EXPOSÉ GÉNÉRAL
I. SUR LA PHILOSOPHIE...
Pour
votre commission spéciale, la notion d'équipement reste
d'actualité et ne peut être remplacée par une
référence unique à la notion de services. Par ailleurs, le
développement des régions rurales est bel et bien
complémentaire du développement de la ville.
La France peut, en effet, développer un modèle original de
développement fondé sur une urbanisation raisonnée et sur
la valorisation des immenses ressources de son patrimoine rural.
1. Les schémas de services collectifs privilégient l'utilisation de l'existant sur la création de nouveaux équipements
Le
projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le
développement durable du territoire revient sur l'intitulé et le
contenu des schémas sectoriels. Ces schémas prévus
à l'article 10 de la loi du 4 février 1995 avaient pour mission
de décliner le schéma national d'aménagement du territoire.
Les schémas de services collectifs diffèrent des schémas
sectoriels sur deux points fondamentaux, ils ne donnent pas la priorité
à la poursuite de l'effort d'équipement du territoire et ne
seront pas examinés par le Parlement.
a) Des schémas qui privilégient la notion de services
Les
schémas de services collectifs n'ont pas de caractère
contraignant. Ils énoncent un ensemble de principes, d'objectifs et de
procédures à mettre en oeuvre.
De façon générale, ils doivent inspirer les politiques
publiques et les choix budgétaires. L'Etat doit en tenir compte dans les
contrats conclus avec les collectivités territoriales, les
établissements publics et les entreprises publiques. Il doit promouvoir
également la prise en compte de ces schémas au niveau
européen.
Ces schémas de services collectifs se démarquent des
schémas sectoriels par une moindre référence à
l'effort d'équipement. Ils s'inscrivent selon le Gouvernement dans une
logique de demande plus que dans une logique d'offre. L'aménagement
volontariste du territoire risque ainsi de céder le pas à des
réalisations ponctuelles en fonction des
desiderata
de tel ou tel.
L'absence de coordination des schémas renforce l'autonomie de chacun
d'eux et le risque d'inefficacité comme l'illustre la scission du
schéma transport en un schéma voyageurs et un schéma
marchandises.
Votre commission spéciale considère que la notion
d'équipement est inséparable de celle d'aménagement du
territoire et qu'elle peut être utilement complétée par
celle de service. C'est pourquoi elle vous proposera d'adopter des
" schémas directeurs d'équipements et de services "
(SDES).
b) Des schémas qui ne sont pas soumis au Parlement
Les
schémas sectoriels prévus par la loi du 4 février 1995
étaient adoptés par décret, mais ils constituaient la
déclinaison du schéma national d'aménagement du territoire
(SNADT) qui était quant à lui adopté par la loi.
La suppression du SNADT et le maintien de l'adoption par décret des
schémas de services collectifs excluent de fait le Parlement du
processus d'élaboration des dispositions permettant d'aménager le
territoire.
La commission de la production et des échanges de l'Assemblée
nationale avait souhaité une adoption des schémas par la loi.
C'est à contrecoeur que les députés ont voté le
texte du Gouvernement.
Votre commission spéciale vous propose de réintroduire le
Parlement dans le processus d'élaboration des schémas en
recourant à la procédure des lois de plan qui prévoit
l'adoption par la loi d'un rapport annexé. Ce rapport, amendable, n'a
pas de valeur législative, mais il a une valeur politique qui permet
d'assurer la prise en compte des choix du Parlement dans la rédaction
finale des " schémas directeurs d'équipements et de
services ".
2. Le projet de loi d'orientation continue à véhiculer des schémas anciens
Bien
qu'il s'en défende parfois, le texte privilégie la thèse
d'un entraînement de l'économie par les métropoles, de la
ville comme lieu privilégié de la compétitivité
internationale et rempart contre la mondialisation, alors que les zones rurales
sont considérées comme des zones de handicaps à compenser
et le plus souvent associées à la question des espaces naturels.
Présenté comme s'inscrivant dans une volonté de rupture
avec la loi du 4 février 1995 jugée trop
" ruraliste ", le projet de loi s'illustre souvent par une confusion
entre urbanisation et progrès. L'innovation serait par essence urbaine,
la ville est " le lieu où se crée l'essentiel de la richesse
et de l'emploi ", le changement social global est identifié au
passage à une société qualifiée d'urbaine. La
grande agglomération est considérée comme le principal
"
référent identitaire
" et l'objet prioritaire
des politiques publiques.
La recomposition territoriale est d'abord recherchée au travers de la
métropolisation, l'objectif de cohésion sociale dans le
traitement de la question des questions difficiles.
Les schémas d'infrastructures confortent les réseaux urbains
plus que la desserte du territoire.
La notion de développement durable exprimée par les inspirateurs
du projet de loi n'est que faiblement esquissée et passablement
confuse.
3. Les espaces ruraux sont aujourd'hui le théâtre d'une véritable mutation
La
vocation de production de denrées alimentaires s'accompagne
désormais d'usages nouveaux tournés vers l'accueil
résidentiel, la pratique des loisirs, la gestion et la conservation de
la nature.
La campagne apparaît, d'autre part, comme lieu d'une vie saine et
équilibrée, d'une sociabilité et d'une solidarité
de proximité, de participation active au débat social et à
la vie citoyenne. La notion actuelle de qualité du cadre de vie
intègre de plus en plus des dimensions qui sont propres au rural ou du
moins qui sont plus faciles à satisfaire dans le milieu rural :
logement plus grand, accession à la propriété,
proximité de la nature, calme, sécurité pour les enfants.
Le fait que les territoires ruraux aient été progressivement
désenclavés et mieux équipés contribue à
rendre possible ce qui pouvait sembler être hier une utopie. La France
dispose d'un réseau routier entretenu qui irrigue son territoire dans
ses moindres recoins. Même incomplets, les réseaux à grande
vitesse (autoroutes et TGV) ont considérablement rapproché les
zones rurales des grands centres urbains (en dehors cependant de la partie sud
du Massif Central).
Depuis trente ans, les commerces, les services privés et les
services publics ont été profondément restructurés
dans nombre de nos bourgs et de nos villages. Au total, nombre de zones rurales
présentent aujourd'hui des conditions de vie quotidienne meilleures que
par le passé. Il convient de les améliorer là où
désertification, récession, vieillissement de la population sont
des réalités.
Ces nouveaux usages se placent aussi dans une perspective internationale. Les
migrations de retraite qui s'organisent de plus en plus à
l'échelle de l'Europe offrent des opportunités incontestables. La
France est la première destination mondiale du tourisme,
c'est-à-dire d'une activité en forte croissance dont le
développement est des plus prometteurs.
De nombreuses régions rurales, en s'appuyant sur des grands sites
naturels et culturels, sur la spécificité préservée
de leur patrimoine paysager et bâti, sur la vivacité de leur
culture locale, sur la qualité et la notoriété des
produits de leurs terroirs, peuvent devenir en tant que tel de hauts lieux d'un
tourisme international, notamment européen. Rappelons que la France est
la première destination mondiale du tourisme.
Les potentialités de développement du milieu rural sont
accentuées par deux facteurs qui se confortent : le progrès
des techniques qui accroît la mobilité individuelle et facilite
l'échange d'informations et la nouvelle organisation du travail, qui
libère du temps.
Les nouvelles technologies de communication et d'information permettent
à chacun et en tous lieux de pouvoir échanger. Ceci ne permet pas
seulement de favoriser les relations sociales mais également de
délocaliser le travail (télétravail) et d'implanter
certaines activité dans des régions rurales reculées.
L'exemple de la délocalisation du centre de réservation
d'American Airlines dans une île au nord de l'Ecosse doit être
médité !
L'évolution du travail depuis le début du siècle se
traduit par une réduction de la durée moyenne de la vie active
sous l'effet conjoint d'une élévation de l'âge moyen
d'entrée et d'une diminution de l'âge moyen de sortie, à
laquelle s'ajoute l'allongement de la durée de la vie elle-même.
De plus, le travail s'organise selon d'autres modalités et d'autres
rythmes que dans le passé avec de nouvelles répartitions dans la
semaine, dans l'année, dans le cours de la vie. Le travail devient de
moins en moins lié au temps et à l'espace, et le temps
libéré peut plus largement être utilisé à des
déplacements.
Les phénomènes de multi-résidences qui se
développent sont une illustration des perspectives offertes par la
nouvelle organisation du travail. Les résidences secondaires que l'on
croyait en voie de régression voient leur nombre augmenter à
nouveau.
Face à ces évolutions, le modèle de concentration urbaine
semble avoir montré sa fragilité et ses limites. C'est un
fait : les dysfonctionnements urbains vont croissant et sont de moins en
moins maîtrisés : congestion, manque à gagner dû
au temps perdu dans les embouteillages, coûts fonciers augmentant
régulièrement, baisse de la qualité de la vie, pollution.
Mais plus encore que l'argument économique, c'est peut-être un
constat de " faillite sociale " qui est le plus
inquiétant : l'existence d'un marché du travail
diversifié n'empêche pas toujours le développement du
chômage car l'attractivité des pôles dépasse dans
certains cas leur capacité d'absorption.
La grande agglomération devient un lieu de fortes
inégalités avec la ségrégation de ses quartiers,
ses enclaves de pauvreté, ses riches et ses laissés pour compte.
Autrefois agent d'intégration, elle fabrique aujourd'hui de l'exclusion
sociale et l'on assiste à une montée de la violence, de
l'insécurité pour les biens et les personnes, dont les
événements actuels révèlent l'ampleur et la
difficulté du traitement, mais dont nous voyons aussi qu'ils
entraînent certaines volontés de réagir !
Enfin, le déficit de la citoyenneté dans les grandes villes est
de plus en plus évident, la participation des habitants est en repli, et
la gestion démocratique de la cité rencontre des
difficultés.
Il n'est donc pas interdit de penser que la
reconquête rurale
peut
constituer une alternative, et proposer, en conséquence, un nouvel
équilibre à notre société devenue urbaine.
La population des communes rurales a commencé à se stabiliser au
début des années soixante pour augmenter par la suite à un
rythme supérieur à celui de la moyenne nationale. Dans les
espaces périurbains, aux confins des agglomérations et des
territoires ruraux, la balance des migrations devient favorable aux communes
rurales qui accueillent plus d'habitants qu'elles n'en perdent.
Pour expliquer ce changement, il faut faire appel à diverses
causes : d'abord le desserrement résidentiel périurbain,
qui, avec la volonté des individus d'accéder à la
propriété, concerne des territoires de plus en plus
éloignés des villes : l'INSEE a identifié dans une
nouvelle définition ces espaces, mi-ruraux mi-urbains, qui ne sont plus
la banlieue, et qui accueillent des populations à la fois issues des
centres-villes et des zones rurales. Mais le milieu rural s'inscrit dans des
nouvelles mobilités résidentielles qui sont beaucoup plus larges,
elles concernent des cadres, des jeunes ménages, des retraités,
ceci y compris dans ses parties les moins denses comme dans les Alpes du sud,
le Périgord ou certaines parties de la Lozère.
Accompagnant la décentralisation de leurs entreprises, des actifs
changent de région, d'autres viennent tenter leur chance en
créant leur propre activité dans le tissu rural, le
développement du tourisme crée de nouveaux emplois.
On assiste dans le même temps à un redéploiement de
l'" entrepreneuriat " autour de la très petite entreprise,
dans une logique de localisation qui se révèle souvent
déterminée par le choix d'un lieu agréable de
résidence pour son promoteur.
En réponse à ces perspectives, les acteurs locaux s'associent de
plus en plus pour bâtir des programmes de développement visant
à renforcer l'attractivité de leur territoire et à
promouvoir l'initiative économique et sociale. La montée de
l'intercommunalité et le succès des politiques de pays ne
constituent que quelques exemples du formidable mouvement qui est en train de
rénover la France rurale.
Dans les autres grands pays développés, on enregistre des
phénomènes semblables, parfois plus significatifs encore.
Aux
Etats-Unis
, 21 % de la population vit dans des zones rurales
(non metro counties) qui couvrent plus de 80 % du territoire de la nation
avec une densité moyenne de seulement 36 habitants par km².
Alors qu'en 40 ans ce pays a perdu 5 millions de travailleurs
agricoles, il a réussi à maintenir son potentiel d'emplois en
s'engageant dans un large spectre d'activités dans l'industrie, les
mines, le commerce, les services récréatifs et la participation
à la gestion des grands espaces naturels. L'emploi s'est
restructuré avec l'installation d'industries dans les zones rurales,
avec le développement des espaces de loisir et de retraite, avec
l'arrivée de gens insatisfaits des conditions de vie dans les grands
centres. L'exemple de la Silicon Valley ou de l'installation des élites
universitaires et du monde culturel à la campagne sont significatifs de
cette tendance. Après un fléchissement des arrivées autour
de 1980, on assiste à un rebond à partir de 1987, les gains
migratoires des comtés non métropolitains l'emportant en
pourcentage sur ceux des métropolitains.
Les comtés qui constituent des espaces récréatifs en
raison de la place qu'y occupent les terres fédérales (parcs)
connaissent plus particulièrement une forte croissance de l'emploi, le
record étant détenu par ceux qui se sont
spécialisés comme destination de retraite. Dans ces
comtés, la population des plus de 65 ans s'est accrue de 45 %
en 10 ans, entraînant celle des jeunes venus occuper les emplois de
services répondant à leurs besoins (+60 %).
En
Grande-Bretagne
, les gains de population les plus
élevés lors du recensement de 1991 ont été
enregistrés dans les districts ruraux et reculés (remote and
mainly rural), avec +6,5 % en 10 ans contre -8 % pour les
principales villes et districts métropolitains. Le dernier inventaire
des services ruraux a confirmé une grande stabilité de
l'accès aux équipements et services nécessaires à
la vie quotidienne dans les villages avec une amélioration sensible pour
les crèches et les transports locaux. De nombreux travaux universitaires
ont parallèlement montré l'attractivité des zones rurales
pour les créateurs d'entreprises et les succès obtenus.
Le Gouvernement a mis en place une politique spécifique pour les
" Rural development areas ", sous l'égide de la " Rural
development Commission " qui dispose pour ce faire d'un budget annuel de
46 millions de livres. Dans le cadre d'objectifs qui concernent aussi bien
le développement économique et social que l'amélioration
des conditions de la vie rurale, le programme a consisté à
financer des projets démonstratifs, et à réaliser des
actions dans de nombreux domaines (transport rural, commerce de
proximité, services pour la jeunesse, soutien à des projets
d'entreprise, habitat).
En
Allemagne
, selon un rapport officiel, "
la dynamique
démographique la plus forte et la croissance relative la plus importante
ont lieu dans les régions à dominante rurale avec une forte
densité de population
". Notons que ce pays a su mettre en
place un schéma national d'aménagement du territoire qui
synthétise les approches sectorielles autour de la dynamique du
système urbain, des relations villes-espace rural, des transports et de
l'accessibilité.
4. Le milieu rural est, au même titre que la ville, un lieu de compétitivité qui dispose de nombreux avantages comparatifs
Certaines ressources rurales deviennent des biens rares (eau,
air
pur, biodiversité...) qui peuvent participer à une offre
nationale -et internationale- de biens et de services au même titre que
les villes.
Votre commission spéciale considère le milieu rural comme un lieu
où l'exercice de la citoyenneté est plus actif, où la mise
en oeuvre d'innovations sociales est plus aisée de même que
l'intégration sociale des catégories en difficulté.
Il convient donc de proposer à la nouvelle génération un
modèle plus équilibré où l'aménagement du
territoire permettrait aux ruraux de réaliser sur place leurs projets et
aux urbains qui le souhaitent d'avoir une véritable alternative pour
leur lieu de vie. Doivent être en conséquence renforcés les
dispositifs qui sont susceptibles :
- de mettre à niveau les équipements et services publics
dans les territoires qui n'en disposent qu'insuffisamment ;
- de préserver la diversité des milieux ruraux ;
- de préserver les espaces naturels ;
- de renforcer l'attractivité et l'accessibilité des
territoires ruraux ;
- de permettre aux acteurs locaux de construire leur propre projet de
développement.