COMPTE RENDU DES AUDITIONS
DU MARDI 19 JANVIER 1999

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La commission a tout d'abord entendu Mme Françoise Hostalier, ancien secrétaire d'Etat chargé de l'enseignement scolaire .

Après avoir constaté l'exception française constituée par la faible présence de femmes aux postes de responsabilités, Mme Françoise Hostalier a néanmoins fait valoir qu'il y avait une prise de conscience de plus en plus forte de cette situation de la part des dirigeants politiques mais aussi de la part des femmes elles-mêmes.

Estimant que le niveau des débats devant l'Assemblée nationale avait été décevant, Mme Françoise Hostalier a regretté qu'ils n'aient pas permis un réel examen de la question.

Se déclarant personnellement favorable à l'idée de parité mais hostile à toute obligation législative, notamment par la méthode des quotas, Mme Françoise Hostalier a fait observer qu'il était difficile de faire passer cette analyse auprès de l'opinion publique en l'absence d'un véritable débat.

Après avoir rappelé que, selon le dictionnaire, la parité se définissait comme " ce qui est pareil ", Mme Françoise Hostalier a indiqué qu'elle l'analysait comme la recherche d'une égalité en termes de valeur et non pas en termes mathématiques.

Puis, faisant valoir que le projet de loi de révision constitutionnelle ne changeait pas le fond du problème, Mme Françoise Hostalier a rappelé que la décision du Conseil constitutionnel de 1982 était fondée, d'une part, sur l'article VI de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 qui fixait le principe de l'égal admissibilité aux emplois publics et, d'autre part, sur l'article 3 de la Constitution qui interdisait qu'une section du peuple accapare la souveraineté nationale.

Elle a donc considéré que, malgré la révision constitutionnelle, toute loi qui établirait des quotas contredirait ces mêmes dispositions.

Soulignant que contrairement à l'humanité, la citoyenneté n'était pas sexuée, Mme Françoise Hostalier a plaidé pour une société qui respecte la diversité des personnes, sans distinction d'aucune sorte. Elle a relevé que la réforme proposée contredisait le principe d'universalité.

Elle s'est déclarée favorable à ce que la loi garantisse aux femmes l'égalité des chances pour arriver à des postes de responsabilités et non pas un résultat en codifiant une obligation mathématique sur des listes de candidatures.

Puis Mme Françoise Hostalier a suggéré que le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale soit modifié afin qu'il soit expressément indiqué que la loi devra déterminer les conditions dans lesquelles l'égalité des chances pour l'accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions sera garantie.

Mme Françoise Hostalier a néanmoins fait valoir que le problème de l'accès des femmes aux postes de responsabilités était essentiellement d'ordre culturel. Elle a donc souligné le rôle des partis politiques et de leurs dirigeants pour favoriser l'accès des femmes aux responsabilités et aux mandats.

En conclusion, constatant l'existence de signes encourageants, Mme Françoise Hostalier a fait observer que les femmes étaient de plus en plus présentes dans la vie économique et sociale et que dans les instances destinées aux jeunes, notamment en milieu scolaire, la parité des délégués était effective en l'absence de tout texte l'imposant.

M. Guy Cabanel, rapporteur , a souhaité savoir si la modification proposée devrait porter sur l'article 3 de la Constitution. Il s'est en outre demandé s'il ne faudrait pas envisager des mesures incitatives concernant le financement des partis politiques afin de favoriser la place des femmes dans la vie politique.

En réponse, Mme Françoise Hostalier a indiqué qu'elle n'avait pas d'a priori sur l'article de la Constitution qui devrait être modifié afin d'introduire l'idée d'égalité des chances.

Elle a regretté que cette égalité des chances ne soit pas suffisamment garantie par les partis politiques, pas assez accueillants pour les femmes et largement inadaptés aux mentalités féminines. Elle a également déploré que trop peu de femmes s'engagent dans la vie politique. Elle a en conséquence souhaité une mobilisation à l'intérieur des partis politiques pour faire émerger des talents, notamment parmi les femmes déjà engagées par ailleurs, par exemple dans la vie associative.

M. Luc Dejoie s'est demandé si une obligation légale, même si elle pouvait apparaître comme peu satisfaisante dans son principe, ne constituait pas une mesure d'accélération pragmatique indispensable pour développer le rôle des femmes dans la vie publique dans des délais plus rapides.

Estimant qu'il n'y avait pas eu d'avancée dans ce sens depuis la reconnaissance du droit de vote aux femmes, Mme Dinah Derycke s'est déclarée favorable au volontarisme dans ce domaine. Elle a fait valoir que la réforme constitutionnelle permettait de lever un obstacle, comme le mettait en évidence la récente décision du Conseil constitutionnel sur la loi modifiant le mode de scrutin régional.

Mme Dinah Derycke , tout en soulignant que certains progrès avaient été enregistrés au sein de sa formation politique aux dernières élections législatives, s'est néanmoins inquiétée des perspectives pour l'ensemble des listes aux prochaines élections européennes. Elle a en outre réfuté l'idée que la réforme envisagée pourrait dévaluer les femmes. Elle a enfin souligné que les femmes qui exerçaient des responsabilités politiques avaient le sentiment de représenter tous les citoyens, sans distinction aucune.

En réponse, Mme Françoise Hostalier , tout en partageant cette dernière réflexion, a néanmoins relevé qu'elle était en contradiction avec la thèse selon laquelle l'augmentation du nombre de femmes dans les instances politiques permettrait d'améliorer leur représentation. Elle a en conséquence contesté l'idée qu'il faudrait favoriser la place des femmes dans les institutions uniquement pour mieux faire entendre leur voix.

Mme Françoise Hostalier a souligné que le fait d'être choisies pour siéger dans des institutions uniquement parce qu'elles étaient des femmes aurait pour effet de fragiliser leur situation.

Admettant que depuis la reconnaissance du droit de vote des femmes, la situation de ces dernières dans les institutions publiques n'avait pas beaucoup progressé, Mme Françoise Hostalier a estimé que les femmes n'avaient peut-être pas mené ce combat et qu'elles avaient souffert de l'absence d'une véritable solidarité féminine.

Tout en considérant qu'une modification des règles de financement des partis politiques pourrait avoir un effet incitatif, Mme Françoise Hostalier s'est néanmoins déclarée choquée par une telle solution qui reviendrait, selon elle, à " acheter " la représentation des femmes. Elle s'est au contraire prononcée pour des formations spécifiques pour faciliter l'accès des femmes à la citoyenneté. Elle a fait part de son hostilité à la création de deux catégories de citoyens qui devraient faire l'objet de mesures différentes pour les faire accéder aux postes de responsabilités.

Répondant à M. Luc Dejoie qui s'interrogeait sur l'opportunité de mesures législatives ayant un caractère provisoire, Mme Françoise Hostalier a fait valoir que de telles mesures qui s'apparenteraient à des discriminations positives seraient contraires aux fondements mêmes de la République.

Enfin, s'agissant des élections européennes, Mme Françoise Hostalier s'est prononcée pour un équilibre global entre les hommes et les femmes qui prenne en compte la valeur des candidats. Elle s'est en revanche déclarée hostile à des listes alternant systématiquement " un homme - une femme ".

La commission a ensuite entendu Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice et Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'emploi et de la solidarité, chargé des droits des femmes et de la formation professionnelle .

Après avoir rappelé que ce projet de loi constitutionnelle correspondait à un engagement pris par le Premier ministre au cours de sa déclaration de politique générale et qu'il avait été adopté à l'unanimité des suffrages exprimés à l'Assemblée nationale, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, a estimé que personne ne contestait aujourd'hui l'idée qu'il était souhaitable que les femmes deviennent à peu près aussi nombreuses que les hommes à être titulaires de mandats électifs.

Elle a cependant constaté que si la France avait connu une évolution comparable à celle des autres pays en matière d'accès des femmes aux responsabilités professionnelles, elle avait en revanche pris du retard dans deux domaines, à savoir, d'une part, la modification des règles du code civil napoléonien -qui n'est intervenue que récemment- et, d'autre part, la présence des femmes parmi les titulaires de mandats et de fonctions électives. Soulignant l'" exception française " dans ce dernier domaine, elle a rappelé que la France avait été l'un des derniers pays à accorder le droit de vote aux femmes et qu'elle se situait parmi les derniers quant à la proportion de femmes au sein des assemblées parlementaires.

Partant de ce constat, elle a considéré que l'universalisme qui avait prévalu dans toutes les constitutions républicaines jusqu'à présent ne constituait pas la meilleure voie pour parvenir à réaliser l'égalité des sexes et elle a jugé indispensable de lever le " verrou " juridique sur ce point.

Elle a en effet relevé que les mesures incitatives s'étaient révélées insuffisantes pour atteindre l'objectif de la parité et que les discriminations positives étaient aujourd'hui interdites en raison de la décision du Conseil constitutionnel de 1982 qui avait déclaré inconstitutionnelle une disposition tendant à limiter à 75 % la proportion de personnes du même sexe pouvant figurer sur une liste pour les élections municipales, en se référant aux principes posés par l'article 3 de la Constitution et l'article VI de la Déclaration des droits de l'Homme de 1789.

Compte tenu de l'existence de ces principes, elle a estimé qu'il n'était pas surprenant que le Conseil constitutionnel ait confirmé sa jurisprudence antérieure dans sa décision du 14 janvier 1999 et en a déduit qu'il était nécessaire de modifier la Constitution pour atteindre l'objectif de la parité. Elle a, à cet égard, approuvé la position exprimée en 1992 par le professeur Vedel, selon lequel " si les juges ne gouvernent pas, c'est parce que, à tout moment, le Souverain, à condition de paraître en majesté comme Constituant, peut, dans une sorte de lit de justice, briser leurs arrêts ".

Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'emploi et de la solidarité, chargé des droits des femmes et de la formation professionnelle, s'est associée à ce propos préliminaire et a déclaré qu'elle répondrait par la suite aux questions des membres de la commission.

M. Jacques Larché, président, a fait observer que sur ces bases certaines communautés pourraient faire valoir leur poids au sein de la population pour exiger une représentation.

Après avoir souligné la situation actuelle d'impasse résultant, d'une part, du caractère aléatoire et toujours insuffisant des mesures incitatives et, d'autre part, de l'interdiction des mesures législatives résultant de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, M. Guy Cabanel, rapporteur, a rappelé que la modification de l'article 3 de la Constitution avait fait l'objet d'un accord entre le Premier ministre et le Président de la République.

Il a souhaité savoir quelle serait la marge d'appréciation laissée au législateur sur la base du texte initial du projet ou sur celle de la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale et quelle serait la portée du contrôle du Conseil constitutionnel dans chaque cas.

Il a ensuite interrogé Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, sur les intentions du Gouvernement concernant la mise en oeuvre législative du principe posé par le projet de loi constitutionnelle.

Après s'être interrogé sur la portée des termes " fonctions électives ", il lui a demandé si la modification envisagée de la Constitution permettrait au législateur de prendre des mesures d'incitation financière à l'égard des partis politiques sans risquer de se heurter au contrôle du Conseil constitutionnel et a indiqué qu'il envisageait un amendement tendant à modifier également l'article 4 de la Constitution.

Enfin, il a questionné le garde des sceaux sur les effets possibles d'une modification du statut de l'élu pour faciliter les candidatures féminines.

M. Guy Cabanel, rapporteur, a indiqué ne pas redouter un risque de communautarisation.

Après s'être associé aux questions du rapporteur, M. Nicolas About s'est interrogé sur l'" exception française " évoquée par Mme Elisabeth Guigou et a fait observer que les hommes se trouvaient eux pénalisés par une autre " exception française " relative à l'autorité parentale, à la garde des enfants et au droit de visite, considérant qu'il conviendrait de parvenir à un égal accès des hommes et des femmes à leurs enfants.

M. Jean-Jacques Hyest a souligné l'importance de la modification de la rédaction du projet de loi constitutionnelle par l'Assemblée nationale et les difficultés susceptibles de se poser pour l'application de ce texte. Il s'est en effet interrogé sur l'organisation de l'égal accès aux fonctions électives uniques comme la Présidence de la République et a évoqué la présence majoritaire des femmes dans certaines fonctions comme les fonctions judiciaires.

M. Jacques Larché, président, a relevé qu'en Suède, pays souvent cité comme exemple en matière d'accès des femmes à la vie politique, les femmes étaient moins présentes qu'en France dans les postes de responsabilité de la vie économique et de la fonction publique, soulignant qu'en France les promotions de l'ENA comportaient désormais 40 % de femmes.

Mme Dinah Derycke s'est félicitée de la présentation de ce projet de loi constitutionnelle, rappelant l'existence actuelle d'un " verrou " constitutionnel tenant à la conception universaliste de la citoyenneté. Se référant, sans les reprendre à son compte, aux propos tenus par Mme Françoise Hostalier au cours de son audition, elle a demandé à Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice , si l'on pouvait considérer que ce projet de loi était " anti-républicain " ou qu'il" dévaluait " les femmes.

Après avoir évoqué la situation de la profession d'avocat où les femmes sont plus nombreuses que les hommes dans certains barreaux mais pas toujours dans les conseils de l'ordre, M. Jacques Peyrat a estimé que si les femmes n'avaient pas encore imposé leur présence dans le monde politique, à la différence des autres milieux professionnels, c'est parce qu'elles ne l'avaient pas souhaité. Il a fait état de ses propres difficultés pour trouver des candidates aux municipales tout en se félicitant qu'une femme l'ait remplacé à l'Assemblée nationale et que son suppléant soit également une femme. Il s'est donc interrogé sur les raisons d'une réforme qui aboutirait à ses yeux à contraindre les femmes à cette évolution.

M. Robert Badinter a déclaré que ce projet de loi constitutionnelle semblait se fixer seulement pour objet de remédier à l'insuffisante représentation des femmes au sein de la vie politique et non de proclamer la parité dans la Constitution, ce qui aurait nécessité une affirmation claire. Il a considéré que la rédaction initiale du projet de loi constitutionnelle, tendant à " favoriser " l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électifs, répondait à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Il a cependant fait part de sa perplexité devant la rédaction retenue par l'Assemblée nationale, prévoyant que " la loi détermine les conditions dans lesquelles est organisé l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux ". Il s'est en effet demandé si ce texte n'impliquait pas une obligation de prévoir une parité des candidatures dans toutes les élections. Il a constaté qu'une telle obligation ne poserait pas de difficulté technique dans le cadre du scrutin de liste, mais s'est interrogé sur la possibilité de la concilier avec le scrutin uninominal.

Enfin, M. Jacques Larché, président, a demandé au garde des sceaux si la révision constitutionnelle permettrait d'instaurer des quotas.

En réponse aux différents intervenants, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, a tout d'abord indiqué que le projet de loi constitutionnelle reposait sur un choix philosophique consistant à considérer que les femmes ne constituaient pas une catégorie mais représentaient la moitié de l'humanité. Elle a estimé que l'universalisme abstrait avait conduit à imposer la domination du masculin et que la réforme envisagée n'entraînait pas une évolution vers le communautarisme.

Répondant ensuite aux questions du rapporteur, elle a déclaré que le texte initial et celui adopté par l'Assemblée nationale poursuivaient le même objectif, à savoir l'habilitation du législateur à intervenir soit pour inciter, soit pour contraindre. Relevant que la réforme tendait seulement à lever le " verrou " constitutionnel, elle a insisté sur le choix laissé au législateur entre incitation ou obligation, l'instauration de quotas n'étant pas exclue.

Elle a précisé que le terme " favoriser " retenu dans la rédaction initiale aurait pu laisser une trop grande marge d'appréciation au Conseil constitutionnel, soulignant par ailleurs que la révision constitutionnelle ne ferait disparaître ni les articles 3 et 4 de la Constitution, ni l'article VI de la Déclaration des droits de l'Homme de 1789.

Elle a rappelé que le Premier ministre avait clairement indiqué qu'il n'était pas question que la révision constitutionnelle relative à la parité soit le prétexte d'une généralisation du scrutin proportionnel et que le Gouvernement n'avait pas de projet en ce sens.

Elle a indiqué que, s'agissant des élections au scrutin proportionnel, il n'y aurait pas de difficultés à imposer la réalisation de la parité même en cas de nombre impair de sièges, la parité ne consistant pas en une stricte égalité mathématique.

Evoquant une décision du Conseil constitutionnel du 17 janvier 1979, elle a par ailleurs noté que les élections aux conseils de prud'hommes pourraient éventuellement être concernées, les fonctions de conseiller prud'homal constituant des fonctions électives au sens de cette jurisprudence.

En ce qui concerne les élections au scrutin majoritaire uninominal, elle a déclaré que l'intention du Gouvernement était d'agir par incitation à l'égard des partis politiques, soulignant toutefois qu'elle n'était pas favorable à l'idée d'accorder des primes aux partis politiques en fonction du nombre de candidatures féminines présentées, mais préférerait plutôt un système de pénalisation des partis les moins actifs dans ce domaine.

Elle a par ailleurs considéré qu'il n'était pas nécessaire de modifier l'article 4 de la Constitution dans la mesure où l'article 3 intégrait les partis politiques dans son champ d'application.

Enfin, à propos du statut de l'élu, elle a évoqué les difficultés particulières des femmes, liées à la conciliation des obligations familiales et des contraintes de la vie politique.

A la suite d'une remarque de M. Jacques Larché, président, qui a observé qu'il y aurait désormais deux catégories de lois électorales, les unes contraignantes et les autres incitatives, ce qui pourrait poser le problème de leurs modalités d'adoption, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, a déclaré que la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale, qu'elle a qualifiée de plus " allante " que la rédaction initiale, n'imposait ni obligation, ni incitation et que chaque mode de scrutin avait sa logique.

En réponse à M. Nicolas About , le garde des sceaux a indiqué qu'elle avait installé un groupe de travail sur la famille qu'elle avait notamment chargé d'étudier les moyens d'une application effective de l'autorité parentale conjointe quelle que soit la situation juridique du couple.

En réponse à Mme Dinah Derycke , elle a fait valoir que le projet de révision constitutionnelle n'ouvrait pas de brèche dans le principe de l'universalisme, l'humanité étant composée de femmes et d'hommes.

Répondant à M. Jacques Peyrat , elle a reconnu que beaucoup de femmes hésitaient à s'engager dans des postes de responsabilité en raison des difficultés de conciliation des obligations professionnelles et familiales, notamment dans la magistrature. Elle a par ailleurs constaté que dans certains corps, la féminisation dominante pouvait poser problème, évoquant l'exemple des éducateurs confrontés à la délinquance juvénile. Elle a toutefois contesté que l'on ne puisse trouver des candidates en les cherchant.

Estimant qu'actuellement tout était fait pour décourager les femmes d'entrer dans la vie politique, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, a insisté sur la nécessité de leur montrer qu'elles y étaient les bienvenues, sans qu'il soit question de contraindre quiconque.

En réponse à M. Robert Badinter , elle a considéré que pour parvenir à l'objectif de l'égalité entre les hommes et les femmes, la parité lui paraissait constituer un meilleur instrument que les quotas, ceux-ci n'étant toutefois pas exclus.

A propos du scrutin uninominal, elle s'est de nouveau déclarée favorable à un système d'incitation financière à l'égard des partis politiques mais a souligné que le législateur ferait ce qu'il entendrait et que la position du Gouvernement n'était pas figée a priori.

Interrogée par M. Jacques Larché, président, sur l'éventualité de la mise en place d'un système contraignant pour les élections au scrutin uninominal, elle n'a pas exclu le dépôt de propositions de loi en ce sens à l'Assemblée nationale.

M. Luc Dejoie a considéré que le texte à l'Assemblée nationale posait le principe de l'obligation de parvenir à l'égalité.

Après avoir fait observer que le principe de l'égalité figurait déjà dans le préambule de la Constitution, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, a réaffirmé qu'il ne s'agissait pas d'une égalité mathématique et que le texte de l'Assemblée nationale permettait à la fois l'obligation et l'incitation.

M. Jacques Mahéas a estimé que la parité ne poserait pas de problème s'agissant des élections au scrutin de liste mais s'est interrogé sur les risques de contentieux résultant de son extension à l'ensemble des fonctions électives, tout en se déclarant partisan de progresser largement vers l'égalité entre les hommes et les femmes dans ce domaine.

Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'emploi et de la solidarité, chargé des droits des femmes et de la formation professionnelle, est alors intervenue pour présenter les actions qu'elle avait engagées en sa qualité de secrétaire d'Etat chargé des droits des femmes.

Après avoir souligné la volonté du Premier ministre de " remettre en mouvement " les actions dans ce domaine, elle a expliqué qu'elle avait demandé à l'Observatoire de la parité, dont les membres venaient d'être renouvelés, de lui faire des propositions dans un délai de six mois pour améliorer la place des femmes dans la vie politique.

Elle a par ailleurs indiqué qu'elle s'était engagée à faire progresser la lutte contre les inégalités professionnelles, et a cité des statistiques illustrant la faible proportion de femmes occupant des postes de responsabilité. Elle a à cet égard précisé qu'elle venait de nommer Mme Catherine Génisson parlementaire en mission, chargée de lui faire des propositions dans un délai de trois mois.

M. Robert Badinter a déclaré qu'il soutiendrait toutes les mesures susceptibles de favoriser l'égalité entre les hommes et les femmes dans la société. Il a cependant fait valoir que, s'agissant de l'élection d'une personne, le souverain ne pouvait être que celui qui est appelé à choisir, à savoir l'électeur qui souhaite que les candidats présentés soient les meilleurs.

Après avoir constaté que les démocraties les plus avancées en matière de représentation des femmes dans la vie politique n'avaient jamais eu recours à des mesures paritaires contraignantes, il s'est interrogé sur les moyens susceptibles de permettre sa mise en oeuvre concrète, suggérant l'idée d'une modification de l'article 4 de la Constitution destinée à prévoir que les partis organiseraient l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électifs, sans modifier les dispositions relatives à la souveraineté nationale.

Il a souligné l'inapplicabilité de la parité pour la Présidence de la République et les présidences d'exécutifs locaux. Il s'est interrogé sur la conciliation de la parité et des équilibres politiques au sein des Bureaux des assemblées nationales et locales.

M. Guy Cabanel a estimé que le texte initial était plus souple que celui adopté par l'Assemblée nationale qui entraînerait une mécanique difficile à maîtriser.

M. Luc Dejoie a fait observer que le problème ne pourrait être réglé par les seuls partis politiques, certaines fonctions électives ne relevant pas d'eux.

M. Jacques Mahéas a également considéré que l'organisation de la parité ne pouvait être confiée aux seuls partis politiques mais s'est à nouveau interrogé sur son application dans le cadre des fonctions électives uniques.

En conclusion, Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'emploi et de la solidarité, chargé des droits des femmes et de la formation professionnelle, a déploré que notre pays soit toujours citée comme bon dernier quant à la place faite aux femmes au sein des lieux de pouvoir. Elle a estimé que si la volonté politique de favoriser l'amélioration de la place des femmes avait été partagée par tous, ce débat sur la révision constitutionnelle n'aurait pas été nécessaire.

Enfin, évoquant sa propre expérience de la vie politique, elle a souligné les grandes difficultés pour les femmes de parvenir à concilier l'ensemble de leurs obligations familiales et professionnelles.

Mme Dinah Derycke a souhaité que les hommes se posent également la question de cette conciliation pour eux-mêmes.

La commission a ensuite procédé à l'audition de Mme Elisabeth Badinter , professeur de philosophie à l'école polytechnique, sur le projet de loi constitutionnelle n° 130 (1998-1999), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes .

Mme Elisabeth Badinter a précisé qu'elle avait accepté de venir devant la commission des lois du Sénat, après avoir décliné d'être entendue par celle de l'Assemblée nationale, car elle s'était rendu compte que son opinion n'avait pas été représentée dans le débat. Elle s'est déclarée être également l'interprète de ses élèves femmes de l'école polytechnique qui avaient ressenti ce texte comme une véritable humiliation.

Elle a développé trois motifs qui l'avaient conduite à se déclarer hostile à la révision constitutionnelle proposée.

En tant que professeur de philosophie, Mme Elisabeth Badinter a tout d'abord considéré que le projet de loi procédait à une manipulation des concepts en portant atteinte à la notion d'humanité qui s'attache à mettre en exergue les points communs entre les êtres humains et non leurs différences biologiques, lesquelles, si elles ont de réelles conséquences en matière de procréation, n'ont pas à intervenir dans le domaine politique.

Effectuant une comparaison avec les mouvements revendiquant le droit à la différence initiés par les " Black panthers " américains au début des années 70, qu'elle a regretté avoir jugés transposables aux droits des femmes à l'époque, elle a estimé qu'une telle approche avait légitimé ultérieurement des théories d'extrême droite prônant la discrimination au nom de la différence.

Elle a considéré que la notion de parité relevait d'une fausse évidence et que les demandes en matière d'égalité devaient toujours être fondées sur le droit à la ressemblance pour mettre en exergue ce qui unit et non ce qui sépare.

En tant que féministe ensuite, Mme Elisabeth Badinter a jugé que ce texte constituait une régression. Rappelant les travaux qu'elle avait menés, pendant 25 ans, sur la place des femmes, elle a indiqué que toutes les actions tendant à faire progresser l'égalité entre les hommes et les femmes avaient été entreprises au nom de la ressemblance des sexes. Elle a estimé que les femmes avaient démontré leur capacité à accomplir dans tous les domaines les mêmes tâches que les hommes et a réfuté l'idée communément admise selon laquelle les femmes se révéleraient meilleures dans les domaines concrets et les hommes plus capables d'abstraction.

Elle a considéré que la véritable égalité résiderait dans un partage intégral entre les hommes et les femmes des charges de famille relevant de la sphère privée et des charges professionnelles relevant de la sphère publique. Mais elle a constaté que la réticence des hommes à partager les charges de famille laissait peu de temps aux femmes pour se consacrer à l'activité politique.

Rappelant que l'interruption volontaire de grossesse avait été votée par deux assemblées d'hommes, elle a souligné que les positions politiques étaient déterminées en fonction de l'idéologie et non du sexe et que l'engagement politique pouvait faire abstraction des particularismes.

Elle a craint que l'adoption de la parité n'aboutisse à un constat de différence irréductible entre les hommes et les femmes pouvant s'analyser comme un véritable retour en arrière. Elle a rappelé que l'action intégratrice de Martin Luther King avait plus fait progresser les noirs américains que les revendications communautaristes des " Black panthers ".

En tant que républicaine enfin, Mme Elisabeth Badinter a estimé que la constitutionnalisation du concept de parité marquerait l'échec de la République universelle. Reconnaissant que la sous-représentation des femmes en politique, particulièrement mise en évidence par les images de la réunion du Congrès la veille, était un véritable problème auquel il fallait apporter une solution, elle a supposé que de nombreux parlementaires se préparaient à voter la révision par mauvaise conscience, en croyant prendre une mesure de justice. Elle a souhaité les mettre en garde contre une telle démarche qui, conduisant à l'éclatement du concept d'universalisme, ouvrirait la boîte de Pandore de tous les communautarismes, chaque communauté pouvant être conduite à son tour à demander une mesure de justice, quitte à exiger par la suite la modification de l'article premier de la Constitution assurant l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion.

En réponse à M. Guy Cabanel, rapporteur , qui l'interrogeait sur les solutions pratiques permettant de régler le problème de la sous-représentation des femmes dans la vie politique, elle a considéré qu'une politique volontariste devait être entreprise au sein des partis politiques.

Mme Elisabeth Badinter s'est déclarée en accord avec M. Charles Jolibois sur la similitude de la démarche intellectuelle aboutissant à la parité avec celle qui avait conduit la Cour suprême des Etats-Unis à appliquer jusqu'en 1953 la doctrine « séparés, mais égaux » ayant justifié la ségrégation.

M. Paul Girod , rappelant que le président Clinton, en arrivant au pouvoir, avait mis en application dans la haute administration américaine une politique de quotas par groupe ethnique, a craint qu'une évolution du même type ne se prépare en France.

M. Jacques Larché, président , rappelant que les Etats-Unis étaient allés jusqu'au busing, a souligné qu'ils tendaient à abandonner leur politique de discrimination positive.

Mme Elisabeth Badinter a considéré que toute nomination obtenue en fonction d'une discrimination positive laissait planer un doute sur la qualité des personnes concernées et elle a souligné que, de ce fait, ses élèves femmes, entrées à l'école polytechnique à armes égales avec les hommes, considéraient le projet de loi comme vexatoire. Elle a précisé que d'après les résultats d'un sondage publié en mai 1998, l'opinion publique française, même si elle souhaitait une amélioration de la situation, n'apparaissait pas favorable à la parité. Elle a jugé qu'il ne devrait pas être utile de réviser la Constitution pour imposer aux partis l'autodiscipline qui permettrait d'éviter l'éclatement de la République.

En réponse à M. Jacques Mahéas qui l'avait interrogée sur le rôle des partis politiques, Mme Elisabeth Badinter s'est déclarée favorable à une modification de l'article 4 de la Constitution qui préserverait l'universalisme. Elle a considéré que le débat en cours permettrait une véritable prise de conscience sur un problème réellement pathologique, et que la situation devrait s'améliorer de manière progressive.

En réponse à M. Guy Allouche , qui s'est demandé si le moment n'était pas venu d'entreprendre une politique véritablement volontariste en adoptant une loi contraignante, Mme Elisabeth Badinter, donnant notamment l'exemple de déclarations parues dans la presse, a de nouveau insisté sur les dangers à plus long terme de l'adoption de la parité, compte tenu de la pression montante des mouvements communautaristes. Elle a fait un parallèle entre la parité et le PACS à l'occasion duquel certains homosexuels revendiquaient le droit d'être reconnus en tant que tels et non le droit à l'indifférence.

Elle a conclu que, s'il était urgent d'agir pour améliorer la représentation des femmes dans la vie politique, il ne convenait en aucun cas d'entamer le principe de l'universalisme.

La commission a ensuite entendu M. Olivier Duhamel, professeur de droit public .

Concernant le principe de la révision, il a indiqué que celle-ci avait une portée symbolique quant à la présence des femmes dans l'espace politique, son objectif étant d'aboutir à une égalité réelle et non plus formelle. Il a estimé que la révision avait également une portée réelle, indirecte par la pression qu'elle comportait à l'égard des acteurs politiques et directe en ce qu'elle levait le veto émis par le Conseil constitutionnel dans sa décision de 1982 à l'égard de l'introduction par la loi de discriminations positives.

S'agissant du point d'application dans la Constitution de la révision, M. Olivier Duhamel a rappelé que trois versions étaient envisageables :

- une version minimaliste, évoquée au départ, prévoyant la modification de l'article 34 de la Constitution par l'adjonction au domaine de la loi de la détermination des règles favorisant l'accès des femmes aux responsabilités politiques, professionnelles et sociales, cette solution s'étant vu reprocher de confondre les règles de fond et de compétence ;

- une version maximaliste consistant à modifier l'article premier, souvent considéré comme le " pilier du consensus républicain ", terme emprunté à M. Guy Carcassonne, de manière à marquer l'exigence du caractère paritaire de la démocratie ;

- une version intermédiaire, retenue par le projet de loi, modifiant l'article 3 relatif au suffrage universel, ayant une forte portée symbolique et permettant de répondre aux objections formulées en 1982 par le Conseil constitutionnel à l'encontre des quotas.

Concernant le contenu de la révision, M. Olivier Duhamel a considéré que son application au seul domaine politique était justifiée par le fait que le Conseil constitutionnel avait déjà admis dans sa décision de 1995 sur l'aménagement du territoire, ainsi que dans sa décision sur le traité d'Amsterdam, l'adoption d'avantages spécifiques dans les domaines économiques et sociaux. Il a souligné que les précisions apportées par l'Assemblée nationale sur la nature élective des mandats ou fonctions éliminaient l'application de la réforme au sein du Gouvernement.

S'agissant du sens à donner à la notion d'égalité, il a estimé que le texte adopté par l'Assemblée nationale pouvait être compris de diverses manières  : selon une interprétation large, l'abandon du terme " parité " indiquerait que l'égal accès serait une mixité sans domination d'un sexe ; selon l'interprétation étroite des inspirateurs de la réforme, il imposerait une stricte égalité à 50% et selon une interprétation transactionnelle, il permettrait d'aboutir à la parité stricte sans l'imposer.

Concernant la nature de l'obligation créée par le texte, et nonobstant le remplacement opéré par l'Assemblée nationale, du verbe " favorise " par le verbe " détermine ", il a considéré qu'il ne s'agissait que d'une obligation de moyens et non de résultats dans la mesure où n'était visé que "  l'égal accès " aux fonctions et mandats électifs.

Quant à la portée de la prescription, il a considéré pour sa part, notamment au vu de l'exposé des motifs, que le texte entraînait une habilitation du législateur à prendre des mesures plutôt qu'une obligation de le faire, tout en soulignant son désaccord sur ce point avec le doyen Vedel. Il a précisé qu'une habilitation à faire pourrait, une fois les mesures prises, engendrer, comme en matière de droits économiques et sociaux, une interdiction de défaire, selon la jurisprudence constitutionnelle de l'" effet de cliquet ".

M. Olivier Duhamel a conclu que la réforme concrétisait la volonté d'aller vers plus d'égalité en habilitant le législateur à poser des obligations de moyens. Mais il a estimé qu'aucune certitude absolue ne pouvait être dégagée sur cette interprétation, qu'il conviendrait de faire préciser lors du débat.

M. Guy Cabanel, rapporteur , après s'être déclaré rassuré par l'appréciation donnée quant à la contrainte engendrée par le texte à l'égard du Parlement, a souhaité être éclairé sur les conséquences du remplacement par l'Assemblée nationale de l 'expression " la loi favorise " par celle de " la loi détermine ", concernant tant l'obligation en résultant pour le législateur que le degré de latitude laissée au Conseil constitutionnel dans chaque cas.

M. Olivier Duhamel a rappelé que pour certains, la modification consistait simplement à marquer qu'il s'agissait de mettre en oeuvre un droit et non d'octroyer une faveur alors que pour d'autres, au contraire, elle tendait à introduire une certaine ambiguïté sur la nature de l'obligation engendrée. Il a considéré, quant à lui, qu'il n'y avait pas d'obligation pour le législateur d'intervenir, mais qu'il appartiendrait au Conseil constitutionnel de donner son interprétation le moment venu. Il a souligné, qu'en tout état de cause, la question ne pourrait être tranchée avant que n'intervienne une modification du mode de scrutin, le juge ne pouvant prescrire au législateur de voter une loi. Quant au degré d'appréciation laissé au Conseil constitutionnel, il a estimé qu'il n'y avait pas de différence en fonction de l'une ou l'autre expression.

En réponse à M. Luc Dejoie qui a souhaité obtenir des précisions complémentaires sur la nature de l'obligation engendrée par le texte, M. Olivier Duhamel a considéré que l'introduction dans celui-ci de la notion de l'égal accès au lieu de celle de parité marquait la défaite des partisans d'une démocratie sexuée dans laquelle l'égalité aurait été mathématiquement prescrite et impliquait pour le législateur une simple obligation de moyens.

A la demande de M. Patrice Gélard , M. Olivier Duhamel a précisé, qu'à son avis, la réforme permettrait, sans l'imposer, l'exigence d'une proportion moitié-moitié et qu'elle n'était pas incompatible avec l'article VI de la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen concernant l'égalité des citoyens devant la loi. Il a ensuite indiqué que sa préférence personnelle eut été de prévoir la possibilité de légiférer à titre temporaire pour instaurer des éléments d'égalité réelle, y compris des quotas, par exception au principe d'égalité, et pour des motifs d'intérêt général. S'agissant de l'adoption de mesures financières incitatives à l'égard des partis, il a admis qu'une exception pouvait être apportée au principe, qu'il défendait habituellement, de neutralité du financement des partis. Il a suggéré, qu'à l'image de la législation adoptée récemment en Belgique prévoyant des pénalités pour les partis dont les membres tiendraient des propos racistes ou xénophobes, un tel mécanisme financier pourrait être étendu à d'autres fins telle l'amélioration de la représentation des femmes.

En réponse à M. Charles de Cuttoli qui s'est demandé s'il ne conviendrait pas d'amender le texte afin de lever les ambiguïtés qu'il recelait, M. Olivier Duhamel a redit qu'à son sens, il impliquait une habilitation à faire mais a considéré qu'il serait en tout état de cause nécessaire d'obtenir lors du débat les clarifications nécessaires.

En réponse à M. Guy Allouche , qui s'interrogeait sur les moyens de remédier à l'absence de volontarisme actuel de la classe politique, M. Olivier Duhamel a considéré qu'une solution pourrait être trouvée dans l'adoption de dispositions transitoires.

M. Jacques Larché, président, a jugé que ce texte, comme celui sur le Conseil supérieur de la magistrature, posait un principe dont personne n'était en mesure de préciser quelles en seraient les conséquences législatives. Il a craint que l'impossibilité d'aboutir à la parité pour les scrutins uninominaux, malgré les diverses solutions qui avaient pu être avancées, ne conduise à l'adoption généralisée d'un scrutin proportionnel. Il a souligné que les candidatures indépendantes, qui devaient demeurer possibles, ne pourraient être concernées par d'éventuelles mesures incitatives à l'égard des partis.

M. Robert Badinter , ayant également insisté sur l'impossibilité de mettre en oeuvre le système de la parité à chaque fois qu'il s'agirait d'élire une seule personne à un mandat ou une fonction, M. Olivier Duhamel a considéré que la conception de la parité présentée dans le projet de loi, différente de celle beaucoup plus tranchée des initiateurs de la réforme, n'exigeait pas d'intervention en matière de scrutin uninominal. Il s'est cependant déclaré persuadé que l'action des partis conduirait en fait à une amélioration progressive en la matière.

Enfin, en réponse à M. Luc Dejoie , il a estimé que les mandats non politiques n'étaient pas concernés par la révision dès lors que celle-ci portait sur l'article 3 de la Constitution.

La commission a ensuite entendu Mme Evelyne Pisier, professeur de sciences politiques à l'université de Paris I.

A titre liminaire, Mme Evelyne Pisier, en tant que femme et citoyen de gauche, a fait part de son malaise devant ce débat. Rappelant que le projet de loi constitutionnelle avait pour objet de réparer une injustice à laquelle elle était sensible, elle a déclaré qu'elle ne pouvait pourtant qu'être opposée à la voie choisie, celle du " marteau " de la révision constitutionnelle. Soulignant que les associations et les militants à l'origine de cette proposition avaient mené un combat admirable, elle a estimé que leur action avait permis un réveil de la classe politique. Elle a toutefois considéré qu'il était dangereux de porter atteinte à des principes fondamentaux, en particulier l'universalisme dont l'abstraction même recèle un potentiel indispensable.

Mme Evelyne Pisier s'est interrogée sur les raisons qui poussaient le Gouvernement à proposer ce projet de loi constitutionnelle, alors qu'il n'avait apporté aucun changement dans les nominations discrétionnaires dépendant directement de lui, en particulier au sein des cabinets ministériels et de la haute administration. Elle a regretté que les femmes soient si peu nombreuses à la tête des grands établissements publics ou au sein d'organes tels que le Conseil supérieur de l'audiovisuel ou le Conseil supérieur de la magistrature, alors qu'un renforcement de la présence des femmes dans ces instances était possible sans modification constitutionnelle. A propos des mandats électoraux, elle a constaté que les partis politiques étaient à l'évidence misogynes et responsables de la faible représentation des femmes. Elle a estimé qu'à tout prendre, il serait préférable de modifier l'article 4 de la Constitution relatif aux partis politiques plutôt que de modifier l'article portant sur la souveraineté nationale.

Mme Evelyne Pisier a alors souligné que le texte adopté par l'Assemblée nationale manquait de clarté. Elle a observé que l'expression " la loi détermine " pouvait paraître impliquer une obligation de prendre des mesures pour le législateur. Elle a souligné que l'expression " égal accès " donnait au contraire à penser qu'il ne s'agissait pas d'une obligation de résultat mais que l'on souhaitait encourager un progrès de la représentation des femmes en politique. Soulignant que le texte pouvait être interprété comme une habilitation à prendre des mesures, elle a observé qu'il aurait alors des conséquences moins graves et que l'on pouvait lui trouver le mérite de faciliter l'adoption de mesures sur le financement des partis et la limitation du cumul des mandats, encore qu'une révision constitutionnelle apparaisse alors superfétatoire. Elle a en revanche fait valoir que si ce texte avait une portée obligatoire et conduisait à la mise en place de quotas, il conduirait à considérer que les femmes constituent une catégorie particulière, que l'humanité est " genrée ".

Rappelant que les défenseurs de la révision constitutionnelle soulignaient constamment que les femmes ne constituaient pas une minorité, elle s'est demandé quels motifs pouvaient justifier une telle affirmation. Elle a souligné que l'importance quantitative des femmes dans l'humanité ne suffisait pas à les distinguer de communautés et qu'il était humiliant de justifier des mesures particulières par des considérations numériques. Elle a ajouté que le seul autre argument avancé pour démontrer que les femmes n'étaient pas une communauté était la faculté procréatrice du couple homme-femme. Mais elle a mis en valeur la force du droit qui transcende la biologie pour considérer les individus et non les spécificités.

Dans l'hypothèse d'une révision, Mme Evelyne Pisier a alors marqué sa préférence pour une modification de l'article 4 de la Constitution afin de rendre les partis responsables à l'égard de la démocratie. Elle a souligné qu'une telle modification pourrait concerner non seulement l'accès des femmes aux mandats électoraux, mais également la lutte contre le racisme et la xénophobie. Elle a souligné que, dans ce cas, les femmes ne seraient pas considérées pour leur différence, mais parce qu'elles subissent des discriminations.

En réponse à M. Guy Cabanel, rapporteur, qui souhaitait savoir si elle avait une préférence entre la rédaction du projet de loi initial et celle adoptée par l'Assemblée nationale, Mme Evelyne Pisier a indiqué que l'Assemblée nationale avait manifestement souhaité que la pression en faveur de la parité soit plus forte. Elle s'est déclaré opposée à toute modification de l'article 3 de la Constitution, mais a souligné que la rédaction contenue dans le projet de loi constitutionnelle initial paraissait moins dangereuse.

Indiquant avoir toujours lutté pour l'égalité des sexes, M. Lucien Lanier a observé que, dans le débat sur la parité, ceux qui se prononçaient contre étaient inévitablement qualifiés d'anti-féministes, voire de misogynes. Il s'est demandé s'il était vraiment indispensable d'utiliser le " marteau pilon " que constitue une révision constitutionnelle pour forcer le suffrage universel. Il a rappelé que les seules inégalités tolérées par la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen étaient celles reposant sur les talents et les vertus.

Mme Evelyne Pisier a alors estimé que la démocratie était plus menacée que la République par la révision en cours, soulignant que la liberté des hommes et des femmes de faire de la politique était en cause. Elle a estimé que l'électeur votait pour des idées et non pour un sexe, et que l'élu ne représentait pas en fonction de son sexe.

Mme Dinah Derycke a souligné qu'il n'existait en effet aucune raison pour que les femmes fassent de la politique différemment des hommes. Elle a fait valoir que les militantes des droits des femmes étaient partagées sur ce projet de loi constitutionnelle et qu'il convenait de réfléchir sans a priori tout en gardant à l'esprit que, en raison de la sous-représentation des femmes en politique, la démocratie française était inachevée. Elle a rappelé que la voie de la révision constitutionnelle avait été choisie compte tenu des décisions du Conseil constitutionnel sur ce sujet. Mme Dinah Derycke a fait valoir qu'à titre personnel, elle n'estimait pas que l'argument relatif aux risques de catégorisation de l'humanité soit pertinent puisqu'elle n'estimait pas appartenir à une catégorie au sens social du terme. Elle a souligné qu'il était indispensable de réfléchir aux moyens de faire sauter les verrous empêchant que dans le pays ayant " inventé " les droits de l'homme, le pouvoir politique ne soit plus confisqué par les hommes.

Mme Evelyne Pisier a alors souligné qu'il était effectivement nécessaire de prendre de nombreuses mesures pour favoriser l'accès des femmes aux mandats et fonctions. Elle a exprimé la crainte que la voie choisie ne conduise à mettre l'accent sur la différence. Elle a observé que les conquêtes des femmes étaient encore très récentes et qu'il fallait à tout prix mettre en avant la ressemblance plutôt que la différence. Elle a rappelé que sous Vichy, la femme était glorifiée dans sa différence en tant que mère et a estimé qu'alors que les femmes avaient enfin conquis le droit d'être des citoyens comme les autres, il serait dangereux de revenir en arrière. Elle a enfin observé que le passage du suffrage censitaire au suffrage universel masculin puis au suffrage universel mixte avait été possible grâce au principe d'universalité.

Enfin, la commission a entendu M. Guy Carcassonne , professeur de droit public .

A titre liminaire, M. Guy Carcassonne a estimé qu'une modification de la Constitution était indispensable pour franchir l'obstacle des décisions du Conseil constitutionnel de 1982 et 1999. Il a en outre souligné que cette révision constitutionnelle ne serait pas suffisante et qu'une médiation législative serait indispensable. Il a fait valoir qu'en tout état de cause, aucune révision constitutionnelle ne pourrait forcer à agir un Parlement qui ne le voudrait pas.

Évoquant le contenu du projet de loi constitutionnelle, M. Guy Carcassonne a estimé que la rédaction de l'Assemblée nationale était meilleure que celle proposée par le Gouvernement. Il a indiqué que la rédaction initiale donnait à penser que le Conseil constitutionnel pourrait porter un jugement sur la manière dont la loi favoriserait l'égal accès aux mandats et fonctions. Il a estimé qu'au contraire la rédaction de l'Assemblée nationale ne permettrait au Conseil constitutionnel que de vérifier que le législateur n'avait pas méconnu un autre principe constitutionnel ou commis une erreur manifeste d'appréciation. Il a jugé préférable que le législateur soit seul responsable du choix des moyens pour favoriser l'égal accès aux mandats.

M. Guy Cabanel, rapporteur, a tout d'abord rappelé que la rédaction initiale du projet de loi constitutionnelle avait fait l'objet d'un accord entre le Premier ministre et le Président de la République. Il s'est demandé si la rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale ne risquait pas de faire du Conseil constitutionnel l'arbitre d'éventuels désaccords entre l'Assemblée nationale et le Sénat.

M. Guy Carcassonne a constaté que l'accord entre le Président de la République et le Premier ministre avait porté sur l'initiative. Il a souligné qu'il existait dans la Constitution des prescriptions apparemment impératives difficiles à transcrire dans la loi. Il a cité le principe de la nationalisation des entreprises ayant le caractère d'un service public inscrit dans le Préambule de la Constitution de 1946. Il a alors fait valoir qu'en renvoyant à la loi la détermination des conditions dans lesquelles sera favorisé l'égal accès aux mandats, le constituant laissait une totale liberté d'appréciation au Parlement, le Conseil constitutionnel ne pouvant jouer qu'un rôle plus limité.

M. Guy Cabanel, rapporteur, s'interrogeant sur la place de la révision, a souhaité savoir si la modification du seul article 4 permettrait d'adopter des mesures en faveur des femmes sans risquer une censure du Conseil constitutionnel.

M. Guy Carcassonne a estimé que placer la modification à l'article 3 ou à l'article 4 n'entraînait aucune conséquence en la matière, celle-ci s'imposant en tout état de cause au Conseil constitutionnel. Il a rappelé que le Conseil constitutionnel avait déclaré contraires à la Constitution les traités de Maastricht et d'Amsterdam au nom de la souveraineté nationale inscrite dans l'article 3 de la Constitution et que le constituant avait choisi d'insérer dans la Constitution un article 88-2 pour surmonter cette inconstitutionnalité. Il en a déduit qu'il était tout à fait possible d'inscrire dans des articles différents de la Constitution un principe et son exception, la règle spéciale dérogeant à la règle générale.

M. Robert Badinter a souhaité savoir quelle modification de l'article 4 de la Constitution pourrait être envisagée si cette solution était préférée à une modification de l'article 3. Il a en outre demandé dans quelles conditions pourraient être envisagées des mesures organisant l'égal accès des femmes aux mandats électoraux dans le cadre de scrutins uninominaux ainsi qu'aux fonctions électives.

M. Guy Carcassonne a répondu qu'il était possible d'insérer le texte adopté par l'Assemblée nationale dans l'article 4 de la Constitution, cet article concernant à la fois le rôle des partis et le pouvoir de suffrage. Il a souligné qu'on ne pouvait invoquer la liberté de l'électeur pour s'opposer à la parité, observant qu'en l'absence de possibilité de panachage, l'électeur était d'ores et déjà privé de liberté dans la plupart des scrutins. Il a estimé que le projet de loi constitutionnelle permettrait de limiter la liberté des partis plus que celle de l'électeur. Il a enfin indiqué que pour les fonctions électives et les scrutins uninominaux, seules des mesures incitatives paraissaient envisageables.

M. Jacques Larché, président, a demandé si le système envisagé ne remettait pas en cause la liberté de candidature. Il a souligné que le constituant s'apprêtait à voter ce texte sans qu'il soit possible d'appréhender la manière dont il serait mis en oeuvre par le législateur.

M. Guy Carcassonne a alors rappelé qu'en tout état de cause, la révision constitutionnelle ne pourrait forcer le Parlement à agir s'il ne le souhaitait pas. Il a ajouté qu'il était toujours difficile de prévoir la manière dont serait mise en oeuvre une disposition constitutionnelle lors de son adoption.

M. Patrice Gélard a demandé si le texte adopté par l'Assemblée nationale pourrait conduire à la mise en oeuvre de quotas et si une telle évolution était souhaitable. Il a interrogé M. Guy Carcassonne sur la possibilité éventuelle de confier, par une modification de l'article 4 de la Constitution, le soin aux partis politiques d'assurer l'égal accès en prévoyant éventuellement des sanctions financières.

M. Guy Carcassonne a déclaré qu'il ne lui paraissait pas choquant de mettre en place des quotas pour les scrutins de liste. Il a exprimé la crainte que des résultats significatifs soient plus longs à obtenir avec un système confiant aux partis la responsabilité d'assurer l'égal accès qu'avec celui envisagé dans le projet de loi constitutionnelle. Il a observé que la tentative de M. Michel Rocard de constituer une liste paritaire pour les élections européennes en 1994 n'avait pas suscité d'initiatives semblables par la suite.

M. François Marc a demandé s'il était possible d'envisager un système de parité dans les scrutins municipaux où existait le panachage des listes.

M. Guy Carcassonne a répondu qu'il ne serait pas choquant de n'appliquer la parité que pour les communes de plus de 3.500 habitants, les électeurs ayant réellement la possibilité de faire un choix dans les petites communes.

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