EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi constitutionnelle relatif à la Nouvelle-Calédonie aujourd'hui soumis à votre examen a été adopté par l'Assemblée nationale en première lecture le 17 juin 1998.

Ce texte constitue la première étape de la traduction dans notre ordonnancement juridique de l'accord de Nouméa conclu le 21 avril 1998 et signé par l'ensemble des partenaires le 5 mai 1998 dont la mise en oeuvre sera assurée par l'adoption d'une loi organique fixant le statut de la Nouvelle-Calédonie pour une période d'au moins quinze ans.

Conformément à la tradition selon laquelle votre commission des Lois effectue une mission d'information lorsqu'un projet de révision statutaire lui est soumis, une délégation constituée de six de ses membres et conduite par M. le Président Jacques Larché s'est rendue sur le territoire du 10 au 13 juin 1998 (( * )1) . Le programme (( * )2) de ce bref séjour de trois jours et demi fut particulièrement dense : la délégation a pu rencontrer les principaux responsables politiques, économiques et coutumiers locaux au cours d'une vingtaine d'entretiens et effectuer un déplacement dans chacune des trois provinces.

Le sentiment unanime exprimé par l'ensemble des interlocuteurs fut celui d'un grand soulagement à la suite de la conclusion de l'accord de Nouméa : ce terme de " soulagement " est revenu comme un leitmotiv au cours des discussions, illustrant a posteriori la difficulté du chemin parcouru pour aboutir à une solution consensuelle sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, souhaitée par tous.

Les responsables politiques rencontrés ont indiqué à la délégation qu'ils s'attelaient désormais à un travail d'information pour faire connaître à la population locale le contenu de l'accord conclu, en soulignant que, contrairement aux accords de Matignon ayant en 1988 suscité des réactions d'hostilité, l'accord de Nouméa rencontrait l'assentiment des ressortissants calédoniens en dépit de quelques marques d'impatience manifestées en particulier par les jeunes générations critiquant la durée de la période transitoire définie. Tous se sont accordés à reconnaître que les accords de Matignon, signés à Paris le 26 juin 1988, avaient ouvert pendant dix ans une période de paix civile et de stabilité pour la Nouvelle-Calédonie dont il était possible aujourd'hui de récolter les fruits.

Au-delà des discussions relatives au projet de loi constitutionnelle révélant un sentiment de satisfaction, la délégation a pu constater que l'euphorie du début du mois de mai liée à l'aboutissement des négociations était déjà retombée pour laisser place à un certain nombre d'interrogations auxquelles la loi organique mettant en oeuvre les orientations de l'accord devra répondre.

Ces interrogations portent pour l'essentiel sur les points suivants :

- la conciliation au sein des futures institutions de l'autorité coutumière et du pouvoir politique : l'élaboration d'un dispositif cohérent sera d'autant plus délicat que la portée de l'autorité coutumière varie selon les provinces, les interférences entre celle-ci et l'exercice du pouvoir politique étant particulièrement importantes dans la Province des Iles bien que les sources de légitimité soient fondamentalement différentes.

Du point de vue du droit applicable, statut civil de droit commun et statut civil coutumier devront pouvoir cohabiter sans compromettre la stabilité des situations juridiques et dans le respect des garanties dues à chaque individu. De même, la définition du régime foncier devra s'attacher à concilier droit coutumier et droit commun pour éviter l'insécurité juridique et ne pas freiner le développement des investissements nécessaires au rééquilibrage économique.

- le maintien d'un équilibre des pouvoirs dans le respect de l'identité provinciale : la réalité provinciale constituant une donnée essentielle du paysage politique calédonien, le nouveau dispositif statutaire devra veiller à préserver les prérogatives des trois provinces créées par la loi référendaire du 9 novembre 1988.

- l'adoption de mesures permettant la poursuite de l'effort de rééquilibrage dans le prolongement de la mise en oeuvre des accords de Matignon : les responsables politiques rencontrés ont fréquemment regretté qu'aucune mention relative aux clés de répartition des ressources entre le territoire, ou plutôt la nouvelle entité créée, et les provinces ne figure dans le document d'orientation de l'accord de Nouméa.

Le point 4.2.1 de cet accord se contente en effet de stipuler que " des contrats de développement pluriannuels seront conclus avec l'État. Ils pourront concerner la Nouvelle-Calédonie, les provinces et les communes et tendront à accroître l'autonomie et la diversification économiques " . En dépit du caractère laconique de ce texte sur les moyens à mettre en oeuvre pour poursuivre le rééquilibrage amorcé, des garanties en la matière devront figurer dans le nouveau statut.

En effet, l'effort engagé au cours des dix dernières années s'est appuyé sur un ensemble d'instruments novateurs tels que la création des provinces, l'instauration d'une péréquation de la ressource fiscale et budgétaire, la mise en oeuvre de contrats de développement entre l'État, le territoire et les provinces, la conclusion du contrat de ville de Nouméa et la mise en place de structures telles que l'Agence de développement rural et d'aménagement foncier (A.D.R.A.F.), l'Institut calédonien de participation (I.C.A.P.) ou l'Agence de développement économique de la Nouvelle-Calédonie (A.D.E.C.A.L.).

A l'instar du constat dressé par le rapport d'information établi à la suite de la mission effectuée par votre commission de Finances au mois de septembre 1996, votre commission des Lois se félicite du chemin parcouru depuis 1988 en matière de développement des infrastructures publiques et de niveau d'instruction de la population, même si l'objectif de rééquilibrage économique n'est pas encore atteint.

Enfin, les personnalités rencontrées ont observé que les longs mois de négociation et d'incertitude avaient plongé l'économie calédonienne dans une situation d'attentisme et que, si à la suite de la conclusion de l'accord de Nouméa un frémissement était perceptible, le redémarrage ne pourrait devenir effectif que lorsque la Nouvelle-Calédonie connaîtrait définitivement son sort, c'est-à-dire lorsque le nouveau statut serait adopté. C'est pourquoi votre commission des Lois invite le Gouvernement à saisir le Parlement du projet de loi organique dès que l'accord aura été approuvé par la consultation référendaire locale devant intervenir avant la fin de l'année.

Pour l'heure, se félicitant de l'accord conclu à Nouméa après un cheminement laborieux, elle exprime le souhait que la révision constitutionnelle relative à la Nouvelle-Calédonie soit adoptée dans les meilleurs délais.

I. UN CHEMINEMENT DIFFICILE JUSQU'À LA SOLUTION CONSENSUELLE

La durée d'application des accords de Matignon ayant été fixée à dix ans (( * )1) , M. Jacques Lafleur, président du RPCR, a proposé dès le printemps 1991 la recherche d'une " solution consensuelle " qui permettrait d'éviter un " référendum couperet ".

Ce n'est ensuite qu'en décembre 1995 que M. Roch Wamytan, nouveau président du FLNKS, et M. Jacques Lafleur ont présenté leurs projets institutionnels respectifs, le FLNKS prônant la mise en place d'un pays indépendant, la Kanaky, dès 1998, le RPCR étant favorable à une " émancipation dans l'appartenance à la France ".

La première réunion tripartite sur l'évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie s'est tenue le 15 février 1996 mais, dès le 19 avril 1996, le FLNKS suspendait les négociations, trois de ses quatre composantes posant comme préalable à la reprise des discussions la définition d'une solution permettant de garantir l'accès à la ressource minière pour la construction d'une usine de traitement du nickel en Province nord. Ce " préalable minier " a provoqué la suspension des négociations pendant près de deux ans.

Le processus d'élaboration d'un accord fut laborieux malgré le vote unanime du Congrès, en novembre 1996, en faveur de la création de l'usine du nord par la société SMSP (société minière du sud Pacifique) en partenariat avec la société canadienne Falconbridge. La viabilité du projet était en effet subordonnée à la réalisation d'un échange de massifs miniers entre la SMSP et la société Eramet dont est filiale la SLN (société Le Nickel) qui exploite l'usine métallurgique de la province sud implantée à Doniambo, près de Nouméa. Les dirigeants d'Eramet, soucieux de préserver les intérêts de ses actionnaires minoritaires et en dépit des pressions exercées par les autorités gouvernementales françaises, se montrant réticentes, le Premier ministre, M. Lionel Jospin a été conduit, au mois de juillet 1997, à confier à un médiateur, M. Philippe Essig, la mission de procéder à une évaluation des perspectives économiques et industrielles du projet de construction d'une usine en province nord. Après avoir élaboré un rapport d'étape, rendu public le 20 septembre, considérant comme " crédible " le projet présenté par la SMSP, M. Philippe Essig a remis le 1er novembre 1997 son rapport définitif préconisant une solution d'échange minier et de création d'une usine dans le nord.

Des tensions sont alors apparues au sein du FLNKS, certains de ses membres entrant en dissidence en réfutant le préalable minier pour créer le 26 décembre 1997 un " comité de coordination indépendantiste " (CCI) destiné à reprendre les discussions politiques avec le RPCR sur l'avenir politique du territoire. Dans le même temps, le FLNKS, condamnant vigoureusement cette initiative, entreprenait des actions sur le terrain en organisant des barrages routiers et menaçait de se retirer du dossier minier si aucun accord n'intervenait avant la fin du mois de janvier. Pour répondre à cette exigence, un protocole d'accord prévoyant l'échange des massifs miniers de Koniambo et de Poum entre les sociétés Eramet et SMSP était enfin signé le 1er février 1998 au ministère de l'Économie et des Finances, ces accords de Bercy permettant la reprise des discussions politiques sur l'avenir institutionnel du territoire.

Le 14 février 1998, lors de son dix septième congrès, reporté à plusieurs reprises, le FLNKS réaffirmait la volonté du mouvement indépendantiste " de faire aboutir par la négociation son projet d'État associé avec la France en 1998 ".

Suspendues depuis le mois d'avril 1996, les négociations politiques ont en définitive pu reprendre le 24 février 1998, une réunion à Paris étant organisée à l'invitation conjointe du Premier ministre et du secrétaire d'État à l'outre-mer afin de dresser un bilan des accords de Matignon et de déterminer un calendrier et une méthode de travail. Les partenaires ont reconnu le avancées enregistrées depuis dix ans en matière économique et sociale et dans le domaine de l'enseignement tout en observant qu'une ample tâche restait à accomplir.

Le FLNKS a alors formulé trois souhaits : le règlement du contentieux colonial, la mise en place d'institutions permettant aux Calédoniens de prendre progressivement en main leur destinée et la définition de nouveaux liens de partenariat avec la France dans le cadre d'un État associé. Le RPCR rejetant ce concept d'association, les délégations se sont séparées en formulant le souhait qu'un accord puisse être trouvé pour le 4 mai 1998, date prévue pour l'inauguration du Centre culturel Jean-Marie Tjibaou.

Le Gouvernement s'étant officiellement engagé à discuter avec le FLNKS du contentieux colonial sans que cette question puisse constituer un nouveau préalable, il a été décidé que les discussions reprendraient à Nouméa au mois de mars pour se poursuivre ensuite à Paris.

MM. Alain Chrisnacht, conseiller auprès du Premier ministre pour l'outre-mer, et Thierry Lataste, directeur de cabinet du secrétaire d'État à l'outre-mer se sont ainsi rendus en Nouvelle-Calédonie à la fin du mois de mars pour préparer la reprise des discussions tripartites. A Paris, début avril, les trois partenaires des accords de Matignon ont réaffirmé leur volonté de parvenir, dans le respect du calendrier fixé, à une solution négociée. Les discussions ayant buté à Paris sur la question de la durée du statut devant succéder à celui défini par la loi référendaire du 9 novembre 1998, elles ont repris à Nouméa le 15 avril.

Après une dernière semaine au cours de laquelle les négociations et la mise au point d'un texte se sont déroulées dans le plus grand secret, l'accord de Nouméa a en définitive été conclu le 21 avril. Il a été signé le 5 mai par l'ensemble des partenaires, le Premier ministre étant arrivé en Nouvelle-Calédonie le 4 mai pour l'inauguration du Centre culturel Jean-Marie Tjibaou. L'accord a été publié au Journal officiel du 27 mai 1998 (( * )1) .

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