III. LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE
Le
projet de loi constitutionnelle initial prévoyait de compléter
ainsi l'article 3 de la Constitution :
" la loi favorise
l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et
fonctions "
.
Le texte adopté par l'Assemblée nationale est ainsi
rédigé :
" la loi détermine les conditions
dans lesquelles est organisé l'égal accès des femmes et
des hommes aux mandats électoraux et fonctions
électives "
.
A. LA LIMITATION DU CHAMP DE LA RÉVISION
Le
projet de loi constitutionnelle relatif à l'égalité entre
les femmes et les hommes, en proposant l'adjonction d'un alinéa à
l'article 3 de la Constitution concernant la souveraineté
nationale, ne concerne que la vie publique.
Il ne porte pas, en revanche, sur l'égalité entre les femmes et
les hommes dans les autres domaines.
En effet, le Préambule de la Constitution de 1946, en affirmant que
"
la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits
égaux à ceux de l'homme
", a, selon l'exposé des
motifs du présent projet, levé tout obstacle de caractère
constitutionnel à l'adoption de mesures législatives permettant
d'assurer, à certaines conditions, une répartition plus
équilibrée des responsabilités entre les femmes et les
hommes, sauf pour celles ayant trait à la souveraineté nationale,
dont les principes sont définis par l'article 3
précité.
Cette interprétation se fonde aussi sur les décisions du Conseil
constitutionnel précitée du 18 novembre 1982 et
n° 97-394 du 31 décembre 1997 sur la question de la
conformité à la Constitution du Traité d'Amsterdam.
En effet, les dispositions de ce Traité autorisant les Etats membres
à maintenir ou adopter "
des mesures prévoyant des
avantages spécifiques destinés à faciliter l'exercice
d'une activité professionnelle par le sexe sous-représenté
ou à prévenir ou compenser des désavantages dans leur
carrière professionnelle
", n'ont pas été
déclarées contraires à la Constitution par le Conseil
constitutionnel, dans sa décision du 31 décembre 1997.
Il n'existe donc d'obstacle constitutionnel absolu à la mise en oeuvre
de mesures de discrimination positive pour assurer l'égalité
entre les sexes, que pour l'accès aux mandats et fonctions de
caractère électoral en raison de leurs caractéristiques
exposées ci-dessus.
La révision concernant l'article 3 de la Constitution relatif
à la souveraineté, les auteurs du projet initial avaient
pensé que la nature de ces "
mandats et fonctions
" ne
faisait pas de doute et que toute précision était inutile.
L'Assemblée nationale, considérant que les termes de mandat et de
fonction comportaient des significations juridiques nombreuses, en droit
privé comme en droit public, a préféré
préciser que le texte concernerait les "
mandats
électoraux et fonctions électives
", en adoptant un
amendement de M. Claude Goasguen, sur lequel la commission des Lois avait
émis un avis défavorable. Au cours de la séance publique,
Mme Catherine Tasca, rapporteur, en a cependant recommandé
l'adoption à titre personnel et le Gouvernement s'en est remis à
la sagesse de l'Assemblée.
Seuls les mandats électoraux et fonctions électives acquis sur la
base des principes de l'article 3 de la Constitution seraient
concernés par le texte.
Encore faudrait-il définir précisément ces mandats et
fonctions.
Ainsi, pourrait-on se demander si les
juges élus
seraient
concernés par la révision constitutionnelle.
Dans une décision n° 101 DC du 17 janvier 1979, le Conseil
constitutionnel a considéré, à propos d'une disposition
attribuant des voix supplémentaires à des électeurs
employeurs aux conseils de prud'hommes, en fonction du nombre de
salariés qu'ils occupent, que les élections aux conseils de
prud'hommes devaient être organisées selon des règles
conformes au principe d'égalité du suffrage, ce que l'on pourrait
expliquer par le fait que les juges rendent leurs décisions au nom du
peuple français.
A l'inverse, dans une décision n° 82-148 du 14 décembre
1982, le Conseil constitutionnel a estimé que "
les
élections prévues pour la désignation de
représentants des assurés sociaux
ne se rapportent ni à
l'exercice de leurs droits politiques, ni à la désignation des
juges
" et qu' "
aucun principe ou règle de
valeur constitutionnelle n'interdit au législateur de réserver
l'initiative des candidatures à certaines organisations en raison de
leur nature et de leur représentativité au plan
national
", ce à quoi, le principe d'égalité du
suffrage s'opposerait, s'il était applicable aux représentants
des assurés sociaux.
Les principes établis par l'article 3 de la Constitution ne sont donc
applicables que pour l'élection à des fonctions qui, selon les
décisions précitées du 27 janvier 1979 et du 14 novembre
1982, se rapportent à l'exercice des droits politiques et à la
désignation des juges.
La révision placée à l'article 3 de la Constitution
pourrait donc concerner, outre les mandats et fonctions de caractère
politique, les fonctions de juge élu, comme l'a confirmé
Mme Elisabeth Guigou, ministre de la Justice devant votre commission des
Lois.
En revanche, elle ne pourrait concerner la composition du gouvernement. Qu'en
serait-il de la présidence de la République ? Comment
assurer la parité au niveau de ce mandat suprême et unique par
définition ?
Un inventaire de ces mandats et fonctions politiques peut être
tenté à partir des dispositions du code électoral et du
code général des collectivités territoriales relatives aux
incompatibilités.
Ainsi, l'article L.O. 141 du code électoral
énumère-t-il, parmi les mandats et fonctions (sans les distinguer
formellement), ceux de parlementaire, de représentant au Parlement
européen, de conseiller régional, de conseiller à
l'Assemblée de Corse, de conseiller général, de conseiller
de Paris, de maire et d'adjoint au maire.
L'article L. 237 du même code cite les
" fonctions "
de conseiller municipal.
Les articles L. 3122-3 et L. 4133-3 du code
général des collectivités territoriales se
réfèrent aux fonctions de président de conseil
général et de conseil régional.
Les mandats de membre d'une assemblée territoriale d'un territoire ou
d'une collectivité d'outre-mer sont également
énumérés aux articles 4 de la loi
organique n° 85-1405 du 30 décembre 1985 et 5
de la loi n° 85-1406 de la même date tendant à limiter
le cumul des mandats électoraux et des fonctions électives.
Les fonctions exercées au sein des assemblées territoriales sont
qualifiées comme telles par les statuts des territoires ou
collectivités concernés (par exemple, pour les membres du
Gouvernement de la Polynésie française, par l'article 13 de
la loi organique n° 96-312 du 12 avril 1996).
En revanche, les vice-présidents et autres membres du bureau d'un
conseil régional ou général ne faisant pas l'objet
d'incompatibilités spécifiques ne sont pas cités
expressément par ces textes comme titulaires de fonctions. Cependant,
ils exercent, au moins, un mandat de conseiller.
Les conseillers d'arrondissement de Paris, de Lyon et de Marseille ne sont pas
non plus énumérés par ces textes, mais ne sont-ils pas
titulaires d'un mandat électoral ?
L'ensemble des élus concernés par les termes
" mandats
électoraux et fonctions électives "
n'est donc pas
recensé de manière exhaustive par ces différents textes et
la distinction entre mandats électoraux et fonctions électives
n'est pas juridiquement définie de manière incontestable.
Peut-être les auteurs du projet de loi constitutionnelle entendent-ils,
selon une acception courante, par mandat électoral celui qui est acquis
du suffrage universel direct ou indirect et par fonction élective celle
obtenue au sein d'une assemblée élue au suffrage universel.
Une telle interprétation ne résoudrait pas totalement la
difficulté, car on pourrait alors s'interroger, par exemple, sur
l'assimilation des représentants d'une collectivité territoriale
au sein d'un établissement public de coopération entre
collectivités à des titulaires de fonctions électives au
sens du texte proposé.
Certes les lois mettant en oeuvre le principe de l'égal accès
pourraient préciser sans ambiguïté, d'une part, les mandats
et, d'autre part, les fonctions concernées.
Il serait toutefois souhaitable que le Constituant connaisse
précisément, avant de se prononcer, le champ d'application du
présent projet et votre rapporteur constate que Mme Elisabeth Guigou,
ministre de la Justice n'a pas pu répondu précisément
à son interrogation sur la définition exacte des fonctions
électives.
En tout état de cause, la mise en oeuvre de l'égal
accès aux fonctions électives par des mesures contraignantes,
comme la parité, se heurterait à des difficultés pratiques
importantes, en particulier lorsque l'élection à ces fonctions
s'effectue par votes successifs (élection du maire, puis de ses
adjoints, par exemple).
Seules des mesures de caractère incitatif (par exemple,
aménagement du statut de l'élu) paraissent envisageables pour
l'accès à ces fonctions.
Encore faudrait-il connaître les intentions du Gouvernement à cet
égard et, là encore, malgré l'interrogation de votre
rapporteur, Mme Elisabeth Guigou, ministre de la Justice, n'a pas
apporté de précisions sur les mesures qui pourraient être
proposées en ce qui concerne les fonctions électives
.
Selon Mme Elisabeth Guigou, ministre de la Justice, l'habilitation
conférée au législateur permettrait à ce dernier de
prendre des dispositions qui revêtiraient soit un caractère
contraignant, soit un caractère incitatif.
Si l'
" objectif de parité "
est mentionné dans
l'exposé des motifs du présent projet, le mot
" parité "
ne figure pas dans le texte constitutionnel.
En effet, la parité est un concept susceptible de poser de nombreux
problèmes d'application, par exemple lorsque le nombre de sièges
à pourvoir est impair, encore que Mme le Garde des Sceaux ait
indiqué à votre commission qu'elle n'impliquait pas une stricte
égalité mathématique.
Plus fondamentalement, il apparaît préférable de s'en tenir
au principe de l'égalité républicaine, le texte
proposé laissant au législateur une marge d'appréciation
pour mettre ce principe en oeuvre.
La promotion de l'
" objectif de parité "
ne
soulèverait pas de difficultés techniques particulières
pour les
scrutins de liste
, dès lors que ne serait pas
recherché un résultat mathématique. La loi pourrait ainsi
prévoir un taux minimum et un taux maximum se rapprochant de la stricte
parité de candidats d'un même sexe (par exemple, entre 45 %
et 55 % des candidats).
Il en irait bien sûr différemment pour les mandats acquis selon un
mode de scrutin uninominal
, pour lesquels seules des mesures incitatives
(en particulier, modulation du financement public des partis politiques en
fonction de la proportion de candidates qu'ils présentent) semblent
appropriées, ainsi que pour l'accès aux fonctions
électives, dès lors que celles-ci auraient été
définies de manière indiscutable.
Il n'est cependant pas certain que la modulation du financement public -qu'elle
s'applique aux scrutins uninominaux seulement ou à tous les modes de
scrutin- serait autorisée par la modification proposée de
l'article 3 de la Constitution.
En effet, cette modulation serait susceptible de limiter la liberté des
partis et groupements politiques reconnue par l'article 4 de la
Constitution.