EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le jeudi 29 octobre 1998, sous la présidence de
M. Alain Lambert, président, puis de Mme Marie-Claude Beaudeau,
vice-président, la commission a procédé, sur
le
rapport
de
M. Yvon Collin
,
rapporteur spécial
,
à l'examen du projet de
budget annexe de l'aviation civile pour
1999
et des crédits affectés au
transport aérien et
à la météorologie par le projet de loi de finances pour
1999
.
Après l'exposé du rapporteur spécial, un large
débat s'est ouvert.
M. Philippe Marini, rapporteur général
, a souligné
le caractère préoccupant de l'endettement du budget annexe de
l'aviation civile et considéré que celui-ci offrait une
étude de cas particulièrement illustratrice des
difficultés posées par un endettement public excessif.
M. François Trucy
s'est interrogé sur les raisons pour
lesquelles les personnels pouvaient connaître une progression si
conséquente de leurs rémunérations ainsi que sur les
missions précisément exercées par le service des bases
aériennes. Il a souligné la charge représentée par
la formation aéronautique.
Mme Maryse Bergé-Lavigne
a souhaité préciser que
l'absence d'avances remboursables consacrées au projet d'A3XX ne pouvait
être reprochée au Gouvernement puisque la décision de
lancement de ce projet n'avait pas encore été prise. Elle a
ajouté que cette décision n'était d'ailleurs pas acquise,
tant les divers problèmes posés par ce projet apparaissaient
importants.
En réponse,
M. Yvon Collin, rapporteur spécial
, a
expliqué que l'augmentation des rémunérations des
personnels témoignait d'une position favorable de ces personnels dans le
rapport de force social qui dicte les décisions du Gouvernement en
matière de navigation aérienne. Il a rappelé que
l'augmentation des rémunérations individuelles observée
dans le passé avait permis un certain rattrapage à partir d'une
situation de traitement plutôt modeste. Mais il a souligné
qu'aujourd'hui un meilleur parallélisme entre la progression des
rémunérations des personnels de la direction
générale de l'aviation civile et celle des
rémunérations de la fonction publique en général ou
des personnels des entreprises de transport aérien devait être
recherché. Ayant précisé les diverses missions du service
des bases aériennes et insisté sur les difficultés de
conduire une politique de formation optimale dans un secteur soumis à de
profondes fluctuations d'activité,
M. Yvon Collin, rapporteur
spécial
, a jugé que le lancement d'un programme tel que
l'A3XX était une impérieuse nécessité. Il a alors
ajouté que compte tenu de l'exigence d'égaler les gains de
compétitivité tirés par Boeing de sa position de monopole
sur les secteurs des gros porteurs, il lui semblait que les industriels
européens étaient désormais acquis à l'A3XX. Il a
précisé qu'il n'entrait pas dans ses intentions de critiquer le
Gouvernement sur ses choix en matière d'avances remboursables mais que
devait être rappelée l'exigence d'accompagner le futur gros
porteur par un soutien public.
M. Maurice Blin
a alors précisé que 80 % des
bénéfices de Boeing étaient tirés de la production
des Boeing 747 et que de ses contacts avec les dirigeants d'Airbus, il
apparaissait que ceux-ci et les autres industriels européens avaient en
effet la volonté de bâtir un appareil en mesure de concurrencer le
747.
M. Jacques Oudin
a abondé dans le sens de l'ensemble de ces
propos en observant que dans le contexte de duopole caractéristique de
l'industrie aéronautique mondiale, il était hors de question que
l'un des compétiteurs ne dispose pas de l'ensemble de la gamme de
production. Il a souligné que ce qui était vrai des gros porteurs
commerciaux l'était également dans le cas des gros avions de
transport militaire, évoquant la situation de l'avion de transport futur
(ATF).
M. Yvon Collin, rapporteur spécial
, a alors rappelé que,
dès son rapport sur les soutiens publics à l'industrie
aéronautique civile adopté par la commission en 1996, il avait
insisté, dans une ambiance un peu sceptique, sur la
nécessité de produire un avion gros porteur qui occuperait dans
les vingt ans à venir 25 % du marché.
La commission a alors décidé de reporter son vote sur les
crédits des transports aériens et de la
météorologie après l'audition du ministre de
l'équipement, des transports et du logement et son vote sur le budget
annexe de l'aviation civile après l'examen des articles de la
première partie du projet de loi de finances pour 1999.
Puis le rapporteur spécial a fait une
communication sur le processus
de structuration de l'industrie aéronautique civile en Europe.
M. Yvon Collin, rapporteur spécial
, ayant rappelé que, le
9 décembre 1997, les gouvernements de la France, de
l'Allemagne et du Royaume-Uni avaient lancé un processus destiné
à déboucher sur l'intégration européenne du secteur
aéronautique et demandé aux industriels d'étudier sur
quelles bases une telle intégration pouvait être
réalisée, a indiqué qu'il avait alors informé la
commission de son intention de consacrer un rapport d'information à ce
sujet. Il a déclaré que sa communication du jour portait sur la
structuration de l'industrie aéronautique et non sur la restructuration
qui en résulterait et que les conclusions, qu'il souhaitait
présenter à la commission, visaient à permettre à
notre pays de participer pleinement à la construction en cours d'une
industrie européenne intégrée.
Il a ajouté que cette communication d'étape se justifiait par
l'urgence et par le souci de préserver des intérêts
nationaux majeurs. Il a précisé que notre pays risquait de faire
les frais d'un rapprochement entre British Aerospace et DASA, sauf à
prendre les décisions qui s'imposent. Il a alors précisé
les risques d'une telle évolution en indiquant que l'ensemble qui
résulterait d'une fusion entre British Aerospace et DASA
détiendrait 57,7 % des droits dans Airbus, une part importante de
l'activité de missilier, et occuperait l'essentiel du créneau des
avions de combat européens avec l'Eurofighter ainsi qu'un contrôle
très significatif du Grippen suédois. Il a ajouté qu'un
tel groupe exercerait une attractivité très forte sur tous les
industriels européens, y compris Dassault, et sur les concurrents de
Boeing aux Etats-Unis.
Le rapporteur a alors expliqué qu'une fusion entre British Aerospace et
DASA était plus qu'une éventualité du fait, d'une part, de
la cohérence industrielle de ce rapprochement, et, d'autre part, d'une
réelle capacité de ces entreprises à moduler leur
actionnariat pour s'unir. En effet, a-t-il indiqué, l'une des
difficultés majeures du processus devant conduire à la
constitution d'une entreprise aéronautique unique en Europe regroupant
les activités aéronautiques, civiles et militaires, le spatial et
les missiles tactiques, provient de
l'hétérogénéité de l'actionnariat des
entreprises concernées avec :
- la coexistence d'entreprises privées, British Aerospace et DASA, et
d'une entreprise publique Aérospatiale ;
- et la superposition de trois modèles d'actionnariat, celui,
dispersé, de British Aerospace, celui de DASA, concentré mais
privé puisque détenu par Daimler-Chrysler, et celui
d'Aérospatiale, concentré mais public, car encore détenu
à près de 99 % par l'Etat français.
Il a poursuivi son propos en indiquant que pour "se marier", ces trois
entreprises devraient rapprocher leurs modèles d'actionnariat et que
s'il était très improbable que British Aerospace abandonne le
sien, il n'était pas improbable du tout que DASA apporte certains
aménagements au sien, si ceux-ci devaient se révéler
indispensables pour parvenir à une fusion avec British Aerospace.
Il a alors observé que l'on avait pu, en revanche, longtemps
s'interroger sur la capacité d'Aérospatiale à modifier son
actionnariat, rappelant qu'alors même que l'idée d'une entreprise
européenne avait été lancée par lui, notre
Gouvernement n'avait pas annoncé d'intention particulière
à ce sujet. Il a alors souligné que, depuis l'été,
tout avait beaucoup évolué à la suite de la
déclaration du Premier ministre du 27 mai : en échange des
apports par Lagardère des activités de Matra Hautes Technologies,
Lagardère SCA disposerait d'une quotité du capital
d'Aérospatiale estimée entre 30 et 33 % ; quelque 20 % du
capital d'Aérospatiale seraient cédés dans le public, si
bien qu'au terme de ces deux opérations, l'Etat ne disposerait plus que
d'environ 48 % du capital d'Aérospatiale et que du même coup,
celle-ci se trouverait privatisée.
M. Yvon Collin, rapporteur spécial
, a alors jugé que le
chemin parcouru était très important, mais qu'il convenait
d'achever le travail. Il a toutefois indiqué que l'opération
d'apport de Matra Hautes Technologies à Aérospatiale devait
être suivie avec beaucoup d'attention et qu'en particulier, il fallait
veiller à son équilibre financier et surveiller sa
réalisation concrète. Il a insisté sur l'importance de
configurer le capital d'Aérospatiale de sorte que cette entreprise
puisse pleinement participer à la structuration en cours. Il a alors
rappelé que malgré l'importance du retrait annoncé de
l'Etat dans le capital de l'entreprise, au terme duquel celle-ci serait
privatisée, le reliquat de la participation étatique (48 %)
était jugé excessif par les autres industriels européens
du secteur. Il a jugé qu'il fallait alors choisir entre deux objectifs
contradictoires : celui de maintenir la place de l'Etat dans
l'Aérospatiale à son niveau actuel et celui de fusionner avec les
autres industriels. Préférant la deuxième branche de
l'alternative, il a ajouté que le formatage capitalistique qu'elle
impliquait pouvait prendre deux aspects : soit la mise sur le marché
d'une proportion du capital de l'entreprise plus importante que les 20 %
envisagés, soit un réaménagement des droits
attachés aux actions détenues par l'Etat. Il a souligné
que, quelle que soit la solution choisie, elle n'impliquait aucunement que
l'Etat perde toute maîtrise sur l'avenir d'Aérospatiale et
qu'à l'image de la situation existant au Royaume-Uni, il était
souhaitable que les pouvoirs publics conservent les droits de contrôle
attachés à une "action spéciale". Il a alors
indiqué que, par cohérence avec ces observations sur la place de
l'Etat dans le capital d'Aérospatiale, il faudrait veiller à ce
qu'à l'occasion des accords de Matra Hautes Technologies, il soit bien
entendu que ce nouvel actionnaire s'inscrive dans la logique de la fusion avec
les autres industriels européens.
Il a alors formulé une autre condition indispensable, le rattachement
complet des activités aéronautiques de Dassault Aviation à
Aérospatiale. Il a justifié cette exigence par deux
considérations majeures :
- le lien existant entre la valeur d'un groupe aéronautique et sa
capacité à maîtriser la dualité des métiers
d'avionneur commercial et militaire ;
- le caractère irréaliste d'une solution où notre
industrie aéronautique militaire demeurerait isolée, la
conduisant à rechercher des rapprochements avec des partenaires
étrangers.
M. Yvon Collin, rapporteur spécial
, a alors
présenté une synthèse de ses conclusions :
- poursuivre sur le chemin emprunté et finir de modeler le capital
d'Aérospatiale pour que cette entreprise puisse fusionner ses
activités dans la future grande entreprise européenne ;
- incorporer les activités de production d'avions de combat de
Dassault Aviation dans Aérospatiale ;
- adresser un message clair, dans les plus brefs délais, à
nos partenaires européens.
Il a souhaité conclure sa communication en soulignant que le processus
en cours, s'il obéissait à une nécessité
industrielle et économique, était essentiellement un processus
politique. Il a rappelé que l'existence d'une industrie
aéronautique compétitive était un élément de
la puissance européenne. Il a alors souhaité que les
gouvernements ayant mis en ordre de marche leurs entreprises rappellent
solennellement aux industriels cette dimension du processus en cours. Il a
insisté sur le fait que ceux-ci auraient besoin des gouvernements pour
se développer et qu'il ne faudrait pas que, par inertie ou par des
initiatives malheureuses, soit gâchée la chance d'un formidable
succès européen.
M. Philippe Marini, rapporteur général
, a souligné
l'extrême importance de la communication du rapporteur spécial. Il
a insisté sur la nécessité pour la commission de se saisir
d'un sujet dont les enjeux économiques sont à l'évidence
majeurs, et qui concerne également les intérêts
patrimoniaux de l'Etat. Il a souligné que les conditions dans lesquelles
le rapprochement de certaines activités du groupe Lagardère avec
Aérospatiale avait été annoncé supposaient qu'on se
montre très attentif à l'équilibre financier de cette
opération. De la même manière, a-t-il ajouté, il
faudra suivre de très près les travaux de la commission des
participations et des transferts à l'occasion de la mise sur le
marché d'une part du capital d'Aérospatiale. Il a
suggéré que le rapporteur spécial exerce une
particulière vigilance sur ces questions, estimant qu'elles
étaient au coeur de la mission de contrôle conférée
à la commission des finances. Il a enfin souhaité que des
précisions puissent être apportées sur le sort des droits
de vote double détenus par l'Etat du fait de sa participation au capital
de Dassault Aviation.
En réponse,
M. Yvon Collin, rapporteur spécial
, a
remercié le rapporteur général de son intervention,
estimant qu'elle confortait la réflexion entreprise. Il a souscrit
à l'objectif d'approfondir les divers éléments d'un
dossier complexe sur lequel la commission des finances a pour vocation
d'éclairer le Sénat, mais aussi peut-être le Gouvernement,
en particulier sous l'angle de la défense des intérêts
patrimoniaux de l'Etat.
Mme Maryse Bergé-Lavigne
, ayant déclaré qu'elle
n'avait pas, à ce stade, d'objection sur le fond de la communication du
rapporteur spécial, a souligné la difficulté de se former
une opinion tranchée sur le montage à venir. Ayant estimé
que le jeu des différents acteurs de ce dossier ne devait pas conduire
à l'affolement, elle a dit son accord sur le volet financier de la
communication mais a souhaité que l'aspect industriel du dossier soit
étudié avec beaucoup de vigilance. Elle s'est en particulier
demandé si les savoir-faire technologiques d'Aérospatiale ne
garantissaient pas cette entreprise contre des initiatives susceptibles de la
marginaliser. Elle a enfin souligné qu'une alliance partielle de
quelques industriels jouerait contre l'Europe.
En réponse,
M. Yvon Collin, rapporteur spécial
, a
abondé dans le sens des observations faites sur l'importance du
patrimoine technologique d'Aérospatiale. Il a toutefois souligné
qu'au regard de la composante financière du processus en cours, notre
entreprise ne réunissait pas encore les meilleures conditions d'un
succès durable. Il a jugé que la perspective d'un rapprochement
entre les autres industriels européens devait être
considérée avec le plus grand sérieux. Il a ajouté
que cette considération, en même temps que la
nécessité politique de promouvoir la constitution d'une
entreprise aéronautique européenne, supposait de la part du
Gouvernement d'annoncer et de mettre en oeuvre les mesures nécessaires
et simples pour, dans le respect des intérêts nationaux,
participer activement au succès d'un projet réellement
européen.
Mme Marie-Claude Beaudeau, vice-président
, a souhaité
que, dans l'avenir, le rapporteur spécial puisse poursuivre ses
investigations afin de présenter tous les enjeux de la restructuration
de l'industrie aéronautique en Europe, notamment au plan social.
En réponse,
M. Yvon Collin, rapporteur spécial
, a
indiqué que telle était bien son intention et qu'il avait pris la
précaution de préciser que son intervention du jour était
centrée sur le processus de "structuration" plutôt que sur celui
de "restructuration" qui, à l'évidence, en dépendait, mais
devait faire l'objet de travaux complémentaires. Il a, à ce
propos, rappelé que des enseignements très intéressants
pourraient être tirés de l'expérience résultant de
la fusion entre Boeing et Mc Donnell-Douglas.
La commission a alors
donné acte de sa communication au rapporteur
spécial.
Au cours d'une réunion ultérieure tenue le jeudi
19 novembre 1998, la commission a décidé d'
adopter le
budget annexe de l'aviation civile.