2) recenser toutes les populations exposées pour leur assurer une protection médico-sociale appropriée
Le recensement des populations concernées est un
impératif de santé publique. Il faudra établir l'ensemble
des métiers, des secteurs de métiers, des postes de travail qui
ont été exposés au risque amiante et l'ensemble des
populations qui ont été exposées à ces risques. Il
ne faut cependant pas méconnaître la difficulté
d'établir une liste exhaustive de ces populations exposées et de
ces métiers. La médecine du travail aura un grand rôle
à jouer dans le recensement des populations exposées.
L'utilisation de la base informatique EVALUTIL pourra également aider au
recensement des travailleurs exposés : il s'agit d'une base de
données qui recense toutes les publications dans lesquelles ont
été décrites une relation entre une activité
professionnelle et une exposition à l'amiante.
Pour les expositions passées, c'est la médecine du travail qui
jouera le rôle essentiel d'identification de ces personnes
exposées. Les médecins du travail devront faire un recensement
complet des populations exposées en tenant compte de leur passé
professionnel. Ce ne sera pas facile et nécessitera une
coopération active des chefs d'entreprise et des salariés.
Pour le présent et l'avenir, cette obligation s'impose toujours à
la médecine du travail mais également au chef d'entreprise.
Le rôle premier de ce recensement sera de permettre la mise en place
globale d'un suivi médical et de la surveillance médicale
adaptée aux populations ayant été exposées aux
fibres d'amiante.
La surveillance médicale des salariés exposés aux
poussières d'amiante a été instaurée dès
l'application de la politique d'usage contrôlée de l'amiante,
c'est-à-dire en 1977. Si l'on se réfère aux exemples des
travailleurs de la mine de Canari ou de l'entreprise Amisol, on
s'aperçoit que ce suivi médical n'a pas véritablement
existé. Aujourd'hui, la réglementation du 7 février 1996
permet une surveillance médicale renforcée des ouvriers des
secteurs 1 et 2, et une surveillance médicale limitée pour les
travailleurs du secteur 3. Les difficultés de la mise en place de la
surveillance médicale conduiront à s'interroger sur la meilleure
manière de l'adapter à la situation réelle des
travailleurs. La surveillance médicale des populations
extra-professionnelles sera encore plus complexe à mettre en oeuvre.
a) l'échec du passé en matière de recensement et de suivi médical : Canari et Amisol
Il faut à tout prix éviter de recommencer les
erreurs du passé.
Le recensement et le suivi médical de deux populations bien
particulières, les ouvriers de la mine de Canari (Haute-Corse) et les
salariés de l'entreprise Amisol (Clermont-Ferrand) ont été
totalement déficients.
Aujourd'hui, à Amisol, il n'y a pas de recensement des salariés
qui ont été exposés aux fibres d'amiante et il n'y a pas
de suivi médical systématique de ces populations.
A Canari, mine française exploitée dans les années 1950 et
1960 (fermeture en 1965), ont été employés de 600 à
700 mineurs. Le Professeur BOUTIN, de Marseille, a retrouvé en 1978 205
de ces mineurs. Beaucoup ont été perdus de vue :
travailleurs étrangers (Italiens et Nord-Africains). A cette date, sur
les 205 mineurs examinés, il y avait :
- 50 % de syndromes bronchiques (mais 75 % étaient des
fumeurs)
- 60 % d'anomalies radiologiques
- 35 décès ; on connaissait la cause de décès
de 17 d'entre eux : 11 cancers, dont 1 mésothéliome.
Il n'y a pas eu, depuis, de suivi systématique de cette population, ni
de surveillance épidémiologique, en l'absence de constitution
d'un groupe témoin.
b) une surveillance médicale renforcée pour les salariés des secteurs 1 et 2
La surveillance médicale des ouvriers des secteurs 1 et
2 a été renforcée par le décret n° 96-98 du 7
février 1996 et son arrêté d'application du 13
décembre 1996.
Désormais, le dossier médical de ces salariés est
conservé pendant 40 ans après la cessation de l'activité.
Ce délai a été prorogé depuis que l'on
connaît mieux les temps de latence des cancers de l'amiante. Si le
salarié change d'entreprise, son dossier médical est transmis,
avec son accord, au médecin du travail de sa nouvelle entreprise.
Après son départ en retraite, le dossier médical est
transmis à l'inspection médicale régionale du travail afin
d'y être conservé.
Enfin, une attestation d'exposition, remplie par l'employeur et par le
médecin du travail, est remise au salarié à son
départ de l'entreprise. Elle contient des éléments
d'identification du salarié, de l'entreprise et du médecin du
travail, ainsi que des éléments d'information sur son exposition
aux fibres d'amiante (nature des fibres, description du poste de travail,
durée de l'exposition, date et résultats des mesures
d'empoussièrement, nature des équipements de protection
individuelle et de protection collective) et sur les examens médicaux
qui ont été effectués sur le salarié.
La remise de cette attestation d'exposition au travailleur exposé est un
élément fort du suivi médical du salarié.
c) une surveillance médicale aujourd'hui limitée pour les travailleurs du secteur 3
La surveillance organisée pour les salariés du
secteur 3 est plus limitée que celle des salariés du traitement
et de l'enlèvement de l'amiante ; elle permettra difficilement un suivi
correct de ces populations.
La seule disposition prévue par le décret du 7 février
1996 impose au chef d'entreprise d'établir une fiche d'exposition pour
chacun des travailleurs concernés par des travaux sur des
matériaux ou appareils susceptibles d'émettre des fibres
d'amiante. Cette fiche d'exposition doit préciser la nature et la
durée des travaux effectués, les procédures de travail
ainsi que les équipements de protection utilisés et, s'il est
connu, le niveau d'exposition. Elle est transmise à
l'intéressé et au médecin du travail.
Il est à la discrétion du médecin du travail, au vu
notamment de ces fiches, de décider de modalités
particulières de suivi médical, notamment la décision de
mise en surveillance médicale spéciale du salarié, la
constitution d'un dossier médical et d'une attestation d'exposition.
Il est difficile dans les petites entreprises d'avoir des informations exactes
sur la nature des travaux effectivement réalisés et sur les
risques qu'il font courir à ces travailleurs en contact seulement
occasionnel avec l'amiante. La fiche d'exposition permettra, certes, un
début de preuve de l'exposition du salarié aux poussières
d'amiante. On peut cependant s'interroger sur l'établissement
réel d'une telle fiche d'exposition dans les entreprises du secteur 3.
d) les complexités de la surveillance médicale et de son adaptation à la situation réelle des travailleurs
- les complexités de la surveillance
médicale
Il importe en fait de distinguer deux étapes de la surveillance
médicale : elles doivent obligatoirement être associées,
mais ne présentent pas les mêmes difficultés.
·
l'évaluation de l'exposition actuelle (et à
venir)
Destinataire des fiches d'expositions établies par l'employeur, le
médecin du travail est confronté à deux difficultés
:
- la pertinence des renseignements recueillis, en particulier dans le
secteur 3. D'où l'importance d'une déclaration obligatoire de
travaux à chaque fois qu'une activité va (ou risque de)
entraîner une émission de fibres d'amiante.
- la rapidité du transfert de l'information de ces fiches vers le
médecin. Si l'on souhaite que celui-ci puisse participer à la
prévention technique, il faut qu'il puisse être informé en
temps réel. On peut imaginer la difficulté du suivi des
salariés des PME puisque, habituellement, le médecin ne sera en
contact avec ces entreprises qu'une fois par an.
·
l'évaluation de l'exposition ancienne
En application de l'arrêté du 13 décembre 1996, le
médecin du travail de l'employeur actuel doit assurer la surveillance
médicale spéciale résultant de l'ensemble des expositions
de chaque salarié, quelle qu'en fût la période et
l'entreprise où ces expositions ont eu lieu. On se heurte donc là
au problème majeur de la reconstitution des expositions individuelles du
passé.
- lorsqu'il s'agit d'expositions anciennes dans l'entreprise actuelle, il
est le plus souvent possible de reconstruire l'historique de l'entreprise, de
ses procédés (y compris des matériaux utilisés et
qui ont disparu) et donc des probabilités d'exposition en fonction des
postes de travail. Cette tâche sera d'autant plus facile à
réaliser qu'il existe des archives dans l'entreprise, ou qu'une
réflexion peut se mettre en place au niveau des branches
professionnelles.
- la situation la plus difficile concerne les expositions observées
dans les entreprises où le salarié a travaillé, et qui ont
bien souvent disparu. C'est là où, en l'absence de transmission
de fiches d'exposition par les médecins antérieurs (et qui
étaient pourtant prévues dès 1979), la tâche est la
plus aléatoire : il est néanmoins possible de mettre
à la disposition du médecin du travail des bases de
données comme la base EVALUTIL, lui permettant de déterminer la
probabilité d'exposition d'un salarié ayant travaillé dans
un type d'emploi donné, par rapport aux informations disponibles dans la
base concernant des emplois analogues.
Une partie de ces complexités pourraient être plus facilement
résolues si l'on donnait un rôle à l'hygiéniste du
travail (cf. chapitre III)
- la décision d'une surveillance médicale
appropriée
Ce n'est qu'au terme de ce travail très lourd que le médecin
pourra prendre la décision de la mise en place de la surveillance
médicale la plus adaptée. Dans le secteur 3, on peut ainsi
envisager 4 situations :
- exposition actuelle « maîtrisée »
(risque considéré comme non significatif) : surveillance
médicale habituelle avec tiers temps renforcé pour les actions en
milieu de travail.
- expositions anciennes à risque considéré comme
très faible (non significatif) : surveillance médicale
habituelle avec notification de l'exposition dans le dossier médical.
- exposition actuelle et/ou ancienne à risque significatif :
surveillance médicale spéciale selon l'arrêté du 13
décembre 1996.
Dans tous les cas de figure,
il importe que la notion de risque significatif
soit définie
. De même, il est important que le contenu de la
surveillance médicale spéciale et les modalités techniques
des bilans diagnostiques éventuels soient clairement
précisés. Il semble qu'à ce stade, la
tenue d'une
conférence de consensus
réunissant médecine du
travail, pneumologues et radiologues (selon les règles de l'ANDEM) soit
une nécessité.
e) le difficile recensement des autres populations exposées
Il n'est pas prévu, à ce jour, de suivi
particulier des populations qui vivent et travaillent dans les bâtiments
amiantés, ni des populations dépourvues d'activité
professionnelle. Il sera difficile à mettre en place, et ne pourrait se
faire que par les Caisses Primaires, à la demande des médecins
traitants. A cet égard, le recensement des bâtiments prévu
par le décret du 7 février 1996 et la conservation par les DRASS,
comme nous l'avons vu précédemment, des documents relatifs aux
mesures d'empoussièrement effectuées dans les bâtiments
sera un élément déterminant pour connaître le niveau
d'exposition de ces populations et, si nécessaire, pour
reconnaître leur risque d'exposition.
Les critères permettant d'initier la surveillance de ces populations
devront également être étudiés par la
conférence de consensus. Là encore, la notion de risque
« significatif » sera certainement un élément
déterminant.
Aujourd'hui, en 1997, en raison de l'incertitude de nos connaissances
médicales et épidémiologiques, on n'est pas à
l'abri de voir apparaître des maladies liées à l'amiante
dans des publics aujourd'hui inconnus.
f) la prise en compte du caractère "insalubre" du travail de l'amiante
Il nous semblerait équitable que les travailleurs de
l'amiante
, qui ont assumé un risque pour leur santé,
puissent se voir compenser l'accomplissement de ces services par des
bonifications d'assurance vieillesse
.
Ce système de bonifications existe à EDF. Les salariés
ayant été exposés à des travaux insalubres se
voient attribuer une bonification d'ancienneté de 4 mois par
année de service dans la catégorie "insalubre". Figure, dans la
catégorie des travaux "insalubres", "une exposition continue ou
discontinue à la nuisance amiante égale ou supérieure
à 350 heures pendant une période de 12 mois consécutifs".
Une proposition de loi présentée par M. Pierre CARDO le 14
novembre 1996 prévoit qu'un statut de travailleur de l'amiante soit
accordé à ceux qui ont passé au moins 5 ans dans un milieu
sous amiante. Elle vise en fait essentiellement les salariés des
secteurs 1 et 2. Elle prévoit d'accorder une bonification de la
durée d'assurance vieillesse pour le calcul de la retraite de ces
travailleurs.
Il faudrait peut-être aller encore au-delà et accorder aux
travailleurs de l'amiante la possibilité de bénéficier
d'une préretraite dont les modalités seront à
définir.