C. LE FONDS DE FINANCEMENT DE LA RÉFORME DES COTISATIONS PATRONALES : UN DISPOSITIF COMPROMIS
Le financement des allégements de charges et des aides pérennes aurait dû, à législation inchangée, prendre la forme d'une dotation budgétaire. Le Gouvernement a préféré opérer une débudgétisation, en créant un " fonds de financement de la réforme des cotisations patronales " 185( * ) , défini par l'article 2 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 auquel se réfère l'article 11 (paragraphe XVI) du présent projet de loi.
1. Le mécanisme de financement du fonds : une usine à gaz
Ce fonds est alimentée par des recettes d'origine très diverse. Il bénéficie tout d'abord d'une fiscalité affectée (pas moins de trois prélèvements : droits sur les tabacs, contribution sociale sur les bénéfices, taxe générale sur les activités polluantes). Il bénéficie également, dans la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale, de contributions de l'Etat, de l'UNEDIC et des régimes de sécurité sociale.
a) Le financement en 2000
Pour
financer la ristourne sur les bas salaires actuelle, 85,5 % des droits sur
les tabacs seraient affectés au fonds de financement dans la limite de
39,5 milliards de francs. On observera que les crédits
budgétaires étaient de 42,7 milliards de francs en loi de
finances initiale pour 1999, contre 39,5 milliards de francs de tabac pour
2000, soit une différence de 3,2 milliards de francs, qui constitue
une première économie budgétaire pour l'Etat.
L'extension de la ristourne Juppé serait financée par le
conglomérat improbable de la taxe générale sur les
activités polluantes (3,2 milliards de francs) et de la
contribution sociale sur les bénéfices des sociétés
(4,3 milliards de francs).
Pour financer les 17,5 milliards de francs résultant
directement
des 35 heures, les ressources disponibles sont : une contribution de
l'Etat, une contribution des régimes de protection sociale et une
contribution de l'UNEDIC, au titre des " retours " pour les finances
publiques occasionnés par les nouveaux emplois créés par
les 35 heures.
Il reste à déterminer l'importance de ces " retours "
pour les finances publiques, le Gouvernement n'ayant jamais clairement
indiqué quelles étaient les " contributions "
attendues, au-delà des " surcroîts de recettes " et des
" économies de dépenses ".
La contribution du régime général de
sécurité sociale n'a même pas été
annoncée par Mme Martine Aubry lors de la réunion de la
commission des comptes de la sécurité sociale du 21 septembre
1999 ; elle a été " provisionnée " par le
secrétaire général de la commission des comptes de la
sécurité sociale à 5,5 milliards de francs, puis
confirmée par Mme Martine Aubry à 5,6 milliards de francs lors du
débat à l'Assemblée nationale.
Ces " retours " pour les finances publiques étaient
présentés de la manière suivante par le rapport
déposé par le Gouvernement pour le débat d'orientation
budgétaire de juin 1999 :
Extrait du rapport déposé par le Gouvernement
pour
le débat d'orientation budgétaire de juin 1999, p. 47-48.
" Les régimes sociaux sont les principaux
bénéficiaires des recettes financières suscitées
par la réduction du temps de travail
Les
" retours directs " pour les finances publiques de la RTT, peuvent
être classés en trois catégories :les cotisations
supplémentaires, les gains d'indemnisation de personnes initialement
sans emploi, enfin les recettes d'origine fiscale.
1. Les cotisations sociales supplémentaires
La réduction du temps de travail entraîne des cotisations sociales
supplémentaires, patronales et salariales, qui bénéficient
aux différents régimes sociaux au prorata des taux de cotisations
correspondants.
Les recettes attendues à ce titre devraient représenter un
montant de l'ordre de la moitié des retours en direction des finances
publiques.
2. Les gains d'indemnisation de personnes initialement sans emploi
La réduction du temps de travail permet d'insérer dans l'emploi
des personnes initialement au chômage et susceptibles de
bénéficier d'une indemnisation. Ce montant peut être
approché par le montant d'indemnisation du chômage : environ
la moitié des chômeurs est indemnisée, dont les trois
quarts au titre de l'allocation unique dégressive (AUD) et le reste au
titre de l'allocation de solidarité spécifique (ASS).
Le gain moyen d'indemnisation associé au retour à l'emploi de
chômeurs pourrait en fait être supérieur à
l'indemnisation moyenne du chômage notamment parce que les personnes qui
ont davantage de chance d'être employées peuvent avoir un profil
les conduisant à recevoir un niveau d'indemnisation moyen plus
élevé.
Les recettes attendues à ce titre devraient représenter une part
significative des retours pour les finances publiques.
3. Les recettes d'origine fiscale
La déformation des revenus a des effets en termes de fiscalité,
qui concernent essentiellement l'impôt sur le revenu (IR) et la TVA. Le
surcroît d'IR et de TVA serait directement lié à
l'accroissement de la masse salariale consécutive à la
réduction du temps de travail. Ces recettes, montant progressivement en
charge au cours des prochaines années, devraient représenter
moins d'un cinquième du total des retours attendus sur les finances
publiques.
Ainsi le régime d'assurance chômage, qui perçoit davantage
de cotisations grâce à la progression de la masse salariale et qui
verse moins d'indemnisation chômage, compte tenu de l'amélioration
de l'emploi, serait être un des bénéficiaires importants de
la RTT. "
D'après les informations allusives du rapport, la clef de
répartition de ces " retours pour les finances publiques "
serait la suivante :
Clef de répartition des " retours " pour les finances
publiques
UNEDIC |
50 % |
Sécurité sociale |
32 % |
Etat |
18 % |
Lors du
débat sur le projet de loi de financement de la sécurité
sociale pour 1999, Mme Martine Aubry avait confirmé cette estimation de
" retours " pour la sécurité sociale de l'ordre de
32 %. Cette estimation aurait été effectuée à
l'occasion des "
études sur les exonérations
accordées aux entreprises qui réalisent les 35 heures
".
Elle avait réaffirmé le principe selon lequel l'Etat était
fondé à ne rembourser que deux tiers des exonérations de
charges.
Seule la lecture parallèle de l'article 11 paragraphe XVI du projet de
loi et de l'article 2 du projet de loi de financement de la
sécurité sociale permet de comprendre les modalités de ces
contributions des organismes sociaux.
Par l'intermédiaire du fonds,
les régimes sociaux seraient, dans une première étape,
intégralement remboursés des exonérations de charge, puis
s'acquitteraient, dans une deuxième étape, de leur
" contribution ".
Les règles servant à calculer le
montant et l'évolution de ces contributions seraient définies par
voie de convention entre l'Etat et chacun des organismes concernés, ou
à défaut de la conclusion de telles conventions avant le 31
janvier 2000, par décret en Conseil d'Etat.
Il est frappant de constater que le projet de loi de financement de la
sécurité sociale et le projet de loi sur la réduction
négociée du temps de travail ne se font écho que de
manière imparfaite ; en effet, ils diffèrent sur deux
points : premièrement,
l'article 11 paragraphe XVI du
présent projet de loi, adopté sans modification par
l'Assemblée nationale, ne fait pas référence aux
" conventions " entre l'Etat et les régimes
sociaux
186(
*
)
;
deuxièmement, ce même article mentionne une
" consultation
de la Commission des comptes de la sécurité sociale "
qui n'est pas prévue par le projet de loi de financement de la
sécurité sociale.
Une fois pris le décret en Conseil d'Etat, des arrêtés
conjoints des ministres chargés de la sécurité sociale, de
l'emploi et du budget fixent le montant prévisionnel des contributions
dues au cours de l'exercice -ce montant pouvant, le cas échéant,
être révisé en cours d'année- et le montant des
régularisations dues au titre de l'exercice.
La contribution de l'Etat prend la forme d'une dotation budgétaire, qui
devra être inscrite chaque année, selon le principe de
l'annualité budgétaire, en loi de finances.
Pour 2000, le Gouvernement a inscrit 4,3 milliards de francs en loi de
finances, dotation sur laquelle devra se prononcer le Parlement.
Rien ne peut assurer le maintien de cette contribution pour les années
suivantes.
Le financement du " fonds de financement de la réforme des
cotisations patronales " en 2000 n'est pas complètement
bouclé :
Le
financement du fonds de financement
de la réforme des cotisations
patronales en 2000
(schéma d'origine)
Recettes |
Montant |
Dépenses |
Montant |
FISCALITE AFFECTEE |
|
BAISSE CHARGES SOCIALES |
|
Droits sur les tabacs |
39.500 |
Ristourne Juppé actuelle (**) |
39.500 |
Taxe générale sur les activités polluantes |
3.250 |
Extension de la ristourne Juppé |
7.500 |
Contribution sociale sur les bénéfices des sociétés |
4.250 |
|
|
I- Total fiscalité affectée |
47.000 |
I- Total baisse charges sociales |
47.000 |
CONCOURS DES FINANCES PUBLIQUES |
|
FINANCEMENT DIRECT DES 35 HEURES |
|
Etat |
4.300 |
Aides 35 heures loi 13 juin 1998 (incitatives) |
11.500 |
Régimes de protection sociale - régime général |
5.500 |
Aides 35
heures 2
ème
loi RTT
|
6.000 |
Régimes de protection sociale - autres (*) |
|
|
|
UNEDIC |
6.000/7.000 |
|
|
II- Total concours finances publiques |
15.800/16.800 |
II- Total financement direct des 35 heures |
17.500 |
TOTAL RECETTES I+II |
62.800/63.800 |
TOTAL DEPENSES I+II |
64.500 |
Taxe heures supplémentaires (recette en trésorerie) |
6.000/9.000 |
|
|
Sources : PLF 2000, rapport économique, social et
financier du PLF 2000, PLFSS 2000.
(*)
Aucun élément d'information sur cette
participation n'a été donné par le Gouvernement.
(**)
A noter qu'il ne s'agit pas du coût inscrit dans la LFI
1999, mais de l'évaluation par le Gouvernement...
La
présentation adoptée par le Gouvernement fait apparaître
une quasi-affectation des différentes recettes aux différentes
dépenses, alors que le fonds n'a aucune obligation d'équilibrer
ses différentes " sections ", pour la bonne raison que de
telles sections... n'existent pas.
Dès lors, une " déformation " progressive des
affectations annoncées est possible et probable et autorise un
désengagement progressif des budgets de l'Etat facilité par la
règle de l'annualité budgétaire.
La taxation des heures supplémentaires est prévue à
l'article 2 du projet de loi relatif à la réduction
négociée du temps de travail (nouvel article L. 212-5 du
code du travail). Elle est due par les entreprises dont la durée
collective du travail n'est pas fixée à 35 heures, sur les seules
quatre heures supplémentaires comprises entre 35 et 39 heures. Cette
contribution de 10 % est assise sur le salaire et l'ensemble des
éléments complémentaires de rémunération
versés en contrepartie directe du travail fourni (assiette des
cotisations sociales). Elle est recouvrée par les URSSAF selon les
règles et garanties définies pour la contribution sociale
généralisée sur les revenus d'activité et les
revenus de remplacement.
Les URSSAF se voient reconnaître, là encore, une charge
supplémentaire. Les modalités de calcul de cette taxe sont, en
effet, loin d'être évidentes.
Son rendement fait l'objet d'estimations bien différentes :
La taxation des heures supplémentaires : des évaluations différentes
Source |
Evaluation |
Etude d'impact |
9.000 |
Rapport n°1826 (XI ème législature) Assemblée nationale, p. 232 |
5.400 |
Rapport économique, social et financier du PLF 2000, p. 246 |
6.000 |
Martine Aubry (JO débats AN, p. 7033) |
7.500 |
En
effet, elle dépend d'un autre facteur ; l'entreprise peut y
échapper lorsque le paiement d'une heure et de sa bonification est
remplacé par 125 % de repos compensateur.
Cette contribution serait affectée au fonds de financement de la
réforme des cotisations patronales. Mais l'article 2 du projet de loi de
financement de la sécurité sociale pour 2000 précise de
manière laconique que la contribution est affectée
" à la réserve de trésorerie du fonds, dans la
limite de 10 % des dépenses de celui-ci "
.