2. ... explique le ralliement du Gouvernement à un allégement supplémentaire de charges sociales
Le
scepticisme du Gouvernement à l'égard de l'efficacité des
allégements de charge ne faisait pas l'unanimité au sein de la
" gauche plurielle ".
M. Jean-Claude Boulard
183(
*
)
,
rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et
sociales pour le travail et l'emploi déclarait ainsi, lors du
débat budgétaire à l'Assemblée nationale en 1998,
que : "
l'outil essentiel de l'accompagnement de la croissance
dans ce budget est constitué par les allégements de charges
sociales qui s'élèvent à 80 milliards de
francs ".
A peine un an plus tard, le Gouvernement se rallie à la
nécessité de procéder à des allégements de
charges sur les bas salaires. Comme l'écrit le " Livre blanc sur
les modalités de l'extension de la taxe générale sur les
activités polluantes aux consommations intermédiaires
d'énergie des entreprises " (dit " Livre blanc sur la
TGAP ")
:
" les analyses disponibles convergent en effet
pour montrer que les allégements de cotisations sociales sur les bas
salaires ont un impact positif sur l'emploi. Les estimations les plus
récentes qui ont été réalisées par l'INSEE,
la DP et la DARES sont de l'ordre de 50.000 emplois créés entre
fin 1995 et fin 1998, avec pour perspective le chiffre de 250.000 à la
fin de l'année 2000
184(
*
)
. "
Le dispositif de la ristourne dégressive est aujourd'hui
critiqué, mais pour des raisons inverses à celles avancées
en 1997 : il ne serait ni assez élevé, ni assez
étendu...
En effet, le Livre blanc sur la TGAP ajoute :
" Pour autant et
malgré ces résultats, le dispositif existant souffrait de deux
défauts importants qui ont été mis en lumière par
le rapport remis au Premier Ministre en juillet 1998 par Edmond Malinvaud : le
dispositif de la " ristourne bas salaires " n'était pas
suffisamment pérenne pour que les entreprises, habituées à
raisonner sur le long terme, tirent pleinement les conséquences des
allégements consentis ; en ciblant les allégements sur une gamme
de salaires assez restreinte, la " ristourne " induit une forte
progressivité du coût du travail entre 1 et 1,3 fois le SMIC.
Ainsi, une augmentation de 100 francs de salaire net au niveau du SMIC
induit-elle une augmentation de salaire brut de 128 francs et une
augmentation du coût du travail pour l'employeur de 260 francs.
L'écart entre la hausse de salaire net et la hausse du coût du
travail est en particulier dû à la décroissance rapide de
l'allégement de charges. Pour un salarié
rémunéré au-delà de 1,3 SMIC, la même
augmentation de 100 francs de salaire net conduit à une augmentation du
coût du travail plus faible, de 187 francs. Cette
progressivité des prélèvements sur les bas salaires
constitue potentiellement un frein aux augmentations de salaires et
présente un risque de " trappe à bas
salaires ". "
En conséquence, le Gouvernement propose, à l'article 12 du projet
de loi, un nouveau barème d'exonérations de cotisations
patronales, fusionnant
" dans un souci de simplicité "
ristourne sur les bas salaires étendue et aides forfaitaires.
Le nouveau barème, qui sera déterminé par décret, a
été communiqué par le Gouvernement.
Nouveau barème d'exonérations applicable
à
un salarié à temps complet
dans une entreprise à
35 heures
(en remplacement de la ristourne dégressive
actuelle)
Rapport entre le salaire mensuel brut (*) et 6.882 F (**) |
Nouveau régime d'allégements (aide pérenne + allégements bas et moyens salaires) |
Total des exonérations en % du salaire brut |
Charges pat. restantes (régime général) en % du sal. brut (***) |
1,0 |
21.500 F |
26,0 |
4,5 |
1,1 |
17.700 F |
19,5 |
11,0 |
1,2 |
14.600 F |
14,5 |
15,5 |
1,3 |
11.900 F |
11,0 |
19,0 |
1,4 |
9.600 F |
8,5 |
22,0 |
1,5 |
7.700 F |
6,0 |
24,0 |
1,6 |
5.900 F |
4,5 |
26,0 |
1,7 |
4.400 F |
3,0 |
27,0 |
1,8 et au-delà |
4.000 F |
variable |
variable |
Note : chiffres arrondis à 100 F
près et
0,5 % pour les taux.
(*)
Calculé en équivalent temps plein.
(**)
6.882 F est le montant actuel du SMIC mensuel sur la
base de 169 heures sur le mois (39 heures hebdomadaires).
(***)
Les charges patronales de sécurité sociale
(régime général) représentent environ 30,3 % du
salaire brut (28 % hors accidents du travail).
Source : dossier de presse PLFSS, p. 7.
Le Gouvernement propose ainsi d'étendre le mécanisme à 1,8
SMIC. Les deux mécanismes d'exonération -aide pérenne aux
35 heures et allégements sur les bas et moyens salaires- seront
intégrés dans un seul barème d'exonération, qui se
substituera,
pour les seules entreprises passées à 35 heures
par accord collectif
, à la ristourne Juppé. Tout emploi
inscrit dans ce cadre donnera ainsi droit, à partir de l'an 2000,
à un abattement de cotisations patronales compris entre 21.500 F par an
au niveau du SMIC et 4.000 F à 1,8 SMIC et au-delà. Les
entreprises, qui ne sont pas éligibles au nouveau dispositif,
continueront de bénéficier de la ristourne dégressive bas
salaires.
Le tableau ci-dessous tente de synthétiser les conditions
nécessaires pour obtenir cet allégement :
Accès aux allégements de charges
Conditions d'accès |
Entreprises de plus de 50 salariés |
Entreprises de 11 à 49 salariés |
Entreprises de moins de 11 salariés |
Accord d'entreprise signé par une ou plusieurs organisations syndicales |
OUI
|
||
Accord signé par un salarié mandaté par une organisation syndicale (en l'absence de délégué syndical) |
OUI
|
||
Accord de branche étendu ou accord local |
NON |
OUI
|
|
Accord signé par un délégué du personnel en l'absence de possibilité du mandatement |
NON |
OUI
|
|
Approbation par la majorité des salariés |
NON |
NON |
OUI en cas d'impossibilité de mandatement |
Réduction unilatérale de l'horaire à 35 h par l'employeur |
NON |
NON |
NON |
Un
employeur en butte à des syndicats refusant de conclure le moindre
accord, ou confronté à un vote négatif lors de la
consultation du personnel, que seule une organisation syndicale peut demander,
n'aura pas droit aux nouvelles aides, alors même qu'il appliquera les 35
heures.
Le risque de distorsion de concurrence est bien réel.
Les trois tableaux ci-dessous permettent de se rendre compte de l'importance
des allégements de charges supplémentaires :
Comparaison entre la " ristourne Juppé " et la " ristourne Aubry "
Rapport entre le salaire mensuel brut et 6.882 francs |
Nouveau régime d'allégements (aide pérenne + allégements bas et moyens salaires) |
Ristourne dégressive actuelle |
Baisse annuelle supplémentaire de charges |
1,0 |
21.500 |
15.000 |
6.500 |
1,1 |
17.700 |
10.000 |
7.700 |
1,2 |
14.600 |
5.000 |
9.600 |
1,3 |
11.900 |
0 |
11.900 |
1,4 |
9.600 |
0 |
9.600 |
1,5 |
7.700 |
0 |
7.700 |
1,6 |
5.900 |
0 |
5.900 |
1,7 |
4.400 |
0 |
4.400 |
1,8 et au-delà |
4.000 |
0 |
4.000 |
NB : les charges patronales de sécurité sociale (régime général) représentent environ 30,3 % du salaire brut.
La " ristourne Juppé " : coût salarial pris en charge
SMIC |
Salaire
|
Charges patronales théoriques |
Coût global |
Ristourne actuelle |
Charges patronales réelles |
% du
coût global
|
|
1 |
6.882,00 |
2.085,25 |
8.967,25 |
1.250,00 |
835,25 |
13,94 |
|
1,1 |
7.570,20 |
2.293,77 |
9.863,97 |
833,33 |
1.460,44 |
8,45 |
|
1,2 |
8.258,40 |
2.502,30 |
10.760,70 |
416,66 |
2.085,64 |
3,87 |
|
1,3 |
8.946,60 |
2.710,82 |
11.657,42 |
- |
2.710,82 |
0,00 |
|
1,4 |
9.634,80 |
2.919,34 |
12.554,14 |
- |
2.919,34 |
0,00 |
|
1,5 |
10.323,00 |
3.127,87 |
13.450,87 |
- |
3.127,87 |
0,00 |
|
1,6 |
11.011,20 |
3.336,39 |
14.347,59 |
- |
3.336,39 |
0,00 |
|
1,7 |
11.699,40 |
3.544,92 |
15.244,32 |
- |
3.544,92 |
0,00 |
|
1,8 |
12.387,60 |
3.753,44 |
16.141,04 |
- |
3.753,44 |
0,00 |
La " ristourne Aubry " : coût salarial pris en charge
SMIC |
Salaire brut |
Charges patronales théoriques |
Coût global |
|
Coût salarial pris en charge |
% du coût global pris en charge |
1 |
6.882,00 |
2.085,25 |
8.967,25 |
293,59 |
1.791,66 |
19,98 |
1,1 |
7.570,20 |
2.293,77 |
9.863,97 |
818,78 |
1.474,99 |
14,95 |
1,2 |
8.258,40 |
2.502,30 |
10.760,70 |
1.285,64 |
1.216,66 |
11,31 |
1,3 |
8.946,60 |
2.710,82 |
11.657,42 |
1.719,16 |
991,66 |
8,51 |
1,4 |
9.634,80 |
2.919,34 |
12.554,14 |
2.119,34 |
800,00 |
6,37 |
1,5 |
10.323,00 |
3.127,87 |
13.450,87 |
2.486,21 |
641,66 |
4,77 |
1,6 |
11.011,20 |
3.336,39 |
14.347,59 |
2.844,73 |
491,66 |
3,43 |
1,7 |
11.699,40 |
3.544,92 |
15.244,32 |
3.178,26 |
366,66 |
2,41 |
1,8 |
12.387,60 |
3.753,44 |
16.141,04 |
3.420,11 |
333,33 |
2,07 |
A
plusieurs reprises, le Gouvernement a fait état d'une estimation d'une
baisse de 4 à 5 % du coût salarial pour un salarié à
1,6 SMIC, une fois pris en compte l'effet " négatif " des 35
heures, sans préciser l'origine de cette étude.
Le coût de l'extension de la " ristourne Juppé " est
chiffré pour 2000 à 7,5 milliards de francs.
Le projet de loi initial ne prévoyait pas d'objectif de création
d'emplois ; seul l'accord collectif était la condition
nécessaire pour obtenir l'allégement. L'allégement ne
pouvait être suspendu par l'URSSAF ou par l'inspecteur du travail que si
l'entreprise ne respectait pas les termes de l'accord.
En revanche, à la suite de l'examen du texte par l'Assemblée
nationale, l'accord ouvrant droit à allégement doit comprendre un
engagement de création ou de préservation d'emploi (paragraphe I)
qui est chiffré (paragraphe II bis).
L'allégement est suspendu par l'URSSAF, sur rapport ou avis de
l'inspection du travail, lorsque
" l'engagement en termes d'embauche
prévu par l'accord n'est pas réalisé dans un délai
d'un an à compter de la réduction effective du temps de
travail ".
Dans le cadre d'aides pérennes, l'engagement de créations
d'emplois n'a guère de sens. De fait, l'Assemblée nationale s'est
gardée d'introduire des conditions de créations d'emplois
chiffrées. Toutefois, le texte qu'elle a adopté présente
désormais des ambiguïtés qui pourraient donner à
l'administration un pouvoir exorbitant pour accorder, suspendre ou supprimer le
bénéfice des allégements de charges.
Faudra-t-il vérifier en 2010 que l'engagement pris pour 2000 est tenu ou
faudra-t-il répéter régulièrement les
créations d'emplois pour avoir droit au maintien de l'aide ?