COMPTE RENDU DES AUDITIONS
DU MARDI 19 JANVIER 1999
_______
La
commission a tout d'abord entendu
Mme Françoise Hostalier, ancien
secrétaire d'Etat chargé de l'enseignement scolaire
.
Après avoir constaté l'exception française
constituée par la faible présence de femmes aux postes de
responsabilités,
Mme Françoise Hostalier
a
néanmoins fait valoir qu'il y avait une prise de conscience de plus en
plus forte de cette situation de la part des dirigeants politiques mais aussi
de la part des femmes elles-mêmes.
Estimant que le niveau des débats devant l'Assemblée nationale
avait été décevant,
Mme Françoise Hostalier
a regretté qu'ils
n'aient pas permis un réel examen de la question.
Se déclarant personnellement favorable à l'idée de
parité mais hostile à toute obligation législative,
notamment par la méthode des quotas,
Mme Françoise Hostalier
a fait observer qu'il
était difficile de faire passer cette analyse auprès de l'opinion
publique en l'absence d'un véritable débat.
Après avoir rappelé que, selon le dictionnaire, la parité
se définissait comme " ce qui est pareil ",
Mme Françoise Hostalier
a indiqué qu'elle
l'analysait comme la recherche d'une égalité en termes de valeur
et non pas en termes mathématiques.
Puis, faisant valoir que le projet de loi de révision constitutionnelle
ne changeait pas le fond du problème,
Mme Françoise Hostalier
a rappelé que la
décision du Conseil constitutionnel de 1982 était fondée,
d'une part, sur l'article VI de la Déclaration des droits de
l'Homme et du citoyen de 1789 qui fixait le principe de l'égal
admissibilité aux emplois publics et, d'autre part, sur l'article 3
de la Constitution qui interdisait qu'une section du peuple accapare la
souveraineté nationale.
Elle a donc considéré que, malgré la révision
constitutionnelle, toute loi qui établirait des quotas contredirait ces
mêmes dispositions.
Soulignant que contrairement à l'humanité, la citoyenneté
n'était pas sexuée,
Mme Françoise Hostalier
a plaidé pour une
société qui respecte la diversité des personnes, sans
distinction d'aucune sorte. Elle a relevé que la réforme
proposée contredisait le principe d'universalité.
Elle s'est déclarée favorable à ce que la loi garantisse
aux femmes l'égalité des chances pour arriver à des postes
de responsabilités et non pas un résultat en codifiant une
obligation mathématique sur des listes de candidatures.
Puis
Mme Françoise Hostalier
a suggéré
que le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale soit
modifié afin qu'il soit expressément indiqué que la loi
devra déterminer les conditions dans lesquelles l'égalité
des chances pour l'accès des femmes et des hommes aux mandats et
fonctions sera garantie.
Mme Françoise Hostalier
a néanmoins fait valoir
que le problème de l'accès des femmes aux postes de
responsabilités était essentiellement d'ordre culturel. Elle a
donc souligné le rôle des partis politiques et de leurs dirigeants
pour favoriser l'accès des femmes aux responsabilités et aux
mandats.
En conclusion, constatant l'existence de signes encourageants,
Mme Françoise Hostalier
a fait observer que les femmes
étaient de plus en plus présentes dans la vie économique
et sociale et que dans les instances destinées aux jeunes, notamment en
milieu scolaire, la parité des délégués
était effective en l'absence de tout texte l'imposant.
M. Guy Cabanel, rapporteur
, a souhaité savoir si la
modification proposée devrait porter sur l'article 3 de la
Constitution. Il s'est en outre demandé s'il ne faudrait pas envisager
des mesures incitatives concernant le financement des partis politiques afin de
favoriser la place des femmes dans la vie politique.
En réponse,
Mme Françoise Hostalier
a
indiqué qu'elle n'avait pas d'a priori sur l'article de la Constitution
qui devrait être modifié afin d'introduire l'idée
d'égalité des chances.
Elle a regretté que cette égalité des chances ne soit pas
suffisamment garantie par les partis politiques, pas assez accueillants pour
les femmes et largement inadaptés aux mentalités
féminines. Elle a également déploré que trop peu de
femmes s'engagent dans la vie politique. Elle a en conséquence
souhaité une mobilisation à l'intérieur des partis
politiques pour faire émerger des talents, notamment parmi les femmes
déjà engagées par ailleurs, par exemple dans la vie
associative.
M. Luc Dejoie
s'est demandé si une obligation
légale, même si elle pouvait apparaître comme peu
satisfaisante dans son principe, ne constituait pas une mesure
d'accélération pragmatique indispensable pour développer
le rôle des femmes dans la vie publique dans des délais plus
rapides.
Estimant qu'il n'y avait pas eu d'avancée dans ce sens depuis la
reconnaissance du droit de vote aux femmes,
Mme Dinah Derycke
s'est déclarée favorable au volontarisme dans ce domaine. Elle a
fait valoir que la réforme constitutionnelle permettait de lever un
obstacle, comme le mettait en évidence la récente décision
du Conseil constitutionnel sur la loi modifiant le mode de scrutin
régional.
Mme Dinah Derycke
, tout en soulignant que certains
progrès avaient été enregistrés au sein de sa
formation politique aux dernières élections législatives,
s'est néanmoins inquiétée des perspectives pour l'ensemble
des listes aux prochaines élections européennes. Elle a en outre
réfuté l'idée que la réforme envisagée
pourrait dévaluer les femmes. Elle a enfin souligné que les
femmes qui exerçaient des responsabilités politiques avaient le
sentiment de représenter tous les citoyens, sans distinction aucune.
En réponse,
Mme Françoise Hostalier
, tout en
partageant cette dernière réflexion, a néanmoins
relevé qu'elle était en contradiction avec la thèse selon
laquelle l'augmentation du nombre de femmes dans les instances politiques
permettrait d'améliorer leur représentation. Elle a en
conséquence contesté l'idée qu'il faudrait favoriser la
place des femmes dans les institutions uniquement pour mieux faire entendre
leur voix.
Mme Françoise Hostalier
a souligné que le fait
d'être choisies pour siéger dans des institutions uniquement parce
qu'elles étaient des femmes aurait pour effet de fragiliser leur
situation.
Admettant que depuis la reconnaissance du droit de vote des femmes, la
situation de ces dernières dans les institutions publiques n'avait pas
beaucoup progressé,
Mme Françoise Hostalier
a
estimé que les femmes n'avaient peut-être pas mené ce
combat et qu'elles avaient souffert de l'absence d'une véritable
solidarité féminine.
Tout en considérant qu'une modification des règles de financement
des partis politiques pourrait avoir un effet incitatif,
Mme Françoise Hostalier
s'est néanmoins
déclarée choquée par une telle solution qui reviendrait,
selon elle, à " acheter " la représentation des femmes.
Elle s'est au contraire prononcée pour des formations spécifiques
pour faciliter l'accès des femmes à la citoyenneté. Elle a
fait part de son hostilité à la création de deux
catégories de citoyens qui devraient faire l'objet de mesures
différentes pour les faire accéder aux postes de
responsabilités.
Répondant à M. Luc Dejoie qui s'interrogeait sur
l'opportunité de mesures législatives ayant un caractère
provisoire,
Mme Françoise Hostalier
a fait valoir que
de telles mesures qui s'apparenteraient à des discriminations positives
seraient contraires aux fondements mêmes de la République.
Enfin, s'agissant des élections européennes,
Mme Françoise Hostalier
s'est prononcée pour un
équilibre global entre les hommes et les femmes qui prenne en compte la
valeur des candidats. Elle s'est en revanche déclarée hostile
à des listes alternant systématiquement " un homme - une
femme ".
La commission a ensuite entendu
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux,
ministre de la justice
et
Mme Nicole Péry, secrétaire
d'Etat auprès du ministre de l'emploi et de la solidarité,
chargé des droits des femmes et de la formation professionnelle
.
Après avoir rappelé que ce projet de loi constitutionnelle
correspondait à un engagement pris par le Premier ministre au cours de
sa déclaration de politique générale et qu'il avait
été adopté à l'unanimité des suffrages
exprimés à l'Assemblée nationale,
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la
justice,
a estimé que personne ne contestait aujourd'hui
l'idée qu'il était souhaitable que les femmes deviennent à
peu près aussi nombreuses que les hommes à être titulaires
de mandats électifs.
Elle a cependant constaté que si la France avait connu une
évolution comparable à celle des autres pays en matière
d'accès des femmes aux responsabilités professionnelles, elle
avait en revanche pris du retard dans deux domaines, à savoir, d'une
part, la modification des règles du code civil napoléonien -qui
n'est intervenue que récemment- et, d'autre part, la présence des
femmes parmi les titulaires de mandats et de fonctions électives.
Soulignant l'" exception française " dans ce dernier domaine,
elle a rappelé que la France avait été l'un des derniers
pays à accorder le droit de vote aux femmes et qu'elle se situait parmi
les derniers quant à la proportion de femmes au sein des
assemblées parlementaires.
Partant de ce constat, elle a considéré que l'universalisme qui
avait prévalu dans toutes les constitutions républicaines
jusqu'à présent ne constituait pas la meilleure voie pour
parvenir à réaliser l'égalité des sexes et elle a
jugé indispensable de lever le " verrou " juridique sur ce
point.
Elle a en effet relevé que les mesures incitatives s'étaient
révélées insuffisantes pour atteindre l'objectif de la
parité et que les discriminations positives étaient aujourd'hui
interdites en raison de la décision du Conseil constitutionnel de 1982
qui avait déclaré inconstitutionnelle une disposition tendant
à limiter à 75 % la proportion de personnes du même
sexe pouvant figurer sur une liste pour les élections municipales, en se
référant aux principes posés par l'article 3 de la
Constitution et l'article VI de la Déclaration des droits de
l'Homme de 1789.
Compte tenu de l'existence de ces principes, elle a estimé qu'il
n'était pas surprenant que le Conseil constitutionnel ait
confirmé sa jurisprudence antérieure dans sa décision du
14 janvier 1999 et en a déduit qu'il était
nécessaire de modifier la Constitution pour atteindre l'objectif de la
parité. Elle a, à cet égard, approuvé la position
exprimée en 1992 par le professeur Vedel, selon lequel " si les
juges ne gouvernent pas, c'est parce que, à tout moment, le Souverain,
à condition de paraître en majesté comme Constituant, peut,
dans une sorte de lit de justice, briser leurs arrêts ".
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat auprès du
ministre de l'emploi et de la solidarité, chargé des droits des
femmes et de la formation professionnelle,
s'est associée à
ce propos préliminaire et a déclaré qu'elle
répondrait par la suite aux questions des membres de la commission.
M. Jacques Larché, président,
a fait observer
que sur ces bases certaines communautés pourraient faire valoir leur
poids au sein de la population pour exiger une représentation.
Après avoir souligné la situation actuelle d'impasse
résultant, d'une part, du caractère aléatoire et toujours
insuffisant des mesures incitatives et, d'autre part, de l'interdiction des
mesures législatives résultant de la jurisprudence du Conseil
constitutionnel,
M. Guy Cabanel, rapporteur,
a rappelé
que la modification de l'article 3 de la Constitution avait fait l'objet
d'un accord entre le Premier ministre et le Président de la
République.
Il a souhaité savoir quelle serait la marge d'appréciation
laissée au législateur sur la base du texte initial du projet ou
sur celle de la rédaction adoptée par l'Assemblée
nationale et quelle serait la portée du contrôle du Conseil
constitutionnel dans chaque cas.
Il a ensuite interrogé
Mme Elisabeth Guigou, garde des
sceaux, ministre de la justice,
sur les intentions du Gouvernement
concernant la mise en oeuvre législative du principe posé par le
projet de loi constitutionnelle.
Après s'être interrogé sur la portée des termes
" fonctions électives ", il lui a demandé si la
modification envisagée de la Constitution permettrait au
législateur de prendre des mesures d'incitation financière
à l'égard des partis politiques sans risquer de se heurter au
contrôle du Conseil constitutionnel et a indiqué qu'il envisageait
un amendement tendant à modifier également l'article 4 de la
Constitution.
Enfin, il a questionné le garde des sceaux sur les effets possibles
d'une modification du statut de l'élu pour faciliter les candidatures
féminines.
M. Guy Cabanel, rapporteur,
a indiqué ne pas redouter
un risque de communautarisation.
Après s'être associé aux questions du rapporteur,
M. Nicolas About
s'est interrogé sur l'" exception
française " évoquée par Mme Elisabeth Guigou
et
a fait observer que les hommes se trouvaient eux
pénalisés par une autre " exception française "
relative à l'autorité parentale, à la garde des enfants et
au droit de visite, considérant qu'il conviendrait de parvenir à
un égal accès des hommes et des femmes à leurs enfants.
M. Jean-Jacques Hyest
a souligné l'importance de la
modification de la rédaction du projet de loi constitutionnelle par
l'Assemblée nationale et les difficultés susceptibles de se poser
pour l'application de ce texte. Il s'est en effet interrogé sur
l'organisation de l'égal accès aux fonctions électives
uniques comme la Présidence de la République et a
évoqué la présence majoritaire des femmes dans certaines
fonctions comme les fonctions judiciaires.
M. Jacques Larché, président,
a relevé
qu'en Suède, pays souvent cité comme exemple en matière
d'accès des femmes à la vie politique, les femmes étaient
moins présentes qu'en France dans les postes de responsabilité de
la vie économique et de la fonction publique, soulignant qu'en France
les promotions de l'ENA comportaient désormais 40 % de femmes.
Mme Dinah Derycke
s'est félicitée de la
présentation de ce projet de loi constitutionnelle, rappelant
l'existence actuelle d'un " verrou " constitutionnel tenant à
la conception universaliste de la citoyenneté. Se
référant, sans les reprendre à son compte, aux propos
tenus par Mme Françoise Hostalier au cours de son audition,
elle a demandé à Mme Elisabeth Guigou, garde des
sceaux, ministre de la justice
,
si l'on pouvait considérer que ce
projet de loi était " anti-républicain " ou
qu'il" dévaluait " les femmes.
Après avoir évoqué la situation de la profession d'avocat
où les femmes sont plus nombreuses que les hommes dans certains barreaux
mais pas toujours dans les conseils de l'ordre,
M. Jacques Peyrat
a estimé que si les femmes n'avaient
pas encore imposé leur présence dans le monde politique, à
la différence des autres milieux professionnels, c'est parce qu'elles ne
l'avaient pas souhaité. Il a fait état de ses propres
difficultés pour trouver des candidates aux municipales tout en se
félicitant qu'une femme l'ait remplacé à
l'Assemblée nationale et que son suppléant soit également
une femme. Il s'est donc interrogé sur les raisons d'une réforme
qui aboutirait à ses yeux à contraindre les femmes à cette
évolution.
M. Robert Badinter
a déclaré que ce projet de
loi constitutionnelle semblait se fixer seulement pour objet de remédier
à l'insuffisante représentation des femmes au sein de la vie
politique et non de proclamer la parité dans la Constitution, ce qui
aurait nécessité une affirmation claire. Il a
considéré que la rédaction initiale du projet de loi
constitutionnelle, tendant à " favoriser " l'égal
accès des femmes et des hommes aux mandats électifs,
répondait à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Il a cependant fait part de sa perplexité devant la rédaction
retenue par l'Assemblée nationale, prévoyant que " la loi
détermine les conditions dans lesquelles est organisé
l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats
électoraux ". Il s'est en effet demandé si ce texte
n'impliquait pas une obligation de prévoir une parité des
candidatures dans toutes les élections. Il a constaté qu'une
telle obligation ne poserait pas de difficulté technique dans le cadre
du scrutin de liste, mais s'est interrogé sur la possibilité de
la concilier avec le scrutin uninominal.
Enfin,
M. Jacques Larché, président,
a
demandé au garde des sceaux si la révision constitutionnelle
permettrait d'instaurer des quotas.
En réponse aux différents intervenants,
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la
justice,
a tout d'abord indiqué que le projet de loi
constitutionnelle reposait sur un choix philosophique consistant à
considérer que les femmes ne constituaient pas une catégorie mais
représentaient la moitié de l'humanité. Elle a
estimé que l'universalisme abstrait avait conduit à imposer la
domination du masculin et que la réforme envisagée
n'entraînait pas une évolution vers le communautarisme.
Répondant ensuite aux questions du rapporteur, elle a
déclaré que le texte initial et celui adopté par
l'Assemblée nationale poursuivaient le même objectif, à
savoir l'habilitation du législateur à intervenir soit pour
inciter, soit pour contraindre. Relevant que la réforme tendait
seulement à lever le " verrou " constitutionnel, elle a
insisté sur le choix laissé au législateur entre
incitation ou obligation, l'instauration de quotas n'étant pas exclue.
Elle a précisé que le terme " favoriser " retenu dans
la rédaction initiale aurait pu laisser une trop grande marge
d'appréciation au Conseil constitutionnel, soulignant par ailleurs que
la révision constitutionnelle ne ferait disparaître ni les
articles 3 et 4 de la Constitution, ni l'article VI de la
Déclaration des droits de l'Homme de 1789.
Elle a rappelé que le Premier ministre avait clairement indiqué
qu'il n'était pas question que la révision constitutionnelle
relative à la parité soit le prétexte d'une
généralisation du scrutin proportionnel et que le Gouvernement
n'avait pas de projet en ce sens.
Elle a indiqué que, s'agissant des élections au scrutin
proportionnel, il n'y aurait pas de difficultés à imposer la
réalisation de la parité même en cas de nombre impair de
sièges, la parité ne consistant pas en une stricte
égalité mathématique.
Evoquant une décision du Conseil constitutionnel du
17 janvier 1979, elle a par ailleurs noté que les
élections aux conseils de prud'hommes pourraient éventuellement
être concernées, les fonctions de conseiller prud'homal
constituant des fonctions électives au sens de cette jurisprudence.
En ce qui concerne les élections au scrutin majoritaire uninominal, elle
a déclaré que l'intention du Gouvernement était d'agir par
incitation à l'égard des partis politiques, soulignant toutefois
qu'elle n'était pas favorable à l'idée d'accorder des
primes aux partis politiques en fonction du nombre de candidatures
féminines présentées, mais préférerait
plutôt un système de pénalisation des partis les moins
actifs dans ce domaine.
Elle a par ailleurs considéré qu'il n'était pas
nécessaire de modifier l'article 4 de la Constitution dans la
mesure où l'article 3 intégrait les partis politiques dans
son champ d'application.
Enfin, à propos du statut de l'élu, elle a évoqué
les difficultés particulières des femmes, liées à
la conciliation des obligations familiales et des contraintes de la vie
politique.
A la suite d'une remarque de
M. Jacques Larché,
président,
qui a observé qu'il y aurait désormais
deux catégories de lois électorales, les unes contraignantes et
les autres incitatives, ce qui pourrait poser le problème de leurs
modalités d'adoption,
Mme Elisabeth Guigou, garde des
sceaux, ministre de la justice,
a déclaré que la
rédaction adoptée par l'Assemblée nationale, qu'elle a
qualifiée de plus " allante " que la rédaction
initiale, n'imposait ni obligation, ni incitation et que chaque mode de scrutin
avait sa logique.
En réponse à
M. Nicolas About
, le garde des
sceaux a indiqué qu'elle avait installé un groupe de travail sur
la famille qu'elle avait notamment chargé d'étudier les moyens
d'une application effective de l'autorité parentale conjointe quelle que
soit la situation juridique du couple.
En réponse à
Mme Dinah Derycke
, elle a fait
valoir que le projet de révision constitutionnelle n'ouvrait pas de
brèche dans le principe de l'universalisme, l'humanité
étant composée de femmes et d'hommes.
Répondant à
M. Jacques Peyrat
, elle a reconnu
que beaucoup de femmes hésitaient à s'engager dans des postes de
responsabilité en raison des difficultés de conciliation des
obligations professionnelles et familiales, notamment dans la magistrature.
Elle a par ailleurs constaté que dans certains corps, la
féminisation dominante pouvait poser problème, évoquant
l'exemple des éducateurs confrontés à la
délinquance juvénile. Elle a toutefois contesté que l'on
ne puisse trouver des candidates en les cherchant.
Estimant qu'actuellement tout était fait pour décourager les
femmes d'entrer dans la vie politique,
Mme Elisabeth Guigou, garde
des sceaux, ministre de la justice,
a insisté sur la
nécessité de leur montrer qu'elles y étaient les
bienvenues, sans qu'il soit question de contraindre quiconque.
En réponse à
M. Robert Badinter
, elle a
considéré que pour parvenir à l'objectif de
l'égalité entre les hommes et les femmes, la parité lui
paraissait constituer un meilleur instrument que les quotas, ceux-ci
n'étant toutefois pas exclus.
A propos du scrutin uninominal, elle s'est de nouveau déclarée
favorable à un système d'incitation financière à
l'égard des partis politiques mais a souligné que le
législateur ferait ce qu'il entendrait et que la position du
Gouvernement n'était pas figée a priori.
Interrogée par
M. Jacques Larché, président,
sur
l'éventualité de la mise en place d'un système
contraignant pour les élections au scrutin uninominal, elle n'a pas
exclu le dépôt de propositions de loi en ce sens à
l'Assemblée nationale.
M. Luc Dejoie
a considéré que le texte à
l'Assemblée nationale posait le principe de l'obligation de parvenir
à l'égalité.
Après avoir fait observer que le principe de l'égalité
figurait déjà dans le préambule de la Constitution,
Mme
Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice,
a
réaffirmé qu'il ne s'agissait pas d'une égalité
mathématique et que le texte de l'Assemblée nationale permettait
à la fois l'obligation et l'incitation.
M. Jacques Mahéas
a estimé que la parité
ne poserait pas de problème s'agissant des élections au scrutin
de liste mais s'est interrogé sur les risques de contentieux
résultant de son extension à l'ensemble des fonctions
électives, tout en se déclarant partisan de progresser largement
vers l'égalité entre les hommes et les femmes dans ce domaine.
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat auprès du
ministre de l'emploi et de la solidarité, chargé des droits des
femmes et de la formation professionnelle,
est alors intervenue pour
présenter les actions qu'elle avait engagées en sa qualité
de secrétaire d'Etat chargé des droits des femmes.
Après avoir souligné la volonté du Premier ministre de
" remettre en mouvement " les actions dans ce domaine, elle a
expliqué qu'elle avait demandé à l'Observatoire de la
parité, dont les membres venaient d'être renouvelés, de lui
faire des propositions dans un délai de six mois pour améliorer
la place des femmes dans la vie politique.
Elle a par ailleurs indiqué qu'elle s'était engagée
à faire progresser la lutte contre les inégalités
professionnelles, et a cité des statistiques illustrant la faible
proportion de femmes occupant des postes de responsabilité. Elle a
à cet égard précisé qu'elle venait de nommer Mme
Catherine Génisson parlementaire en mission, chargée de lui faire
des propositions dans un délai de trois mois.
M. Robert Badinter
a déclaré qu'il soutiendrait
toutes les mesures susceptibles de favoriser l'égalité entre les
hommes et les femmes dans la société. Il a cependant fait valoir
que, s'agissant de l'élection d'une personne, le souverain ne pouvait
être que celui qui est appelé à choisir, à savoir
l'électeur qui souhaite que les candidats présentés soient
les meilleurs.
Après avoir constaté que les démocraties les plus
avancées en matière de représentation des femmes dans la
vie politique n'avaient jamais eu recours à des mesures paritaires
contraignantes, il s'est interrogé sur les moyens susceptibles de
permettre sa mise en oeuvre concrète, suggérant l'idée
d'une modification de l'article 4 de la Constitution destinée
à prévoir que les partis organiseraient l'égal
accès des femmes et des hommes aux mandats électifs, sans
modifier les dispositions relatives à la souveraineté nationale.
Il a souligné l'inapplicabilité de la parité pour la
Présidence de la République et les présidences
d'exécutifs locaux. Il s'est interrogé sur la conciliation de la
parité et des équilibres politiques au sein des Bureaux des
assemblées nationales et locales.
M. Guy Cabanel
a estimé que le texte initial
était plus souple que celui adopté par l'Assemblée
nationale qui entraînerait une mécanique difficile à
maîtriser.
M. Luc Dejoie
a fait observer que le problème ne
pourrait être réglé par les seuls partis politiques,
certaines fonctions électives ne relevant pas d'eux.
M. Jacques Mahéas
a également
considéré que l'organisation de la parité ne pouvait
être confiée aux seuls partis politiques mais s'est à
nouveau interrogé sur son application dans le cadre des fonctions
électives uniques.
En conclusion,
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat
auprès du ministre de l'emploi et de la solidarité, chargé
des droits des femmes et de la formation professionnelle,
a
déploré que notre pays soit toujours citée comme bon
dernier quant à la place faite aux femmes au sein des lieux de pouvoir.
Elle a estimé que si la volonté politique de favoriser
l'amélioration de la place des femmes avait été
partagée par tous, ce débat sur la révision
constitutionnelle n'aurait pas été nécessaire.
Enfin, évoquant sa propre expérience de la vie politique, elle a
souligné les grandes difficultés pour les femmes de parvenir
à concilier l'ensemble de leurs obligations familiales et
professionnelles.
Mme Dinah Derycke
a souhaité que les hommes se posent
également la question de cette conciliation pour eux-mêmes.
La commission a ensuite procédé à l'audition de
Mme
Elisabeth Badinter
,
professeur de philosophie à l'école
polytechnique,
sur le
projet de loi constitutionnelle n° 130
(1998-1999), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à
l'égalité entre les femmes et les hommes
.
Mme Elisabeth Badinter
a précisé qu'elle avait
accepté de venir devant la commission des lois du Sénat,
après avoir décliné d'être entendue par celle de
l'Assemblée nationale, car elle s'était rendu compte que son
opinion n'avait pas été représentée dans le
débat. Elle s'est déclarée être également
l'interprète de ses élèves femmes de l'école
polytechnique qui avaient ressenti ce texte comme une véritable
humiliation.
Elle a développé trois motifs qui l'avaient conduite à se
déclarer hostile à la révision constitutionnelle
proposée.
En tant que professeur de philosophie,
Mme Elisabeth Badinter
a tout
d'abord considéré que le projet de loi procédait à
une manipulation des concepts en portant atteinte à la notion
d'humanité qui s'attache à mettre en exergue les points communs
entre les êtres humains et non leurs différences biologiques,
lesquelles, si elles ont de réelles conséquences en
matière de procréation, n'ont pas à intervenir dans le
domaine politique.
Effectuant une comparaison avec les mouvements revendiquant le droit à
la différence initiés par les " Black panthers "
américains au début des années 70, qu'elle a
regretté avoir jugés transposables aux droits des femmes à
l'époque, elle a estimé qu'une telle approche avait
légitimé ultérieurement des théories
d'extrême droite prônant la discrimination au nom de la
différence.
Elle a considéré que la notion de parité relevait d'une
fausse évidence et que les demandes en matière
d'égalité devaient toujours être fondées sur le
droit à la ressemblance pour mettre en exergue ce qui unit et non ce qui
sépare.
En tant que féministe ensuite,
Mme Elisabeth Badinter
a
jugé que ce texte constituait une régression. Rappelant les
travaux qu'elle avait menés, pendant 25 ans, sur la place des
femmes, elle a indiqué que toutes les actions tendant à faire
progresser l'égalité entre les hommes et les femmes avaient
été entreprises au nom de la ressemblance des sexes. Elle a
estimé que les femmes avaient démontré leur
capacité à accomplir dans tous les domaines les mêmes
tâches que les hommes et a réfuté l'idée
communément admise selon laquelle les femmes se
révéleraient meilleures dans les domaines concrets et les hommes
plus capables d'abstraction.
Elle a considéré que la véritable égalité
résiderait dans un partage intégral entre les hommes et les
femmes des charges de famille relevant de la sphère privée et des
charges professionnelles relevant de la sphère publique. Mais elle a
constaté que la réticence des hommes à partager les
charges de famille laissait peu de temps aux femmes pour se consacrer à
l'activité politique.
Rappelant que l'interruption volontaire de grossesse avait été
votée par deux assemblées d'hommes, elle a souligné que
les positions politiques étaient déterminées en fonction
de l'idéologie et non du sexe et que l'engagement politique pouvait
faire abstraction des particularismes.
Elle a craint que l'adoption de la parité n'aboutisse à un
constat de différence irréductible entre les hommes et les femmes
pouvant s'analyser comme un véritable retour en arrière. Elle a
rappelé que l'action intégratrice de Martin Luther King avait
plus fait progresser les noirs américains que les revendications
communautaristes des " Black panthers ".
En tant que républicaine enfin,
Mme Elisabeth Badinter
a
estimé que la constitutionnalisation du concept de parité
marquerait l'échec de la République universelle. Reconnaissant
que la sous-représentation des femmes en politique,
particulièrement mise en évidence par les images de la
réunion du Congrès la veille, était un véritable
problème auquel il fallait apporter une solution, elle a supposé
que de nombreux parlementaires se préparaient à voter la
révision par mauvaise conscience, en croyant prendre une mesure de
justice. Elle a souhaité les mettre en garde contre une telle
démarche qui, conduisant à l'éclatement du concept
d'universalisme, ouvrirait la boîte de Pandore de tous les
communautarismes, chaque communauté pouvant être conduite à
son tour à demander une mesure de justice, quitte à exiger par la
suite la modification de l'article premier de la Constitution assurant
l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction
d'origine, de race ou de religion.
En réponse à
M. Guy Cabanel, rapporteur
, qui
l'interrogeait sur les solutions pratiques permettant de régler le
problème de la sous-représentation des femmes dans la vie
politique, elle a considéré qu'une politique volontariste devait
être entreprise au sein des partis politiques.
Mme Elisabeth Badinter
s'est déclarée en accord avec
M. Charles Jolibois
sur la similitude de la démarche
intellectuelle aboutissant à la parité avec celle qui avait
conduit la Cour suprême des Etats-Unis à appliquer jusqu'en 1953
la doctrine « séparés, mais égaux »
ayant justifié la ségrégation.
M. Paul Girod
, rappelant que le président Clinton, en
arrivant au pouvoir, avait mis en application dans la haute administration
américaine une politique de quotas par groupe ethnique, a craint qu'une
évolution du même type ne se prépare en France.
M. Jacques Larché, président
, rappelant que les Etats-Unis
étaient allés jusqu'au busing, a souligné qu'ils tendaient
à abandonner leur politique de discrimination positive.
Mme Elisabeth Badinter
a considéré que toute nomination
obtenue en fonction d'une discrimination positive laissait planer un doute sur
la qualité des personnes concernées et elle a souligné
que, de ce fait, ses élèves femmes, entrées à
l'école polytechnique à armes égales avec les hommes,
considéraient le projet de loi comme vexatoire. Elle a
précisé que d'après les résultats d'un sondage
publié en mai 1998, l'opinion publique française, même si
elle souhaitait une amélioration de la situation, n'apparaissait pas
favorable à la parité. Elle a jugé qu'il ne devrait pas
être utile de réviser la Constitution pour imposer aux partis
l'autodiscipline qui permettrait d'éviter l'éclatement de la
République.
En réponse à
M. Jacques Mahéas
qui
l'avait interrogée sur le rôle des partis politiques,
Mme
Elisabeth Badinter
s'est déclarée favorable à une
modification de l'article 4 de la Constitution qui préserverait
l'universalisme. Elle a considéré que le débat en cours
permettrait une véritable prise de conscience sur un problème
réellement pathologique, et que la situation devrait s'améliorer
de manière progressive.
En réponse à
M. Guy Allouche
, qui s'est demandé si
le moment n'était pas venu d'entreprendre une politique
véritablement volontariste en adoptant une loi contraignante,
Mme
Elisabeth Badinter,
donnant notamment l'exemple
de
déclarations parues dans la presse, a de nouveau insisté sur les
dangers à plus long terme de l'adoption de la parité, compte tenu
de la pression montante des mouvements communautaristes. Elle a fait un
parallèle entre la parité et le PACS à l'occasion duquel
certains homosexuels revendiquaient le droit d'être reconnus en tant que
tels et non le droit à l'indifférence.
Elle a conclu que, s'il était urgent d'agir pour améliorer la
représentation des femmes dans la vie politique, il ne convenait en
aucun cas d'entamer le principe de l'universalisme.
La commission a ensuite entendu
M. Olivier Duhamel, professeur de droit
public
.
Concernant le principe de la révision, il a indiqué que celle-ci
avait une portée symbolique quant à la présence des femmes
dans l'espace politique, son objectif étant d'aboutir à une
égalité réelle et non plus formelle. Il a estimé
que la révision avait également une portée réelle,
indirecte par la pression qu'elle comportait à l'égard des
acteurs politiques et directe en ce qu'elle levait le veto émis par le
Conseil constitutionnel dans sa décision de 1982 à l'égard
de l'introduction par la loi de discriminations positives.
S'agissant du point d'application dans la Constitution de la révision,
M. Olivier Duhamel
a rappelé que trois versions
étaient envisageables :
- une version minimaliste, évoquée au départ,
prévoyant la modification de l'article 34 de la Constitution par
l'adjonction au domaine de la loi de la détermination des règles
favorisant l'accès des femmes aux responsabilités politiques,
professionnelles et sociales, cette solution s'étant vu reprocher de
confondre les règles de fond et de compétence ;
- une version maximaliste consistant à modifier l'article premier,
souvent considéré comme le " pilier du consensus
républicain ", terme emprunté à
M. Guy Carcassonne, de manière à marquer l'exigence du
caractère paritaire de la démocratie ;
- une version intermédiaire, retenue par le projet de loi, modifiant
l'article 3 relatif au suffrage universel, ayant une forte portée
symbolique et permettant de répondre aux objections formulées en
1982 par le Conseil constitutionnel à l'encontre des quotas.
Concernant le contenu de la révision,
M. Olivier Duhamel
a considéré que son
application au seul domaine politique était justifiée par le fait
que le Conseil constitutionnel avait déjà admis dans sa
décision de 1995 sur l'aménagement du territoire, ainsi que dans
sa décision sur le traité d'Amsterdam, l'adoption d'avantages
spécifiques dans les domaines économiques et sociaux. Il a
souligné que les précisions apportées par
l'Assemblée nationale sur la nature élective des mandats ou
fonctions éliminaient l'application de la réforme au sein du
Gouvernement.
S'agissant du sens à donner à la notion d'égalité,
il a estimé que le texte adopté par l'Assemblée nationale
pouvait être compris de diverses manières : selon une
interprétation large, l'abandon du terme " parité "
indiquerait que l'égal accès serait une mixité sans
domination d'un sexe ; selon l'interprétation étroite des
inspirateurs de la réforme, il imposerait une stricte
égalité à 50% et selon une interprétation
transactionnelle, il permettrait d'aboutir à la parité stricte
sans l'imposer.
Concernant la nature de l'obligation créée par le texte, et
nonobstant le remplacement opéré par l'Assemblée
nationale, du verbe " favorise " par le verbe
" détermine ", il a considéré qu'il ne
s'agissait que d'une obligation de moyens et non de résultats dans la
mesure où n'était visé que " l'égal
accès " aux fonctions et mandats électifs.
Quant à la portée de la prescription, il a
considéré pour sa part, notamment au vu de l'exposé des
motifs, que le texte entraînait une habilitation du législateur
à prendre des mesures plutôt qu'une obligation de le faire, tout
en soulignant son désaccord sur ce point avec le doyen Vedel. Il a
précisé qu'une habilitation à faire pourrait, une fois les
mesures prises, engendrer, comme en matière de droits économiques
et sociaux, une interdiction de défaire, selon la jurisprudence
constitutionnelle de l'" effet de cliquet ".
M. Olivier Duhamel
a conclu que la réforme concrétisait la
volonté d'aller vers plus d'égalité en habilitant le
législateur à poser des obligations de moyens. Mais il a
estimé qu'aucune certitude absolue ne pouvait être
dégagée sur cette interprétation, qu'il conviendrait de
faire préciser lors du débat.
M. Guy Cabanel, rapporteur
, après s'être
déclaré rassuré par l'appréciation donnée
quant à la contrainte engendrée par le texte à
l'égard du Parlement, a souhaité être éclairé
sur les conséquences du remplacement par l'Assemblée nationale de
l 'expression " la loi favorise " par celle de " la loi
détermine ", concernant tant l'obligation en résultant pour
le législateur que le degré de latitude laissée au Conseil
constitutionnel dans chaque cas.
M. Olivier Duhamel
a rappelé que pour certains, la modification
consistait simplement à marquer qu'il s'agissait de mettre en oeuvre un
droit et non d'octroyer une faveur alors que pour d'autres, au contraire, elle
tendait à introduire une certaine ambiguïté sur la nature de
l'obligation engendrée. Il a considéré, quant à
lui, qu'il n'y avait pas d'obligation pour le législateur d'intervenir,
mais qu'il appartiendrait au Conseil constitutionnel de donner son
interprétation le moment venu. Il a souligné, qu'en tout
état de cause, la question ne pourrait être tranchée avant
que n'intervienne une modification du mode de scrutin, le juge ne pouvant
prescrire au législateur de voter une loi. Quant au degré
d'appréciation laissé au Conseil constitutionnel, il a
estimé qu'il n'y avait pas de différence en fonction de l'une ou
l'autre expression.
En réponse
à
M. Luc Dejoie
qui a
souhaité obtenir des précisions complémentaires sur la
nature de l'obligation engendrée par le texte,
M. Olivier Duhamel
a considéré que
l'introduction dans celui-ci de la notion de l'égal accès au lieu
de celle de parité marquait la défaite des partisans d'une
démocratie sexuée dans laquelle l'égalité aurait
été mathématiquement prescrite et impliquait pour le
législateur une simple obligation de moyens.
A la demande de
M. Patrice Gélard
,
M. Olivier Duhamel
a précisé, qu'à son avis, la réforme permettrait,
sans l'imposer, l'exigence d'une proportion moitié-moitié et
qu'elle n'était pas incompatible avec l'article VI de la
déclaration des droits de l'Homme et du citoyen concernant
l'égalité des citoyens devant la loi. Il a ensuite indiqué
que sa préférence personnelle eut été de
prévoir la possibilité de légiférer à titre
temporaire pour instaurer des éléments d'égalité
réelle, y compris des quotas, par exception au principe
d'égalité, et pour des motifs d'intérêt
général. S'agissant de l'adoption de mesures financières
incitatives à l'égard des partis, il a admis qu'une exception
pouvait être apportée au principe, qu'il défendait
habituellement, de neutralité du financement des partis. Il a
suggéré, qu'à l'image de la législation
adoptée récemment en Belgique prévoyant des
pénalités pour les partis dont les membres tiendraient des propos
racistes ou xénophobes, un tel mécanisme financier pourrait
être étendu à d'autres fins telle l'amélioration de
la représentation des femmes.
En réponse à
M. Charles de Cuttoli
qui
s'est demandé s'il ne conviendrait pas d'amender le texte afin de lever
les ambiguïtés qu'il recelait,
M. Olivier Duhamel
a redit qu'à son sens, il impliquait une habilitation à faire
mais a considéré qu'il serait en tout état de cause
nécessaire d'obtenir lors du débat les clarifications
nécessaires.
En réponse à
M. Guy Allouche
, qui s'interrogeait sur
les moyens de remédier à l'absence de volontarisme actuel de la
classe politique,
M. Olivier Duhamel
a considéré
qu'une solution pourrait être trouvée dans l'adoption de
dispositions transitoires.
M. Jacques Larché, président,
a jugé que ce
texte, comme celui sur le Conseil supérieur de la magistrature, posait
un principe dont personne n'était en mesure de préciser quelles
en seraient les conséquences législatives. Il a craint que
l'impossibilité d'aboutir à la parité pour les scrutins
uninominaux, malgré les diverses solutions qui avaient pu être
avancées, ne conduise à l'adoption
généralisée d'un scrutin proportionnel. Il a
souligné que les candidatures indépendantes, qui devaient
demeurer possibles, ne pourraient être concernées par
d'éventuelles mesures incitatives à l'égard des partis.
M. Robert Badinter
, ayant également insisté sur
l'impossibilité de mettre en oeuvre le système de la
parité à chaque fois qu'il s'agirait d'élire une seule
personne à un mandat ou une fonction,
M. Olivier Duhamel
a
considéré que la conception de la parité
présentée dans le projet de loi, différente de celle
beaucoup plus tranchée des initiateurs de la réforme, n'exigeait
pas d'intervention en matière de scrutin uninominal. Il s'est cependant
déclaré persuadé que l'action des partis conduirait en
fait à une amélioration progressive en la matière.
Enfin, en réponse à
M. Luc Dejoie
, il a
estimé que les mandats non politiques n'étaient pas
concernés par la révision dès lors que celle-ci portait
sur l'article 3 de la Constitution.
La commission a ensuite entendu
Mme Evelyne Pisier,
professeur de
sciences politiques à l'université de Paris I.
A titre liminaire,
Mme Evelyne Pisier,
en tant que femme et citoyen de
gauche, a fait part de son malaise devant ce débat. Rappelant que le
projet de loi constitutionnelle avait pour objet de réparer une
injustice à laquelle elle était sensible, elle a
déclaré qu'elle ne pouvait pourtant qu'être opposée
à la voie choisie, celle du " marteau
"
de la
révision constitutionnelle. Soulignant que les associations et les
militants à l'origine de cette proposition avaient mené un combat
admirable, elle a estimé que leur action avait permis un réveil
de la classe politique. Elle a toutefois considéré qu'il
était dangereux de porter atteinte à des principes fondamentaux,
en particulier l'universalisme dont l'abstraction même recèle un
potentiel indispensable.
Mme Evelyne Pisier
s'est interrogée sur les raisons qui
poussaient le Gouvernement à proposer ce projet de loi
constitutionnelle, alors qu'il n'avait apporté aucun changement dans les
nominations discrétionnaires dépendant directement de lui, en
particulier au sein des cabinets ministériels et de la haute
administration. Elle a regretté que les femmes soient si peu nombreuses
à la tête des grands établissements publics ou au sein
d'organes tels que le Conseil supérieur de l'audiovisuel ou le Conseil
supérieur de la magistrature, alors qu'un renforcement de la
présence des femmes dans ces instances était possible sans
modification constitutionnelle. A propos des mandats électoraux, elle a
constaté que les partis politiques étaient à
l'évidence misogynes et responsables de la faible représentation
des femmes. Elle a estimé qu'à tout prendre, il serait
préférable de modifier l'article 4 de la Constitution
relatif aux partis politiques plutôt que de modifier l'article portant
sur la souveraineté nationale.
Mme Evelyne Pisier
a alors souligné que le texte adopté
par l'Assemblée nationale manquait de clarté. Elle a
observé que l'expression " la loi détermine " pouvait
paraître impliquer une obligation de prendre des mesures pour le
législateur. Elle a souligné que l'expression " égal
accès " donnait au contraire à penser qu'il ne s'agissait
pas d'une obligation de résultat mais que l'on souhaitait encourager un
progrès de la représentation des femmes en politique. Soulignant
que le texte pouvait être interprété comme une habilitation
à prendre des mesures, elle a observé qu'il aurait alors des
conséquences moins graves et que l'on pouvait lui trouver le
mérite de faciliter l'adoption de mesures sur le financement des partis
et la limitation du cumul des mandats, encore qu'une révision
constitutionnelle apparaisse alors superfétatoire. Elle a en revanche
fait valoir que si ce texte avait une portée obligatoire et conduisait
à la mise en place de quotas, il conduirait à considérer
que les femmes constituent une catégorie particulière, que
l'humanité est " genrée ".
Rappelant que les défenseurs de la révision constitutionnelle
soulignaient constamment que les femmes ne constituaient pas une
minorité, elle s'est demandé quels motifs pouvaient justifier une
telle affirmation. Elle a souligné que l'importance quantitative des
femmes dans l'humanité ne suffisait pas à les distinguer de
communautés et qu'il était humiliant de justifier des mesures
particulières par des considérations numériques. Elle a
ajouté que le seul autre argument avancé pour démontrer
que les femmes n'étaient pas une communauté était la
faculté procréatrice du couple homme-femme. Mais elle a mis en
valeur la force du droit qui transcende la biologie pour considérer les
individus et non les spécificités.
Dans l'hypothèse d'une révision,
Mme Evelyne Pisier
a
alors marqué sa préférence pour une modification de
l'article 4 de la Constitution afin de rendre les partis responsables
à l'égard de la démocratie. Elle a souligné qu'une
telle modification pourrait concerner non seulement l'accès des femmes
aux mandats électoraux, mais également la lutte contre le racisme
et la xénophobie. Elle a souligné que, dans ce cas, les femmes ne
seraient pas considérées pour leur différence, mais parce
qu'elles subissent des discriminations.
En réponse à
M. Guy Cabanel, rapporteur,
qui
souhaitait savoir si elle avait une préférence entre la
rédaction du projet de loi initial et celle adoptée par
l'Assemblée nationale,
Mme Evelyne Pisier
a indiqué que
l'Assemblée nationale avait manifestement souhaité que la
pression en faveur de la parité soit plus forte. Elle s'est
déclaré opposée à toute modification de
l'article 3 de la Constitution, mais a souligné que la
rédaction contenue dans le projet de loi constitutionnelle initial
paraissait moins dangereuse.
Indiquant avoir toujours lutté pour l'égalité des sexes,
M. Lucien Lanier
a observé que, dans le débat
sur la parité, ceux qui se prononçaient contre étaient
inévitablement qualifiés d'anti-féministes, voire de
misogynes. Il s'est demandé s'il était vraiment indispensable
d'utiliser le " marteau pilon " que constitue une révision
constitutionnelle pour forcer le suffrage universel. Il a rappelé que
les seules inégalités tolérées par la
Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen étaient celles
reposant sur les talents et les vertus.
Mme Evelyne Pisier
a alors estimé que la démocratie
était plus menacée que la République par la
révision en cours, soulignant que la liberté des hommes et des
femmes de faire de la politique était en cause. Elle a estimé que
l'électeur votait pour des idées et non pour un sexe, et que
l'élu ne représentait pas en fonction de son sexe.
Mme Dinah Derycke
a souligné qu'il n'existait en effet
aucune raison pour que les femmes fassent de la politique différemment
des hommes. Elle a fait valoir que les militantes des droits des femmes
étaient partagées sur ce projet de loi constitutionnelle et qu'il
convenait de réfléchir sans a priori tout en gardant à
l'esprit que, en raison de la sous-représentation des femmes en
politique, la démocratie française était inachevée.
Elle a rappelé que la voie de la révision constitutionnelle avait
été choisie compte tenu des décisions du Conseil
constitutionnel sur ce sujet.
Mme Dinah Derycke
a fait valoir
qu'à titre personnel, elle n'estimait pas que l'argument relatif aux
risques de catégorisation de l'humanité soit pertinent
puisqu'elle n'estimait pas appartenir à une catégorie au sens
social du terme. Elle a souligné qu'il était indispensable de
réfléchir aux moyens de faire sauter les verrous empêchant
que dans le pays ayant " inventé " les droits de l'homme, le
pouvoir politique ne soit plus confisqué par les hommes.
Mme Evelyne Pisier
a alors souligné qu'il était
effectivement nécessaire de prendre de nombreuses mesures pour favoriser
l'accès des femmes aux mandats et fonctions. Elle a exprimé la
crainte que la voie choisie ne conduise à mettre l'accent sur la
différence. Elle a observé que les conquêtes des femmes
étaient encore très récentes et qu'il fallait à
tout prix mettre en avant la ressemblance plutôt que la
différence. Elle a rappelé que sous Vichy, la femme était
glorifiée dans sa différence en tant que mère et a
estimé qu'alors que les femmes avaient enfin conquis le droit
d'être des citoyens comme les autres, il serait dangereux de revenir en
arrière. Elle a enfin observé que le passage du suffrage
censitaire au suffrage universel masculin puis au suffrage universel mixte
avait été possible grâce au principe d'universalité.
Enfin, la commission a entendu
M. Guy Carcassonne
,
professeur de droit public
.
A titre liminaire,
M. Guy Carcassonne
a estimé qu'une
modification de la Constitution était indispensable pour franchir
l'obstacle des décisions du Conseil constitutionnel de 1982 et 1999. Il
a en outre souligné que cette révision constitutionnelle ne
serait pas suffisante et qu'une médiation législative serait
indispensable. Il a fait valoir qu'en tout état de cause, aucune
révision constitutionnelle ne pourrait forcer à agir un Parlement
qui ne le voudrait pas.
Évoquant le contenu du projet de loi constitutionnelle,
M. Guy Carcassonne
a estimé que la rédaction de
l'Assemblée nationale était meilleure que celle proposée
par le Gouvernement. Il a indiqué que la rédaction initiale
donnait à penser que le Conseil constitutionnel pourrait porter un
jugement sur la manière dont la loi favoriserait l'égal
accès aux mandats et fonctions. Il a estimé qu'au contraire la
rédaction de l'Assemblée nationale ne permettrait au Conseil
constitutionnel que de vérifier que le législateur n'avait pas
méconnu un autre principe constitutionnel ou commis une erreur manifeste
d'appréciation. Il a jugé préférable que le
législateur soit seul responsable du choix des moyens pour favoriser
l'égal accès aux mandats.
M. Guy Cabanel, rapporteur,
a tout d'abord rappelé que
la rédaction initiale du projet de loi constitutionnelle avait fait
l'objet d'un accord entre le Premier ministre et le Président de la
République. Il s'est demandé si la rédaction issue des
travaux de l'Assemblée nationale ne risquait pas de faire du Conseil
constitutionnel l'arbitre d'éventuels désaccords entre
l'Assemblée nationale et le Sénat.
M.
Guy Carcassonne
a constaté que l'accord entre
le Président de la République et le Premier ministre avait
porté sur l'initiative. Il a souligné qu'il existait dans la
Constitution des prescriptions apparemment impératives difficiles
à transcrire dans la loi. Il a cité le principe de la
nationalisation des entreprises ayant le caractère d'un service public
inscrit dans le Préambule de la Constitution de 1946. Il a alors fait
valoir qu'en renvoyant à la loi la détermination des conditions
dans lesquelles sera favorisé l'égal accès aux mandats, le
constituant laissait une totale liberté d'appréciation au
Parlement, le Conseil constitutionnel ne pouvant jouer qu'un rôle plus
limité.
M. Guy Cabanel, rapporteur,
s'interrogeant sur la place de la
révision, a souhaité savoir si la modification du seul
article 4 permettrait d'adopter des mesures en faveur des femmes sans
risquer une censure du Conseil constitutionnel.
M. Guy Carcassonne
a estimé que placer la modification
à l'article 3 ou à l'article 4 n'entraînait aucune
conséquence en la matière, celle-ci s'imposant en tout
état de cause au Conseil constitutionnel. Il a rappelé que le
Conseil constitutionnel avait déclaré contraires à la
Constitution les traités de Maastricht et d'Amsterdam au nom de la
souveraineté nationale inscrite dans l'article 3 de la Constitution et
que le constituant avait choisi d'insérer dans la Constitution un
article 88-2 pour surmonter cette inconstitutionnalité. Il en a
déduit qu'il était tout à fait possible d'inscrire dans
des articles différents de la Constitution un principe et son exception,
la règle spéciale dérogeant à la règle
générale.
M. Robert Badinter
a souhaité savoir quelle
modification de l'article 4 de la Constitution pourrait être
envisagée si cette solution était préférée
à une modification de l'article 3. Il a en outre demandé dans
quelles conditions pourraient être envisagées des mesures
organisant l'égal accès des femmes aux mandats électoraux
dans le cadre de scrutins uninominaux ainsi qu'aux fonctions électives.
M. Guy Carcassonne
a répondu qu'il était
possible d'insérer le texte adopté par l'Assemblée
nationale dans l'article 4 de la Constitution, cet article concernant à
la fois le rôle des partis et le pouvoir de suffrage. Il a
souligné qu'on ne pouvait invoquer la liberté de
l'électeur pour s'opposer à la parité, observant qu'en
l'absence de possibilité de panachage, l'électeur était
d'ores et déjà privé de liberté dans la plupart des
scrutins. Il a estimé que le projet de loi constitutionnelle permettrait
de limiter la liberté des partis plus que celle de l'électeur. Il
a enfin indiqué que pour les fonctions électives et les scrutins
uninominaux, seules des mesures incitatives paraissaient envisageables.
M. Jacques Larché, président,
a demandé
si le système envisagé ne remettait pas en cause la
liberté de candidature. Il a souligné que le constituant
s'apprêtait à voter ce texte sans qu'il soit possible
d'appréhender la manière dont il serait mis en oeuvre par le
législateur.
M. Guy Carcassonne
a alors rappelé qu'en tout
état de cause, la révision constitutionnelle ne pourrait forcer
le Parlement à agir s'il ne le souhaitait pas. Il a ajouté qu'il
était toujours difficile de prévoir la manière dont serait
mise en oeuvre une disposition constitutionnelle lors de son adoption.
M. Patrice Gélard
a demandé si le texte
adopté par l'Assemblée nationale pourrait conduire à la
mise en oeuvre de quotas et si une telle évolution était
souhaitable. Il a interrogé
M. Guy Carcassonne
sur la
possibilité éventuelle de confier, par une modification de
l'article 4 de la Constitution, le soin aux partis politiques d'assurer
l'égal accès en prévoyant éventuellement des
sanctions financières.
M. Guy Carcassonne
a déclaré qu'il ne lui
paraissait pas choquant de mettre en place des quotas pour les scrutins de
liste. Il a exprimé la crainte que des résultats significatifs
soient plus longs à obtenir avec un système confiant aux partis
la responsabilité d'assurer l'égal accès qu'avec celui
envisagé dans le projet de loi constitutionnelle. Il a observé
que la tentative de M. Michel Rocard de constituer une liste paritaire pour les
élections européennes en 1994 n'avait pas suscité
d'initiatives semblables par la suite.
M. François Marc
a demandé s'il était possible
d'envisager un système de parité dans les scrutins municipaux
où existait le panachage des listes.
M. Guy Carcassonne
a répondu qu'il ne serait pas
choquant de n'appliquer la parité que pour les communes de plus de
3.500 habitants, les électeurs ayant réellement la
possibilité de faire un choix dans les petites communes.