III. LES PROPOSITIONS DE VOTRE COMMISSION DES LOIS : ÉTENDRE LE CHAMP DE LA RECONNAISSANCE ET RETENIR LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES DE LA PROPOSITION DE LOI
Votre
commission partage la préoccupation exprimée par
Mme Christiane Taubira-Delannon, auteur de la proposition, dans le
beau discours qu'elle a prononcé le 22 octobre 1999 devant le
Conseil exécutif de l'UNESCO :
" (...)
il nous faut dire quel est notre niveau de conscience universel
et ce que nous partageons avec les femmes et les hommes de toute la
planète, ce qui justifie que nous engagions nos forces dans des luttes
pour la justice. Il y a nécessité, bien entendu, d'envisager la
question des réparations ; en d'autres termes dire très
clairement quelle forme d'éducation nous allons donner à nos
enfants, aux générations futures, pour que cette histoire trouve
sa place dans l'histoire de l'humanité ; dire quelles institutions
culturelles nous allons encourager ; dire comment les politiques publiques
dans tous les domaines doivent converger, de façon à extirper les
racines du racisme et à détruire toutes les conditions de
reproduction des inégalités qui sont issues des injustices
élaborées à cette époque
".
L'esclavage est aujourd'hui clairement reconnu en tant que crime contre
l'humanité.
A l'évidence, l'esclavage et la traite
négrière pratiqués pendant près de quatre
siècles étaient constitutifs du crime contre l'humanité
tel que nous l'entendons aujourd'hui
. Rappelons que, selon la
définition d'André Frossard, "
Il y a crime contre
l'humanité quand l'humanité de la victime est
niée
".
Pour autant, de très nombreux événements de l'Histoire,
ancienne ou récente, étaient eux aussi constitutifs de crimes
contre l'humanité. Peut-on opérer une hiérarchisation
entre crimes, entre victimes ? Votre commission ne s'y est pas crue
autorisée.
Il convient d'ajouter que des crimes contre l'humanité sont encore
commis de nos jours, qu'il existe des formes modernes d'esclavage et que ces
phénomènes doivent mobiliser de manière prioritaire les
pouvoirs publics et les juridictions internationales et nationales.
A cet égard, votre commission souhaite que le statut de la Cour
pénale internationale puisse entrer en vigueur le plus rapidement
possible, afin que les crimes contre l'humanité, et notamment la
réduction en esclavage, puissent être mieux prévenus et
réprimés.
Votre commission a donc décidé de modifier l'article premier
de la proposition de loi, afin de rappeler que l'esclavage défini par
l'article 212-1 du code pénal constitue un crime contre
l'humanité, quels que soient l'époque et le lieu où il est
commis.
Votre commission a approuvé la modification de la loi de 1983 relative
à la commémoration de l'abolition de l'esclavage. Elle a
accepté le principe de la fixation d'une date de commémoration
sur le territoire métropolitain (
article 3 bis
de la proposition)
et a souhaité intégrer dans la loi de 1983 le texte de l'article
4 de la proposition de loi qui prévoit la création d'un
comité de personnalités chargé de proposer des lieux et
des actions de mémoire. Elle a donc inséré le texte de
l'
article 4
de la proposition dans l'article 3 bis. Elle a
également inséré à cet article la
préoccupation traduite par l'article 2 de la proposition de loi, en
prévoyant que ce comité fasse des propositions en matière
de programmes scolaires.
En revanche, votre commission a supprimé
l'article 3
de la
proposition de loi, prévoyant qu'une requête en reconnaissance de
la traite négrière et de l'esclavage comme crimes contre
l'humanité sera déposée auprès d'organisations
internationales. Outre qu'il s'agit d'une injonction au Gouvernement, une
commission de l'Organisation des Nations-Unies a déjà
adopté une résolution reconnaissant l'esclavage en tant que crime
contre l'humanité.
Enfin, votre commission a considéré que l'
article 5
était déjà satisfait par les dispositions
législatives permettant d'ores et déjà à de
nombreuses associations d'exercer les droits reconnus à la partie civile
dans les affaires de diffamation ou d'injures.
*
Pour
l'avenir, au vu de l'interdiction faite au Parlement français d'adopter
des résolutions, votre commission souhaite qu'une réflexion soit
ouverte sur la manière d'éviter d'inscrire dans la loi des
dispositions qui n'auraient pas vocation à y figurer, quelles que soient
les intentions incontestables, respectées et partagées de leurs
auteurs.
"
La loi ordonne, permet ou interdit
" peut-on lire sous la
plume de Sieyès, l'un des pères du code civil. La plupart des
dispositions de la présente proposition de loi ne correspondaient pas
à cette prescription. Rappelons également qu'aux termes de
l'article 34 de la Constitution, la loi "
fixe les
règles
" ou "
détermine les principes
fondamentaux
".
En 1991, le Conseil d'Etat s'est inquiété de l'évolution
préoccupante des lois : " (...)
comme chaque année,
le Conseil d'Etat a vu passer un nombre non négligeable de lois et
décrets, dont l'article premier est dépourvu de tout contenu
normatif ; encore se résigne-t-on lorsqu'il ne s'agit que de
l'article premier, car de plus en plus, le discours philosophique,
l'exposé de bonnes intentions, s'étend aux articles suivants,
quand il n'envahit pas le texte tout entier, réduit à une simple
formulation d'objectifs
"
2(
*
)
.
En fait, cette situation résulte probablement du fait que le
Parlement français est l'un des seuls au monde à ne pouvoir
prendre publiquement position qu'en votant les lois, en censurant le
Gouvernement ou en approuvant une déclaration de politique
générale. La plupart des parlements votent en effet des motions
ou des résolutions, qui leur permettent d'exprimer des positions n'ayant
pas de portée normative. En France, le vote de résolutions a
été limité par le Conseil constitutionnel en 1959, aux cas
prévus par la Constitution. Depuis 1992, les deux assemblées
peuvent voter des résolutions sur les propositions d'actes
communautaires qui lui sont soumises par le Gouvernement.
Il serait souhaitable de rechercher un moyen pour le Parlement de pouvoir
s'exprimer solennellement sur certains sujets sans avoir à recourir
à la loi, qui devrait demeurer normative.
*
* *
Sous le bénéfice de l'ensemble de ces observations et sous réserve des amendements qu'elle vous soumet, votre commission vous propose d'adopter la proposition de loi .