Article 75
Consécration législative du principe de
discrimination
positive en matière
d'éducation
I.
Commentaire du texte du projet de loi
En insérant un alinéa nouveau après le deuxième
alinéa de l'article 1er de la loi d'orientation sur
l'éducation du 10 juillet 1989, cet article consacre, sur un plan
général, le principe de discrimination positive en matière
d'éducation.
Il précise à cet effet que pour garantir le droit à
l'éducation, " la répartition des moyens du service public
de l'éducation tient compte des situations notamment en matière
économique et sociale ".
Cet article confère ainsi une base légale à la politique
menée en faveur des zones d'éducation prioritaires depuis 1982.
La politique des ZEP s'est en effet développée à partir de
1982, en s'appuyant notamment sur les circulaires n° 81.238 du 1er
juillet 1981 et n° 90.028 du 1er février 1990.
La loi d'orientation de 1989 a prévu pour sa part, dans son article 21,
que la répartition des emplois du service public de l'éducation
prenait en compte les contraintes spécifiques des zones d'environnement
social défavorisé et des zones d'habitat dispersé, afin de
réduire les inégalités constatées entre les
académies et entre les départements et de résorber les
écarts de taux de scolarisation en améliorant les conditions
d'encadrement des élèves.
Les limites de la notion de discrimination positive ont été
posées par le Conseil d'Etat et le Conseil constitutionnel.
Dans son rapport public pour 1996, le Conseil d'Etat constatait que " le
principe d'égalité n'atteint réellement son but que s'il
est aussi le vecteur de l'égalité des chances. Celle-ci doit
être promue plus activement pour enrayer l'aggravation des
inégalités économiques, sociales et culturelles. Une telle
action peut passer par une différenciation des droits, dès lors
que l'intérêt général résultant de l'objectif
de réduction des inégalités rend juridiquement possible
une dérogation raisonnable au principe d'égalité des
droits. "
Dans le même sens, le Conseil constitutionnel, dans ses décisions
n° 86-207 DC des 25-26 juin 1986 et n° 94-358 DC du 26
janvier 1995, autorise d'ores et déjà des discriminations
positives en matière économique et sociale, en particulier
s'agissant de la situation de certaines zones défavorisées, dans
le cadre d'une politique d'aménagement du territoire et dans un but
d'intérêt général.
Le service public de l'éducation apparaît donc fondé
à entreprendre une lutte contre les inégalités sociales en
répartissant d'une manière inégalitaire les moyens qui lui
sont affectés.
Passant de 362 à l'origine à 563 en 1997, les ZEP regroupent
aujourd'hui environ 1,2 million d'élèves, soit près de
10 % des effectifs de l'enseignement secondaire.
Fondées sur le principe de discrimination positive, elles ont pour objet
de lutter contre l'échec scolaire et de rétablir une
égalité des chances entre les élèves en attribuant
davantage de moyens dans les zones qui cumulent les handicaps
économiques, sociaux et culturels.
Compte tenu d'un essoufflement du dispositif et d'une inadaptation actuelle de
la carte des ZEP, le gouvernement a décidé de relancer le
dispositif en privilégiant les apprentissages fondamentaux, en
améliorant les conditions de travail des enseignants, en proposant des
contrats de réussite avec les établissements, en mettant en place
des réseaux d'éducation prioritaires et en renforçant les
liens entre l'éducation nationale et ses partenaires.
L'objet de l'article 75 est ainsi de donner une base législative au
dispositif des ZEP et de consacrer le principe de la répartition
inégalitaire des moyens qui leur sont accordés depuis 1982.
II. Texte adopté par l'Assemblée nationale
- Sur proposition de sa commission spéciale, l'Assemblée
nationale a d'abord complété l'article 75 en précisant
que les " différences de situations objectives " doivent
être prises en compte pour la répartition des moyens du service
public de l'éducation.
- Dans le même article, elle a ensuite introduit un paragraphe II
tendant à compléter le 5ème alinéa de l'article 1er
de la loi d'orientation de 1989 sur l'éducation pour préciser que
l'école doit assurer une formation à la connaissance des droits
de la personne, afin de prendre en compte les phénomènes
d'exclusion sociale qui sont susceptibles de leur porter atteinte.
- Elle a également adopté un paragraphe III qui
complète l'avant-dernier alinéa de l'article 1er de la loi
d'orientation de 1989 sur l'éducation prévoyant que les
activités périscolaires visent notamment à favoriser,
pendant le temps libre des élèves, leur égal accès
aux pratiques culturelles et sportives et aux nouvelles technologies de
l'information et de la communication.
- Enfin, elle a introduit un nouveau paragraphe IV complétant le
1er alinéa de la loi d'orientation de 1989 sur l'éducation et
précisant que le projet d'établissement doit indiquer les moyens
particuliers mis en oeuvre pour prendre en charge les élèves
issus des familles les plus défavorisées.
III. Position de la commission
Votre commission estime que la rédaction de l'article 75 du projet de
loi est excessivement générale et n'apporte pas les
éclaircissements souhaitables quant aux déclinaisons possibles du
principe de discrimination positive.
Elle ne prend pas en compte les inégalités globales
constatées au plan local, entre les académies et les
départements, ni les contraintes spécifiques des zones
socialement défavorisées et des zones d'habitat dispersé
qui sont visées à l'article 21 de la loi d'orientation de 1989
sur l'éducation.
Elle ne mentionne pas, pour la répartition des moyens mis au service des
élèves, les inégalités résultant des
situations économiques et sociales des familles, des quartiers et des
établissements scolaires, telles que celles-ci sont explicitement
énoncées dans l'exposé des motifs du projet de loi.
La formulation retenue pour valider la politique des ZEP pourrait laisser
craindre que les portions de territoire non déclarées
prioritaires en matière d'éducation, notamment en milieu rural,
que les établissements non classés sensibles ou ne figurant pas
dans une ZEP, même s'ils connaissent des difficultés, que les
familles confrontées à des situations délicates habitant
des zones non défavorisées, seraient écartées du
bénéfice de la manne distribuée par l'éducation
nationale au titre de la mise en oeuvre de la notion de discrimination positive.
Comme les moyens considérables de l'éducation nationale n'ont pas
vocation, compte tenu des contraintes budgétaires, à augmenter
dans des proportions importantes, il convient de rappeler qu'une
répartition préférentielle de ces moyens vers les ZEP se
traduit nécessairement par leur réduction dans les zones non
défavorisées, notamment en milieu rural mais aussi urbain, ou
suburbain, dont les familles peuvent également connaître des
difficultés.
Cette évolution peut avoir pour conséquence d'entraîner une
fermeture accélérée des classes uniques en milieu rural,
processus actuellement gelé par le moratoire de 1993, mais aussi priver
de nombreuses familles défavorisées, situées hors des ZEP,
de diverses activités périscolaires, notamment dans le domaine
culturel et sportif.
En effet, peut-on considérer que des élèves issus de
familles très modestes habitant en zone rurale, soumis aux contraintes
horaires lourdes des transports scolaires, sont favorisés par rapport
à certains des collégiens de ZEP, notamment dans l'exercice
d'activités périscolaires et culturelles ?
Par ailleurs, il n'est pas certain que l'encadrement renforcé des
établissements classés en ZEP constitue la formule la plus
efficace pour améliorer les performances scolaires de leurs
élèves : les efforts menés depuis plus de quinze ans
dans ces zones n'ont permis de réduire que de quelques unités le
nombre d'élèves par classe, sans modifier substantiellement les
conditions de scolarité.
La mise en place d'une politique ambitieuse et personnalisée d'aides aux
élèves et de dispositifs de soutien apparaît, pour votre
commission, sans doute plus efficace qu'une baisse dérisoire, et
pourtant très coûteuse, des effectifs par classe.
Les difficultés des élèves, qu'elles soient de nature
scolaire ou d'une autre origine, quel que soit leur quartier ou leur
établissement, devraient ainsi être prises en compte
individuellement à côté de la reconnaissance de
réseaux d'éducation prioritaires bénéficiant aux
écoles et aux établissements qui concentrent le plus de
difficultés.
La combinaison de ces deux dispositifs, l'un général visant des
zones difficiles, l'autre individualisé, visant les
élèves, serait en outre de nature à réduire les
inconvénients des effets de seuil découlant du classement ou non
en zone d'éducation prioritaire.
Ainsi, si elle ne peut qu'exprimer son accord avec une déclaration de
principe consacrant la discrimination positive dans le système
éducatif, votre commission considère que celle-ci ne saurait
bénéficier exclusivement aux ZEP et devrait également
tenir compte des situations individuelles difficiles qui viennent d'être
évoquées.
Elle vous proposera en conséquence un amendement tendant à
préciser les critères qui doivent être pris en compte dans
la répartition des moyens du service public de l'éducation.
Sous réserve de cette modification, elle a émis un avis favorable
à l'adoption de l'article 75 du projet de loi.