2. Le bilan présenté par le Gouvernement le 20 septembre 1998 sur la loi du 13 juin 1998
a) Le bilan présenté par le Gouvernement ne satisfait que partiellement les termes de l'article 13 de la loi du 13 juin 1998
L'article 13 de la loi n° 98-461 du 13 juin 1998
d'orientation
et d'incitation relative à la réduction du temps de travail
prévoyait qu'"
au plus tard le 30 septembre 1999, et
après concertation avec les partenaires sociaux, le Gouvernement
présentera au Parlement un rapport établissant le bilan de
l'application de la présente loi. Ce bilan portera sur le
déroulement et les conclusions des négociations prévues
à l'article 2, ainsi que sur l'évolution de la durée
conventionnelle et effective du travail et l'impact des dispositions de
l'article 3 sur le développement de l'emploi et sur l'organisation des
entreprises
".
Ce même article 13 prévoyait également que ce
"
rapport présentera les
enseignements et
orientations
à tirer de ce bilan pour la mise en oeuvre de la
réduction de la durée légale du travail prévue
à l'article premier, en ce qui concerne notamment le régime des
heures supplémentaires, les règles relatives à
l'organisation et à la modulation du travail, les moyens de favoriser le
temps partiel choisi, la place prise par la formation professionnelle dans les
négociations et les modalités applicables au personnel
d'encadrement
".
Cet article prévoyait enfin que ce "
rapport précisera
également les conditions et les effets de la réduction du temps
de travail compte tenu de la taille des entreprises.
Il analysera plus
particulièrement les moyens de développer l'emploi dans les
petites et moyennes entreprises et les incidences des relations entre les
entreprises donneurs d'ordre et les entreprises sous-traitantes
".
En application de cet article 13 de la loi du 13 juin 1998, le Gouvernement a
effectivement préparé et rendu public le 20 septembre 1999,
un rapport intitulé "
les enseignements des accords sur la
réduction du temps de travail
"
5(
*
)
.
Votre commission des Affaires sociales tient à souligner que ce
volumineux document ne satisfait qu'imparfaitement au texte de
l'article 13 de la loi du 13 juin 1998
.
Au-delà des " enseignements des accords ",
le rapport
aurait dû également s'interroger sur les " orientations
à tirer de ce bilan " comme le précise le texte de cet
article
. Il aurait dû aussi analyser "
plus
particulièrement les moyens de développer l'emploi dans les PME
et les incidences des relations entre les entreprises donneurs d'ordre et les
entreprises sous-traitantes
".
Or ce volumineux rapport, compilation de tableaux, données et annexes en
tout genre, se garde bien de définir des orientations à partir de
ce bilan, comme d'ailleurs des moyens de développer l'emploi dans les
PME ; il dresse tout au plus un état des lieux complaisant des
accords conclus.
Manifestement, le Gouvernement a considéré que les
" orientations " que devait contenir le rapport relevaient en fait du
projet de loi, lequel a d'ailleurs été adopté en Conseil
des ministres deux mois avant la présentation du rapport...
C'est en tout cas ce que laisse entendre l'exposé des motifs de ce
dernier : "
ainsi que cela avait été prévu
par l'article 13 de la loi du 13 juin 1998 précitée (sic), la
présente loi a pour objet, après cette phase d'incitation et
d'expérimentation à grande échelle, de déterminer
les conditions de la généralisation du processus tenant compte du
résultat des négociations
"
6(
*
)
.
On peut s'interroger sur cette démarche du Gouvernement qui tend
à laisser croire que la première loi Aubry prévoyait un
second texte qui toucherait toutes les matières évoquées
à l'article 13 de la loi du 13 juin 1998. Ne s'agit-il pas là
d'une tentative visant à justifier un texte qui, par son essence,
constitue une véritable réforme du code du travail, voire
même des règles d'organisation et de fonctionnement de la
négociation collective, alors qu'il n'était question à
l'origine pour le Gouvernement que d'" acter " la baisse de la
durée légale du travail ? Ce faisant, le Gouvernement semble
signifier qu'il n'est pas satisfait des accords signés par les
partenaires sociaux et donc du sort que ces derniers ont réservé
à la mise en oeuvre des 35 heures.
" Le pari des 35 heures est en bonne voie mais il n'est
pas
gagné "
7(
*
)
(Gaëtan Gorce, rapport sur la mise en oeuvre des 35 heures)
Dans un
premier rapport d'information sur la mise en oeuvre des 35 heures, daté
du 10 mars 1999
(1)
, M. Gaëtan Gorce, rapporteur de la
commission des Affaires culturelles de l'Assemblée nationale, a
dressé un état des lieux après huit mois d'application de
la loi. Assez satisfait, il a considéré que
" d'ores et
déjà, la loi du 13 juin 1998 (avait) largement atteint son
objectif "
8(
*
)
.
Il a par ailleurs reconnu que la démarche du Gouvernement relevait du
pari
, entérinant en cela le constat de la commission
d'enquête sénatoriale. Il a estimé que certaines
" incertitudes juridiques "
pouvaient freiner le rythme des
négociations et que
" certaines interrogations soulevées
par le texte gagneraient à être levées "
notamment
au regard du
" problème de la prévalance du contrat de
travail sur l'accord collectif "
9(
*
)
.
Il a considéré que
" contrairement à une vision
statique de l'économie, trop souvent répandue, la
réduction du temps de travail ne
(reposait)
pas sur l'idée
d'un partage de l'emploi
(mais qu'elle visait)
bien plutôt
à permettre un partage des revenus de la croissance en faveur de
l'emploi ".
Concernant les créations d'emplois à attendre des 35 heures, M.
Gaëtan Gorce a estimé que
" le mouvement qui
s'annonçait
(semblait)
vérifier la deuxième des
trois hypothèses de travail avancées par la direction de la
prévision à l'été 1998 "
10(
*
)
.
Il a prévu que
" le chiffre de
100.000 emplois
pourrait
être atteint du fait de la réduction du temps de travail d'ici la
fin de cette année "
, ce qui permettrait selon lui d'atteindre
les
"
250.000
emplois créés au minimum à
l'horizon 2002 "
. Il a même déclaré que
"le
nombre d'emplois créés au 1
er
janvier 2002 pourrait
s'établir à
450.000
"
si le rythme actuel se
poursuivait
11(
*
)
.
En écrivant que
" la réduction ample du temps de travail
oblige
à une remise à plat de l'organisation du
travail "
12(
*
)
,
M.
Gaëtan Gorce, rapporteur de l'Assemblée nationale, admet le
caractère contraignant pour les entreprises des 35 heures.
Dans cet esprit, il précise qu'
" en faisant adopter en juin 1998
la première loi, le Gouvernement de M. Lionel Jospin a
décidé un changement de méthode radical visant à
lever le blocage paradoxal et récurrent de la négociation sur la
réduction de la durée du travail,
en substituant à une
obligation de moyens (...)une quasi-obligation de résultats avant une
échéance inscrite dans la loi "
13(
*
)
En reconnaissant que la
" réduction du temps de travail implique
que soit abordée dans un même mouvement la quasi-totalité
des questions qui concernent la vie de l'entreprise "
14(
*
)
,
le rapporteur de
l'Assemblée nationale souligne l'étendue du choc que
représentent les 35 heures pour les entreprises.
Concernant le contenu des accords signés, M. Gaëtan Gorce a
observé que près de la moitié des accords de
réduction du temps de travail comportait un dispositif
d'annualisation
15(
*
)
. Pendant les
débats, la majorité de l'Assemblée nationale avait
rejeté le principe de l'annualisation, le contenu des accords tend
à contredire les souhaits de la majorité.
A propos des chefs d'entreprises, le rapporteur de l'Assemblée nationale
a observé que
" les principales inquiétudes
(venaient)
de manière générale de petites
entreprises en particulier de services, disposant de faibles marges de
productivité "
16(
*
)
.
Il a considéré que l'équilibre de la mise en oeuvre des 35
heures reposait sur un
" triptyque réduction et
aménagement du temps de travail/négociations salariales pour
permettre la viabilité économique de l'accord pour
l'entreprise/contrepartie en temps d'emploi "
17(
*
)
.
Il est donc logique que les
accords
" s'accompagnent dans la plupart des cas d'une
modération ou d'un gel des augmentations
ultérieures "
18(
*
)
.
Ces menaces sur le pouvoir d'achat de salariés n'ont pas
été sans conséquences sur le climat social et sur la
conflictualité des rapports entre partenaires sociaux.
A cet égard, on ne peut qu'être surpris par la réaction du
rapporteur de l'Assemblée nationale qui considère que
" bien loin de s'inquiéter de la montée de la
conflictualité dans certaines négociations emblématiques,
comme à Peugeot Citroën, ne doit-on pas au contraire se
féliciter de voir ainsi se réintroduire l'idée qu'un bon
accord est aussi le résultat d'un rapport de
forces ? "
19(
*
)
Les lois sur les 35 heures auraient ainsi également pour vertu d'inciter
à la grève afin que les salariés puissent obtenir des
avantages aux dépens de leurs entreprises. Votre rapporteur comprend mal
en quoi l'emploi pourrait sortir gagnant de cette démarche.
Evoquant le second projet de loi
20(
*
)
, M. Gaëtan Gorce a estimé
que le pouvoir d'achat des salariés les moins bien
rémunérés devrait être garanti sans mettre en cause
la compétitivité des entreprises. Il a souhaité que le
temps choisi soit facilité et la formation professionnelle
développée. Il a par ailleurs considéré que la
question du temps de travail des cadres devrait être clarifiée.