ANNEXE 1
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AUDITION DE M. JEAN-JACK QUEYRANNE,
SECRÉTAIRE D'ETAT À
L'OUTRE-MER
Après que M. Jacques Larché,
président, eut rappelé qu'une délégation de la
commission avait effectué une mission d'information à Mayotte au
début du mois de janvier dernier, M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer, a présenté les
principaux aspects du projet de loi.
Il a tout d'abord rappelé que Mayotte comptait, au dernier recensement
de 1997, 131.000 habitants sur 373 km2, soit une densité cinq
fois supérieure à celle de la métropole, auxquels
s'ajoutaient les 15.000 Mahorais vivant à la Réunion ou en
métropole.
Il a également rappelé que Mayotte était devenue
française dès 1841, avant les autres îles de l'archipel des
Comores, auxquelles elle fut rattachée administrativement par la suite.
Il a précisé que les Mahorais avaient manifesté leur
particularisme en choisissant le maintien au sein de la République
française au moment où les autres îles s'engageaient sur la
voie de l'indépendance, la loi du 3 juillet 1975 ayant
disposé que le référendum d'autodétermination des
Comores serait mis en oeuvre île par île.
Le secrétaire d'Etat a expliqué que la question du statut de
Mayotte était demeurée en suspens depuis près de
25 ans, à la suite du rejet, par les Mahorais, en 1976, de
l'indépendance, puis du maintien du statut de territoire d'outre-mer,
suivi de l'adoption de la loi du 24 décembre 1976 érigeant
Mayotte en collectivité territoriale à statut particulier sur le
fondement de l'article 72 de la Constitution.
Il a en effet souligné que la consultation des Mahorais sur
l'évolution du statut de la collectivité territoriale,
prévue successivement par les lois du 24 décembre 1976 et du
22 décembre 1979, n'avait jamais été organisée
et que le statut conçu comme provisoire en 1976 avait donc
perduré.
Il a ajouté qu'afin de remédier à l'incertitude sur le
droit applicable à Mayotte dans de nombreux domaines, un certain nombre
d'ordonnances avaient été prises afin d'étendre à
Mayotte, moyennant adaptations, certains volets de la législation
métropolitaine.
Puis M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, a
indiqué qu'après un premier déplacement effectué
à Mayotte en novembre 1997, il avait engagé des discussions avec
l'ensemble des forces politiques mahoraises en vue d'une évolution du
statut, en suivant une démarche inspirée de celle retenue en
Nouvelle-Calédonie pour parvenir à la signature de l'accord de
Nouméa, et en s'appuyant sur les travaux de deux commissions
présidées par MM. Bonnelle et Boisadam, anciens préfets de
Mayotte.
Il a précisé que ces négociations avaient abouti à
un accord conclu au début du mois d'août 1999 avec le
président du conseil général et les représentants
des principales formations politiques de Mayotte -les parlementaires
représentant la collectivité territoriale ayant cependant
refusé de s'y associer- puis approuvé par une majorité des
conseillers généraux et par 16 conseils municipaux sur 17,
et ensuite publié au Journal officiel, accord que le projet de loi
proposait de soumettre à la consultation de la population mahoraise. Il
a en outre rappelé que le Président de la République avait
approuvé cette démarche lors du sommet de la Commission de
l'Océan indien à la Réunion au mois de décembre
dernier, dans un contexte international apaisé.
Le secrétaire d'Etat a ensuite présenté les grandes lignes
du nouveau statut de Mayotte qui pourrait être mis en place à
l'issue de la consultation, grâce à l'adoption d'un projet de loi
élaboré sur la base des grandes orientations de l'accord
approuvé par les Mahorais. Il a expliqué que Mayotte resterait
une collectivité territoriale sui generis dans le cadre de
l'article 72 de la Constitution, qui se verrait qualifiée de
" collectivité départementale ", et resterait
régie par le principe de la spécialité législative,
car l'écart des niveaux de développement économique et
social et le statut personnel de la quasi-totalité des Mahorais
-régime de droit civil obéissant au droit coranique- excluaient
une transformation immédiate de Mayotte en département
d'outre-mer.
Il a cependant précisé qu'au cours d'une phase de transition, le
statut de Mayotte serait progressivement rapproché du droit commun
départemental issu de la décentralisation, notamment grâce
au transfert de l'exécutif de la collectivité du préfet au
président du conseil général, à une réforme
des compétences du département et des communes, et à une
rénovation de l'état civil et une clarification du statut de
droit personnel, ajoutant que les crédits inscrits dans le cadre du
contrat de plan permettraient de financer les efforts de rattrapage
économique et social nécessaires.
Il a enfin précisé que l'accord soumis à la consultation
fixait une " clause de rendez-vous " en 2010, date à laquelle
toutes les options d'évolution statutaire resteraient ouvertes, y
compris une éventuelle transformation en département d'outre-mer
(DOM), sous réserve toutefois d'une éventuelle évolution
du statut de DOM.
Après avoir estimé que le projet de loi répondait au souci
exprimé par le législateur en 1976 et en 1979 en permettant de
consulter la population de Mayotte sur son avenir institutionnel, M. Jean-Jack
Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, a
précisé que la consultation prévue par ce projet de loi ne
constituait pas un référendum au sens de l'article 11 de la
Constitution -l'ensemble de la population française n'étant pas
appelée à y participer-, ni une consultation s'inscrivant dans le
cadre du troisième alinéa de l'article 53 de la Constitution
-la question posée ne portant pas sur une éventuelle accession
à l'indépendance.
Il a d'ailleurs rappelé que l'article L. 2142-1 du code
général des collectivités territoriales prévoyait
la possibilité de consulter la population communale sur tout sujet
d'intérêt municipal et qu'il existait un précédent
de consultation de la population mahoraise sur le choix d'un statut, dont le
principe avait été admis par une décision du Conseil
constitutionnel du 30 décembre 1975, précisant en outre
que le Gouvernement réfléchissait actuellement à
l'institution, dans les départements d'outre-mer, d'une procédure
de consultation préalable des populations locales sur les changements
statutaires.
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, a
considéré que la consultation prévue par le projet de loi
répondait aux obligations de clarté et de loyauté de la
question posée, imposées par la jurisprudence du Conseil
constitutionnel aux termes de sa décision du 2 juin 1987 concernant
une consultation de la population de Nouvelle-Calédonie. Il a en effet
considéré qu'il n'y avait pas d'ambiguïté entre le
statut de collectivité départementale et celui de
département d'outre-mer, compte tenu du maintien du principe de
spécialité législative, soulignant à nouveau qu'une
transformation immédiate de Mayotte en département d'outre-mer
aurait été incompatible avec le maintien d'un statut de droit
civil particulier.
Enfin, le secrétaire d'Etat a présenté les
différents articles du projet de loi qui précisent la formulation
de la question posée aux électeurs de Mayotte, ainsi que les
modalités de mise en oeuvre de la consultation, notamment en instituant
une commission de contrôle des opérations électorales et en
organisant la campagne radiotélévisée officielle. Il a
conclu en déclarant que ce projet de loi marquait une nouvelle
étape dans l'histoire de Mayotte.
A l'issue de cet exposé, M. José Balarello, rapporteur,
après avoir évoqué la mission qu'il avait conduite au nom
de la commission à Mayotte, a souligné qu'à la
différence de la situation de la Nouvelle-Calédonie, les Mahorais
souhaitaient quasi unanimement rester Français et obtenir le statut de
département d'outre-mer. Il a demandé au secrétaire d'Etat
pourquoi il n'avait pas souhaité mettre en oeuvre la consultation
prévue par la loi de 1976 modifiée en 1979, toujours en vigueur.
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, a
constaté que le législateur de l'époque s'était
engagé à organiser une consultation faisant
référence à une option en faveur du département
d'outre-mer car cette dernière était alors souhaitée pour
garantir l'ancrage de Mayotte au sein de la République française,
mais qu'aucun Gouvernement n'avait mis en oeuvre cette consultation depuis
lors, la transformation en département s'étant
révélée juridiquement impraticable. Il a
considéré qu'en dépit d'une profonde évolution de
Mayotte depuis 25 ans, les spécificités de la
société mahoraise rendaient inapplicable le texte de 1979, mais
qu'il importait cependant d'organiser une consultation de la population locale
conformément aux engagements pris par le Premier ministre et par le
Président de la République. Il a en outre jugé
préférable de soumettre à cette consultation les grandes
orientations d'une réforme, plutôt qu'un projet de loi statutaire
qui relevait du travail du législateur.
Après avoir rappelé que le statut de " collectivité
départementale " s'inscrivait dans le prolongement des travaux de
la commission présidée par le Préfet Bonnelle, le
secrétaire d'Etat a souligné que le contexte international avait
évolué favorablement, relevant que les propos tenus par le
Président de la République au mois de décembre dernier en
présence de représentants d'Etats étrangers n'avaient pas
suscité de réaction sur place et qu'une équipe de football
malgache s'était récemment rendue à Mayotte alors que,
précédemment, les Mahorais n'avaient pas été admis
à participer aux Jeux de l'Océan indien.
M. José Balarello, rapporteur, ayant demandé au secrétaire
d'Etat des précisions sur le futur statut de " collectivité
départementale " de Mayotte, M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer, a précisé qu'il
s'agissait bien d'une collectivité territoriale sui generis s'inscrivant
dans le cadre de l'article 72 de la Constitution, mais que l'adjectif
" départementale " traduisait la volonté d'une
évolution progressive vers le statut des conseils généraux
nationaux, qui se traduirait notamment par la coïncidence des
élections au conseil général de Mayotte et des
élections cantonales en métropole, ainsi que par le transfert de
l'exécutif du conseil général de Mayotte à son
président.
Puis en réponse aux interrogations de M. José Balarello,
rapporteur, sur les perspectives d'évolution du droit civil, et
notamment du droit de la famille, des compétences des cadis et du
régime foncier, M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat
à l'outre-mer, a indiqué qu'il présenterait le lendemain
en Conseil des ministres deux ordonnances tendant à réformer
l'état civil de Mayotte afin de l'inscrire dans le cadre de notre
législation républicaine, que la justice cadiale serait
recentrée sur des fonctions de médiation et que les
crédits inscrits dans le contrat de plan permettraient de financer le
début de l'élaboration du cadastre. S'agissant du statut
personnel, il a déclaré que la jeune génération
mahoraise souhaitait un rapprochement avec le droit civil applicable en
métropole, mais qu'il était difficile de préciser dans
quels délais cette évolution pourrait intervenir.
Soulignant que contrairement aux élus des Antilles et de la Guyane, les
élus mahorais ne semblaient pas favorables au développement de la
coopération régionale, M. José Balarello, rapporteur, a
interrogé le secrétaire d'Etat sur l'étendue des
compétences susceptibles d'être conférées à
la nouvelle collectivité départementale dans ce domaine.
En réponse, M. Jean-Jack Queyranne a relevé qu'il s'agissait
là d'une question très sensible en raison des problèmes
liés à l'immigration clandestine à Mayotte, notant que sur
6.200 accouchements effectués à l'hôpital de Mayotte
en 1999, 3.000 seulement concernaient des femmes mahoraises. Il a cependant
estimé que Mayotte ne pourrait pas rester refermée sur
elle-même et devrait jouer un rôle dans la zone géographique
en matière économique, culturelle et sanitaire, tout en
soulignant les difficultés liées à la situation politique
actuelle des Comores et à ses conséquences, notamment dans le
domaine sanitaire. Il a en outre constaté que les jeunes Mahorais se
montraient favorables à une meilleure insertion de la
collectivité dans son environnement régional.
M. José Balarello, rapporteur, a souhaité que des
négociations communautaires soient engagées afin de permettre
à Mayotte de bénéficier des fonds structurels
européens.
A ce sujet, M. Jacques Larché, président, s'est
interrogé sur le point de savoir si les départements d'outre-mer
pourraient conserver le bénéfice des fonds structurels
européens dans l'hypothèse d'une transformation de leur statut.
Après avoir rappelé que sept régions
ultrapériphériques -dont les quatre départements
d'outre-mer français- avaient actuellement accès aux fonds
structurels européens, M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat
à l'outre-mer, a souligné que l'éligibilité aux
fonds structurels européens nécessitait une mise en
conformité avec le droit communautaire, notamment en matière de
droits de douane, relevant par ailleurs que la Convention européenne des
droits de l'homme n'était pas applicable à Mayotte. Il a
ajouté qu'il avait appelé l'attention de la Commission
européenne sur la nécessité de tenir compte du retard de
développement économique de Mayotte pour l'attribution des aides
qui lui sont attribuées dans le cadre de son statut de PTOM (pays et
territoires d'outre-mer) associé à l'Union européenne.
M. José Balarello, rapporteur, a émis le voeu que la recherche
d'un accord puisse être poursuivie sur la formulation de la question
à poser aux Mahorais, afin de trouver une solution acceptable par tous
les représentants des différentes formations politiques
mahoraises, soulignant qu'une division des Mahorais lors de la consultation sur
l'évolution du statut risquerait d'être mal comprise au sein des
instances internationales et parmi les partenaires européens de la
France. En conséquence, il a demandé à M. Jean-Jack
Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, si l'on ne pourrait
pas envisager de compléter la question posée aux Mahorais en
faisant référence à la perspective du vote en 2010 d'un
projet de loi fixant, dans le cadre de la République, le statut
définitif de Mayotte.
M. Daniel Hoeffel s'est demandé si les traditions ancestrales ne
constituaient pas un facteur de stabilité à Mayotte et si une
évolution du droit de la famille, du droit successoral et du rôle
des cadis vers un alignement sur le droit commun ne comporterait pas un risque
de déstabilisation de la société mahoraise.
M. Jacques Larché, président, a fait part de son
scepticisme quant à la possibilité d'appliquer l'ensemble du
droit métropolitain à Mayotte.
Après avoir rappelé le combat mené par les élus
mahorais pour rester Français, M. Jean-Jacques Hyest a
constaté l'impossibilité d'une transformation immédiate de
Mayotte en département compte tenu de ses spécificités et
a estimé que le statut de collectivité départementale
constituerait un progrès. Il a interrogé M. Jean-Jack Queyranne
sur le problème de la maîtrise des flux migratoires,
considérant qu'une réflexion devrait être menée en
vue de développer la coopération régionale afin de
réduire la pression migratoire sur Mayotte.
M. Lucien Lanier a estimé que la mise en place d'un département
à Mayotte constituait une vue de l'esprit, soulignant par ailleurs
qu'elle aurait un coût très élevé. Il a fait part de
son intérêt pour un statut transitoire permettant des
évolutions ultérieures.
M. Michel Duffour s'est félicité des initiatives prises par M.
Jean-Jack Queyranne en faveur de Mayotte dès le mois de novembre 1997.
Après avoir précisé qu'il avait rencontré des
interlocuteurs mahorais ouverts à la perspective d'une meilleure
insertion dans l'environnement régional, il s'est interrogé sur
les raisons qui avaient amené certains élus mahorais à
s'opposer au principe de l'organisation d'une nouvelle consultation de la
population en 2010.
Répondant à l'ensemble des intervenants, M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer, a tout d'abord rappelé
que le statut personnel était garanti par l'article 75 de la
Constitution, et qu'il faudrait envisager une évolution progressive vers
le statut de droit commun.
Au sujet de la maîtrise des flux migratoires, il a précisé
qu'une ordonnance serait prochainement prise afin de moderniser le droit
applicable à Mayotte en la matière, qui résultait de
textes très anciens datant du XIX
è
siècle. Il a
approuvé l'idée d'un développement des actions de
coopération régionale dans ce domaine, tout en soulignant de
nouveau les difficultés liées à la situation actuelle des
Comores, notamment dans le domaine sanitaire.
Il a estimé que la question de l'enracinement de Mayotte dans la
République ne se posait plus aujourd'hui et qu'il convenait de faire
évoluer progressivement son statut en tenant compte des
spécificités locales.
Après avoir constaté que certains signataires de l'accord sur
l'avenir de Mayotte n'avaient pas souhaité qu'une nouvelle consultation
de la population mahoraise soit organisée dans dix ans, il a
souligné que celle-ci n'était pas exclue, mais qu'il serait
légitime que le conseil général prenne l'initiative d'une
évolution statutaire.
Considérant qu'un consensus serait bien entendu souhaitable, le
secrétaire d'Etat s'est déclaré prêt à
réaffirmer que le choix du département resterait possible, tout
en estimant qu'il ne serait pas opportun de l'inscrire dans la loi. Il a en
outre fait part de ses réserves sur la constitutionnalité d'une
disposition qui prévoirait l'obligation de légiférer
à nouveau sur ce sujet en 2010.