TABLE DES SIGLES
ART
: Autorité de Régulation des
télécommunications
ATR
: Accès des tiers au réseau
CCAS
: Caisse centrale d'activités sociales
CDC
: Caisse des dépôts et consignations
CNR
: Compagnie nationale du Rhône
CRE
: Commission de régulation de l'électricité
DNN
: Distributeurs non nationalisés
EDF
: Electricité de France
FACE
: Fonds d'amortissement des charges d'électrification
GRD
: Gestionnaire du réseau public de distribution
GRT
: Gestionnaire du réseau public de transport
Gwh
: Gigawatt (s) / heure
Kva
: Kilovolt (s) / ampères
Kwh
: Kilowatt (s) / heure
Mwh
: Mégawatt (s) / heure
PERS
: Circulaires relatives au personnel
Twh
: Térawatt (s) / heure
EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
En signant la directive n° 96/92 du 19 décembre 1996
du Parlement européen et du Conseil concernant des règles
communes pour le marché intérieur de l'électricité,
la France et les autres membres de l'Union européenne ont franchi un pas
décisif. Prenant acte des transformations en cours sur le marché
de l'énergie et de la nécessité de renforcer la
compétitivité de l'industrie européenne vis-à-vis
de ses concurrents étrangers, notamment nord-américains, ils ont
entamé un long processus dont les premiers effets positifs se font
d'ores et déjà sentir.
Bien qu'elle soit juridiquement entrée en vigueur le
19 février 1997, et bien que le droit à
l'éligibilité des clients consommant plus de 40 GWh par an soit
reconnu depuis le 20 février 1999, cette directive nécessite,
pour s'appliquer pleinement dans notre pays, d'importantes mesures de
transposition. Tel est l'objet du projet de loi n° 243 relatif
à la modernisation et au développement du service public de
l'électricité qui est soumis à notre Haute
Assemblée.
Ce projet marque un tournant déterminant dans l'histoire du secteur
électrique français. Avec la loi n° 46-628 du
8 avril 1946 portant nationalisation de l'électricité
et du gaz, qu'il n'a pas pour effet d'abroger, il constitue l'un des deux
principaux textes applicables à l'électricité
adoptés au XXe siècle. C'est dire son importance politique,
économique et sociale.
Votée voici plus de cinquante ans, la loi du 8 avril 1946 n'a
connu, jusqu'à présent, que des modifications ponctuelles
résultant notamment de la loi du 2 août 1949 dite
" loi Armengaud ". Evoquée dans le programme du Conseil
national de la Résistance, annoncée par le Général
de Gaulle dans sa déclaration du 23 novembre 1945 devant
l'Assemblée nationale constituante, la nationalisation de
l'électricité a jeté les bases de l'organisation
électrique actuelle en créant l'établissement public
industriel et commercial Electricité de France.
Le monopole créé par loi de 1946 a assuré la
reconstruction de l'économie française après la guerre. Il
a également puissamment contribué à son essor au cours des
trente glorieuses, grâce à la réalisation d'installations
de production hydrauliques et nucléaires.
Il est légitime de
lui donner acte de ces réussites.
Cependant, ce système n'est, dans sa forme originelle, plus
adapté aux réalités de l'économie française
contemporaine. Celle-ci est de plus en plus intégrée à
l'économie européenne qui s'achemine peu à peu vers
l'établissement d'un grand marché intérieur. Dans ce
marché, le coût des facteurs de production est davantage
comparable. C'est pourquoi, la concurrence s'y fait de plus en plus sentir. Ce
phénomène est particulièrement perceptible dans le secteur
de l'énergie qui contribue à la compétitivité de
nombre de grandes entreprises consommatrices, mais également d'une
myriade de PME-PMI qui constituent la force vive de l'économie de
marché.
Or,
l'apparition de nouvelles techniques de production
décentralisée
-utilisables dès à présent
pour certaines (cogénération) et demain pour d'autres (piles
à combustible)-
rend moins compétitive la production
électrique centralisée existante.
La baisse du prix des
matières premières incite à recourir au gaz, dont le
rendement thermique est excellent pour la génération
combinée d'électricité et de vapeur. Le secteur de
l'électricité, naguère composé d'acteurs
monopolistiques ou oligopolistiques, connaît des mutations importantes.
Les récentes opérations de regroupement des grands producteurs
d'énergie ou d'équipements (rapprochement entre Alsthom et ABB
sur le marché des centrales électriques), les prises de
contrôle sur des marchés étrangers (achat de London
Electricity par EDF) ou les opérations de diversification (rachat de
Clemessy par EDF) traduisent une transformation inéluctable. La
nécessité d'offrir une prestation multiservices aux clients
industriels dans des secteurs tels que la fourniture d'énergie, le
génie thermique, le génie électrique ou le génie
climatique est également un puissant vecteur de diversification.
Dans ce contexte,
l'adoption de la directive de libéralisation
progressive du secteur marque le début d'un processus qui sera, à
terme, d'autant plus bénéfique à l'économie
européenne qu'il aura -à fiabilité constante-
contribué à abaisser le coût de l'énergie de
façon significative et durable.
Il en résultera
nécessairement des effets positifs pour l'ensemble du secteur
industriel, en terme de compétitivité, de croissance et donc
d'emplois.
Le texte soumis au Sénat prend-il suffisamment en compte la
nécessité d'ouvrir le marché de
l'électricité à la concurrence
?
Votre
rapporteur ne le pense pas
. L'intitulé-même du projet de loi
évoque
" la modernisation et le développement du service
public "
sans faire état de la transposition de la directive
n° 96-92 qui est pourtant son principal objet. Le titre du projet
repose, par conséquent, sur une équivoque que votre rapporteur
tient à souligner dès l'abord.
En effet,
nul plus que le Sénat n'est soucieux de l'existence d'un
service public efficace accessible à tous les Français sur
l'ensemble du territoire. C'est pourquoi, il convient d'organiser son
financement afin d'assurer sa pérennité
. Cependant,
l'ouverture d'un grand secteur à la concurrence -fût-elle
progressive- doit reposer sur une ambition et une vision stratégique,
qui font défaut au projet de loi n°243. Celui-ci tend, en effet,
à transposer la directive a minima. Pire ! Il comporte plusieurs
dispositions contraires à la norme européenne car elles auront
pour conséquence de freiner l'ouverture, voire de l'interdire.
Les
rédacteurs du projet montrent ainsi qu'ils s'en tiennent à une
logique surannée qui voudrait opposer économie de marché
et service public, alors que
-et cette directive en constitue la
preuve-même-
ces deux notions, loin d'être antinomiques, se
complètent. Mieux, l'existence d'un marché ouvert permet
d'assurer l'avenir du service public en définissant son contenu et en
pérennisant son financement par l'ensemble des acteurs de
marché
.
Afin de mettre en évidence les lignes de forces qui caractérisent
les transformations du secteur de l'électricité, votre rapporteur
se propose de souligner, en premier lieu, son importance dans la vie
économique et sociale (I). Puis, après avoir rappelé les
grands traits de l'organisation électrique européenne et
française (II), il évoquera les différences -et souvent
même les contradictions- qui subsistent entre l'esprit de la directive et
la lettre du projet de loi (III). Il vous présentera enfin des
propositions (IV), destinées à assurer une ouverture progressive
et équilibrée à la concurrence du secteur de
l'électricité.
I. L'ÉLECTRICITÉ FACTEUR DU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ET SOCIAL
L'objectif poursuivi par la directive n°96-92 est d'améliorer la transparence du fonctionnement du marché de l'électricité afin d'abaisser le coût de l'énergie. D'apparence technique, cette ambition a, en réalité, des implications sur la vie de la nation toute entière. En effet, la faculté de consommer une électricité de qualité à un prix raisonnable conditionne aussi bien la compétitivité de l'économie nationale que la vie quotidienne des citoyens et, en particulier, les plus défavorisés d'entre eux. L'application d'un tarif unique, pour tout le territoire national y compris les zones non interconnectées au réseau métropolitain, quelle que soit la diversité géographique et les coûts de ce réseau est un déterminant important de l'aménagement du territoire . Enfin, l'indépendance énergétique repose quant à elle sur la maîtrise d'une capacité de production située dans l'Hexagone.
A. UN FACTEUR ESSENTIEL DE COMPÉTITIVITÉ
La
qualité et le coût de la fourniture d'énergie
électrique sont des éléments déterminants pour la
croissance économique des pays développés. Si tous les
secteurs industriels ont besoin de courant électrique, la
compétitivité de certains d'entre eux est directement liée
au coût de l'électricité, qui constitue leur principal
facteur de production.
Tous les secteurs industriels sont fortement consommateurs
d'électricité
.
Dans la
sidérurgie
, l'électricité est
utilisée aussi bien pour le laminage, que pour la fonderie d'acier ou de
fonte. Dans la
chimie
, l'électricité sert tant à
transporter des liquides, des gaz ou des solides grâce à des tapis
ou des pompes, qu'à la compression thermique de réactifs gazeux,
au refroidissement des produits, ou encore à l'alimentation de sources
de rayonnements. La
production d'aluminium
par électrolyse de
l'alumine dissoute dans le cryolithe fondu à environ
1.000 degrés, la
production de chlore et de soude
, par
électrolyse aqueuse du chlorure de sodium sont également
fortement consommatrices d'énergie. Or, les produits issus de la chimie
de base ont des applications extrêmement variées ;
l'évolution de leur prix a, par conséquent, une incidence sur
tous les secteurs de l'économie. C'est ainsi que le chlore est un
oxydant qui sert au blanchiment des papiers et des textiles, un réactif
de base utilisé pour fabriquer du chlorure de vinyle et des pesticides,
sans compter son utilisation comme désinfectant. La production de
sodium, de magnésium, et d'hydrogène fait également appel
à l'énergie électrique.
L'industrie automobile
-dont on sait l'importance pour l'économie européenne- utilise
aussi l'électricité, tant pour la peinture des véhicules
par
électrophorèse
(immersion dans un bain soumis à
une tension électrique) et passage dans des étuves à
infrarouges, que pour la
fonderie
(qui utilise des fours à
induction) ou diverses opérations de
traitement thermique
réalisées dans des fours électriques.
L'industrie
agro-alimentaire
et celle des
papiers et cartons,
qui utilisent de
grandes quantités de
vapeur,
sont également fortement
consommatrices d'électricité.
Le coût de l'électricité constitue donc un
élément déterminant de la compétitivité
d'importants secteurs industriels
Dans l'industrie du
ciment
, l'énergie représente 50 %
des coûts variables. Plus des ¾ de ceux-ci résultent de la
consommation d'électricité. Or, d'après les industriels,
le prix de l'électricité est stable depuis 1983 en France, alors
que celui des autres sources d'énergie diminue. Selon les informations
communiquées par un grand groupe français, lors d'un colloque
tenu au Sénat en juin 1999, le prix du kilowatt/heure
consommé par une cimenterie située en France serait
supérieur de 8 % à la moyenne des prix observés dans
les cimenteries que cet industriel possède sur l'ensemble du globe. La
baisse du prix du courant survenu en Espagne et en Autriche depuis la
libéralisation du marché de l'électricité aurait,
toujours selon la même source, permis d'atteindre des tarifs
inférieurs de 15 % à ceux pratiqués sur le
marché français. Telle est bien la preuve de l'effet
bénéfique de la concurrence pour les consommateurs qui s'est
d'ores et déjà faite sentir dans le secteur des
télécommunications après l'ouverture de celui-ci.
Un phénomène analogue est observé dans le secteur de la
production de soude et de chlore gazeux
à partir de saumure
où
l'électricité constitue la moitié du
coût de production
. Pour ces activités dont la marge
bénéficiaire est relativement limitée, le prix de
l'électricité a, par conséquent, une importance vitale.
En outre, les produits issus de ces industries de base étant
utilisés dans toutes les branches de l'économie, le coût de
l'électricité nécessaire à leur réalisation
a une incidence sur la compétitivité globale de l'industrie
française
.