B. DES OBSTACLES À LA CRÉATION D'ENTREPRISE AUJOURD'HUI IDENTIFIÉS
Les
obstacles à la création d'entreprise en France font
régulièrement l'objet d'analyses approfondies et de nombreux
rapports d'information à l'adresse des pouvoirs publics, sans que,
depuis la loi relative à l'initiative et à l'entreprise
individuelle en 1994 et le
" Plan PME pour la France "
, en
1995, de véritable politique en faveur de la jeune entreprise n'ait
été réellement engagée.
La majorité de ces analyses convergent pour souligner l'importance de
quatre séries d'obstacles : les difficultés d'accès
au financement ; la précarité du statut de créateur
d'entreprise ; les carences des dispositifs de soutien à la
création d'entreprise; l'absence de " réflexe PME " des
politiques publiques .
1. Les difficultés d'accès au financement
La
très grande majorité des projets de création d'entreprise
sont de petits projets qui, paradoxalement, éprouvent plus de
difficultés à accéder au financement que les projets plus
conséquents.
Ainsi, sur les 166.000 créations en 1997, environ 130.000 ont
nécessité moins de 36.000 francs d'investissement de
démarrage. Or, parmi ces créations, seules 22 % ont
bénéficié d'un concours bancaire.
Plus le projet est petit, plus l'accès au crédit bancaire est
difficile
: ainsi les créateurs apportant moins de
25.000 francs de capital représentent 35 % de l'ensemble des
créateurs, mais seulement 8 % d'entre eux obtiennent un financement
bancaire. Par ailleurs, les données disponibles en matière de
capital-risque montrent, malgré la très vive croissance, ces
dernières années, des financements drainés par cette
activité, l'amorçage -c'est-à-dire le démarrage-
n'en représente encore qu'une fraction infinitésimale (de l'ordre
de 1% des opérations en 1998).
Autrement dit,
il existe un besoin de micro-financement
qu'aujourd'hui
le marché ne satisfait pas. Il est plus difficile à un
créateur de trouver les premières dizaines de milliers de francs
qu'à une entreprise technologique côtée en bourse de lever
des millions d'euros.
2. La précarité du statut du créateur d'entreprise.
La
création d'entreprise est, par définition, une activité
à risque. A la perte du statut de salarié, aux difficultés
liées à la constitution et au démarrage d'une entreprise,
s'ajoutent pour la création d'entreprise
un risque financier et
patrimonial qu'aucun filet de sécurité ne vient
atténuer.
A tel point que la création d'entreprise est presque devenue un mythe,
comme le soulignait récemment notre collègue Jean-Pierre
Raffarin :
" la création d'entreprise a été
présentée comme une activité d'exception,
particulièrement difficile, comme un parcours hérissé
d'obstacles infranchissables, exigeant de celui qui voulait s'y lancer des
mérites extraordinaires. Pour atteindre au statut de créateur, il
fallait passer par toutes les affres de la complexité.
Ainsi, petit
à petit, on a installé dans la tête des jeunes
l'idée que la création d'entreprise était quelque chose de
surhumain. Ce siècle a donc préféré les grandes
structures, le gigantisme, la concentration.
Il a
préféré les grandes métropoles, et les cadres
employés par les grandes sociétés ont pris le pas sur les
petits entrepreneurs.
Au fond, il ne faut pas s'étonner si,
aujourd'hui, dans notre pays, on attend d'avoir quarante ans pour créer
son entreprise
3(
*
)
. "
Au-delà des aspects psychologiques, la prise de risque, bien
réelle, semble en effet disproportionnée. Mais elle peut
être atténuée selon que le système social et
réglementaire limite ou non la précarité du statut de
créateur, et favorise ou non le passage du statut de salarié
à celui d'entrepreneur. Or, de ce point de vue,
le système
juridique français se caractérise encore par un fort
cloisonnement et par une pénalisation excessive du chef d'entreprise en
cas d'échec
.
Cette rigidité française est d'autant plus préoccupante
qu'elle empêche notre société de tirer les pleins
bénéfices de la " nouvelle économie ",
liée notamment aux nouvelles technologies, qui fait fleurir, dans les
économies occidentales, une profusion de très petites entreprises
et qui " tire " la croissance et l'emploi. L'absence de passerelle
entre différents statuts prépare mal l'économie
française à un avenir où, comme le souligne le rapport
Boissonnat au nom du Commissariat général du plan, sur le sujet
du travail dans vingt ans,
" Dans l'avenir, il deviendra naturel de
passer d'un statut de salarié à un statut d'entrepreneur pour
revenir éventuellement au statut de salarié ".
4(
*
)
3. Les carences des dispositifs de soutien à la création d'entreprise
Le
foisonnement des dispositifs et la multiplicité des initiatives mises en
place depuis de nombreuses années par les pouvoirs publics n'ont pas
permis d'enrayer la diminution du nombre de créations d'entreprises en
France.
Les différentes évaluations de ces dispositifs soulignent, en
effet, de façon convergente,
l'excessive concentration des aides, les
carences de l'accompagnement des créateurs et leur manque de
coordination et de lisibilité.
Le Conseil national de la création d'entreprise estime qu'environ
3.000 structures interviennent d'une façon ou d'une autre dans le
soutien à la création d'entreprise. Le nombre de dispositifs
proposés aux créateurs s'élève à plus d'une
centaine. L'ensemble de ces aides bénéficie cependant à un
nombre restreint d'entreprises. Une étude du Commissariat au Plan sur la
création d'entreprise observe ainsi que
" les très
nombreuses décisions qui ont été prises dans le cadre de
diverses logiques concernent en fait un petit nombre d'entreprises. Les
créations de très petites entreprises sont peu
aidées ".
5(
*
)
Ce phénomène s'est, en outre, accentué ces
dernières années avec la multiplication des dispositifs en faveur
de la création d'entreprises innovantes. Comme le note un rapport
récent du Conseil national du crédit : "
Les mesures
prises, à l'exception d'initiatives mises en place par la SOFARIS, ont
été surtout consacrées aux PMI innovantes et beaucoup
moins aux PME plus traditionnelles ou appartenant à d'autres secteurs
(comme les services ou les BTP), alors que les besoins en fonds propres de ces
dernières, tels que les expriment leurs dirigeants, sont plus
importants. La mise à niveau en ce qui concerne le financement des
entreprises innovantes ayant été réalisée pour
l'essentiel, une réorientation en ce sens paraît
nécessaire "
6(
*
)
.
Cette spécialisation des aides conduit notamment à
délaisser les projets de création de très petites
entreprises dans les secteurs d'activité traditionnels.
Cette excessive concentration s'accompagne d'une certaine
carence dans
l'accompagnement de la création d'entreprise.
Quelle qu'en soit la forme, l'accompagnement par des professionnels d'un projet
de création d'entreprise est un facteur déterminant de la
pérennité de l'entreprise créée. Or, comme le
souligne le rapport du député Eric Besson sur la création
d'entreprise, "
on estime qu'environ
un entrepreneur sur dix
seulement est accompagné pendant sa phase de création
.
Estimation corroborée par la faible somme des prêts
accordés (10.000 par an environ) par les principaux réseaux
d'appui à la création d'entreprise. On est loin de l'objectif de
" 40 % d'entrepreneurs réellement accompagnés "
que fixait le Commissariat général au Plan dans son rapport de
1996 ".
7(
*
)
Les dispositifs d'accompagnement à la création d'entreprise
souffrent, par ailleurs, de l'absence de prise en compte par la loi de leur
existence.
Ainsi, les collectivités territoriales, afin de promouvoir la
création d'entreprise sur leur territoire, ont souhaité mettre en
place des incubateurs, des fonds d'amorçage ou subventionner des
organismes d'accompagnement de la création d'entreprise tels que les
plates-formes d'initiatives locales. Or, en l'absence de dispositions du code
des collectivités territoriales les y autorisant, ces initiatives ne
bénéficient que de conditions juridiques précaires, peu
propices à leur développement.
4. L'absence de " réflexe PME " des politiques publiques
L'absence de prise en compte des enjeux de la création
d'entreprise dans l'ensemble des politiques publiques est également
à l'origine de la complexité et de la lourdeur de la
réglementation et des procédures administratives.
Malgré les mesures successives de simplification administrative,
la
création d'entreprise apparaît encore comme un " parcours du
combattant "
. Chaque administration poursuit sa propre logique,
multiplie des formalités qui constituent une véritable source de
découragement pour les petites entreprises.
Le droit des marchés publics est, à cet égard,
emblématique, d'une part, de la complexité des procédures
administratives et, d'autre part, de la
faible prise en compte des besoins
des PME
par l'ensemble des acteurs publics.
Disposant de moyens plus limités pour accéder à
l'information sur les besoins des acheteurs, pour suivre les différentes
phases de la procédure de passation des marchés et pour
maîtriser les contraintes d'une procédure par ailleurs trop
complexe, les PME accèdent peu aux marchés publics, et le plus
souvent en tant que sous-traitantes, dans des conditions peu satisfaisantes.
Alors que les pouvoirs publics s'efforcent de soutenir le développement
des PME, il est paradoxal de constater qu'ils n'utilisent guère, dans
cet objectif, l'achat public, qui pourrait pourtant se révéler
être un instrument efficace, comme le montre l'exemple
américain.