TITRE VII
DE LA DÉMOCRATIE LOCALE
ET DE L'ÉVOLUTION DES
DÉPARTEMENTS D'OUTRE-MER
Ce
titre, qui comprend un article unique, a pour objet d'instituer, dans les
régions d'outre-mer monodépartementales, un Congrès
réunissant le conseil général et le conseil
régional et ayant vocation à formuler des propositions
d'évolution institutionnelle.
Il s'agit là de la mise en oeuvre de l'une des principales propositions
du rapport élaboré par MM. Claude Lise et
Michel Tamaya.
Estimant qu' "
à défaut de pouvoir modifier
l'article 73 de la Constitution
", les changements
institutionnels, y compris la simple mise en place d'une assemblée
unique, ne pourraient être mis en oeuvre dans l'immédiat,
MM. Claude Lise et Michel Tamaya ont néanmoins
constaté la nécessité d'une plus grande coopération
entre les collectivités régionale et départementale et
souhaité permettre l'engagement d'un processus d'évolution
institutionnelle. Cette double préoccupation les a conduit à
proposer la mise en place d'une nouvelle institution : le Congrès,
réunion des deux assemblées délibérantes, qui
aurait eu pour compétences :
- d'une part, de coordonner l'action des deux assemblées pour
gérer les compétences partagées dans les domaines des
transports, du logement et de l'aménagement du territoire ;
- et, d'autre part, d'initier le processus conduisant à une
éventuelle évolution statutaire en adressant au Gouvernement des
propositions en ce sens.
Le Gouvernement a repris à son compte cette proposition de
création d'un Congrès. Cependant, il a souhaité limiter
les prérogatives du Congrès au seul pouvoir de proposition en
matière statutaire, afin d'éviter de lui donner le
caractère d'une assemblée permanente. La création d'une
assemblée permanente nouvelle dans les seuls départements
d'outre-mer est en effet apparue susceptible de présenter de
sérieux risques d'inconstitutionnalité, eu égard à
la jurisprudence du Conseil constitutionnel, selon laquelle les adaptations
prévues à l'article 73 de la Constitution ne sauraient avoir
pour effet de conférer aux départements d'outre-mer une
"
organisation particulière
" prévue par
l'article 74 de la Constitution pour les seuls territoires
d'outre-mer
39(
*
)
.
A titre personnel, votre rapporteur considère que la création
d'un Congrès aurait pu constituer un moyen de rechercher une
évolution institutionnelle adaptée. Cette proposition lui
paraissait donc mériter un examen attentif, quitte à envisager
d'en modifier les modalités et notamment l'appellation peu heureuse de
Congrès, source de confusion avec le Congrès du Parlement se
réunissant à Versailles, voire avec le Congrès
américain.
Cependant, votre commission des Lois constate que le projet de création
du Congrès est loin de faire l'unanimité, et notamment qu'il a
suscité l'avis défavorable de six des huit assemblées
locales concernées. Elle souligne en outre que la procédure
envisagée serait particulièrement lourde : réunion
solennelle du conseil général et du conseil régional en
Congrès, puis délibération de ces deux assemblées
sur les propositions du Congrès, et ensuite transmission au Premier
ministre en vue d'une éventuelle consultation de la population locale.
Votre commission considère que cette procédure risque
d'être difficile à faire fonctionner et d'aboutir de fait à
la création d'une troisième assemblée dont le rôle
serait ambigu. Elle s'interroge par ailleurs sur sa constitutionnalité.
Aussi votre commission vous propose-t-elle d'adopter un
amendement de
suppression du titre VII
du projet de loi qui comporte un article
unique, l'article 39 prévoyant la création d'un
Congrès dans les régions monodépartementales.
Article 39
(art. L. 5911-1 à L. 5916-1 du code
général des collectivités
territoriales)
Création d'un Congrès
dans les
régions monodépartementales d'outre-mer
Cet article tend à insérer à la fin de la cinquième partie du code général des collectivités territoriales, consacrée à la coopération locale, un livre IX nouveau intitulé " Dispositions particulières aux départements et aux régions d'outre-mer " et composé d'un titre unique intitulé " Le Congrès ", comprenant 12 articles nouveaux répartis en six chapitres.
Article
L. 5911-1 du code général des collectivités
territoriales
Composition du Congrès
Le texte
proposé pour cet article unique d'un chapitre premier intitulé
"
Composition
" tend à la création d'un
Congrès "
dans les régions d'outre-mer qui comprennent un
seul département
". Dans la mesure où l'article 38
du projet de loi prévoit la création d'un deuxième
département à la Réunion, le Congrès ne serait donc
institué que dans les seuls départements français
d'Amérique.
Le Congrès serait composé des conseillers généraux
et des conseillers régionaux ; y siégeraient en outre, avec
voix consultative, les parlementaires non membres du conseil
général, ni du conseil régional.
A l'initiative de sa commission des Lois, l'Assemblée nationale a
précisé que chaque membre du Congrès ne pourrait disposer
que d'une seule voix délibérative, même s'il était
à la fois membre du conseil général et membre du conseil
régional.
Article
L. 5912-1 du code général des collectivités
territoriales
Convocation du Congrès
Inséré au début d'un chapitre II
intitulé "
Fonctionnement
", le texte proposé
pour cet article définit les modalités de convocation du
Congrès.
Celui-ci n'ayant pas le caractère d'une assemblée permanente, il
ne se réunirait pas régulièrement dans le cadre de
sessions périodiques, mais uniquement à l'initiative du conseil
général ou du conseil régional, sur un ordre du jour
déterminé par une délibération prise à la
majorité des suffrages exprimés des membres de cette
assemblée ; bien entendu, il ne pourrait se réunir
concomitamment aux séances de l'une ou l'autre des deux
assemblées.
Le texte proposé prévoit en outre l'envoi aux membres du
Congrès, au moins dix jours francs avant sa réunion, d'une
convocation accompagnée d'un rapport sur chacun des points inscrits
à l'ordre du jour. Conformément aux dispositions prévues
à l'article L. 5913-1, il appartiendrait au Président
du Congrès, c'est-à-dire alternativement au président du
conseil général et au président du conseil
régional, de procéder à cette convocation.
Article
L. 5912-2 du code général des collectivités
territoriales
Publicité des séances du Congrès
Le texte
proposé pour cet article constitue la transposition au Congrès
des dispositions de l'article L. 3121-11 du code
général des collectivités territoriales relatif à
la publicité des séances du conseil général :
il pose le principe de la publicité des séances du
Congrès, sous réserve de la faculté de siéger
à huis clos après décision, à la majorité
absolue des membres présents ou représentés, sur une
demande de cinq membres ou du président ; est en outre
prévue la possibilité d'une retransmission audiovisuelle des
séances.
Le texte initial du projet de loi précisait par ailleurs que le
Congrès établirait son règlement intérieur.
Cependant, à l'initiative de M. Camille Darsières, et
avec l'avis favorable de M. Jérôme Lambert, rapporteur,
l'Assemblée nationale a supprimé cette disposition, le
Gouvernement s'en étant remis à la sagesse de l'Assemblée,
estimant qu'il appartiendrait à chaque Congrès d'établir
son règlement intérieur, sans qu'il soit indispensable de rendre
celui-ci obligatoire en l'inscrivant dans la loi.
Article
L. 5912-3 du code général des collectivités
territoriales
Police du Congrès
Le texte proposé pour cet article reproduit exactement les dispositions de l'article L. 3121-12 du code général des collectivités territoriales, relatif au pouvoir de police du président du conseil général ; il permet ainsi au président du Congrès de faire expulser toute personne troublant l'ordre, ainsi que de saisir le procureur de la République d'éventuels crimes ou délits commis au cours des séances.
Article
L. 5912-4 du code général des collectivités
territoriales
Procès-verbaux des séances
Le texte
proposé pour cet article s'inspire des dispositions des
articles L. 3121-13 et L. 3121-17 du code général
des collectivités territoriales relatives à la rédaction
et à la publicité des procès-verbaux du conseil
général : il prévoit en effet la rédaction
d'un procès-verbal de chaque séance, sa publication et sa
communication à tout contribuable ou électeur du
département en faisant la demande.
Cependant, compte tenu de la spécificité du Congrès, une
disposition nouvelle est ajoutée pour prévoir la transmission des
procès-verbaux au conseil général et au conseil
régional.
Article
L. 5913-1 du code général des collectivités
territoriales
Président du Congrès
Inséré au début d'un chapitre III
intitulé "
Le président
", le texte
proposé pour cet article prévoit une présidence
alternée du Congrès par le président du conseil
général et le président du conseil régional, avec
changement de présidence chaque semestre. Ce système de
présidence tournante permet d'éviter de prévoir
l'élection d'un président spécifique au Congrès,
tout en assurant un équilibre entre les deux assemblées qui le
composent.
Le texte proposé précise en outre qu'en cas d'empêchement
du président, celui-ci serait remplacé par un
vice-président ou un membre de l'assemblée à laquelle il
appartient, dans les conditions respectivement prévues par les
articles L. 3122-2 et L. 4133-2 du code général
des collectivités territoriales, pour la présidence du conseil
général et du conseil régional.
Article
L. 5913-2 du code général des collectivités
territoriales
Secrétariat du Congrès
Le texte
proposé pour cet article prévoit que l'assemblée dont le
président est issu devrait mettre à la disposition du
Congrès les moyens nécessaires à son fonctionnement afin
notamment d'assurer le secrétariat des séances.
Le Congrès n'aurait donc pas de services propres, ses moyens de
fonctionnement lui étant alternativement fournis par le conseil
général et le conseil régional.
Article
L. 5914-1 du code général des collectivités
territoriales
Garanties attachées à la qualité de
membre du Congrès
Le texte
proposé pour cet article, inséré dans un chapitre IV
intitulé "
Garanties attachées à la qualité
de membre du Congrès
", a pour objet de rendre applicables aux
membres du Congrès les garanties dont ils bénéficient
lorsqu'ils siègent dans leur assemblée d'origine, à
savoir :
- l'obligation pour l'employeur de permettre à l'élu de
participer aux séances plénières et aux réunions de
commission (cf. art. L. 3123-1 et L. 4135-1 du code
général des collectivités territoriales) ;
- le bénéfice accordé à l'élu d'un
crédit d'heures forfaitaire trimestriel pour préparer les
réunions (cf. art. L. 3123-2 et L. 4135-2 du code
général des collectivités territoriales) sous
réserve du plafonnement du temps total d'absence (pour les
réunions et en vertu du crédit d'heures) à la
moitié de la durée légale du travail pour une année
civile (cf. art. L. 3123-3 et L. 4135-3 du code
général des collectivités territoriales) ;
- l'assimilation de ces absences à une durée de travail
effective pour la détermination des congés payés et des
prestations sociales, ainsi que pour la prise en compte de l'ancienneté
dans l'entreprise, aucune modification du contrat de travail ne pouvant
être effectuée par l'employeur en raison de ces absences
(cf. art. L. 3123-5 et L. 4135-5 du code
général des collectivités territoriales) ;
- et l'interdiction de tout licenciement, déclassement
professionnel ou sanction disciplinaire, qui serait justifié par ces
absences (cf. art. L. 3123-6 et L. 4135-6 du code
général des collectivités territoriales).
Article
L. 5915-1 du code général des collectivités
territoriales
Compétences du Congrès
Le texte
proposé pour cet article, placé au début d'un
chapitre V intitulé "
Rôle du
Congrès
", définit les compétences du
Congrès.
Selon sa rédaction telle qu'elle a été
précisée par l'Assemblée nationale sur la proposition de
sa commission des Lois, le Congrès aurait vocation à
délibérer :
- de toute proposition d'évolution institutionnelle et plus
particulièrement ;
- de toute proposition relative à de nouveaux transferts de
compétences de l'Etat vers le département et la région
concernés ;
- ainsi que de toute modification de la répartition des
compétences entre ces collectivités locales.
Ainsi que l'ont souhaité MM. Claude Lise et Michel Tamaya, le
Congrès pourrait donc être à l'initiative d'un processus
conduisant à une éventuelle évolution statutaire.
Cependant, ce pouvoir de proposition d'évolution institutionnelle
constitue la seule compétence conférée au Congrès
par le projet de loi.
Article
L. 5915-2 du code général des collectivités
territoriales
Transmission des propositions du Congrès au conseil
général,
au conseil régional et au Premier ministre
Le texte
proposé pour cet article prévoit la transmission des propositions
d'évolution institutionnelle adoptées par le Congrès au
conseil général et au conseil régional.
L'Assemblée nationale a précisé, suivant la proposition de
sa commission des Lois et de M. Ernest Moutoussamy, que cette transmission
devrait être faite dans un délai de quinze jours francs et,
suivant la proposition de Mme Christiane Taubira-Delannon, que le conseil
économique et social régional et le conseil de la culture, de
l'éducation et de l'environnement devraient être consultés
avant que le conseil général et le conseil régional ne
délibèrent sur les propositions du Congrès.
A l'initiative du Gouvernement, l'Assemblée nationale a en outre
prévu que les propositions du Congrès seraient également
transmises au Premier ministre (alors que le projet de loi initial ne
prévoyait la transmission au Premier ministre que des seules
délibérations du conseil général et du conseil
régional sur les propositions du Congrès).
Article
L. 5913-3 du code général des collectivités
territoriales
Délibérations du conseil
général et du conseil régional
sur les propositions du
Congrès
Le texte
proposé pour cet article prévoit l'obligation pour le conseil
général et le conseil régional de délibérer
sur les propositions qui leur sont transmises par le Congrès.
A l'initiative de sa commission des Lois, l'Assemblée nationale a
prévu que leurs délibérations seraient ensuite
systématiquement transmises au Premier ministre par le président
de l'assemblée intéressée (alors que dans le projet de loi
initial, cette transmission ne constituait qu'une simple faculté).
Le texte proposé prévoit en outre l'obligation pour le Premier
ministre d'accuser réception de ces délibérations dans les
quinze jours et de fixer le délai dans lequel il entend leur apporter
une réponse.
En revanche, contrairement à ce qu'ont souhaité MM. Claude
Lise et Michel Tamaya, le texte ne fixe pas lui-même ce dernier
délai, ce qui pourrait être considéré par le Conseil
constitutionnel comme une injonction au Gouvernement contraire à la
Constitution. Le Conseil constitutionnel a en effet considéré,
dans une décision n° 91-290 DC du Conseil
constitutionnel en date du 9 mai 1991, que "
le
législateur ne saurait, sans excéder la limite de ses pouvoirs,
enjoindre au Premier ministre de donner une réponse dans un délai
déterminé à une proposition de modification de la
législation ou de la réglementation, émanant de l'organe
délibérant d'une collectivité locale
".
Article
L. 5916-1 du code général des collectivités
territoriales
Consultation des populations intéressées
Le texte
proposé pour cet article, inséré dans un chapitre VI
intitulé "
Consultation des populations
",
prévoit la possibilité pour le Gouvernement, au vu des
propositions adoptées par le Congrès et des
délibérations du conseil général et du conseil
régional sur ces propositions, de déposer un projet de loi
organisant la consultation de la population du département d'outre-mer
concerné sur une évolution institutionnelle proposée par
le Congrès.
Cette disposition répond aux préoccupations exprimées dans
leur rapport par MM. Claude Lise et Michel Tamaya, qui souhaitaient que
les populations locales soient consultées avant qu'un processus de
révision institutionnelle ne soit engagé.
Cependant, même si les résultats d'une consultation
effectuée dans ce cadre ne sauraient avoir de valeur contraignante pour
le Gouvernement, on peut s'interroger sur la constitutionnalité d'une
consultation à caractère référendaire de la
population d'une département d'outre-mer sur son avenir statutaire.
Certes, le Conseil constitutionnel a récemment admis, dans sa
décision n° 2000-428 DC du 4 mai 2000, la
conformité à la Constitution de la loi organisant une
consultation de la population de Mayotte sur l' "
accord sur
l'avenir de Mayotte
", mais il s'agissait là d'une
collectivité territoriale à statut particulier, assimilée
par le Conseil constitutionnel à un territoire d'outre-mer au sens du
deuxième alinéa du Préambule de la Constitution de
1958
40(
*
)
, et non d'un
département d'outre-mer. En tout état de cause, la question
posée devrait répondre à la double exigence de
clarté et de loyauté de la consultation imposée par la
jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Outre ces interrogations sur la constitutionnalité du dispositif
prévu par l'article 39 du projet de loi, votre commission constate
qu'il soulève de vives controverses et craint qu'il soit difficile de le
faire fonctionner efficacement. Elle considère en outre qu'elle risque
d'aboutir à la création d'une troisième assemblée
au rôle ambigu.
Votre commission vous propose donc d'adopter un
amendement
de
suppression de l'article 39
du projet de loi.