N° 178

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000

Annexe au procès-verbal de la séance du 20 janvier 2000

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de résolution, présentée en application de l'article 73 bis du Règlement, par M. René TRÉGOUËT au nom de la délégation pour l'Union européenne sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à certains aspects juridiques du commerce électronique dans le marché intérieur (n° E-1210),

Par M. Charles JOLIBOIS,

Sénateur.

(1) . Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ; René-Georges Laurin, Mme Dinah Derycke, MM. Pierre Fauchon, Charles Jolibois, Georges Othily, Michel Duffour, vice-présidents ; Patrice Gélard, Jean-Pierre Schosteck, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, secrétaires ; Nicolas About, Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, José Balarello, Jean-Pierre Bel, Christian Bonnet, Robert Bret, Guy-Pierre Cabanel, Charles Ceccaldi-Raynaud, Marcel Charmant, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Gérard Deriot, Gaston Flosse, Yves Fréville, René Garrec, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Jean-François Humbert, Pierre Jarlier, Lucien Lanier, Simon Loueckhote, François Marc, Bernard Murat, Jacques Peyrat, Jean-Claude Peyronnet, Henri de Richemont, Simon Sutour, Alex Türk, Maurice Ulrich.


Voir le numéro :

Sénat : 475 (1998-1999)

Union européenne .

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION

La commission des Lois, réunie le jeudi 20 janvier 2000, sous la présidence de M. Jacques Larché, président, a examiné, sur le rapport de M. Charles Jolibois, la proposition de résolution de la Délégation pour l'Union européenne sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil, relative à certains aspects juridiques du commerce électronique dans le marché intérieur, dans sa version issue de l'accord politique du 7 décembre 1999.

Elle a constaté la contradiction posée par la proposition de directive, qui affirme vouloir inscrire le commerce électronique dans les règles existantes, mais veille à ce qu'aucune de ces règles ne s'oppose à son développement.

Puis elle a approuvé les demandes adressées au Gouvernement par la Délégation du Sénat pour l'Union européenne, tendant à :

- corriger les dispositions relatives à la conclusion de contrats électroniques , dans la mesure où la directive proposée néglige les problèmes de preuve qui ne manqueront pas de se poser en cas de litige  ; la commission a souhaité ne pas voir modifiées les exigences d'écrits ad validitatem posées par le droit français, sans un examen approfondi ;

- adapter dans les meilleurs délais le droit fiscal au commerce électronique.

De plus, la commission a souhaité renforcer la protection des consommateurs dans le cadre du commerce électronique :

- en affirmant l'application au commerce électronique de la directive 97/7/CE du 20 mai 1997 concernant la protection des consommateurs en matière de contrats à distance, en particulier le droit de rétractation de sept jours permettant au consommateur de renvoyer un bien sans pénalités et sans indiquer de motif ;

- en veillant à ce que le commerce électronique n'offre pas moins de garanties au consommateur que les autres formes de commerce.

Elle a approuvé les positions défendues par la délégation française lors des négociations au Conseil, en particulier sur la responsabilité des intermédiaires techniques.

Enfin, elle a regretté que la directive proposée n'indique pas clairement le droit applicable aux contrats entre consommateurs et entreprises , renvoyant sur ce point au droit international privé. Elle s'est donc prononcée en faveur d'une inscription expresse, dans le corps de la directive, de l' application de la loi du pays de résidence du consommateur .

Mesdames, Messieurs,

La proposition de résolution n° 475 (Sénat, 1998-1999), présentée par notre collègue M. René Trégouët au nom de la Délégation pour l'Union européenne, sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à certains aspects juridiques du commerce électronique dans le marché intérieur, tend à répondre au développement rapide du commerce électronique et aux enjeux qu'il ne manque pas de soulever en termes d'adaptation de notre droit.

Il convient de souligner dès l'abord que la directive proposée ne régit que les services du marché intérieur . Elle ne s'applique qu'aux transactions électroniques entre un consommateur et un prestataire de service établis dans l'un des quinze États membres.

Le commerce électronique peut être défini comme la vente de biens et services sur les réseaux de télécommunication ; il s'inscrit donc dans le cadre plus large des ventes à distance. Son développement est étroitement lié à celui de l'utilisation des technologies de l'information et de la communication (TIC), parfois dites " nouvelles " (NTIC).

Votre rapporteur souhaite que le débat se situe sur le plan juridique. Cependant, il lui semble nécessaire de donner quelques repères techniques permettant de mieux appréhender la nature du commerce électronique.

1. Le développement du commerce électronique en France

De source gouvernementale 1( * ) , le nombre de Français disposant d'une connexion à Internet (" internautes ") en 1999 était de 5 ou 6 millions et une entreprise sur deux était connectée à Internet.

La mission pour le commerce électronique, présidée par M. Francis Lorentz, définit le commerce électronique comme l'ensemble des transactions marchandes effectuées sur un réseau électronique ouvert par l'intermédiaire d'ordinateurs ou d'autres terminaux interactifs. Elle donne un état du commerce électronique en France : en juillet 1998, la France comptait environ 34.000 sites enregistrés dans le " .com ", à comparer aux 220.000 sites britanniques, 150.000 sites allemands et deux millions de sites américains.

Mais seuls 500 sites en France sont des webs marchands en septembre 1998, soit moins de 8 % du total européen.

Le commerce électronique se répartit en commerce interentreprises , dit " B to B " ou " business to business ", et en commerce résidentiel , ou " business to consumer " (" B to C ").

Le volume des échanges commerciaux interentreprises sur EDI 2( * ) en France représente 800 milliards de francs, le commerce électronique interentreprises hors EDI et hors Minitel s'établissant quant à lui à deux milliards de francs. Le commerce électronique résidentiel est estimé à 50 milliards de francs dans le monde en 1998 et représente en France de 500 millions à un milliard de francs (total des ventes en ligne aux particuliers avec ou sans paiement). Le commerce interentreprises représente plus de 80% du volume des échanges sur Internet .

En France, en matière de commerce résidentiel, le Minitel reste le premier média du commerce électronique avec 7 à 8 milliards de francs d'achats.

Le commerce électronique recouvre deux modalités de l'activité commerciale :

• Le commerçant utilise le réseau uniquement pour promouvoir un bien ou un service et recevoir des commandes. Le contrat est conclu électroniquement mais le bien ou le service est fourni par un autre moyen (par exemple, un envoi postal). Dans ce cas, le commerce électronique se réduit à un système de commande par échanges de données informatisées (EDI).

• Le commerçant assure aussi la fourniture des biens et services commandés au moyen du réseau (par exemple le téléchargement du logiciel commandé ou la transmission des informations d'une banque de données). La conclusion du contrat mais aussi son exécution revêtent une forme électronique. Il s'agit du " commerce en ligne ". Dans ce cas, le commerçant doit recevoir l'ordre de paiement en même temps que la commande électronique. Ceci implique que l'ordre de paiement soit émis directement sur Internet.

2. Le paiement d'une somme d'argent sur Internet

Les moyens de paiement fonctionnant directement sur le réseau 3( * ) , à savoir le télévirement, le télépaiement par carte, les porte-monnaie électronique et virtuel, sont totalement dématérialisés et ne font à ce jour l'objet d'aucune réglementation spécifique ; ils sont donc soumis aux règles du droit commun (droit des contrats, droit de la preuve, droit de la consommation, etc.). La source principale des règles régissant ces moyens de paiement est le contrat : contrat d'adhésion conclu avec l'utilisateur et règles contractuelles adoptées par les professionnels entre eux.

Ces contrats définissent le régime juridique applicable à ces moyens de paiement, qu'il s'agisse de la répartition des risques liés au fonctionnement du système, de la loi applicable ou du tribunal compétent, ou encore de la preuve de l'ordre de paiement.

3. La sécurisation des transactions électroniques par cryptage

Le commerce électronique, en particulier le télépaiement, ne peut se développer sans la confiance des consommateurs. Votre rapporteur s'attachera à montrer que cette confiance peut être renforcée au niveau juridique par la définition, dans la directive proposée, du droit applicable aux transactions électroniques.

Sur le plan technique, des procédés informatiques tentent d'assurer la confidentialité des données liées à la vie privée et la sécurité des transactions financières. Il s'agit de la cryptologie 4( * ) .

*

Votre rapporteur vous présentera les grandes lignes de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil ; puis les orientations retenues par la Délégation du Sénat pour l'Union européenne et la proposition de résolution soumise à votre examen ; enfin la position de votre commission des Lois et la proposition de résolution modifiée.

Votre commission des Lois étant saisie des aspects juridiques 5( * ) du commerce électronique, elle s'attachera à soutenir les initiatives de la délégation française tendant à clarifier les règles auxquelles est soumis le commerce par voie électronique. De plus, elle vous proposera d'affirmer l'importance qui doit être attachée à la protection du consommateur , dans la mesure où le commerce électronique présente des risques liés à la distance entre les deux parties. Enfin, elle s'intéressera à la question juridique centrale : quel est le droit applicable aux transactions électroniques ?

I. LA PROPOSITION DE DIRECTIVE SUR LE COMMERCE ÉLECTRONIQUE

La procédure d'examen de la proposition de directive communautaire sur le commerce électronique est rappelée en annexe du présent rapport.

Il s'agit de rappeler les différentes étapes de la procédure législative communautaire, de la proposition de base de la Commission européenne en date du 18 novembre 1998 à l' accord politique atteint en Conseil des ministres de l'Union européenne le 7 décembre 1999.

A. LES DISPOSITIONS GÉNÉRALES DE LA PROPOSITION DE DIRECTIVE ISSUE DE L'ACCORD POLITIQUE

Le compromis global issu de la réunion du Conseil " Marché intérieur " du 7 décembre 1999 a abouti à une nouvelle version du projet de directive du Parlement européen et du Conseil relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur.

Il s'inscrit dans une perspective très libérale, faisant prévaloir le principe de liberté de circulation des biens et services, sauf quand il entrera en contradiction avec les droits des consommateurs.

Cette directive devrait permettre aux prestataires de services de la société de l'information de bénéficier de l'application des principes de libre prestation de services et de liberté d'établissement qui sont à la base du marché intérieur et d'offrir leurs services partout dans l'Union européenne dans la mesure où ils respectent la législation de leur pays d'origine .

La directive proposée ne modifie pas la législation communautaire existante, elle se contente d'introduire des règles harmonisées spécifiques dans les seuls domaines où cela est strictement nécessaire.

Il s'agit en particulier de la détermination du lieu d'établissement des opérateurs, des obligations de transparence pour les opérateurs, des exigences en matière de communications commerciales, de la conclusion et la validité des contrats électroniques, de la responsabilité des intermédiaires d'Internet, du règlement des différends en ligne et du rôle des administrations nationales.

Dans d'autres domaines, la directive s'appuiera sur les instruments communautaires existant en matière d'harmonisation ou de reconnaissance mutuelle des législations nationales.

*

Votre rapporteur ne dispose à l'heure actuelle que d'une version en anglais des nouveaux considérants de la directive issue de l'accord politique du 7 décembre 1999. Il regrette que le processus législatif au niveau communautaire ne permette pas d'avoir accès rapidement à une version des textes en préparation dans chacune des onze langues officielles de l'Union.

La proposition de directive comprend quatre chapitres : les dispositions générales, les principes, la mise en oeuvre et les dispositions finales.

Les dispositions générales indiquent les objectifs, le champ d'application et quelques définitions, puis mettent en évidence l'application au commerce électronique des règles du marché intérieur.

1. Objectifs, champ d'application et définitions

Selon l' article 1 er de la directive proposée, l'objectif est de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur en assurant la libre circulation des services de la société de l'information entre les États membres.

La directive complète de droit communautaire, n'établit pas de règles additionnelles de droit international privé et n'aborde pas les règles de compétence des tribunaux.

Elle n'est pas applicable :

- au domaine de la fiscalité ;

- aux questions couvertes par les directives relatives à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel ;

- aux questions relatives aux accords ou pratiques régis par le droit sur les ententes ;

- aux activités des notaires et des avocats ;

- et aux jeux de hasard.

L' article 2 définit les termes utilisés, à savoir les services de la société de l'information, le prestataire, le prestataire établi 6( * ) , le destinataire du service, le consommateur, la communication commerciale, la profession réglementée et le " domaine coordonné ".

2. Le marché intérieur des services de la société de l'information

L' article 3 présente un enjeu important dans la mesure où il a pour objectif de mettre en oeuvre les principes du marché intérieur , en particulier celui de libre circulation des biens et services, dans le domaine du commerce électronique.

En principe, est interdite toute forme de restriction à la libre circulation des services de la société de l'information, c'est-à-dire tout comportement d'un État membre susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l'exercice de la libre circulation des services.

Toutefois, cet article définit les dérogations et exceptions à ce principe.

Les dérogations énumérées à l' annexe I de la directive proposée ont fait l'objet de vifs débats. Il s'agit des domaines auxquels les principes du marché intérieur ne s'appliqueront que sous réserve , notamment :

- le droit d'auteur, les droits voisins, les droits de propriété industrielle ;

- l'émission de monnaie électronique par des institutions financières ;

- certains services fournis par les organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) et les sociétés d'assurance directe ;

- les obligations contractuelles concernant les contrats conclus par les consommateurs ;

- les contrats créant ou transférant des droits sur les biens immobiliers, lorsque ces contrats sont soumis à des exigences formelles obligatoires ;

- les communications commerciales non sollicitées par courrier électronique.

Les mesures prises par les États membres à l'encontre d'un service de la société de l'information, dans la mesure où elles restreignent la libre circulation des services, doivent être nécessaires , c'est-à-dire subordonnées à une atteinte ou à un risque sérieux et grave d'atteinte à l'ordre public, à la sécurité et la défense nationales, à la protection des consommateurs et investisseurs. Ces mesures doivent être proportionnées à ces objectifs.

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