II. LE PROJET DE LOI : COMPLÉTER LE CODE PÉNAL ET LE CODE DE PROCÉDURE PÉNALE POUR PERMETTRE LA PLEINE APPLICATION PAR LA FRANCE DES CONVENTIONS DE L'UNION EUROPÉENNE ET DE L'O.C.D.E
Certaines dispositions du droit pénal français ne satisfont pas pleinement aux obligations définies par les conventions signées dans le cadre de l'Union européenne et de l'O.C.D.E. Ainsi, la corruption active et passive d'agents publics est punie par le code pénal, mais les infractions concernées ne couvrent ni les agents publics étrangers ni les fonctionnaires des organisations internationales publiques (même si une certaine ambiguïté demeure sur ce dernier point).
A. QUATRE INFRACTIONS NOUVELLES
L'exposé des motifs du projet de loi indique que
"
les dispositions actuellement existantes en matière de
corruption et les dispositions nouvelles induites par les traités
auraient pu être regroupées dans un seul article du code
pénal
".
Le Gouvernement a cependant choisi de procéder différemment, afin
d'éviter la création d'un "
ensemble juridique complexe
et touffu
".
L'article premier du projet de loi prévoit donc l'insertion dans le
livre IV (Des crimes et délits contre la Nation, l'Etat et la paix
publique) - titre III (Des atteintes à l'autorité de l'Etat)
un nouveau chapitre comprenant l'ensemble des dispositions relatives à
la corruption internationale. Dans le même souci de clarté, le
Gouvernement a estimé souhaitable que chaque nouvel article du code
pénal fasse référence explicitement à la convention
dont il tend à permettre l'application.
1. Des incriminations spécifiques
Quatre
infractions nouvelles seraient créées, deux relatives aux
conventions de l'Union européenne et deux à la convention de
l'O.C.D.E.
• Deux de ces infractions doivent permettre la transposition des
conventions et protocoles signés dans le cadre de l'Union
européenne :
- la corruption passive de fonctionnaire communautaire ou de fonctionnaire
d'un autre Etat membre de l'Union européenne ainsi que la corruption
passive d'un membre de la Commission européenne, du Parlement
européen, de la Cour de justice et de la Cour des comptes des
Communautés européennes (art. 435-1 nouveau du code
pénal) ;
- la corruption active des mêmes personnes (article 435-2
nouveau du code pénal).
Il convient de noter que les conventions et protocoles qu'il s'agit de
transposer visent non seulement la corruption active et passive, mais
également les infractions portant atteinte aux intérêts
financiers des Communautés européennes. Le Gouvernement a
considéré que les incriminations pénales existantes
permettaient de réprimer ces agissements.
De fait, certains délits fiscaux et douaniers peuvent s'appliquer aux
fraudes au budget communautaire, de même que les délits
d'escroquerie (article 313-2 du code pénal), de faux
(articles 441-1 et suivants du code pénal), d'obtention d'aides
publiques pour fausses déclarations (article 441-6 du code
pénal).
• Deux infractions doivent permettre la transposition de la
convention du 17 décembre 1997 signée dans le cadre de
l'O.C.D.E :
- la corruption active d'une personne dépositaire de
l'autorité publique, chargée d'une mission de service public, ou
investie d'un mandat électif public dans un Etat étranger ou au
sein d'une organisation internationale publique (article 435-2 nouveau du
code pénal) ;
- enfin, la corruption active d'un magistrat, d'un juré ou de toute
autre personne siégeant dans une formation juridictionnelle, d'un
arbitre ou d'un expert nommé soit par une juridiction, soit par les
parties ou d'une personne chargée par l'autorité judiciaire d'une
mission de conciliation ou de médiation, dans un Etat étranger ou
au sein d'une organisation internationale publique.
Il convient de noter que les définitions retenues pour ces
infractions ont été entièrement reprises des dispositions
du code pénal qui punissent la corruption passive d'agents publics
nationaux (article 432-11 du code pénal), la corruption active
d'agents publics nationaux (article 433-1 du code pénal) et la
corruption active de magistrat (article 434-9 du code pénal).
Le seul élément novateur est le fait que la corruption d'agents
publics étrangers (articles 435-3 et 435-4 nouveaux du code
pénal) ne sera incriminée que si elle est faite "
en vue
d'obtenir ou de conserver un marché ou un autre avantage indu dans le
commerce international
" conformément à la convention de
l'O.C.D.E du 17 décembre 1997.
Les définitions de la corruption
•
Convention du 26 mai 1997 relative à la lutte contre la corruption
impliquant des fonctionnaires des Communautés européennes ou des
fonctionnaires des Etats membres de l'Union européenne
:
- corruption passive : " (...)
est constitutif de
corruption passive le fait intentionnel, pour un fonctionnaire, directement ou
par interposition de tiers, de solliciter ou de recevoir des avantages de
quelque nature que ce soit, pour lui-même ou pour un tiers, ou d'en
accepter la promesse, pour accomplir ou ne pas accomplir, de façon
contraire à ses devoirs officiels, un acte de sa fonction ou un acte
dans l'exercice de sa fonction
" ;
- corruption active : " (...)
est constitutif de corruption
active le fait intentionnel, pour quiconque, de promettre ou de donner,
directement ou par interposition de tiers, un avantage de quelque nature que ce
soit, à un fonctionnaire, pour lui-même ou pour un tiers, pour
qu'il accomplisse ou s'abstienne d'accomplir, de façon contraire
à ses devoirs officiels, un acte de sa fonction ou un acte dans
l'exercice de sa fonction
".
•
Convention du 17 décembre 1997 sur la lutte contre
la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions
commerciales internationales
:
- corruption active : " (...)
le fait intentionnel, pour
toute personne, d'offrir, de promettre ou d'octroyer un avantage indu
pécuniaire ou autre, directement ou par des intermédiaires,
à un agent public étranger, à son profit ou au profit d'un
tiers, pour que cet agent agisse ou s'abstienne d'agir dans l'exécution
de fonctions officielles, en vue d'obtenir ou conserver un marché ou un
autre avantage indu dans le commerce international
".
•
Code pénal français
:
- corruption passive (art. 432-11) : " (...)
le fait,
par une personne dépositaire de l'autorité publique,
chargée d'une mission de service public, ou investie d'un mandat
électif public, de solliciter ou d'agréer, sans droit,
directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des
présents ou des avantages quelconques (...) pour accomplir ou s'abstenir
d'accomplir un acte de sa fonction, de sa mission ou de son mandat ou
facilité par sa fonction, sa mission ou son mandat
" ;
- corruption active (art. 433-1) : " (...)
le fait de
proposer, sans droit, directement ou indirectement, des offres, des promesses,
des dons, des présents ou des avantages quelconques pour obtenir d'une
personne dépositaire de l'autorité publique, chargée d'une
mission de service public ou investie d'un mandat électif public
(...)
qu'elle accomplisse ou s'abstienne d'accomplir un acte de sa
fonction, de sa mission ou de son mandat ou facilité par sa fonction, sa
mission ou son mandat
; (...)
le fait de céder à une
personne dépositaire de l'autorité publique, chargée d'une
mission de service public ou investie d'un mandat électif public qui
sollicite, sans droit, directement ou indirectement, des offres, des promesses,
des dons, des présents ou des avantages quelconques pour accomplir ou
s'abstenir d'accomplir un acte (de sa fonction, de sa mission ou de son mandat
ou facilité par sa fonction, sa mission ou son mandat
").
2. Le régime des sanctions
Le
Gouvernement propose de punir les quatre nouvelles infractions des mêmes
peines que celles qui sont prévues pour la corruption active ou passive
d'agents publics nationaux, à savoir dix ans d'emprisonnement et
1.000.000 F d'amende.
Les personnes physiques encourraient en outre des
peines
complémentaires
: l'interdiction des droits civiques,
l'interdiction d'exercer une fonction publique ou l'activité dans
l'exercice de laquelle l'infraction a été commise, l'affichage de
la décision, enfin la confiscation de la chose qui a servi ou
était destinée à commettre l'infraction ou de la chose qui
en est le produit.
Il convient de noter que la peine de confiscation n'est pas actuellement
prévue en cas de corruption d'un agent public national, mais la
convention de l'O.C.D.E ainsi que le protocole à la convention sur la
protection des intérêts financiers des Communautés
européennes font obligation aux parties de prévoir une telle
peine.
Les conventions prévoyant l'obligation pour les Etats connaissant la
responsabilité pénale des personnes morales
de l'appliquer
aux infractions de corruption internationale, le projet de loi tend à
permettre que les personnes morales puissent être punies des mêmes
peines que celles qu'elles encourent en cas de corruption d'agents publics
nationaux. Rappelons que le nouveau code pénal prévoit qu'une
personne morale encourt une amende d'un montant maximal du quintuple de
l'amende encourue par les personnes physiques. Parmi les peines prévues
figurent en outre, pour une durée de cinq ans ou plus :
- l'interdiction d'exercer l'activité dans laquelle l'infraction a
été commise ;
- la fermeture des établissements ou de l'un des
établissements de l'entreprise ayant servi à commettre les faits
incriminés ;
- l'exclusion des marchés publics ;
- l'interdiction de faire appel public à l'épargne.
3. La question de la concurrence des infractions
Quelques
précisions méritent d'être apportées à propos
des nouvelles infractions que tend à créer le projet de loi. Dans
certains cas, la disposition sur la corruption active prise en application de
la convention signée dans le cadre de l'Union européenne pourrait
être applicable concurremment à la disposition prise en
application de la convention signée dans le cadre de l'O.C.D.E.
L'exposé des motifs du projet de loi précise que, dans une telle
situation, "
les dispositions prises en application des traités
de l'Union seront seules applicables ; elles constituent en effet une loi
spéciale compte tenu de leur champ d'application territorial restreint,
résultant de traités régionaux d'ailleurs
mentionnés dans le corps même du texte d'incrimination
".
La principale différence entre les régimes des infractions est
que le projet de loi prévoit explicitement que le ministère
public détient le monopole des poursuites en ce qui concerne la
corruption d'agent public étranger (hors Union européenne) alors
que cette précision ne figure pas en matière de corruption de
fonctionnaire communautaire ou de fonctionnaire d'un Etat membre de l'Union
(voir ci-dessous)
4. Compétence des juridictions françaises
Les
conventions que le projet de loi tend à transposer prévoient des
dispositions particulières relatives à l'établissement par
les Etats parties de la compétence de leurs juridictions. Ainsi, la
convention de l'O.C.D.E prévoit, dans son article 4, que chaque Etat
établit sa compétence lorsque l'infraction est commise en tout ou
partie sur son territoire. Cette clause est satisfaite par l'article 113-2 du
nouveau code pénal.
La convention prévoit en outre que les parties ayant compétence
pour poursuivre leurs ressortissants à raisons d'infractions commises
à l'étranger doivent établir leur compétence
à l'égard de la corruption d'un agent public dans les mêmes
conditions.
A cet égard, l'article 113-6 du nouveau code pénal
prévoit que la loi pénale française "
est
applicable aux délits commis par des Français hors du territoire
de la République si les faits sont punis par la législation du
pays où ils ont été commis
". En vertu de cette
règle, la corruption d'agent public étranger par un
Français hors du territoire de la République ne pourra être
réprimée en France que si la législation du pays du
fonctionnaire concerné punit la corruption de ses agents publics. Dans
quelques cas, cette règle de la double incrimination a été
écartée par certaines lois. Ainsi, l'article 222-22 du code
pénal, tel qu'il résulte de la loi relative à la
répression et à la prévention des infractions sexuelles du
17 juin 1998, prévoit que la loi française est
applicable aux agressions sexuelles commises à l'étranger contre
un mineur par un Français ou une personne résidant habituellement
sur le territoire français par dérogation à
l'article 113-6 du code pénal. Si la règle de la double
incrimination peut, en première analyse, paraître poser
problème, la difficulté doit cependant être
relativisée, la plupart des pays punissant la corruption d'agents
publics.
La convention du 26 mai 1997 signée dans le cadre de l'Union
européenne invite les Etats membres à établir leur
compétence dans quelques cas spécifiques pour lesquels
l'application des principes généraux du code pénal ne
permet pas de tenir pour acquise la compétence des juridictions
françaises
. L'article 3 du projet de loi tend donc à
prévoir dans le code de procédure pénale la
compétence des juridictions françaises pour les cas
mentionnés par la convention.