III. LES ENJEUX À MOYEN TERME
La
presse, qu'elle soit nationale ou locale, générale ou
spécialisée, se développe dans un milieu ouvert,
évolutif. La diffusion croissante d'Internet,
l'accélération de la convergence avec le passage rapide au
" tout numérique " changent les données de la
concurrence pour la presse.
On a dépassé le stade où l'on pouvait opposer la presse
à la télévision, l'écrit à l'image. Les uns
comme les autres ne peuvent concevoir leur avenir que comme naturellement
multimédias.
D'où sans doute des revirements stratégiques qui résultent
de ce que la presse a compris qu'elle ne pouvait pas se replier sur son seul
marché traditionnel et qu'elle devait passer à l'offensive pour
mettre en valeur tout le savoir faire qu'elle a acquis dans l'écrit.
1. Les télévisions locales : un débouché naturel pour la presse ?
Longtemps les relations entre la presse et la
télévision ont été conçues de façon
simple voire simpliste comme un affrontement frontal dans le cadre d'un
processus de sélection quasi - darwinien : compétition pour
l'audience mais aussi compétition pour les recettes publicitaires.
L'évolution réglementaire liée à la mise en place
d'un véritable espace audiovisuel européen va faire sauter les
barrières censées protéger les recettes publicitaires de
la presse.
A l'heure actuelle, la grande distribution n'a pas accès aux
écrans de télévision - avec la presse elle-même et
le livre -. Ces réglementations, qui n'existent pas dans les autres pays
européens, devront à l'évidence évoluer. Or la
grande distribution représente 40% des recettes publicitaires de la
presse quotidienne de province.
Longtemps, la situation a paru bloquée jusqu'à ce que, sous la
pression des télévisions locales, dont l'économie est
particulièrement fragile comme en témoigne notamment le sort de
Télé Mont Blanc, on ait abordé la question d'une
évolution de la réglementation. Les esprit ont
évolué comme en témoignent les conclusions du rapport
présenté par MM. Michel Francaix et Jacques Vistel à
l'automne 1998, qui a estimé que la meilleure voie d'entrée de la
presse quotidienne régionale dans l'audiovisuel est constituée
par les télévisions locales et juge souhaitable que le CSA
examine avec une attention particulière les projets de
télévisions locales qui associeront la presse quotidienne
régionale, dans le respect du pluralisme.
En effet, l'intérêt qu'un nombre croissant de
télévisions locales portent désormais à des
développements dans les télévisions locales, change les
données de la question.
L'avènement annoncé du numérique terrestre devrait
faciliter la solution du problème en offrant à la presse des
possibilités de diffusion accrues.
La plupart des grands journaux régionaux ont fait connaître
récemment leur souhait d'être opérateurs d'un service de
télévision hertzien.
Ils ont compris que dans un contexte de
concurrence intense, la télévision représentait un champ
nouveau dans lequel ils pouvaient mettre en valeur leurs compétences.
Dans son rapport au Conseil économique et social sur les effets des
nouvelles technologies sur l'industrie de la presse, M. Jean Miot, estime qu'un
vingtaine de chaînes locales pourraient être créés
par la presse quotidienne régionale. Mais, ajoute-t-il, elles ne
pourront vivre qu'à la condition d'avoir " accès au
marché national de la publicité. "
Cette évolution soulève deux questions :
• le développement multimédias des journaux de la
presse quotidienne de province met-elle en question le pluralisme de
l'information au niveau local ? Votre rapporteur spécial estime
que, sous réserve de cas particuliers, le numérique va
entraîner une prolifération des chaînes qui ne peut que
faire considérer ce risque comme limité
1(
*
)
;
• l'économie des chaînes locales est-elle
assurée compte tenu du potentiel restreint des dépenses locales,
eu égard aux coûts d'une chaîne de télévision
locale ? Votre rapporteur spécial considère à cet
égard, d'une part que la technologie permet de produire des
émissions à faible coût - et que les frais facturés
par TDF sont bien souvent exorbitants - et d'autre part que les système
de syndication publicitaire comme celui préconisé autour des
projets portés par le Parisien est de nature à accroître
les ressources globales des chaînes locales.
Le rapport conclut sur ce sujet en affirmant :
" C'est en se
diversifiant, comme elle l'a déjà fait avec les gratuits et les
radios locales, que la presse régionale pourra conserver son
marché publicitaire, sur les télévisions de
proximité comme sur les sites Internet. "
2. Internet une nouvelle frontière pour la presse ?
Le
rapport du conseil économique et social déjà cité
démontre que la presse est en train de trouver dans Internet une
nouvelle frontière de développement.
La presse doit apprendre à s'insérer dans un espace, le
cyberspace, dans lequel chacun peut être consommateur et producteur
d'information. L'article est une sorte de planète qui, lorsqu'on
l'explore, renvoie à tout un ensemble d'autres planètes, base de
données, images, bande son vidéo, forum de discussion...
Pour le Conseil économique et social,
" La presse survivra
à condition qu'elle s'adapte. Les journaux continueront d'exister si les
éditeurs comprennent que le multimédia n'est pas un support de
substitution mais de complément. Le transfert du papier à
l'écran est voué à l'échec, sauf en matière
d'archives et de banques de données ".
C'est également l'avis de professionnels, qui ne manquent pas de
rappeler qu'on ne peut se contenter de transposer un journal tel quel sur
Internet. " Aujourd'hui la presse en ligne n'a pas pour vocation de capter un
lectorat nouveau, ni même de prolonger le contenu du support sur le Net,
mais bien d'apporter une prestation de service dynamique et qualitative ", note
l'enquête réalisée par Zenith Digital (Zenith Media),
intitulée " Quand la presse écrite fait de l'Internet ",
citée par le rapport du conseil économique et social...
La presse nationale s'est résolument lancée sur Internet :
Libération a lancé un site d'accès gratuit conçu
comme un moyen supplémentaire de développer les recettes
publicitaires du titre, Le Monde, en ligne depuis quatre ans, a investi
30 millions de francs dans sa filiale multimédia et vient de
restructurer totalement son site, quant au Parisien, il privilégie les
services pratiques " on line ", avec notamment 200.000 articles
consultables sur abonnement, une revue de presse payante et un programme
Cityguide, outil pratique destiné à aider les internautes dans
leurs choix de sorties en Ile-de-France. Chaque mois, le site du Parisien
enregistre 600.000 pages vues.
Les magazines ne sont pas en reste ; Elle, avec un million de pages vues
par mois, crée sans cesse de nouvelles fonctions destinées
à renforcer le lien de proximité créé avec ses
lectrices en développant notamment les forums de discussion, et en
offrant également la possibilité à chaque internaute de
créer sa page personnelle, Paris-Match, a lancé, à
l'occasion de son 50
ème
anniversaire, une nouvelle
version de ses pages Web (700.000 pages vues par mois), qui s'appuie sur
un concept de télévision en ligne avec pour objectif de prolonger
l'actualité autour d'un programme au contenu exclusif
La presse française va devoir changer de méthodes
commerciales : pour retenir l'internaute, il lui faut compléter le
contenu éditorial par des services pratiques. C'est donc un vrai
changement de métier. Il va falloir apprendre à investir dans le
marketing pour retenir l'internaute " zappeur ".
L'accès étant gratuit, la rémunération ne peut se
faire que par le trafic commercial généré par le
site :
la cible n'est plus seulement le lecteur mais le " consommateur
".
Les professionnels de l'information vont sans doute devoir se transformer en
commerçants électroniques et développer la vente de
services rattachés aux différentes rubriques du journal comme les
spectacles, les voyages ou les livres.
Le site Web offre des possibilités de ciblage, de personnalisation,
d'interactivité, incomparables avec le support papier. La
fidélisation sera celle attachée à la marque du titre.
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Ce qui
est certain c'est que les perspectives offertes par Internet mais aussi le
défi concurrentiel qu'il constitue, va obliger la presse à
regrouper ses forces.
On l'a vu avec PQR 66 pour la syndication publicitaire, on le voit aujourd'hui
pour les petites annonces. Vingt-trois quotidiens régionaux vont unir
leurs petites annonces sur un même site, via la société "
France P. A. Presse ", permettant leur commercialisation et leur exploitation.
La société anonyme " France P. A. Presse " est en cours de
constitution. Son capital sera réparti entre les différents
groupes éditeurs en fonction de l'audience de leurs
publications
2(
*
)
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