N°
214
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000
Annexe au procès-verbal de la séance du 9 février 2000
RAPPORT
FAIT
au
nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des
comptes économiques de la Nation (1) sur :
-
la proposition de loi
, ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE
NATIONALE,
relative à la
constitution d'une
commission
de
contrôle
nationale
et
décentralisée
des
fonds
publics
accordés aux entreprises
;
-
la proposition de loi de M. Guy FISCHER, Mmes Nicole BORVO, Marie-Claude
BEAUDEAU, M. Jean-Luc BÉCART, Mme Danielle BIDARD-REYDET, MM. Robert
BRET, Michel DUFFOUR, Thierry FOUCAUD, Gérard LE CAM, Pierre LEFEBVRE,
Paul LORIDANT, Mme Hélène LUC, MM. Jack RALITE, Ivan RENAR et Mme
Odette TERRADE
relative à la
constitution
d'une
commission
de
contrôle nationale
et
décentralisée
des
fonds publics accordés
aux entreprises
Par M.
Joseph OSTERMANN,
Sénateur.
(1) . Cette commission est composée de : MM. Alain Lambert, président ; Jacques Oudin, Claude Belot, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Roland du Luart, Bernard Angels, André Vallet, vice-présidents ; Jacques-Richard Delong, Marc Massion, Michel Sergent, François Trucy, secrétaires ; Philippe Marini, rapporteur général ; Philippe Adnot, Denis Badré, René Ballayer, Jacques Baudot, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Gérard Braun, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Jean Clouet, Yvon Collin, Jean-Pierre Demerliat, Thierry Foucaud, Yann Gaillard, Hubert Haenel, Claude Haut, Alain Joyandet, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, Michel Mercier, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Pelletier, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Henri Torre, René Trégouët.
Voir
les numéros
:
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Entreprises . |
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Le 13 octobre 1999, M. Robert Hue et les membres du groupe communiste et
apparentés de l'Assemblée nationale déposaient une
proposition de loi relative à la constitution d'une commission de
contrôle nationale et décentralisée des fonds publics
accordés aux entreprises.
Notre collègue Guy Fischer et les membres du groupe communiste,
républicain et citoyen déposaient sur le Bureau du Sénat
une proposition de loi identique le 16 décembre 1999.
Le Sénat est saisi, de manière conjointe, de ces deux
propositions de loi.
En effet, l'Assemblée nationale a adopté, le 18 janvier
dernier, la proposition de loi de M. Robert Hue et de ses collègues.
Elle a toutefois adopté une nouvelle rédaction globale de chacun
des cinq articles, et a introduit deux articles additionnels.
La présente proposition de loi est, avant tout, un texte de nature
circonstancielle.
Suite à d'importants licenciements et à des
délocalisations de production décidés par de grands
groupes industriels, elle tend à créer une commission nationale
et décentralisée chargée de contrôler les fonds
publics accordés aux entreprises, afin d'évaluer
l'efficacité et de contrôler l'utilisation des aides publiques qui
leur sont octroyées.
La création de cette commission nationale ne peut que susciter le
scepticisme de votre rapporteur quant à son utilité, sa
perplexité quant aux circonstances qui ont présidé
à sa création, et son étonnement quant à l'origine
parlementaire d'une initiative qui dessaisit le Parlement de ses
prérogatives.
I. LA CRÉATION D'UNE COMMISSION NATIONALE DES AIDES PUBLIQUES AUX ENTREPRISES EST INUTILE...
A. DES ARGUMENTS PEU CONVAINCANTS
Tant les
auteurs de la présente proposition de loi que son rapporteur à
l'Assemblée nationale, M. Jean Vila, ont développé, pour
justifier la création d'une commission de contrôle des aides
publiques accordées aux entreprises, des
arguments dont la nature
économique est incertaine.
Ils ont, en effet, cité des exemples d'entreprises dont le comportement
a pu paraître
" cynique "
1(
*
)
parce qu'elles ont annoncé
soit des licenciements après avoir réalisé d'importants
bénéfices, soit des délocalisations de leurs unités
de production alors qu'elles avaient reçu des aides non
négligeables de la part de l'Etat, des collectivités
territoriales ou de la Communauté européenne.
Rappelons que ces cas ont fait l'objet d'une forte médiatisation et
qu'ils n'ont pas manqué, par conséquent, de susciter une grande
émotion dans l'opinion publique.
Car tel est bien le caractère des arguments employés par les
auteurs et le rapporteur de la présente proposition de loi :
il
s'agit d'arguments émotionnels qui ne conviennent guère à
la réflexion et à la sérénité
nécessaires à une bonne législation.
Les interventions des députés de la majorité plurielle,
lors de l'examen de la présente proposition de loi à
l'Assemblée nationale le 18 janvier 2000 sont
révélatrices de cet état d'esprit :
" émotion considérable "
,
" inquiétude "
,
" sentiment de
colère "
,
" frappés de stupeur "
,
" profondément choqués "
figurent ainsi parmi
les expressions les plus employées.
La présente proposition de loi, dans l'esprit même de ses
concepteurs, résulte de la nécessité de réagir
rapidement à des événements ponctuels - dont votre
rapporteur n'entend évidemment pas sous-estimer les conséquences
en termes d'emploi - mais non de l'examen approfondi d'une situation d'ensemble
ni des moyens à mettre en oeuvre pour y faire face efficacement.
Or, une analyse sereine de la situation aurait démontré que la
création de cette commission de contrôle des aides publiques
accordées aux entreprises n'est pas nécessaire - car elle n'est
pas utile -, et qu'elle contribue même à restreindre les
prérogatives que les assemblées parlementaires tiennent de la loi
en matière de contrôle de l'emploi des deniers publics.
B. LA NOSTALGIE DE L'ÉCONOMIE ADMINISTRÉE
Outre le
recours à des arguments relevant davantage de l'émotion et de la
précipitation que de la rationalité économique, la
présente proposition de loi est étayée par une conception
de l'économie qui appartient au passé.
Le Premier ministre avait expliqué que, dans le contexte
économique actuel, il n'était plus possible d'administrer
l'économie, mais qu'il était en revanche souhaitable de la
" réguler "
.
Or, la présente proposition de loi révèle, chez ses
auteurs, une nostalgie certaine de l'économie administrée.
Ce fait a même été relevé par un
député de la majorité plurielle lors de l'examen du texte
à l'Assemblée nationale. M. Gérard Bapt a en effet
estimé qu'il fallait
" éviter l'écueil
bureaucratique qui constitue un risque ".
Alors que l'économie est aujourd'hui caractérisée par la
liberté des échanges commerciaux et des mouvements de capitaux,
par la globalisation des marchés, par le développement des
nouvelles technologies, Internet en particulier, les auteurs de la
présente proposition de loi envisagent la création d'une
commission de contrôle des aides publiques accordées aux
entreprises comme une solution pour limiter les effets néfastes de la
mondialisation !
Votre rapporteur considère que
la multiplication des
contrôles
, voire des tracasseries, de nature administrative n'est pas
un moyen efficace pour lutter contre le chômage. Au contraire, elle
peut contrarier l'allocation optimale des ressources et, de ce fait,
constituer un frein à la croissance et à l'emploi.
Il convient, en effet, de rappeler que la commission nationale dont la
création est proposée pourra contrôler l'utilisation des
aides publiques octroyées aux entreprises. Cela revient à
permettre à l'administration de s'immiscer dans les décisions
économiques prises par les entreprises, celles qui concernent
l'investissement en particulier.
Or, l'époque au cours de laquelle les pouvoirs publics
décrétaient le niveau de l'emploi est révolue, même
si le Gouvernement actuel est toujours tenté de rechercher cette
solution, la création des emplois jeunes - succédané
d'emplois publics - étant symptomatique de ce volontarisme politique.
C. UN AFFAIBLISSEMENT DES PRÉROGATIVES DU PARLEMENT
Votre
rapporteur ne peut dissimuler son étonnement et même son
incompréhension face à la volonté de parlementaires
d'amoindrir leurs propres prérogatives.
Car c'est bien le résultat que ne manquerait pas d'entraîner la
création d'une commission de contrôle des aides publiques
accordées aux entreprises !
Il convient, en effet, de rappeler que ce type de contrôle relève,
au premier chef, des compétences du Parlement.
Votre rapporteur se voit dans l'obligation de rappeler quelques notions de
droit constitutionnel et parlementaire.
L'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du
26 août 1789 dispose que
" tous les citoyens ont le droit de
constater, par eux-mêmes ou
par leurs représentants
, la
nécessité de la contribution publique, de la consentir librement,
d'en suivre l'emploi
et d'en déterminer la quotité,
l'assiette, le recouvrement et la durée ".
Le contrôle des fonds publics est, par essence, une prérogative
des assemblées parlementaires et constitue, par conséquent, une
condition de la démocratie représentative.
Les lois prises pour l'application de la Constitution ont précisé
ce principe, en lui donnant une portée effective.
L'article 1
er
, alinéa 2, de l'ordonnance n° 59-2 du
2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances
prévoit que
" les dispositions législatives
destinées à organiser l'information et le contrôle du
Parlement sur la gestion des finances publiques
[...]
sont contenues
dans les lois de finances ".
L'article 164 de l'ordonnance n° 58-1374 du 30 décembre 1958
portant loi de finances pour 1959 prévoit de fournir au Parlement un
ensemble de rapports et documents devant lui assurer le contrôle de
l'exécution d'une loi de finances.
En particulier, le paragraphe IV de l'article 164 précité
dispose que
" les membres du Parlement qui ont la charge de
présenter, au nom de la commission compétente, le rapport sur le
budget d'un département ministériel, suivent et contrôlent
de façon permanente, sur pièces et sur place, l'emploi des
crédits inscrits au budget de ce département. Tous les
renseignements d'ordre financier et administratif de nature à faciliter
leur mission doivent leur être fournis ".
Ce texte est fondamental : il pose le principe et définit les
modalités des prérogatives des rapporteurs spéciaux de la
commission des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat.
En outre, les rapporteurs spéciaux bénéficient, dans
l'exercice de leurs prérogatives, de l'aide de la Cour des comptes qui,
en vertu de l'article 47, alinéa 6, de la Constitution,
" assiste le Parlement et le Gouvernement dans le contrôle de
l'exécution des lois de finances ".
L'article L.135-5 du code des juridictions financières précise,
par ailleurs, que
" le premier président
[de la Cour des
comptes]
peut donner connaissance aux commissions des finances et aux
commissions d'enquête du Parlement des constatations et observations de
la Cour des comptes. Toutefois, les communications de la Cour aux ministres,
auxquelles il n'a pas été répondu sur le fond dans un
délai de six mois, sont communiquées de droit aux commissions des
finances du Parlement ".
Une assemblée parlementaire peut même décider de
constituer une commission d'enquête qui, pour une durée de six
mois, bénéficie de prérogatives particulièrement
étendues.
Le paragraphe II de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du
17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées
parlementaires définit notamment les prérogatives des rapporteurs
des commissions d'enquête :
" les rapporteurs des
commissions d'enquête exercent leur mission sur pièces et sur
place. Tous les renseignements de nature à faciliter cette mission
doivent leur être fournis. Ils sont habilités à se faire
communiquer tous documents de service, à l'exception de ceux
revêtant un caractère secret et concernant la défense
nationale, les affaires étrangères, la sécurité
intérieure ou extérieure de l'Etat, et sous réserve du
respect du principe de la séparation de l'autorité judiciaire et
des autres pouvoirs ".
Le refus de communiquer les documents visés ci-dessus est passible d'une
peine d'emprisonnement de deux ans et d'une amende de 50.000 francs.
Ainsi, les rapporteurs spéciaux des commissions des finances du
Parlement, ainsi que les rapporteurs des commissions d'enquête qu'il
aurait constituées, disposent déjà des pouvoirs
nécessaires pour contrôler l'emploi des fonds publics
accordés aux entreprises.
Dès lors, votre rapporteur ne perçoit pas bien la
nécessité de créer une commission supplémentaire
dont les prérogatives empiéteraient sur celles déjà
détenues par des assemblées parlementaires
démocratiquement élues.