M. BERNARD BOUCAULT,
PRÉFET DE LA SEINE-SAINT-DENIS
JEUDI
2 AVRIL 1998
M. LE
PRÉSIDENT
.- La séance est reprise.
Nous devons vous entendre sous la foi du serment.
(M. le Président donne lecture des dispositions de l'article 6
de l'ordonnance du 17 novembre 1958 ; M. Bernard Boucault
prête serment).
M. LE PRÉSIDENT
.- Je vais demander à M. le Rapporteur
de bien vouloir vous poser les questions nécessaires à
l'évaluation de la situation à quelques semaines de la fin de
notre commission d'enquête.
M. LE RAPPORTEUR
.- Monsieur le Préfet, je voudrais tout d'abord
vous remercier de l'accueil que vous nous avez réservés dans la
préfecture de votre département, tant à moi-même
qu'aux membres de la commission qui étaient présents. Je dois
dire d'ailleurs -et c'est l'avis unanime de la commission- que nous avons
remarqué la grande qualité non seulement des préfets mais
des fonctionnaires préfectoraux qui s'occupent de ce problème,
leur grande conscience professionnelle et leur sens élevé de
l'Etat. Je tenais à le souligner, et M. le Président partage
d'ailleurs largement mon point de vue sur cette question.
M. LE PRÉSIDENT
.- Depuis longtemps, Monsieur le Rapporteur.
M. LE RAPPORTEUR
.- Oui, puisque vous êtes un spécialiste
préfectoral, si je puis dire.
Monsieur le Préfet, nous allons vous poser une série de questions.
Tout d'abord, pouvez-vous nous indiquer la date prévisionnelle de fin de
l'opération de régularisation dans votre département ?
M. BOUCAULT
.- Monsieur le Sénateur, conformément aux
instructions du ministre de l'intérieur, tous les dossiers auront
été instruits et auront fait l'objet d'une décision avant
le 30 avril. Bien évidemment, l'opération ne
s'arrêtera pas là, puisqu'il y aura d'abord une tâche
d'édition de certaines cartes qui devront être faites, le
renouvellement des premières CST délivrées l'année
dernière et le traitement des recours gracieux, hiérarchiques ou
contentieux, mais, le 30 avril, tous les dossiers auront fait l'objet
d'une décision.
M. LE PRÉSIDENT
.- C'est-à-dire que vous n'aurez pas de
nouveaux dossiers qui seraient susceptibles d'être examinés ?
M. BOUCAULT
.- C'est cela même, Monsieur le Président.
M. LE RAPPORTEUR
.- Pouvez-vous nous donner les statistiques, les
dossiers que vous avez déjà examinés à ce jour, les
admissions et les refus ?
M. BOUCAULT
.- Le bilan est aujourd'hui le suivant. Nous avions
reçu -et ce nombre n'a pas changé- 39 003 demandes mais, en
réalité, nous allons traiter un peu moins de
25 000 dossiers (je le saurai vraiment le 30 avril). Les
véritables dossiers sont donc au nombre de 25 000.
Pourquoi cet écart entre les 39 003 et les
25 000 environ ? Tout d'abord, il y a 3 510 doublons,
pour des raisons qui tiennent au fait qu'un certain nombre d'étrangers
ont écrit plusieurs fois et que le système d'enregistrement
immédiat et d'édition d'une convocation automatique par un
système de traitement a fait qu'un même dossier a pu faire l'objet
de plusieurs enregistrements.
Il y a eu environ un millier (ce sont plus des évaluations) de
convocations qui sont revenues avec la mention "
n'habite pas à
l'adresse indiquée"
et quelques centaines de cas qui étaient
des cartes de séjour de plein droit qui ont été
réorientées vers les bureaux compétents de la direction.
Enfin, il y a moins de 10 000 non-réponses aux convocations,
qui ont pourtant été doublées puisque, avant de classer un
dossier, nous envoyons deux convocations. Il y a donc eu près de
10 000 personnes qui ont fait une demande et qui n'ont pas
répondu aux convocations. C'est une évaluation.
Autant nous avons calculé les doublons à l'unité et c'est
un chiffre sûr, autant, pour les non-réponses, nous aurons le
chiffre définitif le 30 avril puisque des convocations sont encore
en route. Cela dit, c'est un ordre de grandeur qui ne devrait plus bouger
beaucoup maintenant.
Quant à la raison de cette non-réponse aux convocations, on peut
simplement émettre des hypothèses. Est-ce que ce sont des
personnes qui ont déposé plusieurs dossiers dans plusieurs
préfectures ? Est-ce que ce sont des personnes qui ont cru que la
régularisation était générale et qui, constatant
qu'il y avait des conditions à remplir, se sont dit qu'il n'était
pas nécessaire de répondre aux convocations du
préfet ? Ce sont des hypothèses. Il y a sans doute plusieurs
causes qui expliquent ce nombre relativement important de non-réponses.
Hier soir, nous avions traité 21 173 dossiers, et les
3 500 à 4 000 restants feront l'objet d'une
décision avant fin avril, comme je l'ai indiqué.
Sur ces 21 173 dossiers, 12 205 ont fait l'objet d'un rejet, soit
57,6 %, et 8 968 ont fait l'objet d'une décision
favorable, soit 42,3 %.
Je peux vous donner des éléments sur la répartition. Tout
d'abord, on peut dire que les demandeurs appartiennent à
91 nationalités, mais évidemment, plusieurs pays n'ont qu'un
seul ressortissant.
M. LE RAPPORTEUR
.- Vous pourrez nous laisser les documents ?
M. BOUCAULT
.- Oui. Près de 50 % des demandeurs appartiennent
à cinq pays : dans l'ordre, le Mali, l'Algérie, le Maroc, le
Zaïre et la Chine.
Si l'on regarde la répartition par catégorie -je crois que c'est
une spécificité de la Seine-Saint-Denis-, on constate que
48 % des demandeurs appartiennent à la catégorie 1.6,
c'est-à-dire les étrangers sans charge de famille, ce que l'on
appelait les célibataires. La catégorie la plus
représentée est ensuite la catégorie 1-4-2, celle des
parents d'enfants de moins de 16 ans nés en France, qui
représentent 20 % des demandes. La troisième
catégorie est la catégorie 1.2 de la circulaire,
c'est-à-dire celle des conjoints d'étrangers en situation
régulière, qui représente 13 % des demandes.
A travers ces trois catégories, comme vous le voyez, on regroupe plus de
80 % des demandes.
Quant au partage entre les décisions favorables et défavorables,
selon ces catégories (là encore, vous aurez le détail,
mais je peux vous donner deux ou trois indications importantes qui expliquent
qu'en Seine-Saint-Denis, le taux des décisions accueillies favorablement
est inférieur à la moitié), en ce qui concerne la
catégorie 1.6, celle des célibataires, il n'y a eu que 5 %
de régularisations et 95 % de rejets.
En revanche, les situations familiales ont fait l'objet très
majoritairement de décisions favorables. Si je reprends l'exemple de la
catégorie 1.4.2, qui concerne les parents d'enfants de moins de
16 ans nés en France, les dossiers ont été accueillis
favorablement à raison de 80 % d'entre deux. Pour ce qui est de la
catégorie 1.2, celle des conjoints d'étrangers en situation
régulière, 83 % des dossiers ont fait l'objet d'une
décision favorable.
M. LE RAPPORTEUR
.- Je vous remercie. Monsieur le Préfet,
M. Galabert est venu vous rendre visite deux fois, si mes souvenirs sont
exactes. Est-ce que tant M. Galabert que l'Inspection
générale de l'administration dans votre département ont
rédigé des rapports et ces rapports vous ont-ils
été communiqués ?
M BOUCAULT
.- M. Galabert est venu à deux reprises à
Bobigny et nous avons été en contact avec lui, soit
téléphoniquement, soit par écrit. Nous avons abordé
avec M. Galabert des problèmes d'application qui ont pu faire
l'objet, parallèlement, de lettres au ministère de
l'intérieur mais que nous avons précisés et
développés avec lui, et puis nous avons évoqué des
dossiers particuliers dont il avait été saisi. Je n'ai pas eu
connaissance de rapports écrits de M. Galabert.
Nous avons eu effectivement des visites de l'Inspection générale
de l'administration, qui a fait un rapport dont j'ai eu connaissance.
M. LE RAPPORTEUR
.- Je vous remercie. Pouvez-vous nous indiquer le
coût global de l'opération de régularisation dans votre
département ?
M. BOUCAULT
.- Je n'ai pas la valorisation en heures de fonctionnaires,
mais je pourrai vous la communiquer.
Tout d'abord, en ce qui concerne les moyens matériels,
c'est-à-dire l'aménagement des bureaux et des salles d'attente,
l'équipement informatique était très important, puisque le
parti qui a été pris dès le début de
l'opération a été d'avoir un système de traitement
automatisé des demandes, de messagerie et de développement des
terminaux de l'application AGDREF. Tout cela a coûté
1 600 000 francs qui nous ont été compensés
par le ministère de l'intérieur.
En ce qui concerne les moyens en personnel, nous avons disposé,
d'août à décembre 1997, en moyenne par mois, de
50 vacataires et, de janvier à avril 1998, de
69 vacataires auxquels il faut ajouter les 18 vacataires mis à
disposition par l'OMI et la vingtaine de membres du personnel du cadre national
des préfectures qui ont été redéployés au
sein de la direction des étrangers et affectés à cette
tâche.
M. LE RAPPORTEUR
.- Vous n'avez pas eu de difficultés
particulières en ce qui concerne le renouvellement des vacataires ?
M. BOUCAULT
.- Je dois dire d'abord que j'ai toujours obtenu les moyens
que j'ai demandés au ministère de l'intérieur, sachant que
je ne pouvais pas en demander plus, notamment en moyens de personnel, parce
qu'il était nécessaire de conserver une qualité
d'encadrement qui assure la qualité de l'accueil des personnes à
l'examen des dossiers.
En ce qui concerne les vacataires, nous avions effectivement une
inquiétude -je ne le cacherai pas- au début de
l'opération, compte tenu du fait qu'ils doivent être
renouvelés tous les trois mois. Nous avons eu plusieurs équipes
qui se sont succédées, mais je dois dire avec le recul (c'est un
constat qui a été fait par les personnels de la direction de
l'étranger) que nous avons eu des jeunes garçons et des jeunes
filles qui se sont mis très rapidement dans ces dossiers et qui nous ont
donné beaucoup de satisfaction. Il y a eu toujours une semaine de mise
en route des nouvelles équipes, mais nous avons été
très contents de la qualité de la collaboration apportée
par ces vacataires.
M. LE RAPPORTEUR
.- Avez-vous reçu une consigne
particulière permettant d'assurer une certaine continuité entre
la circulaire et les dispositions du nouveau texte qui est en cours
d'élaboration devant le Parlement ?
M. BOUCAULT
.- Le seul cas pour lequel nous avons dû assurer
l'articulation entre la circulaire et le projet de loi qui est en cours de
discussion au Parlement, ce sont les étrangers en situation
irrégulière depuis quinze ans, puisque ce délai a
été abaissé à dix ans par le texte en discussion.
Nous avons mis de côté ces cas, qui ne représentent que
quelques dizaines et non pas de très gros bataillons, pour régler
leur situation au regard de la nouvelle loi.
M. LE RAPPORTEUR
.- Je vous remercie. Combien d'invitations à
quitter le territoire avez-vous transmises à l'Office des migrations
internationales ?
M. BOUCAULT
.- Nous transmettons toutes les invitations à quitter
le territoire à l'Office des migrations internationales. Nous les
transmettons en fin de semaine, par paquet, pour éviter des envois
à chaque fois.
M. LE PRÉSIDENT
.- Combien y en a-t-il, à peu
près ?
M. BOUCAULT
.- Depuis la mise en oeuvre de la circulaire du
19 janvier ?
M. LE RAPPORTEUR
.- Je vois que vous avez eu 12 205 rejets.
M. BOUCAULT
.- Oui, mais on ne le fait que depuis la circulaire du
19 janvier. Je ne peux donc pas vous dire combien de notifications ont
été faites depuis le 20 janvier. Je pourrai vous le
préciser par écrit, Monsieur le Sénateur.
M. LE RAPPORTEUR
.- Vous me le communiquerez par écrit. Je vous en
remercie.
Depuis la circulaire du 19 janvier 1998, avez-vous communiqué
à toutes les personnes non régularisées les dispositions
concernant la majoration de l'aide au retour ?
M. BOUCAULT
.- Effectivement, comme vous le savez, l'OMI a
édité un petit dépliant qui est rédigé en
trois langues (le français, l'anglais et l'arabe) et qui est joint
à toutes les lettres de rejet qui valent invitation à quitter la
France.
M. LE RAPPORTEUR
.- Est-ce que vous l'avez envoyé à ceux
qui avaient été rejetés avant la parution de la circulaire
du 19 janvier 1998 ?
M. BOUCAULT
.- Nous ne l'avons pas fait. Il y a des affiches qui sont
disposées dans les lieux d'accueil du public, mais nous n'avons pas fait
d'information particulière.
M. LE RAPPORTEUR
.- Nous avons le document.
M. BAUCAULT
.- L'OMI nous l'a remis mi-février.
M. LE RAPPORTEUR
.- Le 26 janvier 1998, vous avez eu un
télégramme du ministère de l'intérieur vous
enjoignant de ne pas prendre d'arrêté préfectoral de
reconduite à la frontière avant le 24 avril 1998.
Avez-vous eu d'autres instructions complémentaires ?
M. BOUCAULT
.- Non. Nous n'en avons pas eu. Nous n'avions d'ailleurs pas
pris d'APRF. Nous n'en avons pas pris à ce jour et nous attendons
effectivement le 24 avril pour entrer dans cette nouvelle phase de la
procédure.
M. LE RAPPORTEUR
.- Pouvez-vous nous indiquer le nombre de demandes
d'aide au retour que vous avez eues avant le 19 janvier 1998 et
après ?
M. BOUCAULT
.- Avant le 19 janvier 1998, nous n'en avions pas.
Depuis, l'OMI nous a communiqué ses chiffres concernant la
Seine-Saint-Denis. Il a reçu 49 demandes concernant le
département, dont 12 ont été réalisées
et ont donc déjà bénéficié de ces aides au
retour et 32 sont programmées.
M. LE RAPPORTEUR
.- Douze ont fait l'objet d'un retour chez eux ?
M. BOUCAULT
.- Oui, et 32 sont programmées.
M. LE RAPPORTEUR
.- Comment expliquez-vous ce faible nombre de demandes
d'aide au retour ? Il est certain que 49 demandes sur un tel nombre
de rejets, ce n'est pas très important. Pensez-vous que vous allez en
avoir d'autres de façon significative dans quelques jours ou que leurs
desiderata ne correspondent pas tout à fait et qu'ils veulent avant tout
rester là ?
M. BOUCAULT
.- Tout d'abord, il y a un nombre important de personnes qui
n'ont pas été sans doute suffisamment informées de cette
possibilité, notamment celles qui ont reçu des décisions
avant la mi-février. Ces personnes n'ont pas eu la même
facilité pour faire appel à cette aide. Quant aux autres, il faut
peut-être effectivement un certain temps avant que l'information passe.
On peut espérer que l'on aura un nombre plus important à la fin
du dispositif.
M. LE PRÉSIDENT
.- Pensez-vous que cela va marcher ?
M. BOUCAULT
.- En tout cas, nous essayons de faire l'information pour que
les étrangers aient connaissance de cette aide. Ensuite, c'est à
eux de prendre la décision.
M. LE PRÉSIDENT
.- Oui, mais est-ce à l'OMI de faire
l'information ou à vous ?
M. BOUCAULT
.- Nous faisons cette information en notifiant les
décisions de rejet et, ensuite, c'est l'OMI qui fait de l'information,
bien sûr, puisque c'est lui-même qui gère cette aide et qui
la finance.
M. LE RAPPORTEUR
.- Certains ont-ils été mis au courant
qu'il y avait des conventions particulières entre la France et certains
pays africains, notamment d'anciennes possessions françaises, dans
lesquels l'aide au retour est complétée par des aides à
l'installation, par exemple, d'entreprises artisanales dans le pays ?
Est-ce que les gens ont eu connaissance de cette aide
complémentaire ?
M. BOUCAULT
.- Ils n'en ont pas eu connaissance de façon
systématique par nous, mais un dépliant assez précis sur
ce type d'aide a effectivement été édité
également par l'OMI et il appartient donc à l'OMI d'en faire la
diffusion et la publicité.
M. LE RAPPORTEUR
.- Monsieur le Préfet, à l'expiration du
délai fixé par la circulaire, vous aurez donc un grand nombre de
personnes non régularisées à éloigner.
Concrètement, comment envisagez-vous de procéder à
l'éloignement de ces personnes ?
M. BOUCAULT
.- Vous savez qu'à l'issue du délai d'un mois
et au plus tôt dans les jours qui suivront le mois d'avril, je vais
être amené à prendre des arrêtés
préfectoraux de reconduite à la frontière à
l'égard de ceux qui n'auront pas quitté le territoire dans le
délai d'un mois qui leur est imparti par la loi.
M. LE RAPPORTEUR
.- Avez-vous déjà beaucoup de recours
gracieux ou contentieux contre vos arrêtés ?
M. BOUCAULT
.- Contre les invitations à quitter la France, nous
avons un flux assez soutenu de recours. Au 1er avril, nous avions
3 174 recours
M. LE RAPPORTEUR
.- Gracieux ?
M. BOUCAULT
.- Oui, des recours gracieux auprès de moi. Il en
arrive tous les jours un nombre relativement important. J'ai donc mis en place
une cellule de traitement de ces recours gracieux et, à la date du
1er avril également, 1 842 recours, sur 3 174, ont
été traités et ont fait l'objet d'une décision. Sur
ces 1 842 recours traités, 199 ont reçu une suite
favorable, soit près de 11 % des recours instruits. Cela concerne
essentiellement la catégorie des familles constituées en France
de longue date et des conjoints d'étrangers en situation
régulière.
M. LE PRÉSIDENT
.- Ils n'avaient pas été retenus la
première fois. Est-ce qu'il s'agissait de faits nouveaux ?
M. BOUCAULT
.- Oui. Il s'agit de faits nouveaux et de précisions
nouvelles qu'ils nous ont apportés et qui nous ont permis, sur des
dossiers, de prendre une décision positive.
M. LE PRÉSIDENT
.- Avaient-ils modifié leur situation de
famille ?
M. BOUCAULT
.- Non. Ils ont simplement pu apporter des preuves plus
convaincantes de leur présence en France, de leurs ressources ou de
leurs logements, toutes les conditions qui sont fixées pour chaque
catégorie.
M. LE PRÉSIDENT
.- Sur les bulletins de salaire ?
M. BOUCAULT
.- Non, pas vraiment, parce que les bulletins de salaire sont
importants surtout pour la catégorie 1-6, c'est-à-dire pour les
étrangers sans charge de famille. Il s'agit plutôt de
durées de séjour.
M. LE RAPPORTEUR
.- Et les recours contentieux sont-ils nombreux ?
M. BOUCAULT
.- Nous n'en avons pas beaucoup, environ 250.
M. LE RAPPORTEUR
.- Quel est le fondement principal de ces recours
contentieux ou même gracieux ?
M. BOUCAULT
.- Le fondement principal des recours gracieux, c'est de nous
dire : "Vous avez mal compris mon dossier et je vais vous prouver que je
suis en France depuis trois ans". Ils considèrent effectivement que l'on
n'a pas bien apprécié leur situation et ils nous amènent
des pièces complémentaires pour que nous puissions être
convaincus.
M. LE RAPPORTEUR
.- Est-ce qu'il n'y a pas beaucoup de demandeurs du
droit d'asile ou de protections contre le risque, pour la personne, d'un retour
au pays ?
M. BOUCAULT
.- Non, il y en a très peu. Ceux qui pouvaient
demander l'asile territorial avant la loi qui est en cours de discussion
avaient la possibilité de le faire dans la catégorie 1.9, un
système qui est organisé depuis 1993 pour les Algériens et
qui a été mis en place pour les autres pays depuis, mais le
nombre de personnes qui ont utilisé cette possibilité,
rapporté à ces 25 000 dossiers, est relativement faible.
M. LE RAPPORTEUR
.- Vous n'avez pas de jurisprudence de votre tribunal
administratif là-dessus ?
M. BOUCAULT
.- Non, pas encore.
M. LE RAPPORTEUR
.- Dernière question : pensez-vous
réellement que ces personnes seront effectivement
éloignées du territoire ?
M. BOUCAULT
.- Les reconduites à la frontière sont une
activité administrative régulière. Nous en faisons toutes
les semaines et, s'il faut en faire après le 24 avril, nous les
ferons de la même façon. Effectivement, je crois que la solution
la plus efficace est d'utiliser les moyens de transport réguliers qui
relient la France à de nombreux pays dans le monde. C'est ce qui offre
le plus de possibilités. Nous prendrons donc des arrêtés de
reconduite et nous les exécuterons.
M. LE PRÉSIDENT
.- Comment se sont passés les incidents de
la semaine dernière ? Il y en a eu à trois reprises, je
crois.
M. BOUCAULT
.- Il y a eu quelques difficultés, mais elles ne se
sont pas reproduites depuis le début de la semaine.
M. LE PRÉSIDENT
.- Comment expliquez-vous que les passagers ont
prié les policiers de descendre ?
M. BOUCAULT
.- Ils ont surtout demandé que les étrangers
reconduits descendent et non pas les policiers.
M. LE PRÉSIDENT
.- Comment expliquez-vous que cela puisse se
passer ? Je crois qu'il y avait dix fonctionnaires.
M. BOUCAULT
.- A partir du moment, Monsieur le Président,
où un commandant de bord refuse de partir avec ces personnes dans son
avion, que peut-on faire ? C'est effectivement une réglementation
de l'aviation civile.
M. LE PRÉSIDENT
.- Apparemment, il avait des motifs pour refuser.
M. BOUCAULT
.- Je ne connais pas ces raisons. Il a sans doute
été sensible aux demandes qui lui ont été faites
par ses passagers. En tout cas, je constate que, depuis le début de la
semaine, les choses se passent bien et que les avions partent avec les
passagers, les policiers et les personnes à reconduire.
M. LE PRÉSIDENT
.- Monsieur le Préfet, nous cherchons
à comprendre comment cela s'est passé. Effectivement, depuis le
début de la semaine, il ne s'est rien passé.
M. BOUCAULT
.- Il ne s'est rien passé, mais les personnes partent
dans les avions.
M. LE PRÉSIDENT
.- Vous parlez de nouvelles, parce que celles qui
ont été libérées par le tribunal de Bobigny sont
convoquées à une instance de fin juin. Ce ne sont pas
celles-là qui sont parties mais d'autres.
M. BOUCAULT
.- Oui, bien sûr. Ce sont d'autres qui avaient
été interpellées à l'occasion de l'occupation
d'édifices à Paris. Ce sont toutes des personnes qui ont
déjà fait l'objet d'une procédure de reconduite.
M. LE PRÉSIDENT
.- Hier, le ministre nous a donné des
assurances de grande fermeté là-dessus.
M. BOUCAULT
.- Tout à fait. C'est ce qui se passe depuis le
début de la semaine. L'aéroport de Roissy est dans mon
département, Monsieur le Président, et je suis cela de
très près. Je peux donc vous dire que, depuis le début de
la semaine, les choses se passent bien. Nous avons tiré les
leçons de ce qui s'est passé .
M. LE PRÉSIDENT
.- Quelles leçons en tirez-vous ?
M. BOUCAULT
.- Nous en concluons qu'il y a une information à faire
auprès des passagers ainsi qu'auprès des compagnies. Cette
information a été faite et elle a porté ses fruits.
M. LE PRÉSIDENT
.- Les premiers incidents ont eu lieu le 29. C'est
bien cela ?
M. BOUCAULT
.- Oui. C'était vendredi.
M. LE PRÉSIDENT
.- Il s'agissait du vol de Bamako ou de Cotonou.
Comment cela s'est-il passé ? Est-ce que les passagers se sont
indignés de ce que l'on amenât des reconduits avec des menottes
derrière le dos ? Je lis les dépêches d'agence...
M. BOUCAULT
.- Oui, tout à fait.
M. LE PRÉSIDENT
.- Le ministre a dit que des groupes, notamment
des "coordinations" du 13ème, du 20ème ou du 19ème,
s'étaient organisés dans l'aéroport pour sensibiliser les
gens. Nous savons tout cela par les dépêches d'agence.
M. BOUCAULT
.- Oui. Tout cela est parfaitement public.
M. LE PRÉSIDENT
.- Pouvez-vous nous donner quelques détails
complémentaires ? Il y a des parlementaires qui sont
intéressés.
M. BOUCAULT
.- Tout cela est parfaitement connu. Il y a eu effectivement
des groupes qui se sont réunis dans l'aéroport et qui ont
entrepris de distribuer des tracts aux passagers et de développer
auprès d'eux leur argumentation.
M. LE PRÉSIDENT
.- Ces passagers étaient-ils à
quai ?
M. BOUCAULT
.- Ils étaient dans la salle d'embarquement, bien
sûr.
M. LE PRÉSIDENT
.- Comment ces groupes pouvaient-ils avoir
accès aux salles d'embarquement ?
M. BOUCAULT
.- Ils arrivaient vers les salles d'embarquement. Ces groupes
étaient dans la zone publique de l'aéroport. Il est très
facile de s'approcher de l'enregistrement des vols. Pour Bamako, on sait
très bien où l'enregistrement se fait et il est tout à
fait facile, pour ces groupes de personnes, d'établir le contact avec
les passagers des vols.
M. LE PRÉSIDENT
.- Ces passagers étaient-ils
eux-mêmes originaires du Mali ?
M. BOUCAULT
.- Oui, pour un certain nombre. Il y avait à la fois
des Africains et des Européens.
M. LE PRÉSIDENT
.- Y a-t-il eu une bagarre dans l'avion ?
M. BOUCAULT
.- Non, absolument pas.
M. LE PRÉSIDENT
.- Mais ils sont montés.
M. BOUCAULT
.- Ils sont montés et quand ils ont vu les personnes,
ils ont demandé que ces personnes descendent.
M. LE PRÉSIDENT
.- Cela s'est reproduit à trois reprises.
C'est bien cela ?
M. BOUCAULT
.- Cela s'est reproduit à trois reprises, exactement.
M. LE PRÉSIDENT
.- Comment cela a-t-il pu se reproduire le
lendemain et le surlendemain, puisque les personnels étaient
alertés ?
M. BOUCAULT
.- C'est aussi une question d'appréciation que fait le
commandant de bord qui -vous le savez- est souverain dans son avion. Il se
trouve que, le jeudi de la semaine dernière, un commandant de bord avait
accepté de partir et avait donné des explications aux passagers.
Par conséquent, la semaine dernière, il y a eu des reconduites
qui se sont passées normalement, sans incident. Nous avons eu des
difficultés pendant la fin de la semaine dernière mais, depuis le
début de la semaine, il n'y en a plus.
M. LE PRÉSIDENT
.- Il s'agit bien de la compagnie Air
France ?
M. BOUCAULT
.- Il s'agit d'Air France et d'Air Afrique.
M. LE PRÉSIDENT
.- Quelles précautions ont-elles
été prises pour que cela ne se reproduise plus ? Est-ce que
les compagnies sont informées avant ? Y a-t-il une procédure
nouvelle ?
M. BOUCAULT
.- Oui. Un certain nombre de dispositions ont
été prises à l'égard des personnes qui pouvaient
développer un discours s'opposant à la mise en oeuvre de cette
décision administrative et un contact a effectivement été
pris avec les responsables des compagnies pour leur expliquer quel était
le sens de l'action et comment les choses devaient se faire.
M. LE PRÉSIDENT
.- Ces gens étaient-ils en rétention
administrative ou en bout de rétention administrative ?
M. BOUCAULT
.- Ils étaient en rétention administrative.
M. LE PRÉSIDENT
.- Donc pendant trois jours, ils ont
été gardés dans le tribunal de Bobigny ?
M. BOUCAULT
.- Non. Ils étaient au centre de rétention de
Vincennes.
M. LE PRÉSIDENT
.- Mais après qu'ils ont été
libérés, est-ce qu'ils sont allés au tribunal ?
M. BOUCAULT
.- Le tribunal les a libérés.
M. LE PRÉSIDENT
.- Entre le moment où ils ont quitté
l'avion et le moment où le tribunal les a libérés, il y a
bien eu un jugement, une décision. Est-ce qu'il s'est passé
48 heures ?
M. BOUCAULT
.- Ils étaient retournés au centre de
rétention de Vincennes ou du Mesnil-Amelot, qui est le plus proche de
l'aéroport de Roissy.
M. LE RAPPORTEUR
.- Quelle est la motivation de la décision du
tribunal de Bobigny ? Est-ce que vous l'avez ?
M. LE PRÉSIDENT
.- D'après l'avocat, il n'a pas
statué sur le refus d'embarquer, parce qu'il n'y avait pas eu de refus
d'embarquer mais une décision unilatérale du commandant de bord.
Je pense que l'incrimination du refus d'embarquer n'a pas été
retenue.
M. BOUCAULT
.- Oui, mais l'affaire a été renvoyée au
mois d'avril.
M. LE PRÉSIDENT
.- Mais il n'y a pas incrimination.
M. BOUCAULT
.- C'est vrai, mais l'opposition à la reconduite va
être jugée à ce moment-là. Il va bien se tenir une
audience du tribunal de Bobigny là-dessus.
M. LE PRÉSIDENT
.- Vous ne savez pas s'ils reviendront ?
M. BOUCAULT
.- Comment le savoir ?
M. LE RAPPORTEUR
.- Sur quel motif le tribunal de Bobigny va-t-il
être amené à statuer ? Est-ce que ce sera sur un
délit commis ? Est-ce que c'est le tribunal correctionnel ou une
autre juridiction qui est saisie ? On les a raccompagnés à
l'avion et, à l'avion, ils ont refusé d'embarquer ou le
commandant de bord a refusé de les embarquer. A ce moment-là,
vous les avez ramenés au centre de détention, logiquement.
M. BOUCAULT
.- Oui.
M. LE RAPPORTEUR
.- Est-ce qu'ils sont toujours au centre de
rétention ou sont-ils libres ?
M. BOUCAULT
.- Ils sont libres.
M. LE RAPPORTEUR
.- Donc il a fallu que le tribunal de Bobigny statue.
M. BOUCAULT
.- Tout à fait.
M. LE RAPPORTEUR
.- Pouvez-vous nous passer cette décision ?
M. BOUCAULT
.- Oui. Je vous la passerai.
M. LE RAPPORTEUR
.- A mon avis, le tribunal les a mis en liberté
provisoire jusqu'à décision définitive, puisqu'il a
renvoyé l'affaire à une audience fin avril pour une nouvelle
plaidoirie et une décision définitive.
M. LE PRÉSIDENT
.- Ce sont bien des gens qui manifestaient devant
les églises ?
M. BOUCAULT
.- Des gens qui avaient occupé deux églises.
M. LE PRÉSIDENT
.- Ils avaient donc été
frappés par un arrêté de reconduite à la
frontière. Or ils ne sont pas partis. Donc ils sont retournés
dans la nature.
M. BOUCAULT
.- Comme cette occupation avait nécessité
l'intervention des forces de police pour les expulser de ce bâtiment, ils
ont été interpellés et ils ont eu un examen de leur
situation. On s'est assuré qu'ils n'avaient pas déposé de
dossier dans le cadre de la circulaire du 24 juin ou que, s'ils l'avaient
fait, la décision avait été négative. Ils ont donc
fait l'objet d'un arrêté de reconduite à la
frontière et ont été mis en rétention.
M. LE RAPPORTEUR
.- Avaient-ils déposé des demandes de
régularisation ?
M. BOUCAULT
.- Oui, pour un certain nombre d'entre eux. C'est pourquoi
nous avons été amenés à travailler avec la
préfecture de police.
M. LE RAPPORTEUR
.- Leur avait-on déjà notifié un
refus ?
M. BOUCAULT
.- Pour un certain nombre, oui.
M. LE RAPPORTEUR
.- C'était la motivation de l'occupation de
l'église, si je comprends bien.
M. BOUCAULT
.- Oui, comme cela s'est passé dans quelques villes.
M. LE RAPPORTEUR
.- Quelle est la date de la décision de
Bobigny ?
M. BOUCAULT
.- Lundi dernier, me semble-t-il.
M. LE PRÉSIDENT
.- On peut voir cela dans les
dépêches.
M. BOUCAULT
.- Il faudra voir cela dans la décision.
M. LE RAPPORTEUR
.- Il est intéressant de voir l'exécution
d'une décision, comment cela peut fonctionner ou ne pas fonctionner et
pour quelles raisons il y a des difficultés de fonctionnement.
Je vous remercie, Monsieur le Préfet. En ce qui me concerne, j'en ai
terminé.
M. DEBARGE
.- Il n'y a pas de jurisprudence en ce qui concerne la
décision d'un commandant de bord. Le commandant de bord est maître
à bord, si j'ose dire. S'il ne veut pas faire quelque chose, il ne le
veut pas et c'est tout. Cela peut donc toujours recommencer.
M. LE PRÉSIDENT
.- Je crois que ce sont les réglementations
internationales des compagnies aériennes.
M. LE RAPPORTEUR
.- Cela explique que, dans le passé, on ait pu
créer des charters. Pour le commandant de bord, cela peut perturber
l'appareil.
M. DEBARGE
.- Il y a déjà eu des incidents à
l'arrivée. Je crois m'en souvenir. Il se peut également qu'une
partie des passagers ne le veuillent pas.
M. LE PRÉSIDENT
.- Cela fait des années que cela se passe
ainsi. Je crois d'ailleurs que c'est pourquoi Mme Cresson est la
première à avoir décidé de recourir aux charters,
parce qu'elle se trouvait frappée par la difficulté que l'on
avait à faire prendre une ligne régulière à des
personnes reconduites à la frontière.
La parole est à M. Mahéas.
M. MAHEAS
.- Monsieur le Préfet, je ferai tout d'abord une
constatation en tant qu'élu de la Seine-Saint-Denis. La mise en place de
l'examen des dossiers a été particulièrement efficace. Les
étrangers ont été convenablement accueillis et je ne peux
que m'en féliciter avec les élus que je connais. Pour nous, cela
s'est bien passé, malgré le fait que la Seine-Saint-Denis est, de
loin, le département qui a à traiter le plus de dossiers. Je ne
sais pas, mes chers collègues, si vous avez vu les pourcentages, mais
nous sommes à 7 â de la population alors que le Nord
était à 0,5 â et Marseille à 1,5 â.
Rapporté à la population, c'est donc la Seine-Saint-Denis qui
doit traiter le plus de dossiers.
Mes préoccupations sont un peu différentes de celles qui ont
été exprimées jusqu'alors. C'est un nombre modeste de
dossiers, somme toute, qui sont actuellement en régularisation, mais
à l'intérieur même de la Seine-Saint-Denis, les situations,
selon les villes, sont très différentes. Il existe des
pôles où, effectivement, Maliens, Algériens, Marocains,
Zaïrois ou Chinois sont en nombre et vont être
régularisés.
Par conséquent, je voudrais savoir si, dès à
présent, Monsieur le Préfet, vous avez prévu, pour ces
villes, non pas un plan d'action, bien évidemment, mais un plan qui
permette une intégration sans trop de problèmes, notamment pour
les enfants (pour les célibataires, cela ne pose pas de
problème), sachant que les conjoints d'étrangers en situation
régulière vont être amenés sans doute, si ce sont
des familles, à faire venir leurs enfants dans le cadre du rapprochement
familial.
M. BOUCAULT
.- Monsieur le Sénateur, ces personnes sont
effectivement déjà sur le territoire. En ce qui concerne les
enfants, la plupart d'entre eux sont déjà scolarisés et
beaucoup de familles sont déjà logées, même si elles
le sont plus ou moins bien. Le problème principal apparaît donc
bien être celui de l'ouverture des droits sociaux. Ils n'étaient
pas ouverts, et pour cause, puisqu'ils sont en situation
irrégulière.
Je me permettrai de vous dire quelques mots du suivi social que nous avons mis
en place pour permettre l'insertion de ceux qui voient leur situation
régularisée. Nous avons choisi, dans le cadre des instructions
qui ont été données par le ministre de l'emploi et de la
solidarité, d'organiser des réunions par commune ou groupe de
communes. Les deux premières vont se tenir prochainement à Sevran
et à Drancy. Ce sont des réunions qui sont organisées par
la DDASS avec des associations d'accueil des migrants comme le SSAE et l'ASFAM.
En accord avec les maires, nous invitons les étrangers qui sont
régularisés à une réunion d'information à
laquelle participent tous les organismes sociaux : la Caisse d'allocations
familiales, la Caisse primaire d'assurance maladie, les services municipaux, en
particulier le CCAS, ainsi que les travailleurs sociaux de circonscription,
l'ANPE, l'hôpital et les associations de quartier qui s'occupent
d'insertion.
Tous ces organismes sont là et font une information
générale auprès des étrangers qui sont
régularisés, après quoi chacun d'entre eux a l'occasion
d'avoir un entretien particulier ou de prendre contact avec tel ou tel
organisme, particulièrement, encore une fois, la Caisse d'allocations
familiales et la CPAM. Je crois que cela permettra aux étrangers
d'obtenir toute l'information nécessaire et d'approfondir tel ou tel
point dans un second temps.
M. LE PRÉSIDENT
.- Merci. La parole est à Mme Pourtaud.
Mme POURTAUD
.- Merci, Monsieur le Président. Monsieur le
Préfet, j'ai noté avec beaucoup d'intérêt les
chiffres que vous nous avez donnés et je pense qu'on ne peut que se
féliciter, effectivement, que la très large majorité des
situations familiales ait pu être dénouée à travers
l'étude de ces dossiers. Je pense que c'était vraiment l'esprit
de la circulaire du mois de juin.
Si vous le permettez, je voudrais vous demander des précisions sur la
manière dont vous avez traité les cas de célibataires,
pour lesquels le taux de rejet est extrêmement important. J'imagine que
vous avez utilisé certains critères objectifs au-delà de
la circulaire, ne serait-ce que pour donner des instructions aux services qui
se sont occupés de l'examen des dossiers, notamment la durée de
séjour sur le territoire ou le degré d'intégration.
Comment avez-vous mesuré ces données ? Est-ce que vous avez
demandé qu'il y ait un minimum de séjour régulier sur le
territoire ?
Pourriez-vous par ailleurs nous indiquer, pour ceux qui ont été
régularisés parmi les célibataires, quelle a
été la durée de séjour sur le territoire
français, si tant est que ce renseignement soit en votre possession,
parce que je me rends compte que c'est spécifique ?
Par ailleurs, pourriez-vous nous donner la répartition par
nationalité de ceux qui sont régularisés ? Vous nous
l'avez donnée pour les dossiers traités mais non pas pour les
personnes qui ont été régularisées. J'aimerais
aussi que vous nous donniez le nombre de Chinois qui ont été
régularisés. Pardonnez-moi, mais en tant qu'élue
parisienne, j'avoue que ce sujet m'intéresse à titre de
comparaison.
M. LE PRÉSIDENT
.- Monsieur le Préfet, vous avez là
quelques questions.
M. BOUCAULT
.- En ce qui concerne tout d'abord la doctrine que nous avons
définie et appliquée sur la catégorie 1.6, je dirai
qu'elle est tout à fait transparente et que tous ceux qui ont eu
à recevoir des étrangers et à instruire les dossiers ont
les mêmes documents de référence. En effet (je l'avais
d'ailleurs remis à votre commission lorsqu'elle s'est rendue à
Bobigny), nous avons établi, dès le départ, ce que nous
avons appelé entre nous un vade-mecum, un document qui s'appelle
"circulaire du 24 juin" et qui fait le point de toutes les instructions
complémentaires que nous avons reçues, qui reprend les lettres
que le ministère nous a adressées en réponse à nos
questions d'application et qui fait état des positions que j'ai
été amené à prendre pour traiter tel
problème à l'occasion de l'examen de tel ou tel cas.
En effet, nous nous réunissions très souvent dans les
premières semaines et les premiers mois, sachant que, maintenant, les
réunions sont plus espacées. A l'issue de chacune de ces
réunions et à l'arrivée de chaque instruction ou lettre en
réponse à une question, nous actualisons donc ce vade-mecum et
indiquons aux agents comment traiter tel ou tel cas.
Par conséquent, en ce qui concerne les célibataires, pour
répondre de façon précise à vos questions, nous
avons rappelé qu'ils doivent avoir été au moins pendant
six mois en situation régulière, que le titre étudiant ne
peut être pris en compte, sauf exception, et que les
récépissés provisoires de séjour
délivrés au titre des demandeurs d'asile -vous savez qu'ils sont
très nombreux- ne peuvent pas être pris en compte dans cette
période de situation régulière.
En ce qui concerne le critère d'activité régulière,
cela doit être une activité déclarée, mais elle ne
doit pas être assimilée à une activité stable
exercée de manière continue. Nous acceptons une activité
régulière d'au moins cinq ans sur les sept années de
séjour justifiées comme un élément susceptible
d'emporter la conviction de l'instructeur des dossiers.
Nous attachons aussi beaucoup d'importance à l'intégration en
matière de domicile. En effet, nous sommes confrontés, dans ce
département à un phénomène de suroccupation des
foyers. Nous avons 52 foyers en Seine-Saint-Denis et il est vrai qu'un
certain nombre de ces célibataires sont en suroccupation dans ces
foyers. Nous hésitons donc beaucoup à régulariser la
situation d'un étranger qui indique un foyer comme adresse quand nous
savons qu'il est en forte suroccupation.
Nous avons aussi explicité la notion de célibataire
géographique en précisant que, si le conjoint et l'enfant
étaient au pays, cela n'entraînait pas le rejet de la demande.
D'ailleurs, la circulaire n'emploie pas le terme "
célibataire
"
mais le terme "
étranger sans charge de famille en France
".
Nous avons indiqué aussi que cette catégorie pouvait être
utilisée pour les concubins sans enfant qui déposaient une
demande dans le cadre de la circulaire du 24 juin.
Au fond, l'idée, Madame le Sénateur, est de réunir un
faisceau d'indices qui emportent la conviction des personnes qui instruisent le
dossier sur le degré d'insertion des célibataires dans la
société française, mais il est vrai que nous avons
beaucoup de dossiers pour lesquels nous avons du mal à tirer ne
serait-ce qu'un fil de cette insertion, que ce soit par le logement, par les
ressources ou par la preuve d'un séjour suffisamment long. La circulaire
dit qu'en principe, ce séjour ne doit pas être inférieur
à sept ans, mais il est vrai que j'ai été amené
à accepter des dossiers pour lesquels, bien que l'on soit en-dessous de
sept ans, l'étranger pouvait justifier de plusieurs années de
séjour en France.
Je pense qu'il faut appliquer cette circulaire dans l'esprit dans lequel elle a
été faite, mais il est vrai que nous n'avons pas pu réunir
ce faisceau d'indices et cette intime conviction pour un très grand
nombre de dossiers, comme les statistiques données tout à l'heure
le montrent.
M. LE RAPPORTEUR
.- Quel est le pourcentage des moins de sept ans ?
M. BOUCAULT
.- Parlons plutôt des plus de cinq ans.
M. LE RAPPORTEUR
.- La circulaire parle de sept ans en précisant
"
exceptionnellement moins de sept ans
".
M. BOUCAULT
.- Il y en a environ 10 %, mais comme nous en avons
régularisé 5 %, cela fait 10 % de 5 %, soit
0,5 %. C'est un chiffre très faible. Cela ne représente que
quelques individus.
En ce qui concerne maintenant les nationalités, j'ai le total des
demandes par nationalité, qui fait l'objet d'un tableau que je vous
laisserai, avec les décisions favorables et les refus. Les
décisions favorables et les refus ne correspondent pas au total des
demandes par nationalité, d'une part parce qu'elles ne sont pas encore
toutes traitées et d'autre part parce que, dans le total des demandes,
il y a les cas de double emploi, ce qui relativise les chiffres que je vais
vous donner. Je vais vous donner les cinq catégories principales.
Pour ce qui concerne les Maliens, nous avons enregistré
6 532 demandes et nous avons pris 431 décisions
favorables et 2 680 refus.
M. LE PRÉSIDENT
.- Il en reste encore 2 000, à peu
près.
M. BOUCAULT
.- Oui, mais il y a beaucoup de doublons, notamment pour
cette nationalité, avec des noms et des prénoms qui sont assez
courants dans ce pays et qui ne facilitent pas le traitement des dossiers.
En ce qui concerne les Algériens, nous avons reçu
4 173 demandes et nous avons pris 1 153 décisions
favorables et 811 refus.
Pour ce qui est des Marocains, nous avons reçu 3 190 demandes
et nous avons pris 653 décisions favorables et 971 refus.
Pour les Zaïrois, nous avons eu 2 779 demandes,
795 décisions favorables et 588 refus.
M. LE PRÉSIDENT
.- Là aussi, il y a beaucoup de doublons.
Mme POURTAUD
.- Mais c'est surtout parce que ce n'est pas fini.
M. BOUCAULT
.- C'est vrai, mais il y a plus de doublons que de dossiers
non traités.
M. LE PRÉSIDENT
.- Vous n'avez pas traité à part
certaines nationalités, par exemple les Algériens, plus vite que
d'autres ?
M. BOUCAULT
.- Non, absolument pas. Nous l'avons fait au fur et à
mesure que les dossiers arrivaient.
Enfin, pour ce qui est des Chinois, nous avons eu 2 285 demandes,
578 décisions favorables et 746 refus. Ce sont essentiellement
des cas 1.4.1., c'est-à-dire des familles installées de longue
date en France, avec des difficultés pour apporter la preuve de la
durée de leur séjour.
M. LE RAPPORTEUR
.- Y a-t-il beaucoup de demandeurs du droit d'asile chez
les Chinois ?
M. LE PRÉSIDENT
.- Les demandes d'asile sont instruites par
l'OFPRA, de toute façon.
M. BOUCAULT
.- La catégorie qui a le plus d'avis favorables est
celle des Haïtiens : sur 1 310 demandes, nous avons
516 décisions favorables et 226 refus.
M. LE PRÉSIDENT
.- Les Algériens aussi.
M. BOUCAULT
.- Tout à fait. Les décisions favorables sont
en effet plus importantes du fait des situations de famille, de l'enracinement,
de la durée du séjour en France, de la langue, etc.
Mme POURTAUD
.- Il me semble que vous avez appliqué les six mois
de séjour régulier sur le territoire uniquement aux
célibataires.
M. BOUCAULT
.- Oui, conformément aux instructions.
Mme POURTAUD
.- Lorsque vous dites que, pour les Chinois, il y a eu des
difficultés pour prouver l'ancienneté du séjour, cela veut
dire qu'en fait, il n'y avait pas de date d'entrée. On n'avait pas de
visa sur un passeport.
M. BOUCAULT
.- Tout d'abord, on n'a pas toujours la preuve de la date de
leur arrivée en France, mais on n'a surtout pas la preuve de leur
présence en France de façon régulière depuis leur
date d'arrivée présumée. C'est la difficulté pour
ce type de dossier.
Mme POURTAUD
.- Lorsqu'on exige six mois de séjour
régulier, cela veut dire que les gens sont entrés de
manière légale.
M. BOUCAULT
.- Avec un visa.
Mme POURTAUD
.- Oui, avec un visa. Cela veut dire qu'ils ne sont pas
partis à l'expiration de leur visa touristique, par exemple.
M. BOUCAULT
.- Oui.
M. DEBARGE
.- Je m'associe à ce que disait Jacques Mahéas.
Ce chiffre de 8 960 que vous avez donné implique beaucoup de choses
en amont que vous avez évoquées tout à l'heure et qui
existent quant à la gestion a posteriori de la circulaire pour ceux qui
vont rester, même avec tous les charters du monde.
M. BOUCAULT
.- Monsieur le Sénateur, pour ceux dont la situation
va être régularisée, on l'a fait parce qu'on a eu la
conviction que ces familles ou ces célibataires étaient bien
intégrés dans la société française et donc
qu'un certain nombre de problèmes, pour eux, étaient
déjà réglés, notamment ceux auxquels on peut
penser : l'éducation des enfants, le logement et même
éventuellement le travail, puisque vous savez que certaines personnes
nous ont présenté des feuilles de salaire, et non pas seulement
une ou deux mais des séries très complètes. Par
conséquent, si nous avons bien fait notre travail, en principe, les
personnes que nous régularisons sont déjà assez bien
insérées dans la société.
M. LE RAPPORTEUR
.- Quand il y a des bulletins de salaire d'employeurs,
vous ne le signalez pas à l'inspection du travail pour qu'il y ait des
poursuites éventuelles ? Vous apaisez le jeu, à cet
égard.
M. BOUCAULT
.- Nous sommes chargés d'examiner la situation
d'étrangers en situation irrégulière. C'est le but des
instructions qui me sont données. Par ailleurs, le fait qu'une personne
ait été déclarée fait que les cotisations sociales
ont été payées et qu'un certain nombre d'obligations ont
été remplies. Il faut aussi en tenir compte.
M. LE PRÉSIDENT
.- Il nous a été dit tout à
l'heure par l'un de vos collègues que cela avait permis de
déceler un certain nombre de cas de travail "au noir" mais que, pour
autant, l'inspection du travail n'avait pas été saisie.
M BOUCAULT
.- Il faut dire que beaucoup d'employeurs peuvent être
de très bonne foi dans ce domaine. En effet, il y a, parmi ces personnes
qui travaillent effectivement depuis longtemps, des demandeurs d'asile,
à l'époque où les demandeurs d'asile pouvaient travailler.
Beaucoup d'entre eux travaillaient et ils ont donc pu être
embauchés dans une entreprise, dans des conditions tout à fait
régulières et, effectivement, lorsque l'autorisation de
séjour n'a pas été renouvelée, l'employeur n'a pas
mis ses fiches à jour, mais on peut considérer qu'il a
été de bonne foi en continuant de salarier
régulièrement la personne qui travaillait dans l'entreprise. Je
pense donc qu'il n'y a pas de raison, a priori, de voir là, dans tous
les cas, une volonté de fraude.
M. LE PRÉSIDENT
.- D'accord.
Monsieur le Préfet, nous allons vous remercier, en vous priant de nous
excuser d'avoir abusé de votre temps. J'ai l'impression d'être
l'interprète de tous mes collègues pour vous remercier de la
transparence de vos propos et de la totale franchise avec laquelle vous nous
avez exposé les efforts qui ont été faits et les
résultats obtenus. Je dois être tout à fait à
l'unisson de mon collègue, M. le Rapporteur, et des collaborateurs
du Sénat, pour vous dire que nous avons été
particulièrement sensibles à l'accueil que vous nous avez
réservé. Je vous prie de nous excuser encore du travail que nous
vous donnons, mais nous le faisons par mandat de l'assemblée, comme vous
le savez.
Merci beaucoup et bonne continuation dans votre tâche qui n'est pas
facile.
M. BOUCAULT
.- Merci, Monsieur le Président, de votre accueil et
de vos propos de conclusion. J'y suis sensible.