III. LES PROPOSITIONS DE VOTRE COMMISSION DES LOIS

1. Le constat d'un projet inachevé

Votre commission ne peut que se féliciter que le présent projet de loi soit enfin présenté, alors que les justiciables militaires auraient dû bénéficier depuis longtemps des garanties offertes aux autres justiciables.

Toutefois, elle regrette que le projet soit en quelque sorte inachevé. Le rapprochement considérable opéré entre le droit applicable pour les infractions commises hors du territoire et le droit applicable pour les infractions commises sur le territoire, aurait pu justifier le regroupement de l'ensemble des dispositions applicables en temps de paix au sein du code de procédure pénale, cependant que le code de justice militaire n'aurait plus concerné que le temps de guerre.

En ce qui concerne le droit applicable en temps de guerre, le Gouvernement a choisi de ne lui apporter aucune modification. Toutefois, la suppression ou la modification de dispositions communes aux temps de paix et de guerre a conduit à une solution peu satisfaisante.

Le droit applicable en temps de guerre sera en effet le code de justice militaire dans sa rédaction précédant le présent projet de loi. En cas de renvoi au code de procédure pénale, le droit applicable sera le code de procédure pénale dans sa rédaction précédant l'adoption de la loi du 4 janvier 1993.

Le moins que l'on puisse dire -malgré l'aval qu'a reçu cette solution de la part du Conseil d'Etat- est que cela ne facilitera pas la compréhension et la lisibilité du droit applicable. Il eût été préférable de procéder à une recodification à droit constant.

L'Assemblée nationale a d'ailleurs invité le Gouvernement, dans un article additionnel au projet de loi, à procéder à une refonte du code de justice militaire avant le 1 er janvier 2002. Afin que la prochaine réforme puisse tenir compte des premiers effets de la professionnalisation des armées, votre commission vous propose de reporter cette date au 31 décembre 2002.

2. Poursuivre l'unification de la justice militaire

L'Assemblée nationale a décidé de faire du tribunal aux armées de Paris la seule juridiction compétente pour les infractions commises hors du territoire. Votre commission approuve cette orientation, qui permettra une simplification heureuse du droit applicable et propose de modifier le projet de loi pour aller plus loin encore dans cette direction.

L'Assemblée nationale a en effet laissé subsister dans le code de justice militaire plusieurs dispositions relatives au tribunal aux armées auprès des forces stationnées en Allemagne. D'après les informations recueillies par votre rapporteur, le Gouvernement envisagerait de supprimer dans des délais très brefs ce tribunal. Votre commission a donc estimé préférable d'exclure du code de justice militaire toute référence à cette juridiction, afin d'éviter que des dispositions du code ne deviennent rapidement obsolètes. Une disposition transitoire à la fin du projet de loi peut permettre de prévoir le sort des affaires relevant actuellement de la compétence du tribunal de Baden-Baden.

Par ailleurs, votre commission a adopté de nombreux amendements de coordination, afin de prendre pleinement en compte le fait que le tribunal aux armées de Paris est appelé à devenir la seule juridiction militaire en temps de paix. Elle a en particulier prévu des dispositions spécifiques pour la composition du tribunal lorsqu'il sera appelé à juger des crimes.

3. Prévoir explicitement un avis du ministre de la défense en cas de mise en mouvement de l'action publique par la partie lésée

L'Assemblée nationale a souhaité étendre la possibilité pour la partie lésée de mettre en mouvement l'action publique, qui n'est possible aujourd'hui qu'en cas de décès, de mutilation ou d'infirmité permanente. Elle a donc prévu sans restrictions la possibilité de mettre en mouvement l'action publique, dans les conditions prévues par les articles 85 et suivants du code de procédure pénale (relatifs à la plainte avec constitution de partie civile devant le juge d'instruction). Elle a par ailleurs supprimé l'article 46 du projet de loi prévoyant une demande d'avis du ministre de la défense en cas de mise en mouvement de l'action publique par la partie lésée. Son rapporteur, M. Jean Michel, a fait valoir qu'une telle disposition " éloignerait la procédure applicable devant les juridictions militaires de la procédure de droit commun " .

De fait, le législateur, lorsqu'il a autorisé la mise en mouvement de l'action publique par la partie lésée en cas de décès, de mutilation ou d'infirmité permanente, n'a pas prévu explicitement l'avis du ministre de la défense.

Toutefois, il faut noter que le droit commun prévoit que lorsqu'une plainte avec constitution de partie civile est déposée devant le juge d'instruction, celui-ci ordonne communication de la plainte au procureur de la République pour qu'il prenne ses réquisitions. Or, en ce qui concerne la procédure applicable pour les justiciables militaires devant les juridictions de droit commun spécialisée, l'article 698-1 du code de procédure pénale prévoit que " le procureur de la République doit demander préalablement à tout acte de poursuite, sauf en cas de crime ou de délit flagrant, l'avis du ministre chargé de la défense ou de l'autorité militaire habilitée par lui ". Par conséquent, si l'on considère les réquisitions du procureur après plainte avec constitution de partie civile comme un acte de poursuite, la demande d'avis devient nécessaire. Il est vrai que la Cour de cassation a considéré, en 1997, que l'article 698-1 ne concernait que la mise en mouvement de l'action publique par le procureur. Néanmoins, d'après les informations recueillies par votre rapporteur, les procureurs, actuellement, sollicitent l'avis du ministre de la défense lorsque la partie lésée met en mouvement l'action publique.

Par conséquent, il est difficile de dire que la demande d'avis du ministre de la défense constituerait une réelle innovation. Votre commission pense que cet avis peut avoir une utilité pour expliquer le contexte des infractions . Actuellement, on compte environ 10.000 dénonciations ou avis du ministre de la défense (voir statistiques en annexe du présent rapport). Rien ne permet d'affirmer que ces avis font des militaires des justiciables protégés. Il faut rappeler que ces avis ne lient pas, et qu'ils n'interrompent pas le cours de la justice. Surtout, il n'y a guère de raison de prévoir un avis du ministre lorsque le procureur met en mouvement l'action publique et d'exclure cet avis lorsque la partie lésée met en mouvement l'action publique. C'est pourquoi votre commission vous propose d'accepter l'élargissement de la mise en mouvement de l'action publique par la partie lésée décidé par l'Assemblée nationale et de prévoir explicitement un avis du ministre de la défense, afin d'éviter toute ambiguïté en cette matière.

*

* *

Dans les débats sur la justice militaire, on a coutume de citer cette phrase de Napoléon Bonaparte : " La justice est une en France : on est citoyen français avant d'être soldat ". Votre commission souscrit à cette philosophie et approuve donc l'esprit de ce projet de loi, qui marque un nouveau rapprochement entre la situation des justiciables militaires et celle des autres justiciables.

Il convient néanmoins de garder à l'esprit l'utilité que peuvent avoir certaines spécificités en ce qui concerne les justiciables militaires, surtout lorsqu'elles n'entravent en rien le cours de la justice. La volonté de concilier unité de la justice et prise en compte du caractère propre de l'institution militaire a inspiré votre commission des Lois dans les propositions qu'elle vous soumet.

RÈGLES DE COMPÉTENCE POUR LES INFRACTIONS COMMISES
PAR DES MILITAIRES ET ASSIMILÉS EN TEMPS DE PAIX

 

Droit en vigueur

Projet de loi adopté par l'Assemblée nationale

 

Infractions commises sur le territoire de la République

Infractions commises hors du territoire de la République

Infractions commises sur le territoire de la République

Infractions commises hors du territoire de la République


Infractions militaires prévues au titre III
du code de justice militaire : insoumission, désertion, provocation à la désertion, recel de déserteur ...etc...


Chambre spécialisée d'une juridiction de droit commun

Tribunal aux armées ou chambre spécialisée d'une juridiction de droit commun ou tribunal des forces armées de Paris


Chambre spécialisée d'une juridiction
de droit commun


Tribunal
aux armées de Paris*


Crimes et délits de droit commun
dans l'exécution du service


Chambre spécialisée d'une juridiction de droit commun

Tribunal aux armées ou chambre spécialisée d'une juridiction de droit commun ou tribunal des forces armées de Paris


Chambre spécialisée d'une juridiction de droit commun


Tribunal
aux armées de Paris*


Infractions de droit commun commises
hors de l'exécution du service


Juridiction
de droit commun

Tribunal aux armées ou chambre spécialisée d'une juridiction de droit commun ou tribunal des forces armées de Paris


Juridiction
de droit commun


Tribunal
aux armées de Paris*

* Sous réserve de la compétence du tribunal aux armées des forces stationnées en Allemagne.

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