III. LA NÉCESSITÉ D'UNE RÉVISION CONSTITUTIONNELLE ET L'ÉCONOMIE DU PROJET DE LOI
A. LA NÉCESSITÉ DE RÉVISER LA CONSTITUTION
La mise
en oeuvre des dispositions figurant dans le document d'orientation de l'accord
de Nouméa appelle une révision de la Constitution : certaines de
ces orientations entrent en effet en contradiction avec des principes de valeur
constitutionnelle.
L'accord de Nouméa prévoit la naissance d'une collectivité
territoriale d'un type nouveau, au statut évolutif. Si cette seule
novation n'exigeait pas une révision constitutionnelle dans la mesure
où l'article 72 de la Constitution du 4 octobre 1958 donne
compétence à la loi pour créer toute collectivité
territoriale qui ne serait ni une commune, ni un département, ni un
territoire d'outre-mer, plusieurs dispositions de l'accord comportent des
dérogations à des principes à valeur constitutionnelle :
• l'accord stipule que les
transferts de compétence
intervenant tout au long de la période de quinze ans ont un
caractère irréversible
.
Ce principe d'irréversibilité consacre le désaisissement
du législateur national, l'accord indiquant que le Congrès de la
Nouvelle-Calédonie, à la majorité des trois
cinquièmes, pourra demander à modifier l'échéancier
des transferts prévu par la loi organique définissant le nouveau
statut. Or, les collectivités territoriales ne disposent pas, à
l'instar de l'État, d'un pouvoir normatif initial et autonome
insusceptibles de toute remise en cause. Aux termes de la jurisprudence du
Conseil constitutionnel, le législateur peut à tout moment se
substituer à l'autorité délibérante locale. Tel ne
sera plus le cas pour la Nouvelle-Calédonie puisque non seulement les
compétences transférées le seront de façon
définitive mais également
certaines
délibérations du Congrès ne pourront être
contestées que devant le Conseil constitutionnel
qui, à ce
jour, est juge des lois votées par le Parlement.
Ces orientations consacrant un domaine de compétences propre et
insusceptible d'être remis en cause ainsi qu'un pouvoir normatif autonome
au bénéfice de l'autorité délibérante
calédonienne se heurte à l'article premier de la Constitution
proclamant le
caractère indivisible de la République
.
• L'accord prévoit la reconnaissance d'une
citoyenneté
propre
de la Nouvelle-Calédonie "
fondant les restrictions
apportées au
corps électoral
pour les élections aux
institutions du pays et pour la consultation finale
",
c'est-à-dire le scrutin d'autodétermination.
Qu'il s'agisse des élections aux assemblées de province ou au
Congrès de la Nouvelle-Calédonie ou de la consultation
référendaire sur l'accession à la souveraineté
devant intervenir à l'issue de la période d'application de
l'accord de Nouméa, les conditions d'accès au droit de suffrage
sont définies de telle façon que cet accès soit
réservé aux habitants, au sens large, de la
Nouvelle-Calédonie. Or, la définition d'un corps électoral
restreint
déroge à l'article 3 de la Constitution
dont le
quatrième alinéa dispose que "
sont électeurs,
dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux
français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et
politiques
".
• Il est enfin admis d'une part, que des mécanismes
spécifiques pourront être mis en place pour
préserver
l'emploi local
, et d'autre part, que le bénéfice du statut
coutumier sera à nouveau ouvert aux personnes qui l'auraient perdu.
Les mesures restrictives de la liberté d'établissement et
privilégiant les habitants de la Nouvelle-Calédonie pour
l'accès à l'emploi local introduisant une discrimination au
détriment des autres citoyens français et étant
en
contradiction avec le principe d'égalité
, il paraissait
nécessaire d'inscrire expressément cette dérogation dans
la Constitution.
Concernant le retour au statut civil particulier, dénommé dans
l'accord de Nouméa "
statut coutumier
", il est
contraire à l'esprit, sinon à la lettre, de l'article 75 de la
Constitution et à l'application qu'ont pu en faire les tribunaux pour
refuser à certains demandeurs relevant du statut civil de droit commun
le bénéfice de ce statut coutumier.