B. LES DIFFICULTÉS FINANCIÈRES DU SECTEUR CONCÉDÉ : VÉRITÉ OU ERREURS
L'obstacle majeur à l'achèvement du programme
autoroutier serait la situation financière des sociétés
concessionnaires d'autoroutes.
Les travaux de la commission d'enquête n'ont cependant pas
établi que le système concédé fût
déséquilibré sur un plan global.
Certaines sociétés sont certes en graves difficultés, et
des dysfonctionnements manifestes existent, ainsi que l'a établi la Cour
des comptes. La tutelle du système est ici en cause.
Mais on ne peut
à la fois ponctionner 30 % des recettes de péages, affirmer
que les facilités financières du système favorisent la
construction d'équipements non rentables et prétendre que le
système est au bord de la faillite
.
1. Un système globalement équilibré
L'équilibre global du système peut se
déduire
du niveau moyen de trafic sur l'ensemble du réseau autoroutier
concédé. En effet, le trafic moyen, de 25.000
véhicules/jour sur le réseau, couvre quatre à
cinq fois les dépenses d'exploitation courantes et permet le
remboursement des emprunts. Par conséquent, si certaines sections sont
rentables et d'autres pas, globalement, le système est
équilibré.
Cette considération intuitive est vérifiée par l'analyse
de la situation financière du système autoroutier.
a) L'équilibre global des sociétés concessionnaires
Le
secteur autoroutier concédé est certes endetté de
près de six fois son chiffre d'affaires, et les perspectives à
programme inchangé démontrent une progression très rapide
de cet endettement dans les années à venir.
Fin 1996, l'endettement de l'ensemble des sociétés
s'élève à 130 milliards de francs. Fin 1997, pour les
seules sociétés d'économie mixte, l'endettement atteint
120,5 milliards de francs. En comptant les intérêts, la dette
totale (Cofiroute compris) s'élève à 202,5 milliards de
francs selon la Cour des comptes.
Au terme des contrats de plan actuellement en cours (2002), la dette des six
principales SEM s'élèverait à 160 milliards de francs.
Toutefois, dans l'hypothèse la plus défavorable, celle où
la taxe d'aménagement du territoire alimentant le fonds d'investissement
des transports terrestres et des voies navigables n'aurait pas
été compensée par les tarifs de péage (ce qui n'a
pas été la solution retenue), l'endettement des SEM atteindrait
192 milliards de francs en 2005, et décroîtrait ensuite.
Endettement des SEM
Malgré le poids très important de leur endettement, la situation financière des sociétés concessionnaires d'autoroute n'est pas assimilable à celle de la SNCF, car la structure de leur compte d'exploitation est très différente. Seule les charges de construction sont réellement importantes. Les autres charges, en particulier le fonctionnement et le personnel sont proportionnellement très faibles.
Tableau des flux financiers 1997 des
sociétés
d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes
(millions de francs)
Excédent brut d'exploitation |
14 368 |
Excédent de trésorerie d'exploitation |
13 888 |
Disponible après emplois obligatoires |
184 |
Investissements |
16 442 |
Besoin de financement après investissements |
- 17 812 |
Emprunts nouveaux |
17 733 |
Trésorerie nette au 31/12 |
+ 95 |
Dette MLT au 31/12 |
133 739 |
Source : Direction des routes
Ainsi, pour un chiffre d'affaires de 23,7 milliards de francs en 1997, les
sociétés d'économie mixte dégagent un
excédent brut d'exploitation de 14,4 milliards de francs, et une
capacité d'autofinancement de 6,3 milliards de francs. Par comparaison,
la SNCF a réalisé un excédent brut d'exploitation de
6,7 milliards de francs pour un chiffre d'affaires de 74,2 milliards
de francs. Par ailleurs, alors que les contribuables doivent réaliser un
effort annuel de l'ordre de 60 milliards de francs pour les chemins de fer
(SNCF et RFF), les sociétés d'autoroutes
rétrocèdent chaque année environ 8 milliards de
francs à la collectivité.
Structure simplifiée du compte de résultat des sociétés d'autoroutes (1996)
Produits |
en milliards de francs |
en % |
Charges |
en milliards de francs |
en % |
Péages |
25,9 |
97 |
Construction |
11,9 |
46 |
Autres |
0,8 |
3 |
Exploitation |
4,7 |
18 |
|
|
|
Grosses réparations |
1,3 |
5 |
|
|
|
Impôts et taxes |
6,0 |
23 |
|
|
|
Rémanence de TVA sur la construction |
2,1 |
8 |
Source : ASFA
L'équilibre des concessions étant défini comme la
capacité à rembourser les dettes deux ans avant en fin des
concessions, les prévisions actuelles laissent penser que cet objectif
sera atteint d'une façon générale
48(
*
)
.
Jusqu'à maintenant, le péage a fait la preuve qu'il constitue un
système structurellement équilibré : il est capable de
rembourser la dette contractée pour financer la construction et de
dégager un résultat d'exploitation.
Sur la base d'hypothèses prudentes, à savoir une augmentation du
trafic de 1,5 % à 2,5 % par an selon les sociétés (il ne
faut plus compter sur des augmentations annuelles de 10 %) et une augmentation
des tarifs calquée sur l'inflation, l'ensemble du système peut
avoir remboursé sa dette en 2019. A condition toutefois qu'aucun
élément exogène ne viennent perturber cet équilibre
(taxes nouvelles, modifications des concessions, etc...).
Cette analyse a été confirmée lors de la dernière
réunion du conseil de direction du comité des investissements
à caractère économique et social (comité
spécialisé autoroutes, le 27 octobre 1997). Il y fut
confirmé le caractère globalement tenable de la situation
financière du système, mais avec des contrastes par
sociétés :
Le ratio des dettes rapportées à la capacité
d'autofinancement, qui mesure la capacité d'endettement des
sociétés, s'établit à 21,4 pour l'ensemble du
secteur, ce qui reste admissible, compte tenu de la spécificité
de la structure financière des sociétés concessionnaires
qui doit s'apprécier sur une longue durée. Ce ratio est à
comparer à la durée résiduelle des concessions.
Là encore, la situation apparaît contrastée selon les
sociétés, certaines devant recourir massivement à
l'emprunt, telles que la SAPN, la SFTRF et, dans une moindre mesure, la SAPRR.
Le ratio des frais financiers rapportés à la marge
dégagée par le cycle d'exploitation, qui mesure le poids de la
structure financière dans l'activité des sociétés
concessionnaires, reste élevé (...). L'examen de ce ratio par
société confirme la situation tendue de la SAPN et, dans une
moindre mesure, de la SAPRR et d'AREA.
La réalisation à terme de l'équilibre repose sur
l'acceptation par les usagers du paiement d'un péage, non plus seulement
destiné à amortir la construction, mais aussi à financer
le service rendu sur les sections concédées. Cette acceptation
est aujourd'hui acquise : le chiffre d'affaires croissant des
différentes sociétés montre que les voyageurs et
transporteurs acceptent de payer pour utiliser des sections amorties, alors
qu'il ont toujours le choix d'emprunter des voies gratuites.
Il est donc impératif de maintenir l'attrait de cette clientèle
non captive pour parvenir à achever le maillage autoroutier du
territoire.
b) La nécessité de tenir compte des bénéfices externes retirés par la collectivité
Du point
de vue de l'équilibre financier pur, la commission d'enquête ne
s'est pas vu confirmer que le système autoroutier concédé
fût hors d'état d'achever le schéma directeur.
Mais elle considère en outre qu'il est nécessaire de tenir
davantage compte de la rentabilité socio-économique, et non de la
seule rentabilité financière, dans des choix d'infrastructures
qui restent des choix de service public et d'aménagement du
territoire.
Ce critère était recommandé par le rapport
du Commissariat général du plan de 1996
49(
*
)
.
Or il semble que le Gouvernement fasse actuellement plus de cas de la seule
rentabilité financière que de l'ensemble des retombées
socio-économiques, notamment la desserte du territoire, l'impact sur le
développement économique régional, et le trafic
international.
Parmi ces gains pour la collectivité, quantifiables en termes
financiers, il en est un particulièrement appréciable :
l'amélioration de la sécurité routière. L'autoroute
est quatre fois plus sûre que la route. La direction de la
sécurité et de la circulation routières a estimé le
coût pour la collectivité des accidents et des tués de la
route. Il faut aussi en tenir compte.
Coût d'un tué pour la collectivité
Pays |
Coût en millions de francs |
Royaume-Uni |
7,8 |
Allemagne |
4,7 |
Danemark |
3,7 |
France |
3,4 |
Belgique |
3,0 |
Portugal |
2,8 |
Luxembourg |
2,6 |
Espagne |
1,4 |
Pays-Bas |
0,8 |
Source : DSCR
Ainsi, lorsqu'on remplace une 2 x 2 voies classique sur laquelle vingt
personnes meurent chaque année, non seulement le nombre de tués
passe à huit, mais ce bon résultat s'accompagne d'un gain de
41 millions de francs pour la collectivité.
c) Deux discours contradictoires
Le
rapport du commissariat au plan précédemment cité,
publié il y a deux ans à peine, et qui réunissait tout
l'aréopage administratif concerné par les infrastructures,
notamment autoroutières, s'inquiétait que la facilité
financière permise par le recours à la concession n'occasionne la
multiplication d'autoroutes non rentables
50(
*
)
.
La commission d'enquête peut prendre acte de ce risque, tout en
considérant pour sa part qu'il n'y a pas lieu de renoncer à un
système de cette nature lorsque l'aménagement du territoire,
objectif d'intérêt général, peut justifier qu'il
soit fait recours à cette facilité .
Mais en tout état de cause, on ne peut tenir deux discours
contradictoires.
On ne peut à la fois dire que les
sociétés autoroutières sont surendettées et
incapables de faire face à leur programme d'une part, et que le recours
à la concession est d'une telle facilité financière qu'il
permettrait de construire des autoroutes n'importe où
.