relation avec l'exposition est médicalement
caractérisée ». Cette mention a été
considérée comme contraire à la notion de base de
présomption d'imputabilité par le Conseil d'Etat, ce qui a
entraîné une modification du tableau 30 et la création
d'un tableau 30 bis par le décret n° 96-445 du 22 mai
1996.
-- depuis 1996, le nouveau tableau 30 prend en charge, outre
l'asbestose, la pathologie pleurale non maligne et le cancer broncho-pulmonaire
les compliquant, le mésothéliome et les autres tumeurs primitives
de la plèvre sans limites d'exposition. Le tableau 30 bis
concerne le cancer broncho-pulmonaire seul, sous réserve d'au moins
10 ans d'exposition dans une activité précisée dans
une liste limitative de travaux.
- Un système complémentaire de réparation
a
été mis en place à partir de 1994 pour discuter les
dossiers :
-- pour lesquels il existe un tableau, mais qui ont été
rejetés en raison du non-respect d'un des critères
précédemment évoqués ;
-- pour lesquels il n'existe pas de tableau et qui sont associés
à une invalidité de plus de 66 %.
Dans ce système complémentaire, l'analyse des dossiers est faite
par un Comité Régional de Réparation des Maladies
Professionnelles qui doit se prononcer sur le lien de causalité (et son
caractère exclusif dans le cas des dossiers où il n'existe pas de
tableau) entre l'environnement du travail et la maladie. Il s'agit donc
là d'un régime de preuve à la charge de la victime.
-
A côté de ces deux systèmes de
réparation et d'indemnisation, il faut rappeler que le Code de la
Sécurité Sociale a prévu, dans son article L. 461-1,
une déclaration obligatoire des maladies à caractère
professionnel.
Cet enregistrement a été proposé pour
permettre une meilleure connaissance épidémiologique de
l'ensemble des maladies que les médecins considèrent comme
provoquées par l'activité professionnelle, quelles que soient les
modalités ultérieures de leur prise en charge.
-
Le cas particulier des militaires doit être signalé.
Ils sont exclus de l'indemnisation du régime général
de la Sécurité Sociale. Ils ont confié la charge
d'organiser la reconnaissance et l'indemnisation de leurs maladies
professionnelles au ministère des Anciens Combattants, dans le cadre du
code des pensions militaires d'invalidité. Le principe de ce code est de
n'admettre que des événements dont la preuve de la survenue "du
fait ou à l'occasion du service" peut être administrée avec
précision. Il se trouve donc
complètement inadapté
à la reconnaissance d'affections médicales dont les circonstances
de début ne peuvent en général qu'être
présumées
(ce qui est le cas de l'amiante).
Il convient donc de procéder rapidement à une réforme qui
permette l'application, dans le cadre du code des pensions militaires
d'invalidité, d'une procédure calquée sur le régime
général de la Sécurité Sociale.
b) les données chiffrées
Le tableau ci-joint rappelle les données disponibles dans les trois systèmes de réparation du régime général de la Sécurité Sociale, pour les années 1993, 1994 et 1995.
Nombre de maladies professionnelles - premier
règlement
(
10(
*
)
)
Nombre de MP
|
Nombre de MP
|
Nombre de MP
|
|
Asbestose, fibrose, complications |
171 |
212 |
164 |
Lésions pleurales bénignes |
272 |
389 |
473 |
Mésothéliome malin |
77 |
84 |
43 |
Autres tumeurs pleurales primitives |
3 |
9 |
59 |
Cancers broncho-pulmonaires primitifs |
21 |
33 |
24 |
Total 1 |
544 |
727 |
763 |
MP n° 30 bis |
34 |
||
Total 2 |
797 |
Ces chiffres sont à rapprocher des 700 cas de mésothéliomes déclarés et 500 indemnisés en Allemagne, en 1994.
c) les discussions et les perspectives
Comment expliquer la discordance entre les chiffres
estimés des maladies attendues, et en particulier des cancers (1.250
cancers broncho-pulmonaires et 700 mésothéliomes en 1996, selon
le rapport de l'expertise collective amiante de l'INSERM), et les chiffres
provenant des statistiques de la Sécurité Sociale (160 cancers en
1995 dans le régime général).
Certes, ces statistiques ne prennent en compte que la maladie ayant fait
l'objet de la déclaration initiale (les cancers survenant dans les
suites d'une fibrose reconnue au tableau 30 ne seront pas repris
ultérieurement en tant que tels dans les statistiques). Certes, les
critères de définition des tableaux ont un caractère
restrictif qui a fait l'objet d'une discussion au niveau du Conseil
Supérieur des Risques Professionnels, placé auprès du
Ministre du Travail.
Mais ceci ne peut expliquer une différence de cette importance, qui
génère une incompréhension croissante du public.
Il existe, en effet, un certain nombre de points qui freinent l'application
efficace du système actuel.
-- la déclaration en vue d'une demande de réparation doit
être faite par le sujet lui-même ; certains patients
l'ignorent ou préfèrent s'abstenir pour des raisons diverses
(conséquence négative pour la suite de leur carrière
professionnelle, complexité des démarches à effectuer).
-- la plupart des diagnostics sont portés par des médecins
traitants qui ne connaissent pas le monde du travail et qui ne sont pas
outillés pour mener des investigations rétrospectives sur les
expositions professionnelles ; par ailleurs, le système de la
médecine curative n'est pas bien adapté à la prise en
charge des aspects sociaux des dossiers des patients (information des
médecins, etc.).
-- la procédure elle-même pose certains
problèmes :
· sur le plan médical, les hésitations
diagnostiques (limites entre un appareil respiratoire normal et des
lésions débutantes de fibrose pulmonaire ou pleurale ;
difficultés du diagnostic de mésothéliome ...) peuvent
expliquer des divergences d'appréciation d'un médecin à
l'autre.
· sur le plan administratif, la recherche de l'exposition au
risque est d'autant plus difficile qu'il s'agit de travaux du secteur 3 :
l'absence d'archives, la disparition des entreprises, la caractérisation
d'une exposition "significative" ont contribué au rejet de dossiers
qui
semblaient évidents.
· dans le cadre du système complémentaire, la
notion de preuve (relation causale et exclusive) est excessivement difficile
à porter sur des critères objectifs en matière de
pathologies multifactorielles comme la fibrose et le cancer.
Une réponse à ces difficultés passe par une
simplification des procédures de réparation et une
clarification des modalités de prise de décision dans les
situations ambiguës
.
La réalisation de guides méthodologiques destinés aux
divers professionnels chargés d'instruire les dossiers devraient servir
de références explicitant la démarche. Cet effort
d'information permettrait de lever les ambiguïtés et de travailler
en transparence avec les associations des victimes de maladies professionnelles
et le public.
Ces guides sont en cours d'élaboration au niveau de la CNAM, mais
devraient être développés et étendus à
l'ensemble du domaine des maladies professionnelles.