II. LES DYSFONCTIONNEMENTS LIÉS À LA GESTION DU PERSONNEL
A. DES RECRUTEMENTS EXTÉRIEURS EN NOMBRE INSUFFISANT
L'admission par concours à l'Ecole nationale de la
magistrature constitue la voie principale de recrutement des magistrats.
Toutefois, il existe d'autres modes de recrutement qui restent cependant trop
peu utilisés.
Ainsi en est-il du recrutement par intégration indirecte ouvert aux
personnes titulaires d'un diplôme du niveau de la maîtrise et
justifiant d'une certaine durée d'exercice professionnel les qualifiant
particulièrement pour exercer les fonctions de magistrats. Les
nominations interviennent après avis conforme de la commission
d'avancement. Or, depuis 1993, le nombre de candidats admis par
intégration directe a fortement chuté. Alors qu'ils
étaient 66 en 1997, leur nombre s'est réduit à 43 en 1993,
13 en 1994, 8 en 1995, 10 en 1996 et 15 en 1997.
De même, la loi organique du 19 janvier 1995 a introduit, sur proposition
du Sénat, des dispositions permettant le recrutement de magistrats
exerçant à titre temporaire. Ce mode de recrutement a
été instauré pour permettre l'exercice de certaines
fonctions judiciaires par des magistrats non professionnels, qui continuent
l'exercice d'une activité professionnelle concomitamment à
l'exercice de fonctions judiciaires, sous réserve de la
compatibilité de ces activités. Les magistrats recrutés
dans ce cadre sont nommés pour une durée de 7 ans non
renouvelable. Leur nomination intervient après avis conforme de la
commission d'avancement. Comme pour les personnes intégrées
directement, le nombre de magistrats temporaires est peu
élevé : 8 en 1993, 2 en 1994, 4 en 1995, 3 en 1996 et 2 en
1997.
De deux choses l'une :ou les candidats sont en nombre insuffisant ou ne
présentent pas les qualités exigées, ou les services
judiciaires s'ingénient à faire en sorte que la réforme
voulue par le législateur reste lettre morte.
En réalité, le recrutement parallèle semble freiné
par le " malthusianisme " de la commission d'avancement dont les
critères de sélection sont tellement sévères qu'ils
aboutissent à rejeter la plupart des candidats, alors même que
beaucoup sont de valeur.
Pourtant,
le recrutement de magistrats en dehors de la voie classique
représentée par l'Ecole nationale de la magistrature doit
être encouragé
afin d'" aérer " le corps
des magistrats
et d'éviter le développement d'un corporatisme
lié à un mode de recrutement exclusif. A cet égard, votre
rapporteur tient à souligner que
tous les grands corps de l'Etat ont
recours au recrutement au tour extérieur. Il propose donc
d'étendre cette procédure à la magistrature.
En revanche, votre rapporteur se félicite de l'instauration, à la
demande du Sénat, par la loi du 8 février 1995 relative à
l'organisation des juridictions, d'assistants de justice qui permettent aux
magistrats de se consacrer à leurs fonctions en les assistant dans leurs
recherches et en assurant les travaux préparatoires à la
décision. Le projet de loi pour 1999 prévoit le recrutement de
400 assistants de justice supplémentaires, soit une augmentation de
70 % du nombre d'assistants qui sera ainsi porté à 950.
Votre rapporteur tient à ajouter que les nombreux magistrats avec qui il
a pu s'entretenir sont unanimes pour reconnaître la qualité du
travail fourni par les assistants. Cette réforme est cependant
contestée par les organisations professionnelles des
greffiers.
B. LE MANQUE DE TRANSPARENCE DES EFFECTIFS
La seule
prise en compte des effectifs budgétaires ne permet pas
d'appréhender les effectifs réellement au service de la justice.
En effet, il faut tenir compte à la fois des vacances de postes et des
mises à disposition, mais également des surnombres.
Les vacances de postes
En octobre 1997, l'Union syndicale des magistrats publiait une étude sur
les postes vacants et parvenait à un chiffre de 432.
Plusieurs raisons expliquent le nombre élevé de vacances de
postes.
D'une part, les magistrats du siège sont inamovibles. En
conséquence, si un poste se libère mais qu'aucun candidat ne se
déclare pour l'occuper, le poste restera vacant. Le seul moyen rapide
pour le pourvoir est de le proposer aux auditeurs en fin de scolarité de
l'Ecole nationale de la magistrature ou aux magistrats qui viennent
d'être intégrés ou qui ressortent du concours exceptionnel.
D'autre part, les vacances de postes sont liées aux congés
divers, notamment de maternité, accordés aux magistrats qui
occupent cependant toujours leur emploi. 59 vacances de ce type
étaient recensées en octobre 1997.
Enfin, il faut tenir compte des 57 magistrats mis à disposition et
des 18 magistrats bénéficiant d'une décharge syndicale,
soit 75 personnes occupant des emplois mais ne remplissant pas en
réalité leurs fonctions.
Or, les vacances de postes peuvent entraver le bon fonctionnement des
juridictions dont les effectifs sont de facto réduits. Ainsi, la charge
de travail des magistrats est accrue et les permanences auxquels ils sont
soumis ont tendance à se multiplier.
Votre rapporteur tient à faire remarquer que les mises à
dispositions ne touchent pas seulement les magistrats, mais également
les greffiers et les fonctionnaires. Ainsi, selon les informations obtenues par
votre rapporteur auprès de la Chancellerie, 82 agents de
catégorie B et 239 agents de catégorie C des
services déconcentrés sont mis à la disposition de
l'administration centrale.
Votre rapporteur regrette le caractère permanent de certaines mises
à disposition qui a deux inconvénients :
- les mises à disposition cachent les réels besoins de
l'administration. En effet, il s'agit de répondre à des besoins
structurels. A cet égard, l'exemple des secrétaire
généraux est révélateur. Les premiers
présidents ont vu leurs tâches se multiplier suite à la
déconcentration des crédits et au transfert des charges qui en a
résulté. Pour pouvoir assumer les nouvelles fonctions, ils se
sont entourés d'un secrétaire général chargé
de les assister dans la gestion de leur juridiction. Or, la
référence au secrétaire général ne figure
dans aucun texte ou circulaire si ce n'est pour les juridictions parisiennes.
Votre rapporteur demande donc que cette pratique indispensable au bon
fonctionnement des juridictions soit officialisée et que des postes de
secrétaires généraux soient créés. De
manière plus générale, il estime indispensable de recenser
les postes remplis par des mises à disposition et de leur donner une
traduction budgétaire s'ils répondent à des besoins
permanents
;
- les mises à disposition donnent une vision tronquée de
l'activité des services qu'elles affectent. En effet, celles-ci reposent
sur le principe que la juridiction concernée peut se passer d'une partie
de son effectif pour exercer ses missions sans que la qualité de son
travail s'en ressente. Votre rapporteur refuse cette logique et estime que soit
ladite juridiction a réellement besoin des effectifs budgétaires
prévus et dans ce cas, il est anormal qu'elle soit privée d'une
partie de ses effectifs, soit ses effectifs peuvent être revus à
la baisse et alors il faut officiellement diminuer ses ressources en personnel.
L'existence de surnombres
Le manque de transparence des effectifs budgétaires de la justice est
encore aggravé par l'existence des surnombres .Dans son rapport sur
l'exécution des lois de finances pour l'année 1997, la Cour des
comptes distingue trois types de surnombres :
- les surnombres " légaux ", qui s'expliquent par le
maintien en activité de certains magistrats admis à faire valoir
leurs droits à la retraite, qui n'occupent pas d'emploi
budgétaire mais travaillent effectivement dans les juridictions. Au 30
juin 1998, il en existe 152 ;
- prévus par la loi de programme et gagés par des postes
vacants. En 1999, le Conseil d'Etat comptera 71 surnombres de magistrats
à titre temporaire ;
- les surnombres " autorisés ", non compris dans les
effectifs budgétaires, qui concerne l'administration
pénitentiaire. Ainsi, depuis 1993, celle-ci dispose de 150 emplois en
surnombre de surveillants. En outre, compte tenu de
l'accélération des départs du personnel
pénitentiaire de surveillance générée par
l'abaissement à 55 ans des limites d'âges, le
ministère de la justice a été autorisé, pour
prévenir une désorganisation des établissements, à
recruter en 1998 et 1999 des élèves surveillants au-delà
du nombre d'emplois budgétaires (150) réservés à
cette catégorie. Il en résultera, en 1999, une situation
d'élèves-surveillants en surnombre variables au cours de
l'année compte tenu de la succession des promotion pour la formation de
8 mois : 400 en début d'année, 500 en milieu
d'année et 300 en fin d'année. Ces surnombres, qui seront
résorbés au moment de la nomination des agents en qualité
de surveillant dans les établissements, permettront de pourvoir
l'intégralité des emplois vacants.
Votre rapporteur ne peut que critiquer la pratique de ces surnombres qui nuit
à la transparence du budget et sert à tourner les
rigidités liées au statut du personnel du service public de la
justice.
C. LES DIFFICULTÉS LIÉES AU RETOUR DE DÉTACHEMENT
Votre
rapporteur défend l'ouverture du corps de la magistrature sur le monde
extérieur, à la fois par le recours au tour extérieur mais
également par le développement des détachements de
magistrats dans d'autres administrations ou auprès d'organismes
nationaux ou internationaux.
Or, les initiatives dans ce sens sont freinées par les
difficultés que les magistrats peuvent rencontrer pour être de
nouveau affectés dans leur corps d'origine. En effet, ces magistrats
sont soumis aux mêmes règles de nominations que leurs
collègues. Avant d'être nommés dans un poste, il faut donc
qu'ils figurent sur le projet de nomination de la Chancellerie (ou du Conseil
supérieur de la magistrature, selon le poste), puis que la transparence
soit publiée. Après l'expiration du délai de recours
contre la proposition de nomination, celle-ci doit être examinée
par le Conseil supérieur de la magistrature. Un nouveau délai
intervient donc avant la nomination définitive. L'ensemble de la
procédure prend donc plusieurs mois. Or, tant que le magistrat en
détachement n'est pas nommé définitivement, il ne touche
aucune rémunération. Si le détachement s'est
terminé de manière anticipée ou sans préavis, le
magistrat peut ne pas avoir eu le temps d'organiser son retour et il se
retrouve alors sans poste ni salaire.
Une telle situation n'est pas acceptable et votre rapporteur plaide pour une
révision des textes de telle sorte que le magistrat puisse être
rémunéré en attendant sa nouvelle nomination.