II. DES MOTIFS D'INQUIÉTUDE
Le projet de loi amorce deux évolutions inquiétantes.
En premier lieu, il remet en cause la répartition des rôles entre les différents " acteurs " que la loi de 1984 a chargés de contribuer à la mission d'intérêt général que constitue le développement des activités physiques et sportives. Cette évolution se traduit par un effacement du rôle de l'Etat, mais non par une quelconque libéralisation de l'activité sportive, sur laquelle les fédérations devraient désormais exercer un contrôle qui va très au-delà de leur mission de service public. En revanche, les collectivités territoriales à qui incombe, sur le terrain, la réalité de la responsabilité de l'organisation de l'égal accès de tous à la pratique sportive, et qui assument à peu près seules la charge de la réalisation et de l'entretien des équipements sportifs, demeurent cantonnées au rôle de bailleur de fonds.
En second lieu, le projet de loi procède à une remise en cause totale de la réglementation de l'encadrement, de l'animation et de l'enseignement des activités physiques et sportives et des conditions d'accès aux professions sportives, sans pour autant définir clairement le dispositif appelé à remplacer celui qu'il est proposé de mettre à bas, et surtout sans que, apparemment, les conséquences de ce bouleversement aient été le moins du monde envisagées.
A. L'ÉVOLUTION DES COMPÉTENCES DES DIFFÉRENTS " ACTEURS " DE LA POLITIQUE DU SPORT OU LA CONFUSION DES RÔLES
1. L'effacement de l'Etat
Dans le schéma tracé par la loi de 1984 -et qui lui était d'ailleurs antérieur- le rôle de l'Etat dans la politique sportive correspond à la définition traditionnelle des missions de la puissance publique : il exerce un pouvoir de police administrative en matière d'exercice des professions réglementées et de respect des règles de sécurité ; il est investi d'un pouvoir de tutelle sur les organismes participant aux missions de service public ; il veille, ou est censé veiller, au respect de la légalité par ces organismes.
On ne peut pas dire que cette mission ait jamais été assumée de façon satisfaisante, et c'est à juste titre que le Conseil d'Etat avait pu qualifier de " peu dynamique " l'exercice par le ministère de la jeunesse et des sports de son pouvoir de tutelle 3 ( * ) .
Ce qui explique sans doute largement que les lois sur le sport soient généralement modifiées avant d'avoir été appliquées et pourquoi, comme le notait très justement la ministre de la jeunesse et des sports lors du débat à l'Assemblée nationale sur le présent projet de loi, " dans le monde du sport, nous sommes parfois encore dans une zone de non-droit ".
Le projet de loi ne va malheureusement guère dans le sens d'un redressement de ces dérives, puisqu'il consacre l'effacement du rôle de l'Etat et accentue le mouvement, amorcé par la loi du 6 mars 1998, de transfert aux fédérations délégataires de compétences qui vont très au-delà de leur mission de service public et qui ne peuvent guère, dans la logique du système juridique français, être exercées par d'autres que l'Etat.
Il propose en effet, de conférer aux fédérations délégataires la police de la profession d'agent sportif (article 7), le droit d'édicter les règlements relatifs à l'organisation de toute manifestation sportive ouverte à leurs licenciés (article 9) ainsi que le pouvoir d'autoriser les manifestations sportives dont elles ne sont pas les organisateurs (article 11). Ces nouvelles compétences s'ajoutent au droit de réglementer l'accès des journalistes aux manifestations sportives qui leur a été accordé par la loi du 6 février 1998 contre l'avis du Sénat, et sur lequel votre commission vous proposera de revenir par un amendement à l'article 11 bis du projet de loi.
2. Les missions transférées aux fédérations
• Le contrôle de la profession d'intermédiaire sportif
Les intermédiaires sportifs, chargés de négocier pour le compte des joueurs ou des clubs les " transferts " et les contrats des joueurs professionnels, ne peuvent certes être rendus responsables de toutes les dérives du sport spectacle et notamment du développement de la " traite des sportifs ".
Il n'est cependant pas douteux que cette profession est trop souvent exercée par des personnages peu scrupuleux, généralement recrutés dans les " franges " les moins claires du monde sportif et qu'ils jouent souvent un rôle assez trouble en particulier dans les procédures de recrutement de jeunes joueurs : le rapport sur le recrutement de jeunes joueurs étrangers dans les centres de formation des clubs professionnels est à cet égard éclairant -même s'il met également en relief que les clubs semblent assez peu regardants sur la qualité des intermédiaires auxquels ils ont affaire.
Cette situation est inacceptable en elle-même, mais elle a aussi l'inconvénient de jeter l'opprobre sur une fonction qui, si elle était exercée par des professionnels compétents, pourrait rendre de véritables services aux sportifs, en particulier les jeunes, et leur apporter un concours utile pour la gestion de leur carrière, comme lors de la négociation des contrats qui leur sont proposés et qui ne sont pas toujours -comme un député, M. Alain Néri, l'a justement rappelé lors des débats- des plus équitables.
Il paraît donc indispensable -comme on l'a déjà tenté en 1992 avec l'insuccès que l'on sait- de réglementer cette profession pour en éliminer les " brebis galeuses " et favoriser l'émergence de professionnels sérieux.
Une telle mission revient tout naturellement à l'Etat, seul compétent pour assurer, sous le contrôle du législateur, la conciliation de la liberté individuelle et de la liberté du commerce et de l'industrie avec le respect des exigences de moralité ou de compétence que l'on peut, dans l'intérêt général, imposer pour l'exercice de certaines professions.
Ce n'est pourtant pas le parti pris par le projet de loi qui nous est soumis, qui propose tout bonnement de soumettre à l'autorisation des fédérations sportives l'exercice de la profession d'intermédiaire sportif et au contrôle des fédérations les contrats négociés par ces agents et le mandat que leur confient les joueurs (le texte n'envisage en effet pas la possibilité qu'un intermédiaire sportif puisse agir pour le compte d'un club).
Cette compétence donnée aux fédérations, qui n'est d'ailleurs pas la seule bizarrerie ni la seule incohérence du nouveau dispositif proposé pour le contrôle de la profession d'intermédiaire sportif, ne paraît pas acceptable.
C'est pourquoi votre commission, tout en regrettant que le régime à la fois simple et efficace de la déclaration ait été " disqualifié " par la carence de l'Etat à faire appliquer la loi, propose d'instituer un régime d'autorisation administrative pour l'exercice de cette profession.
Elle proposera aussi au Sénat de prévoir qu'un bilan d'application de ce nouveau dispositif soit soumis dans trois ans au Parlement, afin d'éviter qu'il demeure, comme le précédent, lettre morte.
• La police des manifestions sportives
Les fédérations délégataires reçoivent, comme leur nom l'indique, délégation du ministre pour organiser toutes les compétitions à l'issue desquelles sont délivrés les titres sportifs départementaux, régionaux nationaux ou internationaux. A ce titre, elles ont seules compétence pour délivrer les titres français correspondants (champion départemental, régional, national), pour édicter les règlements techniques " officiels " des disciplines dans lesquelles ont lieu les compétitions, ainsi que les normes techniques qui permettront d'assurer qu'elles se déroulent dans des conditions égales pour tous les compétiteurs, et à tous les stades de la compétition. Elles sont aussi seules compétentes pour procéder à la sélection des athlètes et des équipes admises à ces compétitions, et donc déterminer les critères de cette sélection.
C'est, on le voit, une mission fort importante, puisqu'elle doit permettre de garantir le niveau et la qualité des compétitions nationales, ainsi que ceux des athlètes et des équipes appelés à prendre part aux compétitions internationales.
Mais cette mission ne s'étend pas à la réglementation de l'ensemble de la pratique des activités sportives ni à l'organisation de toutes les manifestations ou compétitions.
C'est ce que méconnaît le projet de loi en prévoyant de donner aux fédérations un pouvoir général de " police du sport " et des manifestations sportives qui, d'une part, en ferait des activités réglementées soumises à un régime d'autorisation et, d'autre part, excéderait très largement les prérogatives de puissance publique qui peuvent être reconnues aux fédérations délégataires pour l'exercice de leur mission de service public.
• Le pouvoir d'édicter les règlements de toutes les manifestations sportives ouvertes aux licenciés
Les fédérations délégataires ne seraient plus uniquement compétentes pour édicter -ce qui est effectivement inhérent à leur mission- les règlements techniques " officiels " des disciplines sportives, ceux qui doivent impérativement être appliqués -toujours pour préserver l'égalité entre compétiteurs- lors des compétitions officielles qu'elles organisent.
Elles pourraient désormais également réglementer toutes les autres manifestations ou compétitions ouvertes à leurs licenciés -c'est-à-dire toutes celles qui ne leur seraient pas expressément interdites, de la course pédestre ou cycliste locale et de la démonstration de jumping organisée par un club équestre jusqu'au Marathon de Paris ou au Tour de France.
On notera que ce pouvoir réglementaire général -dont on se demande d'ailleurs comment il pourrait matériellement être exercé par des fédérations- apparaît totalement contradictoire avec les dispositions du projet de loi prévoyant de " légaliser " l'élaboration par les autres fédérations ou par des associations agréées de règles techniques -ou plutôt de pratiques- adaptées 4 ( * ) au nombre, ou à l'âge des participants, ou tout simplement liées à l'apparition de nouvelles disciplines (" football à sept ", " mini-tennis ", " street basket ").
La pratique sportive doit, selon votre commission, être libre, d'une part pour tenir compte de la diversité des aspirations de chacun -tout le monde ne souhaite pas participer à des compétitions officielles- et parce que le sport doit pouvoir, comme toute activité humaine, évoluer et intégrer des pratiques nouvelles et, d'autre part et surtout, parce que faire de la pratique sportive une activité soumise à une réglementation tatillonne serait un non-sens.
Votre commission vous proposera donc de refuser aussi bien d'étendre le pouvoir réglementaire des fédérations délégataires aux manifestations qui ne rentrent pas dans leur monopole, que d'inscrire dans la loi de la République le droit de jouer au football à sept ou au mini-tennis , ce qui ne paraît pas franchement relever de l'article 34 de la Constitution.
• Le pouvoir d'autoriser certaines manifestations sportives
Le droit d'autoriser -et donc d'interdire- les manifestations sportives n'est pas une revendication nouvelle des fédérations sportives.
Cette revendication était traditionnellement motivée par le souci d'éviter, d'une part, les interférences avec le calendrier des compétitions officielles qu'elles organisent, et, d'autre part, de pouvoir contrôler la prolifération de manifestations dont la finalité apparaît plus commerciale que sportive.
La seconde de ces justifications, tout à fait fondée à l'époque où le " sport officiel " restait fidèle aux valeurs de l'amateurisme et où l'on s'efforçait d'en préserver l'intégrité et le caractère désintéressé contre la montée du sport professionnel et les premières manifestations du " sport spectacle ", paraît moins solide aujourd'hui.
Les grandes compétitions " officielles " sont désormais, en effet, tout aussi " commerciales " que les autres. Force est de reconnaître que ce sont, par exemple, leurs organisateurs qui sont à l'origine de l'escalade des droits de retransmission télévisée et qu'ils se consacrent activement à la recherche de parrainages et au développement du " marchandisage ".
Aussi est-il permis de se demander si le refus du mercantilisme d'autrefois ne laisse pas quelquefois place, aujourd'hui, à la crainte de la concurrence.
Quoi qu'il en soit, rouvrant un débat qui avait déjà eu lieu en 1984, le projet de loi propose de donner aux fédérations délégataires le pouvoir d'autoriser -et donc d'interdire- toute manifestation sportive dans leur discipline dès lors qu'elle est dotée de prix dont la valeur totale excède 10 000 F 5 ( * ) .
Votre rapporteur rappelle, dans l'examen des articles, le " précédent " de 1984 et la solution qui avait alors été retenue à l'initiative du Sénat, c'est-à-dire la procédure de l'agrément, qui s'est à l'usage révélé fort utile.
Il ne semble pas y avoir plus de raisons aujourd'hui qu'en 1984 de faire de l'organisation de manifestations sportives une activité réglementée, ni de confier à des personnes privées un pouvoir de police qui ne peut appartenir qu'à l'Etat, et dont l'objet doit strictement être limité à la sauvegarde de l'intérêt général, de la sécurité et de l'ordre publics.
D'autant plus que le régime d'autorisation que propose d'instituer l'article 11 du projet de loi paraît assez peu clair.
L'autorisation -qui est par nature un acte unilatéral- serait en effet subordonnée à la conclusion d'un " contrat " entre l'organisateur demandeur et la fédération délégataire.
D'après les informations recueillies par votre rapporteur, ce contrat pourrait prévoir un partage entre les deux parties des droits d'exploitation de la manifestation autorisée. Votre rapporteur a demandé à la ministre, lors de son audition devant la commission, de confirmer ou d'infirmer cette information. Il n'a obtenu aucune réponse.
Votre commission vous proposera d'en rester à la procédure actuelle de l'agrément et donc de supprimer l'article 11 du projet de loi.
3. Les dispositions relatives aux collectivités locales
• Le projet de loi propose de revenir partiellement sur l'interdiction faite aux collectivités territoriales d'accorder des garanties d'emprunt ou un cautionnement aux groupements sportifs et de compléter l'encadrement des subventions publiques prévu par la loi du 28 décembre 1999 par un encadrement des divers contrats de prestation de service que peuvent conclure les collectivités territoriales avec des sociétés sportives.
Votre commission vous proposera d'amender ces dispositions pour réserver la possibilité d'octroi de garanties d'emprunt aux seules associations sportives dont les recettes totales annuelles ne dépassent pas 500 000 francs, comme le prévoyait le texte initial, et à condition que ces emprunts aient été contractés en vue d'achat de matériels ou de petits investissements.
Elle vous proposera également de clarifier la définition des " contrats " dont le montant total sera plafonné , afin qu'ils recouvrent la totalité des " partenariats " qui ne seront pas organisés dans le cadre des conventions relatives à l'octroi des subventions publiques.
• En revanche, le projet de loi n'apporte aucune solution nouvelle au problème lancinant des normes techniques imposées aux collectivités territoriales et qui sont pour elles à l'origine de dépenses importantes.
La loi de 1984, telle que modifiée en 1992, a donné compétence à la Commission nationale du sport de haut niveau (CNSHN) pour examiner les conditions d'application des normes fédérales relatives aux équipements.
Le titre III du décret n° 93-1034 du 31 août 1993, relatif au sport de haut niveau et aux normes des équipements sportifs, a défini cette procédure de consultation : les modifications envisagées font l'objet d'une étude portant sur leurs conséquences économiques qui est adressée par la fédération compétente au ministre avant la réunion de la Commission. Sauf urgence, les nouvelles normes ne peuvent entrer en vigueur moins de trois mois avant la saisine de la Commission.
Le décret précise en outre que les règlements des fédérations ne peuvent imposer le choix d'un matériel ou d'un matériau déterminé, " à l'exception de ceux qui sont nécessaires à la pratique du sport conformément aux règlements internationaux ", mais seulement un résultat.
Cette procédure semble avoir été peu respectée, ce qui est susceptible d'entacher la légalité des normes qui auraient été édictées en méconnaissance de ses exigences.
Le projet de loi transfère au CNAPS la compétence consultative antérieurement dévolue à la CNSHN -ce qui ne pose aucun problème particulier à condition que le CNAPS fonctionne, ce qui rappelons-le n'a jamais été le cas- et renvoie à un décret en Conseil d'Etat le soin de fixer les conditions d'entrée en vigueur des règlements fédéraux relatifs aux normes des équipements sportifs requises par la participation aux compétitions officielles, ce qui, a priori, ne change rien à la situation actuelle.
Votre rapporteur souhaiterait quant à lui que soit examiné plus attentivement le caractère obligatoire de ces normes. Il est tout à fait admissible qu'elles s'imposent pour tout ce qui concerne le terrain et les équipements et matériels utilisés pour les compétitions, puisque l'on doit considérer que leur respect conditionne l'égalité des conditions de compétition. Mais il ne semble y avoir aucune raison pour qu'elles portent également sur la capacité des tribunes ou tous autres aménagements ne concernant pas l'aire de compétition, et qui n'ont rien à voir avec les conditions équitables de son déroulement 6 ( * ) .
Aucune règle sportive n'exige qu'un match de football ou de basket se déroule dans un stade ou une salle offrant un nombre minimal de places.
Par ailleurs, les aménagements et la réglementation relatifs à la sécurité des enceintes sportives ne sont pas de la compétence des fédérations mais des autorités administratives.
Il paraît donc indispensable que soit strictement délimité le domaine d'intervention des normes techniques des équipements sportifs.
B. LA REMISE EN CAUSE DES CONDITIONS D'ACCÈS AUX FONCTIONS D'ANIMATION, D'ENCADREMENT ET D'ENSEIGNEMENT DES ACTIVITÉS PHYSIQUES ET SPORTIVES
La loi de 1992 avait mis fin au monopole de l'Etat pour la délivrance des diplômes donnant accès aux professions des activités physiques et sportives.
Ce régime était en effet devenu intenable tant en raison de l'incapacité du ministère de la jeunesse et des sports à gérer ce monopole que de l'évolution des pratiques sportives.
L'" offre " de diplômes d'Etat 7 ( * ) était en effet mal adaptée aux besoins des employeurs, et les capacités de formation insuffisantes au regard du développement de l'emploi sportif, ce qui a favorisé le développement de l'emploi illégal de personnels non titulaires des diplômes exigés, du " faux bénévolat " -des titulaires d'emploi administratif sans diplôme sportif exerçant " bénévolement " des fonctions d'éducateur- et du travail au noir.
Le régime mis en place en 1992 ne remettait pas en cause le caractère de " profession réglementée " des professions sportives, mais permettait d'ouvrir la gamme des titres requis, tant aux diplômes d'Etat délivrés par d'autres ministères qu'à des formations privées reconnues par l'Etat, et qui pouvaient notamment -mais pas uniquement- être assurées par les fédérations.
L'ensemble de ces diplômes devait être inscrit sur une liste d'homologation, inspirée de celle prévue par la loi de 1971 sur l'enseignement technologique : les diplômes délivrés par l'Etat y étaient inscrits de droit, les diplômes privés devaient y être inscrits en fonction du niveau de formation auquel ils correspondaient et des fonctions auxquelles ils pouvaient donner accès.
Ce schéma a fort mal fonctionné. D'une part parce que la rédaction du texte de 1992 définissait sans doute trop restrictivement le champ ouvert à l'homologation, mais surtout parce que la procédure d'homologation, pilotée par le seul ministère de la jeunesse et des sports, a tourné à un affrontement avec les autres ministères assurant des formations sportives -notamment le ministère de l'éducation nationale- et que l'ouverture à des formations privées de qualité s'est réduite à l'homologation d'une quarantaine de diplômes fédéraux.
En tout cas, force est de constater que le système a manqué ses objectifs : les formations " Jeunesse et sports " sont demeurées aussi complexes et aussi inadaptées au marché qu'auparavant, un barrage efficace a été dressé contre les autres formations susceptibles de les " concurrencer " et les employeurs ont rapidement compris que l'homologation telle qu'elle fonctionnait n'offrait guère de chance d'une meilleure adaptation des formations aux offres d'emploi.
L'exercice illégal des professions sportives a donc continué de prospérer, au détriment des titulaires de diplômes.
L'article 32 du projet de loi a pour objet de rompre définitivement avec le régime en vigueur, mais ne définit pas clairement celui qu'il propose de mettre en place.
• Les professions sportives ne seraient plus des professions réglementées : leur accès et leur exercice ne seraient plus subordonnés à la possession d'un titre ou d'un diplôme particulier.
• En revanche, toute personne encadrant, animant ou enseignant une activité sportive, que ce soit à titre professionnel ou bénévole, devrait posséder une " qualification définie par l'Etat " en matière de sécurité et de maîtrise de l'environnement.
Aucune précision n'est donnée sur le contenu de cette qualification ni sur ses modalités de certification : on sait seulement que la qualification serait " délivrée " par les établissements publics de formation, et qu'elle pourrait également être obtenue " par validation d'acquis professionnels ou bénévoles ".
• En outre, la ministre a manifesté son intention de faire rentrer les professions sportives " dans le droit commun du droit du travail " : une convention collective définirait les qualifications et les conditions d'emploi.
On est donc dans le flou le plus total.
Personne -et surtout pas le ministère- ne semble avoir une idée très claire des conditions d'application du système proposé ni de ses résultats en termes de niveau de formation des éducateurs et de sécurité des pratiquants.
Personne, non plus, ne s'est interrogé sur les conséquences économiques et sociales de ce bouleversement : que vont devenir les diplômés ? Et comment va s'organiser un " marché du travail " brutalement ouvert avant qu'aient pu être mises en place des formations répondant aux " nouveaux besoins " qu'il s'agit de satisfaire ?
Peut-on définir une " qualification en matière de sécurité " qui ne tienne aucun compte de la qualification technique et pédagogique ? Un éducateur " dangereux ", n'est-ce pas d'abord un éducateur qui ne maîtrise pas la discipline et ne sait pas l'enseigner ?
Est-il réaliste d'avoir exactement les mêmes exigences de qualification à l'égard des bénévoles et des professionnels ? Ne risque-t-on pas alors soit de placer trop bas la barre, soit d'exclure les bénévoles ?
• On notera enfin que le moment est particulièrement mal choisi pour procéder à cette réforme à la fois radicale et imprécise :
- d'une part parce qu'elle risque d'être en décalage avec les réformes qui seront proposées au terme de la réflexion en cours sur la réforme de la loi de 1971, du régime de la formation professionnelle et des modalités de certification des qualifications ;
- d'autre part parce qu'elle intervient au moment où vont s'engager les renégociations avec la Commission européenne de certains des régimes dérogatoires accordés à la France pour limiter l'accès, dans certaines disciplines à risque, des professions d'éducateurs sportifs à des migrants européens aux qualifications insuffisantes. Mais ces dérogations, ainsi que tous les systèmes de " compensation " qui peuvent être imposés aux professionnels dont le niveau de formation est substantiellement inférieur au niveau exigé en France, en application des directives relatives à la reconnaissance mutuelle des formations, " tomberont " automatiquement si les professions sportives ne sont plus des professions réglementées réservées aux titulaires de certains titres ou diplômes.
Votre commission vous proposera un dispositif différent fondé sur trois orientations :
• ne pas aligner les conditions d'accès à l'exercice rémunéré et à l'exercice bénévole en prévoyant d'une part quand ce sera nécessaire une meilleure définition de leurs conditions d'interventions des bénévoles et en permettant d'autre part, la validation de leur expérience ;
• maintenir l'exigence de diplômes pour l'exercice rémunéré des fonctions d'animation, d'encadrement et d'enseignement, même si bien sûr, ces diplômes peuvent être de niveau variable selon les fonctions exercées et le degré d'expertise et de responsabilité qu'elles exigent. Il y va en effet de la qualité des formations sportives, et de la sécurité des pratiquants.
• faire " rentrer " le système de formation aux professions sportives dans le cadre général de la loi du 16 juillet 1971 d'orientation sur l'enseignement technologique.
Il faut en effet sortir ce système de formation d'un isolement qu'on ne peut malheureusement pas, au vu de ses résultats, qualifier de " splendide ".
En rentrant dans le régime général d'homologation des diplômes organisé en application de la loi de 1971, on permettra peut-être enfin aux formations jeunesse et sports de mieux s'adapter à l'évolution des métiers, et de mieux prendre en compte le rapport entre niveau de formation et emploi.
La référence à la loi de 1971 permet aussi de rappeler sans équivoque que les diplômes sportifs peuvent être acquis par la voie scolaire et universitaire mais aussi par la voie de l'apprentissage, de la formation continue ou, pour partie, par la validation d'acquis.
Enfin, il paraît essentiel que les formations aux professions sportives ne restent pas en dehors de la réforme annoncée de la formation professionnelle.
*
* *
* 3 rapport de la section du rapport et des études du Conseil d'Etat sur l'exercice et le contrôle des pouvoirs disciplinaires des fédérations sportives (février 1990).
* 4 Le projet de loi initial prévoyait d'autoriser la mise en place de " règles techniques adaptées ". L'Assemblée nationale a apparemment jugé que l'octroi d'une telle autorisation excéderait la compétence du législateur et s'en est tenue à des " règles de pratiques adaptées " ce qui, du reste, ne veut rigoureusement rien dire.
* 5 Ce " seuil " fixé en 1986 dans le cadre du régime d'agrément fait sourire si l'on songe aux primes reçues par les participants aux grandes compétitions officielles. Et tout organisateur de manifestations locales, où il est d'usage que chaque participant reçoive un prix -généralement sous la forme de lots offerts par des " sponsors " locaux - peut juger que ce critère permet de viser une proportion fort importante de manifestations ou de compétitions qui ne sont en rien susceptibles de concurrencer des manifestations officielles ni de faire succomber des athlètes au mirage de l'argent facile...
* 6 cf sur ce sujet la très intéressante étude de M. Pierre Nefcoleff publiée par " La Gazette des communes " du 24 janvier 2000.
* 7 Il s'agissait en fait des seuls brevets d'Etat d'éducateur sportif, le ministère de la jeunesse et des sports considérant -il n'a d'ailleurs pas évolué sur ce point- qu'en matière d'enseignement sportif, l'Etat, c'était lui.