Rapport fait sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité et sur la proposition de loi de M. Michel DUFFOUR et plusieurs de ses collègues relative à la célébration de l'abolition de l'esclavage en France métropolitaine
SCHOSTECK (Jean-Pierre)
RAPPORT 262 (1999-2000) - commission des lois
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Table des matières
- LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION
-
EXPOSÉ GÉNÉRAL
- I. LA TRAITE NÉGRIÈRE ET L'ESCLAVAGE : UN CRIME ÉTENDU SUR PLUSIEURS SIÈCLES
- II. LE CONTENU DE LA PROPOSITION DE LOI ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE : LA RECONNAISSANCE DE LA TRAITE NÉGRIÈRE ET DE L'ESCLAVAGE A PARTIR DU XVÈME SIÈCLE EN TANT QUE CRIMES CONTRE L'HUMANITÉ
- III. LES PROPOSITIONS DE VOTRE COMMISSION DES LOIS : ÉTENDRE LE CHAMP DE LA RECONNAISSANCE ET RETENIR LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES DE LA PROPOSITION DE LOI
- EXAMEN DES ARTICLES
- TABLEAU COMPARATIF
N°
262
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000
Annexe au procès-verbal de la séance du 8 mars 2000
RAPPORT
FAIT
au
nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du Règlement et d'administration
générale (1) sur :
- la proposition de loi, ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,
tendant à la reconnaissance de la
traite
et de
l'
esclavage
en tant que
crime contre
l'humanité
;
- la proposition de loi de MM. Michel DUFFOUR, Robert PAGÈS,
Mme Marie-Claude BEAUDEAU, M. Jean-Luc BÉCART, Mmes Danielle
BIDARD-REYDET, Nicole BORVO, MM. Jean DERIAN, Guy FISCHER, Pierre LEFEBVRE,
Paul LORIDANT, Mme Hélène LUC, MM. Louis MINETTI, Jack
RALITE, Ivan RENAR, Mme Odette TERRADE et M. Paul VERGÈS, relative
à la célébration de l'abolition de l'esclavage en France
métropolitaine,
Par M.
Jean-Pierre SCHOSTECK,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ; René-Georges Laurin, Mme Dinah Derycke, MM. Pierre Fauchon, Charles Jolibois, Georges Othily, Michel Duffour, vice-présidents ; Patrice Gélard, Jean-Pierre Schosteck, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, secrétaires ; Nicolas About, Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, José Balarello, Jean-Pierre Bel, Christian Bonnet, Robert Bret, Guy-Pierre Cabanel, Charles Ceccaldi-Raynaud, Marcel Charmant, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Gérard Deriot, Gaston Flosse, Yves Fréville, René Garrec, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Jean-François Humbert, Pierre Jarlier, Lucien Lanier, Simon Loueckhote, François Marc, Bernard Murat, Jacques Peyrat, Jean-Claude Peyronnet, Henri de Richemont, Simon Sutour, Alex Türk, Maurice Ulrich.
Voir
les numéros
:
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Droits de l'Homme et libertés publiques. |
LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION
Réunie le mercredi 1
er
mars et le
mercredi 8 mars sous la présidence de
M. Jacques Larché, président, la commission des Lois a
examiné, sur le rapport de M. Jean-Pierre Schosteck,
la
proposition de loi n° 234
(1998-1999) adoptée par
l'Assemblée nationale, tendant à la reconnaissance de la
traite
et de l'
esclavage
en tant que
crime contre
l'humanité
et
la proposition de loi n° 406
(1997-1998) de M. Michel Duffour et plusieurs de ses collègues, relative
à la célébration de l'
abolition
de
l'esclavage
en France métropolitaine.
Le rapporteur a indiqué que la proposition de loi adoptée par
l'Assemblée nationale tendait principalement à la reconnaissance
par la République du caractère de crime contre l'humanité
de la traite négrière et de l'esclavage perpétrés
à partir du XVème siècle à l'encontre des
populations africaines, malgaches, indiennes et amérindiennes.
Il a précisé que la proposition prévoyait la fixation
d'une
date de commémoration
de l'abolition de l'esclavage en
métropole, le développement de la place consacrée à
l'esclavage dans les
manuels scolaires
, la mise en place d'un
comité de personnalités
chargé de proposer des
lieux et des actions pour perpétuer le souvenir de l'esclavage, le
dépôt d'une
requête en reconnaissance de l'esclavage
comme crime contre l'humanité
auprès d'organisations
internationales, enfin la possibilité pour les associations
défendant la mémoire des esclaves d'exercer les
droits
reconnus à la partie civile
pour certains délits.
Considérant que l'article 212-1 du code pénal fait
clairement de la réduction en esclavage un crime contre
l'humanité, la commission propose d'étendre le champ de la
reconnaissance prévue à l'article premier de la proposition de
loi, afin de
rappeler que, conformément aux dispositions du code
pénal, l'esclavage, quels que soient le lieu et l'époque
où il est commis, constitue un crime contre l'humanité
.
La commission a en outre estimé que certaines dispositions de la
proposition de loi n'étaient pas de nature législative. Elle a
approuvé la modification de la loi de 1983 relative à la
commémoration de l'abolition de l'esclavage pour prévoir la
fixation d'une date de commémoration en métropole
. Elle a
décidé d'intégrer dans la loi de 1983 la disposition de la
proposition de loi prévoyant la création d'un
comité de
personnalités qualifiées
tout en prévoyant que ce
comité pourrait formuler des recommandations relatives au contenu des
programmes scolaires. Elle a supprimé en conséquence les autres
dispositions de la proposition de loi.
La commission a
adopté la proposition de loi ainsi modifiée.
EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Le Sénat est appelé à examiner la proposition de loi
(n° 234) adoptée par l'Assemblée nationale tendant
à la
reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime
contre l'humanité
. Cette proposition de loi, déposée
à l'Assemblée nationale par
Mme Christiane Taubira-Delannon et plusieurs de ses collègues,
est inspirée par la volonté que l'un des plus grands crimes de
l'histoire de l'humanité ne disparaisse pas de la mémoire
collective. Comme l'indique l'exposé des motifs de la proposition de
loi : "
Les humanistes
(...)
disent, avec Elie Wiesel, que
le " bourreau tue toujours deux fois, la deuxième fois par le
silence
".
En 1998, la France a célébré le cent cinquantième
anniversaire du décret d'abolition de l'esclavage, signé par
Victor Schoelcher, qui siégea ultérieurement sur les bancs du
Sénat. De nombreuses manifestations ont été
organisées à cette occasion, tant en métropole que dans
les collectivités territoriales d'outre-mer. Au Sénat, a ainsi
été organisée une exposition retraçant le combat en
faveur de l'abolition de l'esclavage.
La présente proposition de loi doit permettre de perpétuer la
réprobation de crimes injustifiables en leur donnant le nom qu'ils
méritent à l'évidence, celui de crimes contre
l'humanité.
Sans prétendre à la connaissance profonde qui ressort du vibrant
rapport de notre collègue députée Mme
Taubira-Delannon
1(
*
)
, votre rapporteur,
après avoir brièvement rappelé quelques faits sur ce que
fut l'esclavage, tel qu'il est défini dans la proposition de loi,
présentera le contenu de celle-ci et les propositions de votre
commission des lois .
I. LA TRAITE NÉGRIÈRE ET L'ESCLAVAGE : UN CRIME ÉTENDU SUR PLUSIEURS SIÈCLES
La
proposition de loi soumise au Sénat tend à la reconnaissance en
tant que crime contre l'humanité de la
traite négrière
transatlantique ainsi que de la traite dans l'océan Indien d'une part,
de l'esclavage d'autre part, perpétrés à partir du
XVème siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans
l'océan Indien et en Europe contre les populations africaines,
amérindiennes, malgaches et indiennes
.
L'esclavage n'est pas apparu au XVème siècle, mais bien plus
tôt. Il s'agissait d'une pratique courante dans l'Antiquité. En
Grèce, certains citoyens ne pouvant payer leurs dettes étaient
condamnés à l'esclavage. Le même sort était
réservé aux prisonniers. A Rome, Jules César aurait
asservi et vendu un million de Gaulois en dix ans. Surtout, il semble que la
traite dite arabo-musulmane contre l'Afrique subsaharienne ait commencé
longtemps avant l'ère chrétienne puis se soit
développée à compter du septième siècle de
notre ère.
L'une des singularités de la traite négrière
transatlantique, de la traite dans l'océan indien et de l'esclavage
perpétrés par les pays européens à partir du
XVème siècle est son ampleur en ce qui concerne le nombre de
personnes impliquées. Au XVème siècle, en effet, la
découverte de l'Amérique et les grandes expéditions vers
le Nouveau Monde, conduisirent à l'apparition de la traite
négrière et du commerce dit " triangulaire ". Le
développement des cultures de plantation dans les colonies impliquait
une main d'oeuvre nombreuse qu'il était impossible de trouver sur place.
Les amérindiens, premiers habitants d'Amérique et des
Caraïbes avaient en effet été largement
décimés lors de la conquête de ces territoires. L'Afrique
allait dans ce contexte, fournir la main d'oeuvre que recherchait les
puissances européennes pour le développement de leurs colonies. A
la suite de l'Espagne, toutes les puissances coloniales européennes se
lancèrent au XVIème siècle dans un commerce
international systématique, en particulier l'Angleterre et la France.
Dans un premier temps, ce commerce fut un monopole d'Etat ; en France, il
fut ouvert aux négociants privés par les lettres patentes de 1716.
Dès 1685, fut promulgué le code noir, qui faisait figure de texte
libéral et était destiné à réglementer le
sort des esclaves. Il fut pendant plus de 160 ans le cadre légal de
l'esclavage.
Il est difficile de savoir le nombre exact de personnes qui firent l'objet de
la traite négrière et furent réduites en esclavage. Les
historiens estiment qu'
entre 15 et 30 millions de personnes furent
arrachées à l'Afrique
. Par ailleurs, 11 millions
d'Indiens environ vivaient sur le continent américain au début du
XVIème siècle ; ils n'étaient plus que deux
millions et demi à la fin du même siècle.
Le chemin qui conduisit à la disparition de ces pratiques fut long et
heurté. Au XVIIIème siècle, un mouvement se
développa en faveur de l'abolition de l'esclavage, grâce notamment
aux écrits de certains philosophes. Dès 1748, Montesquieu, dans
l'Esprit des Lois
, choisit l'ironie et la dérision pour
dénoncer toute l'horreur de l'esclavage :
"
Si j'avais à soutenir le droit que nous avons eu de rendre les
nègres esclaves, voici ce que je dirais : Les peuples d'Europe
ayant exterminé ceux de l'Amérique, ils ont dû mettre en
esclavage ceux de l'Afrique, pour s'en servir à défricher tant de
terres.
" (...) Ceux dont il s'agit sont noirs depuis les pieds jusqu'à la
tête ; et ils ont le nez si écrasé qu'il est presque
impossible de les plaindre.
" (...) Il est impossible que vous supposiez que ces gens-là soient
des hommes ; parce que, si nous les supposions des hommes, on commencerait
à croire que nous ne sommes pas nous-mêmes chrétiens.
" De petits esprits exagèrent trop l'injustice que l'on fait aux
Africains. Car, si elle était telle qu'ils le disent, ne serait-il pas
venu dans la tête des princes d'Europe, qui font entre eux tant de
conventions inutiles, d'en faire une générale en faveur de la
miséricorde et de la pitié ? "
Voltaire, à son tour, dénonça l'esclavage dans le
célèbre chapitre de
Candide
où ce dernier rencontre
un homme étendu à terre qui, après lui avoir
expliqué le traitement réservé aux esclaves,
conclut : "
C'est à ce prix que vous mangez du sucre en
Europe
".
La fin du XVIIIème siècle fut marquée par des
révoltes d'esclaves, en particulier dans les colonies françaises.
Ainsi en août 1791, une révolte d'esclaves, notamment
conduite par Toussaint Louverture déclencha une terrible insurrection
à Saint-Domingue où l'abolition de l'esclavage fut
proclamée le 29 août 1793.
Le 4 février 1794,
la Convention étendit cette décision à l'ensemble des
colonies françaises
. Néanmoins, Napoléon
rétablit l'esclavage en 1802.
En 1815, le
Congrès de Vienne
marqua le premier engagement
international contre la traite des esclaves, l'acte final du Congrès
déclarant "
le commerce connu sous le nom de traite des
nègres d'Afrique
[...]
comme répugnant aux principes
d'humanité et de morale universelle
".
Toutefois, malgré une loi d'avril 1818 interdisant aux citoyens
français de pratiquer la traite des noirs, cette pratique ne cessa pas
immédiatement, loin s'en faut.
En 1834, Victor Schoelcher créa avec le duc de Broglie la
Société pour l'abolition de l'esclavage. Il publia
également plusieurs ouvrages contre l'esclavage, en particulier
"
Des colonies françaises, abolition immédiate de
l'esclavage
" en 1842. En 1848, la révolution porta au pouvoir
un gouvernement au sein duquel Victor Schoelcher fut chargé du
secrétariat d'Etat aux colonies.
Un décret d'abolition de
l'esclavage fut signé le 4 mars 1848 par le Gouvernement
provisoire, dont les conditions d'application furent précisées
par un décret du 27 avril 1848
.
Les dernières phases de l'action officielle contre l'esclavage se
déroulèrent au niveau international. Les conférences de
Berlin en 1885 et de Bruxelles en 1890 permirent de progresser dans le sens
d'une condamnation de l'esclavage. Par la suite, la répression de la
traite des esclaves fut prévue par les articles 22 et 23 du pacte
de la société des nations. En 1926, fut signée une
convention relative à l'esclavage, visant les formes multiples
d'esclavage et de traite ainsi que le travail obligatoire.
En 1948, la déclaration universelle des droits de l'homme précisa
en son article 4 : "
Nul ne sera tenu en esclavage ni en
servitude ; l'esclavage et la traite des esclaves sont interdits dans
toutes leurs formes
". La convention européenne de sauvegarde
des droits de l'homme et des libertés fondamentales précise
également que "
nul ne peut être tenu en esclavage ou
servitude
".
En 1956, la convention de 1926 relative à l'esclavage fut
complétée par une convention supplémentaire relative
à l'abolition de l'esclavage, de la traite des esclaves et des
institutions et pratiques analogues à l'esclavage.
*
L'esclavage est désormais condamné au niveau
international et pénalement punissable en tant que crime contre
l'humanité.
La notion de crime contre l'humanité fit son
apparition en 1946 dans le statut du tribunal international de Nuremberg
.
Déjà, la réduction en esclavage figurait dans la
définition du crime contre l'humanité, même si cette
définition ne concernait alors que les faits survenus avant ou pendant
la seconde guerre mondiale.
L'article 212-1 du code pénal français fait aujourd'hui
clairement figurer la réduction en esclavage parmi les crimes contre
l'humanité.
Enfin, le statut de la Cour pénale internationale mentionne clairement
l'esclavage en tant que crime contre l'humanité dans son article 7.
Le statut de la Cour pourrait permettre, après son entrée en
vigueur, la poursuite de tous les actes d'esclavage quel que soit le lieu de
leur commission. La Cour aura en effet compétence dans l'ensemble des
pays du monde, dès lors qu'elle sera saisie par le Conseil de
sécurité des Nations-Unies.
II. LE CONTENU DE LA PROPOSITION DE LOI ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE : LA RECONNAISSANCE DE LA TRAITE NÉGRIÈRE ET DE L'ESCLAVAGE A PARTIR DU XVÈME SIÈCLE EN TANT QUE CRIMES CONTRE L'HUMANITÉ
L'objet
essentiel de la proposition de loi est l'
affirmation par la
République française que la traite négrière
transatlantique ainsi que la traite dans l'océan Indien d'une part, et
l'esclavage d'autre part, perpétrés à partir du
XVème siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans
l'océan Indien et en Europe contre les populations africaines,
amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre
l'humanité.
Toutefois, la proposition de loi comporte d'autres dispositions,
destinées à perpétuer la réprobation des crimes
commis et à commémorer l'abolition de l'esclavage.
Ainsi, la proposition de loi prévoit que :
-
les manuels scolaires et les programmes de recherche
en histoire
et en sciences humaines devront accorder à la traite
négrière et à l'esclavage la place conséquente
qu'ils méritent (article 2) ;
- une
requête en reconnaissance
de la traite
négrière transatlantique ainsi que de la traite dans
l'océan Indien et de l'esclavage comme crime contre l'humanité
sera introduite auprès du conseil de l'Europe, des organisations
internationales et de l'Organisation des Nations-Unies (article 3) ;
- le Gouvernement fixera, après une large concertation, une
date
pour la commémoration annuelle de l'abolition de l'esclavage en France
métropolitaine
(article 3 bis). La proposition de loi
(n° 406) présentée par M. Michel Duffour et
les membres du groupe communiste, républicain et citoyen a le même
objet ;
- un
comité de personnalités qualifiées
sera
chargé de proposer des lieux et des actions de mémoire qui
garantissent la pérennité de la mémoire du crime de traite
et d'esclavage (article 4) ;
- les associations ayant pour objet de défendre la mémoire
des esclaves et l'honneur de leurs descendants pourront exercer les
droits
reconnus à la partie civile
dans les affaires d'injures ou de
diffamation à raison de l'origine ethnique (article 5).
III. LES PROPOSITIONS DE VOTRE COMMISSION DES LOIS : ÉTENDRE LE CHAMP DE LA RECONNAISSANCE ET RETENIR LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES DE LA PROPOSITION DE LOI
Votre
commission partage la préoccupation exprimée par
Mme Christiane Taubira-Delannon, auteur de la proposition, dans le
beau discours qu'elle a prononcé le 22 octobre 1999 devant le
Conseil exécutif de l'UNESCO :
" (...)
il nous faut dire quel est notre niveau de conscience universel
et ce que nous partageons avec les femmes et les hommes de toute la
planète, ce qui justifie que nous engagions nos forces dans des luttes
pour la justice. Il y a nécessité, bien entendu, d'envisager la
question des réparations ; en d'autres termes dire très
clairement quelle forme d'éducation nous allons donner à nos
enfants, aux générations futures, pour que cette histoire trouve
sa place dans l'histoire de l'humanité ; dire quelles institutions
culturelles nous allons encourager ; dire comment les politiques publiques
dans tous les domaines doivent converger, de façon à extirper les
racines du racisme et à détruire toutes les conditions de
reproduction des inégalités qui sont issues des injustices
élaborées à cette époque
".
L'esclavage est aujourd'hui clairement reconnu en tant que crime contre
l'humanité.
A l'évidence, l'esclavage et la traite
négrière pratiqués pendant près de quatre
siècles étaient constitutifs du crime contre l'humanité
tel que nous l'entendons aujourd'hui
. Rappelons que, selon la
définition d'André Frossard, "
Il y a crime contre
l'humanité quand l'humanité de la victime est
niée
".
Pour autant, de très nombreux événements de l'Histoire,
ancienne ou récente, étaient eux aussi constitutifs de crimes
contre l'humanité. Peut-on opérer une hiérarchisation
entre crimes, entre victimes ? Votre commission ne s'y est pas crue
autorisée.
Il convient d'ajouter que des crimes contre l'humanité sont encore
commis de nos jours, qu'il existe des formes modernes d'esclavage et que ces
phénomènes doivent mobiliser de manière prioritaire les
pouvoirs publics et les juridictions internationales et nationales.
A cet égard, votre commission souhaite que le statut de la Cour
pénale internationale puisse entrer en vigueur le plus rapidement
possible, afin que les crimes contre l'humanité, et notamment la
réduction en esclavage, puissent être mieux prévenus et
réprimés.
Votre commission a donc décidé de modifier l'article premier
de la proposition de loi, afin de rappeler que l'esclavage défini par
l'article 212-1 du code pénal constitue un crime contre
l'humanité, quels que soient l'époque et le lieu où il est
commis.
Votre commission a approuvé la modification de la loi de 1983 relative
à la commémoration de l'abolition de l'esclavage. Elle a
accepté le principe de la fixation d'une date de commémoration
sur le territoire métropolitain (
article 3 bis
de la proposition)
et a souhaité intégrer dans la loi de 1983 le texte de l'article
4 de la proposition de loi qui prévoit la création d'un
comité de personnalités chargé de proposer des lieux et
des actions de mémoire. Elle a donc inséré le texte de
l'
article 4
de la proposition dans l'article 3 bis. Elle a
également inséré à cet article la
préoccupation traduite par l'article 2 de la proposition de loi, en
prévoyant que ce comité fasse des propositions en matière
de programmes scolaires.
En revanche, votre commission a supprimé
l'article 3
de la
proposition de loi, prévoyant qu'une requête en reconnaissance de
la traite négrière et de l'esclavage comme crimes contre
l'humanité sera déposée auprès d'organisations
internationales. Outre qu'il s'agit d'une injonction au Gouvernement, une
commission de l'Organisation des Nations-Unies a déjà
adopté une résolution reconnaissant l'esclavage en tant que crime
contre l'humanité.
Enfin, votre commission a considéré que l'
article 5
était déjà satisfait par les dispositions
législatives permettant d'ores et déjà à de
nombreuses associations d'exercer les droits reconnus à la partie civile
dans les affaires de diffamation ou d'injures.
*
Pour
l'avenir, au vu de l'interdiction faite au Parlement français d'adopter
des résolutions, votre commission souhaite qu'une réflexion soit
ouverte sur la manière d'éviter d'inscrire dans la loi des
dispositions qui n'auraient pas vocation à y figurer, quelles que soient
les intentions incontestables, respectées et partagées de leurs
auteurs.
"
La loi ordonne, permet ou interdit
" peut-on lire sous la
plume de Sieyès, l'un des pères du code civil. La plupart des
dispositions de la présente proposition de loi ne correspondaient pas
à cette prescription. Rappelons également qu'aux termes de
l'article 34 de la Constitution, la loi "
fixe les
règles
" ou "
détermine les principes
fondamentaux
".
En 1991, le Conseil d'Etat s'est inquiété de l'évolution
préoccupante des lois : " (...)
comme chaque année,
le Conseil d'Etat a vu passer un nombre non négligeable de lois et
décrets, dont l'article premier est dépourvu de tout contenu
normatif ; encore se résigne-t-on lorsqu'il ne s'agit que de
l'article premier, car de plus en plus, le discours philosophique,
l'exposé de bonnes intentions, s'étend aux articles suivants,
quand il n'envahit pas le texte tout entier, réduit à une simple
formulation d'objectifs
"
2(
*
)
.
En fait, cette situation résulte probablement du fait que le
Parlement français est l'un des seuls au monde à ne pouvoir
prendre publiquement position qu'en votant les lois, en censurant le
Gouvernement ou en approuvant une déclaration de politique
générale. La plupart des parlements votent en effet des motions
ou des résolutions, qui leur permettent d'exprimer des positions n'ayant
pas de portée normative. En France, le vote de résolutions a
été limité par le Conseil constitutionnel en 1959, aux cas
prévus par la Constitution. Depuis 1992, les deux assemblées
peuvent voter des résolutions sur les propositions d'actes
communautaires qui lui sont soumises par le Gouvernement.
Il serait souhaitable de rechercher un moyen pour le Parlement de pouvoir
s'exprimer solennellement sur certains sujets sans avoir à recourir
à la loi, qui devrait demeurer normative.
*
* *
Sous le bénéfice de l'ensemble de ces observations et sous réserve des amendements qu'elle vous soumet, votre commission vous propose d'adopter la proposition de loi .
EXAMEN DES ARTICLES
Article premier
Reconnaissance de la traite
négrière et de l'esclavage
en tant que crime contre
l'humanité
L'article premier dispose que la République
française
reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que
la traite dans l'océan indien d'une part, et l'esclavage d'autre part,
perpétrés à partir du XV
ème
siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l'océan
Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes,
malgaches et indiennes constituent un crime contre l'humanité.
La notion de crime contre l'humanité est récente et
résulte du statut du tribunal militaire international de Nuremberg
annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945.
L'article 6 du statut définit les crimes contre l'humanité
comme "
l'assassinat, l'extermination, la réduction en
esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre
toutes populations civiles avant ou pendant la guerre, ou bien les
persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux lorsque
ces actes ou persécutions, qu'ils aient constitué ou non une
violation du droit interne du pays où ils ont été
perpétrés, ont été commis à la suite de tout
crime rentrant dans la compétence du tribunal, ou en liaison avec ce
crime
".
Cette définition du crime contre l'humanité, sur le fondement de
laquelle des responsables du régime nazi ont été
jugés et condamnés est profondément liée au
contexte qui a présidé à son élaboration.
Le code pénal comporte deux articles consacrés aux crimes contre
l'humanité. L'article 211-1 concerne le génocide, tandis que
l'article 212-1 concerne les autres crimes contre l'humanité.
Le
code pénal et les crimes contre l'humanité
TITRE PREMIER : DES CRIMES CONTRE L'HUMANITÉ
Chapitre premier : du génocide
Art. 211-1.-
Constitue un génocide le fait, en
exécution d'un plan concerté tendant à la destruction
totale ou partielle d'un groupe national, ethnique, racial ou religieux, ou
d'un groupe déterminé à partir de tout autre
critère arbitraire, de commettre ou de faire commettre, à
l'encontre de membres de ce groupe, l'un des actes suivants :
- atteinte volontaire à la vie ;
- atteinte grave à l'intégrité physique ou psychique ;
- soumission à des conditions d'existence de nature à
entraîner la destruction totale ou partielle du groupe ;
- mesures visant à entraver les naissances ;
- transfert forcé d'enfants (...).
Chapitre 2 : des autres crimes contre l'humanité
Art. 212-1.-
La déportation, la
réduction
en esclavage
ou la pratique massive et systématique
d'exécutions sommaires, d'enlèvements de personnes suivis de leur
disparition, de la torture ou d'actes inhumains, inspirées par des
motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux et organisées en
exécution d'un plan concerté à l'encontre d'un groupe de
population civile sont punies de la réclusion criminelle à
perpétuité.
Le statut de la Cour pénale internationale, signé à Rome
en juillet 1998 et dont la France a entamé la ratification
définit pour sa part de la manière suivante, dans son
article 7, le crime contre l'humanité :
"
(...) on entend par crime contre l'humanité l'un des actes
ci-après commis dans le cadre d'une attaque
généralisée ou systématique lancée contre
une population civile et en connaissance de cette attaque :
" a) meurtre ;
" b extermination ;
" c) réduction en esclavage ;
" d) déportation ou transfert forcé de population ;
" e) emprisonnement ou autre forme de privation grave de
liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit
international ;
" f) torture ;
" g) viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse
forcée, stérilisation forcée et toute autre forme de
violence sexuelle de gravité comparable ;
" h) persécution de tout groupe ou de toute
collectivité identifiable pour des motifs d'ordre politique, social,
national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste (...), ou en fonction
d'autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit
international, en corrélation avec tout acte visé dans le
présent paragraphe ou tout crime relevant de la compétence de la
Cour ;
" i) disparitions forcées ;
" j) apartheid ;
" k) autres actes inhumains de caractère analogue causant
essentiellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à
l'intégrité physique ou à la santé physique ou
mentale
".
Ainsi, la réduction en esclavage est considérée, dans
toutes les définitions en vigueur, comme un crime contre
l'humanité
. L'entrée en vigueur du statut de la Cour
pénale internationale pourrait permettre la répression de
l'esclavage quel que soit l'endroit où ce crime est commis. Le statut de
la Cour prévoit en effet qu'en cas de saisine par le Conseil de
sécurité des Nations Unies, la Cour sera compétente quel
que soit l'Etat de nationalité de l'auteur du crime ou l'Etat sur le
territoire duquel le crime aura été commis.
L'article premier de la proposition de loi tend à la reconnaissance
par la France du fait que la traite et l'esclavage perpétués
à partir du XV
ème
siècle contre les populations
africaines, malgaches, amérindiennes et indiennes étaient un
crime contre l'humanité.
Compte tenu des définitions
données aujourd'hui des crimes contre l'humanité, il est
incontestable que la traite et l'esclavage étaient des faits
constitutifs de crime contre l'humanité
.
Pour autant, de nombreux autres événements de l'Histoire ancienne
ou récente ont également constitué des crimes contre
l'humanité. Votre commission ne s'est pas estimée
compétente pour qualifier plus particulièrement certains
événements historiques. Elle vous propose donc un
amendement
tendant à modifier cet article pour rappeler que
l'esclavage défini par l'article 212-1 du code pénal, constitue
un crime contre l'humanité,
quels que soient le lieu et
l'époque
où il a été commis.
Votre commission vous propose d'adopter cet article
ainsi modifié.
Article 2
Développement de
l'enseignement
et de la recherche sur la traite négrière et
l'esclavage
Cet
article prévoit que les manuels scolaires et les programmes de recherche
en histoire et en sciences humaines accorderont à la traite
négrière et à l'esclavage la place conséquente
qu'ils méritent. Il prévoit également que "
la
coopération qui permettra de mettre en articulation les archives
écrites disponibles en Europe avec les sources orales et les
connaissances archéologiques accumulées en Afrique, dans les
Amériques, aux Caraïbes et dans tous les autres territoires ayant
connu l'esclavage sera encouragée et favorisée
".
A l'heure actuelle, l'article 2 du décret du
23 novembre 1983, pris en application de la loi n° 83-550
du 30 juin 1983 relative à la commémoration de
l'abolition de l'esclavage, et qui ne concerne que les départements
d'outre-mer et la collectivité territoriale de Mayotte, prévoit
que le 27 avril de chaque année ou, à défaut, le
jour le plus proche, une heure doit être consacrée dans toutes les
écoles primaires, les collègues et les lycées à une
réflexion sur l'abolition de l'esclavage.
Le présent article a pour objectif de permettre un accroissement de la
place accordée à la traite négrière et à
l'esclavage dans les manuels scolaires et mérite d'être
approuvé.
Il convient cependant de relever que la détermination des programmes
scolaires est une compétence du Gouvernement. L'article 5 de la loi
n° 89-486 du 10 juillet 1989 d'orientation sur
l'éducation prévoit que les programmes définissent, pour
chaque cycle, les connaissances essentielles qui doivent être acquises au
cours du cycle ainsi que les méthodes qui doivent être
assimilées.
L'article 6 de la même loi dispose qu'un conseil national des
programmes donne des avis ou adresse des propositions au ministre de
l'éducation nationale sur la conception générale des
enseignements, les grands objectifs à atteindre, l'adéquation des
programmes et des champs disciplinaires à ces objectifs et leur
adaptation au développement des connaissances.
Le contenu des programmes scolaires relève donc manifestement du pouvoir
réglementaire. Il conviendra d'inviter le Gouvernement à agir
pour que l'esclavage et la traite négrière
bénéficient d'une place conséquente dans les manuels sans
pour autant inscrire une telle disposition dans la loi.
En
conséquence, votre commission propose, à
l'article 3 bis, que le comité de personnalités dont la
création est prévue par la proposition de loi, puisse formuler
des propositions relatives au contenu des programmes scolaires.
Votre commission vous propose donc la
disjonction
de l'article 2
dont le dispositif sera repris à l'article 3 bis.
Article 3
Requête en reconnaissance de
la
traite négrière transatlantique
ainsi que de la traite dans
l'Océan Indien et de l'esclavage
comme crime contre
l'humanité
Cet
article prévoit l'introduction d'une requête en reconnaissance de
la traite négrière transatlantique ainsi que de la traite dans
l'Océan indien et de l'esclavage comme crime contre l'humanité
auprès du Conseil de l'Europe, des organisations internationales et de
l'Organisation des Nations Unies. Cette requête devrait également
avoir pour objet la recherche d'une date commune au niveau international pour
commémorer l'abolition de la traite négrière et de
l'esclavage, sans préjudice des dates commémoratives propres
à chacun des départements d'outre-mer.
Il convient de noter que la commission des droits de l'homme de
l'organisation des Nations Unies a adopté un projet de résolution
qualifiant l'esclavage et la traite des esclaves crimes contre
l'humanité.
Le présent article, qui pourrait revêtir un caractère
d'injonction au gouvernement, apparaît donc satisfait.
Votre commission vous propose en conséquence de
disjoindre
l'article 3.
Article 3 bis
(Loi n° 83-550 du
30 juin 1983)
Fixation d'une date pour la
commémoration
de l'abolition de l'esclavage en métropole
La loi
n° 83-550 du 30 juin 1983 relative à la
commémoration de l'abolition de l'esclavage
prévoit que la
commémoration de l'abolition de l'esclavage fait l'objet d'une
journée fériée dans les départements de Guadeloupe,
de Guyane, de Martinique et de la Réunion, ainsi que dans la
collectivité territoriale de Mayotte.
La loi prévoit également qu'un décret fixe la date de la
commémoration pour les différentes collectivités
territoriales visées et précise les conditions dans lesquelles la
commémoration sera célébrée sur le territoire
métropolitain. En pratique, chacune des collectivités
territoriales d'outre-mer a retenu une date de commémoration
différente, prenant en compte son histoire propre. Ainsi, la Martinique
a retenu la date du 22 mai, jour anniversaire de la dernière
révolte d'esclaves de l'île ; la Guyane et la Réunion
ont retenu respectivement le 10 juin et le 20 décembre, dates
d'entrée en vigueur du décret d'abolition de l'esclavage dans ces
collectivités ; la collectivité territoriale de Mayotte a
choisi le 27 avril, date de l'adoption du décret d'abolition de
l'esclavage en France.
L'article 3 bis de la proposition de loi soumise au Sénat tend
à modifier la loi de 1983 relative à la commémoration de
l'abolition de l'esclavage, afin de prévoir la
fixation d'une date de
commémoration annuelle de l'abolition de l'esclavage sur le territoire
métropolitain
.
La proposition de loi initiale déposée à
l'Assemblée nationale par Mme Christiane Taubira-Delanon et
plusieurs de ses collègues proposait que soit retenue la date du
8 février et incitait le Gouvernement français à
faire adopter cette date par l'ensemble de la communauté internationale.
Le 8 février est la date à laquelle, en 1815, le
Congrès de Vienne condamna la traite négrière
transatlantique, considérée comme "
répugnant au
principe d'humanité et de morale universelle
".
L'Assemblée nationale n'a pas souhaité que la loi fixe une date
de commémoration, mais a préféré que cette
décision soit prise par le Gouvernement après la consultation la
plus large. De fait, il paraissait délicat de fixer immédiatement
une date et plus encore d'inviter le Gouvernement à faire
entériner ce choix par l'ensemble de la communauté internationale.
Il convient de noter que l'U.N.E.S.C.O., dans une résolution du
12 novembre1997, a proclamé le 23 août
" journée internationale du souvenir de la traite
négrière et de son abolition ", invitant "
les Etats
membres à donner toute l'ampleur voulue à cette journée et
à mobiliser l'ensemble des communautés éducative,
scientifique, culturelle, la jeunesse et, d'une manière
générale, la société civile
".
Le 23 août est la date à laquelle commença, en 1791,
une révolte d'esclaves conduite notamment par Toussaint Louverture dans
l'île de Saint-Domingue, qui joua un rôle important dans
l'abolition de la traite.
Il paraît donc difficile que la loi française retienne une date de
commémoration et invite le Gouvernement à la faire adopter par
d'autres Etats. Le texte finalement adopté par l'Assemblée
nationale apparaît préférable. Rappelons que
l'article 3 de la proposition prévoit qu'une date commune de
commémoration devrait être recherchée au niveau
international, sans qu'il s'agisse pour la France de convaincre les autres
Etats d'adopter la date qu'elle aurait préalablement choisie.
La proposition de loi (n° 406) présentée par
M. Michel Duffour et les membres du groupe communiste,
républicain et citoyen du Sénat a le même objet que
l'article 3 bis de la proposition de loi adoptée par
l'Assemblée nationale puisqu'elle prévoit également la
fixation par le Gouvernement d'une date de commémoration fixée
après une large consultation.
Par ailleurs, la proposition de loi n°406 prévoit également
que les services publics de l'Éducation nationale et de la
radiotélévision apportent leur concours à la
réflexion des jeunes sur le système esclavagiste dans l'histoire
du monde et de son abolition. Ces dispositions sont apparues à votre
commission contraires à la liberté de communication
audiovisuelle. Elle n'a donc pas cru pouvoir les retenir.
En revanche, votre commission a estimé utile, dans un souci de
clarté, que la création du
comité de
personnalités
chargé de proposer des lieux et des actions de
mémoire prévue par l'article 4 de la proposition de loi, soit
prévue au sein de la loi de 1983 relative à la
commémoration de l'abolition de l'esclavage. Par un
amendement
,
elle a donc complété le présent article pour
prévoir la création d'un tel comité de
personnalités, dont la composition et les missions seraient
définies par décret en Conseil d'Etat. Elle a en outre
prévu que les actions proposées par ce comité pourraient
notamment concerner le
contenu des programmes scolaires
pour
intégrer la préoccupation figurant initialement à
l'article 2.
Votre commission vous propose d'adopter l'article 3 bis
ainsi
modifié.
Article 4
Comité de personnalités
chargé de proposer
des lieux et des actions de mémoire
Cet
article prévoit la constitution d'un comité de
personnalités qualifiées, appelé à proposer, sur
l'ensemble du territoire, des lieux et des actions de mémoire, qui
devront garantir le souvenir du crime d'esclavage.
Dans le texte initial de la proposition de loi, cet article assignait au
comité la mission d'examiner les
conditions de la réparation
du crime d'esclavage
, de sorte qu'une certaine ambiguïté a pu
naître en ce qui concerne la nature de cette réparation. Dans son
rapport présenté au nom de la Commission des Lois de
l'Assemblée nationale, Mme Christiane Taubira-Delannon a
précisé qu'il ne s'agissait "
en aucun cas d'envisager
des indemnisations financières, mais simplement de promouvoir et
d'amplifier ce mouvement de développement des lieux de mémoire,
permettant ainsi aux descendants des victimes de la traite
négrière d'affronter plus sereinement leur
passé
". Elle a donc proposé de modifier le texte de
l'article pour que la mission du comité de personnalités
qualifiées soit plus précisément définie.
D'ores et déjà, quelques initiatives ont été prises
pour que le souvenir des crimes de traite et d'esclavage ne disparaisse pas.
Ainsi, la ville de La Rochelle a ouvert un musée consacré au
Nouveau Monde ; à Nantes, un monument a été
érigé à la mémoire de victimes de l'esclavage. A
l'occasion du cent cinquantième anniversaire de l'abolition de
l'esclavage en France, de nombreuses manifestations ont été
organisées pour commémorer cet événement et
rappeler la gravité des crimes commis jusqu'à cette date. Le
Sénat a ainsi organisé en 1998 un colloque sur le thème
des esclavages, un cycle cinématographique et une exposition
retraçant le combat en faveur de l'abolition de l'esclavage.
L'article 4 de la proposition de loi renvoie à un décret en
Conseil d'Etat la définition exacte des compétences et des
missions du comité.
Votre commission ayant décidé d'inscrire la création du
comité de personnalités dans l'article 3 bis, elle vous propose
par coordination la
suppression
de cet article.
Article 5
(art. 48-1 de la loi du
29 juillet 1881)
Possibilité pour les associations
défendant la mémoire des esclaves
d'exercer les droits
reconnus à la partie civile
Cet
article tend à modifier l'article 48-1 de la loi du
29 juillet 1881 permettant à certaines associations d'exercer
les droits reconnus à la partie civile.
Dans sa rédaction actuelle, l'article 48-1 permet aux associations
régulièrement déclarées depuis au moins cinq ans
à la date des faits et se proposant de combattre le racisme ou
d'assister les victimes de discriminations fondées sur leur origine
nationale, ethnique, sociale ou religieuse d'exercer les droits reconnus
à la partie civile en ce qui concerne les délits de
provocation à certains crimes
(article 24 de la loi de
1881), de
diffamation à raison de l'origine ou de l'appartenance
à une ethnie, une nation, une race ou une religion
(article 32,
alinéa 2 de la loi de 1881), enfin
d'injures envers une personne
ou un groupe de personnes à raison de l'origine ou de l'appartenance
à une ethnie, une nation, une race ou une religion
(article 33,
alinéa 3 de la loi de 1881).
L'article 5 de la proposition de loi tend à inclure parmi les
associations susceptibles d'exercer les droits reconnus à la partie
civile celles qui se proposent par leurs statuts de
défendre la
mémoire des esclaves et l'honneur de leurs descendants
.
Le dispositif proposé dans la proposition de loi initiale était
sensiblement différent. Il prévoyait en effet la création
d'une nouvelle infraction punissant la contestation de l'existence de la traite
négrière transatlantique et de l'esclavage. Rappelons que
l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 relative
à la liberté de la presse punit, depuis une loi de
juillet 1990 adoptée à l'initiative de
M. Jean-Claude Gayssot la contestation de l'existence de crimes
contre l'humanité définis par l'article 6 du statut du
tribunal militaire international annexé à l'accord de Londres du
8 août 1945 et qui ont été commis soit par des
membres d'une organisation criminelle soit par une personne reconnue coupable
d'un tel crime par une juridiction française ou internationale.
Les auteurs de la proposition de loi ont donc proposé l'adoption d'un
dispositif similaire en ce qui concerne la négation du crime
d'esclavage. La commission des lois de l'Assemblée nationale a
écarté cette proposition en mettant en avant les risques
d'atteinte au principe de la liberté d'expression garanti par la
déclaration des droits de l'homme et du citoyen et par la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales.
Le présent article paraît n'avoir qu'une portée
extrêmement réduite, dans la mesure où les associations de
descendants d'esclaves peuvent faire figurer la lutte contre le racisme ou
l'aide aux victimes de discriminations fondées sur l'origine parmi leurs
objectifs pour bénéficier des dispositions actuelles de l'article
48-1 de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la
presse.
Votre commission vous propose la
disjonction
de cet article.
*
* *
Sous le bénéfice de l'ensemble de ces observations et des amendements qu'elle vous soumet, votre commission vous propose d'adopter la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale.
TABLEAU COMPARATIF
___
Texte
en vigueur
|
Texte
de la proposition de loi n° 406 (1997-1998)
|
Texte
adopté
|
Propositions
|
|
Proposition de loi
|
Proposition de loi
|
Proposition de loi
|
|
|
Article premier La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l'océan Indien d'une part, et l'esclavage d'autre part, perpétrés à partir du XV e siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l'océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l'humanité. |
Article premier L'esclavage, conformément à l'article 212-1 du code pénal, quels que soient le lieu et l'époque où il est pratiqué, constitue un crime contre l'humanité . |
|
|
Article 2 Les manuels scolaires et les programmes de recherche en histoire et en sciences humaines accorderont à la traite négrière et à l'esclavage la place conséquente qu'ils méritent. La coopération qui permettra de mettre en articulation les archives écrites disponibles en Europe avec les sources orales et les connaissances archéologiques accumulées en Afrique, dans les Amériques, aux Caraïbes et dans tous les autres territoires ayant connu l'esclavage sera encouragée et favorisée. |
Article 2
|
|
|
Article 3 Une requête en reconnaissance de la traite négrière transatlantique ainsi que de la traite dans l'océan Indien et de l'esclavage comme crime contre l'humanité sera introduite auprès du Conseil de l'Europe, des organisations internationales et de l'Organisation des Nations unies. Cette requête visera également la recherche d'une date commune au plan international pour commémorer l'abolition de la traite négrière et de l'esclavage, sans préjudice des dates commémoratives propres à chacun des départements d'outre-mer. |
Article 3
|
Loi
n° 83-550
Art.
unique
-
La commémoration de l'abolition de l'esclavage par
la République française et celle de la fin de tous les contrats
d'engagement souscrits à la suite de cette abolition font l'objet d'une
journée fériée dans les départements de Guadeloupe,
de Guyane, de Martinique et de la Réunion, ainsi que dans la
collectivité territoriale de Mayotte.
|
Article unique
Le
dernier alinéa de l'article unique de la loi
" Un
décret fixe la date de la commémoration pour chacune des
collectivités territoriales visées ci-dessus.
|
Article 3 bis (nouveau)
Le
dernier alinéa de l'article unique de la loi
" Un
décret fixe la date de la commémoration pour chacune des
collectivités territoriales visées ci-dessus.
|
Article 3 bis
Le ...
(Alinéa sans modification)
" Il est instauré un comité de personnalités qualifiées, parmi lesquelles des représentants d'associations défendant la mémoire des esclaves, chargé de proposer, sur l'ensemble du territoire national, des lieux et des actions qui garantissent la pérennité de la mémoire de ce crime à travers les générations, notamment dans les programmes scolaires. La composition et les missions de ce comité sont définies par décret en Conseil d'Etat. |
|
|
Article 4 Il est instauré un comité de personnalités qualifiées, parmi lesquelles des représentants d'associations défendant la mémoire des esclaves, chargées de proposer, sur l'ensemble du territoire national, des lieux et des actions de mémoire qui garantiront la pérennité de la mémoire de ce crime à travers les générations. Les compétences et les missions de ce comité seront fixées par décret en Conseil d'Etat. |
Article 4
|
Loi du
29 juillet 1881
Art. 48-1 - Toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, se proposant, par ses statuts, de combattre le racisme ou d'assister les victimes de discrimination fondée sur leur origine nationale, ethnique, raciale ou religieuse, peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions prévues par les articles 24 (dernier alinéa), 32 (alinéa 2) et 33 (alinéa 3) de la présente loi. Toutefois, quand l'infraction aura été commise envers des personnes considérées individuellement, l'association ne sera recevable dans son action que si elle justifie avoir reçu l'accord de ces personnes. |
|
Article 5 A l'article 48-1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, après les mots : « par ses statuts, de », sont insérés les mots : « défendre la mémoire des esclaves et l'honneur de leurs descendants, ...». |
Article 5
|
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|
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1
Rapport AN n°1378,10
février 1999.
2
Conseil d'Etat, rapport public pour 1991.