EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Le projet de loi d'orientation relatif à la lutte contre les exclusions
aujourd'hui soumis à votre examen a été adopté par
l'Assemblée nationale le 20 mai dernier.
Ce texte, constitué à l'origine de quatre-vingt deux articles, en
contient désormais plus de cent trente et touche à des domaines
du droit très divers, ce qui a conduit, outre le renvoi au fond à
la commission des Affaires sociales, quatre commissions du Sénat
à se saisir pour avis.
L'objectif poursuivi par l'ensemble du dispositif est de renforcer la
cohésion de la communauté nationale en luttant contre les
phénomènes d'exclusion. A cet égard, le présent
texte prend le relais du projet de loi d'orientation relatif au renforcement de
la cohésion sociale déposé sur le bureau de
l'Assemblée nationale par le précédent Gouvernement dont
il s'inspire largement, certaines dispositions y étant purement et
simplement reproduites.
Ce projet de loi s'inscrit dans un programme d'action gouvernemental qui
s'articule autour de quatre orientations :
- garantir l'accès aux droits fondamentaux que sont le droit à
l'emploi, le droit du logement, l'accès aux soins pour tous,
l'accès à l'éducation et à la culture ;
- prévenir les exclusions, en particulier en améliorant la
procédure de traitement du surendettement, en prévenant
l'exclusion par le logement, en garantissant les moyens d'existence des plus
démunis, en combattant l'illettrisme et en permettant à chacun
d'exercer sa citoyenneté ;
- améliorer l'efficacité des réponses aux situations
d'urgence ;
- renforcer la coordination des actions et des moyens de la lutte contre les
exclusions.
La structure du projet de loi se conforme à ces orientations dont la
dernière est traitée de façon transversale dans ce texte.
Sur le premier volet consacré à l'accès aux droits
fondamentaux, votre commission des Lois est saisie de l'article 31, qui
instaure un nouveau régime de réquisition de logements, et de
trois articles relatifs à l'exercice des droits civiques et de la
citoyenneté (article 40 : inscription des personnes sans
domicile fixe sur les listes électorales ; article 41 :
accès de ces mêmes personnes à l'aide juridictionnelle ;
article 41 bis : information des personnes
incarcérées sur leurs droits sociaux).
Au titre II relatif à la prévention des exclusions, votre
commission des Lois est chargée d'examiner, conjointement avec la
commission des Finances, des dispositions qui modifient et adaptent la
procédure de traitement des situations de surendettement des
particuliers (articles 42 à 52 quater). Elle est
également saisie : des articles 53 A à 56 relatifs
à la procédure de saisie immobilière ; de
l'article 57 qui, en matière de procédures collectives,
permet au débiteur dont la dette est éteinte du fait d'une
absence de déclaration de créance ou à celui qui
bénéficie de la suspension des poursuites liées à
la clôture de la liquidation judiciaire de recouvrer le droit
d'émettre des chèques ; des articles 58, 59 et 61
à 63 bis relatifs aux procédures d'expulsion ; de
l'article 65 qui crée une peine de confiscation du fonds de
commerce à l'encontre des marchands de sommeil ; et de
l'article 73 relatif au droit au compte bancaire.
Votre commission des Lois n'est en revanche saisie d'aucun article au
titre III concernant les institutions sociales.
Sur les dispositions du projet de loi dont elle est saisie et, plus
généralement sur l'ensemble du texte, votre commission des Lois a
observé qu'à de nombreuses reprises le terme
" préfet " était utilisé pour désigner le
représentant de l'Etat dans le département. Or, c'est cette
dernière expression qu'il convient de retenir. C'est pourquoi votre
commission des Affaires sociales vous proposera un " amendement
balai " pour substituer dans l'ensemble du projet de loi l'expression
" représentant de l'Etat dans le département " au mot
" préfet ".
Le champ défini comme relevant de la compétence de votre
commission s'organise essentiellement autour de quatre thèmes
principaux
(surendettement, réquisition, expulsion, saisie
immobilière) qui, à l'exception du premier, sont très
liés au droit au logement et touchent de près au droit de
propriété.
En ce qui concerne
la procédure de traitement des situations de
surendettement
, mise en place par la loi du
31 décembre 1989 modifiée en 1995, le dispositif
proposé s'inspire très largement des orientations définies
par le rapport d'information du groupe de travail sénatorial
élaboré, au nom de la commission des Lois et de la commission des
Finances, par MM. Jean-Jacques Hyest et Paul Loridant. Partant du constat
d'un changement de nature du phénomène du surendettement dû
au développement de la précarité, ce rapport concluait
à la nécessité d'adapter la procédure existante aux
situations les plus désespérées en préconisant
l'instauration d'une phase de moratoire suivie, le cas échéant,
d'un effacement des dettes en l'absence de retour à meilleure fortune du
débiteur.
Conformément à ces orientations, le projet de loi dote les
commissions de surendettement et le juge de l'exécution, chargé
de trancher les contestations et de conférer force exécutoire aux
recommandations des commissions, des nouveaux instruments que constituent le
moratoire, permettant de " geler " la situation pendant une
période déterminée qui ne peut excéder trois ans,
et la possibilité, à l'issue de ce moratoire, de décider
la réduction ou l'effacement des dettes. Afin d'éviter la
déresponsabilisation des débiteurs, il est prévu que
ceux-ci feront l'objet d'une inscription au fichier des incidents de paiement
(FICP) dès la déclaration de recevabilité de leur dossier
par la commission et pendant toute la durée d'exécution des
mesures d'apurement de la dette, cette durée étant fixée
à huit ans en cas d'effacement. Par ailleurs, tout débiteur ayant
bénéficié d'une mesure d'effacement ne pourra, au cours
des huit années suivantes, en bénéficier à nouveau
s'il est éligible une seconde fois à la procédure de
traitement du surendettement pendant cette période.
En dehors de cette innovation tout à fait essentielle, qui devrait
permettre de répondre aux situations les plus
désespérées et éviter la saturation des commissions
de surendettement aujourd'hui amenées à réexaminer
périodiquement des dossiers pour lesquels l'insolvabilité
caractérisée du débiteur surendetté empêche
toute solution, le projet de loi propose d'aménager le dispositif
existant pour en améliorer l'efficacité.
Ainsi la
composition de la commission de surendettement
est-elle
modifiée afin d'améliorer la coordination entre les
différents acteurs. Y siège désormais le directeur des
services fiscaux qui, mieux informé des situations individuelles, pourra
en toute connaissance de cause procéder à des remises gracieuses.
L'Assemblée nationale a par ailleurs ajouté un membre du fonds de
solidarité pour le logement (FSL) représentant les locataires :
si l'adjonction d'un représentant du FSL, organisme contributeur qui
joue un rôle clé pour attribuer des aides dans les situations
difficiles, semble opportune, il n'y a en revanche pas lieu de restreindre
cette représentation aux seuls locataires, ce qui consacrerait une
disparité de traitement avec les accédants à la
propriété surendettés. Votre commission vous proposera en
outre d'adjoindre un représentant des services sociaux du
département désigné par le Président du conseil
général, qui siégera avec voix consultative et pourra
effectuer un suivi individualisé des dossiers. Cet ajout paraît
nécessaire puisque le département est compétent en
matière d'action sociale. C'est cependant avec raison que la
présence du Président du conseil général
lui-même au sein de la commission, simple instance administrative, a
été rejetée par l'Assemblée nationale.
Concernant
la définition du " reste à vivre ",
c'est-à-dire le montant des ressources nécessaire au
règlement des dépenses de la vie courante du débiteur, le
projet de loi, soucieux de remédier aux disparités de traitement
constatées entre départements, proposait un mécanisme
permettant une meilleure harmonisation se référant à la
quotité saisissable définie par le code du travail.
L'Assemblée nationale a estimé que la fraction de ressources
laissée à la disposition du débiteur ne devait pas
être inférieure au revenu minimum d'insertion (RMI). Votre
commission vous proposera de revenir sur cet ajout qui pourrait constituer une
incitation au surendettement pour l'ensemble des bénéficiaires du
RMI, ce qui est en contradiction avec l'objectif tendant à renforcer la
prévention.
Enfin, si l'Assemblée nationale a adopté plusieurs modifications
tendant à améliorer l'information de
la caution
lorsque le
débiteur principal fait l'objet d'une procédure devant la
commission de surendettement, la disposition qu'elle propose d'insérer
à l'article 2013 du code civil, tendant à exiger à
peine de nullité, dans tout contrat de cautionnement, la mention du
montant maximum pour lequel le cautionnement est consenti, doit être
rejetée. En effet, cela concernerait à la fois les cautions
personnes physiques et les personnes morales ainsi que les cautionnements
à titre onéreux et à titre gratuit, ce qui excède
de beaucoup l'objectif poursuivi qui est en réalité de
protéger les cautions familiales. Forfaitiser le cautionnement
reviendrait en pratique à lui dénier toute valeur de
sûreté et conduirait inéluctablement à la
disparition des cautions familiales, les créanciers
préférant alors avoir recours à des garanties beaucoup
moins protectrices pour le codébiteur, telles que la garantie à
première demande.
Votre commission des Lois, afin de limiter la survenance des cas de
surendettement " par ricochet " résultant de la mise en oeuvre
du cautionnement, vous proposera un dispositif tendant à
améliorer la prévention de ce type de situation en exigeant une
information de la caution dès la première défaillance du
débiteur principal.
Le second volet dont votre commission des Lois est saisie touche au droit au
logement et, corrélativement au droit de propriété : il
est constitué de trois blocs de dispositions traitant de la
réquisition, de l'expulsion et de la saisie immobilière.
Sur ce dernier point, le projet de loi propose de revenir sur un
mécanisme mis en place, à l'initiative du Sénat, par la
loi du 23 janvier 1998 renforçant la protection des personnes
surendettées en cas de
saisie immobilière
. Il s'agit du
mécanisme au terme duquel, lors de l'audience d'adjudication, à
défaut d'enchères sur la mise à prix fixée par le
juge, il est procédé à la remise en vente sur baisses
successives, le cas échéant jusqu'au montant de la mise à
prix initiale fixée par le créancier poursuivant, alors
déclaré adjudicataire.
Le projet de loi propose de supprimer ce système et prévoit qu'en
l'absence d'enchères le créancier poursuivant sera
déclaré d'office adjudicataire au montant de la mise à
prix fixée par le juge.
Un tel dispositif, qui vise à éviter les ventes forcées
à vil prix, ne saurait pourtant être accueilli car il fait
endosser au créancier poursuivant un risque financier
considérable qui pourrait l'amener dans bien des cas à renoncer
à faire valoir ses droits. Cela aboutirait à créer une
sorte d'accès censitaire au droit d'exercer les poursuites
prévues par la loi, ce qui est tout à fait inacceptable et ne
saurait être compensé par le système des deux audiences
d'adjudication organisées à un mois d'intervalle en l'absence
d'enchères lors de la première, ni par la possibilité
ouverte au créancier déclaré adjudicataire d'office au
prix fixé par le juge de se faire substituer un autre
enchérisseur dans les deux mois suivant l'adjudication. Ces
aménagements constituent en effet des pis-aller qui ne suffisent pas
à réduire le risque pour le créancier poursuivant de se
retrouver dans une situation financière compromise alors qu'il
recherchait simplement, par les voies légales, à recouvrer son
dû. Le dispositif présente en outre l'inconvénient
d'allonger la procédure.
Pour toutes ces raisons, votre commission des Lois vous proposera la
suppression de ces dispositions, pour " laisser vivre " la loi du
23 janvier 1998 dont il conviendrait de procéder à
l'évaluation lorsque sera présentée la réforme
d'ensemble des procédures d'exécution depuis longtemps
annoncée.
Les deux autres blocs de dispositions dont votre commission des Lois est
saisie, relatifs respectivement à la réquisition et aux
procédures d'expulsion, ont vocation à renforcer le droit au
logement.
Est ainsi instauré un nouveau régime de la réquisition dit
"
réquisition avec attributaire
".
Le dispositif retenu figurait à l'identique dans le projet de loi
d'orientation relatif au renforcement de la cohésion sociale. Cependant,
instrument permettant jusqu'à présent de remédier,
à titre exceptionnel et temporaire, à une situation d'urgence, on
peut s'interroger sur le point de savoir si ce nouveau régime de la
réquisition ne consacre pas désormais un véritable mode de
gestion de la pénurie de logements sociaux dans chaque commune où
serait constaté un déséquilibre entre l'existence d'un
parc de locaux vacants et une demande de logements émanant de personnes
défavorisées. La logique de ce système qui fait intervenir
un intermédiaire, l'attributaire, chargé de donner à bail
des locaux réquisitionnés après avoir
procédé aux travaux nécessaires à leur mise aux
normes minimales de confort et d'habitabilité, lequel attributaire sera
très vraisemblablement le plus souvent un organisme d'HLM, tend in fine
à une " consolidation " des immeubles
réquisitionnés dans le parc social.
Par ailleurs, les conditions de mise en oeuvre de la réquisition
prévues par le texte semblent bien peu respectueuses du droit de
propriété dont la valeur est pourtant solennellement
consacrée de longue date.
Rappelons qu'aux termes de l'article 17 de la Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, "
la
propriété étant un droit inviolable et sacré, nul
ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la
nécessité publique, légalement constatée, l'exige
évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable
indemnité
", disposition dont le Conseil constitutionnel, dans
sa décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982, a
affirmé très clairement la portée constitutionnelle : les
principes mêmes énoncés par la Déclaration des
droits de l'homme ont pleine valeur constitutionnelle tant en ce qui concerne
"
le caractère fondamental du droit de propriété
dont la conservation constitue l'un des buts de la société
politique et qui est mis au même rang que la liberté, la
sûreté et la résistance à l'oppression, qu'en ce qui
concerne les garanties données aux titulaires de ce droit
".
Or, le nouveau régime de réquisition avec attributaire
privilégie nettement le droit au logement alors que "
la
possibilité pour toute personne de disposer d'un logement
décent
" ne constitue, selon la décision
n° 94-359 DC du Conseil constitutionnel en date du
19 janvier 1995, qu'un objectif à valeur constitutionnel. En
effet, la durée de la réquisition, en principe limitée
à six ans, peut aller, si les travaux à réaliser le
justifient, jusqu'à douze ans. Un droit de reprise n'est ouvert au
propriétaire, ou " titulaire du droit d'usage ", qu'au terme
d'un délai de neuf ans, c'est-à-dire, en pratique dans les cas
où la durée de la réquisition est fixée à
dix ans au moins. En outre, le projet de loi prévoit une simple
information du propriétaire sur les travaux qui seront
réalisés par l'attributaire, sans autre précision. Enfin,
le propriétaire ne peut prétendre à une remise en
état des lieux aux termes de la réquisition : ainsi, si les
locaux réquisitionnés étaient à usage de bureaux et
sont transformés en logements, ces locaux conservent leur affectation
initiale à l'issue de la réquisition mais, concernant leur remise
en état, seul un recours en indemnisation est ouvert au titulaire du
droit d'usage.
Ainsi peut-on se demander si avec un tel régime juridique la
réquisition ne devient pas une sorte d'
" expropriation
à durée déterminée sans indemnisation
préalable
".
Ces considérations auxquelles s'ajoute le caractère fort complexe
des mécanismes envisagés conduisent votre commission des Lois
à vous proposer
une phase d'expérimentation de cinq
années
au terme de laquelle il conviendra de procéder
à une évaluation avant de pérenniser, le cas
échéant, un tel système.
En vue de sa mise en oeuvre au cours de cette période, elle vous
proposera un certain nombre de modifications tendant à renforcer
l'information du titulaire du droit d'usage et le caractère
contradictoire de la procédure, à lui garantir qu'il n'aura pas
à faire l'avance des sommes nécessaires à la
réalisation des travaux, et à corriger des incohérences
dans le mécanisme de sortie de la réquisition. Concernant le
champ d'application de ce nouveau régime de la réquisition, qui
ne vise que les locaux détenus par des personnes morales, elle vous
proposera d'en exclure les SCI familiales, cette forme juridique étant
souvent utilisée comme un mode de gestion d'une indivision entre
personnes physiques. Celles-ci ne peuvent en effet être assimilées
à des personnes morales de la sphère institutionnelle.
Cet affaiblissement du droit de propriété au
bénéfice du droit au logement se vérifie également
à la lecture des dispositions relatives aux
procédures
d'expulsion
. Si les innovations proposées tendent à renforcer
en amont l'information des autorités, en particulier le préfet,
susceptibles de prévenir l'expulsion en mobilisant les aides auxquelles
l'intéressé est éligible, elles ont également pour
effet d'allonger substantiellement la procédure au détriment du
bailleur. Aussi votre commission des Lois vous proposera-t-elle, concernant la
procédure d'expulsion applicable aux logements du parc social, une
réduction des délais prévus. Par ailleurs, elle vous
proposera de revenir sur la disposition tendant à faire de la
formulation par le préfet d'une offre d'hébergement une condition
préalable à l'octroi du concours de la force publique pour
garantir la mise en oeuvre de la décision d'expulsion. Elle estime en
effet que cela reviendrait à pouvoir aisément tenir en
échec une décision juridictionnelle et priverait de toute
efficacité la procédure d'expulsion qui s'apparente
déjà bien souvent à un véritable marathon pour le
bailleur.
Modifiant un dispositif introduit dans le projet de loi par l'Assemblée
nationale pour organiser le transfert dans un nouveau logement du locataire,
installé dans un logement du parc social, qui occasionne de graves
troubles du voisinage, votre commission des Lois vous proposera enfin d'adopter
un dispositif permettant de rendre effective cette nouvelle attribution de
logement sous le contrôle du juge et instaurant une procédure de
résiliation de plein droit lorsque les troubles de voisinage sont
réitérés par le locataire attributaire du nouveau logement.
*
* *
Sous le bénéfice de l'ensemble de ces observations et des modifications qu'elle vous soumet, votre commission des Lois vous propose d'adopter les dispositions du projet de loi d'orientation relatif à la lutte contre les exclusions dont elle est saisie.