Commission d'enquête sur les régularisations d'étrangers en situation irrégulière Texte intégral des auditions
MASSON (Paul) ; BALARELLO José
RAPPORT 470 (97-98), Tome II, 1ère partie - COMMISSION D'ENQUETE
Table des matières
-
M. JEAN-PIERRE CHEVÈNEMENT,
MINISTRE DE L'INTÉRIEUR
JEUDI 15 JANVIER 1998 -
M. JEAN-MARIE DELARUE, DIRECTEUR DES LIBERTÉS PUBLIQUES ET DES AFFAIRES
JURIDIQUES
AU MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR
JEUDI 5 FÉVRIER 1998 -
M. JEAN-MICHEL GALABERT,
PRESIDENT DE SECTION AU CONSEIL D'ETAT
JEUDI 5 FEVRIER 1998 -
M. ANDRÉ NUTTE,
DIRECTEUR DE L'OFFICE
DES MIGRATIONS INTERNATIONALES
JEUDI 26 FÉVRIER 1998 -
M. JEAN-PAUL PROUST,
PRÉFET DES BOUCHES-DU-RHÔNE,
DE LA RÉGION PROVENCE-ALPES-CÔTE D'AZUR
ET DE LA ZONE DE DÉFENSE SUD
JEUDI 2 AVRIL 1998 -
M. ALAIN ORHEL, PRÉFET DU NORD,
DE LA RÉGION NORD/PAS-DE-CALAIS
ET DE LA ZONE DE DÉFENSE NORD
JEUDI 2 AVRIL 1998 -
M. BERNARD BOUCAULT,
PRÉFET DE LA SEINE-SAINT-DENIS
JEUDI 2 AVRIL 1998 -
M. JEAN GAEREMYNCK,
DIRECTEUR DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS
AU MINISTÈRE DE L'EMPLOI ET DE LA SOLIDARITÉ
JEUDI 9 AVRIL 1998 -
M. JEAN-MARC DUPEUX,
SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA CIMADE
ET M. LAURENT GIOVANONNI,
RESPONSABLE DU SERVICE ACCUEIL DE LA CIMADE
JEUDI 9 AVRIL 1998 -
M. ANDRÉ BIZEUL,
CHEF DU SERVICE DU CONTROLE DE L'IMMIGRATION
DE L'AÉROPORT DE ROISSY-CHARLES-DE-GAULLE
JEUDI 23 AVRIL 1998 -
M. CHRISTIAN BRUSCHY,
REPRÉSENTANT DE LA
CONFÉRENCE DES BATONNIERS
JEUDI 23 AVRIL 1998 - JEUDI 23 AVRIL 1998
-
MME ARLETTE HEYMANN-DOAT,
VICE-PRÉSIDENTE DE LA LIGUE
DES DROITS DE L'HOMME
ET MME DOMINIQUE NOGUERES,
PRÉSIDENTE DE LA FÉDÉRATION DE PARIS
ET MEMBRE DU COMITÉ CENTRAL
DE LA LIGUE DES DROITS DE L'HOMME
JEUDI 23 AVRIL 1998 -
M. JEAN-LOUIS OTTAVI,
DIRECTEUR DE LA DICCILEC
JEUDI 30 AVRIL 1998 -
M. JEAN-CYRIL SPINETTA,
PRÉSIDENT DIRECTEUR GÉNÉRAL
ET M. JOËL CATHALA, DIRECTEUR DE LA SÛRETÉ
DU GROUPE AIR FRANCE
JEUDI 30 AVRIL 1998 -
MME MARTINE AUBRY,
MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE LA SOLIDARITÉ
JEUDI 7 MAI 1998 -
M. JEAN-MICHEL GALABERT,
CHARGE D'UNE MISSION SUR LE SUIVI
DES REGULARISATIONS
JEUDI 7 MAI 1998 -
MM. GÉRARD NICKLAUS ET ÉRIC TOURNAIRE,
COMMANDANTS DE BORD À AIR FRANCE
MARDI 12 MAI 1998
-
M. JEAN-PIERRE CHEVÈNEMENT,
MINISTRE DE L'INTÉRIEUR
MARDI 12 MAI 1998
N°
470
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Rapport remis à Monsieur le Président du Sénat le 2 juin
1998
Dépôt publié au Journal officiel du 3 juin 1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 3 juin 1998
RAPPORT
de la
commission d'enquête
(1) chargée de recueillir des
informations sur les
régularisations d'étrangers
en
situation irrégulière opérées depuis le
1
er
juillet 1997, créée en vertu d'une résolution
adoptée par le Sénat le
11 décembre 1997,
TOME
II
TEXTE INTÉGRAL DES AUDITIONS
Président
M. Paul MASSON,
Rapporteur
M. José BALARELLO,
Sénateurs.
(1)
Cette commission est composée de :
MM. Guy Allouche, José
Balarello, François Blaizot, Louis Boyer, Michel Caldaguès,
Jean-Pierre Camoin, Jean-Patrick Courtois, Marcel Debarge, Christian Demuynck,
Michel Duffour, Mme Joëlle Dusseau, MM. Jean-Jacques Hyest, Jacques
Mahéas, André Maman, René Marquès, Paul Masson,
Jean-Claude Peyronnet, Bernard Plasait, Jean-Marie Poirier, Mme Danièle
Pourtaud, M. Jean-Pierre Schosteck.
Voir les numéros
:
Sénat
:
411
,
432
(1996-1997) et T.A.
53
(1997-1998).
|
|
Etrangers. |
M. JEAN-PIERRE CHEVÈNEMENT,
MINISTRE DE
L'INTÉRIEUR
JEUDI 15 JANVIER 1998
M.
MASSON, président
.- Mesdames et Messieurs, la séance est
ouverte. Bienvenue Monsieur le Ministre, nous sommes réunis en
Commission d'enquête parlementaire. Nous commencerons le premier
entretien par vous, Monsieur le Ministre, parce que nous avons à coeur
d'entendre d'abord le Ministre de l'intérieur, sur un problème
qui est un souci pour nous, à savoir la régularisation des
étrangers par voie de circulaire, qui fera l'objet de nos travaux
pendant six mois.
Je dois vous présenter les excuses de MM. Courtois, Hyest et
Poirier.
Je salue ici nos autres collègues et les remercie de leur
présence.
M. BALARELLO, rapporteur.
- conduira les débats en tant que
Rapporteur. Je dois rappeler au préalable que les commissions
d'enquête sont l'une des prérogatives essentielles du Parlement et
de sa mission de contrôle du Gouvernement, à partir des termes de
l'ordonnance modifiée du 17 novembre 1958.
Je rappelle que la séance est publique et que nous avons
été mandatés par une résolution adoptée par
le Sénat le 11 décembre 1997, qui nous donne tous les pouvoirs
d'enquête sur place, sur pièces et par auditions, ce que nous
faisons aujourd'hui pour la première fois.
Je précise également que le Rapporteur de la Commission
d'enquête a des pouvoirs très larges et que ceux-ci s'inscrivent
tout à fait dans le cadre de l'ordonnance de 1958, puisqu'elle a pour
objet d'examiner notamment les conditions de la gestion d'un service public.
En effet, il s'agit en cette matière d'une régularisation portant
sur un certain nombre d'étrangers appartenant à des
catégories nettement définies par l'instruction
ministérielle en cause.
Monsieur le Ministre, je vais me permettre de me livrer à une
formalité républicaine bien connue, à savoir celle du
serment. Nous sommes réunis ici dans un cadre relativement
solennel : vous devez donc prêter serment de dire la
vérité, toute la vérité, rien que la
vérité, en levant la main droite et en disant " Je le
jure ".
M. CHEVÈNEMENT, ministre de l'intérieur
.- Je le jure.
M. LE PRÉSIDENT
.- Le serment que je recueille de votre part
pèse un poids républicain et représente un symbole
très fort, notamment de la part d'un ministre.
Monsieur le Ministre, avant de répondre à M. le Rapporteur,
peut-être avez-vous une déclaration liminaire à faire
ici ?
M. LE MINISTRE
.- Merci. Monsieur le Président, Monsieur le
Rapporteur, Mesdames et Messieurs les sénateurs, le traitement par le
Gouvernement des événements de l'Eglise Saint-Bernard à
l'été 1996, eux-mêmes liés à certaines
incohérences de la législation en vigueur depuis 1993, puis
l'affaire du certificat d'hébergement dans le projet de loi
Debré, avaient créé une situation psychologique et
politique très dégradée en France même, et gravement
altéré l'image de notre pays à l'étranger, comme
j'avais pu m'en rendre compte moi-même lors d'une visite à
Ouagadougou en février 1997, au moment du Festival du cinéma
africain.
Cette situation ne pouvait au surplus que fragiliser l'intégration des
étrangers en France même, gage de notre équilibre social.
Le Gouvernement issu des élections législatives de mai-juin 1997
a décidé de " calmer le jeu " en proposant un cadre au
réexamen de la situation de certaines catégories
d'étrangers en situation irrégulière -c'est la circulaire
du 24 juin 1997- tout en cherchant par ailleurs à éclairer les
faits en lançant la mission confiée à Patrick Weil, qui
devait déboucher sur un certain nombre de mesures à
caractère législatif et réglementaire.
Pour éclairer l'intention du Gouvernement, je ne puis faire mieux que de
vous lire l'introduction de la circulaire du 24 juin 1997. Rien ne vaut le
retour au texte :
" Exposée comme les autres pays d'Europe à de fortes
pressions migratoires, la France doit lutter contre les migrations
illégales.
" Fort de sa tradition républicaine d'accueil et de
tolérance, notre pays a aussi le devoir de mettre fin à la
situation intolérable ou inextricable dans laquelle se trouvent certains
étrangers présents sur son territoire.
" C'est pour faire face à cette double exigence que le Gouvernement
entreprend, notamment dans le cadre de la mission fixée à
M. Patrick Weil, une réflexion d'ensemble sur les problèmes
de l'immigration, le statut des étrangers et les conditions
d'accès à la nationalité, en vue d'une refonte de la
législation.
" Cette réflexion devra être guidée par le souci de
définir des règles simples, réalistes et humaines pour le
séjour des étrangers, de prévenir les flux d'immigrations
illégales, de garantir l'intégration républicaine et de
rendre possible un véritable co-développement avec les pays
concernés.
" Le texte de la présente circulaire ne saurait préjuger
celui du projet de loi qui sera soumis à l'automne au Parlement. Dans
l'immédiat, je vous demande de procéder à titre
exceptionnel à un réexamen de la situation de certaines
catégories d'étrangers en situation irrégulière et
de leur délivrer un titre de séjour selon des critères
précisés ci-après ".
M. LE PRÉSIDENT
.- Monsieur le Ministre, nous avons entendu votre
entrée en matière.
M. LE MINISTRE
.- Je n'ai pas terminé, Monsieur le
Président.
M. LE PRÉSIDENT
.- Voulez-vous lire toute la circulaire ?
M. LE MINISTRE
.- J'arrête là la lecture de la circulaire,
mais je pense que le retour au texte permet d'éclairer ce qu'a
été l'intention initiale du Gouvernement.
La régularisation n'est pas un mécanisme nouveau ni
spécifiquement français. D'importance et de portée
différente, les opérations de 1981, 1991, 1995 et 1996 en France,
ainsi que les récentes opérations dans plusieurs pays, en
témoignent.
Par un avis en date du 22 août 1996, le Conseil d'Etat, saisi par mon
prédécesseur de la question de savoir si les étrangers
résidant en France, mais dépourvus de titres de séjour,
disposent du droit de voir régulariser leur séjour du seul fait
qu'ils se trouvent dans telle ou telle situation (parent d'un enfant né
en France, débouté du droit d'asile, conjoint ou enfant d'un
étranger résidant en France, etc.), a répondu dans les
termes suivants :
" Il convient tout d'abord d'observer qu'il ne peut exister un droit
à la régularisation, expression contradictoire en
elle-même. La régularisation, par définition, est
accordée dans l'hypothèse où le demandeur ne
bénéficie pas d'un droit, sinon il suffirait qu'il le fasse
valoir.
" Au contraire, l'autorité administrative a le pouvoir d'y
procéder, sauf lorsque les textes le lui interdisent
expressément, ce qu'ils ne font pas dans les cas mentionnés dans
la demande d'avis.
" Ainsi, cette autorité peut prendre à titre exceptionnel,
et sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, une mesure
gracieuse favorable à l'intéressé, justifiée par la
situation particulière dans laquelle le demandeur établirait
qu'il se trouve ".
Je termine là la citation du Conseil d'Etat, consulté par
M. Jean-Louis Debré.
Le pouvoir du Préfet en matière de délivrance de titres de
séjours est largement discrétionnaire, en dehors des cas de
délivrance de plein droit énumérés aux articles
12bis et 15 de l'ordonnance du 2 novembre 1945.
Le Conseil d'Etat, dans le même avis, précise que " la
faculté de régulariser prend tout son sens si on la rapproche du
principe selon lequel l'administration doit procéder à un examen
particulier de chacun des cas sur lesquels elle est appelée à se
prononcer ".
Ce pouvoir est utilisé quotidiennement par le Préfet pour des cas
individuels, parfois sur instruction du Ministre. Dans certains cas, il
s'inscrit dans des opérations collectives.
L'utilisation du pouvoir de régularisation dans la période
récente s'est notamment traduite dans deux opérations. Par la
circulaire du 23 juillet 1991, il s'agissait de régulariser des
demandeurs d'asile déboutés, en raison des délais
très longs de traitement par l'OFPRA, qui avaient pour
conséquence qu'ils étaient présents en France depuis
plusieurs années au moment où une réponse négative
était opposée à leur demande d'asile.
14 799 demandeurs d'asile déboutés avaient ainsi
été régularisés, soit 30 % des demandeurs. Par
les circulaires des 5 mai et 13 juin 1995 et 2 juillet 1996, il s'agissait de
régulariser les parents d'enfants français.
Aucune statistique n'est disponible sur le nombre et la proportion des
demandeurs régularisés. Il s'agit, dans ces opérations
comme dans celle plus ancienne et plus importante de 1981, d'apurer le passif
résultant de contradictions internes de la législation ou de
graves dysfonctionnements dans son application.
Les objectifs de la circulaire du 24 juin 1997 : la Convention
européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales se
réfère en son article 8, reconnu d'applicabilité directe
par l'ensemble des juridictions, au " droit à une vie familiale
normale ".
Par ailleurs, en application de son article 3, peut être annulé
par le juge l'éloignement d'un étranger s'il risque
d'entraîner un risque pour lui, lié au fait que cet
étranger est gravement malade ou qu'il encoure des risques de
persécution dans son pays.
Depuis plusieurs années se pose donc la question des étrangers
qui n'ont pas de droit au séjour, mais qui ne peuvent pas non plus
juridiquement être éloignés. Ni régularisables ni
reconductibles à la frontière, leur situation est
évidemment absurde.
La circulaire du 24 juin 1997 cherche à y remédier. Elle vise
aussi à apurer un passif dans l'attente de nouvelles dispositions
législatives qui seront issues du projet de loi actuellement en
discussion devant le Parlement et dont nous parlerons dans les prochains jours.
C'est donc une régularisation sur critères qui a
été choisie par le Gouvernement. Elle n'a pas de caractère
général et ne s'inspire pas du principe énoncé ici
et là " des papiers pour tous ". Chacun sait bien qu'une
régularisation générale aujourd'hui signifierait que la
France, demain ou plus tard, régulariserait d'office quiconque
souhaiterait s'établir irrégulièrement sur son sol.
Neuf catégories de bénéficiaires ont été
définies, elles-mêmes subdivisées pour en constituer en
fait douze.
S'agissant des étrangers qui ont un lien familial, les critères
sont larges et visent à vérifier la solidité de ce lien.
S'agissant des personnes atteintes de pathologie grave ou victimes de
persécution, il s'agit d'en vérifier la réalité.
S'agissant des étrangers sans charge de famille, leur
régularisation n'est possible que sous des conditions extrêmement
strictes. Telle est la logique de ce dispositif.
Les catégories de la circulaire du 24 juin 1997 : Parmi les
étrangers concernés figurent par exemple les conjoints de
Français. Ceux d'entre eux qui ont plus d'un an de mariage et ne peuvent
se voir délivrer une carte de séjour temporaire du fait de leur
entrée irrégulière se voient imposer un retour dans leur
pays d'origine pour solliciter un visa qu'ils sont sûrs d'obtenir.
Il est dont proposé de les régulariser, dès lors que les
autres conditions requises par l'article 12bis de l'ordonnance sont remplies,
c'est-à-dire l'absence de menace pour l'ordre public, le mariage avec un
Français ayant conservé sa nationalité, la
communauté de vie, la transcription du mariage et l'absence de polygamie.
De même est soumise à des conditions précises et à
des critères la régularisation des personnes appartenant à
chacune des douze catégories identifiées par la circulaire.
Les critères d'appréciation fixés par chaque
catégorie sont plus ou moins stricts. Ainsi, les étrangers sans
charge de famille ne sont régularisables que s'ils ont été
au moins pendant une période en situation régulière,
à l'exception d'un séjour comme étudiant, si
l'ancienneté de leur séjour est normalement d'au moins sept ans
et surtout s'ils montrent une réelle insertion dans la
société française, appréciée à partir
d'un faisceau d'indices. C'est le critère de l'intégration qui,
de ce point de vue, est décisif.
Je précise que la barre des sept ans ne pourra être
appliquée qu'à titre exceptionnel.
Je ne vous détaillerai pas l'ensemble des catégories et
critères, dont vous avez pu prendre connaissance à la lecture de
la circulaire. Des précisions sont fournies aux Préfets sur leur
demande, pour affiner l'application des critères, par la Direction des
libertés publiques et des affaires juridiques.
Toute réponse à une question est diffusée par les services
de mon ministère à l'ensemble des préfets et aux
associations humanitaires ou de défense des droits de l'homme qui
viennent en aide aux étrangers, fussent-ils en situation
irrégulière.
J'en viens au déroulement de l'opération de réexamen.
C'est sous la responsabilité des Préfets qu'elle se
déroule. J'ai souhaité que chaque demandeur soit reçu
personnellement à la préfecture. Cela a, bien sûr,
demandé que les moyens soient donnés à l'Administration
pour ce faire.
Les suivants ont été mis à la disposition de l'ensemble
des Préfets :
a) En 1997 :
- Indemnités pour travaux supplémentaires : 5,8 MF,
- Recrutements de contractuels : 7,1 MF, à hauteur de
1.150 F mois/agents et de 6.153 F par agent,
- Acquisition de matériel (essentiellement informatique) :
8 MF,
- Recrutement d'agents d'accueil par l'OMI : 500 F mois/agent.
b) 1998 :
-Indemnités pour travaux supplémentaires : 2,23 MF,
- Recrutement des contractuels : 9,3 MF, ce qui correspond à
1.500 F mois/agents, à hauteur de 6.214 F par agent.
Cela représente 32 MF sans compter la contribution de l'OMI (Office
des Migrations Internationales) pour financer les emplois d'agents d'accueil.
Toute latitude a été laissée aux Préfets pour
organiser le processus de décision comme ils l'entendaient, dès
lors que certaines dispositions minimales étaient prises.
La demande initiale de l'étranger devait être faite par courrier.
Un accusé de réception devait lui être adressé et,
comme je vous l'ai dit, la décision finale doit être prise
après au moins un entretien individuel avec le demandeur.
Dans ce cadre, les préfectures se sont organisées. Je tiens
à rendre hommage aux efforts des Préfets et des personnels des
services des étrangers. Cependant, des initiatives ont été
prises aussi par mon ministère pour parvenir à des pratiques et
décisions aussi harmonisées que possible.
Outre la diffusion à l'ensemble des préfectures des
réponses aux questions posées par chacune d'elles, des
instructions complémentaires ont été données, par
exemple pour assurer une motivation des décisions de refus qui ne posent
pas de problèmes juridiques.
Des réunions ont été organisées à trois
reprises avec les secrétaires généraux et les chefs des
services des étrangers des principales préfectures
concernées.
L'Inspection Générale de l'Administration a effectué deux
missions (l'une en septembre et l'autre en janvier), pour s'assurer de
l'application correcte de la circulaire.
Un Conseiller d'Etat, M. Jean-Michel Galabert, a été
chargé d'une mission de coordination et de proposition et rencontre tous
les quinze jours environ le directeur de mon cabinet. Comme vous pouvez
l'observer, l'opération fait l'objet d'un suivi rigoureux.
Les demandes et les décisions prises font l'objet de statistiques
mensuelles rendues publiques dès qu'elles ont été
établies. Les chiffres qui vont suivre doivent être
interprétés avec une certaine prudence, car nous avons
relevé dans certains départements -M. Debarge opine du chef
et je pense en particulier au sien- de graves distorsions.
En effet, presque 20 % des demandes doivent être
considérées comme n'étant pas valables, soit parce que
l'adresse indiquée n'est pas la bonne, soit parce qu'elles correspondent
à des doublons.
M. LE PRÉSIDENT
.- Les chiffres que vous allez nous donner sont
ceux des préfectures.
M. LE MINISTRE
.- Oui. Je précise qu'ils sont théoriques,
avant informatisation et réduction du déchet.
Nous avons reçu le nombre de demandes suivant (les chiffres ne
s'additionnant pas) :
- 54.128 au 31 juillet
- 89.482 au 31 août
- 117.871 au 30 septembre,
- 179.531 au 8 novembre, compte tenu du fait que les demandes ont
été formulées jusqu'au 31 octobre, cachet de la poste
faisant foi, ce qui correspond à un chiffre réel inférieur
d'environ 20 %.
Il s'agit de chiffres bruts, incluant un certain nombre de doublons et de
courriers ne relevant pas de la circulaire. Par ailleurs, dans certains
départements, plus de 20 % des étrangers convoqués ne
se présentent pas aux entretiens. Le nombre de demandes
réellement instruites devrait sans doute être
légèrement inférieur à 150.000.
La date limite de dépôt des dossiers, fixée au 31 octobre
par la circulaire, s'applique aux principales catégories visées
par celle-ci. Pour les autres (conjoints de réfugiés et
statutaires malades, étrangers courant des risques vitaux en cas de
retour dans leur pays...), les demandes peuvent être transmises aux
préfectures jusqu'à l'entrée en vigueur de la future loi.
J'en viens maintenant aux décisions prises. Le plus grand nombre
concerne des personnes dont la situation familiale conduisait à la
régularisation.
S'agissant du traitement des demandes en cours, les chiffres relatifs aux
décisions prises sont peu significatifs et ne permettent pas de
prévoir la répartition finale entre les décisions
d'admission et celles de refus de séjour, les dossiers les plus faciles
ayant été traités en priorité.
Nous avions enregistré au 31 décembre 1997 15.900 titres de
séjour, dont 13.994 cartes de séjour proprement dites, 197
autorisations provisoires de séjour et 1.709 regroupements familiaux sur
place.
Nous avons également enregistré 15.391 refus et 20.254
récépissés correspondant à des dossiers incomplets.
Les décisions de rejet qui font grief et susceptibles de contentieux
prennent plus de temps à établir. Leur part dans le total
était donc faible au début, mais progresse et pourrait atteindre
50 % compte tenu de la difficulté des dossiers restant à
examiner.
Un dispositif d'aide à la réinsertion vient d'être mis au
point pour inciter au retour volontaire une proportion substantielle des
étrangers faisant l'objet d'une décision de refus et, donc,
invités à quitter la France.
Une circulaire interministérielle a été signée
début janvier en ce sens. L'aide à la réinsertion consiste
en un ensemble de prestations à caractère incitatif : un
entretien de diagnostic, la prise en charge des frais de voyage et de
transports des bagages, une allocation de 4.500 F, substantiellement
revalorisée, une assistance administrative pour aider au départ,
un accueil et une aide à la réinstallation dans les pays de
retour et, dans un nombre limité de pays, le soutien à des
micro-projets économiques.
Ce dispositif, qui s'appuie sur l'Office des Migrations Internationales, tient
compte des réussites et des échecs des expériences
antérieures.
Enfin, j'ai décidé qu'après leur traitement administratif,
les dossiers constitués par les étrangers feraient l'objet d'une
exploitation par l'Institut des Hautes Etudes de la Sécurité
Intérieure à des fins de recherche, en association
éventuelle avec le CNRS, afin de contribuer à une meilleure
connaissance de l'immigration irrégulière en France, car il
s'agit par définition d'un sujet fort méconnu.
Je me permettrai, Monsieur le Président, de me poser la question de
savoir si le travail de la Commission d'enquête est bien utile à
ce stade ; n'y voyez nulle irrévérence.
M. LE PRÉSIDENT
.- Il faut demander cela au Sénat, Monsieur
le Ministre.
M. LE MINISTRE
.- Je le demande à travers vous au Sénat
lui-même. La présente opération de régularisation,
comme je vous l'ai déjà indiqué, est toujours en cours.
Elle doit s'achever au printemps, quand il aura été statué
par les Préfets sur l'ensemble des demandes.
Les chiffres que je vous ai donnés le montrent bien : votre
Commission d'enquête manifeste dans sa curiosité, en
elle-même louable, une hâte qui est sans doute à contretemps
du point de vue de l'administration, en ce qu'elle ne peut que très
partiellement être satisfaite aujourd'hui même, mais qui peut bien
sûr s'expliquer par la proximité des échéances
électorales (régionales et cantonales) des 15 et 22 mars
prochains, ce que je ne saurais croire.
M. LE PRÉSIDENT
.- Pas plus que la réciproque n'est vraie
concernant votre loi, Monsieur le Ministre.
M. LE MINISTRE
.- Je vous ai dit que je me trouvais obligé, par le
fait que, la circulaire ayant été mise en chantier, il fallait
bien que la loi fixe le droit de manière claire et définitive.
M. LE PRÉSIDENT
.- Nous reviendrons sur ce point.
M. LE MINISTRE
.- Je ne veux pas croire que cette anticipation ou
précipitation pourrait avoir pour objectif de semer le trouble dans les
esprits. Depuis que j'ai pris mes fonctions de Ministre de l'Intérieur,
j'ai eu à coeur de dépassionner ce débat sur l'immigration
et me suis entretenu plusieurs fois avec vous, dans un esprit toujours
très constructif, dont je me félicite.
Les formations politiques attachées aux principes républicains
n'ont rien à gagner à faire monter l'inquiétude de nos
compatriotes, qui ne profite qu'aux extrêmes.
Les étrangers établis de longue date en France ont besoin
d'être stabilisés, je le répète. C'est pourquoi je
veux croire que ce ne sont pas des considérations partisanes qui
guideront les travaux de la Commission d'enquête, mais seulement le souci
d'amorcer sereinement un travail d'enquête objectif, qui ne pourra
normalement trouver sa conclusion que dans quelques mois, comme vous semblez
d'ailleurs l'avoir indiqué.
Voilà, Monsieur le Président, l'intervention déjà
trop longue que je voulais faire.
M. LE PRÉSIDENT
.- Nous sommes tout à fait honorés
de ces bons sentiments, que nous partageons bien entendu.
Si vous le voulez bien, Monsieur le Ministre, les débats vont s'ordonner
autour d'une procédure très simple. Je vais laisser la parole au
Rapporteur, qui va vous poser quelques questions.
Il serait bon que vous répondiez à chacune d'entre elles
d'emblée plutôt que de les accumuler. Nous tâcherons ensuite
d'équilibrer la séance dans une deuxième partie, afin que
chacun des parlementaires présents puisse poser les questions qu'il
souhaite, comme cela se passe presque toujours lorsque les commissions
d'enquête s'organisent et délibèrent.
M. LE MINISTRE
.- Je ne veux pas critiquer la méthode, car je suis
prêt à me soumettre à ce jeu des questions-réponses,
mais je voudrais vous faire observer que je ne peux pas à moi seul
remplacer toute mon administration, bien que connaissant de manière
assez approfondie le dossier sur lequel j'ai beaucoup travaillé.
Il est possible que M. le Directeur des libertés publiques ou mes
Conseillers puissent me faire parvenir des précisions qui m'auraient
échappé et me permettraient de nourrir substantiellement mes
réponses.
M. LE PRÉSIDENT
.- Je pense que M. le Rapporteur posera des
questions suffisamment générales, à la hauteur d'un
ministre, puisque nous nous réservons ensuite le droit d'entendre les
directeurs de l'administration pour entrer dans la technicité du
problème, ainsi que les Préfets, qui seront invités
à cet égard à préciser certains points.
Le Rapporteur posera une série de questions et je ne vois aucun
inconvénient à ce que vous les regroupiez pour des raisons de
commodité. Cependant, si vous avez le sentiment qu'une question suscite
un commentaire complémentaire, nous vous prions de nous le faire
remarquer.
M. ALLOUCHE
.- Je voudrais savoir combien de temps cela prendra.
M. LE PRÉSIDENT
.- La salle est réservée
jusqu'à 19 h.
M. LE MINISTRE
.- Je dois vous faire observer que je dois
impérativement me trouver au Ministère de l'Intérieur
à 18 h, mais je suis naturellement prêt à revenir
à une date à convenir d'un mutuel accord, mais vous devez mesurer
le fait que, surtout dans la période actuelle, le Ministre de
l'Intérieur est accablé de tâches.
M. ALLOUCHE
.- Je pense que le rôle du Rapporteur est en effet de
poser des questions, mais il le fait en tant que tel. Les parlementaires, qui
ne sont pas rapporteurs, doivent également avoir le temps d'en poser, si
possible en présence du ministre. Il faudrait donc limiter le nombre de
questions.
M. LE PRÉSIDENT
.- Vous permettrez néanmoins au Rapporteur
de poser les questions qui lui plaisent, sinon il n'existera pas de rapport.
C'est la loi et l'ordonnance, ainsi que la pratique tout à fait
coutumière d'un principe républicain qui conduit à
permettre au Parlement de contrôler le Gouvernement.
Je pense que vous êtes d'accord sur ce point, Monsieur le Ministre. En
effet, je vous ai entendu dire à maintes reprises que le Parlement
devait faire son métier, et nous sommes très exactement dans
cette situation aujourd'hui. Nous ne pouvons donc que nous réjouir de
pouvoir enfin contrôler ensemble le Gouvernement.
M. BALARELLO
.- Monsieur le Ministre, nous sommes heureux de votre
présence dans le cadre des problèmes d'immigration qui
intéressent le pays de façon majeure.
Vous avez déjà répondu par anticipation à un
certain nombre de questions que nous avions envisagé de vous poser, ce
qui nous simplifiera la tâche. Vous nous avez indiqué -ce que le
Président et moi avions bien ressenti- qu'en réalité votre
circulaire était fondée sur deux bases juridiques : d'une
part l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des
libertés fondamentales du 4 novembre 1950 -comme vous l'avez
rappelé- et, d'autre part, deux avis du Conseil d'Etat du 10 mai et du
22 août 1996.
C'est la base juridique de votre circulaire. Nous en sommes bien d'accord. A
partir de cela, je vous poserai quatre séries de questions, sur les
sujets suivants :
1) Le cadre général de la procédure de
régularisation. Vous avez d'ailleurs déjà répondu
à l'une d'entre elles.
2) Les éléments statistiques de l'opération. Vous avez
déjà répondu à un certain nombre de questions dans
ce cadre et, avec votre accord, nous nous permettrons d'en communiquer
certaines à votre cabinet, qui pourra nous répondre de
façon écrite.
3) La procédure d'instruction des demandes.
4) Les méthodes et moyens de l'administration. Vous avez
également déjà répondu à quelques questions
dans ce cadre.
En ce qui concerne le cadre général, comme vous l'avez
rappelé, douze cas ont été prévus par votre
circulaire. J'aimerais vous poser les questions suivantes concernant le cadre
général de la procédure de régularisation.
1) Dès lors que le Gouvernement a défini les critères de
délivrance des titres de séjour par voie de circulaire, quel peut
être l'intérêt de la définition pour les mêmes
catégories des critères par la voie législative, alors que
la circulaire laisse aux Préfets un pouvoir d'appréciation qui ne
ressort pas de la loi elle-même ?
M. LE MINISTRE
.- J'ai dit que la loi créait des droits, la
circulaire offrant une faculté à l'exécutif. Il est donc
normal que celle-ci ne s'exerce que pour un temps limité, puisqu'il
existait un passif, que j'ai chiffré à environ 150.000 demandeurs
étrangers en situation irrégulière qui étaient
là avant que je prenne mes fonctions.
Ils se sont manifestés, mais il est bon que la loi fixe des
règles aussi lisibles que possible et aussi justes et
équilibrées que souhaitable. Nous nous situons dans deux ordres
différents.
2) La publication de la circulaire et l'annonce qui en a été
faite ne risquent-elles pas d'inciter les étrangers à
l'immigration clandestine, dans l'espoir de bénéficier ensuite
d'une nouvelle régularisation ?
M. LE MINISTRE
.- C'est ce que l'on appelle " l'appel d'air "
dans la presse populaire, mais nous devons en réalité observer,
sur nos frontières en tout cas, une légère pression
supplémentaire, dont l'origine est presque exclusivement l'afflux de
Kurdes d'Irak ou de Turquie, depuis un an.
Pour vous citer un chiffre, nous sommes passés de
4.910 réadmis, notamment en Italie, à 5.500 en 1997. Le
nombre de réadmis, qui est un bon instrument de mesure, a
augmenté de 10 % d'une année sur l'autre, mais ceci ne
couvre pas l'afflux des Kurdes. Aucune pression supplémentaire n'a
été exercée, comme nous pouvons le voir à travers
les statistiques.
Nous voyons par ailleurs que les nationalités concernées ne sont
pas toujours celles auxquelles nous pensons le plus spontanément.
Aujourd'hui, ce sont très souvent les Asiatiques qui font l'objet de
procédures de réadmission, c'est-à-dire de refoulement.
M. LE PRÉSIDENT
.- L'arrivée des Kurdes à la
frontière est-elle liée à la circulaire ?
M. LE MINISTRE
.- En aucune manière. Si elle avait un effet, il
serait extrêmement marginal. On m'a signalé le cas de certains
Chinois venant de pays voisins dans l'espoir de se faire régulariser,
mais il est évident qu'un Chinois habitant la Belgique n'a absolument
pas vocation à être régularisé en France. Il faut
être tout à fait clair sur ce point.
M. BALARELLO
.- Je connais relativement bien le problème kurde. En
effet, je suis maire d'une commune située à la frontière
avec l'Italie, et les Kurdes passent abondamment par les zones
frontière. Je vous ai d'ailleurs interrogé oralement sur cette
question, Monsieur le Ministre.
M. LE MINISTRE
.- L'origine du problème kurde est simple. Il
existe dans le nord de l'Irak un no man's land juridique exposé à
toutes les guerres intestines et pénétrations
étrangères, qui sert de base de repli au PKK et où l'UPK
et le PDK se déchirent. Il est soumis à l'embargo et la vie y est
difficile.
Le sud de la Turquie est le théâtre des événements
que nous connaissons avec le PKK et il existe des filières clandestines
-nous en avons démantelées deux très récemment- qui
acheminent un certain nombre de ces personnes en direction de l'Europe. La
plupart d'entre elles vont d'ailleurs vers l'Allemagne et vers les zones de
peuplement kurde.
En effet, on ignore que certains tropismes géographiques sont
hérités de l'histoire et font que les Kurdes vont là
où il y a des Kurdes, les Turcs là où il y a des Turcs et
les Maghrébins là où il y a des Maghrébins.
3) Est-il exact que des régularisations aient été
accordées notamment à la préfecture de Paris avant la date
limite de dépôt des demandes (1er novembre 1997) ?
Dans votre esprit, l'instruction de ces demandes pourrait-elle commencer avant
le 1er novembre ou seulement après cette date, la circulaire semblant
permettre deux interprétations différentes ?
M. LE MINISTRE
.- Oui, la circulaire permettait des
régularisations avant la fin de la date indiquée pour le
dépôt des demandes.
M. BALARELLO
.- Avouez que la circulaire est sujette à deux
interprétations.
M. LE MINISTRE
.- Je ne le pense pas, car une date limite est
fixée pour les dépôts de demande mais pas pour les
régularisations.
M. BALARELLO
.- Si vous vous penchez sur le texte, vous vous rendrez
compte que notre doute était légitime.
4) Des demandes ont-elles été présentées
après le 1er novembre 1997 et ont-elles été
déclarées recevables ? Si oui, quel est leur nombre ?
Vous avez répondu à cette question.
5) La marge d'appréciation laissée aux préfets est-elle
largement utilisée et n'était-il pas prévisible qu'elle
conduise à des inégalités de traitement selon les
départements, ce qui a été souligné dans la
presse ?
M. LE MINISTRE
.- Une bonne trentaine de fiches ont été
adressées dans les préfectures de façon à unifier
l'application de la circulaire. Par conséquent, à toute une
série de questions pratiques qui nous ont été
posées, des réponses harmonisées ont été
faites sur tout le territoire national. Il faut bien que le jacobinisme serve
à quelque chose.
M. BALARELLO
.- Je pense que M. Galabert vous fera un rapport sur
ces problèmes, si ce n'est déjà fait.
M. LE MINISTRE
.- Comme je vous l'ai indiqué, M. Galabert se
rend tous les quinze jours au ministère de l'intérieur pour faire
le point avec mon Directeur de cabinet. J'ai réuni par ailleurs les
Préfets à plusieurs reprises pour étudier la situation et
leur donner des indications très fermes et très claires sur ce
qu'il convenait de faire dans certains cas difficiles.
6) Quels sont les principaux motifs de refus de régularisation ?
M. LE MINISTRE
.- Quand les personnes ne répondent pas aux
critères.
M. BALARELLO
.- Nous voulons essayer de déterminer très
exactement quelles sont les types de demandes rejetées.
M. LE MINISTRE
.- Soit les personnes n'ont pas de lien de parenté
quand elles se réclament des catégories qui impliquent qu'elles
soient conjoint, enfant ascendant, etc., soit il peut s'agir de
célibataires manifestant une faible insertion en France. S'ils sont
arrivés en 1996, comme cela peut être le cas, ils ont
effectivement peu de chances d'être régularisés.
Il faut être tout à fait clair. La règle est que ces
personnes ne pourront être régularisées
qu'exceptionnellement, pour des durées de séjour
inférieures à sept ans, le critère principal étant
celui de l'intégration et de la bonne insertion dans la
société française.
Je lis souvent qu'il leur est demandé un bulletin de salaire ou une
quittance de loyer, par exemple, mais il s'agit uniquement d'apprécier
ce que nous appelons un faisceau d'indices et de rien d'autre. Elles peuvent
donner d'autres indices indiquant qu'elles sont en France depuis
déjà un certain temps et qu'elles se sont inscrites dans le
paysage français.
Le bulletin de salaire ne sert qu'à titre indicatif. Si elles ne peuvent
pas fournir une preuve de leur présence effective en France et de leur
bonne insertion, elles auront peu de chance de voir leur situation se
régulariser. C'est probablement cette catégorie de personnes qui
fait l'objet du plus grand nombre de rejets.
M. BALARELLO
.- Je crois que cette question est importante et je vais
l'éclairer par celles qui suivent : " Il serait logique que
les étrangers déboutés soient éloignés du
territoire. Dans ce cas, une décision d'éloignement sera-t-elle
systématiquement prise ?
Une solution contraire est-elle envisagée dans certains cas ?
Quelles dispositions concrètes avez-vous prises pour garantir
l'exécution effective des mesures d'éloignement du territoire,
sachant que le Premier Ministre vient d'exclure l'utilisation de ce que l'on a
appelé les " charters " ?
Les dossiers des déboutés seront-ils conservés, pour
quelle durée et pour quelle exploitation ? "
M. LE MINISTRE
.- J'ai déjà répondu à cette
dernière question. J'ai indiqué qu'il s'agissait d'une mission de
recherche de l'IHESI et éventuellement du CNRS, qui travailleraient sur
ces dossiers pour mieux connaître ce qui par définition n'est pas
connu.
S'agissant de votre question précédente, les étrangers
déboutés reçoivent une invitation à quitter le
territoire et il leur est précisé par lettre qu'ils peuvent
bénéficier d'une aide au retour (un billet, la prise en charge
des bagages, une lettre de l'OMI, un entretien et éventuellement une
aide à l'accueil dans le pays d'origine) et, dans certaines conditions,
d'un certain soutien pour leur réinsertion dans leur pays d'origine.
C'est l'objet d'un rapport sur lequel a travaillé M. Sami Nair et
qui a été remis au Premier Ministre, mais il faut le temps que
tout cela se mette en place.
M. LE PRÉSIDENT
.- Vous nous avez dit précédemment
avoir enregistré 15.391 refus, c'est-à-dire que vous avez
engagé 15.391 procédures de notification et pris les dispositions
nécessaires pour que les personnes quittent le territoire. Est-ce bien
cela ?
M. LE MINISTRE
.- Exactement. Une lettre a été
adressée aux intéressés.
M. LE PRÉSIDENT
.- S'agit-il d'une lettre
personnalisée ?
M. LE MINISTRE
.- Oui. Elle est envoyée à l'adresse que les
personnes indiquent. Cependant, je dois préciser que c'est souvent par
le canal de certaines associations, qui jouent un rôle dans la
défense des intérêts des étrangers en situations
irrégulières -qui sont quelquefois présentes dans les
centres de rétention administrative- qu'un certain nombre de demandes
nous parviennent, même si elles sont souvent " limites ",
notamment s'agissant de celles que nous avons reçues dernièrement.
M. LE PRÉSIDENT
.- Les adresses données sont donc celles
des associations.
M. LE MINISTRE
.- Pas toujours, mais souvent. J'ajoute que ces adresses
sont très souvent parfaitement connues. En effet, beaucoup des personnes
qui ont demandé le bénéfice de la circulaire ont
déjà multiplié les démarches
précédemment et nous les connaissons.
M. LE PRÉSIDENT
.- Devons-nous comprendre que, sur ces
15.000 refus, 12 ou 13.000 ne parviennent jamais aux
intéressés puisque vous disposez d'une adresse écran ?
M. LE MINISTRE
.- Nous pouvons penser que les associations transmettent
et avertissent les intéressés.
Nous sommes en présence de 150.000 étrangers en situation
irrégulière qui étaient présents sur notre
territoire avant le 1er juin 1997. Que se passait-il ? Ils étaient
effectivement exposés à être reconduits s'ils
étaient interpellés sur la voie publique. C'est la
réalité, il n'en existe pas d'autres.
M. DEMUYNCK
.- Des instructions ont-elles été
données aux Préfets pour qu'ils signent des arrêtés
de reconduction aux frontières pour les immigrants en situation
irrégulière dont les adresses sont connues ?
M. LE MINISTRE
.- C'est la procédure normale.
M. ALLOUCHE
.- Sur ce point précis, comment penser un seul instant
qu'un étranger qui dépose un dossier de régularisation
fournira une fausse adresse s'il veut recevoir un titre de séjour ?
Il faut bien que celui-ci lui parvienne à une adresse réelle,
donc la suspicion n'a pas de sens dans ce cas.
J'ai eu connaissance la semaine dernière du cas d'une personne
originaire du Sénégal ayant reçu une décision de
refus. Je vous apporterai la lettre pour la prochaine séance. Elle est
invitée à quitter le territoire. La suspicion qui est
portée n'a pas de sens. Si un étranger veut recevoir un titre de
séjour, il est très logique qu'il indique une adresse qui pourra
être utile dans ce cadre.
M. LE PRÉSIDENT
.- Il n'y a suspicion de rien du tout ni de quoi
que ce soit. Nous cherchons aujourd'hui à comprendre ; c'est la
tâche de la Commission. Quand M. le Ministre dit -me semble-t-il
à juste titre- qu'un certain nombre des adresses fournies sont celles
d'associations, il ne s'agit pas de suspicion mais d'un constat.
Nous pouvons penser que les adresses signifiées à
l'administration ne sont pas celles des intéressés mais des
associations. C'est ce que j'appelle une adresse écran.
M. BALARELLO
.- Monsieur le Ministre, si l'aide au retour que vous avez
mise en place ne suffit pas à inciter la personne en situation
irrégulière à repartir, procéderez-vous à
l'expulsion du territoire ?
M. LE MINISTRE
.- Bien évidemment. Il existe des procédures
de reconduite à la frontière. La police des frontières a
pour mission d'assurer les reconduites et l'un des objets du projet de loi -il
sera discuté au Sénat la semaine prochaine- sera d'assurer un
meilleur taux de reconduite que celui observé jusqu'à
présent.
Je rappelle que, pour ce qui concerne les étrangers frappés d'une
interdiction du territoire, la moitié d'entre eux n'ont pas
été reconduits en sortant de prison ; le chiffre dont je
dispose est celui de 1996. S'agissant de ceux qui avaient été
interpellés sur la voie publique, le taux de reconduite effective -je ne
parle pas des notifications par voie postale, leur taux étant
dérisoire- était de l'ordre de 43 %, si mes souvenirs sont
exacts.
Ce taux a augmenté si l'on procède à un décompte
séparément par rapport aux arrêtés
préfectoraux de reconduite à la frontière transmis par
voie postale, qui ne sont exécutés qu'à hauteur de
0,35 %.
M. LE PRÉSIDENT
.- Ce n'est pas la poste qui ne fonctionne pas,
mais les adresses qui sont fausses.
M. LE MINISTRE
.- Ces arrêtés sont considérés
comme n'étant pas exécutoires.
Je voudrais préciser pour M. le Rapporteur que le système
des flux migratoires repose très largement sur l'efficacité des
reconduites, qui elle-même dépend de la bonne volonté des
consulats et des intéressés, du dispositif législatif,
ainsi que d'une meilleure coordination entre les services de la Chancellerie et
ceux du Ministère de l'Intérieur.
Je m'efforce de faire en sorte que cette coordination soit plus efficace
concernant les étrangers frappés d'un certain nombre de peines
d'interdiction du territoire dès lors qu'ils n'ont pas d'attaches
familiales caractérisées en France.
S'agissant des charters, que vous avez évoqués
précédemment, M. Jospin a répondu à une
question qui lui était posée en disant que l'inclinaison du
Gouvernement n'était pas d'utiliser ce procédé, qui a
surtout -il faut le dire- une fonction gesticulatoire.
La France ne doit pas donner d'elle-même une image qui ne serait pas
comprise. L'utilisation de charters à des fins gesticulatoires n'est pas
une bonne chose. Je dirais même que le nombre d'étrangers
reconduits par charter n'a que très rarement dépassé 7
à 8 % de la totalité des personnes concernées.
Nous pouvons faire sans ; j'ai toujours pensé que c'était
préférable. En effet, le fait d'utiliser un charter oblige
à concentrer les effectifs et donne lieu à des pratiques qui ne
sont pas forcément les mieux adaptées.
Certaines méthodes peuvent certainement être perfectionnées
mais doivent être plus humaines. C'est à cela que tend la
politique du Gouvernement. C'est un dispositif qui démarre.
La circulaire concernant l'aide au retour vient d'être publiée il
y a quelques jours, mais il faut aussi penser à d'autres
mécanismes. C'est un domaine dans lequel nous devons faire preuve
d'imagination pour concilier deux éléments : la
maîtrise des flux migratoires et les bonnes relations que nous nous
devons d'entretenir avec les pays qui appartiennent pour la plupart à
l'espace francophone, à l'image que la France donne d'elle-même
à l'extérieur.
Cela fait partie d'une gestion fine. Par conséquent, tout ce qui est
gesticulatoire dans cette politique doit être à mon sens
prohibé. Cela a sans doute été le défaut de la
politique précédente, qui consistait à faire de
l'immigration en tant que telle un mal.
Ce n'est pas l'immigration en tant que telle, mais l'immigration
illégale qui n'est pas acceptable. L'immigration régulière
ou la circulation de personnes qui, par exemple, rendent visite à leur
famille est tout à fait autre chose.
M. CALDAGUES
.- Faut-il comprendre que, sur les 15.391 refus
enregistrés à ce jour, aucune reconduite à la
frontière n'a encore été effectuée ?
M. LE MINISTRE
.- Non. J'avais subordonné les arrêtés
préfectoraux de reconduite à la frontière à la
parution de la circulaire concernant l'aide au retour. Celle-ci est maintenant
en place et le mécanisme que j'ai décrit doit pouvoir
s'exécuter.
M. CALDAGUES
.- Pourrons-nous être informés
régulièrement du nombre de reconduites à la
frontière ?
M. LE MINISTRE
.- Je ne demande pas mieux que de vous informer, mais je
vous ai expliqué précédemment qu'il s'agissait d'une
opération d'une grande complexité, qui se déroule sur six
mois, et que je demandais un effort considérable aux services. Or vous
me demandez de vous dire dès maintenant ce qui se passe, alors que je ne
suis même pas en position de vous donner des chiffres définitifs.
J'ai défini une procédure, des catégories et des
règles. Il faut que les personnes soient reçues personnellement.
De plus, un ajustement constant est fait par voie de circulaire pour que la
même règle s'applique partout sur le territoire. Je ne peux pas en
être à la fin du film alors que nous en sommes tout à fait
au début par définition.
Les préfectures auront terminé le 30 avril, peut-être
à l'exception d'un ou deux départements. Normalement, tout ceci
devrait se réaliser dans les quatre ou cinq mois qui viennent.
M. ALLOUCHE
.- Je conteste la méthode. Vous avez dit
précédemment que le Rapporteur poserait ses questions, que
M. le Ministre répondrait et qu'ensuite chacun aurait la parole. Si
nous commençons à interpeller M. le Ministre sur chaque
point, où allons-nous ?
Laissons le Rapporteur poser ses questions. Ensuite, chacun prendra la parole.
M. LE PRÉSIDENT
.- C'est une observation et non une question.
M. BALARELLO
.- S'agissant des statistiques de l'opération, vous
avez déjà répondu à une série de questions
sur le nombre définitif des demandes. En revanche, vous pourrez nous
faire passer une note concernant le nombre de départements les plus
concernés.
Combien de régularisations et de refus ont été
prononcés à ce jour ?
Vous nous avez également répondu.
A quelle date l'opération sera-t-elle achevée ? S'agira-t-il
du 30 avril ou attendez-vous la promulgation de la nouvelle loi ?
M. Le MINISTRE
.- La nouvelle loi devra donner lieu à des
décrets d'application. Je ne pense pas qu'ils pourront être
publiés en totalité avant le mois d'avril ou mai. La règle
que j'ai fixée à toutes les préfectures est que leur
travail devra être achevé le 30 avril.
Cependant, le chiffre des demandes est considérable, notamment en Seine
Saint-Denis et à Paris. Normalement, tout devrait être
terminé le 30 avril.
M. LE PRÉSIDENT
.- De toutes façons, votre pouvoir
réglementaire peut vous conduire à proroger la circulaire sans
que personne n'y trouve à redire.
M. LE MINISTRE
.- Je pense que la loi sera entrée en vigueur avant.
M. BALARELLO
.- Concernant la répartition des
bénéficiaires par nationalités, départements, etc.,
nous demanderons si vous le permettez à vos collaborateurs de nous
donner les éléments.
Vous avez également répondu à la question sur le suivi
social il y a un instant, mais je voudrais néanmoins vous signaler un
problème. Dans les catégories de bénéficiaires
visées par la circulaire au paragraphe 1.9, il est prévu le cas
de " personnes n'ayant pas le statut de réfugié politique
qui pourraient courir des risques vitaux en cas de retour dans leur pays
d'origine du fait d'autorités tierces par rapport au Gouvernement
légal ".
Vous ajoutez dans le texte, concernant les Algériens qui s'estimeraient
menacés en cas de retour dans leur pays d'origine que : " Les
dossiers seront transmis à la Direction des libertés publiques en
vue d'être soumis à une commission interministérielle avant
toute décision ".
Cette commission interministérielle a-t-elle été mise en
place ?
Je vous signale, Monsieur le ministre -je ne sais pas si vous en avez eu
connaissance car c'est très récent- un jugement du tribunal
administratif de Nice en date du 13 janvier 1998, qui a annulé un
arrêté préfectoral s'agissant de la reconduite d'un
Algérien à la frontière.
Il indique ceci : " Considérant qu'au terme du dernier
alinéa de l'article 27 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, un
étranger ne peut être éloigné à destination
d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont
menacées, il ressort des affirmations du requérant, non
contredites utilement par le Préfet, qu'il est originaire de la
région de l'Oued Farez, où il exerce la profession d'agriculteur.
" Cette région est située à proximité du
village de Relizane, où vient de se produire le massacre de 400
personnes.
" Eu égard à ces circonstances, M. Beklefa est
fondé à invoquer le bénéfice des dispositions de
l'article 27 bis précité. Par suite, l'arrêté de
reconduite du 11 janvier 1998 doit être annulé en tant qu'il
désigne implicitement l'Algérie comme pays de destination ".
Une commission interministérielle sera-t-elle mise en place et
quand ?
J'attire votre attention sur le fait que le cas de M. Beklefa peut
être multiplié à l'infini compte tenu des
événements qui ont lieu en Algérie à l'heure
actuelle et qu'il en va de même concernant les Kurdes. Je ne sais comment
nous pourrons régler ce problème, sauf à travers
l'harmonisation européenne prévue par le traité
d'Amsterdam et par les accords du Luxembourg.
M. LE MINISTRE
.- La commission que vous évoquez existe, puisque
l'asile territorial était déjà accordé par les
Gouvernements précédents, M. Pasqua et M. Debré
ayant concédé près de 3.000 titres de séjour
à des Algériens.
Les attendus du tribunal de Nice sont une chose, mais il est intéressant
de tenir compte de ce que sera le texte de la loi que nous allons voter, telle
qu'elle a d'ailleurs été amendée en première
lecture à l'Assemblée Nationale pour que cette notion soit
strictement encadrée et que nous puissions savoir exactement de quoi il
s'agit.
Il faut que ses bénéficiaires fassent la preuve d'une menace
effective. La proximité de Relizane, même si nous avons pu
être extrêmement choqués par ce qui s'est passé,
n'est peut-être pas un argument suffisant. Il faut aussi que
l'intéressé apporte la preuve d'une menace avérée.
Il est par ailleurs indiqué que cette politique doit être conforme
aux intérêts de la France. Je ne sais si nous pouvons attendre
grand-chose d'une règle définie à l'échelle
européenne sous le régime de la codécision à la
majorité qualifiée.
J'ai tendance à penser -comme je vous l'ai indiqué
précédemment- que ceux qui seront admis au bénéfice
de l'asile iront là où se trouvent déjà des
personnes de leur communauté. Les Kurdes ou les Turcs iront en Allemagne
et les Maghrébins en France, tandis que les Indiens ou les
Jamaïquains se rendront en Grande-Bretagne.
M. BALARELLO
.- Dans la mesure où le Gouvernement allemand
acceptera peu ou prou les mêmes critères que nous en
matière de droit d'asile.
M. LE PRÉSIDENT
.- Nous nous trouvons en dehors du cadre de la
circulaire. Il s'agit d'interpréter la loi. Pour l'instant, je suis bien
obligé d'assurer la police des débats. Je tiens compte du fait
que M. le Ministre ne veut pas s'attarder trop longtemps eu égard
à ses charges et je voudrais qu'une ou deux questions brèves
puissent être posées de chaque côté de la Commission.
M. BALARELLO
.- J'en ai terminé. Vous nous avez déjà
répondu concernant M. Galabert, mais nous demanderons de l'entendre
le cas échéant.
Vous nous avez également apporté des réponses partielles
s'agissant des moyens que vous avez mis à la disposition des
préfectures.
Restent les questions suivantes :
De quels moyens l'administration dispose-t-elle pour détecter les
demandes multiples et pour s'assurer qu'un demandeur n'est pas frappé
par une mesure d'interdiction judiciaire du territoire ou encore qu'il n'a pas
bénéficié de l'aide au retour ?
De quels moyens l'administration dispose-t-elle pour vérifier qu'un
étranger n'a pas vu sa demande d'asile rejetée dans un Etat
partie à la Convention de Dublin ?
Un logiciel a-t-il été conçu pour le traitement des
dossiers ?
M. LE MINISTRE
.- Des outils sont d'ores et déjà
disponibles : l'AGDREF, le système d'information Schengen, etc.,
qui permettent de vérifier le cas échéant que
l'intéressé est déjà connu ou qu'il aurait
été traité dans un pays voisin de l'espace Schengen. En
effet, le système d'information Schengen est essentiellement nourri par
l'Allemagne et la France.
M. BALARELLO
.- Qu'en est-il des demandes multiples d'une même
personne dans plusieurs départements ?
M. LE MINISTRE
.- AGDREF est un traitement informatique qui permet de
savoir si le même demandeur s'est manifesté à plusieurs
reprises dans différents départements.
Le nombre de demandeurs d'asile était de 116.000 en Allemagne en 1996
contre 13.700 en France. Il est plus important en Allemagne, même si les
demandes ne sont satisfaites qu'à hauteur de 5 %, les demandeurs
d'asile déboutés posant un problème très complexe
à gérer dans ce pays.
Je vous donne ces deux chiffres car je pense qu'une vision large et
européenne est utile de ce point de vue, pour voir ce qui se passe dans
les différents pays. Connaître d'abord et agir ensuite
répond aux principes de toute politique.
M. BALARELLO
.- J'en ai terminé en ce qui me concerne.
M. ALLOUCHE
.- Je poserai une question lorsque j'aurai exprimé
quelques considérations préalables.
Mes chers collègues et Monsieur le Président, il faut comprendre
le problème évoqué et les raisons pour lesquelles cette
Commission est réunie.
En effet, nous sommes ici en présence d'une commission d'enquête
décidée par le Sénat sur des faits que certains
considèrent comme déterminés, alors que les questions qui
viennent d'être posées par M. le Rapporteur -et que je
respecte- montrent à l'évidence qu'une telle commission est
prématurée.
Si nous avions voulu avoir des précisions sur la façon dont les
choses ont été faites, avec un bilan statistique précis
sur le nombre de dossiers déposés, de réponses positives
accordées et d'éloignements, il aurait fallu attendre au moins le
30 avril pour mettre en place cette Commission d'enquête, afin que le
Sénat puisse travailler à partir de la date de clôture.
Comme M. le Ministre l'a dit, les questions posées mettent en
évidence le caractère électoraliste de l'opération.
M. LE PRÉSIDENT
.- Je vous en prie, épargnez à la
Commission les commentaires politiques. Je ne sais pas si celle-ci a la
capacité d'agir prématurément ou non, mais ce sont les
résultats de ses travaux qui permettront de porter un jugement
définitif sur le thème qui nous occupe. Ayez la gentillesse de
poser une question et de ne pas oblitérer le débat par des
prolégomènes un peu longs.
M. ALLOUCHE
.- Monsieur le Président, vous me permettrez
d'être libre des propos que je veux tenir.
M. LE PRÉSIDENT
.- Oui, mais je suis soucieux de l'organisation
des débats et vous demanderai à cet égard de ne pas priver
vos collègues de la parole ; ce n'est pas démocratique.
M. ALLOUCHE
.- Vous ne m'empêcherez pas de dire ce que j'ai envie
de dire, car les personnes en situation irrégulière dont nous
parlons aujourd'hui sont le résultat d'une situation dans laquelle le
Gouvernement actuel n'est pour rien ; il faut le savoir.
La Commission d'enquête en place aujourd'hui aurait dû se
réunir pour connaître les raisons pour lesquelles le Gouvernement
précédent n'a pas régularisé, comme le Conseil
d'Etat l'y a invité, ceux qui étaient en droit de l'être.
A partir de là, je ne peux taire le côté
électoraliste des choses, car il saute aux yeux que vous voulez
exploiter certains éléments dans le cadre d'une campagne.
Monsieur le Ministre, à partir de quel moment précis
pourrons-nous selon vous avoir un bilan statistique officiel sur le nombre de
dossiers pris en considération et d'acceptations, les conditions de
délivrance de l'ensemble des titres de séjour et celles
d'éloignement des personnes qui ont été invitées
à quitter le territoire ?
M. LE MINISTRE
.- Très franchement, nous ne pourrons le faire que
vraisemblablement dans le courant du mois de mai. J'espère que nous
pourrons avoir une vue d'ensemble du traitement de la question à la fin
de celui-ci.
Je suis un peu inquiet s'agissant de un ou deux départements, qui ont
une charge de travail très lourde. Cependant, plus du tiers du travail a
été fait. En effet, des dossiers n'ayant pas donné lieu
à décision ont déjà été en partie
instruits.
Nous avons adopté un bon rythme et les services travaillent bien. On
incrimine souvent ceux que l'on appelle ironiquement les
" guichetiers ", mais ce sont des employés souvent modestes,
qui font un travail très délicat, qui implique beaucoup
d'humilité, un jugement sûr et une connaissance des textes.
Je serai en mesure de vous donner une vision d'ensemble à la fin du mois
de mai.
M. CAMOIN
.- La question qui se pose est la suivante : va-t-on
recommencer en France à régulariser systématiquement les
179.531 personnes en situation irrégulière ? Votre position
consiste à dire non, mais elle est très habile. En effet, vous
êtes en train de nous dire qu'un tout petit pourcentage des personnes
repartira parce qu'il est en irrégularité manifeste, mais que
vous n'avez en fait aucun pouvoir dans ce cadre.
Combien de personnes non-régularisables retourneront-elles dans leur
pays d'origine sur les 179.531 qui ont été
évoquées ?
Attendons le mois de mai, mais je suis prêt à parier que le
pourcentage sera très faible. La manoeuvre actuelle consiste en fait en
une régularisation pour toutes les situations irrégulières.
M. LE MINISTRE
.- Vous mélangez tout, Monsieur le Sénateur,
excusez-moi. Il ne s'agit pas d'une régularisation globale, comme j'ai
eu assez de difficultés à le faire comprendre. Elle a
été effectuée sur la base de critères
définis par le collège des médiateurs, avant même ma
prise de fonction. Ils ont été revus par la CNCDH et nous les
avons nous-mêmes réexaminés et précisés.
Le chiffre que vous avez indiqué n'est pas le bon. Je vous ai dit que,
compte tenu de tout ce que nous observions, le chiffre réel était
sans doute un peu inférieur à 150.000.
En tout état de cause, je tiens à souligner qu'il s'agit du
passif qui nous a été légué par les
précédents Gouvernements. Il faut bien voir que, au contraire,
l'actuel Gouvernement a le souci et la volonté de clarifier un certain
nombre de situations qui étaient devenues inextricables, inhumaines et
insoutenables, et qui donnaient lieu à des désordres qu'il
fallait calmer.
Nous avons voulu procéder de la manière la plus méthodique
qui soit. C'est une bonne méthode de gouvernement. Ceux qui peuvent
être régularisés au titre des différentes
catégories précisées dans la circulaire, essentiellement
pour des raisons familiales, le seront. Les autres seront invités
à quitter le territoire.
Nous travaillons sur un dispositif visant à rendre ce retour plus
facile, non seulement à travers la loi et les dispositions qu'elle
comporte, pour prolonger par exemple de deux jours la durée de la
rétention administrative. Cette dernière pourra surtout
l'être pour des étrangers faisant obstacle à leur
identification -ce qui est souvent le véritable problème- ou qui
détruisent leurs documents de voyage.
Par ailleurs, un dispositif complet sera mis en place au titre du
co-développement, pour favoriser le retour dans des conditions
humainement acceptables.
Nous ne cherchons pas à faire de la gesticulation sur un sujet aussi
délicat, mettant en jeu autant d'intérêts fondamentaux, qui
sont ceux du pays. Je pense qu'il faut être près des faits,
extrêmement sérieux et écouter les thèses en
présence pour définir des règles justes et
équilibrées.
La République ne peut pas se passer de règles, mais nous pouvons
faire en sorte qu'elles soient plus justes et tiennent davantage compte de
l'intérêt de la nation.
M. CALDAGUES
.- Je voudrais renouveler en la complétant une
question que j'avais commencé à poser. M. le Ministre de
l'Intérieur pourra-t-il, à une cadence que je laisse le soin au
Président et au Rapporteur de déterminer, nous communiquer
régulièrement le nombre de refus (à ce jour 15.391), qui
est sans doute destiné à évoluer et, le nombre de
reçus à chaque pointage, le nombre de notifications revenues avec
la mention " N'habite pas à l'adresse indiquée " et
enfin le nombre de reconduites à la frontière ?
Je ne fais pas de procès d'intention, mais je crois qu'il est
indispensable que nous connaissions ces chiffres pour nous faire une religion
sur le degré d'efficacité de votre dispositif. Notre opinion se
fera peu à peu et nous ferons le point in fine en mai.
M. BALARELLO
.- Nous avons prévu des auditions jusqu'au 30 avril.
M. LE MINISTRE
.- Je publie tous les mois le nombre de refus, de titres
de séjours accordés et de récépissés. Je ne
peux pas vous dire le nombre de personnes qui seront reçues, car je ne
peux pas accabler ma préfecture de demandes de statistiques.
Quant au nombre de reconduites à la frontière, elles sont connues
et publiées. Un rapport est rédigé. Cela correspond
toujours à environ un millier de personnes par mois.
M. CALDAGUES
.- Ce n'est pas la question posée. Nous
désirons connaître le nombre de reconduites et de notifications
revenues avec la mention " N'habite pas à l'adresse
indiquée " par rapport au " stock " de décisions
négatives.
Nous devons savoir ce que sont devenues ces 15.391 personnes (pour le moment),
dès lors que vous n'avez aucune sorte de sûreté
vis-à-vis d'elles. Je ne sais ce qu'il peut arriver. Il y a lieu de
penser qu'un certain nombre d'entre elles vont s'évaporer dans la
nature, selon un processus qui dure depuis des années et que nous
connaissons.
Il serait intéressant de pouvoir mesurer ce déficit. En effet,
nous pourrons nous faire une idée de l'efficacité de votre
dispositif avec des chiffres précis.
M. LE MINISTRE
.- Je pourrai vous donner le nombre exact de demandes
réelles à la fin du mois de mai, puisque nous aurons
automatiquement défalqué de celles-ci ceux qui n'auront pas
répondu ou dont il apparaîtra après relance qu'ils
n'habitent pas à l'adresse indiquée.
Comme je l'ai dit à M. Allouche, je pourrai vous donner une
réponse précise fin avril. Excusez-moi, mais vous me posez des
questions auxquelles je ne peux pas répondre dans l'état actuel
des choses.
Pour le reste, tout est public, y compris les reconduites à la
frontière. Les personnes qui " n'habitent pas à l'adresse
indiquée " aujourd'hui n'y habitaient pas non plus hier. Elles se
trouvaient en situation d'irrégularité avant le 1er juin
1997 ; il faut le rappeler. Vous semblez le découvrir.
M. CALDAGUES
.- Je ne le découvre pas.
M. MAHEAS
.- Tout en faisant miennes les idées défendues
par M. Allouche, je voudrais plutôt aller du côté
positif que du côté obstruction et négation par rapport
à une possibilité de régularisation.
Particulièrement touché effectivement dans le département
de la Seine Saint-Denis par les sans papiers, qui sont en situation dite
irrégulière, je constate -comme vous l'avez dit- qu'un certain
nombre de demandes ne sont pas confirmées pour un grand nombre de
raisons.
Les personnes concernées sont en situation précaire et
peut-être n'ont-elles pas, comme vous et moi, une adresse d'une semaine
à une autre. C'est malheureux, mais c'est ainsi.
Ne serait-il pas possible d'avertir jusqu'au 30 avril les personnes d'une
façon ou d'une autre, par exemple par voie de presse, qu'elles peuvent
toujours s'adresser à la préfecture parce qu'elles ont
changé d'adresse ou que leur situation est très difficile ?
Par ailleurs, plusieurs entretiens sont parfois nécessaires, ce qui pose
des difficultés d'organisation en Seine Saint-Denis, malgré les
moyens supplémentaires importants mis en place dans les
différents secteurs géographiques (pas seulement à la
préfecture) qui ont accueilli ces étrangers.
Est-il possible qu'au cours du premier entretien on en fixe directement un
second ou un troisième si l'on en ressent la
nécessité ?
Je sais ce qui se passe dans nos villes à partir du moment où
l'adresse n'est pas tout à fait exacte : un retour est
effectué systématiquement.
Ce n'est pas étonnant. Nous risquons de nous entendre dire par des
personnes de bonne foi qu'elles n'ont pas reçu de seconde convocation.
Enfin, je me permets de vous faire une suggestion : le ministère
va-t-il réfléchir à la façon dont, dans le cadre
d'une intégration intelligente, une collaboration pourrait exister avec
les communes voulant véritablement intégrer les
étrangers ?
M. LE MINISTRE
.- Rien n'empêche que chaque étranger
demandeur soit reçu plusieurs fois. La seule directive que j'ai
donnée est qu'il le soit au moins une fois, ce qui était loin
d'être le cas auparavant. Il faut cependant tenir compte du fait que la
capacité des services a des limites et que certains dossiers sont
très complexes.
Revenons au problème des adresses, quand les courriers reviennent avec
la mention " N'habite pas à l'adresse indiquée ". C'est
une question dont je demanderai à mes services de se saisir.
Peut-être un contact sera-t-il pris, une deuxième lettre
envoyée ou une enquête menée pour savoir ce qui se passe.
J'ajoute qu'il faut associer tous les ministères à la grande
oeuvre de l'intégration. Vous connaissez la problématique de
l'intégration et savez à quelles difficultés elle se
heurte souvent, non pas qu'elle ne continue pas à fonctionner,
même si c'est moins bien qu'en d'autres périodes de notre
histoire, moins marquées par le chômage et par toute une
série de difficultés sur lesquelles je passe rapidement. C'est un
travail d'ensemble.
Cela passe aussi par la non-discrimination à l'embauche et sur les lieux
de loisirs, ainsi que par la volonté d'intégrer en France de
nouvelles catégories de Français issus de l'immigration. Je pense
notamment aux jeunes qui sont dans nos écoles. Il faut qu'ils aient
ensuite un avenir, ce qui n'est pas toujours évident.
C'est le problème de l'accession à la citoyenneté,
à travers le désir de ces jeunes de devenir Français.
Toute une partie de l'histoire franco-algérienne vient de loin et est
occultée alors que nous gagnerions à y travailler.
Nous serions ainsi fidèles au devoir de mémoire si souvent
invoqué, en essayant d'éclairer ce qu'a été
l'histoire de la France en Algérie et les raisons pour lesquelles un
certain nombre de jeunes se trouvent sur notre territoire aujourd'hui. Cela
permettrait de vaincre bien des réticences et
arrière-pensées.
Ne nous racontons pas d'histoire ! Ce qui est en cause est à la
fois une situation économique et sociale et une volonté
collective de faire vivre la France et de faire des Français, des jeunes
qui ne se sentent plus Algériens et qui souvent ne se sentent pas encore
pleinement Français, la France ne se montrant pas nécessairement
sous un jour assez accueillant à leur égard.
M. LE PRÉSIDENT
.- Monsieur le Ministre, je crois que vous arrivez
à la limite du temps que vos fonctions vous obligent à respecter,
même si nous aurions encore bien des questions à vous poser.
Vous reviendrez si la Commission estime devoir vous entendre à nouveau.
Je ne pense pas que vous ferez obstacle à la nouvelle procédure,
dont nous n'abuserons pas.
M. LE MINISTRE
.- Je suis prêt à répondre à
vos questions par écrit.
M. LE PRÉSIDENT
.- Le débat oral est néanmoins plus
chaud.
Je vais me permettre une brève question : vous avez arrêté
les enregistrements à la date du 1er novembre.
M. LE MINISTRE
.- Au titre de la circulaire.
M. LE PRÉSIDENT
.- Oui. Si vous aviez la volonté de rouvrir
le dispositif et de réenregistrer de nouvelles demandes, n'avez-vous pas
le sentiment, Monsieur le Ministre, qu'elles seraient au moins aussi
nombreuses ?
M. Le MINISTRE
.- Non.
M. LE PRÉSIDENT
.- Pensez-vous que vous ayez épuisé
le flux de ceux qui demandent à être
régularisés ?
M. LE MINISTRE
.- Je ne peux pas exclure le fait qu'un certain nombre de
personnes se sachant en situation irrégulière et non susceptibles
d'être régularisées ne se soient pas manifestées.
Quel est le nombre d'étrangers en situation irrégulière en
France ? Les estimations varient. J'ai vu mentionner le chiffre de
200.000. Le rapport Philibert Sauvaigo en a cité 800.000, mais je n'ai
aucun chiffre me permettant de croire que ce soit exact et je ne le pense pas.
En revanche, je pense qu'il existe une très forte concentration
d'étrangers en situation irrégulière en région
parisienne. Quelques autres départements sont touchés, notamment
les Bouches du Rhône, les Alpes-Maritimes ou le Nord, mais certains ne
font l'objet de presqu'aucune demande.
M. LE PRÉSIDENT
.- Vous avez drainé profondément une
sorte de dispositif de clandestinité en prenant cette mesure. Vous
êtes allé loin.
M. LE MINISTRE
.- Je le pense. Cependant, prenons l'exemple des Kurdes.
5.500 d'entre eux ont été arrêtés à la
frontière franco-italienne et réadmis en Italie, mais il en passe
certainement. En effet, quelques centaines ont fait l'objet de contrôles
sur la ligne de chemin de fer Vintimille-Strasbourg via Nice. Des
étrangers se trouvent toujours en situation irrégulière,
mais ils ne sont souvent qu'en transit.
De même, des Tziganes d'origine tchèque se sont retrouvés
près de la Grande-Bretagne et ont été refoulés par
les Britanniques. Nous sommes exposés à la
pénétration de Roumains. Un millier d'entre eux s'était
récemment installé dans la région de Lyon. C'est un
travail difficile et ingrat.
Cependant, tous ces éléments procèdent des
déséquilibres du monde, qui sont économiques, politiques
et démographiques. Je vous montrerai les projections
démographiques de l'ONU à l'horizon 2040.
Il faut maintenir un équilibre, qu'on le veuille ou non. Il faut
proportionner les admissions au séjour à notre capacité
d'intégration et aux intérêts bien compris du pays, sans
oublier que les entrées sont une chose et les admissions une autre.
En effet, beaucoup de personnes mélangent tout et ne distinguent pas le
droit de l'entrée, du séjour et de la nationalité. Ce sont
des éléments tout à fait distincts et trois droits
très différents.
Nous devons être très libéraux s'agissant du droit
d'entrée car nous en avons besoin. Ce serait la faillite pour les
Alpes-Maritimes, par exemple, si les touristes ne venaient plus. C'est
l'évidence. Nous vivons des échanges internationaux. Des
centaines de milliards de francs sont en jeu.
Concernant le droit du séjour, il faut être stricts sans
être inhumains. Quant au droit de la nationalité, il faut avoir
des principes ; c'est ce à quoi s'efforce le Gouvernement.
M. LE PRÉSIDENT
.- Le droit du séjour implique en
réciproque le droit au retour, c'est-à-dire à la
reconduite ou à l'expulsion.
M. LE MINISTRE
.- Quand il s'agit d'un séjour irrégulier.
M. LE PRÉSIDENT
.- A partir du moment où vous autorisez le
séjour, cela signifie que vous l'interdisez à d'autres.
M. LE MINISTRE
.- La distinction fondamentale est entre ceux qui
respectent les règles et ceux qui ne le font pas. L'essentiel est de se
rappeler que la République en implique quelques-unes. Notre effort
collectif consiste à les rendre plus justes, plus
équilibrées et plus conformes à l'intérêt du
pays. C'est la raison pour laquelle un Parlement existe.
M. BALARELLO
.- Monsieur le Ministre, avec l'accord de la Commission, je
vous ferai parvenir plusieurs questions.
M. LE PRÉSIDENT
.- Monsieur le Ministre, je vais vous raccompagner
si vous le permettez.
Chers collègues, je vous demande de rester un instant à votre
place. Nous allons vous communiquer le programme et l'organisation des
séances futures, ainsi que le nom des personnes que nous entendrons.
(M. le ministre quitte la séance).
M. LE PRÉSIDENT
.- M. le Rapporteur va vous donner quelques dates
pour des auditions complémentaires échelonnées dans les
mois qui suivent. Nous vous enverrons des confirmations à mesure qu'il
sera nécessaire de vous convoquer.
M. BALARELLO
.- Si nous parvenons à obtenir le plus large
consensus, nous pourrions pratiquer de la façon suivante : les
déplacements en province pourraient avoir lieu le lundi ou le vendredi
et les auditions et réunions de la Commission se dérouleraient en
principe le jeudi matin.
En ce qui concerne les déplacements (à titre indicatif), nous
pourrions nous rendre dans la semaine du 2 février à Paris et
Bobigny.
Nous pourrions également auditionner le 5 février
M. Delarue, Directeur des libertés publiques au Ministère de
l'Intérieur, ainsi que M. Galabert, Chargé de mission sur le
suivi des régularisations.
Les dates retenues par ailleurs pour février pourraient être les
suivantes : Lyon et Marseille le 9, auditions de Préfets le 12,
déplacements à Colmar et Lille durant la semaine du 23, avec le
26 l'audition de trois chefs de services départementaux des
étrangers.
Mars : déplacement à Nice dans la semaine du 2, audition de
quatre chefs de services départementaux des étrangers le 5.
Avril : réunion de la Commission d'enquête le 2, audition sur
l'aspect social des régularisations le 9, audition de M. Galabert
le 23 -pour faire le point en fin d'opération puisque nous l'aurons
déjà auditionné- ainsi que de M. Delarue,
réunion de la Commission d'enquête le 30.
Toutes ces dates peuvent évoluer.
M. LE PRÉSIDENT
.- Vous recevrez le
"calendrier prévisionnel ". Nous pourrions prévoir une
nouvelle audition du ministre en fin de parcours, quand nous tirerons des
résultats de tous ces éléments, afin que la Commission
connaisse le reflet de la plus exacte vérité.
Je pense que chaque déplacement pourrait être organisé afin
que quatre collègues différents y participent à chaque
fois, en faisant en sorte que ceux qui ont une préférence pour se
rendre à un endroit puissent avoir satisfaction.
Le Rapporteur se rendra bien entendu partout, ce qui ne sera pas
forcément mon cas. En comptant quatre places par déplacement, je
pense que nous pourrons satisfaire la curiosité légitime de
chacun. Trois collègues se déplaceront donc à chaque fois,
plus le Rapporteur. Ceci appelle-t-il des observations de votre part,
étant entendu que ces éléments recevront
confirmation ?
Mme POURTAUD
.- Quatre personnes plus le Rapporteur serait
préférable.
M. LE PRÉSIDENT
.- Nous étudierons les demandes.
Dans une préfecture, nous visiterons notamment le service des
étrangers. C'est la règle absolue des Commissions
d'enquête, dont les pouvoirs sont larges puisqu'elles statuent
également sur pièces et sur place.
M. BALARELLO
.- Nous avons choisi les préfectures sensibles,
où un certain nombre de demandes ont été
déposées.
M. DEMUYNCK
.- La présence du ministre aujourd'hui a
été, pour des raisons que nous comprenons, de courte
durée. Or, vous avez proposé précédemment que nous
le verrions à la fin du processus d'enquête de la commission.
J'aurais souhaité si c'était possible que nous revoyions le
ministre plus tôt. J'avais de nombreuses questions à poser qui
n'ont pas obtenu de réponse et j'aurais aimé qu'il s'exprime sur
certains sujets. Ne pourrions-nous donc pas envisager une autre rencontre avec
lui ?
M. LE PRÉSIDENT
.- J'ai dit qu'une autre rencontre serait
organisée avec le ministre, mais je la situais plutôt vers la fin
de la mission. En effet, nous disposons de six mois, dont deux pour la
rédaction du rapport et son approbation. Nous avons grosso modo quatre
mois d'opérations sur le terrain et d'auditions diverses.
Je pensais effectivement qu'il fallait entendre le ministre une seconde fois,
mais plutôt en aval, après que nous ayons vu les situations dans
les préfectures, car nous aurons de meilleures questions à poser,
sans doute plus précises, après être allés in situ.
Cependant, il est bien entendu, comme le ministre vient de nous le confirmer
à l'instant, qu'il est à notre disposition pour une
deuxième rencontre vers la deuxième partie de la mission. Vos
questions se seront alors sans doute affinées avec pertinence, dans la
mesure où vous vous serez rendus dans une ou deux préfectures
pour constater la situation sur place.
M. BALARELLO
.- Certaines des questions ne pourraient-elles pas
être posées par écrit, puisque nous allons faire parvenir
un questionnaire au ministre et à ces services ?
M. DEMUYNCK
.- J'ai déjà posé au ministre plusieurs
questions qui n'ont jamais obtenu de réponse. Je souhaiterais donc que
cela se fasse plutôt en séance.
M. BALARELLO
.- C'est vous qui décidez.
M. LE PRÉSIDENT
.- Y a-t-il des objections ?
M. JEAN-MARIE DELARUE, DIRECTEUR DES LIBERTÉS
PUBLIQUES ET DES AFFAIRES JURIDIQUES
AU MINISTÈRE DE
L'INTÉRIEUR
JEUDI 5 FÉVRIER 1998
M.
MASSON, président
.- Nous allons tout d'abord entendre
M. Jean-Marie Delarue qui est directeur des libertés publiques et
des affaires juridiques au ministère de l'intérieur.
Nous devons vous entendre sous la foi du serment.
(M. le Président donne lecture des dispositions de l'article 6
de l'ordonnance du 17 novembre 1958 ; M. Jean-Marie Delarue
prête serment).
M. LE PRÉSIDENT.-
Je vous remercie.
Notre collègue, M. Balarello, qui est le rapporteur de cette commission
d'enquête, va si vous le voulez bien "ouvrir le feu", suite à quoi
je laisserai la parole aux collègues membres de la commission
d'enquête.
M. BALARELLO, rapporteur.
- Monsieur le directeur, nous vous remercions
d'être présent parmi nous aujourd'hui.
La commission est tout d'abord intéressée par le bilan des
régularisations à la date du 31 janvier 1998. A ce niveau,
il convient de distinguer deux catégories. Dans le cadre de la
circulaire du ministre de l'intérieur tout d'abord, nous souhaiterions
avoir connaissance des chiffres globaux avec les répartitions suivant
les différents critères posés par la circulaire,
également les chiffres par département, avec une
répartition suivant les critères. Ensuite, nous souhaiterions
connaître les chiffres de régularisation en dehors du cadre de la
circulaire, avec bien évidemment le même détail. Vous
voudrez bien nous dire, quels enseignements vous tirez de ces statistiques.
M. LE PRÉSIDENT.-
Peut-être, Monsieur le directeur,
pouvez-vous répondre aux questions les unes après les autres.
M. DELARUE.-
Sur les données d'ensemble, je peux vous dire que
les demandes de régularisation s'élevaient au 31 janvier 1998
à 179.118. Ce chiffre est d'ailleurs en légère baisse,
sauf erreur, par rapport au chiffre que vous avait indiqué le ministre
ici même, il y a quelques semaines, arrêté à la date
du 31 décembre 1997. On dénombrait alors 179.531 demandes et, si
le chiffre est en baisse, c'est pour des raisons qu'il vous avait
lui-même indiquées, à savoir qu'un certain nombre de
doubles demandes ont été enregistrées, pour diverses
raisons, que le décompte effectué par les préfectures a
fait apparaître récemment.
En ce qui concerne les autorisations de séjour, le chiffre au
31 janvier 1998 était de 23.439, en augmentation par rapport
à celui qui vous a été indiqué
précédemment, de 15.897 au 31 décembre 1997. Il est bien
entendu normal que ce chiffre augmente au fur et à mesure de l'examen
des dossiers.
S'agissant des décisions de rejet, au 31 janvier 1998, pour prendre
toujours la même référence, elles étaient de 22.491,
et elles s'élevaient à 15.391 au 31 décembre 1997.
Là aussi, on a constaté une augmentation.
Voilà ce que je suis en état de vous dire, Monsieur le
président, sur ce point.
Vous souhaitez avoir de ma part la répartition des données que je
viens de vous indiquer par critère, concernant notamment les
autorisations de séjour. Je ne suis pas capable de vous la donner en
l'état. Simplement, de l'examen par sondage que nous avons
effectué auprès des préfectures, il ressort que les
catégories les plus représentées quant aux autorisations
de séjour concernent, d'une part les parents d'enfants français,
d'autre part les conjoints de français. Cette catégorie à
elle seule représente, pour autant que nous puissions le mesurer
aujourd'hui, environ la moitié des autorisations accordées, le
reste se ventilant entre les autres catégories prévues par la
circulaire.
Enfin, sur les autorisations qui seraient intervenues hors de la circulaire, je
ne suis pas du tout en état de vous donner quelque chiffre que ce soit,
s'agissant de régularisations qui interviennent en permanence et dont on
peut supposer, compte tenu de l'intervention de la circulaire, qu'elles sont
aujourd'hui en nombre extrêmement restreint. A ma connaissance,
même si je ne peux pas vous l'affirmer, peu de préfets
régularisent aujourd'hui en dehors de ce qui est prévu par la
circulaire. J'ajoute que la connaissance qui est la mienne, de pratiques
préfectorales tenant aux titres de séjour, m'incline à
penser qu'en temps normal, les régularisations à titre
humanitaire, de façon très générale, sont
elles-mêmes d'un volume extrêmement faible.
M. LE RAPPORTEUR.-
Monsieur le directeur, vous n'avez pas répondu
à ma question en ce qui concerne les chiffres par département.
M. DELARUE.-
Je n'ai pas ces chiffres, mais il me sera aisé de
les communiquer ultérieurement à la commission.
M. LE RAPPORTEUR.-
Il s'agissait donc des principales questions que je
souhaitais vous poser.
En dehors de cela, quelles initiatives avez-vous prises pour assurer
l'harmonisation entre les pratiques des préfectures quant aux
méthodes et quant aux décisions, notamment sur ce qu'il est
convenu d'appeler dans la circulaire les faisceaux d'indices, dont je ne sais
s'ils sont toujours appréciés de la même manière
dans l'ensemble des départements ?
M. DELARUE.-
Monsieur le président, je me dois d'être
complet et je m'aperçois que l'une des questions posées
précédemment par le rapporteur portait sur les enseignements que
je tirais des chiffres que je vous ai indiqués. Pardonnez-moi de ne pas
y avoir sacrifié.
M. LE PRÉSIDENT.-
C'est subjectif mais c'est important !
M. DELARUE.-
Absolument.
A l'heure actuelle, sans qu'aucune consigne n'ait été
donnée en ce sens, le nombre de demandes satisfaites et le nombre de
demandes rejetées sont à peu près en équilibre. Si
je suis l'évolution au mois le mois depuis le 31 juillet 1997, et je
pourrai vous communiquer ces chiffres, d'une part des autorisations, d'autre
part des rejets, je constate qu'ils sont parallèles.
Pardonnez-moi d'insister là-dessus mais ce chiffre est bien le
résultat du travail des préfectures, il ne doit rien à
quelque consigne que nous aurions donnée.
Il est vraisemblable que ce chiffre global laisse apparaître, et j'en
viens à votre deuxième série de questions, une
disparité suivant les préfectures. Je veux dire par là
qu'il se peut qu'au niveau de certaines préfectures, ce 50/50 que je
vous indiquais soit plutôt de l'ordre de 40/60, certaines
préfectures délivrant 60 % d'autorisations, d'autres 60 % de
rejets.
Qu'avons-nous fait pour harmoniser les choses ? Je souhaite tout d'abord dire
que si nous observons, aujourd'hui, quelques divergences d'appréciation
des préfectures entre elles, je ne crois pas que ce soit un fait
nouveau, qui s'expliquerait par la seule régularisation. Je reste
convaincu que la régularisation grossit, fait mieux apparaître,
caricature si l'on veut, les pratiques des préfectures, et je suis
persuadé que dans la pratique courante de celles-ci, qui ne remonte pas
au 24 juin 1997, il y a des écarts dans la façon dont
on distribue d'une manière générale les titres de
séjour, même si ces écarts sont réduits. Ce que nous
constatons dans le cadre des opérations de régularisation n'est
autre que la confirmation d'un phénomène que je crois permanent.
Nous nous sommes efforcés de suivre d'aussi près que possible
l'opération de régularisation pour réduire ces
écarts que j'estime pour ma part inacceptables, sous réserve,
bien entendu, des conditions particulières à tel ou tel
département, en fonction du type d'immigration qui lui est propre car il
est bien évident que l'immigration n'est pas la même partout.
Certains écarts s'expliquent parfaitement de cette manière.
Comment avons-nous procédé ? Tout en laissant aux
préfectures l'autonomie de l'organisation, nous leur avons d'une part
donné une méthode d'examen des dossiers garantissant un examen
sérieux des demandes. C'est ainsi que nous avons demandé à
chaque préfecture, dès la circulaire du 24 juin 1997, d'entendre
individuellement l'ensemble des demandeurs. Nous avons parfois eu du mal,
pourquoi ne pas le dire devant vous, à faire admettre cette
réalité aux préfectures, et il a fallu faire certaines
relances. Il me semble en tout cas qu'aujourd'hui, toutes sont venues à
cette nécessité.
Nous avons fait en sorte, d'autre part, de suivre les préfectures dans
leurs résultats en leur demandant de nous faire connaître aussi
régulièrement que possible les suites de l'examen auquel elles se
livraient. Nous nous sommes surtout efforcés de donner aux
préfectures des consignes aussi claires que possible à savoir
qu'à partir de la circulaire, nous leur avons tout d'abord donné
des éclaircissements par un certain nombre de circulaires
subséquentes. Je les ai recensées et il y a la circulaire du 7
juillet 1997, concernant des étrangers sans domicile fixe, une
circulaire du 24 septembre 1997, qui concerne la forme des décisions de
rejet à prendre, les motivations de ces rejets, enfin une circulaire du
19 janvier 1998 relative à l'aide au retour et sur laquelle nous aurons
peut-être l'occasion de revenir.
Nous nous sommes également efforcés d'éclairer les
préfectures sur des points un peu plus ponctuels, par une série
de 7 télégrammes que nous avons envoyés après le
24 juin 1997, datés du 3 juillet 1997, du 4 juillet 1997,
du 18 juillet 1997, du 29 juillet 1997, du 21 octobre 1997, du
26 novembre 1997, enfin du 25 janvier 1998. Pour vous citer par
exemple le télégramme du 18 juillet 1997, il visait à
aviser les préfectures sur les mesures à prendre vis-à-vis
d'étrangers détenus grâciés, sortant par
conséquent d'un établissement pénitenciaire, qui
demandaient le réexamen de leur situation au regard de la circulaire du
24 juin 1997.
Nous avons donc veillé à adresser aux préfectures à
intervalle régulier une série de fiches que nous avons
appelées "questions/réponses", fiches que nous constituions
à la fois d'après les questions que les préfectures nous
adressaient et qui nous paraissaient d'un intérêt
général, de telle sorte que nous puissions les répercuter
sur l'ensemble des préfectures, également à partir des
questions en provenance des associations que nous rencontrions
régulièrement, j'aurai l'occasion d'y revenir.
Sept fiches questions/réponses ont été
adressées aux préfectures, encore une fois, sur des points
peut-être un peu techniques mais qui nécessitaient, selon nous,
des réponses harmonisées. Pour citer un exemple précis,
suite à une remarque des associations sur le point de savoir si les
préfectures étaient en droit d'exiger la production du carnet de
santé des enfants, question ayant trait au secret médical,
certaines préfectures, du moins au début, avaient apparemment
exigé la production du carnet de santé des enfants, notamment
pour attester la durée de présence en France. Nous avons
répondu assez fermement qu'il n'était pas question d'exiger la
production de cette pièce que certaines familles, spontanément,
présentaient.
Voilà donc une série d'instructions ou d'éléments
que nous nous sommes efforcés de donner aux préfectures, pour les
aider à régler au fond et sur la forme les décisions
qu'elles avaient à prendre.
Nous ne nous sommes pas arrêtés là. Vous savez que dans la
circulaire est prévue une mission confiée à un
président de section du Conseil d'Etat, M. Jean-Michel Galabert,
pour suivre cette opération de bout en bout, et M. Galabert se rend
très régulièrement dans les préfectures. Il rend
compte au directeur du cabinet du ministre tous les 15 jours des
conditions d'application de cette circulaire et des difficultés
rencontrées. Jean-Michel Galabert était encore mardi à
Bordeaux. Il rencontre à la fois le personnel de préfecture et
les associations qui le souhaitent.
Enfin, nous avons demandé à deux moments différents
à l'inspection générale de l'administration du
ministère de l'intérieur, d'une part en septembre, d'autre part
en décembre, d'aller enquêter dans un certain nombre de
préfectures. La première mission était confiée
à M. Melchior, à titre principal, la seconde à
M. Limaudin, pour voir comment, au sein de la préfecture,
était mise en place cette opération, et si cette mise en place
donnait lieu à des observations.
De mémoire de fonctionnaire, un peu ancien déjà, peu
d'opérations ont donné lieu à une investigation aussi
attentive de la part de l'administration centrale. Cette investigation est-elle
suffisante ? L'avenir nous le dira mais je n'ai pas caché, il y a un
instant, qu'il y avait encore des différences quant aux résultats
des différentes préfectures. Ces différences sont-elles
dues au "bon plaisir", et je force volontairement le trait, des employés
ou fonctionnaires des préfectures ? A ce stade, bien malin qui saurait
le dire. Simplement, je me permets d'insister sur deux choses.
Comme je l'ai déjà dit et je n'y reviens pas, l'immigration peut
être différente d'un endroit à un autre. Il est clair que,
par nationalités, les premiers à demander leur
régularisation auprès de la préfecture de police de Paris,
peut-être le ministre vous l'a-t-il déjà indiqué,
sont les Chinois, lesquels présentent un certain type de
caractère, spécifique, faisant que les décisions penchent
plutôt dans un sens que dans un autre. Je ne vais pas dire à votre
rapporteur que dans les Alpes-Maritimes ou dans le Var, la situation n'est pas
un peu différente.
Il me semble que les différences de méthodes employées par
la préfecture entraînent aussi ce genre d'écart. C'est
ainsi que la préfecture de police, sauf erreur, a commencé par
ouvrir les dossiers qui lui semblaient les plus facilement
régularisables. Elle n'a pas pris les dossiers dans leur ordre
chronologique d'arrivée, elle a déjà
sélectionné, pour aller vite, les conjoints de français et
les parents d'enfants français au niveau desquels, comme je vous l'ai
indiqué tout à l'heure, on enregistre les plus forts taux de
régularisation. Par conséquent, au niveau de la préfecture
de police, pendant un certain temps le taux de régularisation a
été un peu plus élevé qu'ailleurs. Quand on en
arrivera aux dossiers plus difficiles, bien évidemment ce taux baissera
et il devrait s'aligner sur celui d'autres préfectures.
Au-delà des deux différences que je viens de vous indiquer, si
des errements sont possibles nous essayons de les prévenir. Je ne peux
pas vous garantir qu'il n'y en ait pas mais j'espère bien que nous
interviendrons à temps pour que ces errements soient corrigés.
M. LE RAPPORTEUR.-
Vous nous avez parlé des méthodes et
des moyens de l'administration, je souhaiterais que vous nous apportiez
quelques détails. Selon quelles modalités ont été
recrutés les agents à temps partiel mis en place pour
l'opération et quelle est leur formation ? Ont-ils reçu une
formation au droit des étrangers ? Quelles instructions
spécifiques leur ont été données et quelles
fonctions particulières leur sont généralement
confiées ?
M. MASSON
.- Je souhaiterais également connaître le statut
de ces agents qui ont été engagés. Sont-ils temporaires,
intégrés... ?
M. DELARUE
.- Je souhaite dire d'emblée qu'il ressort de la
dernière mission de l'inspection générale de
l'administration qu'un des grands motifs de satisfaction -je n'en tire aucune
vanité, je le dis simplement pour votre information- des
préfectures, est bien que les moyens en personnel et en financement ont
été dégagés très tôt par les
préfectures et qu'aucune n'a émis de critique à cet
égard. Si je le dis, encore une fois, c'est que je suis un vieux
fonctionnaire et je sais que les moyens en effectif et en financement ne sont
pas forcément les plus rapides parmi ceux que peut dégager
l'administration, en général plus prodigue en bonnes paroles !
Quels sont ces effectifs et quels sont ces moyens financiers ? Je n'ai pas les
effectifs en tête mais je pourrai vous les communiquer
ultérieurement. Ils sont de deux ordres.
Nous avons d'une part demandé aux préfectures d'embaucher des
vacataires qui sont là essentiellement pour ouvrir les dossiers, en
vérifier le contenu et rechercher sur les fichiers informatiques
existants, notamment "AGDREF", s'il y a un apparentement possible entre une
demande et des demandes antérieures d'étrangers. Ces vacataires
sont recrutés, nous sommes ici soumis aux règles de la fonction
publique, pour des durées brèves. En gros, on peut dire que des
vacataires ont été recrutés dans un premier temps
l'été dernier et dans un deuxième temps au 1er janvier,
même s'il y a eu quelques glissements. Dès lors que les vacataires
ne sont pas recrutés pour des durées supérieures à
trois mois, il a bien fallu les changer.
En ce qui concerne l'origine de ces personnes, tout simplement il s'agit du
marché du travail. A cet égard, je vous dis sans faille que les
vacataires que nous avons recrutés l'été dernier
étaient bien souvent de meilleure qualité que ceux que nous avons
pu recruter en janvier, pour la bonne et simple raison qu'on trouve encore sur
le marché du travail en fin d'été beaucoup
d'étudiants et que nous avons pu recruter de nombreux
diplômés pour cet exercice. Les préfets, très
globalement, se sont félicités de leur qualité.
Comment les forme-t-on ? Essentiellement à l'aide d'agents du service
des étrangers, même s'il y a des variations suivant les
préfectures. En gros, ils reçoivent une formation d'une semaine
à 10 jours sur des dossiers "in vivo", si je puis m'exprimer ainsi,
avant de passer à un exercice effectif de dépouillement des
dossiers. Je précise que la formation des vacataires de janvier a
été un peu plus longue que la précédente, pour les
raisons indiquées il y a un instant.
Ce qui est très souvent pratiqué par les préfectures, pour
en revenir aux bonnes traditions de Lazare Carnot, c'est tout simplement
l'amalgame à savoir que ces vacataires sont encadrés,
entourés et mélangés de et à des fonctionnaires du
service des étrangers des préfectures. La décision sur des
dossiers ne revient jamais à ces personnels supplémentaires, elle
revient toujours au minimum à un chef de section du service des
étrangers pour les dossiers les plus faciles, au-dessus au chef de
bureau, au-dessus encore, si nécessaire, au directeur de la
réglementation, enfin, bien souvent, au secrétaire
général. J'ajoute qu'au niveau de certains départements,
des préfets ont tenu à voir certains dossiers,
éventuellement même, au niveau de départements où
les demandes étaient faibles, l'ensemble des dossiers.
Les vacataires constituent la première source de recrutement et je vous
ai bien dit qu'il y en avait deux.
La deuxième source est l'aide apportée par l'office des
migrations internationales (OMI), bien entendu intéressé par
cette opération, ne serait-ce que parce qu'il aura à aider ceux
qui ne seront pas régularisés. L'OMI nous a procuré pour
les opérations nécessaires, notamment au dépouillement des
dossiers, globalement 500 mois/agents, de telle sorte que dans certaines
préfectures, ces agents de l'OMI recrutés eux aussi à
titre temporaire nous ont largement aidé. Ils ont été
formés par l'OMI, dans des conditions à peu près analogues
à celles que j'ai indiquées à l'instant pour les
personnels de préfecture.
Voilà donc en ce qui concerne les effectifs.
Compte tenu de cette charge de travail supplémentaire, en
rémunération de vacataires d'une part, en primes pour les agents
des préfectures d'autre part, nous avons estimé qu'il nous
fallait des moyens supplémentaires que nous avons négociés
auprès du ministère du budget. Celui-ci nous a accordé,
pour 1997 et 1998, 32 millions de francs hors office des migrations
internationales, à savoir pour les seuls agents permanents des
préfectures. Je suppose que les charges des agents de l'OMI
représentent à peu près la moitié de cette somme ce
qui fait qu'on arriverait à un total d'environ 50 millions de francs
pour les moyens financiers dégagés pour le personnel.
J'ajoute qu'il a fallu dégager quelques moyens d'investissement
supplémentaires au niveau des préfectures, notamment en
matière d'informatique. Nous aurons peut-être l'occasion d'y
revenir. Nous avons laissé ces investissements supplémentaires
à la charge du budget normal des préfectures.
M. LE RAPPORTEUR.-
Avez-vous muté temporairement des agents de
certains services ?
M. DELARUE.-
Tout à fait, Monsieur le rapporteur. Nous avons fait
feu de tout bois ! Nous avons eu la préoccupation d'organiser cette
opération avec un strict encadrement des personnes les plus
compétentes mais celle-ci nécessitait aussi des petites mains et
nous avons en effet "muté" de façon temporaire des agents de
préfecture mais d'autres services vers cette opération, avec deux
inconvénients que je ne veux pas vous dissimuler.
Le premier est de nature temporaire, qui tient à la formation de ces
agents. Je connais une préfecture qui a amené là des
agents de services extérieurs déconcentrés, DDA et DDE, 3
agents très exactement, qui n'étaient pas du tout habitués
à ces tâches et qu'il a fallu former. D'une façon
très générale, ce sont des agents des services de la
direction de la réglementation qui ont été affectés
à cette opération.
Un deuxième inconvénient lourd que je ne veux pas vous cacher et
qui me préoccupe énormément est que le traitement de
dossiers "normaux", d'étrangers en situation régulière et
qui viennent demander le renouvellement de leur carte de séjour,
temporaire ou de résident, est extrêmement ralenti. Il est
d'ailleurs clair que le traitement normal des dossiers de la préfecture
est ralenti par cette opération, s'agissant en particulier de ceux
concernant les étrangers. C'est ainsi que certaines demandes de
regroupement familial sur lesquelles la préfecture doit nous donner un
avis au bout de 6 mois ne sont parfois pas traitées dans ce
délai. Pour dire les choses très simplement, il a fallu faire un
choix et le choix prioritaire nous a paru devoir se porter sur cette
opération de régularisation que nous souhaitons enfermer dans un
temps limité, pour éviter de la prolonger indéfiniment. Il
est clair que la limite à ce niveau est fixée au 30 avril et
nous nous efforcerons de la respecter.
Nous avons donc choisi de donner la priorité à cette
opération plutôt qu'aux opérations plus "banales". Bien
entendu, ces ralentissements ne doivent pas avoir de conséquences pour
les étrangers en situation régulière. Si des demandes
d'examen sont ralenties, par exemple pour un renouvellement de carte de
séjour temporaire, cela signifie clairement que l'étranger est
mis sous récépissé de demande de titre de séjour et
cela n'aura aucune conséquence dommageable pour lui-même et sa
famille. Il est néanmoins vrai que cela pose quelques
difficultés, que je ne souhaitais pas vous cacher.
M. LE RAPPORTEUR.-
Il existe une circulaire du 19 janvier 1998, relative
à l'aide à la réinsertion d'étrangers ayant
quitté le territoire. Je souhaiterais savoir comment cette circulaire
est appliquée et les difficultés rencontrées à ce
niveau. Il serait également souhaitable que vous nous éclairiez
sur le rôle des associations.
M. DELARUE.-
Comme la circulaire l'indique, le traitement des
déboutés du droit d'asile nous est soumis. Les cas de
déboutés du droit d'asile qui encourent des risques vitaux en cas
de retour dans leur pays sont directement soumis à l'administration
centrale. Je me suis entouré d'une petite équipe pour le
traitement de cette affaire et nous prenons une décision après
avis du ministère des affaires étrangères ou d'une
commission inter-ministérielle.
M. LE PRÉSIDENT.-
Qui avez-vous débouté ?
M. DELARUE.-
Ceux qui, à ce jour et en se référant
à la partie 1-9 de la circulaire, n'ont pas reçu de carte de
réfugié, et qui indiquent être menacés de
persécution dans leur pays.
M. LE PRÉSIDENT.-
Il ne s'agit pas des 22.491 ?
M. DELARUE.-
Non. Nous parlons bien de déboutés du droit
d'asile, pas de déboutés de la régularisation. Les
déboutés du droit d'asile sont ceux qui, nombreux en France et en
situation irrégulière, ont demandé un jour à
bénéficier du statut de réfugié et n'ont pas obtenu
satisfaction.
M. LE PRÉSIDENT.-
Ceux-là se mélangent-ils avec les
autres demandes ?
M. DELARUE.-
Pour des raisons diverses et variées, un certain
nombre sont restés en France, et ont en effet demandé leur
régularisation. Il est demandé aux préfectures d'examiner
leur situation, d'abord au regard des autres critères, par exemple, le
conjoint de français ou les parents de français. Pour ceux qui ne
répondent à aucun des critères de la circulaire par
ailleurs, il est demandé aux préfectures, dès lors
qu'encore une fois ces personnes invoquent des risques de traitements inhumains
ou dégradants, portant atteinte au respect des droits de l'homme, de
nous faire remonter ces dossiers afin que nous prenions une décision.
Voilà donc ce que j'appelle le droit des déboutés du droit
d'asile.
M. LE RAPPORTEUR.-
Si vous me permettez, comment les comptabilisez-vous
? Les déboutés du droit d'asile font-ils partie des 179.118 ?
M. DELARUE.-
Absolument.
M. LE RAPPORTEUR.-
Ensuite, les comptabilisez-vous parmi les rejets, ou
pas ?
M. DELARUE.-
Si je leur donne une carte de séjour temporaire
parce que j'estime qu'ils méritent l'asile territorial, et c'est le cas
d'un certain nombre d'Algériens, ils sont comptés dans les
autorisations. Par contre, si je rejette leur demande, ils sont comptés
dans les rejets.
M. LE RAPPORTEUR.-
Ils sont donc comptabilisés dans les 23.439
autorisations et dans les 22.491 rejets.
M. DELARUE.-
Il n'y a aucune distinction particulière au niveau
de cette catégorie.
M. LE RAPPORTEUR.-
Je vous avais également interrogé sur
le rôle des associations et sur la circulaire du 19 janvier 1998.
M. DELARUE.-
S'agissant du rôle des associations, il est
extrêmement simple. Elles interviennent le plus possible auprès
des préfectures et je demande régulièrement aux
préfets qu'ils reçoivent des associations, même par
secrétaire général interposé. Bien entendu, ce sera
à elles de nous donner leur point de vue mais j'ai plutôt le
sentiment qu'à cet égard, les choses se déroulent à
peu près convenablement dans la mesure où, conformément
à nos voeux, les associations sont régulièrement
reçues par les autorités préfectorales.
Nous faisons la même chose au niveau national et, à l'initiative
du cabinet du ministre en particulier, les associations ont été
reçues à plusieurs reprises au ministère depuis le
début de cette opération.
Leur rôle consiste tout simplement à nous alerter sur des choses
qui, à leurs yeux, suivant leurs engagements propres bien entendu,
constituent des erreurs d'appréciation de notre part. A ce niveau,
chacun son rôle. Dans certains cas, nous sommes conscients des
problèmes sur lesquels les associations nous alertent, mais il arrive
aussi que nous découvrions des choses qu'elles nous signalent. Je vous
ai tout à l'heure parlé du carnet de santé, je peux vous
citer un autre exemple, très simple.
Une association nous a fait savoir qu'à Paris, tel étranger
interpellé sur la voie publique avait été reconduit
à la frontière, ou du moins était sous la menace d'une
reconduite à la frontière alors qu'il avait déposé
tout à fait dans les formes de la circulaire une demande de
régularisation dans une autre préfecture. Nous avons
déduit de cette observation, et cela a été l'objet d'un
télégramme, qu'un étranger indiquant, ce qui doit bien
évidemment être vérifié et attesté,
être sous convocation d'une autre préfecture, y ayant
déposé une demande mais sans que celle-ci ait encore
statué, n'avait pas à être reconduit à la
frontière.
Un autre rôle des associations, mais qu'il m'appartient moins de juger,
concerne le dépôt des demandes. Un certain nombre de demandes de
régularisation sont déposées, comme on le dit un peu
familièrement, par des "collectifs". C'est ainsi, me semble-t-il, que la
préfecture de police, sur 45.000 ou 47.000 demandes, a vu environ 5.000
demandes être déposées collectivement par des associations.
M. LE PRÉSIDENT.-
Cela signifie que ce sont les associations qui
ont dressé les listes, qui ont monté des dossiers et qui les ont
déposés au nom des individus.
M. DELARUE.-
La part que prennent les associations dans ces demandes est
variable. Certaines se contentent de transmettre, d'autres font remplir des
dossiers, d'autres encore sont là simplement pour tenir la plume. A
chacun de voir et à chaque étranger de se déterminer.
M. LE PRÉSIDENT.-
Comment cela se passe-t-il au niveau de
l'adresse donnée ?
M. DELARUE.-
Nous avons indiqué très clairement que
certaines demandes pouvaient être présentées avec
domiciliation auprès d'une association. Il est clair que certains
étrangers craignaient qu'on les interpelle sur le champ et qu'on les
reconduise sur le champ à la frontière. Il fallait tout de
même en tenir compte. Nous avons donc autorisé cette
domiciliation, nous avons donné des consignes aux préfectures en
ce sens mais il est clair qu'en cours de procédure, l'étranger
doit donner sa propre adresse.
Dans un premier temps, les associations sont effectivement libres de
présenter des demandes d'étrangers dès lors que ceux-ci
s'associent bien à la demande, et c'est le moins qu'on puisse exiger.
M. LE PRÉSIDENT.-
Avez-vous une idée du pourcentage des
dossiers préparés avec l'aide d'une association ?
M. DELARUE.-
Un sur 9 environ. Nous avons demandé à la
préfecture de police de nous donner des indications, et il me semble que
c'est du même ordre en Seine-Saint-Denis. Dans les autres
préfectures cette proportion est beaucoup plus basse mais cela peut
varier d'une préfecture à une autre.
Je dis très simplement qu'il me paraît normal que les associations
aient leur rôle à jouer, mais pas sur la décision. Qu'elles
ne se méprennent pas, à ce niveau, même si certaines
d'entre elles le souhaiteraient. Sur la présentation des dossiers, en
tout cas, je ne vois que des avantages à l'aide qu'elles peuvent
apporter.
L'aide au retour, le ministre vous l'a indiqué, a été
modifiée par une circulaire du 19 janvier 1998. Sachez aussi
qu'à notre demande, cette circulaire a été publiée
au journal officiel du 24 janvier 1998. Vous l'avez tous et donc je
n'insiste pas sur son contenu. Pour ce qui est des résultats qu'elle
apporte, cela fait seulement 10 jours qu'elle est entre les mains des
préfets et je serais bien en peine d'avoir à me prononcer sur
cette question.
Quoi qu'il en soit nous avons demandé aux préfets, et nous allons
y veiller, de se rapprocher de l'office des migrations internationales, par le
biais de ses délégations régionales, pour étudier
de près la mise en oeuvre concrète de cette circulaire dont nous
attendons effectivement qu'elle soit une des solutions à l'absence de
régularisation. Je pourrai vraisemblement vous en dire plus dans deux ou
trois mois.
M. LE PRÉSIDENT.-
Monsieur le directeur, si je comprends bien, il
y a une part d'aide en France, une part d'aide à l'étranger, et
cette part d'aide à l'étranger ne peut se faire que dans le cadre
de conventions passées avec les Etats étrangers, la
définition même de l'étranger étant qu'il est
souverain. Je ne pense pas que seraient acceptées des aides en
provenance d'un Etat extérieur, sauf accord, et je vois qu'au niveau de
votre circulaire vous citez le Maroc, la Tunisie, le Sénégal, la
Turquie, le Mali et la Roumanie. Des conventions sont donc passées avec
ces différents Etats ?
M. DELARUE.-
Personnellement, je ne vois pas tout à fait le
problème de cette façon. Il s'agit d'aides personnelles, pas
d'aides aux Etats, premièrement. Deuxièmement, nous nous sommes
calés pour établir cette liste sur des Etats dans lesquels
l'office des migrations internationales était activement présent.
Troisièmement, nous disons qu'à partir du moment où des
délégations de crédits sont d'ores et déjà
consenties à ces Etats par le biais d'accords de coopération,
certains pourront être dévolus à des opérations
qu'on appelle de micro-projets, qui iraient à ces étrangers non
régularisés.
Par conséquent, je ne pense pas que ces aides à des personnes
nécessitent des accords particuliers. Je crois qu'au contraire, elles
doivent s'intégrer dans des opérations qui existent
déjà, raison pour laquelle nous avons listé ces Etats. Nul
accord n'a à subordonner le versement de cette aide et il me semble que
la circulaire peut s'appliquer en l'état.
M. LE PRÉSIDENT.-
Pour en revenir en France, si j'ai bien
compris, il faut que l'intéressé fasse une demande expresse,
laquelle demande est ensuite examinée. Il y a un sursis de deux mois
durant lesquels aucune mesure n'est prise à son encontre et, pendant
cette période, on délivre à l'étranger un
récépissé de demande de titre de séjour.
M. DELARUE.-
Cette circulaire est un peu compliquée parce qu'elle
vient trop tard, pourquoi ne pas le dire. D'après moi, il aurait fallu
que cette circulaire fût prise l'été dernier ; pour des
raisons qu'il appartiendra peut-être au ministère de l'emploi et
de la solidarité d'éclaircir, elle n'a pas été
prise assez tôt. Dans ces conditions, que s'est-il passé depuis
l'été dernier ? Un certain nombre de personnes ont fait l'objet
d'un rejet, par conséquent d'une invitation à quitter le
territoire, dans un régime d'aide au retour qui était l'ancien
régime, si je puis dire, à savoir celui qui existait avant cette
circulaire, et ceux qui ont fait l'objet d'une invitation à quitter le
territoire après cette circulaire ont pu bénéficier d'un
régime d'aide au retour distinct.
Cette situation ne nous a pas paru normale, méconnaissant de
façon grave le principe d'égalité qui doit s'appliquer
même dans ce cas-là. Nous avons donc fait cette gymnastique un peu
complexe, en quelque sorte pour rattraper les étrangers qui auraient
fait l'objet d'une invitation à quitter le territoire antérieure
à la circulaire sur l'aide au retour. Nous avons demandé aux
préfets de prendre le temps de leur expliquer ce qu'on trouve dans cette
circulaire et de rappeler qu'ils peuvent en bénéficier. Nous
rétroagissons, en réalité, mais de façon un peu
fictive puisque les arrêtés de reconduite des étrangers
seront effectivement pris après la circulaire. C'est l'aspect un peu
compliqué de la chose.
M. LE PRÉSIDENT.-
Et vous nous avez donc rappelé les deux
mois de grâce induits par une demande présentée par un
étranger frappé par une mesure de reconduite, pour
bénéficier de l'aide au retour.
M. DELARUE.-
C'est cela.
M. LE PRÉSIDENT.-
A ce moment-là, est-ce à l'OMI
qu'on doit s'adresser ?
M. DELARUE.-
L'OMI et la préfecture seront chargés
d'informer, par le biais des associations évidemment, en particulier sur
le nouveau régime d'aide au retour susceptible d'intéresser les
gens faisant déjà l'objet d'une invitation à quitter le
territoire. De deux choses l'une : les étrangers se présenteront
ou ils ne se présenteront pas, en tout cas nous n'irons pas les
chercher. Là dessus, le rôle des associations peut être
primordial. Il en va sur ce point, Monsieur le président, comme de
n'importe quelle loi rapportée à n'importe quel citoyen
français, ni plus, ni moins !
M. LE RAPPORTEUR.-
Pour nous résumer, à l'heure actuelle
toutes les mesures d'éloignement sont bloquées dans l'attente
d'une mise en route de cette circulaire du 19 janvier 1998. A partir
de quelle date prévoyez-vous qu'elle sera effective ?
M. DELARUE.-
La circulaire est effective à savoir qu'on fait
déjà de l'information, pour parler vulgairement, sur cette
circulaire. Ce qui n'est pas effectif, en effet, ce sont les mesures de
reconduite, mais les invitations à quitter le territoire sont elles
effectives. Cela signifie que les 22.491 dont j'ai parlé au début
ont reçu une lettre les invitant à quitter le territoire dans un
délai d'un mois. En revanche, ce qui n'est pas encore applicable, ce
sont les arrêtés de reconduite notifiés à tous ceux
qui font l'objet d'un invitation à quitter le territoire.
M. LE PRÉSIDENT.-
Soyons clairs. Il existe une lettre invitant un
étranger en situation irrégulière à quitter le
territoire, laquelle est parvenue par la Poste.
M. DELARUE.-
Non, elle a été notifiée à la
préfecture.
M. LE PRÉSIDENT.-
Cette lettre stipule donc que l'étranger
a un mois pour prendre ses dispositions. Deuxièmement, un
arrêté de reconduite à la frontière n'est pas encore
pris, qui sera lui exécutable dans un mois. Entre le moment où il
sera pris et le moment où il sera exécutoire,
l'intéressé pourra demander une aide au retour par
l'intermédiaire de l'OMI, qui lui donne deux mois de délai
supplémentaire pour l'instruction de ce dossier.
M. DELARUE.-
Il est vrai qu'il y a deux mois au départ de
l'opération.
M. LE PRÉSIDENT.-
Par conséquent, l'arrêté de
reconduite à la frontière est suspendu durant ces deux mois.
M. DELARUE.-
Jusqu'au 24 avril, en effet, mais à partir du moment
où l'aide au retour sera expliquée et répercutée,
à partir du 24 avril, on pourra prendre des arrêtés de
reconduite à la frontière, essentiellement notifiés par
voie postale.
M. LE RAPPORTEUR.-
Monsieur le directeur, dans la lettre par laquelle
vous faites savoir à la personne que son dossier n'a pas pu être
régularisé, lui faites-vous connaître l'existence de la
circulaire du 19 janvier 1998 ?
M. DELARUE.-
Bien entendu. Nous avons bien dit, au niveau des
décisions d'invitation à quitter le territoire, que le
régime d'aide au retour était applicable.
M. LE PRÉSIDENT.-
Vous venez de fournir à la
procédure un élément de contentieux tout à fait
exceptionnel. Quelqu'un qui n'aura pas eu cette information jusqu'à il y
a 10 jours pourra très bien faire valoir qu'il a été
traité différemment, n'ayant pas pu bénéficier de
l'information lui donnant la possibilité d'accéder à
l'aide au retour !
M. DELARUE.-
Je doute malgré tout du succès
éventuel de ce contentieux, Monsieur le président. Bien entendu
nous prendrons tous les moyens nécessaires, autant que faire ce peut,
mais je ne crois pas qu'un tribunal administratif puisse se fonder sur une
différence de traitement au regard de l'information donnée pour
annuler l'invitation à quitter le territoire.
M. LE RAPPORTEUR.-
J'en ai terminé, Monsieur le président.
M. LE PRÉSIDENT.-
Mes chers collègues, je vous invite donc
à prendre la parole.
M. CALDAGUES
- Monsieur le directeur, vous nous avez indiqué que
les 22.491 faisant l'objet d'une décision de rejet ont reçu une
lettre les invitant à quitter le territoire. Cela signifie que vous
aviez 22.491 adresses ou bien une partie de ces lettres a-t-elle
été adressée via des associations ? Dans ce cas, je vous
pose la question suivante, liée à une observation qui vient
d'être faite : Que peut-on penser d'une décision voire d'une
information administrative qui serait notifiée par le canal d'une
association ? En cas de litige, dans quelle situation juridique va-t-on se
trouver ?
M. DELARUE.-
Naturellement, on peut en penser beaucoup de mal ! Une
décision administrative serait illégale si elle était
notifiée à un tiers, s'agissant d'une décision
individuelle. C'est la raison pour laquelle la plupart des préfectures
notifient la décision aux intéressés sur place,
lorsqu'elles les reçoivent, et c'est le cas par exemple à la
préfecture de police. Quand ils ne se déplacent pas, j'ai
indiqué tout à l'heure qu'au cours de la procédure,
l'adresse exacte de la personne était recueillie et, par
conséquent, il y a un envoi personnel.
Qu'il n'y ait pas de confusion à propos des associations. Les
associations apportent une aide très importante aux étrangers,
elles ne sont pas destinées à aider l'administration.
M. DEMUYNCK
- Monsieur le président, vous nous avez dit tout
à l'heure que des circulaires et des télégrammes
complémentaires avaient été envoyés aux
préfectures. Ces notifications ont-elles modifié sensiblement la
circulaire du 24 juin, par exemple concernant l'appréciation du
séjour et des ressources ?
M. DELARUE.-
Naturellement, je pourrai fournir toutes ces indications et
tous les documents à la commission d'enquête si elle le souhaite
mais je peux vous dire que ces documents sont traditionnellement de nature
à lever quelques ambiguïtés qui pouvaient exister au niveau
de l'interprétation des préfets sur la circulaire. Pour citer un
seul exemple, s'agissant du regroupement familial sur place, l'interrogation
portait sur les conditions de ressources et de logement et nous avons fourni
aux préfets une réponse confirmant le maintien de ces conditions.
Les instructions supplémentaires qui ont été
envoyées visaient exclusivement à lever des
ambiguïtés qui pouvaient exister au niveau de la circulaire. Je ne
sache pas qu'aucune d'entre elles n'ait comporté une remise en question,
ni en bien, ni en mal, ni en extension, ni en restriction, de la circulaire du
24 juin 1997.
M. CALDAGUES
- Pour revenir sur la question précédente,
votre réponse, Monsieur le directeur, n'a pas comblé mon attente.
Je ne sais toujours pas si la totalité des 22.491 personnes faisant
l'objet d'une décision de rejet a pu être touchée. Vous
nous avez dit qu'on leur remettait la notification en préfecture mais
j'avoue ne pas très bien comprendre. La décision n'est pas prise
sur le champ, elle est prise à l'issue d'un certain délai. Si on
remet la notification en préfecture, cela signifie bien qu'on a pu
joindre les intéressés et j'en reviens au problème de
l'adresse de ceux qui doivent être touchés par cette notification.
Je crains ne pas avoir eu cette réponse.
M. DELARUE.-
J'ai cru être clair mais sans doute ne l'ai-je pas
été suffisamment. Aucune notification ne se fait par le canal
d'une association, je dis bien aucune. Ceci étant, si j'ai bien
distingué le fait qu'on la donne sur place ou à l'adresse de la
personne, c'est du fait qu'au niveau de certaines préfectures
l'instruction demande plusieurs semaines voire plusieurs mois. Elles
reconvoquent les étrangers à l'issue de la procédure pour
leur dire qu'on ne leur remet pas de carte séjour temporaire et on leur
notifie, sur pièce et sur place si je puis dire, l'invitation à
quitter le territoire. C'est le cas de la préfecture de police mais
d'autres notifient par voie postale tout simplement parce qu'elles ne
reconvoquent pas une nouvelle fois l'étranger en vue de lui notifier sa
décision. Nous avons bien évidemment, dans tous ces cas, les
adresses personnelles des intéressés, et nous ne passons jamais
par le canal des associations.
Ceci est d'ailleurs si vrai et je l'ai déjà dit, le ministre
également, que tous les étrangers sont convoqués pour
être entendus à un moment ou à un autre de la
procédure, voire à deux ou trois moments de la procédure.
M. LE PRÉSIDENT.-
Même ceux pour lesquels l'adresse a
été donnée au nom de l'association ?
M. DELARUE.-
Absolument, et le ministre vous a bien indiqué
l'autre jour qu'un certain nombre d'étrangers ne répondaient pas
aux convocations. Nous n'avons pas leur adresse et nous ne les prenons pas en
considération, tout simplement. On leur notifie les décisions de
rejet selon la même procédure que pour les autres demandeurs, en
tout cas il n'y a pas de décision de refus de séjour qui soit
envoyée à une association X ou Y pour la remettre à
Monsieur Untel.
M. CALDAGUES
- Si vous me permettez, Monsieur le président, y
a-t-il des lettres et dans quelle proportion, si vous la connaissez, revenant
avec la mention "n'habite pas l'adresse indiquée" ?
M. DELARUE.-
On tombe là dans un cas classique tel qu'on le vit
depuis 20 ans ou 25 ans dans ce pays. Il est vrai que des gens indiquent
de fausses adresses mais je ne crois pas que le pourcentage, que je ne peux pas
vous indiquer aujourd'hui, soit sur cette opération ni plus grand, ni
plus petit que la moyenne. J'ai souvenir, mais je peux me tromper sur ce
point-là, qu'en moyenne les préfectures, sur la délivrance
de titres de séjour classiques, voient à peu près 10 % des
courriers portant cette mention. J'ajoute que ce n'est pas forcément
dû à une mauvaise intention des étrangers, beaucoup
déménageant extrêmement fréquemment.
Mme POURTAUD
- Pour vous poser une question très précise,
Monsieur le directeur, vous nous avez dit qu'en fait un certain nombre
d'instructions complémentaires ont été données aux
préfectures à travers les fiches questions/réponses, entre
autres pour éviter l'arbitraire, en quelque sorte, ou des distorsions au
niveau du type de décision entre les différents points du
territoire. Parmi ces instructions complémentaires, y en a-t-il eu
portant sur une durée minimale de séjour régulier qui
aurait été exigée à des étrangers demandant
leur régularisation après un séjour important sur notre
territoire ? Il est revenu à mes oreilles qu'au niveau de la
préfecture de police de Paris en particulier, une durée minimale
de séjour régulier de 6 mois était demandée, ce qui
exclut automatiquement un certain nombre d'étrangers rentrés avec
des visas touristiques mais qui, néanmoins, ont séjourné
dans notre territoire de très longue date.
M. DELARUE.-
Madame le sénateur, nous avons effectivement
donné des indications sur les durées de séjour, qui sont
de deux ordres. L'une porte sur les déboutés du droit d'asile et
c'est la catégorie à laquelle vous faites
référence. A ce niveau, il faut en effet 6 mois de séjour
régulier et un certain nombre d'entre eux ne justifient pas de ces 6
mois de séjour régulier. A ceux-là, nous ne donnons pas
satisfaction.
Nous avons indiqué une deuxième durée de séjour,
pour la catégorie des célibataires sans charge de famille
attestant d'une certaine durée de séjour en France. A leur
niveau, nous avons indiqué qu'une durée de 7 ans minimum de
séjours irréguliers en France était nécessaire.
Mme POURTAUD
- Monsieur le directeur, j'ai bien entendu votre
réponse mais la référence aux 6 mois de séjour
régulier ne m'a pas été donnée uniquement dans le
cadre des déboutés du droit d'asile.
M. LE RAPPORTEUR.-
Ce n'est pas prévu par la circulaire.
Mme POURTAUD
- Ma question portait sur les instructions
complémentaires qui ont éventuellement été
données à travers les questions/réponses.
M. DELARUE.-
Je vous remercie d'attirer mon attention sur ce point. Si
une durée de 6 mois a été invoquée pour une autre
catégorie que celle du débouté du droit d'asile alors
qu'elle ne devait pas s'appliquer, l'agent qui vous a renseigné s'est
trompé et il faudra lui faire entendre raison sur ce point.
M. DEBARGE
- Pour en revenir à des données pratiques, en
Seine-Saint-Denis environ 40.000 dossiers ont été
déposés en vue d'une régularisation et 32.000 sont
maintenus. J'ai eu l'occasion de rencontrer les responsables de la
préfecture qui font preuve de la plus grande efficacité et qui ne
sont nullement en cause mais, avec 32.000 entretiens personnels, je me demande
comment il vont pouvoir s'organiser. Vous n'êtes pas obligé de me
répondre aujourd'hui mais avez-vous une idée du pourcentage
d'entretiens personnels déjà réalisés sur
l'ensemble du territoire ?
Les distorsions que vous avez exprimées tout à l'heure
proviennent peut-être de démarches différentes suivant les
préfectures mais également de situations différentes, dans
les diverses préfectures, dans la mesure où il y a plus ou moins
de dossiers à traiter.
Pour en venir à la circulaire de janvier 1998 sur l'aide au retour,
je me demande s'il n'y aurait pas une possibilité de la transmettre plus
individuellement. Sans cela, peut-être y aura-t-il des contentieux, je ne
suis pas suffisamment expert dans ce domaine, en tout cas des associations
risquent de se manifester et cela commence déjà un peu, non
seulement en direction des préfectures mais également en
direction des mairies.
Troisième question, qui n'a rien à voir avec le
département de la Seine-Saint-Denis, dans le cadre de votre
exposé introductif vous nous avez indiqué que dans certains cas,
on demandait le carnet de santé. Je vais peut-être poser une
question très naïve mais je m'interrogeais sur le point de savoir
si on demandait l'extrait de casier judiciaire. Cette chose-là est-elle
prévue ou n'est-elle pas prévue ? Je prends bien soin de dire que
je n'ai pas de référence particulière à exprimer au
sujet d'une préfecture ou d'une autre, simplement il s'agit d'une
question complémentaire que je pose d'une façon neutre, si vous
me permettez.
M. DELARUE.-
A propos des auditions, je dis simplement que la
Seine-Saint-Denis a très bien travaillé et je ne suis pas neutre
sur ce point. Il est vrai que 30.000 ou 32.000 personnes ont été
entendues. A ma connaissance, ces auditions devaient s'achever au 31 janvier.
Je suppose que ce délai a été tenu, en tout cas je sais
que l'embauche d'effectifs supplémentaires a été
précieuse et je peux révéler que quelqu'un qui m'est
très proche a participé à ces entretiens. Grâce aux
effectifs présents sur place, 100 personnes par jour ont
été reçues, dans des conditions convenables. De nouveaux
locaux avaient été créés et on n'a pas fait
attendre les gens dans n'importe quelles conditions.
J'ajoute que les gens ont été entendus deux fois, dès lors
que leur dossier n'était pas complet, voire éventuellement trois
fois, quand on avait des explications complémentaires à leur
demander. Je ne suis pas sûr, et je le dis " tout de go "
à la commission, que dans toutes les préfectures cela ait
fonctionné aussi bien.
Je ne reviens pas sur les divergences d'appréciations mais j'approuve
vos propos. Nous sommes si habitués à faire un tableau de
l'immigration hexagonale taillé à la hache que nous oublions un
peu qu'en fonction des départements, des cités ou des villes,
l'immigration peut avoir différents aspects et présenter des
configurations différentes.
Sur la transmission de la circulaire, troisième point, je suis tout
à fait disposé à vous donner le plus large écho.
D'ailleurs, je ne vais pas vous le cacher, c'est à la demande du
ministre de l'intérieur et contrairement à l'indication initiale
du secrétariat général du gouvernement que cette
circulaire a été publiée au journal officiel, de
façon à ce que les associations puissent lui donner la plus large
répercussion. Faut-il aller au-delà ? Je prends note de votre
suggestion. Cela dépend de la nature des entretiens individuels qui ont
lieu. Dans le cadre des entretiens qui ne sont pas encore effectués, on
pourra faire état de cette circulaire et cela me paraît même
normal, mais pour ceux qui sont achevés on peut peut-être
envisager une plus large diffusion. Je suis tout à fait ouvert.
Quant à l'extrait de casier judiciaire, je vais être tout à
fait clair. La circulaire du 24 juin 1997 conditionne la
régularisation à la réserve de l'"ordre public" et vous
avez eu sur ce point Monsieur le président, à propos du projet de
loi, des débats tout à fait intéressants, raison pour
laquelle la production de l'extrait de casier judiciaire B2 est normalement
exigée.
M. ALLOUCHE
- Je dois dire à mon collègue, M.
Galdaguès, que nous nous posions les mêmes questions à
propos des adresses des associations. Comme je m'y étais engagé,
j'ai remis au président de la commission copie d'une lettre
adressée par la préfecture du Nord à un étranger
qui était invité à quitter le territoire. Il existe dans
le Nord un collectif d'associations et l'adresse indiquée était
bien une adresse personnelle. J'ai pris soin de le vérifier et,
effectivement, tout le monde donne une adresse lors du premier entretien.
Monsieur le directeur, grâce aux questions pertinentes de notre
rapporteur et de notre président, vous avez je crois satisfait une
grande curiosité de notre part. J'ai néanmoins un point
d'inquiétude, que je vais vous formuler. Si l'on tient compte des
dossiers positifs et des dossiers négatifs, on atteint le chiffre de
46.000. Il en resterait donc 133.000 d'ici à trois mois, jusqu'au 30
avril, et vous avez pris soin de nous dire qu'à certains endroits, ce
sont les dossiers les plus faciles qui ont été
étudiés en premier. Pensez-vous vraiment que d'ici trois mois, au
rythme de 45.000 dossiers par mois, l'administration va pouvoir faire face
? N'y aurait-il pas matière à transfert de personnel en tenant
compte du nombre de dossiers déposés ici ou là, afin de
tenir les délais qui ont été fixés par la
circulaire du ministre ?
Personnellement, je ne peux qu'appuyer la remarque de mon collègue
Debarge : dans la mesure où un étranger reçoit une lettre
l'invitant à quitter le territoire, il serait bon d'adjoindre à
cette lettre la circulaire afin de préciser ce à quoi il peut
prétendre et ce à quoi il n'a pas droit. Dès lors que vous
avez commencé à faire un effort en matière d'information,
il faut aller jusqu'au bout.
M. DELARUE.-
Pour commencer par la fin, j'ai dit que je retenais la
suggestion, à dire vrai je ne serai pas très enclin à
envoyer la circulaire, plutôt un document qui en expliquerait le contenu.
Le sénateur Allouche a posé une question tout à fait
importante au sujet des délais. Notre préoccupation commune, sur
les divergences d'appréciation qui peuvent exister d'une
préfecture à l'autre, ne doit pas nous faire oublier cette
question plus simple encore des délais de réalisation qui varient
d'une préfecture à l'autre et je sais qu'au moins deux
préfectures de ce pays sont pour moi une source de préoccupation
à cet égard. Pour la quasi totalité des autres
préfectures, dans l'ensemble les délais seront je crois tenus.
Je précise qu'il ne faut pas se caler sur le nombre de décisions
mais sur deux éléments, dont premièrement le fait que les
délais d'instruction ont été longs au début parce
qu'il convenait d'entendre les personnes. Je précise que ce que je viens
d'indiquer à propos de la Seine-Saint-Denis vaut pour la majorité
des préfectures où les personnes ont maintenant été
entendues et dont les dossiers ne nécessitaient plus désormais
qu'un traitement purement administratif. Désormais, normalement, les
choses devraient aller plus vite.
Deuxièmement, les chiffres que je vous ai indiqués ne tiennent
pas compte des dossiers traités et qui n'ont pas encore fait l'objet de
décisions notifiées. Dans un département que vous
connaissez bien, je crois savoir que très peu de décisions de
refus ont été notifiées alors que beaucoup de
décisions de refus sont d'ores et déjà prises. Je suis
obligé d'insister auprès de certains préfets pour leur
dire de notifier les décisions de refus au fur et à mesure qu'ils
les prennent.
Je ne suis donc pas trop inquiet sur les délais. Il me semble que la
délai du 30 avril, dans la grande majorité des cas, sera
respecté, sous réserve, toutefois, de quelques préfectures
qui n'ont pas bien travaillé, ce que nous ne manquons pas de leur dire,
et de quelques préfectures, je pense en particulier à la
préfecture de police, où le nombre de demandes est tel qu'il
faudra vraisemblablement leur donner un délai supplémentaire. Je
vous rappelle que la préfecture de Paris a reçu
47.000 demandes.
M. LE PRÉSIDENT.-
Il faudra donc donner un délai
supplémentaire, au-delà du 30 avril.
M. DELARUE.-
Il ne faudra d'ailleurs pas leur "donner" et mon sens du
commandement s'efforce d'être réaliste. Au 30 avril, il y aura
encore quelques milliers de dossiers à traiter et nous n'allons pas
demandé un arrêt de leur traitement. On ne donnera pas à
certaines préfectures un délai supplémentaire, il faudra
qu'elles l'aient de toute façon.
M. MAHEAS
- Monsieur le directeur, j'ai l'intime conviction que cette
commission d'enquête vous interroge un peu prématurément.
Pour être pragmatique, concret et efficace, si cette commission dure un
peu, c'est plutôt vers la fin avril qu'il faudrait que nous fassions le
point.
Ceci dit, vous m'avez complètement rassuré sur les moyens mis en
oeuvre. J'ai fait de rapides calculs et je m'aperçois, étant
donné la somme et le potentiel humain mis en place pour étudier
les dossiers, qu'ils seront particulièrement bien étudiés
si effectivement ces moyens sont répartis d'une façon
proportionnelle. Vous le savez peut-être, moi aussi je réside en
Seine-Saint-Denis et je peux attester que des lieux déconcentrés
ont été mis en place, ce qui fait que les étrangers ont
été reçus tout à fait convenablement. Je tenais
à le signaler à notre commission.
Je souhaite maintenant poser trois questions.
Premièrement, une difficulté fréquente au niveau des
étrangers tient aux preuves qu'ils peuvent fournir à propos de
leur durée de séjour. Etant donné leur vie quelque peu
nomade, leurs attestations se réfèrent souvent au travail et,
malheureusement, bien souvent au travail au noir. Comment faire pour que cette
durée de travail et de travail au noir soit prise en compte pour la
durée de séjour ?
La deuxième difficulté concerne les retours. On a souvent
tendance à dire que les étrangers ne fournissent pas leurs
adresses, ou qu'ils fournissent de fausses adresses. Pour citer l'exemple de la
Seine-Saint-Denis, je sais par exemple que si l'adresse n'est pas excessivement
précise, à savoir avec une référence d'appartement,
il n'y a pas de distribution de la Poste mais il y a un retour. Je sais aussi
que dans certains lieux de mon département, au niveau de certains
immeubles, il n'existe pratiquement plus de boîtes aux lettres. Cela
complique les choses !
Je vous demande de mettre en place un système où, dans les
préfectures, les étrangers puissent effectivement, s'ils n'ont
pas été avertis, avoir une possibilité de contact de telle
sorte qu'on leur dise, à l'entretien : "Si vous ne recevez pas la lettre
en tant de temps, revenez nous voir et interrogez-nous".
Dernier point, j'ai bien compris quel était le rôle de l'OMI dans
l'aide au retour mais je ne suis pas intimement persuadé qu'il ne faut
pas doubler cela d'un contact d'administration à administration, entre
l'administration française et les principaux pays d'où provient
l'immigration. Est-ce possible a mettre en place, cette idée a-t-elle
déjà commencé à être mise en place et dans
quelles conditions ?
M. DELARUE.-
Très rapidement, compte tenu du temps qui vous est
imparti, puisque vous avez bien voulu indiquer que les dossiers avaient
été bien traités, Monsieur le sénateur, je tiens
simplement à dire que je tire mon chapeau aux fonctionnaires qui font ce
travail. On peut tout à fait penser ce qu'on veut de la circulaire, des
bienfaits de l'opération ou pas, je n'aimerai pas, en tout cas, que
l'opinion publique estime que les dossiers ont été mal
étudiés car ce serait inexact, et je souhaiterais que cette
commission d'enquête puisse au moins apporter ce témoignage sur
l'administration. Je ne veux pas préjuger du reste, Monsieur le
président, c'est vous qui en déciderez !
Sur la durée de séjour, en effet, elle est difficile à
évaluer, raison pour laquelle nous avons évoqué dans la
circulaire l'idée du faisceau d'indices. Il est vrai aussi que,
s'agissant du travail au noir, à mon sens il ne peut pas être pris
en considération dès lors que, par définition, il ne peut
pas être justifié. Nous avons précisé, au niveau
d'une des fiches questions/réponses évoquées tout à
l'heure, que bien sûr l'activité régulière implique
une déclaration fiscale et une déclaration de cotisations
sociales.
Sur ce qui a été dit à propos des adresses, il s'agit
effectivement d'un point difficile et que je ne méconnais pas. Beaucoup
de problèmes en la matière expliquent des retours de
notifications et je vous citais tout à l'heure le pourcentage de 10 %.
Un autre cas de figure, me semble-t-il, vous est familier : celui des personnes
habitant chez un tiers. Elles sont très nombreuses, parmi cette
population, et il suffit qu'on n'habite plus chez Monsieur Untel pour que la
lettre s'égare dans la nature.
Il me semble que pour le dialogue avec l'étranger, nous avons
exigé une convocation et un entretien pour qu'il puisse nous indiquer
une adresse aussi exacte que possible et, s'il n'y a pas de boîte aux
lettres, pas de "moyen de", qu'il veuille bien nous l'indiquer. J'en reviens un
peu au rôle des associations. Personnellement, je n'interdis pas que
dès lors qu'il y aurait notification personnelle, sans rien retirer de
ce que j'ai dit précédemment, qu'il puisse éventuellement
y avoir des intermédiaires. Il me semble aussi que c'est
l'intérêt des convocations pour lesquelles, comme au niveau de la
préfecture de police, on remet à l'intéressé la
décision en mains propres.
Ensuite, sur l'OMI, son rôle et la nécessité de contacts
avec les autres administrations, je crois très clairement que
c'était l'un des sens, même si ce n'est pas le seul, du
déplacement du Premier ministre en Afrique ces dernières
semaines, et j'espère bien que, derrière ce déplacement,
les contacts que vous souhaitez seront pris. Je peux vous dire qu'à
l'heure actuelle, il n'y en a pas étant donné que la circulaire
vient d'être prise et que nous ne voulions pas donner l'impression aux
Etats souverains que nous leur forcions la main.
M. LE PRÉSIDENT.-
Monsieur le rapporteur a le dernier mot, qui va
vous poser ses ultimes questions, à moins qu'il y ait des questions
supplémentaires de la part de membres de la commission.
M. CALDAGUES
- Pour être très bref, mon collègue a
dit tout à l'heure que l'existence de cette commission d'enquête
était prématurée, tel n'est pas du tout mon sentiment. Il
est bon que la représentation nationale soit informée au fur et
à mesure des détails d'une opération comme
celle-là. Nous en apprenons beaucoup et notre curiosité a
été satisfaite ce matin, y compris sur des points au sujet
desquels certains d'entre nous avaient des préjugés, des
idées reçues. Il me semble très utile d'avoir conscience,
quel que soit le jugement qu'on porte sur cette opération, qu'un travail
considérable a été accompli et que la
représentation nationale en ait connaissance ; qu'elle ne se contente
pas, comme tout le monde, de lire son journal une fois l'opération
terminée.
M. LE PRÉSIDENT.-
Je dois dire à Monsieur Mahéas
que nous avons pris les précautions les plus extrêmes pour
commencer nos travaux le plus tard possible. Vous savez que nous sommes tenus
par un délai légal de 6 mois et, ainsi, on couvre le délai
de la fin de l'application de la circulaire.
M. MAHEAS
- A quelle date l'existence de cette commission
d'enquête doit-elle prendre fin ?
M. LE PRÉSIDENT.-
Le 11 juin. Votre curiosité sera tout
à fait satisfaite. Pour le reste, comme l'a indiqué M.
Caldaguès, il est vrai que nous en avons appris beaucoup aujourd'hui et
je tiens à remercier Monsieur le directeur de sa disponibilité,
également de la façon très claire et très
transparente avec laquelle il a dit la vérité.
M. LE RAPPORTEUR.-
Monsieur le président, pour confirmer ce que
vous et vos collègues avez pu indiquer, je tiens à remercier
Monsieur le directeur des éclaircissements importants qu'il nous a
apportés.
Simple question, Monsieur le directeur, je suis originaire des Alpes-Maritimes
et le tribunal administratif de Nice, le 13 janvier 1998, en matière de
droit d'asile a rendu une décision dont je me demande si votre
ministère va l'accepter ou si vous allez donner l'instruction, pour ce
département, d'interjeter appel de cette décision qui pose
incontestablement problème, même au regard de l'article 1-9 de la
circulaire du 24 juin 1997. Elle considère, en effet, en visant
d'ailleurs l'ordonnance de novembre 1945 et non la circulaire, article 27
bis, que peut bénéficier du droit d'asile un Algérien pour
la raison simple, et sans doute valable, qu'il est originaire de la
région de Rélizane où 400 personnes environ ont
été tuées, vraisemblablement par le GIA.
Pour en revenir à ma question, faites-vous appel ? Cette
décision, étendue, pourrait être appliquée aux
Kurdes dans certains cas, voire à toute l'Algérie. Des massacres
sont constatés un peu partout en Algérie et voyez l'effet
d'annonce que cette décision peut avoir !
M. DELARUE.-
Monsieur le sénateur, aucune décision n'a
été prise et il y a deux mois pour faire appel. Sauf erreur, le
jugement a été notifié au préfet des
Alpes-Maritimes début janvier. Vous l'aviez d'ailleurs
évoqué devant le ministre, lorsqu'il a été entendu
par votre commission. Je peux simplement vous dire, n'étant pas tout
à fait étranger au droit administratif, que cette décision
ne présente pas un caractère de grande nouveauté juridique
puisque l'article 27 bis de l'ordonnance de 1945, comme vous le savez qui
résulte de la loi du 24 août 1993, interdit au gouvernement, aux
pouvoirs publics de ce pays, de reconduire un étranger dans un pays
où il risquerait des traitements inhumains ou dégradants.
Il me semble que la nouveauté réside davantage dans la
publicité qu'a voulu faire le tribunal administratif de Nice, d'un
certain nombre de décisions qu'il a prises à une époque,
trois en réalité, ce qui ressemble un peu à un tir
groupé. Il me semble qu'en matière d'asile, y compris
territorial, il n'y a pas d'examen collectif, uniquement des examens
individuels. Si le tribunal administratif a voulu nous dire, que de
façon systématique, tous les Algériens devaient
bénéficier dans ce pays de l'asile territorial, la question
mérite en effet d'être examinée et il me semble que cela
vaudra appel. Si telle n'était pas l'attention du tribunal
administratif, la question vaudra néanmoins la peine d'être
reconsidérée. J'attends de lire les conclusions du commissaire du
gouvernement que j'ai demandées avant de prendre position sur ce point.
M. LE PRÉSIDENT.-
La commission sera je crois unanime pour
reconnaître la qualité de l'audition de M. Delarue, sa
disponibilité et sa volonté de nous informer d'une façon
aussi complète que nous le souhaitions, illustrant tout à fait
l'intérêt d'une commission d'enquête. La passion habite
chacun, chacun est libre de ses opinions dans une démocratie, mais
l'objectivité est un facteur de curiosité intellectuelle
dès lors que celle-ci est satisfaite par un exposé aussi clair
que celui que nous avons entendu.
Vous devez savoir, M. Delarue, qu'il est dans l'intention du rapporteur de vous
entendre de nouveau, précisément quand nous aurons à faire
des comptes et je suis sensible à l'observation de M. Allouche, qui
se demandait comment nous allions nous y prendre pour ne pas avoir trop de
travail dans les dernières semaines d'existence de notre commission.
Bien évidemment, nous reviendrons sur les interférences entre la
nouvelle circulaire sur l'aide au retour et l'ancienne et notre opinion se
formera à la mesure de nos auditions. Soyez en tout cas remercié,
Monsieur le directeur. Nous avons été très attentifs
à vos propos et nous en ferons notre profit.
M. DELARUE.-
Je précise, Monsieur le président, que je
demeure à la disposition entière de la commission, du
début à la fin.
M. LE RAPPORTEUR.-
Pourriez-vous nous adresser les
télégrammes et les circulaires ?
M. DELARUE.-
Tout à fait.
M. JEAN-MICHEL GALABERT,
PRESIDENT DE SECTION AU
CONSEIL D'ETAT
JEUDI 5 FEVRIER 1998
M. LE
PRÉSIDENT.-
Nous devons maintenant entendre Jean-Michel Galabert,
président de section au Conseil d'Etat.
Nous devons vous entendre sous la foi du serment.
(M. le Président donne lecture des dispositions de l'article 6
de l'ordonnance du 17 novembre 1958 ; M. Jean-Michel Galabert
prête serment).
M. LE PRÉSIDENT.-
Nous pouvons raisonnablement envisager
d'arrêter nos travaux à 12 H 30, ce qui laissera à Monsieur
le rapporteur le temps de poser ses questions et permettra aux collègues
qui souhaiteraient prendre la parole de s'exprimer.
M. LE RAPPORTEUR.-
Monsieur le président de section au Conseil
d'Etat, la circulaire du 24 juin 1997 précise très
exactement votre mission dans son avant-dernier alinéa. Je rappelle que
Jean-Michel Galabert a été chargé d'une mission de
coordination et de proposition par M. Jean-Pierre Chevènement, dans
le cadre de la mise en oeuvre de la circulaire. Sa mission consiste à
suivre cette mise en oeuvre, à faire part des difficultés
rencontrées et des observations qu'il estime justifiées,
également à proposer toute initiative de nature à
résoudre ces difficultés. C'est bien cette mission
générale qui vous a été confiée, M.
Galabert, de contrôle, de coordination, également de propositions
face aux difficultés rencontrées par les différentes
préfectures pour faire appliquer cette circulaire.
Les questions que je vous poserai sont assez simples. Premièrement, je
souhaiterais savoir dans quelles conditions se déroule la mission qui
vous a été confiée et de quels moyens matériels et
humains vous disposez. Deuxièmement, de quelle autonomie effective
jouissez-vous pour l'exercice de cette mission et comptez-vous publier un
rapport final rendant compte de votre mission, qui serait éventuellement
rendu public ?
Telle est la première série de questions que je souhaitais vous
poser, Monsieur le président.
M. GALABERT
- Effectivement, la circulaire m'a confié une mission
telle que vous l'avez indiquée.
Pour répondre à un premier aspect de votre question, je suis
entouré d'une équipe on ne peut plus réduite, ayant
à côté de moi un administratif civil du ministère de
l'intérieur, plus une secrétaire. Ceci dit, cette équipe
de travail réduite ne me pose pas de problème et nous avons
beaucoup plus l'occasion de travailler par téléphone que par
écrit. Je précise que la mission qui nous a été
confiée est tout de même assez personnalisée.
Sur l'autonomie dont je dispose, un aspect de ma mission consiste bien à
visiter un certain nombre de préfectures et mes entretiens sont assez
libres. Il peut m'arriver de dire que telle disposition de la circulaire ne me
paraît pas des plus heureuses mais il est bien évident que je ne
peux recommander une régularisation qui serait contraire aux
dispositions de la circulaire. Encore une fois, je bénéficie
d'une certaine liberté de ton mais je ne peux pas recommander des
comportements qui seraient contraires à la circulaire.
Je précise, même si la question ne m'a pas été
posée, que le terme de ma mission devrait être aux alentours
d'avril mais il n'est pas prévu qu'un rapport final soit publié.
M. LE RAPPORTEUR.-
Pour poursuivre mes questions, quelles
difficultés ont été soulignées par les
administrations en charge de la procédure de régularisation ?
S'agit-il de difficultés d'ordre individuel ou portant sur certaines
catégories de demandeurs ? Vous a-t-on signalé des
difficultés d'ordre matériel pour la mise en oeuvre de la
circulaire ? Comment avez-vous été informé de ces
difficultés ? Quels sont les départements où se sont
manifestées les plus nombreuses difficultés ? Avez-vous le
sentiment que les difficultés qui vous ont été
signalées traduisent l'intégralité des difficultés
effectivement rencontrées par l'administration ?
Toutes les difficultés signalées par les préfets à
la direction des libertés publiques vous sont-elles
systématiquement transmises et est-il possible que vous n'ayez pas
été informé de certaines des difficultés
rencontrées ? Enfin, vous êtes-vous déplacé dans
certaines préfectures pour observer sur place les difficultés
particulières, en vue de les réguler ?
M. GALABERT
- Je dois peut-être commencer par vous dire que j'ai
été saisi par trois voies.
A partir du moment où j'ai été nommé, j'ai
reçu premièrement de nombreuses demandes individuelles concernant
des cas particuliers, si je puis dire de candidats "de base" à la
régularisation, deuxièmement d'associations intervenant sur des
cas individuels. Je précise que le choix d'un certain nombre
d'associations consiste à considérer les demandes collectivement.
Mettons qu'elles me disent : "Notre programme est d'obtenir des papiers pour
tous", je leur réponds qu'elles sont tout à fait libres de
poursuivre cet objectif mais que ce n'est pas à moi qu'elles doivent le
dire, mais bien au ministre de l'intérieur ou au Premier ministre, et
elles ont compris que cela ne relevait pas du tout de mes compétences.
Troisièmement, vous avez fait allusion au fait que je me déplace
dans des préfectures. Je me suis rendu dans 24 préfectures dont
je dirai, en gros, qu'elles correspondaient à celles où les
demandes étaient les plus importantes, et je suis en train d'engager un
second tour. J'ai commencé par le Val-de-Marne, il y a peu, et je me
suis également rendu à Toulouse. Bien évidemment, je me
déplace dans les grandes préfectures.
En ce qui concerne les difficultés rencontrées, je dirai qu'au
départ il y a eu des difficultés d'interprétation de la
circulaire du fait que certaines de ses dispositions n'étaient pas
claires. Ma première mission, pas trop complexe, a consisté
à m'assurer qu'une fois que l'information avait été
fournie par le ministère, l'ensemble des préfectures appliquaient
le texte dans le même esprit.
Pour vous citer un exemple plus concret, celui d'un Malien déclarant
vivre dans un foyer, seul, qui demandait sa régularisation. Certaines
préfectures, minoritaires, se sont alors rapportées à ce
qui était dit dans la circulaire en ce qui concerne les
célibataires "sans charge de famille", mais en considérant
uniquement cette situation de famille en France alors que les personnes dans
cette même situation pouvaient fort bien avoir une famille à
l'étranger. D'autres préfectures ont adopté une position
inverse, finalement acceptée par l'administration après mon
intervention. Faire appliquer sur l'ensemble du territoire la même
interprétation du texte dans un objectif d'unité juridique n'est
pas toujours facile !
Il convient ensuite d'apprécier les situations individuelles en vertu
d'un certain nombre de critères. L'intéressé doit
justifier de l'aspect continu de son séjour, etc.
Les difficultés d'interprétation initiales sont à peu
près résolues mais d'autres difficultés sont liées
au volume des affaires. Il est certain que des préfectures comme la
préfecture de police de Paris, celle de Seine-Saint-Denis ou celle du
Val-de-Marne, sont tellement encombrées qu'en dépit de la bonne
volonté des personnels, il est très difficile de gérer les
dossiers. Dès lors qu'on est saisi par une association pour un cas
traité par la préfecture de police, comme c'est
déjà arrivé, on peut bien sûr essayer de
repérer un dossier mais ce n'est pas très commode !
A l'inverse, les départements où il y a très peu de
demandes, je pense à des départements de taille
modérée, dont la préfecture peut être une ville
d'importance limitée, manquent d'expérience et de doctrine en
matière de gestion des étrangers, et les problèmes s'y
personnalisent très vite. Par exemple, on trouve deux avocats dans la
ville, dont l'un est " brouillé " avec le chef de service, ce
qui laisse plus de champ libre à l'activité des associations.
M. LE RAPPORTEUR.-
Vous avez bien voulu nous parler des associations,
des avocats qui ont de plus ou moins bonnes relations avec les chefs de
service, moi-même ancien avocat je connais bien le problème. J'en
viens donc à ma troisième série de questions.
Comment les associations et les groupements vous font-ils part de leurs
observations ? Avec quels associations et groupements êtes-vous en
contact ? Quelles observations ont été formulées par
les associations et groupements d'aide aux demandeurs ? Quelles sont, selon ces
associations et groupements, les difficultés rencontrées par les
demandeurs d'une régularisation ?
Quelle appréciation portez-vous sur ces observations ? Les observations
formulées par les associations vous semblent-elles
représentatives de celles qui seraient susceptibles d'être
formulées par les intéressés eux-mêmes ? Enfin,
avez-vous rencontré individuellement certains demandeurs ?
M. GALABERT
- Sous la réserve faite initialement, il me semble
que les associations ont compris une fois pour toutes qu'elles ne venaient pas
me voir pour discuter de l'option politique mais pour traiter de cas
particuliers. En réalité, je suis en contact avec des
associations de tailles très diverses. Cela va de très grandes
associations à des associations à l'échelon local. Je
pense à Montpellier, mais c'est loin d'être le seul exemple, ou
à la Haute-Savoie, où les questions les plus fréquentes
qui me sont signalées sont des cas individuels.
De quoi se plaignent-elles ? Indépendamment des incidents locaux, bien
souvent liées aux personnes, en particulier en région parisienne
j'ai pu constater que les associations jugeaient trop long les délais de
procédure. Par exemple, on dépose la demande en juillet et
l'accusé de réception arrive en octobre. Il existe un
délai en la matière. Théoriquement, si vous êtes
interpellé, vous pouvez dire que vous avez présenté une
demande de régularisation et dans ce cas-là, en théorie,
l'agent de police "passe son chemin". Je ne dis pas que, sur des milliers, on
n'a pas eu deux ou trois affaires à régler où
l'intéressé avait été mis en rétention alors
même qu'il avait formulé une demande, mais ce sont des choses qui
s'arrangent.
Les associations se sont également parfois plaintes des conditions
d'accueil, tenant à la fois aux moyens matériels dont dispose
chaque préfecture, également peut-être à
l'implication plus ou moins grande du corps préfectoral. Par exemple, si
on s'aperçoit que tel candidat a des réactions vives, il y a tout
intérêt à ce que l'entretien n'ait pas lieu au guichet.
Dans ces conditions, on peut discuter avec l'intéressé.
Les associations ont une autre plainte, dont j'ose dire qu'elle n'est pas
très grave et à laquelle il est d'ailleurs plus ou moins
envisagé de répondre par le projet de loi. Elles peuvent en
général accompagner les demandeurs, sauf pour l'entretien
individuel proprement dit ce qui paraît d'ailleurs tout à fait
raisonnable, et elles auraient souhaité l'instauration de comités
de suivi au niveau des préfectures. Sauf exception, cela n'a pas
été accordé. Ceci dit, la plupart des préfectures
ont des relations empiriques avec les associations. Celle du Vaucluse ne
travaille pas avec le MRAP parce qu'à Avignon, la personne la plus
disponible et qui entretient des relations avec les services
préfectoraux est de la CIMADE. Sur le plan local, les militants locaux
ne sont pas toujours psychologues et ce sont les agents du guichet qui en
subissent les conséquences.
Dès lors que je me rends dans une préfecture, j'ai un entretien
avec le préfet. Une réunion est organisée, d'une
durée de 1 h 30 à 2 h 00, au cours de laquelle on évoque
les demandes d'explication de la circulaire ou de réponse à des
interrogations. Je m'arrange toujours pour que participent à ces
réunions des chefs de bureau mais aussi des agents plus proches du
guichet.
M. LE RAPPORTEUR.-
Avez-vous des demandes d'audiences
spécialisées d'avocats d'associations ?
M. GALABERT
- Pas tellement des grandes associations, qui ont
généralement des juristes. J'ai eu des relations très
fréquentes avec des avocats qui, en général, paraissent de
très bons spécialistes. Ils ne vous saisissent d'un dossier que
dès lors qu'il y a vraiment matière à intervenir. Pour
faire une réponse très sommaire, en général les
associations ont leurs juristes, pas forcément un avocat, mais il est
arrivé que des avocats nous saisissent.
M. LE RAPPORTEUR.-
Je vous livre ma dernière série de
question. Premièrement, quelles propositions avez-vous d'ores et
déjà formulées au ministre de l'intérieur ?
Deuxièmement, quelles ont été les conséquences de
ces propositions ? Troisièmement et pour finir, ont-elles
entraîné des modifications dans les procédures
observées par l'administration ?
M. GALABERT
- Je dois d'abord vous dire que parallèlement, il
arrive que l'inspection générale de l'administration du
ministère de l'intérieur mène des missions d'inspection,
mais dans une optique qui n'est pas la même, consistant à
s'assurer que les services en charge de la régularisation fonctionnent
bien. J'ai plutôt invité le ministre de l'intérieur
à préciser les points de la circulaire qui paraissaient douteux
et je crois avoir contribué à résoudre le problème
d'interprétation signalé tout à l'heure, concernant les
" sans charge de famille ", en indiquant que l'interprétation
était différente dans telle ou telle préfecture.
Je reçois les gens, je me rends dans les préfectures et j'ai un
rendez-vous tous les 15 jours avec le directeur de cabinet et les conseillers
techniques du ministère de l'intérieur. Naturellement, j'ai des
relations très suivies avec le directeur des libertés publiques,
M. Delarue, que vous venez de voir.
Je dois évoquer d'autres problèmes administratifs dont une
difficulté que j'aurais dû mentionner précédemment,
en ce qui concerne les étrangers atteints d'une maladie grave et qui
demandent leur régularisation au titre du paragraphe 1.7, ne pouvant
être soignés dans leur pays dans des conditions satisfaisantes.
Cette disposition soulève certaines difficultés avec les
médecins inspecteurs de la santé. Je sais que dans le
Val-de-Marne, on en avait même fait un point de cristallisation. Je m'y
suis rendu la semaine dernière et, comme par miracle, c'était
réglé. A Bordeaux et à Toulouse, le moins qu'on puisse
dire est que ce n'est pas le cas. Je ne sais si on peut parler de grève
du zèle à ce niveau mais, alors que certains émettaient
systématiquement un avis favorable, à Toulouse il y a un
réel refus de donner un avis. Il y a à cela des raisons parfois
déontologiques, que l'on retrouve dans le fonctionnement des
administrations.
Dès lors que les intéressés sont hospitalisés, il
est possible d'avoir des données plus précises et, la plupart du
temps, les médecins sont obligés de travailler sur dossier. Il
est vrai qu'il n'est pas forcément facile de se prononcer au seul vu du
dossier médical. Il est nécessaire, pour rester en France, eu
égard à la nature et à la gravité de la pathologie,
qu'elle ne soit pas soignée de façon satisfaisante dans le pays
d'origine. Maintenant, il est possible que la maladie n'empêche pas une
activité professionnelle, ce qui est un peu le cas à l'heure
actuelle au niveau du SIDA et on a souvent évoqué le cas des
personnes astreintes à des dialyses. A ce niveau, il y a une
concertation pour arriver à une position commune au ministère de
l'intérieur et à celui des affaires sociales.
M. LE RAPPORTEUR.-
Monsieur le président, sur la base des
missions qui vous ont été confiées, en définitive
vous êtes là pour coordonner différentes visions des
préfectures ou des médecins de la santé, entre autres au
sujet du célibataire dont vous faisiez état tout à
l'heure, sans charge de famille. Si je comprends bien et si je puis m'exprimer
ainsi, vous devez commencer à dire le droit !
M. GALABERT
- De toute façon on n'arrivera jamais à
interpréter les textes de la même manière à
Strasbourg qu'à Paris ou à Dijon. Au mois de juillet ou
d'août, les demandes ont commencé à arriver et je peux vous
dire que les agents eux-mêmes n'avaient pas idée de ce que cela
donnerait. La réaction, au niveau des préfectures, était
de dire : "Nous n'avons pas attendu la circulaire pour rejeter certains". J'ai
en revanche entendu un agent me dire: "On régularise tout le monde", et
6 mois après, dans ce département, j'ai constaté que les
critères de la circulaire faisaient qu'on ne s'orientait pas dans cette
direction.
Désormais, les gens sont rodés, même si des adaptations
psychologiques seront à faire, que je ne méconnais pas. De toute
manière, je le dis en mon nom propre mais il me semble que je peux
également le dire au nom de M. Delarue, directeur des libertés
publiques, si nous n'avions pas eu envie d'exercer cette mission, nous aurions
refusé le poste.
Dans toutes les préfectures, un gros problème tient à la
preuve du séjour. Vous avez des professionnels de la chose qui arrivent,
en toute bonne foi, avec leurs 700 cartes orange de circulation. Vous avez
aussi celui qui a eu la "chance" de se faire soigner pour une grippe tous les
hivers. En la matière, certains font flèche de tout bois ! On a
même entendu le raisonnement suivant : "En 1994, vous voyez bien que
j'étais présent en France puisque j'ai reçu un mandat de
reconduite à la frontière, à telle date " !
M. LE RAPPORTEUR.-
Avez-vous rencontré certains demandeurs
à titre individuel ?
M. GALABERT
- Il m'est arrivé d'en avoir au
téléphone. Certains me communiquent leur numéro de
téléphone et, étant donné que je n'ai qu'une
secrétaire, il m'arrive de leur demander une précision.
M. LE RAPPORTEUR.-
Prenons le cas du Malien célibataire mais qui
a une charge de famille au pays. Quelle est l'interprétation, à
ce moment-là ?
M. GALABERT
- L'interprétation est celle qui avait prévalu
au niveau du ministère. Le fait d'avoir une famille à charge dans
le pays ne vous exclut pas du bénéfice de circuler mais il se
trouve tout de même que cette personne est dans une situation, pour
parler net, où ses chances d'obtenir une régularisation sont plus
limitées.
Je me permets de vous indiquer pourquoi on a débattu sur la structure
qui aurait eu l'avantage de limiter tout contentieux. Je dirai que celle-ci ne
pourrait être tenue comme légale, encadrant simplement l'exercice
par les préfets du pouvoir de régularisation qu'ils
possèdent de toute façon.
Cette interprétation juridique était nette. Au cas où un
étranger demande sa régularisation, pour limiter tout
contentieux, on aurait dit : une circulaire a été publiée,
créatrice de droit. Le ministère de l'intérieur a pris une
autre optique. On se base donc essentiellement sur la circulaire mais,
dès lors qu'on est saisi d'une demande de titre de séjour, cela a
deux conséquences.
Mettons que l'étranger soit hors circulaire mais qu'il remplisse les
conditions de la loi ou du traité bilatéral entre la France et
son pays d'origine, je pense à un Camerounais présent en France
depuis 15 ans et qui pouvait le prouver, avec une période
étudiante. L'article 12 bis de l'ordonnance de 1945 lui permettait de
prétendre à régularisation. Si la personne ne remplit pas
les conditions de l'ordonnance, le schéma normal consiste à dire
: "Je ne puis vous accorder le titre de séjour que vous demandez" et
à faire quitter le territoire dans tels délais.
Bien souvent les préfectures, sans que ce soit d'ailleurs de mauvais
augure, ont tenu le discours suivant : "Vous devez partir", tout en
prévenant l'objection en disant : "Votre famille étant au pays,
l'obligation de quitter le territoire ne porte pas atteinte à l'article
8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des
libertés fondamentales".
Il a d'abord fallu rappeler à certaines préfectures que la
légalité de la mesure de départ n'était pas en soi
un motif de refus. Certaines faisaient valoir que l'étranger
n'exerçait pas une activité régulière et que sa
famille était au pays. Il reste, et c'est humain, les préfectures
étant confrontées à des dossiers où les
problèmes d'appréciation sont délicats, qu'il est
difficile de ne pas avoir tendance à regarder d'abord la situation
familiale : "Celui-là est célibataire et, si vous refusez la
régularisation, la mesure d'éloignement ne posera pas de
problème". Cela ne déteint pas sur la façon dont il
satisfait ou non aux critères de régularisation.
M. ALLOUCHE
- Vous nous apportez un certain nombre
d'éléments de précision qui effectivement répondent
à notre attente mais, au fur et à mesure que je vous entends, je
me dis que l'utilité de votre rôle paraît de plus en plus
importante compte tenu de votre volonté d'harmoniser, en quelque sorte,
l'application de la circulaire dans l'ensemble des préfectures. Ma
question est la suivante.
Au regard des dossiers qui ont à ce jour été
refusés, avez-vous une idée statistique du nombre de cas qui ont
été reconsidérés, pour lesquels il a
été possible de donner satisfaction aux demandes exprimées
alors que, dans un premier temps, pour une application plus ou moins
fidèle à l'esprit et à la lettre de la circulaire, il y
avait eu une proposition de refus ?
M. GALABERT
- Dans les préfectures les plus surchargées,
on n'a guère le temps d'instruire le recours gracieux et on s'en remet,
si je puis dire, au silence de l'administration, en laissant s'écouler
le délai de quatre mois à l'issue duquel le recours gracieux est
considéré comme rejeté. Les autres préfectures ont
elles par contre déjà répondu et elles ont
généralement instruit le recours gracieux. Je précise
qu'il est arrivé que des recours gracieux me soient directement
adressés.
Il a pu arriver que l'intéressé, lisant la décision de
rejet, puisse apporter la preuve de sa présence effective en France
depuis 7 ans. S'il est capable de le faire là-dessus, dans son dossier
cela peut être considéré comme suffisant. Pour faire
d'ailleurs une parenthèse sur ce point, autant j'ai parlé tout
à l'heure de gens prévoyants, qui avaient gardé la trace
de leurs 7 années de carte orange, etc, autant certains sont moins
prévoyants ou d'un moindre niveau culturel, qui n'y ont pas
pensé. A Toulouse, on me disait encore vendredi dernier que des
personnes ne pouvaient recevoir satisfaction du fait qu'elles n'apportaient pas
la preuve de leur séjour, pour lesquelles on avait pourtant la
conviction qu'elles résidaient depuis longtemps sur le territoire
français.
Je peux vous citer un autre exemple, d'une préfecture qui avait eu la
malencontreuse idée de ne pas même recevoir
l'intéressé avant de proposer la décision de rejet. On a
demandé le secret absolu. J'ai téléphoné à
la préfecture et mon discours a été le suivant : "Puisque
qu'il engage un recours gracieux, commencez par le recevoir", ce que la
préfecture a bien voulu faire. Suite à cela, la décision
de rejet a été prise et j'ai adressé une lettre à
l'intéressé, lui indiquant qu'il pouvait toujours faire recours,
sans préciser qu'au vu du refus opposé, la décision de la
préfecture paraissait solide.
Mme DUSSEAU
- Monsieur Galabert, vous avez en partie répondu
à mon ignorance mais je souhaite vous poser quelques questions. Par
rapport aux 7 années exigées de certains demandeurs, faut-il
impérativement 7 années de présence continue ? Des
éléments peuvent peut-être prouver une présence
pendant mais non depuis 7 ans en France.
M. GALABERT
- En principe, on parle d'un séjour continu de 7 ans,
mais sous réserve d'allers-retours. Si l'étranger retourne dans
son pays d'origine pendant un mois, ce n'est pas cela qui sera pris en compte.
Par contre, il est certain qu'on ne va pas additionner les 10 ans passés
antérieurement en France, plus les 3 années entre 1994 et 1997,
par exemple.
Mme DUSSEAU
- Au niveau du recours gracieux, au bout de 4 mois de
silence de l'administration, que se passe-t-il ?
M. GALABERT
- En matière de droit administratif, au bout de
quatre mois de silence de l'administration, ce que vous lui avez demandé
est théoriquement censé vous être refusé.
Mme DUSSEAU
- Troisièmement, je n'ai pas très bien compris
ce que vous nous avez indiqué concernant les personnes vivant en France
dans un état de célibat mais ayant une charge de famille à
l'étranger. Je souhaiterais que vous éclaircissiez votre
réponse.
M. GALABERT
- Pour schématiser le plus possible, dans un premier
temps les préfectures, à Paris notamment, considéraient
que dès lors que la personne n'était pas mariée, cela
allait, mais qu'à partir du moment où elle avait une famille, que
celle-ci vive en France ou dans le pays d'origine, elle ne pouvait
bénéficier de la régularisation. L'interprétation
qui a prévalu, après confrontation avec le ministère de
l'intérieur, est qu'on lui demande de vivre en célibataire en
France mais que, si cette personne a une famille à l'étranger,
cela ne ressort pas.
M. LE PRÉSIDENT.-
Que se passe-t-il en cas de polygamie ?
M. GALABERT
- C'est toujours éliminatoire, même à
l'extérieur.
Mme DUSSEAU
- En ce qui concerne les étrangers malades, une
durée de séjour est-elle exigée ?
M. GALABERT
- Mettons que vous soyez victime d'un accident de la route
extrêmement grave, faisant appel à des techniques chirurgicales,
on vous gardera le temps de vous soigner. Il y a aussi les cas de SIDA, les
dialyses...
Mme DUSSEAU
- Par rapport à l'ensemble des dossiers, a-t-on une
idée du pourcentage que représentent ces personnes malades ? Vous
nous avez parlé d'une dialyse, d'un accident de la route, il y a
forcément une ventilation des cas.
M. GALABERT
- C'est encore difficile à dire et cela dépend
des endroits. J'étais à Bordeaux il y a peu, où on doit
dénombrer à l'heure actuelle 7 ou 8 cas de malades. Dans le Gers
ou l'Arriège, il doit y avoir 15 demandes de régularisation,
dont une demande s'agissant d'une personne malade. En région parisienne,
le pourcentage est bien sûr beaucoup plus faible. On peut dire, en tout
état de cause, que les cas recensés jusqu'à ce jour sont
peu nombreux.
M. LE RAPPORTEUR.-
Il faut préciser que les étrangers
malades doivent résider habituellement en France.
M. CALDAGUES
- Pour poser à mon tour une question sur la
polygamie, juridiquement cette question me remplit de perplexité. Les
critères sur lesquels l'autorité ou les tribunaux peuvent
déterminer que quelqu'un est polygame ou qu'il ne l'est pas me
paraissent extrêmement flous, pour ne pas dire inexistants. J'ai cru
comprendre qu'était polygame à vos yeux quelqu'un dont la
polygamie était due à un second mariage dans son pays d'origine,
je ne pense pas que ce soit l'interprétation des tribunaux.
M. GALABERT
- La sanction de la polymamie, ce qui signifie l'existence
de plusieurs ménages, est que vous ne pouvez faire venir qu'une
épouse au titre du regroupement familial. Ceci étant, des
familles polygames sont arrivées à une époque où la
"chasse" à la polygamie n'était pas faite avec autant de rigueur
qu'aujourd'hui, ce qui pose souvent énormément de
problèmes.
M. CALDAGUES
- Ma deuxième question est la suivante. Lorsque le
demandeur invoque un état de santé exigeant un traitement en
France, hormis le cas des affections chroniques ou quasi chroniques dont vous
nous avez parlé tout à l'heure, comme les dialyses, dont on ne
sait combien de temps elles peuvent durer, qui peuvent même
s'avérer définitives, quelle est la durée de
validité d'une attestation médicale ? Dans de nombreux cas, la
médecine française ne reste tout de même pas
définitivement impuissante.
M. GALABERT
- Les étrangers remplissant les conditions
bénéficient généralement d'une autorisation de
séjour d'une durée de trois mois, renouvelable, et
désormais si le rapport du médecin fait apparaître la
nécessité d'un traitement de longue durée on
délivre une carte de séjour temporaire d'un an, avec autorisation
de travailler si la maladie le permet.
M. DEMUYNCK
- La circulaire prévoit-elle un traitement
particulier pour les étrangers frappés d'interdiction
définitive du territoire, trafiquants de drogue dans 90 % des cas ?
M. GALABERT
- Il s'agit là d'un réel problème, que
j'examine avec l'ensemble des préfectures. Il convient de distinguer
l'interdiction de territoire à titre principal qui ne pose pas de
problème, ne pouvant être levée que par un décret de
grâce du président de la République. Certaines personnes
ont certes formé des recours à ce niveau mais les chances sont
minces.
S'agissant d'une interdiction de séjour à titre
complémentaire, la circulaire a prévu que le préfet puisse
demander au ministre de l'intérieur de vous assigner à
résidence, vous remettant dans une situation qui permet d'obtenir le
relèvement. Je précise bien qu'en aucun cas cette
procédure d'assignation à résidence en vue de demander
à la juridiction un relèvement n'est appliquée à
des agents dont la condamnation principale tenait à des motifs de droit
commun.
M. LE PRÉSIDENT.-
Je souhaite vous poser deux questions.
Premièrement, vous connaissez la circulaire sur l'aide au retour et,
globalement, je souhaiterais savoir ce que vous en pensez. Ne vient-elle pas
trop tardivement, par rapport à d'autres décisions, et n'est-elle
pas trop compliquée ?
M. GALABERT
- Je peux en effet, comme vous l'avez fait, observer qu'elle
est intervenue tardivement, mais les consignes sont données pour pouvoir
éventuellement accorder le bénéfice à quelqu'un qui
aurait quitté le territoire à la suite d'un refus et qui pourrait
y prétendre. Aujourd'hui, de nombreuses préfectures tirent sur
les délais avant de mettre en forme et de vous notifier une
décision de refus pour pouvoir accompagner la notification d'un rapport
que vous pouvez adresser pour l'aide au retour. Ceci dit, on peut s'interroger
sur l'efficacité de l'aide au retour.
M. LE PRÉSIDENT.-
Deuxième question toute simple, on a
donc en gros 150.000 dossiers de régularisation : 180.000 moins les
doubles emplois. Il nous a été dit qu'on avait traité en
priorité les cas les plus faciles dans la plupart des
préfectures, ce qui est d'ailleurs normal : on régularise d'abord
les régularisables, mais cela signifie aussi qu'on va avoir à
faire face à une accumulation de choix difficiles dans des délais
relativement courts. Ne pensez-vous pas que tout cela va quelque peu
"embouteiller" les choses au cours des deux derniers mois ? Surtout qu'il y
aura un cumul avec l'aide au retour qui va commencer et a clairement introduit
ses propres délais dans les délais impartis par la circulaire.
Finalement, ne pensez-vous pas qu'on se dirige vers un report des délais
impartis dans la circulaire du 24 juin 1997 ?
M. GALABERT
- La plupart des préfectures pensent tenir le
délai d'avril, même si certaines sont plus prudentes ou plus
pessimistes, comme la préfecture de police ou la préfecture des
Bouches-du-Rhône. Maintenant, si beaucoup de décisions ne sont pas
prises, elles sont déjà largement préparées, ce qui
paraît de nature à restreindre quelque peu votre inquiétude.
Il est en outre tout à fait certain qu'on a commencé par traiter
les cas les plus simples. Je dois tout de même signaler que même en
l'état actuel, les chiffres qui sont communiqués, même
préfecture par préfecture, d'admissions et de refus, ne sont pas
encore très significatifs. Il n'est pas question d'arriver au taux
national, ne serait-ce que parce que les conditions au niveau des populations
étrangères ne sont pas les mêmes d'un département
à un autre. On aura forcément des chiffres différents et
cela dépend aussi de la façon dont la préfecture a
procédé. Celle qui a vraiment appliqué la règle a
commencé par traiter les cas les plus favorables et,
inévitablement, les choses vont évoluer quand on arrivera au 1-6.
Ce n'est pas très significatif.
Je crois tout de même que la nouvelle loi relative à
l'entrée et au séjour des étrangers en France va
être une "passerelle". Si on a été conduit à
prolonger après le 1er novembre la possibilité, pour les malades,
de bénéficier de la régularisation, c'est parce que l'on
pouvait penser que la loi nouvelle prendrait le relais de la circulaire et
qu'on ne voulait pas créer de hiatus ; ceci dit, une fois la nouvelle
loi en vigueur, il deviendra délicat d'appliquer une circulaire
dès lors qu'elle serait contraire à la loi nouvelle.
M. LE PRÉSIDENT.-
Pensez-vous que la loi sera en vigueur avant le
terme de la circulaire ?
M. GALABERT
- Je ne suis pas parlementaire mais disons qu'il y a de
très fortes probabilités. Je précise que je ne crois pas
m'aventurer beaucoup en disant que je ne pense pas que les dispositions de la
future loi appelleront énormément de décrets
d'application. Certaines devraient pouvoir s'appliquer sans décret.
M. LE PRÉSIDENT.-
Que se passerait-il en cas de vide juridique
entre la fin de l'application de la circulaire et l'application de la loi ?
M. GALABERT
- Disons que ce serait fâcheux.
M. LE PRÉSIDENT.-
Le ministre a annoncé que les
décrets d'application ne seraient pas pris avant les élections.
M. GALABERT
- Cela paraît probable.
M. LE PRÉSIDENT.-
Mes chers collègues, Monsieur le
rapporteur, si votre curiosité est satisfaite je remercie M. Galabert
pour la façon très claire et très spontanée dont il
nous a fait part de ses impressions. Il nous a très fortement
éclairé sur l'environnement de cette procédure et nous
l'en remercions.
M. ANDRÉ NUTTE,
DIRECTEUR DE L'OFFICE
DES
MIGRATIONS INTERNATIONALES
JEUDI 26 FÉVRIER 1998
M.
MASSON, président
.- Nous allons procéder à l'audition
du 26 février et nous allons avoir le plaisir d'entendre
M. Nutte, directeur de l'Office des migrations internationales.
Au préalable, je voudrais vous faire part des excuses de M. Michel
Caldaguès, de M. Christian Demuynck et de M. René
Marquès.
Nous devons vous entendre sous la foi du serment.
(M. le Président donne lecture des dispositions de l'article 6
de l'ordonnance du 17 novembre 1958 ; M. André Nutte
prête serment).
M. NUTTE, Directeur de l'Office des migrations internationales
.- Je le
jure.
M. LE PRÉSIDENT.-
Merci.
Nous allons maintenant vous entendre, après quoi, dans un premier temps,
M. Balarello, le rapporteur de la commission va vous poser un certain
nombre de questions auxquelles vous répondrez comme vous l'entendez,
mais je pense qu'il vaut mieux répondre question après question.
C'est peut-être plus simple pour nous tous que d'avoir à
répondre en une seule fois. Ensuite, je passerai la parole aux
collègues qui le souhaiteront pour qu'ils s'expriment.
Au préalable, je voudrais que, dans un premier jet, vous nous rappeliez
ce qu'est l'Office des migrations internationales (OMI), son origine, ses
statuts, son fonctionnement et son budget personnel, étant entendu que
tout cela, si vous le voulez bien, Monsieur le Directeur, doit tenir en dix
minutes, pour que nous ne chargions pas notre audition d'un exposé
purement théorique qui n'est pas l'objet de cette commission.
Si vous le voulez bien, Monsieur le Directeur, je vous donne la parole pour
cette brève synthèse qui nous permettra de situer peut-être
plus aisément notre débat.
M. NUTTE
.- Merci, Monsieur le Président. Je vais donc vous faire
une présentation aussi synthétique que possible de ce qu'est
l'Office des migrations internationales, étant entendu que, bien
évidemment, je mettrai à la disposition de la commission toute la
documentation nécessaire relative à la présentation des
activités de l'Office.
Tout d'abord, il faut se rappeler que l'Office a été
créé en 1945, que c'est un établissement public à
caractère administratif et qu'il est dirigé par un conseil
d'administration composé de représentants de ministères.
L'Office a deux activités principales : l'activité
liée à l'immigration et l'activité liée à
l'expatriation.
L'activité liée à l'immigration a considérablement
évolué au cours des années, puisque, à partir des
années 1945 jusqu'aux années 1970-1975, l'Office
était essentiellement tourné vers l'immigration de travailleurs
nécessaires au développement de l'économie et que,
progressivement, pour des raisons d'évidence, cette activité
s'est réduite. Aujourd'hui, concernant l'immigration, l'Office a une
activité qui se déploie dans deux directions : la
première concerne tout ce qui est relatif au regroupement
familial ; la seconde est celle qui concerne toutes les personnes
étrangères qui sont amenées à séjourner dans
notre pays à titre temporaire. L'activité "travailleurs" est
devenue beaucoup plus réduite puisque, pour vous donner un chiffre, nous
procédons chaque année à environ 7 000 introductions
de travailleurs.
Quant à l'expatriation, c'est le volet qui consiste à proposer
à nos compatriotes des emplois à l'étranger. Il s'agit
d'une activité que nous déployons à la fois sur le
territoire national et sur certains points du monde, à travers nos
missions.
En ce qui concerne son organisation et son implantation, l'Office a une
implantation métropolitaine à travers sept
délégations régionales qui sont constituées
à partir de zones où l'on trouve une certaine densité de
populations immigrées. Pour l'essentiel, nous avons deux
délégations sur l'Ile-de-France, l'une sur Paris nord et l'autre
sur Paris sud, une délégation dans le Nord, à Lille, une
délégation en Lorraine, à Metz, une
délégation à Marseille, une délégation dans
le Rhône et une délégation à Toulouse.
S'agissant de nos implantations à l'étranger, nous avons des
missions et délégations en Tunisie, au Maroc, au Mali et au
Sénégal. Nous avons en outre une délégation en
Pologne ainsi qu'en Espagne et nous venons d'ouvrir une
délégation en Roumanie.
J'ajoute que nous avons aussi une présence, par le biais de conventions,
à Singapour, puisque nous pensons que le marché du travail
asiatique présente de réelles possibilités.
S'agissant de nos ressources et de nos moyens, je rappelle que l'Office dispose
d'un budget autonome, puisqu'il est constitué de contributions
versées par les personnes qui souhaitent immigrer dans notre pays pour y
séjourner. Il est aussi constitué par des dépenses,
puisque nous avons un certain nombre de prestations à assurer, notamment
des prestations de type médical. J'y reviendrai peut-être dans le
cadre de l'opération de réexamen.
Nous avons aussi à assurer d'autres prestations en matière
d'expatriation. Nous avons enfin à assurer un suivi de dossiers et un
certain nombre d'inspections de procédures. Nous devons notamment
prendre en charge toutes les aides au retour.
Au total, le budget de fonctionnement de l'Office, pour 1998 (je pense que
c'est le meilleur chiffre), s'établit à hauteur d'environ
240 millions de francs, 238 millions pour être précis.
L'Office emploie 450 personnes en agents statutaires. Ce sont soit des
agents qui bénéficient du statut de l'Office, soit des agents qui
bénéficient du statut de la fonction publique. Il a aussi recours
à des vacataires (nombre de personnels médicaux sont des
vacataires), notamment pour ce que nous appelons nos "enquêtes logement",
dans le cadre du regroupement familial.
L'Office souhaite développer son action vers une orientation beaucoup
plus sociale de ses activités. Nous pensons que l'Office doit
constituer, pour les personnes que nous accueillons dans notre pays, le premier
maillon, le premier élément d'une politique d'intégration.
En d'autres termes, il faut que nous "profitions" du passage obligatoire, dans
nos bureaux, de ces populations pour que, indépendamment des
contrôles administratifs et sanitaires auxquels nous sommes tenus, nous
puissions aussi développer une première action sociale sur le
terrain, en partenariat avec les autorités déconcentrées
de l'Etat -je pense notamment aux DDASS- et les associations
spécialisées. C'est un peu l'évolution telle que nous la
pressentons dans le domaine de l'immigration.
S'agissant de l'expatriation, il nous semble indispensable de mieux coordonner
nos actions avec l'ANPE (parce que je pense que, manifestement, il y a un
problème de réunion de moyens, d'efficacité et de
meilleure couverture du terrain) et également de coordonner nos
activités avec le ministère des affaires étrangères
en dehors du territoire national. C'est le deuxième grand dossier
d'évolution auquel doit participer activement l'Office. Le dossier sur
l'expatriation a été ouvert il y a environ une année et il
devrait aboutir (en tout cas je l'espère pour ce qui me concerne)
à une répartition des responsabilités dans cette affaire.
Voilà, Monsieur le Président, ce que je pouvais vous dire, dans
un temps limité, sur une présentation de l'Office. J'ai
conscience d'avoir été vraisemblablement incomplet et je suis
prêt, sur ce point précis, à répondre bien entendu
à vos questions ainsi qu'à celles des autres membres de la
commission.
M. LE PRÉSIDENT
.- Merci, Monsieur le Directeur. Quant à la
définition d'une politique de co-développement, puisqu'elle est
évoquée dans la circulaire sur laquelle M. Balarello va vous
interroger dans un instant, l'OMI y a-t-il participé et cette
définition est-elle chez vous partie intégrante de votre
réflexion ? Y a-t-il, là-dessus, une évocation
philosophique du problème ? Avez-vous des rencontres avec le Quai
d'Orsay ou le ministre délégué à la
coopération ? Nous voyons combien le sujet est vaste et combien il
est encore pour partie embryonnaire. Peut-être avez-vous une
réflexion là-dessus.
M. NUTTE
.- Tout à fait, Monsieur le Président. Je dirai
tout d'abord que l'Office a été associé à la
réflexion qui a été menée par
M. Sami Naïr dans les dernières semaines. L'Office se
sent tout à fait partenaire et opérateur possible pour ce qui est
d'une politique de co-développement.
M. LE PRÉSIDENT
.- Vous allez sans doute nous en donner une
définition.
M. NUTTE
.- Tout à fait. Pour nous, qu'est-ce que cette politique
de co-développement ? Il s'agit de partir du principe qu'une partie
de la population immigrée qui est sur notre territoire national n'a pas
vocation à y rester. Il faut se rendre compte de ce constat
d'évidence : cette population doit nous quitter à un moment.
Cela dit, je pense qu'elle doit nous quitter dans les meilleures conditions
possible, c'est-à-dire avec la possibilité d'un retour au pays
qui s'accompagne d'un minimum de dignité, de telle sorte que ces
personnes puissent revenir dans leur pays en ayant un projet et en ayant
valorisé leur passage en France.
C'est donc une politique qui sous-entend une forte évolution des
mentalités et une forte évolution des esprits,
puisqu'aujourd'hui, le problème du retour au pays d'origine se pose
d'une manière très forte à partir d'un acte administratif
qui est l'invitation à quitter le territoire ou l'arrêté de
reconduite à la frontière. Sans pour autant mettre cela de
côté, il nous semble indispensable d'essayer de développer
une autre démarche.
Concrètement, que fait l'OMI dans cette affaire ?
J'ai évoqué, dans la présentation de l'Office, une
implantation de l'OMI très récente en Roumanie. Cette
implantation ne correspond pas du tout au souci de l'Office de traiter un flux
migratoire roumain venant en France. Chacun d'entre vous pourra le comprendre.
Cela ne correspond pas non plus à la nécessité de
développer l'emploi de Français en Roumanie, puisque les
conditions d'emploi en Roumanie sont relativement peu attractives, ne serait-ce
que par rapport aux salaires qui sont versés. Notre implantation en
Roumanie, qui date du 1er janvier 1998, correspond à deux
préoccupations.
La première est celle qui consiste à faire en sorte que, dans
l'opération de réexamen dont nous parlerons
ultérieurement, nous puissions accueillir les Roumains qui auront
accepté d'adhérer à notre système d'aide à
la réinsertion.
La deuxième consiste à voir dans quelle mesure on peut
créer, en partenariat avec les autorités roumaines et avec des
ONG, des possibilités de co-développement. Il s'agit donc de voir
s'il est possible de monter des dispositifs d'aide aux micro projets.
Notre implantation en Roumanie correspond à cette ambition et notre
conseil d'administration a tout à fait validé cela sans
ambiguïté. Nous nous donnons deux ans pour réussir en
Roumanie.
M. LE PRÉSIDENT
.- Pourquoi ?
M. NUTTE
.- Parce que nous pensons, Monsieur le Président, qu'au
bout de deux ans, nous aurons une bonne idée pour savoir si on sait le
faire ou si on ne sait pas le faire. Il faut se donner deux ans, parce que
c'est un métier nouveau, parce qu'il y a un maillage à faire sur
le terrain et toute une implantation. Nous n'avons pas de savoir-faire en
Roumanie.
C'est le premier point concret.
Le deuxième point concret, parce que je pense que votre commission
souhaite du concret, c'est ce que nous faisons au Mali. Il s'agit du plan de
développement local-migration (PDLM). Ce plan de développement
local- migration a été lancé fin 1995 et il s'est
développé avec le secrétariat d'Etat à la
coopération en 1996 et en 1997.
Le principe, c'est que la population malienne comme celle du
Sénégal et pour celle de Mauritanie, cette population qui
retourne au pays dans le cadre soit d'une IQF, soit d'une aide publique
à la réinsertion, ou encore qui retourne spontanément au
pays après avoir séjourné au moins deux ans en France et
être au Mali depuis au moins six mois, si elle en a la capacité,
bien entendu, a la possibilité, avec notre concours et celui des
services de la coopération, de bâtir un micro-projet et de
créer une micro-activité dans le pays.
Concrètement, parce que, là aussi, il faut des choses
concrètes, avec le service de coopération sur le Mali et le
Sénégal, nous avons initialisé fin 1997
200 projets, donc 200 micro-entreprises souvent modestes.
Que ferons-nous en 1998 ? Dans notre budget, en dehors de
l'opération de réexamen, dont nous parlerons dans quelques
instants, nous avons prévu environ 4,4 millions de francs pour
financer les projets micro-économiques tels que je les évoquais
au Mali, au Sénégal et, le cas échéant, en
Roumanie, si nous avancions très vite. Cela nous permet de financer
à peu près 200 projets hors opération de
réexamen. En effet, l'aide de l'Office est plafonnée à
24 000 F par projet avec un taux moyen, compte tenu des
références que l'on peut avoir, de l'ordre de 22 000 F.
Ce dispositif d'aide aux micro-projets sur le fleuve Sénégal, en
définitive, est opérationnel. Il y a eu, hier ou avant-hier, une
première réunion du comité de pilotage qui va examiner des
projets, les soutenir et les aider.
M. LE PRÉSIDENT
.- Est-ce un comité de pilotage mixte ou
est-il uniquement français ?
M. NUTTE
.- Il est mixte. Il se compose, pour être très
concret, d'un représentant du ministère de la coopération,
le chef de la mission de développement, d'un représentant de
l'OMI, de représentants des autorités maliennes et de
représentants des ONG.
M. BALARELLO, rapporteur
.- Monsieur le Directeur, pouvez-vous nous
donner quelques exemples concrets de micro-projets ?
M. NUTTE
.- Je vous enverrai dans quelque temps notre périodique
"OMI international"
, dans lequel nous avons fait un article
là-dessus et qui vous permettra d'avoir des exemples de micro-projets.
L'exemple de micro-projet, c'est un petit atelier de confection, avec deux
machines à coudre et deux ou trois personnes, c'est un atelier de
réparation automobile, c'est de la petite ferronnerie, c'est de la
valorisation d'appareils de téléphone et ce sont aussi quelques
travaux de bâtiment.
M. LE PRÉSIDENT
.- Tout cela est à Kayes, à
Koulikoro, etc. ?
M. NUTTE
.- Tout cela est installé à Kayes, à Bamako
et dans divers autres endroits, mais la réalisation de ces micro-projet
n'intervient que lorsque l'intéressé est revenu sur le site.
Autrement dit, on ne bâtit pas un projet africain à partir de
données françaises, parce que les réflexes, les
mécanismes économiques et la façon de voir les choses des
Maliens et des Sénégalais n'est pas la même que la
nôtre. On n'est pas dans le même type de marché. Notre
démarche est donc bien de prendre en charge l'intéressé en
s'imprégnant de l'usage local.
Par exemple, pour ce qui concerne l'Office, nous avons bien entendu une
délégation. Nous venons de recruter, pour que ces projets
puissent se développer dans les meilleures conditions, un personnel
local qui a un savoir-faire réel, qui connaît bien le pays,
puisqu'il est Malien, et qui a travaillé pour les ONG, notamment pour
aider au développement.
Donc nous essayons de nous intégrer le mieux possible dans ce tissu
local en nous disant aussi que, dans cette affaire, il peut y avoir un droit
à l'échec, tout comme en France : quand une entreprise se
crée, elle peut parfois s'arrêter. En France, le taux de
morbidité des entreprises est connu ; il est de l'ordre de
50 % après deux ans d'activité, si ma mémoire est
bonne. Au Mali, pour l'instant, nous n'avons pas encore suffisamment de recul
pour faire l'évaluation du dispositif mais, par avance, nous nous
reconnaissons un certain droit à l'erreur.
Pour que ces projets puissent être menés dans les meilleures
conditions, chaque bénéficiaire est soutenu par une association
spécialisée dont c'est le métier, par une ONG. Petit
à petit, on bâtit le projet, on achète le matériel
pour l'intéressé et, à travers tout cela, bien entendu, on
applique la procédure comptable, parce qu'il s'agit quand même
d'argent public.
M. LE PRÉSIDENT
.- Cette politique s'est développée
en 1996, si j'ai bien compris.
M. NUTTE
.- Elle a commencé à se développer en 1996.
M. LE PRÉSIDENT
.- Les premiers éléments de cette
politique ont été mis en place en 1996. Je suppose que cela a
donné lieu à une convention internationale entre le Mali et la
France qui a été négociée dès 1996.
M. NUTTE
.- Tout à fait. Il y a une chose qui me semble
essentielle dans cette politique du co-développement, c'est qu'on ne
peut rien faire, me semble-t-il, sans une implication et un accord des
autorités locales.
Avec le Mali et le Sénégal, la chose s'est
réalisée, mais si nous avançons en Roumanie, cela pourra
se faire. Lorsque je vous disais qu'au bout de deux ans, on verra où
nous en sommes arrivés, c'est bien parce que tout cela prend du temps.
On n'improvise pas les choses et il faut faire preuve de beaucoup de
concertation dans cette affaire.
M. LE PRÉSIDENT
.- C'est une immense tâche, puisque, si j'ai
bien compris, vous avez 200 projets au titre de 1998 et qu'il y a,
à l'heure actuelle, en instance de retour, grosso modo, d'après
ce que nous dit M. Chevènement, à peu près la
moitié de ceux qui ont demandé leur régularisation
l'année dernière, c'est-à-dire 75 000 personnes.
200 d'un côté et 75 000 de l'autre. N'est-ce pas la
goutte d'eau devant l'océan ?
M. NUTTE
.- Lorsqu'on présente les chiffres comme cela, Monsieur
le Président, on aboutit forcément au constat que vous venez de
faire. Il faut d'abord avoir l'objectivité de dire que toutes les
personnes qui retourneront dans leur pays n'auront pas vocation ou
capacité à créer leur micro-entreprise. Je pense que si
nous disions, en France, que l'on va trouver une solution à tous les
demandeurs d'emploi en les aidant à créer leur entreprise, ce ne
serait pas très crédible.
Nous nous engageons simplement dans une politique qui est nouvelle -c'est le
moins que l'on puisse dire-, une politique difficile et ambitieuse de laquelle
je dirai qu'à ce stade, on retient beaucoup plus un aspect qualitatif
qu'un aspect quantitatif. L'Office des migrations internationales dit
simplement ceci : "
En fonction de nos possibilités, de nos
moyens et de nos savoir-faire, parce que c'est un métier nouveau pour
nous, voilà ce que nous avons décidé de faire au cours des
dernières années et voilà comment on va se
développer
".
Il est clair que, dès lors que la politique de co-développement
aura été beaucoup plus explicitée, l'Office aura un
programme à ce sujet. Autrement dit, l'Office s'interrogera pour savoir
dans quels pays elle peut se développer de la même manière.
M. LE RAPPORTEUR
.- Monsieur le Directeur, vous nous avez parlé de
la possibilité ou d'un début de co-développement avec la
Roumanie. Ce sont des exemples tout à fait différents.
Pouvez-vous nous citer quelques cas concrets de co-développement avec la
Roumanie ?
M. NUTTE
.- Monsieur le Rapporteur, pour l'instant, je n'ai pas
démarré. Nous avons pris la décision d'ouvrir sur la
Roumanie à la fin du dernier trimestre 1997 et notre agent est
présent en Roumanie depuis le 1er janvier. Pour ce qui est de la
Roumanie, il s'agit de dire qu'il y a un flux, qu'on le veuille ou non, de
Roumains venant en France. La Roumanie étant un pays de l'est, il
s'agit, pour l'Office, de voir quelles perspectives, dans notre
intérêt, nous pourrions développer dans les pays de l'est.
Pour l'instant, la Roumanie nous semblait possible.
M. LE RAPPORTEUR
.- Avez-vous déjà une idée des
pistes que vous allez explorer en ce qui concerne le co-développement
avec la Roumanie ?
M. NUTTE
.- Nous pensons, avec la Roumanie, que nous pourrons aider
à la réalisation, là aussi, de micro-projets ou
d'entreprises, mais sûrement pas de la même manière que nous
le faisons au Mali. Je crois qu'il faut que l'on ait une autre approche, parce
que les cultures sont radicalement différentes.
D'après mes premières indications (je voyais notre
délégué en Roumanie encore avant-hier), il est clair que
nous aurons besoin beaucoup plus d'assistance que de financements, mais notre
intuition (je préfère parler d'intuition parce que je n'ai pas
encore le savoir-faire), c'est qu'il faudra que nous traitions chaque pays au
cas par cas. Je suis persuadé que le co-développement est
possible avec le Maroc, mais je ne pense pas que la façon dont nous
travaillerons sur le Maroc sera la même que celle avec laquelle nous
travaillons avec le Mali, le Sénégal ou, demain, la Roumanie.
Je veux dire par là que c'est pour nous un axe de développement
nouveau sur lequel il faut que nous investissions. Nous le faisons
progressivement et indépendamment des charges qui pèsent sur nous
aujourd'hui et dont je pense que vous pourrez considérer qu'elles sont
lourdes.
M. LE PRÉSIDENT
.- Merci, Monsieur le Directeur. Nous avons, en
introduction, balayé un peu l'horizon, situé votre organisation
et évoqué aussi cette ouverture vers l'extérieur que vous
avez décrite.
Monsieur le Rapporteur, sur ce plan général, avant d'entrer dans
les questions particulières, avez-vous encore des questions ? Je
vais laisser la parole quelques instants à nos collègues s'ils
ont des questions à poser.
M. LE RAPPORTEUR
.- Sur le plan général, je pense que
M. le Directeur, a fait un exposé objectif et exhaustif. En ce qui
concerne simplement le regroupement familial, puisque l'une de vos tâches
principales consiste à vous en occuper, pouvez-vous brosser en quelques
phrases votre action sur ce chapitre ?
M. NUTTE
.- Sur le regroupement familial, on peut donner un
chiffre : sur l'année 1997, il y a eu environ
15 000 dossiers, soit une hausse d'environ 4 points.
Je passerai sur les aspects administratifs ou médicaux de ce
regroupement familial pour mettre beaucoup plus l'accent sur l'aspect social.
Sur l'aspect social, nous faisons deux choses là où l'Office est
présent, c'est-à-dire dans ses missions à
l'étranger.
La première chose, pour la famille rejoignante, c'est un premier bilan
social dans le pays d'origine. Nous essayons d'apprécier les
difficultés potentielles que pourront avoir cette famille en
matière d'immigration, et ce à partir du pays d'origine, avant
que la famille soit partie.
Le second point, c'est que, toujours sur l'aspect social, nous avons
conventionné avec deux grandes associations qui s'occupent des migrants,
l'ASFAM et la SSAE, pour assurer un suivi social de ces familles lorsqu'elles
arrivent sur notre territoire.
Ce suivi social consiste à pratiquement suivre cette famille pendant une
année. L'organisme social, l'ASFAM et la SSAE ont une prise de contact
avec une famille, un entretien à mi-parcours et une évaluation en
fin de parcours. Cette opération coûte 3 400 F par
famille intervenante et représente, pour l'Office, un budget de
6,6 millions de francs.
Voilà ce que je peux dire sur l'aspect social, qui est un aspect tout
à fait important parce qu'il faut, dès lors que l'on
décide d'accueillir ces familles sur notre territoire, leur donner
toutes leurs chances de pouvoir s'intégrer.
Sur le regroupement familial, j'ajoute que nous procédons,
conformément aux textes, aux enquêtes logement et aux
enquêtes ressources et que nous donnons un avis aux préfets sur
les conditions prévues par la loi afin que ceux-ci soient
éclairés à la fois sur les conditions potentielles de
logement et sur les conditions de ressources des demandeurs.
Voilà, de manière très simple, ce que je peux vous dire
sur le regroupement familial, mais si vous avez des questions, je suis
prêt à y répondre.
M. LE RAPPORTEUR
.- Pour l'instant, je n'ai pas d'autres questions.
M. LE PRÉSIDENT
.- Avez-vous des questions, mes chers
collègues ?
M. MAMAN
.- Monsieur le Directeur, j'aurais voulu avoir un exemple
précis sur le Mali. Les créations de poste au Mali sont-elles
réservées aux Maliens que l'on reconduit à la
frontière uniquement ? Peut-on dire qu'on étudie le cas, que
l'on a vu de ce Malien, dont on sait qu'il a certaines compétences et
que l'on va créer du travail ou un microprogramme pour lui ? Cela
ne s'adresse pas aux Maliens qui ne sont pas venus en France. C'est bien
cela ?
M. NUTTE
.- Bien entendu, Monsieur le Sénateur. Ce qui sous-tend
toute cette opération, c'est l'aide au retour. Autrement dit, l'aide de
l'Office est une aide à la personne qui est sur notre territoire et qui
doit retourner dans son pays d'origine.
M. MAMAN
.- Très bien. Monsieur le Directeur, on a donc
étudié le potentiel de cette personne et quand il revient dans
son pays, on lui dit : "On va vous aider à créer du
travail". C'est bien cela ?
M. NUTTE
.- C'est presque cela, Monsieur le Sénateur. A travers
des entretiens personnalisés, on dit à cette personne :
"Vous retournez au Mali, à Dakar, etc. et vous pourrez avoir une aide si
vous le souhaitez, si vous avez un projet et si vous en êtes capable".
M. MAMAN
.- C'est à lui de trouver le projet ?
M. NUTTE
.- C'est à lui d'être moteur. Il ne revient pas
à l'Etat (j'assimile presque l'Office à l'Etat, pardonnez-moi) ou
à un établissement public de créer une entreprise pour
quelqu'un. Si la personne n'est pas partante, nous perdons royalement notre
temps et notre argent.
M. MAMAN
.- Par conséquent, sur place, l'OMI va l'aider. On va par
exemple lui prêter de l'argent ?
M. NUTTE
.- Toutes choses égales par ailleurs et en prenant des
précautions de transposition, c'est à peu près le
même système que celui que nous avons en France en ce qui concerne
l'aide aux chômeurs créateurs d'entreprise. La première
chose, c'est que l'intéressé doit avoir un premier projet.
L'intéressé peut dire : "J'aimerais bien faire de la
confection", par exemple. A partir de là, on lui demande ce qu'il peut
apporter, parce qu'on ne va pas tout financer (cela n'aurait pas de sens).
On peut lui dire par exemple que l'on peut trouver une machine à coudre
pour tel prix, que s'il veut un local, il doit le louer ou monter quelque chose
en parpaings, etc. On discute donc avec lui de la viabilité de son
projet et, petit à petit, une fois que l'on a l'impression qu'il a bien
bouclé son projet, que nous sommes convaincus qu'il doit réussir
et qu'il a certainement des capacités pour ce faire, son projet est
présenté à un comité de pilotage qui dit si c'est
possible ou non. Ensuite, une fois que la décision de principe est
prise, nous avons un opérateur spécifiquement
désigné, dont c'est le métier et que nous
rémunérons à hauteur de 8 000 F par prestation,
pour l'aider à concrétiser cela étape par étape.
Pour éviter des utilisations peut-être malhabiles de l'argent
ainsi donné (parce que vous savez que 22 000 F, au Mali, cela
fait beaucoup), c'est l'organisme que nous avons choisi qui achète
lui-même le matériel afin qu'il donne vraiment à
l'intéressé le produit "clés en main". Il s'agit
d'être précautionneux, mais cela respecte aussi un contexte.
M. DEBARGE.-
Si vous le permettez, Monsieur le Président, je ne
souhaite pas seulement demander une explication. J'irai aussi dans le sens de
ce qu'a exprimé M. le Directeur et de la question posée par
notre collègue.
Dans une autre vie politique, j'ai eu à m'occuper de ce genre de
problème, et je crois qu'il faut que nous ayons un raisonnement qui
s'adapte au terrain sur lequel l'aide peut se produire. Ce n'est pas la
même chose (je vais peut-être employer un grand mot, mais il est
à la mode) la culture de chez nous et celle de là-bas. Dans ce
qui apparaît comme une aide au retour, il y a l'aspect de celui qui peut
en bénéficier, suivant les critères que vous avez
définis vous-même, mais aussi, me semble-t-il, un aspect familial
extrêmement puissant.
A la limite, si le projet n'est pas bien défini par
l'intéressé lui-même, la famille est là, si elle se
sent engagée, pour soutenir le projet, " asticoter "
l'intéressé, etc. Cela donne lieu parfois à des relations
complexes, y compris administratives (et je ne dis pas pour autant que les
fonctionnaires ou les personnes qui ont la responsabilité de ces aides
ne font pas leur travail), qui sont un peu différentes, dans leur
conception, de celles de notre territoire.
Nous avons parfois également -mais ce n'est pas un défaut-, des
correspondants africains qui sont habiles et astucieux, qui savent faire en
sorte que les choses se déroulent d'une manière convenable.
Vous avez certainement remarqué (je suis dans un département
où il y a beaucoup d'immigrés et je ne dis pas cela du tout d'une
manière péjorative ; je le constate) que, dans les
démarches, ils sont parfois très au fait des problèmes,
parce qu'il y a un esprit de clan qui est là et qui fait qu'une sorte de
relais se produit. En définitive, je crois que c'est une chose tout
à fait naturelle dont il faut tenir compte.
Cela va tout à fait dans votre sens, mais il faut retenir cet aspect. On
ne peut pas transposer le problème de l'aide qui pourrait exister dans
un pays comme le nôtre sur un territoire comme le Mali, par exemple.
M. LE PRÉSIDENT
.- A ce stade, il n'y a plus d'autres
questions ?
M. POIRIER
.- Je souhaiterais, Monsieur le Président, demander au
directeur de nous dire quels sont les moyens de contact ou d'information qu'il
a avec les populations qui sont en instance de départ ou qui veulent
partir.
Plus globalement, j'aimerais savoir quel est le rôle des services rendus
en matière d'incitation au retour, quelle est la proportion de ceux qui
en bénéficient par rapport à ceux qui n'en
bénéficient pas et si le fait que ces procédures existent
contribue à accentuer ou non le flux des retours.
M. NUTTE
.- Par rapport au PDLM, Monsieur le Sénateur, il est
clair que la population qui réside dans notre pays et qui est originaire
du fleuve Sénégal commence à savoir qu'il y a un PDLM. Ce
qui est le plus important, c'est que l'on commence à savoir que cela
réussit. Je le dis d'autant plus volontiers que j'ai pris mes fonctions
il y a quelques mois et que je n'en suis pas l'initiateur.
J'ajoute que, notamment pour les Maliens, c'est une perspective qui est
très positive. Je ne voudrais pas poursuivre ce que disait
M. Debarge, mais les Maliens ont un souci de dignité et il faut
qu'ils rentrent chez eux en étant celui qui a réussi. C'est une
donnée tout à fait évidente. Il faut que ces personnes
rentrent avec le souci d'avoir réussi. Si elles peuvent afficher
l'idée de dire : "Je vais créer une entreprise avec la
famille" au sens large du terme...
M. DEBARGE
.- Disons le clan, ou la tribu...
M. NUTTE
.- ...c'est une chose qui les valorise.
Autrement dit, en ce qui concerne l'aide au retour, si, concrètement on
peut apporter un projet, cela favorise les choses. On le verra tout à
l'heure dans l'opération de réexamen, puisque nous allons
contractualiser avec une association qui est justement bien implantée
sur le fleuve Sénégal pour aider les Maliens à prendre une
décision de retour.
M. LE PRÉSIDENT
.- C'est une association française ou
sénégalaise ?
M. NUTTE
.- Elle est française, mais elle est à la fois
implantée sur le Mali et sur Paris.
Donc pour répondre à votre question, Monsieur le Sénateur,
je pense que cela ne peut que favoriser les choses, mais il faut que nous
fassions nos preuves et que les personnes soient convaincues que c'est vrai.
M. LE RAPPORTEUR
.- Pour compléter la question de M. Poirier,
ne pensez-vous pas qu'il risque d'y avoir une incitation, pour les Maliens ou
autres, à venir en France pour bénéficier ensuite d'aides
à la réinsertion ? Il y a toujours quelques
débrouillards. Est-ce que vous avez mis des freins et des butoirs ?
M. NUTTE
.- Sur ce point, Monsieur le Rapporteur, nous n'avons pas encore
de précédent, mais il est vrai que l'on peut avoir cette
tentation. Il faut se le dire en toute simplicité.
Là-dessus, je dirai que, pour nous, à ce stade, quelqu'un qui
fait l'objet d'une IQF est éligible au dispositif. Cela étant, il
est clair que, dans nos textes, il n'est pas question de l'aider deux fois. Il
faut aussi une possibilité d'opportunité et
d'appréciation. Autrement dit, l'octroi de cette aide n'a aucun
caractère automatique : ce n'est pas une aide de guichet.
Par conséquent, si nous avions des situations dans lesquelles,
manifestement, l'abus était constaté, je crois que nous serions
tout à fait en droit de refuser l'aide. Aujourd'hui, je vous fais une
réponse théorique parce que je n'ai pas eu à traiter
pratiquement ce genre de dossier.
M. LE RAPPORTEUR
.- Est-ce que vous exigez une certaine formation
professionnelle ? Si une personne veut s'installer carrossier ou
mécanicien au Mali, encore faut-il qu'elle ait fait un stage ou qu'elle
ait travaillé en France en tant que mécanicien, je suppose.
M. NUTTE
.- Oui, mais je me permets de vous dire, Monsieur le Rapporteur,
que cela doit être une formation professionnelle appréciée
dans le contexte local. La notion de carrossier au Mali est un peu
compliquée...
(rires.)
M. LE PRÉSIDENT
.- S'il n'y a plus de questions
générales, Monsieur Balarello, nous allons entrer dans le sujet
proprement dit, même si nous étions dans son contexte.
M. LE RAPPORTEUR
.- Nous avons déjà largement
défloré le sujet, Monsieur le Président, puisque
M. le Directeur nous a fait un exposé presque exhaustif.
Quoi qu'il en soit, nous allons en revenir à la circulaire du
24 juin 1997 et je vous poserai deux séries de questions, Monsieur
le Directeur, premièrement sur la contribution de l'OMI à
l'opération de régularisation et, deuxièmement, sur l'aide
au retour des étrangers dont la régularisation a
été refusée.
Tout d'abord, dans le cadre du premier thème, combien d'agents de l'OMI
ont-ils été mis à la disposition des préfectures
pour le déroulement de l'opération de régularisation ?
M. NUTTE
.- Sur ce point, Monsieur le Rapporteur, je rappelle que
l'Office avait déjà, dans les préfectures les plus
importantes, 45 agents chargés des fonctions d'accueil,
essentiellement en région parisienne, dans le Rhône, les
Bouches-du-Rhône et le Nord.
Sur l'opération de réexamen proprement dite, dans un premier
temps, nous avons mis à disposition, jusqu'au 31 octobre 1997,
77 agents supplémentaires. Dans un second temps,
c'est-à-dire jusqu'au 31 janvier 1998, la deuxième
séquence de trois mois, nous avons ramené ce chiffre à
71,5 agents. Enfin, jusqu'au 30 avril, ce chiffre est ramené
à 47,5 agents.
M. LE RAPPORTEUR
.- Vous comptez les vacataires ?
M. NUTTE
.- Ce sont nos vacataires. Ce sont nos agents temporaires que
nous avons recrutés et formés à cet effet.
M. LE PRÉSIDENT
.- Ils ne sont pas permanents ?
M. NUTTE
.- Absolument pas, Monsieur le Président. L'Office ne
peut pas intégrer 77 agents au motif d'une opération de
régularisation qui, par définition, est conjoncturelle.
M. LE RAPPORTEUR
.- Vous auriez pu déléguer des agents
titulaires de chez vous.
M. NUTTE
.- Nous avons procédé de la façon suivante,
selon nos méthodes classiques à l'Office : nous avons fait
appel, pour ce renfort en préfectures, à nos agents titulaires en
leur disant : "Voulez-vous, pendant la période de réexamen,
occuper un poste d'accueil dans les préfectures ?" Nous avons eu,
de mémoire, sept ou huit candidats. Nous avons affecté ces sept
ou huit candidats en préfecture et, corrélativement, nous avons
fait une embauche de renforts temporaires pour ne pas dégarnir nos
effectifs.
Les autres agents sont essentiellement des jeunes que nous avons
recrutés à bac + 2 et que nous embauchons par
période de trois mois. Nous sommes bien évidemment en
décélération, puisque la fonction d'accueil, pour des
raisons d'évidence, n'a plus la même acuité qu'au
début de l'opération.
Le souci de l'Office est d'avoir une dépense adaptée aux besoins.
A chaque renouvellement, nous avons un débat avec chaque
préfecture afin de trouver la meilleure harmonie.
M. LE RAPPORTEUR
.- Autre question. Je vous rappelle que la circulaire
Chevènement demande que le personnel de l'OMI chargé du
pré-accueil soit développé. Quel est le rôle
joué par les agents de l'OMI pour le pré-accueil des agents de
régularisation ?
M. NUTTE
.- C'est un rôle qui se situe dans les préfectures.
Ce rôle était d'accueillir chaque demandeur, c'est-à-dire
de lui expliquer, à partir de ce qu'il évoquait, quelle
pièce il devait fournir. Autrement dit, à travers un premier
entretien, il s'agissait de le ranger dans différents cas prévus
par la circulaire à laquelle vous faites référence.
C'était la première chose.
La deuxième chose consistait à l'aider, dans certains cas,
à lire des documents.
La troisième chose était de le renseigner par
téléphone sur l'évolution de son dossier. Il ne s'agissait
pas de lui dire : "Votre dossier va marcher" ou "votre dossier ne va pas
marcher", mais simplement : "Votre dossier est à l'instruction, il
n'a pas été perdu, retéléphonez-moi dans quinze
jours, etc."
De même, lorsque les préfectures demandaient des pièces
complémentaires, il s'agissait d'aider les personnes à bien
comprendre les pièces sollicitées en leur demandant de venir les
montrer si elles le désiraient, ou encore de leur dire où elles
pouvaient les trouver.
C'était donc une tâche d'accueil et d'écoute de cette
population qui ne vient pas spontanément dans une préfecture et
qu'il faut quelque part rassurer.
M. LE RAPPORTEUR
.- Monsieur le Directeur, la circulaire du
24 juin 1997 constate que le pré-accueil était
déjà organisé seulement dans certaines préfectures
et vous demande donc de développer ce pré-accueil. Comment a-t-il
été développé ? A-t-il été
installé dans toutes les préfectures ?
M. NUTTE
.- Nous avons eu un débat avec l'administration centrale
du ministère de l'Intérieur pour déterminer les
préfectures qui, ayant déjà un service d'accueil de l'OMI,
méritaient d'être renforcées (c'est le cas par exemple de
la Seine-Saint-Denis pour des raisons d'évidence) ou celles qui, compte
tenu du potentiel estimé de dossiers de régularisation,
méritaient une implantation. Je puis vous assurer que cela a
été fait en accord avec le ministère de l'intérieur.
Pour être très précis, je peux dire que nous nous sommes
implantés dans six préfectures nouvelles. Autrement dit, nous
avons renforcé nos équipes sur douze préfectures et nous
avons ajouté six préfectures nouvelles.
M. LE RAPPORTEUR
.- Vous nous en donnerez la liste, si vous le voulez
bien. Cela nous éclairera sur l'importance des demandes de
régularisation.
M. NUTTE
.- Bien entendu.
M. LE RAPPORTEUR
.- Ensuite, est-ce que vos agents ont été
chargés d'autres fonctions que le pré-accueil dans le cadre de la
régularisation ?
M. NUTTE
.- Non. Pourriez-vous préciser votre question ?
M. LE RAPPORTEUR
.- Est-ce que les agents de l'OMI ont été
chargés d'autres fonctions, dans le cadre de la régularisation,
que le pré-accueil ?
M. LE PRÉSIDENT
.- Y avait-il une notion d'orientation ?
M. NUTTE
.- A l'occasion de cette régularisation, nous avons
développé une nouvelle fonction au sein de l'OMI : celle que
nous avons appelée le "questionnaire social". Nous avons pensé
qu'à l'occasion de l'examen médical, nous pouvions proposer, sur
la base du volontariat, aux personnes qui allaient être
régularisées, de faire avec nous ce que nous avons appelé
un petit bilan social.
M. LE RAPPORTEUR
.- A l'occasion de la visite médicale ?
M. NUTTE
.- Exactement. A partir d'un entretien individuel avec la
personne et d'un questionnaire, dont je vous donnerai copie sans aucune
difficulté, il s'agit de faire apparaître les besoins de ces
personnes par rapport à une intégration. Par exemple, on fait
apparaître un besoin de formations en matière de langues, un
besoin en matière de formation générale ou une
préoccupation légitime d'emploi.
A travers ces entretiens sociaux, nous avons aussi l'occasion d'expliquer
à cette population l'organisation de notre service social ou de nos
actions sociales. Par exemple, lors de cet entretien social, nous remettons
systématiquement une brochure que nous avons éditée il y a
quelques semaines et dans laquelle nous essayons, en quinze pages, d'expliquer
ce qu'est la sécurité sociale et ce que sont les allocations
familiales. Nous avons à la disposition de ces personnes toute une
liste, avec leur adresse et leur téléphone, d'organismes sociaux
ou de caisses d'allocations familiales.
Donc cette affaire de bilan social et de suivi social est une opération
nouvelle que nous avons démarrée en novembre 1997, parce qu'il
fallait le temps de former les gens. Nous avions 17 auditeurs sociaux,
17 personnes affectées à ces tâches en novembre et
nous en avons actuellement 28 au début du mois de février.
Nous avons donc 28 personnes qui reçoivent ces personnes
régularisables, en moyenne, pour un quart d'heure d'entretien.
M. LE RAPPORTEUR
.- Toujours dans les préfectures que vous nous
avez indiquées ?
M. NUTTE
.- Non. Nous ne le faisons plus dans les préfectures,
puisque nous le faisons à l'occasion de la visite médicale, dans
les départements que nous avons indiqués.
M. LE RAPPORTEUR
.- A ce propos, comment avez-vous organisé les
visites médicales, les recrutements de médecins, etc. ?
M. NUTTE
.- Sur les visites médicales, nous avons d'abord
utilisé le plus possible nos moyens existants. En tant que
médecins, nombre d'entre eux sont à la vacation et nous avons
demandé aux médecins dans quelle mesure ils pouvaient augmenter
leur temps de vacation. Nous faisons plus de 50 % de ces visites
médicales dans nos délégations régionales et dans
nos points de contrôle habituels.
Cela étant, pour faire face à l'afflux, nous avons
été amenés à faire deux choses. La première
est de recruter 50 médecins ou infirmiers supplémentaires
que nous répartissons soit dans nos centres, soit dans nos points de
contrôle.
La deuxième, c'est que, pour faire face à l'augmentation sur
l'Ile-de-France, nous avons passé une convention avec deux
hôpitaux publics pour qu'ils nous assurent une prestation
complémentaire.
M. LE RAPPORTEUR
.- Toujours en ce qui concerne les visites
médicales, quel est le coût de la visite médicale pour les
intéressés ?
M. NUTTE
.- Le coût de base est de 1 050 F pour la
personne régularisable.
M. LE PRÉSIDENT
.- Certains ont trouvé que c'était
élevé.
M. NUTTE
.- Certains ont trouvé que c'était
élevé, mais je dirai que ce prix de 1 050 F est celui
que nous demandons aux étrangers qui viennent
régulièrement dans notre pays. Ce n'est pas une contribution
différente de celle qui entre dans les procédures ordinaires.
C'est le premier point.
Le deuxième point -et nous le regrettons- c'est que le terme
"
1 050 F pour une visite médicale
" est impropre. En
fait, cette contribution nous permet de faire face à nos autres
dépenses de fonctionnement qui sont toutes destinées aux
personnes que nous traitons. J'évoquais tout à l'heure le
regroupement familial. Il est clair que lorsque nous affectons
3 500 F pour une famille, ce n'est pas la contribution qui est
demandée à la famille. Lorsque nous finançons l'aide au
retour, ce n'est pas la personne qui nous paie. La contribution ne sert donc
pas -heureusement d'ailleurs- à financer uniquement la contribution
à la visite médicale. Elle sert à financer l'ensemble des
prestations. L'audit social que nous faisons et dont nous avons parlé a
un coût.
M. LE PRÉSIDENT
.- Est-ce que ces prestations concernant les
visites médicales sont remboursées ?
L'intéressé est-il remboursé ?
M. NUTTE
.- Non. Comme dans la procédure ordinaire, Monsieur le
Président, c'est une contribution.
M. LE PRÉSIDENT
.- Il n'y a pas une mutuelle ou une
association ?
M. NUTTE
.- C'est à la charge de l'intéressé tout
simplement.
M. LE RAPPORTEUR
.- Quel est le coût en personnel, pour l'OMI, de
votre contribution à l'instruction des demandes de
régularisation ? L'avez-vous chiffré ?
M. NUTTE
.- Absolument, Monsieur le Rapporteur. Pour ce qui est du
budget, nous avons fait une hypothèse (vous comprendrez que nous ne
pouvions pas faire autre chose qu'une hypothèse) : nous avons
estimé que l'opération de régularisation se traduirait,
pour l'Office, par un dépôt de 80 000 dossiers sur
l'ensemble de l'opération, c'est-à-dire de début
juillet 1997 jusqu'à la fin. Ce nombre de 80 000 dossiers
est une prévision que nous avons faite dès le début de
l'opération et il était indispensable de la faire si nous
voulions avoir un budget. On ne peut pas faire de budget sans
prévisions, d'autant plus que nous bouclons le budget 1998 pratiquement
en septembre 1997.
Sur le budget 1998, nous avons fait une prévision de traitement de
60 000 dossiers, étant entendu que nous en avons traité
20 000 sur 1997. Sur ces 60 000 dossiers, dans notre budget, nous
avons inscrit une dépense de 141 640 000 F. Sur cette
dépense de 141,6 millions, on retiendra qu'en frais de personnel de
toutes natures, aussi bien les médecins que les agents vacataires, les
fournitures administratives, les frais postaux et autres, nous avons inscrit
une somme de 28 millions pour l'opération de régularisation
proprement dite. C'est une prévision sur la base de 60 000 dossiers
à traiter. Nous verrons bien si cela se confirme.
Pour ce qui concerne les dépenses liées à la
réinsertion, nous avons budgété 114,4 millions de
francs, qui se décomposent en 110 millions de francs pour l'aide
à la réinsertion, dont nous parlerons ensuite, et
4,4 millions de francs que j'ai évoqués dans le cadre du
programme PDLM.
M. LE RAPPORTEUR
.- L'aide à la réinsertion dans le pays du
retour ?
M. NUTTE
.- C'est cela. Cela fait bien un budget de 141,6 millions
sur cette opération de 1998.
M. LE RAPPORTEUR
.- Et les recettes afférentes aux visites
médicales ?
M. NUTTE
.- Toujours dans notre budget 1998, nous avons
affiché 67,6 millions de recettes. De manière plus
précise, 8,75 millions au titre du regroupement familial et
58,85 millions au titre des autres dossiers, c'est-à-dire les
dossiers individuels.
M. LE RAPPORTEUR
.- Ma dernière question sur ce premier titre
concerne le suivi social, mais vous y avez déjà répondu en
partie. Comment avez-vous organisé le suivi social prévu par la
circulaire du 24 juin 1997 pour les personnes régularisées ?
Il y a par exemple le dépliant...
M. NUTTE
.- Nous l'avons fait par ce dépliant, mais aussi par
l'entretien avec la personne pour l'identifier. Sur ce point, nous avons
transmis aux DDASS, pour ce suivi social, 15 000 questionnaires au 15
février. Autrement dit, nous avons réalisé
15 000 entretiens sociaux avec les personnes régularisables
depuis novembre, date de lancement de l'opération, et ces
15 000 questionnaires ont été transmis aux DDASS, qui
les ventilent vers les services sociaux qui les traitent. Nos services, nos
délégués régionaux comme ceux du siège,
exploitent ces dossiers le mieux possible en concertation avec les DDASS.
M. LE RAPPORTEUR
.- Monsieur le Directeur, je vous demanderai, à
ce propos, de bien vouloir nous remettre quelques-uns de ces questionnaires en
occultant le nom de la personne.
M. NUTTE
.- Bien entendu. Je le ferai sans difficulté.
M. LE RAPPORTEUR
.- En ce qui concerne la première série de
questions, j'en ai terminé.
Je voudrais passer maintenant au deuxième titre : l'aide au retour
des étrangers dont la régularisation a été
refusée.
M. LE PRÉSIDENT
.- C'est un problème pour demain.
M. LE RAPPORTEUR
.- Tout d'abord, pourriez-vous nous donner un bilan des
précédents dispositifs d'aide au retour ou les
décrire ?
M. NUTTE
.- Avant la circulaire du 19 janvier 1998, le dispositif
qui a été créé en 1991 était une aide de
1 000 F par personne, la prise en charge des frais de transport par
avion ainsi que la prise en charge d'un "kilotage" de bagages de l'ordre de
40 kilos, plus un accompagnement social (pour faire très simple) en
métropole et dans le pays de retour pour autant que l'Office y soit
implanté.
M. LE RAPPORTEUR
.- Encore une fois, en quoi consiste cet accompagnement
social ?
M. NUTTE
.- Il consiste à faire le point avec la personne qui est
candidate au retour en lui demandant quel projet elle a et ce qu'elle souhaite
faire. Il s'agit de l'aider dans ses formalités administratives, ne
serait-ce que pour obtenir un visa, et aussi d'organiser son départ.
Cela veut dire que l'on convient avec elle d'une date de départ, que
l'on se mobilise pour prendre les billets d'avion nécessaires, qu'on
l'aide à solder ses comptes bancaires si elle en a, à effectuer
les procédures pour son loyer, etc. Il y a tout un travail d'assistance
qui est indispensable.
Je me permettrai de citer deux chiffres sur ce dispositif de 1991. Le premier
concerne les résultats du dispositif d'aide à la
réinsertion en 1996.
M. LE RAPPORTEUR
.- Pour l'année 1996 ?
M. NUTTE
.- Oui, pour l'année 1996. Ce dispositif, pour
l'année 1996, a donné lieu à
1 600 bénéficiaires.
M. LE RAPPORTEUR
.- Ils sont partis ?
M. NUTTE
.- Oui, ils sont partis.
M. LE RAPPORTEUR
.- Et vous ne les avez pas retrouvés
ensuite ?
M. NUTTE
.- Nous ne les avons pas encore retrouvés à ce
jour (je suis prudent). Je précise que la délivrance d'une aide
donne lieu à une pièce comptable, comme pour tout
établissement public, et que nous avons le soin de nous assurer que nous
ne versons pas deux fois : nous n'avons pas favorisé l'effet
"noria" pour des raisons d'évidence. 1 600 personnes sont donc
parties en 1996 dans le cadre de cette procédure.
Cela étant, je me permets d'attirer votre attention sur le fait que, sur
ces 1 600 personnes, nous avions 600 Roumains.
M. LE RAPPORTEUR
.- J'allais justement vous demander des
précisions sur les nationalités.
M. NUTTE
.- Dans cette procédure d'aide à la
réinsertion d'IQF, pour faire simple, sur 1996, nous avions
600 Roumains et aussi des Haïtiens. C'est l'essentiel.
Si l'on fait référence maintenant à l'opération de
régularisation de 1991, nous avons retrouvé les chiffres d'IQF
dans le cadre de l'aide à la réinsertion et nous avions eu
1 300 bénéficiaires.
M. LE RAPPORTEUR
.- Pour l'année 1991 ?
M. NUTTE
.- Pour l'opération de régularisation de
l'année 1991, puisqu'il y avait eu une telle opération en 1991.
Autrement dit, peu ou prou, l'aide à la réinsertion, jusqu'en
1996, tournait autour de 1 300 à
1 600 bénéficiaires par an. Nous n'avons jamais
dépassé les 2 000.
M. LE RAPPORTEUR
.- Le nouveau dispositif est plus attractif du fait du
montant des sommes qui sont engagés. Est-il plus attractif pour d'autres
raisons ?
M. NUTTE
.- Dans ce dispositif d'aide à la réinsertion,
nous souhaitons avoir une dynamique un peu nouvelle, c'est-à-dire que
nous essayons de dépasser la simple prestation financière,
même si elle n'est pas à négliger. Autrement dit, le fait
de donner un pécule de départ, de donner un billet d'avion ou de
payer 40 kilos de bagages ne constitue pas l'essentiel de notre
tâche sur ce champ. On peut noter que l'aide est multipliée par
trois et demi, mais l'important, pour nous, est aussi d'essayer d'accompagner
cette personne, tout d'abord en lui expliquant bien les choses, puis en la
sécurisant et en lui disant que l'on va essayer de la prendre en charge
le plus possible.
A partir de là, nous pensons que cette affaire doit se faire
nécessairement avec le réseau associatif. Autrement dit, si nous
n'impliquons pas les associations dans cette affaire, je crois que l'Office n'y
arrivera pas seul. C'est déjà une tâche difficile, mais
seul, c'est encore plus difficile, et je dirai que, pour communiquer avec ces
populations, il vaut mieux avoir des personnes qui les connaissent mieux que
nous parce qu'elles ont eu l'occasion de les voir dans d'autres circonstances.
Sur le conventionnement, nous sommes en cours de négociation à
deux niveaux, au niveau national et au niveau local.
Au niveau national, comme je vous l'ai indiqué tout à l'heure,
nous allons signer cet après-midi -c'est le hasard du calendrier- une
première convention avec l'Association pour la formation, l'insertion et
le développement rural en Afrique (AFIDRA). Cette association, comme je
vous l'ai indiqué tout à l'heure, a une implantation en
Ile-de-France essentiellement et une implantation au Mali et au
Sénégal. Nous allons donc contractualiser avec cette association
pour deux choses.
La première consiste à organiser des réunions
d'information des populations du fleuve Sénégal à la fois
dans les foyers SONACOTRA et dans d'autres lieux qui lui sembleront les plus
adaptés.
Le deuxième élément de cette contractualisation consiste
à confier à cette association le soin d'accompagner la personne
et de l'aider, à notre place, à construire son dossier.
Cette convention sera donc signée et mise en oeuvre.
Par ailleurs, toujours au niveau national, nous avons eu nos premières
réunions de travail avec l'ASFAM et le SSAE. Ce sont des associations
avec lesquelles nous travaillons déjà dans le cadre du
regroupement familial et avec lesquelles le FAS contractualise.
Le SSAE est le Service social d'aide aux émigrants et c'est pratiquement
la première association française qui s'occupe de ce secteur.
Nous sommes en négociation avec cette association pour qu'elle accepte
le partenariat dans cette affaire. Il est clair que si nous contractualisons
avec le SSAE, nous aurons une couverture nationale de bonne qualité.
La troisième association avec laquelle nous sommes en négociation
est l'ASFAM, l'Association pour le service social et familial d'aide aux
migrants. C'est une association un peu moins importante en nombre que le SSAE,
mais elle a aussi un savoir-faire sur ce sujet.
La quatrième structure avec laquelle nous sommes en négociation,
c'est la Croix Rouge, qui doit pouvoir faire un bout de chemin avec nous, et je
n'exclurai pas, à ce stade, le Secours catholique.
Dès lors que, maintenant, la circulaire existe, notre souci est de faire
ce bout de chemin avec ces associations au niveau national.
Maintenant, il est clair qu'au niveau local (je réunissais encore hier
nos délégués régionaux en comité de
pilotage, puisque nous le faisons tous les quinze jours), nos
délégués régionaux ont commencé aussi
à avoir des contacts avec les associations locales pour voir dans quelle
mesure elles pourraient agir.
Tout cela est donc en route. Il n'est pas facile de contractualiser parce que
ces associations sont plus sur l'idée de la défense des personnes
en situation de régularisation. Autrement dit, elles cherchent à
les aider, le cas échéant, à faire un recours plutôt
qu'à "partir", si vous me passez l'expression. Il faut donc qu'elles
comprennent que, dans leur mission, il peut aussi figurer l'aide au retour. Il
y a un chemin à faire et il faut qu'il se fasse à l'occasion de
cette opération de régularisation.
Le directeur de l'Office y met tous ses efforts. Il est heureusement
secondé par ses tutelles, mais il faut qu'on y arrive. C'est ma
conviction.
Pour aider nos délégués régionaux à
contractualiser avec ces associations, nous avons décidé, hier,
au cours de la réunion de notre comité de pilotage, de leur
donner une convention type afin que tout cela soit homogène sur
l'ensemble du territoire.
M. LE RAPPORTEUR
.- Monsieur le Directeur, vous avez déjà
répondu par anticipation à la question que je voulais vous poser,
à savoir si la publication de la circulaire du
19 janvier 1998, sept mois après la circulaire du
24 juin 1997, ne risquait pas d'affecter le succès de
l'opération. Je crois comprendre que vous pensez y arriver grâce
à votre collaboration avec les associations.
M. NUTTE
.- Monsieur le Rapporteur, dans cette affaire, la
première chose dont est responsable l'Office, qui est un service public,
c'est la mise en place des moyens.
M. LE RAPPORTEUR
.- Ce n'est pas un reproche.
M. NUTTE
.- Je ne l'ai pas pris comme cela, Monsieur le Rapporteur. Je
dirai qu'ensuite, on verra, mais si on n'a pas mis en place des moyens, on est
sûr que cela ne marchera pas. C'est du bon sens.
M. LE RAPPORTEUR
.- Quand le nouveau dispositif d'aide au retour
sera-t-il opérationnel dans tous les départements ?
M. NUTTE
.- Actuellement, nous avons 17 agents affectés et
formés au retour, 17 agents distribués dans nos
délégations régionales : 4 sur Paris nord,
3 sur Paris sud et 2 dans les autres délégations qui
ont une moindre importance. Donc ces 17 agents existent et ils sont
formés.
Il faut maintenant voir quelle est leur capacité de traitement. On peut
s'appuyer sur une base de quatre dossiers par agent et par jour. Cela n'a rien
d'excessif, mais si on veut faire de la qualité et de l'écoute,
c'est bien. Cela fait deux heures par dossier, sans le travail administratif
qui est fait par ailleurs.
Par conséquent, aujourd'hui, avec la structure qui est en place, nous
sommes à même de traiter environ 350 dossiers par semaine
(17 x 4 x 5), soit une capacité de 1 300
à 1 400 dossiers par mois. C'est la capacité dont je
dispose aujourd'hui. Il est clair que ces 17 agents ne sont pas uniquement
affectés à cette tâche, puisque le dispositif
démarre, mais ils sont opérationnels. Nous les avons tous
réunis (M. Cansot en sera témoin puisque c'est lui qui a
organisé la réunion) il y a une dizaine de jours pour bien leur
expliquer le nouveau dispositif et le PDLM, pour répondre à leurs
questions, pour valider nos circulaires internes et pour voir s'il y avait une
bonne lecture des textes.
Il est clair qu'au fur et à mesure de la montée en puissance de
ce dispositif, nous serons amenés à le renforcer. Dans le budget
1998, je suis autorisé à recruter 10 agents
supplémentaires. Cela porterait ma capacité à
27 agents, soit 50 % de plus, ce qui nous donnerait une
capacité de traitement de l'ordre de 2 000 dossiers par mois.
Dans cette affaire, je pense qu'il faut que nous soyons en pilotage
rapproché et, par voie de conséquence, nous allons suivre cela
à travers un dispositif statistique : nous avons mis en place un
dispositif informatique de remontées hebdomadaires des statistiques afin
d'avoir une idée précise de la montée en puissance du
dispositif par un pilotage hebdomadaire.
M. LE RAPPORTEUR
.- Comment avez-vous traité les personnes dont la
régularisation a été refusée avant l'entrée
en vigueur de la circulaire du 19 janvier 1998 sur l'aide au
retour ? Vous leur avez appliqué le système antérieur
qui consiste à donner 1 000 F ?
M. NUTTE
.- On leur a appliqué le système antérieur.
M. LE PRÉSIDENT
.- Est-ce qu'elles ne se sont pas plaintes ?
M. NUTTE
.- Il y avait une dizaine de personnes qui sont parties avant.
En revanche, pour celles qui sont là et qui ont déposé
leur demande avant, si elle n'a pas été instruite, nous leur
appliquerons bien évidemment le nouveau dispositif. Cela va de soi.
M. LE PRÉSIDENT
.- Donc seuls sont lésés ceux qui
ont obéi...
(rires.)
M. LE RAPPORTEUR
.- Ou ceux dont la demande a été instruite.
M. NUTTE
.- On parle là de ceux qui sont partis.
M. LE RAPPORTEUR
.- Il n'y aura donc que ceux-là qui seront
pénalisés.
M. NUTTE
.- Mon collaborateur valide le chiffre d'une dizaine que je vous
ai indiqué. Simplement, nous allons essayer de les retrouver. On peut y
arriver par le consulat, Monsieur le Président.
M. LE PRÉSIDENT
.- Surtout s'il y a des machines à
coudre...
(rires.)
M. NUTTE
.- J'ai bien dit que nous allions essayer de les retrouver. Je
n'ai pas dit que nous allions les retrouver. Il est clair qu'au fur et à
mesure de l'éminence de la publication de la circulaire, nous avons
quand même stabilisé et quelque peu retenu les dossiers.
M. LE PRÉSIDENT
.- Pourquoi la circulaire a-t-elle tant
tardé ?
M. NUTTE
.- Je n'ai pas de réponse à vous donner à
cela.
M. LE PRÉSIDENT
.- Parce que vous ne la connaissez pas ou parce
que vous êtes un peu gêné dans la réponse ?
M. NUTTE
.- Pas du tout, Monsieur le Président.
M. LE PRÉSIDENT
.- On ne vous a pas consulté ?
M. NUTTE
.- Il serait tout à fait inexact de dire que l'Office n'a
pas été associé de près à
l'élaboration de cette circulaire. L'Office apporte (c'est l'un des
métiers que je n'ai pas évoqués dans mon
préliminaire) une capacité d'expertise. Simplement, c'est
toujours le même problème des circulaires
interministérielles.
M. LE PRÉSIDENT
.- Le ministre, quand nous l'avons entendu, a
beaucoup déploré cette lenteur.
M. NUTTE
.- Vous savez, Monsieur le Président...
M. LE PRÉSIDENT
.- C'est le ministère des finances ?
M. NUTTE
.- Il y a des partenaires que sont plus difficiles que d'autres
parmi les services administratifs. Monsieur le Président, je ne dis pas
le contraire.
M. LE PRÉSIDENT
.- Vous avez prêté serment...
(rires.).
M. LE RAPPORTEUR
.- Autre question : quelles informations sont
communiquées par les préfets à l'OMI, dans quelles
conditions (rejet des demandes, motivations, existence de mesures d'invitation
à quitter le territoire) et, réciproquement, quelles informations
sont-elles communiquées par l'OMI aux préfectures ?
M. NUTTE
.- Tout cela est organisé par la circulaire de janvier
1998. Autrement dit, les préfets sont tenus de nous adresser un double
de la notification de l'IQF qu'ils ont faite.
M. LE RAPPORTEUR
.- Est-ce que cela fonctionne ?
M. NUTTE
.- A ce stade, puisque j'ai fait le point hier avec le
comité de pilotage, nous avons reçu environ 2 000
notifications. A partir de cela, nous faisons une lettre de relance (nous avons
commencé à le faire). Autrement dit, nous allons écrire
à chaque personne, au bout de trois à quatre semaines, pour leur
dire : "La préfecture nous a communiqué une décision
vous concernant ; nous vous rappelons que vous pouvez tout à fait
bénéficier d'une aide, comme vous l'a déjà
indiqué la préfecture. Téléphonez-nous, venez nous
voir ou voyez telle association". Par conséquent, l'exploitation, pour
nous, consiste d'abord à savoir quelles personnes ont fait l'objet d'une
IQF.
M. LE RAPPORTEUR
.- Pouvez-vous préciser ce que signifie
"IQF" ?
M. NUTTE
.- "Invitation à quitter le territoire français".
Excusez-moi d'utiliser ce jargon.
Par conséquent, nous traitons ces IQF de cette façon. Ensuite,
lorsque nous réalisons un départ, bien entendu, nous en informons
les préfectures.
M. LE PRÉSIDENT
.- Vous n'avez eu que 2 000 notifications.
M. NUTTE
.- A ce stade, oui, Monsieur le Président.
M. LE PRÉSIDENT
.- Viennent-elles de toutes les préfectures
ou simplement de quelques-unes ?
M. NUTTE
.- De quelques préfectures.
M. LE PRÉSIDENT
.- Des grosses, de Bobigny, par exemple ?
M. NUTTE
.- Sur Bobigny, le dispositif se met en route, mais il faut que
l'on réfléchisse là-dessus.
M. LE PRÉSIDENT
.- Donc vous n'avez rien reçu de
Bobigny ?
M. NUTTE
.- Je serai moins catégorique que vous sur ce point,
Monsieur le Président.
M. LE PRÉSIDENT
.- Donc vous reçu quelque chose de
Bobigny ? Vous n'êtes pas tout à fait sûr d'avoir
reçu quelque chose de Bobigny ?... Il faut parler directement.
M. NUTTE
.- Je pense avoir reçu quelques éléments.
M. LE PRÉSIDENT
.- D'accord. Sur les autres, Marseille, etc.,
quelles sont celles qui ont le plus donné ?
M. NUTTE
.- Les Alpes-Maritimes nous en ont fourni un certain nombre et
Marseille un peu. Sur les préfectures les plus importantes, il faut se
mettre d'accord sur la façon d'échanger nos informations par
delà le simple envoi de papier. Si vous avez une préfecture qui a
40 000 dossiers, à supposer qu'il y ait la moitié de
significations d'invitations à quitter le territoire, il est certain
qu'il faut les traiter.
M. LE PRÉSIDENT
.- En général, on parle de
150 000 demandes et de 75 000 rejets. C'est très grossier.
M. LE RAPPORTEUR
.- Non, on parle de 175 000 demandes.
M. LE PRÉSIDENT
.- On parle de 175 000 dossiers
déposés mais de 150 000 retenus, parce que le ministre
nous a expliqué qu'il y en a 25 000 pour lesquels il y a des
doublons.
M. LE RAPPORTEUR
.- En parlant de 25 000 doublons, il est
excessif. Dans les préfectures, nous pensons qu'il y en a moins de
25 000.
M. LE PRÉSIDENT
.- La commission d'enquête le dira. Pour
l'instant, cela fait 150 000, chiffre officiel du ministre, et donc
75 000 rejets, alors que vous en êtes à 2 000. Cela fait
un sacré chemin à faire. Vous allez faire tout cela jusqu'au mois
d'avril ?
M. NUTTE
.- Tout d'abord, Monsieur le Président,
l'échéance du 30 avril devra être confirmée
pour l'ensemble des préfectures.
M. LE PRÉSIDENT
.- Elle l'est pour l'instant. On en a encore
parlé récemment.
M. LE RAPPORTEUR
.- Elle a été précisée.
M. LE PRÉSIDENT
.- Le ministre a dit qu'il y aurait
peut-être un petit délai pour une ou deux. Vous en êtes
à 2 000 par rapport à 75 000. Si on met de
côté une ou deux préfectures, sachant que nous sommes fin
février, cela vous laisse deux mois.
M. NUTTE
.- Je me permets de vous rappeler que la circulaire est
relativement récente. Il faut que les préfectures se mettent en
ordre de marche sur tout cela. Cette circulaire est parue fin janvier et je ne
considère pas que le chiffre de 2 000 d'aujourd'hui soit
forcément mauvais.
M. LE PRÉSIDENT
.- On ne peut pas dire qu'il soit excellent, quand
même.
M. NUTTE
.- Je suis d'accord pour dire qu'il n'est pas excellent, mais il
n'est pas forcément mauvais.
M. LE PRÉSIDENT
.- Cela ne dépend pas de vous. Il faut que
les préfets s'acquittent de leur tâche.
M. NUTTE
.- Monsieur le Président, l'Office reçoit et n'a
pas de directives à donner aux préfets.
M. LE PRÉSIDENT
.- Avez-vous alerté le ministre
là-dessus ?
M. NUTTE
.- Je fais le point régulièrement avec le
directeur de la population et de l'immigration et le directeur des
libertés publiques.
M. LE PRÉSIDENT
.- Vous le faites une fois par semaine ?
M. NUTTE
.- Avec le directeur de la population et de l'immigration, c'est
au moins cela.
M. LE RAPPORTEUR
.- J'ai une autre question : à quelle date
la notice d'information de l'OMI sur l'aide au retour a-t-elle
été diffusée dans tous les départements ? La
circulaire date du 19 janvier 1998.
M. NUTTE
.- Ce qui nous bloquait pour le délai d'impression, c'est
que nous voulions absolument (je pense que vous avez la plaquette du
dispositif) faire apparaître les références de la
circulaire dans le corps du texte. Il était donc indispensable de la
connaître. Nous avons dû mettre dix jours pour imprimer
120 000 exemplaires.
M. LE RAPPORTEUR
.- Vous parlez de celle qui est en plusieurs
langues ?
M. NUTTE
.- Oui. Dès le lendemain de la publication de la
circulaire, nous étions chez l'imprimeur et il nous a fallu dix jours
pour imprimer 120 000 exemplaires, ce qui est très raisonnable.
M. LE RAPPORTEUR
.- Elle a été diffusée dans quel
délai ?
M. NUTTE
.- En 48 heures. Mes collaborateurs me disent qu'elle a
été diffusée début février.
M. LE RAPPORTEUR
.- Dans tous les départements ?
M. NUTTE
.- Je serai beaucoup plus prudent que cela compte tenu de mon
expérience administrative. On a donné des instructions pour que
ce soit diffusé partout. Maintenant, localement, je ne suis pas
sûr que tel ou tel département n'a pas été en
léger décalage pour des tas de bonnes raisons. En tout cas, je
n'ai pas de remontées infirmant cela.
M. LE RAPPORTEUR
.- La préfecture du Rhône l'a reçue
le 11 février.
M. NUTTE
.- Permettez-moi de vous dire, Monsieur le Rapporteur, que cela
me semble tout à fait cohérent, puisque je vous disais qu'il
avait fallu une dizaine de jours pour imprimer. Si l'on retient le
28 janvier plus dix jours, cela nous mène au 7 ou au 8
février.
M. LE PRÉSIDENT
.- Tout le monde l'aura avant la fin du mois de
mars ?...
(rires.)
M. NUTTE
.- Monsieur le Président, cela risquerait d'être
alors une nouvelle édition.
M. LE RAPPORTEUR
.- Est-ce que vous l'avez imprimée en
chinois ?
M. NUTTE
.- Nous ne l'avons pas imprimée en chinois.
M. LE PRÉSIDENT
.- Ce serait en langue mandarine que personne ne
comprend, de toute façon...
M. NUTTE
.- Ce n'est pas moi qui rédigerais les épreuves.
M. LE RAPPORTEUR
.- Autre question : comment se déroule
l'examen approfondi des demandes qui est prévu par la circulaire ?
M. LE PRÉSIDENT
.- Vous avez commencé ces examens
approfondis sur les 2 000 notifications. C'est bien cela ?
M. NUTTE
.- Nous recevons 2 000 notifications des
préfectures -c'est un élément d'information-, mais notre
démarche pour l'aide à la réinsertion, comme le
précisent les textes, c'est que la personne vienne nous voir
volontairement.
M. LE PRÉSIDENT
.- Sur les 2 000 notifications de rejet,
vous ne faites aucune enquête ?
M. NUTTE
.- Pardonnez-moi de revenir un peu en amont. L'aide à la
réinsertion est une possibilité qui est offerte à la
personne qui fait l'objet d'une invitation à quitter le territoire et
non pas une obligation.
M. LE PRÉSIDENT
.- Donc vous n'allez pas les convoquer : ils
viennent ou ils ne viennent pas.
M. NUTTE
.- Ils viennent ou ils ne viennent pas. Nous essayons simplement
de remplir les conditions pour qu'ils viennent. C'est pourquoi nous avons
prévu un numéro vert qui n'est pas très compromettant et
c'est pourquoi, à l'Office, nous nous efforçons de les accueillir
sans les obliger à quoi que ce soit, mais le point de départ de
l'aide à la réinsertion est une démarche volontariste.
J'insiste là-dessus.
Les doubles des listes que nous donnent les préfectures nous permettent,
lorsqu'on constate que l'intéressé n'est pas venu au bout de
trois semaines, de faire une relance, mais si l'intéressé ne veut
pas, nous ne pouvons pas intervenir.
M. LE PRÉSIDENT
.- Oui, mais vous êtes quand même en
situation d'aller reprendre les notifications de rejet et d'inviter
l'intéressé.
M. NUTTE
.- C'est ce que j'appelle la lettre de relance.
M. LE PRÉSIDENT
.- Donc vous ne les forcez pas, mais vous les
invitez à le faire.
M. NUTTE
.- Nous n'avons pas le pouvoir, à l'Office, de faire
autre chose. Je n'ai aucun pouvoir coercitif dans cette affaire. D'ailleurs, je
ne le cherche pas.
M. LE RAPPORTEUR
.- Bien que vous n'ayez que 2 000 personnes
concernées à l'heure actuelle, ce qui n'est pas très
significatif, combien en avez-vous qui ont manifesté de désir de
bénéficier des dispositions de la circulaire du
19 janvier 1998 et combien ont préféré rester
dans la clandestinité au stade actuel ?
M. NUTTE
.- Au stade actuel, nous avons reçu 93 dossiers.
M. LE RAPPORTEUR
.- Sur 2 000 ?
M. NUTTE
.- Oui, Monsieur le Rapporteur.
M. LE PRÉSIDENT
.- Parce que les dossiers peuvent ne pas venir de
ceux pour lesquels vous avez reçu notification.
M. NUTTE
.- Nous avons 93 dossiers qui ont été
acceptés par l'Office et qui concernent 111 personnes.
Par rapport à ce dispositif, nous avons donné
521 informations. Autrement dit, il y a 521 personnes qui sont venues
nous voir ou qui nous ont téléphoné longuement (je ne
parle pas du numéro vert qui est fait pour l'OMI) pour un premier
entretien, pour savoir comment cela fonctionnait, et nous avons conclu sur
93 dossiers à ce stade.
M. LE RAPPORTEUR
.- Et les autres ?
M. NUTTE
.- Nous ne les avons pas vus. Ils ont peut-être
téléphoné, mais on ne le sait pas.
M. LE PRÉSIDENT
.- En fait, vous avez vu un peu moins de personnes
que vous avez d'agents d'accueil. Vous avez 77 vacataires.
M. NUTTE
.- Vous parlez là des agents qui font de l'accueil en
préfecture. Ce ne sont pas les gens qui traitent de l'IQF. Les agents
qui traitent de l'IQF sont au nombre de 17. J'y ai fait référence
tout à l'heure, Monsieur le Président.
M. LE PRÉSIDENT
.- Mais vos vacataires en préfecture font
cela aussi, non ?
M. NUTTE
.- Oui, si on leur pose une question sur l'invitation à
quitter le territoire et l'aide à la réinsertion, ils aiguillent
tout de suite l'intéressé vers un agent spécialisé.
C'est un autre métier.
M. LE PRÉSIDENT
.- On est vraiment dans un dispositif assez
paradoxal. Vous avez une machine, des conventions, des installations ici et
là, et puis vous avez 93 dossiers qui ont été
examinés.
M. NUTTE
.- Pardonnez-moi, Monsieur le Président, mais c'est en
l'état actuel des choses, et je rappelle que ce dispositif
démarre. Comme je vous l'ai indiqué tout à l'heure, les
moyens se mettent en oeuvre et ces moyens, de même que les partenariats,
ne peuvent pas résulter seulement d'une décision
unilatérale.
M. LE PRÉSIDENT
.- Il faut quand même qu'ils repartent,
puisque ce sont des irréguliers. Il ne faut pas perdre de vue le fait
que ces gens sont des clandestins pour lesquels l'administration et le pouvoir
ont estimé qu'ils n'avaient pas de raison de rester en France. Donc ils
doivent repartir. Ils ne repartent plus par
charter,
puisqu'on a
prohibé cette disposition, mais par les vols réguliers,
après l'arrêté de reconduite à la frontière,
et puis vous avez votre système qui est un système volontaire.
M. NUTTE
.- Ce sont les textes qui l'ont voulu, Monsieur le
Président.
M. LE PRÉSIDENT
.- C'est un système volontaire pour lequel
vous êtes disponibles dès lors que les personnes se manifestent.
C'est bien cela ? Bien. Donc je ne peux que constater l'immense
différence qu'il y a entre la tâche du pouvoir régalien,
qui consiste à reconduire les personnes à la frontière
dans des conditions honorables (75 000 personnes), et votre
disponibilité qui ne peut se faire que dans la mesure où vous
avez une réponse, dans la mesure où vous avez en face de vous des
gens qui sont prêts à partir.
M. NUTTE
.- C'est la conception même du dispositif. Je veux dire
par là que cela n'est pas nouveau.
M. LE PRÉSIDENT
.- Ce n'est pas nouveau, mais la politique
actuelle est bien centrée sur ce dispositif. C'est ce que dit même
la circulaire.
M. NUTTE
.- J'entends bien, Monsieur le Président. J'ai
évoqué la circulaire de 1991 il y a quelques instants...
M. LE PRÉSIDENT
.- On sait ce qu'elle a donné. Vous l'avez
chiffrée à environ 1 300 à
1 600 bénéficiaires par an.
M. NUTTE
.- Tout à fait, et je maintiens ce chiffre.
M. LE PRÉSIDENT
.- Il faudra bien noter ce chiffre. Il est
important pour le rapport.
M. LE RAPPORTEUR
.- Est-ce qu'à votre avis, il n'y aura pas un
dispositif allégé qu'il faudrait mettre en place, notamment dans
les aéroports ou dans les ports, dans la mesure où on s'est
assuré que l'identité de l'intéressé est
certaine ?
M. NUTTE
.- Monsieur le Rapporteur, c'est une question qui nous
préoccupe. C'est évident. Pour ce qui concerne l'Office, si une
personne vient nous voir en disant : "J'ai décidé de rentrer
au pays et je ne vous demande qu'une seule chose : un billet d'avion et le
pécule", je peux vous assurer qu'après avoir
vérifié les critères minimum, c'est-à-dire que
l'intéressé remplit toutes les conditions et que nous ne sommes
pas sur un cas de fraude, nous le faisons en moins de trois jours. Nous
connaissons notre métier (nous ne faisons pas de l'aide à la
réinsertion depuis hier) de "voyagiste", en quelque sorte.
Je veux dire par là que, dès lors que la personne se manifeste,
nous la prenons en charge. Je reviens sur ce que j'évoquais tout
à l'heure. A ce stade, sans difficulté, nous avons une
capacité de traitement de 2 000 dossiers par mois s'il le faut.
M. LE RAPPORTEUR
.- En l'occurrence, vous remettez les 2 250 F
à l'aéroport ou au port ?
M. NUTTE
.- Nous les remettons à l'aéroport ou au port,
lorsque l'intéressé embarque. Autrement dit, nous
vérifions que l'intéressé embarque.
M. LE RAPPORTEUR
.- En espèces ?
M. NUTTE
.- Oui, bien entendu.
M. LE RAPPORTEUR
.- Et les autres 2 250 F sont versés
par le consulat ou l'ambassade dans le pays de retour ?
M. NUTTE
.- Oui, deux mois après.
M. LE RAPPORTEUR
.- J'ai encore quelques questions à vous poser.
Comment vous assurez-vous du consentement du conjoint du demandeur ?
M. NUTTE
.- Notre circulaire prévoit que le conjoint doit signer
un document selon lequel elle donne explicitement son accord.
M. LE RAPPORTEUR
.- Il le signe devant vous ?
M. NUTTE
.- En tout état de cause, il signe devant nos agents.
M. LE PRÉSIDENT
.- Et beaucoup ont signé ? Il n'y en a
pas ?
M. CANSOT
.- Il y en a, mais pas beaucoup.
M. MAMAN
.- Et les enfants majeurs ?
M. CANSOT
.- L'enfant majeur est lui-même demandeur. Il est
responsable.
M. LE PRÉSIDENT
.- Il est lui-même titulaire d'une
invitation à repartir.
M. LE RAPPORTEUR
.- J'en déduis donc que les
2 000 dossiers concernent surtout des travailleurs
célibataires.
M. NUTTE
.- Absolument. D'une manière générale, ceux
qui ne sont pas retenus dans la régularisation sont plutôt des
célibataires.
M. LE RAPPORTEUR
.- Vous est-il possible de détecter des personnes
qui ont déjà bénéficié d'une aide au
retour ?
M. NUTTE
.- Bien entendu. Vous savez bien que l'on doit garder ses
pièces comptables pendant une dizaine d'années, je crois. Nous
avons donc toutes les pièces comptables sur les opérations IQF
des précédentes années et nous les passons au fichier,
bien entendu.
M. LE RAPPORTEUR
.- Je suppose que vos services sont informatisés.
M. NUTTE
.- Bien sûr.
M. LE RAPPORTEUR
.- Est-il possible qu'une personne ayant
bénéficié d'une aide au retour il y a quelques
années sous l'ancien régime puisse bénéficier de la
nouvelle aide ?
M. NUTTE
.- La circulaire l'exclut expressément.
M. LE RAPPORTEUR
.- Donc vous le vérifiez ?
M. NUTTE
.- Bien sûr, sauf si l'intéressé a une
fausse identité, Monsieur le Rapporteur. Il faut être
honnête jusqu'au bout : cela peut arriver.
M. LE PRÉSIDENT
.- Avez-vous des résultats à l'heure
actuelle sur l'application de cette circulaire ? Vous avez
2 000 notifications et 93 dossiers concernant 111 personnes.
Est-ce que ces 93 dossiers concernent des personnes qui sont parties ?
M. NUTTE
.- Ce sont des personnes qui ont déposé un dossier
que l'on est en train d'instruire.
M. LE PRÉSIDENT
.- Vous avez deux mois pour l'instruire ?
M. NUTTE
.- Il y a deux étapes. La première est
l'étape de recevabilité où l'intéressé,
dès lors qu'il se présente chez nous dans le mois qui suit la
notification de son IQF, a le droit de rester deux mois de plus sur le
territoire national. Ensuite, nous regardons très vite les conditions de
recevabilité normales, pour savoir si l'intéressé entre
bien dans le cadre de l'aide au retour, si son identité est bonne, etc.,
et nous nous décidons sur le dossier lui-même en moins de huit
jours. Cela ne pose pas de difficultés.
Enfin, il y a le chemin à faire avec l'intéressé pour
l'aider et il faut que l'on décide de sa date de retour.
M. LE PRÉSIDENT
.- Combien ont-ils décidé de leur
date de retour aujourd'hui, en l'état actuel de vos informations ?
M. NUTTE
.- En l'état actuel de mes informations, aujourd'hui,
Monsieur le Président, 32 personnes sont parties.
M. LE PRÉSIDENT
.- Sur les 93 dossiers concernés qui
correspondent à 111 personnes, vous en avez 32 qui sont parties
aujourd'hui ?
M. NUTTE
.- C'est bien cela.
M. LE PRÉSIDENT
.- 32 qui sont parties au 26 février
1998 ?
M. NUTTE
.- C'est une situation du 22 février 1998.
M. LE PRÉSIDENT
.- Donc on peut dire que le
22 février 1998, l'application de la circulaire a
entraîné le départ effectif de 32 personnes.
M. NUTTE
.- C'est une présentation des choses. Je
préfère dire que cette circulaire a initialisé
100 dossiers de départ, puisque nous sommes sur une
modalité. La date est une chose qui se détermine en fonction de
beaucoup d'éléments.
M. LE PRÉSIDENT
.- Très bien. Avançons, Monsieur le
Rapporteur.
M. LE RAPPORTEUR
.- J'en viens aux relations de l'OMI avec les
associations de défense des étrangers. Vous avez
déjà abordé ce point en grande partie. Est-ce que ce sont
de bonnes relations ?
M. NUTTE
.- Nous travaillons avec ces associations dans d'autres champs,
notamment le regroupement familial. Donc je ne doute pas que l'on arrive
à avoir de bonnes relations avec elles.
M. LE RAPPORTEUR
.- Est-ce qu'elles jugent positif le dispositif d'aide
au retour ?
M. NUTTE
.- Ces associations ont une culture, comme toutes les
associations. Leur métier, leur finalité, c'est bien
l'intégration des populations. Il est donc difficile, à certains
moments, surtout dans le cadre de l'opération de régularisation,
sachant que certaines personnes sont en France depuis longtemps et ont recours
à ces associations, de leur expliquer qu'il faut maintenant aider ces
personnes à partir parce qu'elles sont en situation
irrégulière. Nombre de travailleurs sociaux, puisqu'il s'agit
essentiellement de travailleurs sociaux, ne sont pas prêts à cette
démarche, parce que, par ailleurs, ils conseillent à ces
mêmes demandeurs de faire des recours. Il faut bien se rendre compte de
cette réalité.
Par conséquent, il y a un chemin qui a été commencé
avec ces associations, qui ne date pas d'hier et qui doit normalement aboutir
à une contractualisation pour qu'elles s'impliquent dans l'aide au
retour. Je vous ai indiqué la contractualisation réalisée
avec l'AFIDRA.
M. POIRIER
.- Si vous le permettez, je voudrais faire un léger
retour en arrière sur le rôle moteur ou le rôle frein de ces
associations. Leur déontologie, leur vocation est de participer
effectivement à l'aide à l'insertion en France. On les voit donc
mal, tout d'un coup, comme un avion à réaction inversant ses
moteurs, faire une politique inverse. Est-ce que, en fait, vous n'avez pas
recours à des services ou des équipes, aussi respectables
soient-ils, qui travailleront en sens inverse ? Autrement dit, ces
associations acceptent-elles le principe de la loi, tout bêtement ?
M. NUTTE
.- Monsieur le Sénateur, sur la convention que nous
passons avec l'AFIDRA, les choses sont réglées de ce point de
vue, puisque la convention précise les choses. Par ailleurs, les
contacts que j'ai eus avec l'ASFAM et le SSAE, que j'ai évoqués
précédemment, me font penser qu'une contractualisation sera
possible là-dessus, parce que je pense que ces associations ont
certainement plus intégré que par le passé le fait de dire
qu'il faut nécessairement, sur le problème de l'immigration,
poser le problème du retour.
Il faut donc que ce problème du retour, qui est réel, soit aussi
pris en charge. Je pense que ces associations commencent à se dire que
cela fait partie de leur mission aussi.
M. POIRIER
.- C'est une date.
M. NUTTE
.- Cela dit, soyons prudents, Monsieur le Sénateur.
M. LE PRÉSIDENT
.- Il faut du temps.
M. NUTTE
.- Tout à fait.
M. LE RAPPORTEUR
.- Je n'ai plus que quelques questions. Pouvez-vous nous
donner quelques exemples de l'aide psychologique et administrative que l'OMI
doit apporter aux demandeurs ?
M. NUTTE
.- Tous les entretiens que nous avons avec nos demandeurs...
M. LE PRÉSIDENT
.- C'est-à-dire les 93 dossiers...
M. NUTTE
.- Les 93 dossiers pour aujourd'hui, Monsieur le
Président.
M. LE PRÉSIDENT
.- Nous parlons des entretiens actuels.
M. NUTTE
.- Exactement. Ces entretiens actuels ont pour support un
questionnaire très détaillé, dont je vous donnerai copie
pour que vous ayez une idée précise des choses, et nous proposons
un bilan professionnel et un bilan social. Autrement dit, nous disons à
la personne : "Vous êtes chez nous depuis x années (c'est
parfois le cas), qu'avez-vous fait et comment vous situez-vous
professionnellement ?"
Il s'agit aussi de voir, notamment pour les gens du fleuve
Sénégal, s'ils ont un projet économique.
Il s'agit enfin de leur dire, là où l'Office est présent,
c'est-à-dire dans les délégations que j'évoquais,
notamment au Maroc, en Tunisie, au Mali, au Sénégal, etc. que,
dans ces délégations, nous avons un agent de l'Office qui pourra
les accueillir et les aider dans leurs démarches lorsqu'ils seront
retournés chez eux. Autrement dit, dans nos délégations
à l'étranger, nous avons tissé un certain nombre de liens
avec les autorités locales et l'engagement que nous prenons
vis-à-vis des personnes, là où nous sommes
présents, c'est de les aider à se "réintroduire" dans leur
nouvel environnement, s'ils le souhaitent, bien entendu.
M. LE RAPPORTEUR
.- Cela concerne seulement le Sénégal, le
Mali et la Roumanie ?
M. NUTTE
.- Le Sénégal, le Mali, la Roumanie, le Maroc, la
Tunisie.
M. LE PRÉSIDENT
.- Et l'Algérie ?
M. NUTTE
.- Nous avons fermé notre délégation en
Algérie il y a quelques années, Monsieur le Président.
Nous avons aussi une délégation en Turquie.
M. LE RAPPORTEUR
.- Dans la partie où vivent les Kurdes, en
Turquie, avez-vous quelque chose ? Il y a un problème à cet
égard.
M. NUTTE
.- Non, nous n'avons pas d'établissement. Nous ne sommes
qu'à Istanbul. Cela étant, si notre délégué
local nous faisait état d'un besoin, nous le considérerions.
M. LE RAPPORTEUR
.- Avez-vous chiffré le coût moyen de
l'aide par demandeur ?
M. NUTTE
.- Absolument. Il est de 11 000 F. Dans cette somme,
il y a les 4 500 F de pécule que nous évoquions, plus
le prix des billets d'avion ou de bateau et le prix des 40 kilos de
bagages sur l'avion. C'est un prix moyen que nous avons ressorti de nos
statistiques.
M. LE RAPPORTEUR
.- Vous ne pouvez donc pas, à l'heure actuelle,
chiffrer le coût total de l'opération, je suppose, puisque vous ne
connaissez pas le nombre de demandeurs. En fait, c'est un nombre
théorique. Donc l'idéal serait qu'ils viennent tous vous demander
l'aide au retour.
M. LE PRÉSIDENT
.- Nous n'en sommes pas là : nous n'en
sommes qu'au début. Nous n'en sommes qu'à 93.
M. NUTTE
.- Dans notre budget 1998, nous avons prévu une
première tranche à 10 000 bénéficiaires
possibles en 1998.
M. LE PRÉSIDENT
.- Comme vous n'en êtes qu'à 111,
cela veut dire que vous n'avez fait que 1 % de votre objectif.
M. NUTTE
.- Je me permets une fois de plus de rappeler que le dispositif
démarre.
M. LE PRÉSIDENT
.- C'est pour regarder le chemin à
parcourir...
(rires.)
Votre objectif de 10 000 est fixé
à 1998, non ?
M. NUTTE
.- Notre objectif n'est pas forcément 10 000. Nous
avons programmé budgétairement une première tranche de
10 000 en 1998. Si nous la dépassons en 1998, nous réunirons
notre conseil d'administration et nous délibérerons sur cette
affaire.
M. LE PRÉSIDENT
.- En février, vous en êtes à
1 %.
M. NUTTE
.- J'en prends acte, Monsieur le Président.
M. LE RAPPORTEUR
.- Je voulais vous demander comment vous alliez financer
cette opération, mais je suppose qu'en fin d'année, vous avez des
crédits inutilisés.
M. NUTTE
.- Cela n'engage que vous, Monsieur le Rapporteur. Je peux dire
en tout cas que l'ambition du directeur de l'Office est bien de dépasser
les 10 000. C'est clair.
M. LE RAPPORTEUR
.- Avez-vous intégré dans le budget de
l'OMI la perte de recettes qui pourrait résulter de la suppression des
certificats d'hébergement ?
M. NUTTE
.- Tout à fait. Cela fait 17 millions de pertes de
recettes en année pleine.
M. LE PRÉSIDENT
.- Cela dit, vous percevez toujours ces recettes
actuellement, parce que le certificat d'hébergement n'est pas
supprimé.
M. NUTTE
.- Tout à fait, mais dans notre budget, s'il est
supprimé, nous perdrons 17 millions en année pleine.
M. LE PRÉSIDENT
.- En année pleine. Donc vous ne perdrez
pas autant en 1998. S'il est supprimé, ce sera en juin, après les
décrets d'application. Donc vous perdrez la moitié.
M. NUTTE
.- Nous perdrons le moitié, mais quand nous avons
préparé notre budget en septembre, nous avions
intégré cette hypothèse.
M. LE RAPPORTEUR
.- Dernière question, Monsieur le
Directeur : avez-vous mesuré le risque de nouvelles entrées
clandestines d'étrangers après leur retour dans leur pays
d'origine grâce à l'aide instituée ?
M. NUTTE
.- C'est une question difficile. Pour essayer de vous
répondre, parce que je pense que, dans cette affaire, il est normal que
le directeur de l'Office se pose la question, il est certain que
l'expérience que nous avons pu avoir avec les Roumains nous interroge.
Il est clair que les Roumains, notamment les Roms, sont des grands voyageurs.
M. LE RAPPORTEUR
.- Si je comprends bien, vous avez versé la prime
de 1 000 F à des Roumains selon l'ancien système. Les
avez-vous retrouvés ?
M. NUTTE
.- Par rapport aux 600 Roumains qui ont
bénéficié de l'aide au retour en 1996, je n'affirmerai
sûrement pas que ces 600 Roumains ne sont pas revenus. En revanche,
je suis sûr qu'ils n'ont pas bénéficié à
nouveau d'une nouvelle aide au retour. Cela dit, je ne peux pas dire qu'ils ne
sont pas revenus dans notre pays, Monsieur le Rapporteur. Chacun sait que le
fait d'aller de Roumanie en France ne présente pas une difficulté
insurmontable : la route est faite pour cela.
M. LE RAPPORTEUR
.- Par où passent-ils,
généralement ?
M. NUTTE
.- Par l'Allemagne, la Belgique, etc. Ils prennent tous les
chemins ; il n'y a pas de problème. Il y a suffisamment
d'autoroutes.
M. LE RAPPORTEUR
.- L'autre jour, nous étions à Lille et
nous avons entendu dire qu'ils passaient souvent par la Belgique.
M. NUTTE
.- Ils s'organisent un peu. Voilà ce que je peux vous
répondre sur les Roumains. Je ne pourrai pas aller plus loin.
M. LE RAPPORTEUR
.- J'en ai terminé, Monsieur le Président.
M. LE PRÉSIDENT
.- Merci, Monsieur le Rapporteur. Nos
collègues ont peut-être encore des questions à poser.
M. MAMAN
.- Monsieur le Directeur, j'aurais aimé vous interroger
sur les dossiers de regroupement familial. Vous dites tout d'abord que vous en
avez 15 000. Est-ce que ce sont tous les dossiers de France que vous
traitez vous-même ?
M. NUTTE
.- L'Office, à un moment, est service instructeur pour
tous ces dossiers.
M. MAMAN
.- Donc il y en a 15 000 pour toute la France ?
M. NUTTE
.- Il y a 15 000 dossiers de regroupement familial qui
sont instruits par l'Office.
M. MAMAN
.- Combien de personnes cela représente-t-il ?
M. NUTTE
.- En gros, cela fait 1,87 personne par dossier.
M. LE PRÉSIDENT
.- Cela a beaucoup diminué depuis dix ans.
M. NUTTE
.- Tout à fait, Monsieur le Président. Ce n'est
plus l'image de la grande famille.
M. MAMAN
.- C'est très bien. Je pensais qu'il y avait des masses
de gens, mais je vois que c'est tout à fait raisonnable. Aux Etats-Unis,
je pense qu'il y a 1 850 000 personnes qui attendent le
regroupement familial.
M. NUTTE
.- C'est à l'échelle du continent américain.
M. MAMAN
.- Tout à fait. Par ailleurs, à quelle vitesse
traitez-vous les dossiers du regroupement familial ? Si l'étranger
demande le regroupement avec sa famille, est-ce qu'on fait une enquête
dans le pays d'origine ?
M. NUTTE
.- Il est très rare d'avoir un dossier de regroupement
familial (mon collaborateur, M. Vachette, complétera si besoin est)
à moins de huit ou neuf mois. Il y a toute une procédure qui est
lourde et il nous faut à peu près ce délai.
M. LE RAPPORTEUR
.- Est-ce que vous pourriez nous donner, en occultant
les noms, un dossier de regroupement familial élaboré ?
M. NUTTE
.- Tout à fait. Cela ne pose aucun problème.
M. MAMAN
.- J'ai une dernière question : est-ce que la
personne à qui on a refusé le regroupement a un moyen de
recours ?
M. NUTTE
.- Bien entendu, puisque c'est une décision
administrative prise par le préfet.
M. LE PRÉSIDENT
.- Je resterai sur le regroupement familial,
après les questions posées par notre collègue. Le
dispositif actuel veut, pour qu'il y ait regroupement, que
l'intéressé demandeur dispose d'un logement susceptible
d'accueillir la famille regroupée dans sa composante au moment où
elle arrive en France. Dans la nouvelle loi, le dispositif prévoit que
le logement peut ne pas être disponible au moment où la demande
est formulée mais qu'il faut avoir une promesse de logement. Il y a une
variable importante dans les faits : aujourd'hui, il faut que le logement
soit là alors que, dans le futur, il faut que le logement soit promis. Y
aura-t-il beaucoup de différences ? Comment le percevez-vous ?
M. NUTTE
.- Dans notre réglementation actuelle, c'est au moment
où l'intéressé dépose sa demande qu'il doit
présenter un logement capable d'héberger la famille qui va venir.
M. LE PRÉSIDENT
.- Donc le logement va rester disponible et vacant
pendant tout le temps où l'instruction sera faite ?
M. NUTTE
.- Oui. C'est d'ailleurs une chose qui ne nous semble pas
raisonnable. Par rapport à l'évolution que vous indiquez, dans le
cadre d'un dossier de regroupement familial (je vous rappelle que le
préfet a déjà six mois pour en décider), si
l'intéressé peut faire état d'une probabilité forte
d'avoir un logement d'accueil conforme à sa famille, cela me semble tout
aussi raisonnable, voire plus raisonnable que d'imposer à quelqu'un
d'avoir 100 m² s'il a cinq ou six enfants.
M. LE PRÉSIDENT
.- Vous avez dit que le regroupement concernait
1,8 personne en moyenne.
M. NUTTE
.- Il n'est pas raisonnable qu'il ait, disons, 70 m²
pour deux enfants alors qu'il vit seul. Or, aujourd'hui, c'est ce qu'on lui
demande.
M. LE RAPPORTEUR
.- J'ai présidé un office de HLM pendant
32 ans et je sais comment cela fonctionne. Est-ce que vous allez vous
contenter de récépissés de demande ou exiger une
décision de la commission d'attribution de l'office de HLM affectant un
logement à telle date ? C'est cela, la différence. Le
récépissé ne veut rien dire.
M. LE PRÉSIDENT
.- Le texte parle du
récépissé.
M. NUTTE
.- Sur ce point précis, il y a actuellement un
décret qui précise cela.
M. LE PRÉSIDENT
.- Le décret n'est pas pris.
M. NUTTE
.- C'est un projet de décret, sachant que l'on est
supposé faire un décret dans la foulée de la loi. Ce sont
mes collaborateurs qui ont travaillé sur ce projet de décret et
je ne l'ai pas vu. Il est clair que l'Office aura un rôle
d'opérateur dans cette affaire, comme nous en avons déjà
un sur le regroupement familial. Nous devrons donc avoir des instructions
précises pour que nos agents enquêteurs puissent tout à
fait évaluer la réalité et la pertinence de la promesse de
logement.
Par rapport à votre remarque, Monsieur le Rapporteur, il est clair qu'il
faudra que nous ayons une idée précise de ce qui est
demandé, entre la promesse, le récépissé et la
décision d'attribution.
M. LE PRÉSIDENT
.- Le récépissé de demande
vous semblera suffisant ?
M. NUTTE
.- Cela ne signifie pas une acceptation.
M. LE RAPPORTEUR
.- Il faudra une décision de la commission
d'attribution.
M. LE PRÉSIDENT
.- C'est ce que vous avez demandé ?
M. NUTTE
.- C'est ce que l'Office proposera dans les concertations
qu'elle a avec ses tutelles et la tutelle en décidera.
M. LE PRÉSIDENT
.- Mais c'est ce que vous allez demander.
M. NUTTE
.- Tout à fait, Monsieur le Président.
M. MAMAN
.- En tant que sénateur des Français
établis hors de France, je tiens à vous dire la façon dont
nous apprécions le travail que vous faites pour informer les postes
disponibles à l'étranger, en Amérique, au Canada et un peu
partout dans le monde. C'est l'autre volet de votre action qui est
occulté aujourd'hui mais que nous apprécions
énormément.
M. NUTTE
.- Monsieur le Sénateur, je vous en remercie vivement.
Cela me fait plaisir de l'entndre en fin d'audition.
M. LE PRÉSIDENT
.- L'audition vous a paru difficile ? Toute
audition vous met en situation de satisfaction, non ?
M. NUTTE
.- Tout à fait, Monsieur le Président...
(rires.)
. Simplement, sur le champ qui n'était pas celui de notre
entretien, le fait qu'on veuille bien reconnaître l'une de nos
activités fait plaisir au directeur que je suis.
M. MAMAN
.- Elle est très importante pour nous.
M. LE PRÉSIDENT
.- Je relisais la circulaire ministérielle
en vous en écoutant et j'observe que lorsqu'une IQF est remise à
un étranger, la préfecture
"informe sans délai
l'OMI"
. Est-ce que les préfets savent que c'est
"sans
délai"
?
M. NUTTE
.- Monsieur le Président, on ne peut pas imaginer que les
préfectures ne lisent pas les circulaires de leur ministre...
(rires.)
M. LE RAPPORTEUR
.- Encore une question, Monsieur le Directeur : en
matière de regroupement familial, comment fonctionnent les
enquêtes sur place ? Passez-vous par l'ambassade ou le
consulat ?
M. NUTTE
.- Il n'y a pas d'enquête sur place. Sur place, il y a le
contrôle sanitaire qui est fait, puis le questionnaire social que
j'évoquais pour identifier les gens et, ensuite, tout ce qui concerne le
relogement et les ressources se passe bien entendu sur notre territoire. Il
s'agit de voir comment les gens seront logés en France et comment la
famille va vivre.
M. LE RAPPORTEUR
.- Je vous pose cette question parce qu'en mission
parlementaire, au Pakistan, nous avons eu le sentiment qu'il y avait
fourniture, notamment en matière de regroupement familial, de "vrais
faux" documents délivrés par des collectivités locales de
ce pays. Je puis vous dire qu'au Pakistan, les ambassades de Grande-Bretagne,
d'Allemagne ou d'Italie missionnent des avocats locaux qu'ils paient
1 500 F à la vacation (là-bas, c'est important) pour
aller vérifier sur place la réalité de l'état-civil
du demandeur, notamment. Pour notre part, nous ne le faisons pas, ce qui est
une erreur considérable.
En fait, vous vérifiez ici, sur place, mais comment pouvez-vous savoir
si l'individu n'a pas un "vrai faux" certificat de naissance ?
M. NUTTE
.- Le problème que vous soulevez est réel.
M. LE RAPPORTEUR
.- Il est considérable.
M. NUTTE
.- Oui, mais cela relève de la tâche des consulats.
Ce sont les consulats, avec les moyens dont ils disposent, qui doivent
s'assurer des "vrais faux" certificats. Je vais demander à mon
collaborateur de vous dire ce que nous faisons à l'Office.
M. VACHETTE
.- La copie des pièces d'état-civil est
transmise directement par le préfet, dès le dépôt du
dossier, au consulat qui a en charge la vérification. Comme le
préfet a six mois pour prendre sa décision, le consulat a
éventuellement le temps de lui envoyer ses observations sur
l'état-civil.
En ce qui concerne le Pakistan, un grand nombre de dossiers connaissent des
problèmes de ce point de vue. Cela veut dire que le consulat
procède à ces vérifications. Il le fait avec des
difficultés, certes, mais il le fait.
M. LE RAPPORTEUR
.- Ce qui est vrai pour le Pakistan devrait être
vrai partout. Il y a des faux partout.
M. MAMAN
.- Il y a des faux partout, en effet : à
Saint-Domingue, dans toutes les Caraïbes, etc.
M. LE RAPPORTEUR
.- Les Chinois sont des spécialistes
également.
M. LE PRÉSIDENT
.- Monsieur le Directeur, y a-t-il, dans les pays
européens, des structures comparables à l'OMI ? Est-ce que
des expériences approximativement similaires ou différentes
existent ailleurs ?
M. NUTTE
.- Je pense que les Allemands ont une démarche de
même nature.
M. LE PRÉSIDENT
.- Dans les Länder ou au niveau
fédéral ?
M. NUTTE
.- Je crois que c'est au niveau fédéral. J'ai le
sentiment que cela va se développer sur un certain nombre de pays de la
Communauté.
M. LE PRÉSIDENT
.- Je suppose que cela entrera dans le cadre d'une
politique de l'immigration internationale. Les Anglais ont-il quelque
chose ?
M. NUTTE
.- Je ne le sais pas.
M. LE PRÉSIDENT
.- Une enquête a-t-elle été
faite là-dessus par vous ou par d'autres ?
M. NUTTE
.- Je n'en ai pas eu connaissance.
M. LE RAPPORTEUR
.- Est-ce que vous avez le sentiment que les moyens
affectés par les autres pays européens au contrôle de
l'origine des documents présentés par les étrangers ne
sont pas plus importants qu'en France ? Est-ce qu'il n'y a pas plus de
personnel affecté à la vérification ?
M. NUTTE
.- Je pense que d'autres administrations
étrangères sont peut-être non pas plus rigoureuses mais
plus attentives sur certains points.
M. LE RAPPORTEUR
.- Elles ont plus de personnel ?
M. NUTTE
.- Elles ont plus de moyens.
M. LE PRÉSIDENT
.- Vous ne parlez que de l'Allemagne ?
M. LE RAPPORTEUR
.- Ma question est générale. Elle n'est
pas afférente au personnel de l'OMI. Elle est afférente au
personnel qui vérifie l'origine à l'extérieur. Je pense
que d'autres pays européens ont du personnel beaucoup plus important et
affectent beaucoup plus de moyens au contrôle de l'origine en
matière de regroupement familial.
M. LE PRÉSIDENT
.- Monsieur le Directeur, je crois que je
traduirai le sentiment de l'unanimité des membres présents de la
commission en vous remerciant de l'exposé très complet que vous
nous avez fait pendant deux heures et qui nous a permis d'avoir une très
bonne information sur ce point spécifique et très important du
dispositif qui vous concerne. Soyez remerciés, vous-même et vos
collaborateurs, d'avoir accepté de consacrer votre matinée au
Sénat.
M. NUTTE
.- Je vous remercie, Monsieur le Président, de ce que
vous avez bien voulu dire à l'endroit de l'Office et de ses
collaborateurs.
M. LE PRÉSIDENT
.- La séance est levée.
M. JEAN-PAUL PROUST,
PRÉFET DES
BOUCHES-DU-RHÔNE,
DE LA RÉGION PROVENCE-ALPES-CÔTE D'AZUR
ET DE LA ZONE DE DÉFENSE SUD
JEUDI 2 AVRIL
1998
M.
MASSON, président
.- Nous pouvons ouvrir la séance. Vous savez
que nous avons, ce soir, l'audition de trois personnalités
éminentes, puisqu'il s'agit de trois préfets, et que nous allons
commencer par M. le Préfet de Marseille.
Nous devons vous entendre sous la foi du serment.
(M. le Président donne lecture des dispositions de l'article 6
de l'ordonnance du 17 novembre 1958 ; M. Jean-Paul Proust
prête serment).
Je crois, mes chers collègues, que vous serez d'accord pour que nous
organisions les débats de telle sorte que nous ayons fini avant
16 heures, afin d'entendre ensuite M. le Préfet de Lille.
Monsieur le Rapporteur, je vais vous demander d'ouvrir le feu, comme
d'habitude, et de poser à M. le Préfet les questions que
vous souhaitez pour parfaire vos informations.
Je vous rappelle, Monsieur le Préfet, que la commission s'est
déplacée dans plusieurs préfectures -vous le savez-, que
nous avons déjà engrangé pas mal d'informations et que
nous avons d'ailleurs reçu de vos services, comme de tous les autres,
des documents qui nous ont permis d'étoffer largement notre futur
rapport.
M. BALARELLO, rapporteur
.- Monsieur le Président, je voudrais
tout d'abord exprimer publiquement nos remerciements à M. le
Préfet et à son collaborateur ici présent, qui ont
reçu la commission à Marseille de façon remarquable et qui
nous ont fait visiter tous les locaux où se déroule la
régularisation des personnes qui sont à l'heure actuelle en
séjour irrégulier en France.
Monsieur le Préfet, je vais vous poser une série de questions,
qui sont différentes de celles que nous vous avons posées sur
place, bien évidemment.
Tout d'abord, pouvez-vous nous indiquer la date prévisionnelle de fin de
l'opération de régularisation dans votre
département ? En effet, la situation est différente selon
les départements, mes chers collègues.
M. PROUST
.- Monsieur le Président, Messieurs les
Sénateurs, en ce qui concerne la date prévisionnelle de la fin de
l'opération, je rappelle tout d'abord que l'opération
correspondant à la réception individuelle de chaque
étranger s'est terminée cette semaine. Il était
prévu qu'elle dure jusqu'au 31 mars, elle est donc terminée
et nous avons auditionné exactement 8 351 personnes,
c'est-à-dire celles qui sont venues aux convocations. Donc toutes les
personnes convoquées qui se sont présentées sont à
ce jour reçues.
Quant à la date prévisionnelle de fin d'instruction, elle est
prévue à la fin du mois d'avril, le 30 avril.
M. LE RAPPORTEUR
.- Cela m'amène à vous poser une question
subsidiaire : combien de demandes avaient été
déposées ?
M. PROUST
.- Au total, nous avons réceptionné
17 640 demandes à l'origine, mais il faut retirer de ces
dossiers les saisonniers agricoles, qui étaient au nombre de 2 405
et à qui on a notifié qu'ils ne relevaient pas de la circulaire,
puisqu'ils relèvent de l'autorisation temporaire donnée chaque
année. Il y a eu également plusieurs dossiers faisant double
emploi. Bref, nous arrivons à 13 410 dossiers.
M. LE RAPPORTEUR
.- A combien évaluez-vous les dossiers faisant
double emploi ?
M. PROUST
.- Nous les évaluons à 1 610. Donc nous
arrivons à 11.800 demandes, sur lesquelles nous avions
343 personnes qui étaient déjà en situation
régulière et qui avaient à tort déposé une
demande, 160 personnes qui étaient frappées de mesures
administratives ou judiciaires, donc qui ne pouvaient pas
bénéficier d'une régularisation, bien entendu,
531 personnes qui n'avaient pas donné d'adresse ou qui avaient
adressé une demande depuis l'étranger et que nous n'avons donc
pas considérées comme recevables et 535 personnes qui
relevaient de demandes de regroupement familial au titre de l'OMI et qui ne
relevaient pas non plus de cette procédure. Par ailleurs,
115 demandes ont été déposées hors
délai.
Si je retire toutes ces catégories, cela fait 11 941 dossiers
recevables, ce qui est un nombre assez considérable. Je rappelle en
effet que le département compte 1 850 000 habitants et
150 000 étrangers en situation régulière.
M. LE RAPPORTEUR
.- Sur ces 11 941, vous en avez entendu 8 351.
Quid de la différence ?
M. PROUST
.- La différence, ce sont des personnes qui ne se sont
pas rendues à la convocation.
M. LE RAPPORTEUR
.- Je suppose que vous nous laisserez une note
là-dessus, Monsieur le Préfet.
M. PROUST
.- Je vous laisserai un document qui reprendra tous ces
chiffres. La différence entre les 11 941 et les 8 351
personnes vient de celles qui ne se sont pas rendues, bien qu'elles aient eu
une convocation à une date déterminée, à cette
convocation.
Cela dit, parmi les 3 590 personnes qui ne sont pas venues, certaines
d'entre elles ont écrit. Evidemment, on peut imaginer qu'il y a
plusieurs raisons. Il peut y avoir simplement des erreurs d'adresse ; il
peut y avoir aussi la crainte de venir. Il peut y avoir de multiples raisons.
Toujours est-il que nous avons 3 590 personnes convoquées
à une heure déterminée qui ne sont pas venues.
Sur ces 3 590, nous avons eu quelques lettres. Il y a des personnes qui
ont dit : "On n'a pas pu venir mais on aimerait bien venir". Celles qui
nous ont écrit ou qui se sont manifestées d'une manière ou
d'une autre sont assez peu nombreuses : elles sont au nombre de 490. Ces
490 personnes vont faire l'objet, bien entendu, d'une nouvelle convocation
qui aura lieu dans le courant du mois d'avril. J'ai dit tout à l'heure
que tout le monde avait été entendu sauf celles-là,
puisque c'est une deuxième convocation qui leur est adressée pour
le mois d'avril.
Nous avons l'intention d'envoyer (mais nous ferons cela après la fin de
la procédure) une lettre de rappel à tous ceux qui ne sont pas
venus, car il se peut qu'il y ait des problèmes d'acheminement -je n'en
sais rien-, de telle sorte que tous ceux qui voulaient venir soient bien
informés et que l'on fasse le maximum pour qu'ils puissent venir.
M. LE RAPPORTEUR
.- Vous êtes d'accord, Monsieur le
Président ?
M. LE PRÉSIDENT
.- Oui. Une petite question au passage, Monsieur
le Préfet. Quand vous avez fait une première approche de cette
procédure, à combien estimiez-vous le nombre de dossiers que vous
auriez à examiner, au tout début, quand le ministre disait qu'il
n'y en aurait qu'une dizaine ou une vingtaine de milliers ?
M. PROUST
.- Nous avons toujours donné des chiffres plus
élevés. Nous pensions tourner autour d'un chiffre de quinze
à vingt mille.
M. LE PRÉSIDENT
.- Dès le début, vous aviez donc
pronostiqué à vous seul un chiffre supérieur à
celui que M. le Ministre donnait sur le plan national ?
M. PROUST
.- Je parle bien de demandes et non pas de
régularisations. Nous avions avancé ce chiffre de
15 000 demandes.
M. LE PRÉSIDENT
.- Vous l'avez notifié au ministère
de l'intérieur dès le début ?
M. BOURLARD, Secrétaire général adjoint de la
préfecture
.- Pas tout à fait au début, parce qu'il
fallait voir comment les choses se passaient, mais, dès le début,
nous avions dit que nous tournerions autour de 15 000.
M. LE PRÉSIDENT
.- Vous l'aviez donc dit aux services, à
Paris ?
M. PROUST
.- Oui, mais peut-être pas tout à fait au
début. Nous l'avons dit quand on a mis la mécanique en route.
M. ALLOUCHE
.- Il serait étonnant que M. le Ministre ait
annoncé 10 000 à 15 000 dossiers au niveau
national. Nous vérifierons.
M. LE PRÉSIDENT
.- Le ministre a dit qu'il pensait avoir une
vingtaine de milliers de dossiers. Nous avons le Journal officiel, les uns et
les autres.
M. LE RAPPORTEUR
.- Je poursuis. Monsieur le Préfet, comment
vérifiez-vous concrètement que le demandeur ne représente
pas une menace pour l'ordre public ?
M. PROUST
.- Dans un certain nombre de cas de figure, nous demandons une
enquête de police complémentaire du casier judiciaire.
M. LE RAPPORTEUR
.- Quand vous avez reçu le casier ?
M. PROUST
.- Si nous avons quelque doute, nous demandons une
enquête de police.
M. BOURLARD
.- Nous les repérons déjà sur AGDREF.
Dès que la demande est enregistrée, nous vérifions sur
AGDREF que la personne n'est pas recherchée, et également sur le
fichier Schengen. Il y a des vérifications qui se font au départ.
M. LE RAPPORTEUR
.- Les comptes rendus des missions menées par
M. Galabert et par l'Inspection générale d'administration
vous ont-ils été communiqués ?
M. BOURLARD
.- M. Galabert est venu deux fois à Marseille
pour nous dire ce qui se passait dans les autres préfectures.
M. LE RAPPORTEUR
.- Il est venu deux fois dans chaque
préfecture ?
M. BOURLARD
.- Oui, il est venu deux fois, mais nous n'avons pas eu de
compte rendu de ses missions.
M. LE RAPPORTEUR
.- Quel a été le coût global de
l'opération de régularisation dans votre département ?
M. BOURLARD
.- Je n'ai pas fait un total, mais je peux vous dire que nous
avons eu au total 101 mois-vacataires, dont 41 mois en 1997,
45 mois en 1998 et 15 mois supplémentaires qui nous ont
été notifiés il y a un mois. Nous arrivons donc à
101 mois-vacataires, ce qui représente huit postes à temps
complet pour la période.
Nous avons eu 390 000 francs pour l'informatisation et la mise en
état des locaux nécessaires à l'opération et nous
avons eu, jusqu'à présent, 75 000 francs pour les
heures supplémentaires. Ce qui fait environ 20 000 francs par
mois d'heures supplémentaires.
M. LE RAPPORTEUR
.- Je suppose que vous n'avez pas eu de problèmes
pour le renouvellement des vacataires. Quel en est le profil ? Vous nous
aviez dit que c'étaient généralement des étudiants.
C'est bien cela ?
M. BOURLARD
.- Oui. Nous avons cherché des étudiants en
droit. Le problème, c'est que cela nécessite une formation
relativement poussée, ce qui fait que les vacataires en question sont
utilisables pendant une période relativement courte. Certes, il est
préférable d'avoir des agents formés à ce type
d'action, mais je dois dire que, globalement, les vacataires que nous avons
choisis ont vraiment rempli leur mission dans de très bonnes conditions.
M. PROUST
.- Je précise qu'ils ne participent pas à
l'instruction proprement dite.
M. LE RAPPORTEUR
.- Vous nous aviez expliqué leur mission
très exactement.
Avez-vous reçu des consignes particulières permettant d'assurer
la continuité entre la circulaire et les dispositions du projet de loi
relatif à l'entrée et au séjour des étrangers en
France qui est en cours d'examen par le Parlement ?
M. LE PRÉSIDENT
.- Comment va se passer la transition, ou
l'amalgame ? Je suppose que vous avez des dissonances. Vous connaissez le
projet de loi ?
M. PROUST
.- Bien sûr.
M. LE PRÉSIDENT
.- Donc comment cela va-t-il se passer ?
M. PROUST
.- Je dois dire que la recommandation a été
effectivement de tenir les délais, de telle sorte qu'il n'y ait pas
superposition, c'est-à-dire que nous ayons achevé
"l'opération circulaire" avant la mise en oeuvre de la loi.
M. LE PRÉSIDENT
.- Ce sont des instructions que vous aviez
reçues du ministre ?
M. PROUST
.- Oui. C'est d'ailleurs pour cela que nous tenons tant aux
dates indiquées par rapport à la prévision approximative
de la promulgation de la loi.
M. LE RAPPORTEUR
.- Les consignes résultent de
télégrammes ou de circulaires ?
M. BOURLARD
.- C'était dans la circulaire et cela a
été dit également au cours des réunions. J'ajoute
qu'un certain nombre de gens qui relèvent du dispositif continuent
à pouvoir déposer une demande jusqu'à la date
d'intervention de la loi. C'est le cas des étudiants, des
réfugiés et d'un certain nombre de personnes. Nous appliquons
strictement les consignes, comme l'a dit M. le Préfet, à savoir
qu'il ne faut pas de télescopage entre la loi et le dispositif actuel.
M. LE PRÉSIDENT
.- Les délais étaient dans la
première circulaire, n'est-ce pas ?
M. BOURLARD
.- Non, pas la date du 30 avril.
M. LE PRÉSIDENT
.- Quand vous a été fixée
cette date du 30 avril ?
M. PROUST
.- Elle a été donnée directement par le
ministre comme ultime délai pour les gros départements qui
avaient une très lourde charge, ce qui n'est pas forcément le cas
de l'ensemble des départements, qui pouvaient terminer plus tôt.
M. LE RAPPORTEUR
.- Combien d'invitations à quitter le territoire
avez-vous transmis à l'OMI ?
M. BOURLARD
.- Nous avons transmis tous les refus, c'est-à-dire
actuellement 1 090 dossiers.
M. LE RAPPORTEUR
.- Actuellement. Savez-vous combien vous en aurez,
à peu près ?
M. PROUST
.- On peut en avoir une petite idée, bien que le
pourcentage de refus s'accroisse considérablement au fur et à
mesure que le temps passe, parce que les dossiers les plus simples sont
arrivés les premiers et qu'ensuite, sont arrivés les dossiers les
moins bons, si je puis dire, par rapport aux critères. Cela fait
qu'actuellement, sur les 8 000 dossiers et quelques,
3 767 ont fait l'objet d'une notification, d'une décision.
M. LE RAPPORTEUR
.- De refus ?
M. PROUST
.- Non, d'une décision. Parmi ces 3 767, nous avons
2 677 régularisations, dont 160 autorisations provisoires
(il s'agit des malades), et nous avons notifié 1 090 refus.
Cela fait qu'actuellement, le taux de refus est de 33 %.
Maintenant, au mois d'avril, nous sommes en train d'instruire tous les autres
dossiers, c'est-à-dire les 4 584 cas. A titre indicatif, je
peux vous indiquer que le taux de refus des dossiers que nous instruisons
actuellement est passé à 55 % et qu'il est probable que,
lorsque nous allons arriver vers la fin, nous serons plutôt à
70 %.
Donc mon estimation approximative est de l'ordre de 50 %, mais c'est
approximatif, et je tiens à préciser que cela ne peut pas
être pris comme un chiffre définitif tant que nous n'avons pas
achevé l'instruction. Nous devrions donc arriver autour de 50 % non
pas des demandes mais des 8 351 dossiers considérés
comme recevables et examinés.
M. LE RAPPORTEUR
.- Je vous remercie. Quel sort avez-vous
réservé aux étrangers qui ont fait l'objet d'une
invitation à quitter le territoire avant la publication de la circulaire
du 19 janvier 1998 relative à l'aide au retour ?
M. PROUST
.- Nous avons notifié le refus en même temps que
la nécessité de quitter le territoire, bien entendu, et nous
avons notifié les dispositions de la circulaire sur les avantages au
retour qui pouvaient être apportés.
M. LE RAPPORTEUR
.- A tout le monde, même à ceux qui avaient
fait l'objet d'un refus au préalable ?
M. PROUST
.- Aux 1 090.
M. BOURLARD
.- A tous. Nous n'avions pas encore la circulaire, mais nous
l'indiquions déjà dans notre lettre d'invitation à quitter
le territoire puisque c'est simplement le montant qui a changé, en
l'occurrence, et qui est passé de 1 500 F à
4 500 F par personne. Le dispositif existait déjà et,
par conséquent, nous notifiions déjà aux
intéressés la possibilité d'une aide au retour. Nous avons
simplement remis dans l'enveloppe la petite brochure qui nous a
été fournie par l'OMI indiquant que les dispositions avaient
été améliorées et que, désormais, ce
n'était plus 1 500 F mais 4 500 F, plus une
assistance éventuelle.
M. LE RAPPORTEUR
.- Vous l'avez fait à tout le monde ?
M. PROUST
.- Oui, systématiquement. Les 1 090 ont
reçu ces informations.
M. LE RAPPORTEUR
.- Le télégramme du ministère de
l'intérieur du 26 janvier 1998 vous enjoignant de ne pas
prendre d'arrêté préfectoral de reconduite à la
frontière avant le 24 avril 1998 a-t-il été
suivi d'autres instructions complémentaires ?
M. PROUST
.- Non. Puisque c'est le délai de trois mois à
partir de la circulaire qui avait été fixé par le
ministre, nous attendons le 24 avril et, à partir de cette date,
nous prendrons les arrêtés de reconduite à la
frontière.
M. LE PRÉSIDENT
.- Comment les notifierez-vous ?
M. PROUST
.- Nous les notifierons aux adresses que nous avons, par lettre
recommandée.
M. LE PRÉSIDENT
.- Aux adresses qui figurent dans les
dossiers ?
M. PROUST
.- Bien évidemment.
M. LE RAPPORTEUR
.- Pouvez-vous nous indiquer le nombre de demandeurs
d'aide au retour "majorée", si je puis dire, que vous avez
reçus ?
M. BOURLARD
.- Nous en avons eu trois à ce jour.
M. LE RAPPORTEUR
.- Nous parlons bien de l'aide au retour majorée
par la circulaire du 19 janvier 1998, qui a prévu de passer de
1 500 à 4 500 F, la moitié versée ici
et l'autre moitié versée dans le pays. Vous n'en avez donc que
trois. Comment expliquez-vous ce faible nombre de demandes ?
M. PROUST
.- Je crois qu'ils ne veulent pas trop se manifester.
M. LE PRÉSIDENT
.- Mais quelles en sont les raisons, Monsieur le
Préfet ? C'est un phénomène particulièrement
grave. Tout le monde a bien compris que l'aide au retour est une
procédure destinée à faciliter la transition d'une
situation de non-droit en France vers une situation d'établissement dans
le pays du retour avec une aide de la République. Comment expliquez-vous
que cela ne marche pas ? Est-ce que l'information a été mal
faite ?
M. BOURLARD
.- Je pense que l'information a été assez bien
faite, bien que l'on ait adressé les nouvelles brochures assez
tardivement, puisqu'on n'a pas pu le faire dès le début. Cela
dit, il est vrai que les intéressés qui ont reçu un refus
hésitent à aller quelque part dire : "
Je suis toujours
là
", parce qu'ils savent par ailleurs qu'à partir du
24 avril, ils seront sans doute reconduits à la frontière.
M. PROUST
.- Il faut préciser que, sur les 1 090, beaucoup de
personnes essaient, après avoir eu notification du refus et, bien
évidemment, avant de faire toute démarche pour obtenir les
4 500 F, tous les recours que la loi leur permet.
M. LE PRÉSIDENT
.- Nous allons revenir sur les recours.
M. PROUST
.- Beaucoup d'entre eux ayant déposé un recours,
ils ne demandent pas l'aide, bien entendu.
M. LE RAPPORTEUR
.- Combien de recours gracieux avez-vous reçus
à ce jour ?
M. BOURLARD
.- 70 % des refus.
M. LE RAPPORTEUR
.- 70 % des refus ont fait l'objet d'un recours
gracieux. Avez-vous des recours contentieux ?
M. BOURLARD
.- Une centaine.
M. LE RAPPORTEUR
.- C'est important. Sur quelle argumentation sont
fondés les recours contentieux ? Y a-t-il beaucoup de droits
d'asile ?
M. BOURLARD
.- Il y a surtout des erreurs manifestes
d'appréciation, ce qui est traditionnel, si je puis dire. Il ne s'agit
pas du tout du problème du droit d'asile. On vise surtout l'erreur
d'appréciation du préfet qui n'a pas pris en compte de la
manière souhaitée les éléments
présentés par les étrangers qui ont essuyé un
refus.
M. LE RAPPORTEUR
.- Est-ce que ce sont des associations qui formulent des
recours ou des avocats ?
M. BOURLARD
.- Aucune association, à ce jour, n'a
déposé un recours contentieux, mais elles font des recours
gracieux. Ce sont donc en majorité des avocats qui déposent des
recours contentieux ainsi que l'écrivain public, puisque nous avons la
chance d'en avoir un.
M. LE RAPPORTEUR
.- J'en viens à ma dernière question. A
l'expiration du délai fixé par la circulaire, vous aurez un grand
nombre de personnes non régularisées à éloigner.
Comment envisagez-vous concrètement de procéder à
l'éloignement de ces personnes ? Le fait que ces personnes soient
identifiées par vos services vous paraît-il de nature à
faciliter leur éloignement du territoire, et pensez-vous
réellement que ces personnes seront effectivement
éloignées du territoire ?
M. PROUST
.- Cela fait plusieurs questions. Concrètement, nous
suivons la procédure que la circulaire a prévue,
c'est-à-dire que nous prendrons des arrêtés de reconduite
à la frontière. C'est la première chose. A partir de ce
moment-là, nous ferons comme nous l'avons toujours fait,
c'est-à-dire que les services de police, dans les délais qui ont
été fixés dans l'arrêté, seront
habilités à appréhender ces personnes et pourront donc
exécuter la reconduite à la frontière, sous
réserve, évidemment, du contrôle par les tribunaux. Je ne
pense pas qu'en soi, il y ait là une novation ni un problème
particulier.
Les reconduites à la frontière continuent ; il y en a tous
les jours. Donc ces personnes tomberont sous le coup de la reconduite à
la frontière.
M. LE PRÉSIDENT
.- Ne croyez-vous pas qu'elles vont demander un
nouvel examen à la suite de la promulgation de la loi ?
M. PROUST
.- Y en a-t-il beaucoup qui tomberont sous le
bénéfice de la loi ?
M. LE PRÉSIDENT
.- C'est une appréciation que vous porterez
vous-même.
M. BOURLARD
.- De toute façon, dès lors que nous aurons
pris l'APRF, nous pourrons l'exécuter. Qu'ils fassent une nouvelle
demande ou non, cela n'a aucune influence sur la suite administrative.
M. LE PRÉSIDENT
.- La procédure veut que vous leur disiez
qu'ils ont à se préparer à partir.
M. BOURLARD
.- C'est ce que l'on fait dans chaque lettre.
M. LE PRÉSIDENT
.- Ils doivent aussi, dans le délai d'un
mois, vous donner l'endroit où ils vont.
M. BOURLARD
.- Oui, mais cela ne s'est jamais fait auparavant non plus.
Nous n'avons jamais reçu de lettres de gens qui nous disaient qu'ils
allaient partir. C'était uniquement par les services de police que l'on
arrivait à les faire repartir. Je n'ai jamais, depuis deux ou trois ans,
reçu de lettres disant : "Je vais partir demain matin".
M. PROUST
.- Il y a probablement les trois personnes qui ont
demandé les 4 500 F qui vont le faire, mais les autres feront
comme elles font d'habitude, c'est-à-dire que ce sont les services de
police qui devront les appréhender
M. BOURLARD
.- Je dois dire que, dans notre département, le
chiffre de reconduite à la frontière est peut-être l'un des
meilleurs de France, puisque ce taux est de 50 % par rapport aux
arrêtés qui sont pris.
M. LE RAPPORTEUR
.- Les recours ne sont pas suspensifs, en la
matière. Donc je suppose que vous ne tiendrez pas compte des recours et
que vous appliquerez la loi.
M. PROUST
.- Nous appliquerons la loi.
M. LE PRÉSIDENT
.- Qu'est-ce qu'ajoute l'identification par les
services ?
M. BOURLARD
.- Cela ajoute que, dans nos dossiers, nous avons, pour le
moment, une copie du passeport, ce que nous n'avons pas toujours lorsque nous
éloignons quelqu'un. En effet, un certain nombre de personnes ont perdu
leur passeport et il faut donc des laissez-passer consulaires. Nous avons la
chance, à Marseille, d'avoir 70 consulats. Donc il n'est pas
très difficile de les obtenir, d'une manière
générale, mais cela demande des délais et nous n'avons pas
toujours les laissez-passer dans les délais voulus quand la personne est
en rétention. Donc cela devrait améliorer les reconduites
à la frontière, puisque nous avons la certitude de la
nationalité de la personne.
M. LE RAPPORTEUR
.- J'en ai terminé, Monsieur le Président.
M. LE PRÉSIDENT
.- Il y a une question que vous avez posée,
Monsieur le Rapporteur, et à laquelle M. le Préfet n'a pas
donné son sentiment personnel. Pensez-vous réellement que ces
personnes seront éloignées du territoire, Monsieur le
Préfet ?
M. PROUST
.- Je le pense, mais selon le taux habituel de résultat
que nous avons, c'est-à-dire au taux de 50 %. Nous allons prendre
systématiquement les arrêtés. Jusqu'à maintenant,
nous avions 50 % de résultat et nous ferons le maximum pour avoir
plus de 50 %, mais je prévois d'essayer d'obtenir le
résultat que nous avons habituellement et qui est de l'ordre de
50 %.
M. BOURLARD
.- Ce qui n'est pas mal.
M. PROUST
.- C'est une réponse d'intuition, parce que je n'ai pas
d'éléments nouveaux qui peuvent me permettre de penser qu'on
arrivera à faire moins bien ou mieux qu'avant. Donc je pense que l'on
arrivera à peu près au même taux.
M. LE PRÉSIDENT
.- Mes chers collègues, il est
15 h 31 et je pense donc qu'il y a de quoi vous permettre de poser
quelques questions complémentaires à M. le Préfet.
M. CALDAGUES
.- Je voudrais vous demander, Monsieur le Préfet,
comment, actuellement, se répartissent les moins de 50 %, si j'ai
bien compris, des arrêtés de reconduite à la
frontière non exécutés, comment se répartissent les
causes de ce défaut d'exécution entre décisions
judiciaires ou différentes catégories d'impossibilités
matérielles.
M. BOURLARD
.- Nous avons des statistiques. C'est "moitié
moitié" par rapport à ce qui sort du pénal. Nous avons
instauré, avec les services pénitentiaires, des relations tout
à fait coordonnées. On nous signale systématiquement les
sorties de prison dans des délais tout à fait compatibles avec ce
qui concerne l'éloignement et nous avons un taux de 50 % à
cet égard. Par ailleurs, nous avons un taux de 50 % sur des
arrêtés préfectoraux ou ministériels que nous
prenons pour des personnes que nous reconduisons.
Par conséquent, le taux est à peu près équivalent
d'un côté comme de l'autre, mais nous avons vraiment mis en place,
avec les services de la DICCILEC et les services pénitentiaires, une
coordination tout à fait efficace.
M. PROUST
.- Si j'ai bien compris la question, dans les 50 % que
nous n'arrivons pas à reconduire, vous voulez savoir quelles sont les
causes judiciaires (notamment parce qu'il y a eu des recours qui ont abouti
positivement) et le nombre de cas pour lesquels on n'a pas retrouvé
l'intéressé.
M. CALDAGUES
.- Ou bien parce qu'on n'a pas pu l'embarquer.
M. BOURLARD
.- La plus grosse part des difficultés vient des
laissez-passer. Nous avons de bonnes relations avec les consulats, avec
lesquels nous travaillons tous les jours, qui nous permettent d'avoir le
maximum de laissez-passer, mais un certain nombre d'entre eux arrivent dans des
délais qui ne permettent pas l'exécution de la décision.
C'est la cause principale.
Ensuite, bien entendu, nous n'arrivons pas toujours à appréhender
les gens. Quand on prend un arrêté préfectoral de
reconduite à la frontière, il faut trouver la personne. Les
annulations par le juge judiciaire sont très peu importantes, en
définitive.
M. PROUST
.- Dans la majorité des cas, la police ne les trouve pas.
M. LE PRÉSIDENT
.- La parole est à M. Allouche.
M. ALLOUCHE
.- Merci, Monsieur le Président. Avant de poser une
question à M. le Préfet, je voudrais, à ce stade des
travaux de notre commission depuis plusieurs semaines, dire combien, pour ce
qui me concerne et pour ce que j'ai pu constater, là où je suis
allé, le travail effectué par les services préfectoraux
était d'une qualité exceptionnelle. Ce n'est pas extraordinaire,
c'est un travail quotidien, mais, compte tenu de la tâche qui vous
était donnée, il faut souligner le travail tel qu'il est fait
dans les préfectures, surtout lorsqu'on a affaire à des cas d'une
extrême difficulté.
Monsieur le Préfet, à ce stade, puisque nous sommes à
trois ou quatre semaines de la fin de la procédure qui a
été prévue, vous est-il possible de nous dire, sans tirer
de conclusions définitives, quels sont les enseignements que vous tirez
de cette opération de régularisation ?
M. PROUST
.- Monsieur le Sénateur, vous me posez une question
difficile et importante...
M. LE PRÉSIDENT
.- ...mais intéressante.
M. PROUST
.- Personnellement, je voudrais souligner une chose concernant
la méthode de travail, la définition des critères de la
circulaire et, surtout, la manière de les appliquer concrètement.
Au début de l'opération, j'ai tenu personnellement, avec mes
collaborateurs, et surtout ceux qui allaient s'en occuper au quotidien,
à présider moi-même les premières commissions
d'instruction, c'est-à-dire que l'on prenait cent dossiers au hasard,
parmi les premiers reçus, et qu'on les examinait pour essayer de voir,
concrètement, par rapport à la circulaire, comment on allait les
traiter.
A partir de là, c'est-à-dire à partir de cas concrets dans
le cadre de l'examen des quelques centaines de premiers dossiers, nous avons
défini des critères qui allaient être les nôtres pour
essayer d'apprécier ces dossiers. Parmi ces critères, nous avons
considéré que nous serions intraitables vis-à-vis des
dossiers pour lesquels il y avait un problème d'ordre public,
c'est-à-dire pour tous ceux qui avaient un passé de
délinquant.
Deuxièmement, nous avons considéré que nous devions
traiter sans complaisance, mais avec humanité, tous les dossiers qui
posaient des problèmes familiaux, c'est-à-dire ceux pour lesquels
il y avait une grave perturbation de la vie familiale si on ne les prenait pas
en considération, en dehors de l'automaticité de certains
critères de la circulaire. Je parle des cas pour lesquels il y a une
marge d'appréciation. Nous avons estimé que nous prendrions ces
dossiers en considération.
En revanche, nous avons considéré que nous regarderions les
dossiers de célibataires qui ne posaient pas de problème d'ordre
public mais qui ne posaient pas non plus de problèmes familiaux au
regard du critère d'intégration dans notre société
française.
Ce sont les trois éléments que nous avons pris en
considération. Autrement dit, intraitables en cas de délinquance,
ouverts aux situations familiales humanitaires qui se présentaient et
d'une relative sévérité vis à vis des
célibataires, en prenant en compte le niveau d'intégration dans
la société. Voilà les trois critères que nous avons
arrêtés.
Ce que je vous dis n'est pas une théorie que l'on a
développée. Cela s'est traduit à partir de l'examen de cas
très concrets et c'est ce que la commission a continué à
faire.
Certes, le travail que nous avons fait n'est sûrement pas parfait et nous
pouvons nous tromper, bien sûr, mais je crois pouvoir dire, malgré
tout, que les situations qui seront régularisées à la
suite de cette action, soit environ 4 000 personnes dans le cas des
Bouches-du-Rhône, résoudront des problèmes humanitaires et
familiaux aigus qui existaient et, d'un autre côté, ne viendront
pas aggraver nos problèmes d'ordre public ni le flux d'immigration.
Personnellement, je porte donc un jugement globalement positif. Nous avons
essayé de faire au mieux en appliquant les critères que je vous
ai indiqués, mais sans prétendre à la perfection, encore
une fois. Nous aurons commis des erreurs, mais je crois que nous aurons, en
toute conscience, essayé de traiter ce problème à la fois
avec humanité et fermeté, comme nous l'avait d'ailleurs
demandé le ministre de l'intérieur. Personnellement, je
considère que ce sera une action plutôt positive. Du moins, je la
ressens comme telle, puisque vous m'avez demandé une sentiment
personnel.
M. LE PRÉSIDENT
.- Mais quels sont les enseignements à en
tirer, Monsieur le Préfet ? Cela a été le mot
clé de l'interrogation de M. Allouche. Est-ce qu'on aurait pu faire
mieux avant ? Est-ce que, avec plus de moyens, vous auriez fait
différemment ? Est-ce que, avec plus de moyens encore, vous
pourriez faire mieux ? Vous avez maintenant une actualisation des moyens
et, peut-être, une meilleure organisation. Vous avez un service des
étrangers assez faible à Marseille et assez difficile à
tenir, de tout temps.
M. PROUST
.- Vous me posez une question sur les moyens ?
M. LE PRÉSIDENT
.- Je vous pose celle des enseignements.
M. PROUST
.- Je vous ai dit tout à l'heure que la population
étrangère des Bouches-du-Rhône était de
150 000 personnes actuellement. Il est clair aussi que nous sommes le
grand port face à l'Afrique du nord, et vous connaissez toutes les
traditions de Marseille et ses rapports au Maghreb. Vous connaissez aussi la
situation en Algérie. Nous sommes soumis -c'est vrai- à une
pression particulière à Marseille.
Je crois que c'est certainement l'un des départements de France qui, par
rapport à l'émigration en provenance maghrébine, est
soumis aux plus fortes pressions pour de nombreuses raisons historiques.
Maintenant, vous me demandez si nous avons les moyens suffisants en termes de
service des étrangers et je vous dirai que, bien sûr, nous
aimerions avoir davantage de moyens. Je ne vais pas vous dire que tout va bien
pour conduire à bien cette opération. Nous avons eu beaucoup de
mal à la conduire à bien et nous avons parlé de
vacataires, d'heures supplémentaires, etc. Cela dit, il est clair que ce
n'était pas la seule opération et que si nous avons
commencé lentement, c'est parce que c'était la rentrée
universitaire et que, dans le même temps, nous avions à traiter
des milliers de dossiers d'étudiants étrangers. Nous avons
dû différer un peu les choses, c'est-à-dire monter en
puissance lentement, parce qu'il fallait assurer l'immédiat, qui
était la rentrée universitaire.
Par conséquent, en termes de moyens, il est vrai que, pour les gros
départements, d'une manière générale (mais je ne
sais pas ce que vous diront mes collègues), il y a peut-être des
redéploiements à effectuer pour tenir compte du fait que certains
départements sont plus exposés que d'autres et ont un traitement
des étrangers plus lourd que d'autres.
Pour le reste, l'enseignement que je tire, c'est que, par rapport aux
situations que nous voyons (je ne dis pas que l'on voit toutes les
situations : il fallait que les gens se manifestent et viennent
déposer un dossier), il me paraît qu'un traitement humain normal
mais sévère s'exerce. Le problème des moyens et de
l'efficacité se pose plus, à mon avis, au niveau des services de
police. Notre vrai sujet, c'est celui de faire exécuter les
décisions et non pas tellement la prise des décisions.
M. LE PRÉSIDENT
.- Ce n'est pas nouveau.
M. PROUST
.- Ce n'est pas nouveau, mais le chiffre que je regrette, c'est
que l'on n'assure que 50 % d'exécution des décisions que
nous prenons. C'est le regret que j'ai. Cela dit, les choses ne sont pas
faciles ; je ne dis pas que la police ne fait pas son travail. Je dis au
contraire que son travail est très difficile et qu'elle a autre chose
à faire mais qu'en termes de moyens, on a quand même une
difficulté à cet égard : celle de faire
exécuter les décisions qui sont prises. Cela ne devrait pas
être 50 % mais 95 %. C'est vrai.
M. LE PRÉSIDENT
.- D'autres questions, mes chers
collègues ? La parole est à M. Blaizot.
M. BLAIZOT
.- Si l'on en croit la presse, les intéressés
s'appellent des "sans papiers". Comment fait-on pour faire constituer un
dossier à quelqu'un qui est sans papiers ? Peut-être, tout
simplement, ceux qui sont sans papiers ne se présentent pas, ne
demandent rien et continuent à vivre dans la clandestinité.
A-t-on un moyen, dans ce cas-là, d'apprécier quels sont ceux qui,
n'ayant aucun moyen de justifier quoi que ce soit, pas même leur
identité, soit qu'ils n'aient jamais eu de papiers, soit qu'ils les
aient détruits (car il paraît que cela rentre aussi dans leurs
habitudes), échapperont totalement à cette régularisation
qui a été engagée par le ministre de l'intérieur,
qui sont dans la nature et qui y restent, et comment la situation de ces
intéressés peut-elle évoluer ?
M. PROUST
.- Là aussi, vous me posez une question difficile, parce
que, par définition, on ne les connaît pas, puisqu'ils ne se sont
pas manifestés et qu'ils ne se manifestent pas. Il est vrai (on le voit
justement par le hasard des contrôles de police) qu'un certain nombre de
personnes sont sans papiers et n'ont pas cherché à obtenir des
régularisations. Je suis incapable d'en apprécier exactement le
nombre et je peux dire qu'il n'y a que le contrôle de police qui peut les
déterminer.
M. BLAIZOT
.- Au hasard de la chance.
M. PROUST
.- Cela dit, le dispositif de régularisation a eu un
effet positif dans le domaine du travail "au noir". En effet, dans les
critères d'intégration dont je parlais tout à l'heure, il
y a évidemment l'activité professionnelle. Or, bien entendu, par
définition, puisqu'ils n'avaient pas de papiers, ils ne pouvaient pas
avoir d'activité professionnelle, mais beaucoup d'entre eux avaient une
activité professionnelle de fait et ils nous l'ont dit pour plaider leur
dossier. Cela nous a permis d'exiger des employeurs de faire autrement.
Je pense donc qu'à la suite de cette opération, nous aurons un
recul du travail "au noir" et une régularisation sur un autre plan, qui
est celui du droit du travail. Je me permets de le souligner, parce que c'est
la première question : on leur demande s'ils travaillent, s'ils ont
des revenus et un emploi, et la plupart disent tranquillement : "Je
travaille chez tel employeur".
M. LE RAPPORTEUR
.- Beaucoup ont d'ailleurs des bulletins de salaire, ce
qui est assez étonnant.
M. BOURLARD
.- Un certain nombre d'entre eux ont effectivement des
bulletins de salaire.
M. BLAIZOT
.- S'ils travaillent régulièrement, ils sont
connus, quand même. Un employeur ne peut pas délivrer un bulletin
de salaire à quelqu'un qui n'est pas en situation
régulière.
M. BOURLARD
.- Normalement, non. Cela dit, nous avons pris pour principe
d'adresser à l'employeur potentiel ou révélé une
lettre lui disant que nous avons régularisé la situation de
M. X et que nous lui demandons désormais de le déclarer dans
des conditions normales.
Vous demandiez tout à l'heure quels avantages on pouvait en tirer. J'en
vois un deuxième, tout aussi important, c'est le fait que les "sans
papiers" ont aujourd'hui des papiers. Je veux dire par là que, dans les
exigences que nous formulons pour délivrer ou refuser un titre, il y a
celle d'aller au consulat demander un passeport. Cela veut dire que tous ceux
qui auront déposé un dossier chez nous auront un passeport.
M. BLAIZOT
.- Les consulats le leur délivrent ?
M. BOURLARD
.- Ils les délivrent sans difficulté, et je
peux vous dire que les files sont longues devant les consulats. Tous les
consuls n'en sont pas forcément satisfaits, mais tous les
intéressés vont avoir des papiers, même s'ils ont
essuyé un refus.
M. BLAIZOT
.- Vous avez dit tout à l'heure, Monsieur le
Préfet, que vous estimiez à 150 000 le nombre
d'étrangers dans les Bouches-du-Rhône...
M. PROUST
.- Ce n'est pas une estimation ; c'est une connaissance
précise.
M. BLAIZOT
.- Et ce sont 150 000 réguliers ?
M. PROUST
.- Tout à fait.
M. BLAIZOT
.- Quant aux irréguliers éventuels, je suppose
que vous n'êtes pas en mesure d'avancer un chiffre.
M. PROUST
.- Je ne suis pas en mesure de le faire, très
honnêtement. Je vous dirais n'importe quoi.
M. LE RAPPORTEUR
.- Sur ces 150 000, combien sont originaires de
l'Union européenne ?
M. BOURLARD
.- Très peu. La moitié des
150 000 sont des Algériens, et vous avez ensuite
18 000 Marocains et 14 000 Tunisiens. En revanche, il y a
de fortes populations portugaise, italienne et espagnole. Ce sont les trois
populations qui viennent ensuite.
M. PROUST
.- J'ajoute un point sur le travail "au noir", si vous me le
permettez, Monsieur le Président, parce que je crois que c'est l'un des
points délicats. Cette opération devait être conduite en
souplesse. Nous n'avons donc pas verbalisé. Nous avons connaissance par
les intéressés du nom de l'employeur et de son adresse et nous
lui avons écrit et demandé de régulariser la situation.
Bien entendu, nous nous réservons, dans quelques mois, la
possibilité d'aller contrôler, mais nous avons simplement fait une
invitation à régulariser.
M. LE RAPPORTEUR
.- Donc il n'y aura pas de poursuites.
M. LE PRÉSIDENT
.- L'inspection du travail n'a pas
été mise dans le coup.
M. PROUST
.- C'est nous-mêmes qui, à ce stade, avons
écrit à l'employeur pour lui demander de régulariser la
situation des travailleurs.
M. BLAIZOT
.- Vous n'êtes donc pas en mesure d'évaluer
combien d'entre eux travaillaient "au noir" et ne se sont pas signalés
d'une manière ou d'une autre, si bien qu'ils continuent à
travailler "au noir" dans la situation antérieure ?
M. PROUST
.- Pour ceux que l'on régularise, normalement, ce n'est
plus le cas, sachant que nous aurons les moyens d'aller les contrôler. Je
parle là des 4 000.
M. LE PRÉSIDENT
.- La parole est à Mme Pourtaud.
Mme POURTAUD
.- Merci, Monsieur le Président. Monsieur le
Préfet, je voudrais d'abord faire une remarque et vous dire que j'ai
beaucoup apprécié la manière dont vous nous avez
présenté vos critères. J'ai particulièrement
apprécié le fait que vous ayez utilisé les termes
"humanité" et "fermeté". Au-delà de cela, je voudrais vous
poser deux questions.
Vous avez effectivement indiqué que les critères qui vous avaient
guidé pour dégrossir les catégories des demandeurs avaient
été, d'une part, ceux qui étaient en infraction ou qui
avaient commis des atteintes à l'ordre public, d'autre part, le souci de
régler les situations familiales (c'était effectivement l'esprit
de la circulaire), et vous avez indiqué que, dans une troisième
catégorie, vous aviez apprécié avec humanité mais
aussi avec fermeté la situation des célibataires.
Sur la manière dont vous avez traité les dossiers des
célibataires, pourriez-vous nous dire comment vous avez
apprécié en particulier le critère d'intégration
à la société française, puisque, là aussi,
c'était l'esprit de la circulaire ? Avez-vous pris des
critères objectifs ? On nous a dit dans certaines
préfectures que l'on avait exigé six mois de séjour
régulier sur le territoire français. Est-ce que vous avez
régularisé plutôt au-dessus de cinq ans, sept ans ou dix
ans de séjour sur le territoire ? Quels ont été vos
points de repère ? C'est ma première question.
J'ai une deuxième question plus factuelle. Comme vous venez de nous
donner à l'instant la composition de la population
étrangère sur votre région, pouvez-vous nous dire, parmi
les demandes ou les personnes régularisées (je ne connais pas les
chiffres dont vous disposez), quelles étaient les nationalités
d'origine ?
M. PROUST
.- M. Bourlard vous donnera la statistique sur les
nationalités d'origine. Quant aux critères (sachant que,
là aussi, M. Bourlard pourra apporter un complément), bien
entendu, ils ne s'appliquent que lorsqu'on n'a pas un cas d'automaticité
prévu par la circulaire : je ne parle pas des conjoints, des
enfants, etc. Je parle essentiellement des célibataires sans charge de
famille. A cet égard, je dois souligner que, sur le total des dossiers,
ils représenteront 72 % des dossiers examinés. C'est
évidemment sur ces cas que le pourcentage de refus va être le plus
élevé.
Parmi les points de repère, puisque chaque dossier est examiné
par plusieurs personnes pour essayer d'avoir une réponse aussi juste et
égale que possible, il y a le fait d'avoir, sauf cas exceptionnel, au
moins sept ans de présence en France et d'avoir été,
pendant une certaine période, en situation régulière.
Enfin, il y a le degré d'insertion dans la société
française. Pour nous, cela correspond à toute une série de
critères qui s'apprécient à travers l'emploi et l'exercice
d'une activité professionnelle, à travers le logement, à
travers le respect non seulement du droit pénal mais aussi des simples
obligations fiscales et à travers le niveau culturel, non seulement en
ce qui concerne la langue mais aussi en ce qui concerne le niveau culturel
général de l'intéressé et de son insertion en
général.
Il y a aussi, dans ces critères, la rupture ou non des liens avec le
pays d'origine. Il s'agit de savoir si tout le reste de la famille est dans
l'autre pays ou s'il n'y a plus aucun lien avec le pays d'origine et si tous
les éléments de la vie familiale et personnelle de cette personne
sont désormais liés à la France, sans aucun lien avec le
pays d'origine.
Il y a enfin, bien entendu, l'existence ou non d'autres membres de la famille
qui se trouveraient en France en situation régulière et dans des
conditions d'insertion satisfaisante. A cet égard, je ne pense pas, bien
entendu, au problème des conjoints ou de enfants, mais à la prise
en compte des frères, des soeurs ou des ascendants. Ce sont autant
d'éléments qui sont pris en compte.
Ce sont des points de repère. C'est l'ensemble de ces points de
repère qui nous amènent, à plusieurs, à essayer
d'apporter la moins mauvaise des réponses.
M. LE PRÉSIDENT
.- Merci. Je vois qu'il est presque l'heure. Une
dernière question, Monsieur le Rapporteur ?
Mme POURTAUD
.- Je n'ai pas eu de réponse à ma
deuxième question.
M. LE PRÉSIDENT
.- Vous avez raison. Pardonnez-moi.
M. BOURLARD
.- Effectivement, on peut constater que les premières
demandes de régularisation émanent d'Algériens, ce qui est
tout à fait normal dans les Bouches-du-Rhône, où beaucoup
de familles d'origine algériennes mais françaises sont
installées depuis très longtemps. Beaucoup d'Algériens
sont installés chez nous et sont Français. La proportion est de
27 %.
Les deuxièmes, ce sont les Marocains, toujours pour les mêmes
raisons historiques (18 %). Ensuite, viennent les Comoriens (16 %) et
les Tunisiens (14 %). C'est la grosse majorité des cas.
Enfin, nous avons (mais cela relève de l'asile politique) des Roumains
et des Kurdes. Nous avons très peu, dans le sud de la France,
contrairement à ce qui se passe dans la région parisienne, de
gens qui viennent d'Asie.
Dans la salle
.- Et combien viennent du Sahel ?
M. BOURLARD
.- Très peu.
M. LE RAPPORTEUR
.- J'ai une dernière question en liaison avec le
nombre d'Algériens que vous avez. Le tribunal administratif de Marseille
a-t-il déjà statué sur des demandes de droit d'asile
politique de personnes algériennes menacées ?
M. BOURLARD
.- A ma connaissance, il n'y a que deux tribunaux qui ont
rejeté en raison de la situation dans le pays de destination, dont celui
de Nice. Celui de Marseille n'a pas encore statué dans ce sens.
Jusqu'à présent, il n'a jamais fait d'annulations sur le pays de
destination.
M. LE PRÉSIDENT
.- Mes chers collègues, je crois qu'il nous
faut remercier M. le Préfet et M. le
Secrétaire-général de leur disponibilité, de la
qualité de leur prestation et de la façon tout à fait
sincère et franche avec laquelle ils ont répondu à vos
questions et à celles de M. le Rapporteur. Monsieur le Préfet, je
vous remercie de vous être prêté à cette prestation
et je vous souhaite un bon retour.
Nous suspendons notre séance cinq minutes avant l'audition de
M. le Préfet de Lille.
M. ALAIN ORHEL, PRÉFET DU NORD,
DE LA
RÉGION NORD/PAS-DE-CALAIS
ET DE LA ZONE DE DÉFENSE
NORD
JEUDI 2 AVRIL 1998
M. LE
PRÉSIDENT
.- Mes chers collègues, la séance est
reprise. J'ai omis, tout à l'heure, d'excuser l'absence de
M. Demuynck, de M. Maman et de M. Poirier. L'omission est
maintenant réparée.
Nous devons vous entendre sous la foi du serment.
(M. le Président donne lecture des dispositions de l'article 6
de l'ordonnance du 17 novembre 1958 ; M. Alain Orhel prête
serment).
Je vais demander maintenant à M. le Rapporteur, dans une
première demi-heure, de poser des questions s'il le croit utile à
son rapport, la dernière demi-heure étant un moment
réservé aux questions des Sénateurs. Monsieur le
Rapporteur, vous avez la parole.
M. LE RAPPORTEUR
.- Monsieur le Préfet, je voudrais tout d'abord
vous remercier, vous-même et vos collaborateurs, de l'accueil que vous
avez réservé à la commission lorsque nous sommes
allés dans votre département. Nous avons apprécié
le travail qui a été fait dans votre préfecture par les
fonctionnaires, qui ont une haute idée de leur fonction. Je tenais
à le souligner, comme je l'ai fait avec votre
prédécesseur, puisque c'est une réflexion unanime de la
commission. M. Allouche, qui était sur place également
à Lille, puisqu'il est parlementaire de cette ville, ainsi que les
autres parlementaires ont pu le confirmer.
Monsieur le Préfet, j'en viens à ma première
question : pouvez-vous nous indiquer la date prévisionnelle de fin
de l'opération de régularisation dans votre
département ?
M. ORHEL
.- Comme vous le savez, l'objectif est d'en avoir terminé
pour le 30 avril. Le rythme constaté -les statistiques le
révèlent- de traitement des dossiers laisse espérer que,
en effet, on aura à peu près terminé les
régularisations pour le 30 avril.
M. LE RAPPORTEUR
.- Pouvez-vous nous indiquer les chiffres respectifs des
demandes qui ont été reçues ?
M. ORHEL
.- Je vais vous donner cet état statistique
actualisé à la date d'hier soir. Nous avons eu
2 637 demandes de régularisation déposées au
8 novembre, qui était le délai de grâce accordé
par rapport à la date du 1er novembre fixée par la
circulaire, dont 256 qui avaient été, comme toutes les autres,
destinataires d'un courrier ne se sont pas manifestées.
J'ajoute que sur ces 2 637, il y a eu 278 demandes de regroupement
familial concernant un ou plusieurs enfants, ce qui laisse 2 103 dossiers
à traiter au regard de l'ensemble des autres catégories de la
circulaire, à ce jour.
M. LE RAPPORTEUR
.- Combien y a-t-il de célibataires
là-dessus ? Excusez-moi de vous interrompre...
M. ORHEL
.- Sur les 2 637 demandes déposées, il y
a, au bout du compte, 2 103 dossiers qui étaient à
traiter au regard de l'ensemble des catégories de la circulaire. A
l'heure où je vous parle, 1 114 de ces dossiers ont fait l'objet
d'une décision, 709 ayant reçu soit une autorisation
provisoire de séjour, soit un récépissé, soit une
carte de séjour temporaire. Il y a donc eu 709 décisions
positives et 405 rejets.
J'indique, pour éclairer cette statistique -c'est un fait que j'ai eu
déjà l'occasion de vous signaler- que, bien entendu, la
statistique définitive révélera un équilibre
différent. En effet, les premières décisions à
intervenir, parce qu'elles étaient les plus simples et qu'elles
étaient aussi mieux accordées, évidemment, au climat
général dans lequel s'engageaient les opérations,
étaient des décisions positives en plus grand nombre. Maintenant,
chaque jour qui vient et qui passe rétablit à peu près
l'équilibre pour arriver à un pourcentage partagé environ
par moitié entre les décisions positives et les rejets.
M. LE RAPPORTEUR
.- Quels critères d'examen avez-vous retenu dans
les limites de votre marge d'appréciation, notamment sur les
célibataires ?
M. ORHEL
.- Nous nous sommes efforcés de garder à l'esprit
ce qu'indiquait l'avis du Conseil d'Etat quant au fait que, bien entendu, les
demandes présentées, par définition, émanaient de
gens qui n'avaient pas de droits à faire valoir, faute de quoi il ne
s'agirait pas de régularisation. N'ayant pas perdu cela à
l'esprit, pas plus d'ailleurs, inversement, que le fait qu'il n'y avait jamais,
pour l'administration, sauf disposition expresse, interdiction de
régulariser (c'est ce que disait le Conseil d'Etat), nous avons
néanmoins évité, bien entendu, les décisions
s'exerçant dans la marge que je viens d'évoquer et que
définissait le Conseil d'Etat, que des catégories
complètes puissent relever de cette façon d'aborder les choses,
cette façon que je viens d'évoquer ne concernant jamais que des
situations individuelles et personnelles et non pas des catégories
entières.
Ce principe général d'examen des situations étant
rappelé, pour répondre précisément à votre
question, je pourrai vous dire moi-même que nous avons eu
829 étrangers sans charge de famille et régularisables qui
demandaient à bénéficier de la régularisation et
qu'à l'heure qu'il est, nous avons délivré
51 récépissés en cours de validité et
rejeté 115 demandes, et que la différence reste à
examiner.
M. LE RAPPORTEUR
.- Je vous remercie. Monsieur le préfet,
concrètement, comment vérifiez-vous que le demandeur ne
représente pas une menace pour l'ordre public ?
M. ORHEL
.- Les éléments dont nous disposons au dossier
permettent de savoir évidemment ce qu'est la situation de
l'intéressé compte tenu des jugements auxquels ce passé a
pu donner lieu et, effectivement, il peut y avoir des présomptions
fortes, tenant à de telles indications, de ce que l'ordre public
pourrait se trouver menacé par le fait de récidives ou de
contestations à son maintien sur le territoire.
M. LE PRÉSIDENT
.- Avez-vous eu des cas concrets ?
M. ORHEL
.- Oui, tout à fait.
M. LE RAPPORTEUR
.- Les comptes rendus des missions menées par
M. Galabert et l'Inspection générale de l'administration
dans votre département vous ont-ils été
communiqués ?
M. LE PRÉSIDENT
.- M. Galabert est bien venu chez vous,
n'est-ce pas ?
M. ORHEL
.- Il est venu une fois chez nous.
M. LE RAPPORTEUR
.- A-t-il fait un compte rendu ?
M. ORHEL
.- Non. Nous n'avons pas eu de compte rendu écrit.
M. LE RAPPORTEUR
.- Avez-vous chiffré le coût global de
l'opération de régularisation dans votre
département ?
M. ORHEL
.- Si vous me le permettez, je vais donner la parole au
secrétaire-général, qui s'appelle M. Raifaud.
M. RAIFAUD, Secrétaire général de la
préfecture
.- Effectivement, outre les moyens classiques de la
préfecture, nous avons eu des moyens en heures supplémentaires et
en mises à disposition d'agents de l'OMI. Sur 1997, nous avons eu droit
à 31 mois-vacataires et nous en avons eu 34 mois sur 1998.
Nous avons eu également, en renforts OMI, 4 agents mis à
disposition du 1er août 1997 au 31 janvier 1998 et nous avons
bénéficié de moyens matériels pour
développer l'équipement informatique (terminaux AGDREF,
aménagement mobilier et gestion de l'attente). Vous avez pu voir comment
était équipé, à la cité administrative, cet
accueil spécifique. Nous avons eu 300 000 francs pour cela.
M. LE RAPPORTEUR
.- Avez-vous reçu des consignes
particulières permettant d'assurer la continuité entre la
circulaire et les dispositions du projet de loi relatif à
l'entrée et au séjour des étrangers en France qui est en
discussion au Parlement ?
M. ORHEL
.- Je vous réponds moi-même que je n'ai pas
connaissance de circulaires précises là-dessus, mais
peut-être y a-t-il des indications que pourraient fournir mes
collaborateurs, notamment M. Aussenac, qui est le directeur de la
réglementation.
M. AUSSENAC, Directeur de la réglementation
.- La seule
orientation que nous avons pu avoir est un télégramme du
ministère de l'intérieur demandant de porter une attention
particulière à la situation d'étrangers qui, aujourd'hui,
ne seraient éventuellement pas régularisables dans le cadre de la
circulaire mais qui pourraient éventuellement se prévaloir des
dispositions de la future loi. La première approche que l'on peut faire
de cette situation, c'est que cela ne concerne a priori que des situations
relativement marginales. Nous avons très peu de dossiers que nous ayons
été amenés à mettre de côté, à
laisser en instance en attente de la connaissance de la version
définitive du projet de loi.
M. LE RAPPORTEUR
.- Pourrez-vous communiquer le télégramme
à la commission ?
M. AUSSENAC
.- Bien sûr.
M. LE PRÉSIDENT
.- La loi est quasiment définitive, de
toute façon.
M. LE RAPPORTEUR
.- Vous nous passerez donc le télégramme,
Monsieur le Préfet.
Combien d'invitations à quitter le territoire avez-vous transmises
à l'OMI ?
M. AUSSENAC
.- Toutes les invitations à quitter le territoire sont
immédiatement portées à la connaissance du
délégué régional de l'OMI. A ce jour, il y en a 225
qui ont été portées à sa connaissance.
M. ORHEL
.- On peut aussi préciser que les dites invitations
à quitter le territoire sont accompagnées, dans la même
enveloppe, d'un formulaire exposant ce que sont les possibilités
offertes.
M. LE PRÉSIDENT
.- Cela concerne l'OMI. S'il y a un formulaire,
c'est pour tous les intéressés, mais vous n'envoyez pas la
circulaire à l'OMI, qui la connaît.
M. ORHEL
.- Non. Nous l'envoyons aux intéressés.
M. LE PRÉSIDENT
.- Il n'y en a donc que 225 ? Pourquoi y
a-t-il une telle différence ?
M. AUSSENAC
.- Le chiffre de 225 correspond aux décisions de rejet
qui ont été effectivement notifiées aux étrangers
qui avaient sollicité leur régularisation. La différence
par rapport au chiffre de 405 vient des dossiers qui sont traités et qui
sont soit en instance de signature, soit en instance de notification. La
notification peut être en cours, l'intéressé n'ayant pas
encore été touché, ou on peut avoir des dossiers dont le
rejet est en cours de formalisation.
M. LE PRÉSIDENT
.- Vous avez donc 180 dossiers qui sont
décidés mais pour lesquels la notification n'a pas encore
été faite.
M. AUSSENAC
.- Exactement.
M. LE PRÉSIDENT
.- Et ce goulot d'étranglement tient, comme
dans d'autres préfectures, je le suppose, à des
difficultés matérielles d'instruction.
M. AUSSENAC
.- Je ne dirai pas qu'il tient à des
difficultés matérielles mais plutôt à des
difficultés intellectuelles. En effet, on essaie d'apporter un grand
soin à la rédaction de ces décisions de rejet et à
leur motivation. C'est à ce niveau qu'il y a un investissement personnel
assez fort qui ne peut être confié qu'à quelques agents.
M. LE PRÉSIDENT
.- Quand la décision est prise, je suppose
qu'elle est motivée.
M. AUSSENAC
.- Tout à fait, mais il reste la mise en forme.
M. ORHEL
.- Il y a un travail de rédaction.
M. LE PRÉSIDENT
.- Dans les 400 dossiers et quelques, vous
n'avez pas encore tout rédigé ?
M. AUSSENAC
.- Dans les 400 dossiers et quelques, il y a quelques
dizaines de dossiers qui sont en cours de rédaction, effectivement.
M. ORHEL
.- Par définition, ce sont ceux pour lesquels, en effet,
ladite lettre d'information à l'égard de l'OMI n'a pas
été adressée.
M. LE PRÉSIDENT
.- Mais ce sont des formules, des imprimés.
Vous prenez l'imprimé et vous le mettez dans l'enveloppe.
M. ORHEL
.- Oui, c'est cela.
M. LE RAPPORTEUR
.- Pour ce qui est des étrangers qui ont fait
l'objet d'un refus antérieurement à la circulaire du
19 janvier 1998 relative à la majoration de l'aide au retour,
est-ce que vous les informez qu'il y a eu une telle majoration ou non ?
Appliquez-vous les anciens ou les nouveaux barèmes ?
M. AUSSENAC
.- Il n'y a pas eu d'information spécifique qui a
été faite vis-à-vis de ces personnes.
M. LE RAPPORTEUR
.- Le télégramme du ministère de
l'intérieur du 26 janvier 1998 vous enjoignant de ne pas
prendre d'arrêté préfectoral de reconduite à la
frontière avant le 24 avril 1998 a-t-il été
suivi d'autres instructions complémentaires ?
M. ORHEL
.- Non. Nous n'en avons pas eu connaissance.
M. LE RAPPORTEUR
.- Je pense que vous ne nous avez pas indiqué le
nombre de demandes d'aide au retour, Monsieur le Préfet.
M. ORHEL
.- Il y en a deux.
M. LE PRÉSIDENT
.- Le record est donc battu.
M. LE RAPPORTEUR
.- Comment expliquez-vous ce faible nombre de
demandes ? Avez-vous des recours gracieux ?
M. LE PRÉSIDENT
.- Comment expliquez-vous ce faible nombre ?
M. ORHEL
.- On parle bien de l'aide au retour.
M. LE PRÉSIDENT
.- Oui. Il y en a deux qui ont demandé
l'aide au retour.
M. ORHEL
.- Mais vous me parlez de recours...
M. LE RAPPORTEUR
.- C'était une question subsidiaire, une
explication. Je ne me fais pas l'avocat du diable.
M. LE PRÉSIDENT
.- Ne faites pas de pression intellectuelle sur
M. le Préfet...
(rires.)
Comment expliquez vous cela,
Monsieur le Préfet ? Vous avez bien dû vous donner une
réponse à vous-même.
M. ORHEL
.- Il y a peut-être une insuffisante information sur
l'accroissement du montant. Beaucoup de ceux qui ont été
destinataires de l'invitation à quitter le territoire ne connaissent que
l'ancien montant.
M. LE PRÉSIDENT
.- Vous pensez que c'est pour mille francs de plus
que cela pose problème ?
M. ORHEL
.- Il est vrai qu'on ne sait pas du tout quelle est
l'élasticité au prix de la demande, dans cette affaire. Je ne
sais pas à partir de quel montant on verrait en effet les demandes
croître.
M. LE PRÉSIDENT
.- Mais nous devons donner une explication dans
notre rapport, Monsieur le Préfet. Il faut donc bien qu'il y ait une
réponse à cette interrogation. Pourquoi l'aide au retour ne
marche-t-elle pas ? Je pose la question plus brutalement.
M. ORHEL
.- Je pense que les bénéficiaires potentiels n'ont
pas encore pris la mesure de ce que cela peut leur valoir, et je pense aussi
que leur motivation échappe, pour l'essentiel sans doute, à ce
à quoi s'adresse en eux ladite offre.
M. LE PRÉSIDENT
.- Vous ne pensez pas qu'il y a aussi la crainte
de se mettre dans un engrenage dans lequel ils ne veulent pas entrer parce
qu'ils ne veulent pas retourner chez eux ?
M. ORHEL
.- C'est un peu ce que je suggérais en disant que
c'était inadéquat à leur motivation.
M. LE PRÉSIDENT
.- C'est donc ce que vous vouliez suggérer.
M. CALDAGUES
.- J'avancerai une autre hypothèse, Monsieur le
Président. Ceux qui n'ont pas d'activité normale et
déclarée doivent bien avoir des moyens d'existence pour
subsister. Donc est-ce que, pour ceux-là, la somme proposée n'est
pas dérisoire ?
M. LE PRÉSIDENT
.- C'est à M. le Préfet qu'il
faut le demander.
M. CALDAGUES
.- Je me tourne vers lui.
M. LE PRÉSIDENT
.- Monsieur le Préfet, c'est vous qui
êtes interrogé là-dessus, mais vous n'êtes pas le
seul à qui la question est posée. En tout cas, il faudra bien
donner une réponse dans le rapport. Par conséquent, autant donner
une réponse circonstanciée, c'est-à-dire appuyée
sur la pratique des gens de terrain.
M. ORHEL
.- En la matière, comme vous le voyez bien, il s'agit
d'un constat statistique et je ne peux pas vous dire pourquoi les gens auxquels
on s'adresse n'y recourent pas. J'ai d'ailleurs suggéré que l'OMI
fasse un peu plus de démarchage à cet égard.
M. LE PRÉSIDENT
.- Vous suggérez donc qu'il y a une carence
d'information et une insuffisante animation.
M. ORHEL
.- Je n'ai aucune idée -je vous le dis simplement- de ce
que peut être le montant propre à satisfaire la demande en la
matière et, surtout, à faire que beaucoup de gens y recourraient.
M. LE PRÉSIDENT
.- Mais qu'est-ce qu'ont de particulier les deux
personnes qui ont accepté (on devrait d'ailleurs leur donner une
prime) ? Avez-vous regardé ces deux dossiers
spécifiques ? Ce sont des cas intéressants.
M. AUSSENAC
.- Le premier étranger -c'est d'ailleurs une femme-
qui a demandé le bénéfice de l'aide au retour est une
Malgache.
M. LE PRÉSIDENT
.- Elle était célibataire ?
M. AUSSENAC
.- Oui. Quant au deuxième, je n'ai pas de
précision.
M. LE RAPPORTEUR
.- Est-ce que vous n'avez pas l'impression que les
demandes viendront au tout dernier moment, quand ils verront qu'il n'y a plus
aucun recours, aucune possibilité ni quoi que ce soit ? A ce
moment-là, soit ils seront obligés de disparaître dans la
nature, soit ils demanderont l'aide au retour au dernier moment.
M. ORHEL
.- C'est possible, en effet. C'est une interprétation que
l'on peut donner. Psychologiquement, il est possible qu'ils attendent le
dernier moment, ce qui n'est pas la même chose qu'y renoncer
définitivement.
M. LE RAPPORTEUR
.- C'est aussi mon sentiment.
Une dernière question, Monsieur le Préfet. A l'expiration du
délai, vous aurez un certain nombre de personnes à
éloigner. Comment envisagez-vous concrètement de procéder
à l'éloignement de ces personnes ?
M. LE PRÉSIDENT
.- Combien en aurez-vous à éloigner,
en gros ?
M. ORHEL
.- 50 % de l'effectif, c'est-à-dire à peu
près 550.
M. LE PRÉSIDENT
.- Cela va faire une activité nouvelle.
M. ORHEL
.- Ce n'est pas énorme. Je peux vous dire en passant, car
cela fait partie des informations que je peux donner, que le taux
d'exécution des reconduites à la frontière, dans le
département du Nord, est relativement élevé, puisqu'il
dépasse 48 %. Maintenant, nous en sommes à environ 50 %.
M. LE RAPPORTEUR
.- Il y en a donc 52 % qui n'acceptent pas
d'être reconduits.
M. RAIFAUD
.- Pour différentes raisons.
M. ORHEL
.- Cela vient souvent du fait qu'on ne les retrouve pas...
M. RAIFAUD
.- ...ou parce qu'on n'a pas les pièces
d'identité.
M. LE PRÉSIDENT
.- Comment envisagez-vous, concrètement, de
vous y prendre pour reconduire ceux qui se sont affichés ?
M. ORHEL
.- Nous avons recours à une section d'éloignement
en liaison avec la DICCILEC, dont c'est spécialement la tâche,
pour reconduire les intéressés au gré des passages d'avion
pour lesquels des billets sont retenus. Je peux vous dire que cela se passe
quasiment tous les jours au départ de Lille.
M. LE PRÉSIDENT
.- Vous n'avez pas d'incidents ?
M. ORHEL
.- Au départ de Lille, non. Il arrive qu'il y en ait au
départ d'Orly ou de Roissy, mais au départ de Lille, que je
sache, on ne m'en a jamais signalé.
M. RAIFAUD
.- Finalement, c'est le droit commun. Des APRF seront pris et
si on ne les trouve pas, la décision restera peut-être quelque
temps sans exécution, mais s'ils sont pris, ici ou là, par la
police, bien évidemment, un " 35 bis " sera pris et
l'éloignement sera effectif. Simplement, cela ne se fera peut-être
pas dans une fournée immense de 550 personnes le même jour,
bien sûr.
M. LE RAPPORTEUR
.- Si je comprends bien, il reste 52 %, puisque
vous avez dit qu'il y avait 48 % d'éloignement...
M. ORHEL
.- Je vous parle du taux moyen sur plusieurs années. Ce
n'est pas lié à l'application de la circulaire du 24 juin.
M. LE RAPPORTEUR
.- C'est le taux sur plusieurs années. Cela fait
donc 52 % de cas pour lesquels on n'arrive pas à appliquer la
mesure d'éloignement. Est-ce que les services du ministère de
l'intérieur font des recherches pour retrouver ceux qui sont dans la
nature ou est-ce que cela se passe au cas par cas, le jour où ils
tombent sur un contrôle de police quelconque ? Ils ne sont pas
recherchés systématiquement ?
M. ORHEL
.- Si. Leurs noms sont signalés à tous les postes
de frontière, dans les commissariats de police, etc. et, au gré
des contrôles auxquels on peut procéder, on retrouve certains de
ceux qui sont recherchés. C'est à l'occasion de la diffusion que
l'on fait de leur identification qu'on les retrouve.
M. LE RAPPORTEUR
.- Mais ce n'est pas systématique. On n'essaie
pas de voir où ils se trouvent pas rapport à leur dernier
domicile connu et où ils sont allés. Il n'y a pas de recherche
systématique.
M. ORHEL
.- C'est arrivé, mais ce n'est pas systématique,
en effet.
M. LE RAPPORTEUR
.- D'accord. J'en ai terminé, Monsieur le
Président.
M. LE PRÉSIDENT
.- M. Caldaguès a demandé la
parole.
M. CALDAGUES
.- Monsieur le Préfet, pour les reconduites à
la frontière, les billets d'avions sont-ils financés par un
système centralisé ou déconcentré ? S'il est
déconcentré, est-ce un crédit délégué
ou un droit de tirage et quel en est le montant pour votre
département ?
M. ORHEL
.- Je vais demander au directeur de vous expliquer exactement
comment il obtient les billets d'avion.
M. AUSSENAC
.- Je ne suis pas en mesure, à l'instant, de vous
donner des indications sur le montant du coût, en titres de transport,
des reconduites de ces personnes. Je n'ai pas d'éléments
chiffrés.
M. CALDAGUES
.- On ne sait pas de quels moyens on dispose ?
M. ORHEL
.- Ce n'est pas la question. Il s'agit de savoir comment on les
obtient. Est-ce déconcentré ou non ?
M. AUSSENAC
.- La gestion financière même n'est pas
déconcentrée.
M. ORHEL
.- Autrement dit, les factures sont envoyées au
ministère. Mais qui fait la démarche pour obtenir le
billet ?
M. AUSSENAC
.- C'est nous. C'est le service d'éloignement qui fait
la démarche pour obtenir les billets.
M. CALDAGUES
.- Et il envoie la facture au ministère ad
libitum ?
M. LE PRÉSIDENT
.- Quand le ministère n'a plus de
crédits, il a des dettes. Les factures de téléphone du
ministère de l'intérieur sont restées trois ans sans
être payées.
M. CALDAGUES
.- Il serait intéressant de connaître le
degré d'optimisme du ministère quant au taux réalisable de
reconduites à la frontière.
M. LE PRÉSIDENT
.- C'est effectivement une question que l'on
pourra poser au ministère. Je vous prie de le noter. La parole est
à M. Allouche.
M. ALLOUCHE
.- Merci, Monsieur le Président. Monsieur le
Préfet, vous êtes préfet d'une région qui a connu
des événements assez spécifiques puisque, avant même
qu'une opération de régularisation se mette en place, vous avez
dû affronter, dès la fin de 1996, une affaire de "sans papiers"
avec une importante grève de la faim qui a, je pense, conduit
près d'une centaine de personnes à entamer une grève de la
faim et qui a duré plusieurs semaines.
Je pense que, de façon concise, il serait bon que vous informiez la
commission d'enquête de ce que vous avez vécu et de la
manière dont cette question a été traitée.
La deuxième question que je vous pose, comme je l'ai fait à votre
prédécesseur, est la suivante : avant même de tirer
les conclusions définitives de cette opération, puisque la date
approche et que, dans quelques semaines, les délais seront forclos,
pouvez-vous nous dire quels sont les premiers enseignements que vous pouvez
retenir de cette opération de régularisation ?
M. ORHEL
.- Monsieur le Sénateur, vous faites
référence au fait que le département du Nord, d'une
façon -je crois pouvoir le dire- exceptionnelle quant à ce que
l'ensemble des départements français a connu, a eu sur son
territoire quatre grèves de la faim successives. La première a
duré 19 jours, la seconde 27 jours, la troisième
63 jours et la dernière en date, 72 jours.
J'en parle de façon évidemment très résumée
alors que -vous vous en doutez-, l'expérience qu'elle comporte pour un
préfet pourrait inspirer de longs développements que je vous
épargnerai. De façon résumée, je peux vous dire que
la première, qui s'est terminée en juin 1996, concernait
très spécifiquement les parents étrangers d'enfants
français, dont il faut bien dire qu'ils étaient de la
catégorie que l'on appelait à cette époque encore des "non
régularisables et non reconduisibles", en ce sens qu'on n'avait pas le
droit de reconduire à la frontière ces personnes du fait qu'elles
étaient les parents d'enfants français.
Il y a eu une difficulté très spécifique à leur
sujet pour sortir de la situation que la grève avait pour objet de faire
valoir, c'était que le titre qui les concernait et que l'on pouvait
délivrer ne comportait pas l'autorisation de travailler. Ils se
trouvaient donc être les parents d'enfants citoyens français, dont
il fallait assurer à la fois la survie et, éventuellement,
l'éducation, sans que la garantie propre à tout citoyen de la
ressource économique minimum pût leur être apportée
puisque, encore une fois, ils n'avaient pas le droit de travailler.
Il y a eu la délivrance de titres emportant le droit de travailler qui a
été ensuite avalisée par la loi Debré et, plus
tard, par la circulaire Chevènement. C'était la première
grève de la faim, et je pourrai vous en donner évidemment plus de
détails.
La deuxième a duré 27 jours, elle a concerné
31 personnes et elle visait spécifiquement des cas qui, par les
instigateurs et organisateurs de la grève, étaient
considérés comme prioritaires. Les 201 cas ainsi
signalés étaient finalement de composition diverse, puisqu'il y
avait là des déboutés du droit d'asile, quelques parents
étrangers d'enfants français, des conjoints de Français ou
d'étrangers en situation régulière, des étudiants
et des parents d'enfants nés en France, les nationalités
concernées se situant majoritairement parmi celles de l'Afrique noire
francophone et du Maghreb.
L'examen des dossiers auquel il a été évidemment
procédé a été assorti (cela a été le
moyen d'obtenir la cessation de la grève) d'un moratoire accordé
quant à l'exécution des mesures administratives de reconduite
à la frontière, là où elles ont été
prises. Quelques régularisations sont intervenues parmi ces
grévistes.
La troisième grève de la faim a débuté le
13 janvier 1997 et a cessé le 16 mars 1997. Elle a
donc duré 63 jours. Elle a été, du fait même de
sa durée -vous vous en doutez aisément- accompagnée d'une
certaine tension dans l'opinion et d'une certaine émotion chez tous ceux
qui avaient quelques raisons de suivre de près son déroulement,
notamment le corps médical, que j'ai consulté avant de
procéder à une évacuation qui était strictement
sanitaire (j'en avais d'avance fourni la garantie quant à sa
qualité, par le fait que ceux qui ont procédé à
cette évacuation appartenaient au SAMU). Cette évacuation a
été nécessitée par l'obligation de voir de
près l'état de santé de chacun au prix d'un bilan de
santé tel que seuls les locaux d'un hôpital le permettaient et non
pas le lieu même de la grève.
La promesse que j'avais faite et tenant à ce que, une fois ce bilan de
santé accompli, les intéressés pourraient repartir, a
été bien entendu tenue. Trois d'entre eux sont restés en
séjour à l'hôpital, ce qui démontrait bien la
nécessité qu'ils s'y rendissent.
Voilà pour ce qui est de la troisième grève de la faim.
Cette hospitalisation d'office a mis à peu près un terme à
cette grève, encore que les intéressés se soient ensuite
regroupés dans le lieu qu'ils avaient quitté quelque temps avant
pour ladite hospitalisation. Il y a eu l'examen de 80 dossiers et quelques
régularisations.
La quatrième grève, la plus récente, a commencé le
17 octobre 1997, s'est achevée le 23 janvier 1998 et
a duré 72 jours. Elle concernait 18 personnes, dont aucune
n'avait participé aux actions antérieures. Il s'agissait cette
fois d'étrangers célibataires qui étaient des
déboutés du droit d'asile, pour certains, ou demandeurs de
l'asile territorial et relevant de la procédure permettant aux
étrangers d'invoquer un risque en cas de retour dans leur pays. Ils
venaient du Maghreb, pour une part, et il y avait aussi 10 ressortissants
d'Afrique noire, dont 6 Sénégalais.
J'indique qu'au gré du déroulement de cette grève de la
faim, la situation de départ, qui était spécifiquement
celle de la revendication d'obtenir le droit d'asile ou l'asile territorial, a
évolué vers une revendication générale de
régularisation de tous les "sans papiers". L'un de ces grévistes
a été hospitalisé d'office et les régularisations
qui ont pu être accordées l'ont été après
accord et avis de la Direction des libertés publiques et de l'action
judiciaire (DLPAJ) du ministère de l'intérieur.
Actuellement, au moment où je vous parle, il n'y a plus (il est inutile
de vous dire que je souhaite évidemment que l'avenir continue à
me donner raison) de grève de la faim. Il est vrai qu'il y a encore un
comité des "sans papiers", dont je dois dire qu'il fédère
des gens et des organismes dont les positions ne sont pas -et de loin-
identiquement les mêmes. Autrement dit -et j'en profite pour le dire-, il
était tout à fait essentiel que le dialogue, la conversation,
l'échange ne concernât jamais le comité des "sans papiers"
comme tel mais éventuellement des éléments qui s'y
trouvaient et qui n'avaient pas la revendication impossible d'une
régularisation pour tous.
Voilà ce que je peux dire en réponse.
M. ALLOUCHE
.- Eventuellement, quel enseignement pouvez-vous en
tirer ?
M. ORHEL
.- Vous voulez parler de l'expérience que je viens
d'évoquer ou de la procédure de façon
générale ?
M. ALLOUCHE
.- Je parle de façon générale.
M. LE PRÉSIDENT
.- En ce qui concerne l'application de la
circulaire, le renforcement de votre direction des étrangers et
l'approche du problème, avez-vous quelque chose à dire ?
Avez-vous quelques enseignements à en tirer ?
M. ORHEL
.- Je pense qu'il y a à dire qu'il s'agit là,
à l'évidence, d'un problème dont le praticien, tel que
l'est plus ou moins un préfet et tel que le sont ses collaborateurs,
doit sans cesse l'appréhender sans oublier les deux aspects majeurs
qu'il comporte, c'est-à-dire l'aspect macro-statistique, qui
relève des données essentielles de la démographie
française, et l'aspect humain, qui est celui des situations
individuelles. C'est pourquoi la position que je rappelais tout à
l'heure en commençant et qui est celle du Conseil d'Etat constitue un
très bon éclairage sur la situation, dont je suis heureux qu'elle
trouve un relais dans des prescriptions détaillées telles qu'on
peut en avoir besoin pour se décider au cas par cas.
Il s'agit toujours d'éviter que telle ou telle situation personnelle et
humainement forte ainsi que la solution favorable qu'on peut lui donner n'en
viennent à couvrir toute une catégorie qui, quant à elle,
ne serait pas susceptible de relever de la même solution favorable.
Autrement dit -et c'est toute la difficulté-, en traitant les situations
individuelles, il ne faut pas perdre de vue la nécessité de ce
qu'elles ne donnent pas lieu à des extrapolations qui risqueraient de
ressembler très vite à des dérives.
M. LE RAPPORTEUR
.- Un cas concret, Monsieur le Préfet : sur
les derniers grévistes de la faim, vous nous avez indiqué qu'il
n'y avait pratiquement exclusivement que des Algériens et des
Sénégalais, dont beaucoup vous demandaient le droit d'asile.
M. ORHEL
.- Excusez-moi, Monsieur le Rapporteur. J'ai omis de dire qu'il
y avait aussi des Laotiens, et plus précisément des Laotiennes.
M. LE RAPPORTEUR
.- Certains motivaient leur demande par le fait qu'ils
pouvaient bénéficier du droit d'asile. Or vous nous avez
indiqué, si mes souvenirs sont exacts que, là-dessus, vous avez
pu en régulariser deux ou trois.
M. ORHEL
.- Nous avons pu en régulariser neuf.
M. LE RAPPORTEUR
.- Quels critères avez-vous adoptés pour
les régulariser ?
M. ORHEL
.- En me référant à ce que je viens de
dire, c'était au prix de l'examen détaillé des situations
personnelles, en liaison, comme je l'ai dit, avec la DLPAJ. C'était donc
le critère "Ramfis"*. En fait, c'est un nom que l'on utilise et non pas
un critère ; c'est plutôt un éclairage. Dans l'autre
cas, il s'agissait aussi d'un problème de sécurité vital
pour les intéressés. Je pense que c'était essentiellement
cela.
M. HYEST
.- Monsieur le Préfet, vous ne nous avez pas donné
les nationalités d'origine des demandeurs. Cela doit être
très divers selon les départements. Ensuite, je
compléterai ma question en fonction de votre réponse.
M. ORHEL
.- La répartition par nationalité des demandeurs,
c'est-à-dire de tous ceux qui ont écrit (le chiffre initial est
de 2 637) se répartit ainsi :
Algériens : 905, Marocains : 518,
Zaïrois : 251, Laotiens : 103,
Camerounais : 96, Sénégalais : 83,
Congolais : 81, Guinéens : 75, Turcs : 50,
Ivoiriens : 37. Cela fait un total de
2 199 résultant du recensement des nationalités
représentées de façon significative. La différence
concerne des nationalités à très faible
représentation.
M. LE RAPPORTEUR
.- Les Kurdes sont-ils parmi les 50 Turcs ?
M. ORHEL
.- Je ne sais pas si on a identifié les Kurdes comme
tels. On ne l'a pas fait.
Dans la salle
.- C'est une chance sur trois, de toute façon.
M. ORHEL
.- Oui. C'est à peu près cela.
M. HYEST
.- Il n'y a pas d'originaires des pays de l'ancienne Europe de
l'Est ?
M. ORHEL
.- Je vois ce que vous avez à l'esprit. Dans certains
départements, il y a beaucoup de Roumains, mais nous n'en avons pour
ainsi dire pas dans le Nord.
M. HYEST
.- Je suppose que le nombre de Zaïrois est lié
à la proximité de la Belgique.
M. ORHEL
.- Oui, c'est sûr.
M. LE PRÉSIDENT
.- Plus de questions, mes chers
collègues ? Je vous en poserai pour ma part deux, Monsieur le
Préfet. Tout d'abord, combien avez-vous eu de recours gracieux ou
contentieux ?
M. AUSSENAC
.- Le recours gracieux est quasiment systématique
contre les décisions de refus. Aujourd'hui, seulement une petite dizaine
de recours gracieux qui sont actuellement en cours d'examen apportent des
éléments qui peuvent justifier une réouverture du dossier.
Les autres recours gracieux n'apportent rien de plus par rapport aux
éléments que nous avions, l'intéressé se bornant
purement et simplement soit à rappeler des faits qu'il avait
déjà évoqués, soit à demander une
révision de la décision prise à son encontre.
Par ailleurs, nous avons actuellement trois recours contentieux.
M. LE RAPPORTEUR
.- Quelle est la motivation ? Le droit
d'asile ?
M. AUSSENAC
.- Ce sont souvent des gens qui prétendent craindre
pour leur vie en cas de retour dans leur pays ou qui font état de liens
qu'ils ont ou qu'ils auraient tissés sur le territoire.
M. LE PRÉSIDENT
.- Sur les trois, il y en a certainement
déjà deux comme cela.
M. LE RAPPORTEUR
.- Pour ceux qui font état d'une crainte du
retour, est-ce que ce sont généralement des
Algériens ?
M. AUSSENAC
.- Oui, mais ce sont également des Africains.
M. LE PRÉSIDENT
.- Mais il n'y a que trois recours contentieux.
M. AUSSENAC
.- Je pensais que la question de M. le Rapporteur
concernait l'ensemble des recours.
M. LE RAPPORTEUR
.- Tout à fait.
M. AUSSENAC
.- Donc c'est essentiellement ce que je vous ai
indiqué : les craintes d'un retour dans le pays et les liens qui
auraient été tissés.
M. LE RAPPORTEUR
.- Le tribunal administratif, chez vous, a-t-il
déjà statué en ce qui concerne le droit d'asile ou la
menace de retour ?
M. AUSSENAC
.- Dans le cadre de la circulaire, non.
M. LE RAPPORTEUR
.- Et dans le cadre de l'ordonnance ?
M. AUSSENAC
.- Dans le cadre de l'ordonnance, je n'ai pas de
jurisprudence récente.
M. LE PRÉSIDENT
.- Comme à Nice ?
M. AUSSENAC
.- Non, pas comme à Nice.
M. LE PRÉSIDENT
.- La deuxième question que je souhaite
vous poser, Monsieur le Préfet, concerne les associations. Les
associations sont présentes ; c'est leur rôle. Ont-elles
apporté quelque chose de positif dans l'analyse de ces dossiers ou
ont-elles, au contraire, gêné quelquefois la
procédure ?
M. ORHEL
.- J'y ai fait tout à l'heure une rapide allusion,
Monsieur le Président, et j'y reviens volontiers. Le comité des
"sans papiers" -puisque tel est le nom qu'il se donne- est en effet
constitué d'associations qui, quant à elles, ont, à titre
individuel, c'est-à-dire en tant qu'associations distinctes, des
comportements et des conditions de collaboration très différents.
Certaines d'entre elles ont parfaitement admis qu'au fond, autant leur vocation
était de s'informer et de soutenir le cas des personnes qu'elles
estimaient devoir soutenir, autant le rôle de l'administration
était de leur expliquer ce qu'il en était de la condition
réelle de l'intéressé et de la solution que l'on pouvait
apporter aux problèmes exposés.
Autrement dit, il y a des associations avec lesquelles -je suis heureux de le
dire- le dialogue a été fructueux, mais je ne le dis pas de
toutes. Je le dis de certaines qui composaient le comité des "sans
papiers", ce comité comme tel ayant, depuis lors, comme je vous l'ai
déjà dit, retenu un peu trop facilement une seule revendication
qui est la régularisation pour tous.
M. LE PRÉSIDENT
.- Dans ce comité des "sans papiers",
combien d'associations avez-vous ?
M. ORHEL
.- Six ou sept.
M. LE PRÉSIDENT
.- Quelles sont les associations majeures ou
principales ?
M. ORHEL
.- La Ligue des droits de l'homme, le MRAP, la LICRA, la CIMADE
et des associations qui sont plus d'essence locale. Il y a aussi la Pastorale
des migrants.
M. LE PRÉSIDENT
.- Est-ce que vous avez vu personnellement les
présidents de ces associations ?
M. ORHEL
.- Oui, fréquemment.
M. LE PRÉSIDENT
.- M. le Directeur de l'OMI nous a dit ici qu'une
tâche nouvelle s'imposait aux pouvoirs publics : le fait de faire
admettre aux associations qu'elles avaient aussi un rôle d'explication
quant à la nécessité du retour pour les demandeurs qui
n'avaient pas de droit à rester en France. Est-ce que, dans vos contacts
avec ces associations, ou tout au moins avec les associations majeures, vous
avez perçu que cette nouvelle dimension de leur mission leur
apparaissait en plein jour ?
M. ORHEL
.- Inégalement, bien sûr, selon les cas. Il y a
aussi des associations auxquelles ce rôle apparaît sans qu'elles
révèlent elles-mêmes que c'est le cas. Je veux dire par
là qu'elles ne l'avouent pas toutes. Cela dit, je pense
réellement (j'ai eu l'occasion de m'en entretenir avec le directeur de
l'OMI) qu'il y a en effet la possibilité d'espérer un certain
concours de quelques associations dans ce domaine. J'ajouterai même que
j'avais suggéré que l'on associât les associations à
la mission d'aide au retour et à la nécessité d'expliquer
les avantages, les conditions d'utilisation, les modalités et
l'intérêt que présentait l'aide au retour.
M
. LE RAPPORTEUR
.- J'ajoute un point à ce que vient de dire le
Président. Comme vous le savez, Monsieur le Préfet, en vertu de
conventions particulières avec certains pays africains, notamment
d'anciens pays qui étaient sous le protectorat ou la domination
française, il est prévu des aides au retour ponctuelles, par
exemple en vue de la création d'un fonds artisanal. Il est certain que
les associations peuvent avoir une pédagogie à réaliser
à cet égard.
M. LE PRÉSIDENT
.- Mes chers collègues, si je comprends
bien, il n'y a pas d'autres questions, sachant qu'il doit être
17 heures.
Il me reste, Monsieur le Préfet, à vous remercier, ainsi que vos
collaborateurs, de la qualité de votre prestation, de votre
disponibilité et du temps que vous avez bien voulu nous consacrer, en
vous priant de nous excuser de vous avoir imposé ce déplacement.
Il était bon, pour nous, de vous entendre en formation
plénière. Je me fais l'interprète de tout le monde pour
vous dire que nous avons apprécié la transparence de vos propos
et les conditions dans lesquelles vous avez satisfait à votre serment.
M. ORHEL
.- Merci infiniment, Monsieur le Président, Madame et
Messieurs les Sénateurs.
M. LE PRÉSIDENT
.- La séance est suspendue cinq minutes
pour accueillir le préfet de Seine-Saint-Denis.
M. BERNARD BOUCAULT,
PRÉFET DE LA
SEINE-SAINT-DENIS
JEUDI 2 AVRIL 1998
M. LE
PRÉSIDENT
.- La séance est reprise.
Nous devons vous entendre sous la foi du serment.
(M. le Président donne lecture des dispositions de l'article 6
de l'ordonnance du 17 novembre 1958 ; M. Bernard Boucault
prête serment).
M. LE PRÉSIDENT
.- Je vais demander à M. le Rapporteur
de bien vouloir vous poser les questions nécessaires à
l'évaluation de la situation à quelques semaines de la fin de
notre commission d'enquête.
M. LE RAPPORTEUR
.- Monsieur le Préfet, je voudrais tout d'abord
vous remercier de l'accueil que vous nous avez réservés dans la
préfecture de votre département, tant à moi-même
qu'aux membres de la commission qui étaient présents. Je dois
dire d'ailleurs -et c'est l'avis unanime de la commission- que nous avons
remarqué la grande qualité non seulement des préfets mais
des fonctionnaires préfectoraux qui s'occupent de ce problème,
leur grande conscience professionnelle et leur sens élevé de
l'Etat. Je tenais à le souligner, et M. le Président partage
d'ailleurs largement mon point de vue sur cette question.
M. LE PRÉSIDENT
.- Depuis longtemps, Monsieur le Rapporteur.
M. LE RAPPORTEUR
.- Oui, puisque vous êtes un spécialiste
préfectoral, si je puis dire.
Monsieur le Préfet, nous allons vous poser une série de questions.
Tout d'abord, pouvez-vous nous indiquer la date prévisionnelle de fin de
l'opération de régularisation dans votre département ?
M. BOUCAULT
.- Monsieur le Sénateur, conformément aux
instructions du ministre de l'intérieur, tous les dossiers auront
été instruits et auront fait l'objet d'une décision avant
le 30 avril. Bien évidemment, l'opération ne
s'arrêtera pas là, puisqu'il y aura d'abord une tâche
d'édition de certaines cartes qui devront être faites, le
renouvellement des premières CST délivrées l'année
dernière et le traitement des recours gracieux, hiérarchiques ou
contentieux, mais, le 30 avril, tous les dossiers auront fait l'objet
d'une décision.
M. LE PRÉSIDENT
.- C'est-à-dire que vous n'aurez pas de
nouveaux dossiers qui seraient susceptibles d'être examinés ?
M. BOUCAULT
.- C'est cela même, Monsieur le Président.
M. LE RAPPORTEUR
.- Pouvez-vous nous donner les statistiques, les
dossiers que vous avez déjà examinés à ce jour, les
admissions et les refus ?
M. BOUCAULT
.- Le bilan est aujourd'hui le suivant. Nous avions
reçu -et ce nombre n'a pas changé- 39 003 demandes mais, en
réalité, nous allons traiter un peu moins de
25 000 dossiers (je le saurai vraiment le 30 avril). Les
véritables dossiers sont donc au nombre de 25 000.
Pourquoi cet écart entre les 39 003 et les
25 000 environ ? Tout d'abord, il y a 3 510 doublons,
pour des raisons qui tiennent au fait qu'un certain nombre d'étrangers
ont écrit plusieurs fois et que le système d'enregistrement
immédiat et d'édition d'une convocation automatique par un
système de traitement a fait qu'un même dossier a pu faire l'objet
de plusieurs enregistrements.
Il y a eu environ un millier (ce sont plus des évaluations) de
convocations qui sont revenues avec la mention "
n'habite pas à
l'adresse indiquée"
et quelques centaines de cas qui étaient
des cartes de séjour de plein droit qui ont été
réorientées vers les bureaux compétents de la direction.
Enfin, il y a moins de 10 000 non-réponses aux convocations,
qui ont pourtant été doublées puisque, avant de classer un
dossier, nous envoyons deux convocations. Il y a donc eu près de
10 000 personnes qui ont fait une demande et qui n'ont pas
répondu aux convocations. C'est une évaluation.
Autant nous avons calculé les doublons à l'unité et c'est
un chiffre sûr, autant, pour les non-réponses, nous aurons le
chiffre définitif le 30 avril puisque des convocations sont encore
en route. Cela dit, c'est un ordre de grandeur qui ne devrait plus bouger
beaucoup maintenant.
Quant à la raison de cette non-réponse aux convocations, on peut
simplement émettre des hypothèses. Est-ce que ce sont des
personnes qui ont déposé plusieurs dossiers dans plusieurs
préfectures ? Est-ce que ce sont des personnes qui ont cru que la
régularisation était générale et qui, constatant
qu'il y avait des conditions à remplir, se sont dit qu'il n'était
pas nécessaire de répondre aux convocations du
préfet ? Ce sont des hypothèses. Il y a sans doute plusieurs
causes qui expliquent ce nombre relativement important de non-réponses.
Hier soir, nous avions traité 21 173 dossiers, et les
3 500 à 4 000 restants feront l'objet d'une
décision avant fin avril, comme je l'ai indiqué.
Sur ces 21 173 dossiers, 12 205 ont fait l'objet d'un rejet, soit
57,6 %, et 8 968 ont fait l'objet d'une décision
favorable, soit 42,3 %.
Je peux vous donner des éléments sur la répartition. Tout
d'abord, on peut dire que les demandeurs appartiennent à
91 nationalités, mais évidemment, plusieurs pays n'ont qu'un
seul ressortissant.
M. LE RAPPORTEUR
.- Vous pourrez nous laisser les documents ?
M. BOUCAULT
.- Oui. Près de 50 % des demandeurs appartiennent
à cinq pays : dans l'ordre, le Mali, l'Algérie, le Maroc, le
Zaïre et la Chine.
Si l'on regarde la répartition par catégorie -je crois que c'est
une spécificité de la Seine-Saint-Denis-, on constate que
48 % des demandeurs appartiennent à la catégorie 1.6,
c'est-à-dire les étrangers sans charge de famille, ce que l'on
appelait les célibataires. La catégorie la plus
représentée est ensuite la catégorie 1-4-2, celle des
parents d'enfants de moins de 16 ans nés en France, qui
représentent 20 % des demandes. La troisième
catégorie est la catégorie 1.2 de la circulaire,
c'est-à-dire celle des conjoints d'étrangers en situation
régulière, qui représente 13 % des demandes.
A travers ces trois catégories, comme vous le voyez, on regroupe plus de
80 % des demandes.
Quant au partage entre les décisions favorables et défavorables,
selon ces catégories (là encore, vous aurez le détail,
mais je peux vous donner deux ou trois indications importantes qui expliquent
qu'en Seine-Saint-Denis, le taux des décisions accueillies favorablement
est inférieur à la moitié), en ce qui concerne la
catégorie 1.6, celle des célibataires, il n'y a eu que 5 %
de régularisations et 95 % de rejets.
En revanche, les situations familiales ont fait l'objet très
majoritairement de décisions favorables. Si je reprends l'exemple de la
catégorie 1.4.2, qui concerne les parents d'enfants de moins de
16 ans nés en France, les dossiers ont été accueillis
favorablement à raison de 80 % d'entre deux. Pour ce qui est de la
catégorie 1.2, celle des conjoints d'étrangers en situation
régulière, 83 % des dossiers ont fait l'objet d'une
décision favorable.
M. LE RAPPORTEUR
.- Je vous remercie. Monsieur le Préfet,
M. Galabert est venu vous rendre visite deux fois, si mes souvenirs sont
exactes. Est-ce que tant M. Galabert que l'Inspection
générale de l'administration dans votre département ont
rédigé des rapports et ces rapports vous ont-ils
été communiqués ?
M BOUCAULT
.- M. Galabert est venu à deux reprises à
Bobigny et nous avons été en contact avec lui, soit
téléphoniquement, soit par écrit. Nous avons abordé
avec M. Galabert des problèmes d'application qui ont pu faire
l'objet, parallèlement, de lettres au ministère de
l'intérieur mais que nous avons précisés et
développés avec lui, et puis nous avons évoqué des
dossiers particuliers dont il avait été saisi. Je n'ai pas eu
connaissance de rapports écrits de M. Galabert.
Nous avons eu effectivement des visites de l'Inspection générale
de l'administration, qui a fait un rapport dont j'ai eu connaissance.
M. LE RAPPORTEUR
.- Je vous remercie. Pouvez-vous nous indiquer le
coût global de l'opération de régularisation dans votre
département ?
M. BOUCAULT
.- Je n'ai pas la valorisation en heures de fonctionnaires,
mais je pourrai vous la communiquer.
Tout d'abord, en ce qui concerne les moyens matériels,
c'est-à-dire l'aménagement des bureaux et des salles d'attente,
l'équipement informatique était très important, puisque le
parti qui a été pris dès le début de
l'opération a été d'avoir un système de traitement
automatisé des demandes, de messagerie et de développement des
terminaux de l'application AGDREF. Tout cela a coûté
1 600 000 francs qui nous ont été compensés
par le ministère de l'intérieur.
En ce qui concerne les moyens en personnel, nous avons disposé,
d'août à décembre 1997, en moyenne par mois, de
50 vacataires et, de janvier à avril 1998, de
69 vacataires auxquels il faut ajouter les 18 vacataires mis à
disposition par l'OMI et la vingtaine de membres du personnel du cadre national
des préfectures qui ont été redéployés au
sein de la direction des étrangers et affectés à cette
tâche.
M. LE RAPPORTEUR
.- Vous n'avez pas eu de difficultés
particulières en ce qui concerne le renouvellement des vacataires ?
M. BOUCAULT
.- Je dois dire d'abord que j'ai toujours obtenu les moyens
que j'ai demandés au ministère de l'intérieur, sachant que
je ne pouvais pas en demander plus, notamment en moyens de personnel, parce
qu'il était nécessaire de conserver une qualité
d'encadrement qui assure la qualité de l'accueil des personnes à
l'examen des dossiers.
En ce qui concerne les vacataires, nous avions effectivement une
inquiétude -je ne le cacherai pas- au début de
l'opération, compte tenu du fait qu'ils doivent être
renouvelés tous les trois mois. Nous avons eu plusieurs équipes
qui se sont succédées, mais je dois dire avec le recul (c'est un
constat qui a été fait par les personnels de la direction de
l'étranger) que nous avons eu des jeunes garçons et des jeunes
filles qui se sont mis très rapidement dans ces dossiers et qui nous ont
donné beaucoup de satisfaction. Il y a eu toujours une semaine de mise
en route des nouvelles équipes, mais nous avons été
très contents de la qualité de la collaboration apportée
par ces vacataires.
M. LE RAPPORTEUR
.- Avez-vous reçu une consigne
particulière permettant d'assurer une certaine continuité entre
la circulaire et les dispositions du nouveau texte qui est en cours
d'élaboration devant le Parlement ?
M. BOUCAULT
.- Le seul cas pour lequel nous avons dû assurer
l'articulation entre la circulaire et le projet de loi qui est en cours de
discussion au Parlement, ce sont les étrangers en situation
irrégulière depuis quinze ans, puisque ce délai a
été abaissé à dix ans par le texte en discussion.
Nous avons mis de côté ces cas, qui ne représentent que
quelques dizaines et non pas de très gros bataillons, pour régler
leur situation au regard de la nouvelle loi.
M. LE RAPPORTEUR
.- Je vous remercie. Combien d'invitations à
quitter le territoire avez-vous transmises à l'Office des migrations
internationales ?
M. BOUCAULT
.- Nous transmettons toutes les invitations à quitter
le territoire à l'Office des migrations internationales. Nous les
transmettons en fin de semaine, par paquet, pour éviter des envois
à chaque fois.
M. LE PRÉSIDENT
.- Combien y en a-t-il, à peu
près ?
M. BOUCAULT
.- Depuis la mise en oeuvre de la circulaire du
19 janvier ?
M. LE RAPPORTEUR
.- Je vois que vous avez eu 12 205 rejets.
M. BOUCAULT
.- Oui, mais on ne le fait que depuis la circulaire du
19 janvier. Je ne peux donc pas vous dire combien de notifications ont
été faites depuis le 20 janvier. Je pourrai vous le
préciser par écrit, Monsieur le Sénateur.
M. LE RAPPORTEUR
.- Vous me le communiquerez par écrit. Je vous en
remercie.
Depuis la circulaire du 19 janvier 1998, avez-vous communiqué
à toutes les personnes non régularisées les dispositions
concernant la majoration de l'aide au retour ?
M. BOUCAULT
.- Effectivement, comme vous le savez, l'OMI a
édité un petit dépliant qui est rédigé en
trois langues (le français, l'anglais et l'arabe) et qui est joint
à toutes les lettres de rejet qui valent invitation à quitter la
France.
M. LE RAPPORTEUR
.- Est-ce que vous l'avez envoyé à ceux
qui avaient été rejetés avant la parution de la circulaire
du 19 janvier 1998 ?
M. BOUCAULT
.- Nous ne l'avons pas fait. Il y a des affiches qui sont
disposées dans les lieux d'accueil du public, mais nous n'avons pas fait
d'information particulière.
M. LE RAPPORTEUR
.- Nous avons le document.
M. BAUCAULT
.- L'OMI nous l'a remis mi-février.
M. LE RAPPORTEUR
.- Le 26 janvier 1998, vous avez eu un
télégramme du ministère de l'intérieur vous
enjoignant de ne pas prendre d'arrêté préfectoral de
reconduite à la frontière avant le 24 avril 1998.
Avez-vous eu d'autres instructions complémentaires ?
M. BOUCAULT
.- Non. Nous n'en avons pas eu. Nous n'avions d'ailleurs pas
pris d'APRF. Nous n'en avons pas pris à ce jour et nous attendons
effectivement le 24 avril pour entrer dans cette nouvelle phase de la
procédure.
M. LE RAPPORTEUR
.- Pouvez-vous nous indiquer le nombre de demandes
d'aide au retour que vous avez eues avant le 19 janvier 1998 et
après ?
M. BOUCAULT
.- Avant le 19 janvier 1998, nous n'en avions pas.
Depuis, l'OMI nous a communiqué ses chiffres concernant la
Seine-Saint-Denis. Il a reçu 49 demandes concernant le
département, dont 12 ont été réalisées
et ont donc déjà bénéficié de ces aides au
retour et 32 sont programmées.
M. LE RAPPORTEUR
.- Douze ont fait l'objet d'un retour chez eux ?
M. BOUCAULT
.- Oui, et 32 sont programmées.
M. LE RAPPORTEUR
.- Comment expliquez-vous ce faible nombre de demandes
d'aide au retour ? Il est certain que 49 demandes sur un tel nombre
de rejets, ce n'est pas très important. Pensez-vous que vous allez en
avoir d'autres de façon significative dans quelques jours ou que leurs
desiderata ne correspondent pas tout à fait et qu'ils veulent avant tout
rester là ?
M. BOUCAULT
.- Tout d'abord, il y a un nombre important de personnes qui
n'ont pas été sans doute suffisamment informées de cette
possibilité, notamment celles qui ont reçu des décisions
avant la mi-février. Ces personnes n'ont pas eu la même
facilité pour faire appel à cette aide. Quant aux autres, il faut
peut-être effectivement un certain temps avant que l'information passe.
On peut espérer que l'on aura un nombre plus important à la fin
du dispositif.
M. LE PRÉSIDENT
.- Pensez-vous que cela va marcher ?
M. BOUCAULT
.- En tout cas, nous essayons de faire l'information pour que
les étrangers aient connaissance de cette aide. Ensuite, c'est à
eux de prendre la décision.
M. LE PRÉSIDENT
.- Oui, mais est-ce à l'OMI de faire
l'information ou à vous ?
M. BOUCAULT
.- Nous faisons cette information en notifiant les
décisions de rejet et, ensuite, c'est l'OMI qui fait de l'information,
bien sûr, puisque c'est lui-même qui gère cette aide et qui
la finance.
M. LE RAPPORTEUR
.- Certains ont-ils été mis au courant
qu'il y avait des conventions particulières entre la France et certains
pays africains, notamment d'anciennes possessions françaises, dans
lesquels l'aide au retour est complétée par des aides à
l'installation, par exemple, d'entreprises artisanales dans le pays ?
Est-ce que les gens ont eu connaissance de cette aide
complémentaire ?
M. BOUCAULT
.- Ils n'en ont pas eu connaissance de façon
systématique par nous, mais un dépliant assez précis sur
ce type d'aide a effectivement été édité
également par l'OMI et il appartient donc à l'OMI d'en faire la
diffusion et la publicité.
M. LE RAPPORTEUR
.- Monsieur le Préfet, à l'expiration du
délai fixé par la circulaire, vous aurez donc un grand nombre de
personnes non régularisées à éloigner.
Concrètement, comment envisagez-vous de procéder à
l'éloignement de ces personnes ?
M. BOUCAULT
.- Vous savez qu'à l'issue du délai d'un mois
et au plus tôt dans les jours qui suivront le mois d'avril, je vais
être amené à prendre des arrêtés
préfectoraux de reconduite à la frontière à
l'égard de ceux qui n'auront pas quitté le territoire dans le
délai d'un mois qui leur est imparti par la loi.
M. LE RAPPORTEUR
.- Avez-vous déjà beaucoup de recours
gracieux ou contentieux contre vos arrêtés ?
M. BOUCAULT
.- Contre les invitations à quitter la France, nous
avons un flux assez soutenu de recours. Au 1er avril, nous avions
3 174 recours
M. LE RAPPORTEUR
.- Gracieux ?
M. BOUCAULT
.- Oui, des recours gracieux auprès de moi. Il en
arrive tous les jours un nombre relativement important. J'ai donc mis en place
une cellule de traitement de ces recours gracieux et, à la date du
1er avril également, 1 842 recours, sur 3 174, ont
été traités et ont fait l'objet d'une décision. Sur
ces 1 842 recours traités, 199 ont reçu une suite
favorable, soit près de 11 % des recours instruits. Cela concerne
essentiellement la catégorie des familles constituées en France
de longue date et des conjoints d'étrangers en situation
régulière.
M. LE PRÉSIDENT
.- Ils n'avaient pas été retenus la
première fois. Est-ce qu'il s'agissait de faits nouveaux ?
M. BOUCAULT
.- Oui. Il s'agit de faits nouveaux et de précisions
nouvelles qu'ils nous ont apportés et qui nous ont permis, sur des
dossiers, de prendre une décision positive.
M. LE PRÉSIDENT
.- Avaient-ils modifié leur situation de
famille ?
M. BOUCAULT
.- Non. Ils ont simplement pu apporter des preuves plus
convaincantes de leur présence en France, de leurs ressources ou de
leurs logements, toutes les conditions qui sont fixées pour chaque
catégorie.
M. LE PRÉSIDENT
.- Sur les bulletins de salaire ?
M. BOUCAULT
.- Non, pas vraiment, parce que les bulletins de salaire sont
importants surtout pour la catégorie 1-6, c'est-à-dire pour les
étrangers sans charge de famille. Il s'agit plutôt de
durées de séjour.
M. LE RAPPORTEUR
.- Et les recours contentieux sont-ils nombreux ?
M. BOUCAULT
.- Nous n'en avons pas beaucoup, environ 250.
M. LE RAPPORTEUR
.- Quel est le fondement principal de ces recours
contentieux ou même gracieux ?
M. BOUCAULT
.- Le fondement principal des recours gracieux, c'est de nous
dire : "Vous avez mal compris mon dossier et je vais vous prouver que je
suis en France depuis trois ans". Ils considèrent effectivement que l'on
n'a pas bien apprécié leur situation et ils nous amènent
des pièces complémentaires pour que nous puissions être
convaincus.
M. LE RAPPORTEUR
.- Est-ce qu'il n'y a pas beaucoup de demandeurs du
droit d'asile ou de protections contre le risque, pour la personne, d'un retour
au pays ?
M. BOUCAULT
.- Non, il y en a très peu. Ceux qui pouvaient
demander l'asile territorial avant la loi qui est en cours de discussion
avaient la possibilité de le faire dans la catégorie 1.9, un
système qui est organisé depuis 1993 pour les Algériens et
qui a été mis en place pour les autres pays depuis, mais le
nombre de personnes qui ont utilisé cette possibilité,
rapporté à ces 25 000 dossiers, est relativement faible.
M. LE RAPPORTEUR
.- Vous n'avez pas de jurisprudence de votre tribunal
administratif là-dessus ?
M. BOUCAULT
.- Non, pas encore.
M. LE RAPPORTEUR
.- Dernière question : pensez-vous
réellement que ces personnes seront effectivement
éloignées du territoire ?
M. BOUCAULT
.- Les reconduites à la frontière sont une
activité administrative régulière. Nous en faisons toutes
les semaines et, s'il faut en faire après le 24 avril, nous les
ferons de la même façon. Effectivement, je crois que la solution
la plus efficace est d'utiliser les moyens de transport réguliers qui
relient la France à de nombreux pays dans le monde. C'est ce qui offre
le plus de possibilités. Nous prendrons donc des arrêtés de
reconduite et nous les exécuterons.
M. LE PRÉSIDENT
.- Comment se sont passés les incidents de
la semaine dernière ? Il y en a eu à trois reprises, je
crois.
M. BOUCAULT
.- Il y a eu quelques difficultés, mais elles ne se
sont pas reproduites depuis le début de la semaine.
M. LE PRÉSIDENT
.- Comment expliquez-vous que les passagers ont
prié les policiers de descendre ?
M. BOUCAULT
.- Ils ont surtout demandé que les étrangers
reconduits descendent et non pas les policiers.
M. LE PRÉSIDENT
.- Comment expliquez-vous que cela puisse se
passer ? Je crois qu'il y avait dix fonctionnaires.
M. BOUCAULT
.- A partir du moment, Monsieur le Président,
où un commandant de bord refuse de partir avec ces personnes dans son
avion, que peut-on faire ? C'est effectivement une réglementation
de l'aviation civile.
M. LE PRÉSIDENT
.- Apparemment, il avait des motifs pour refuser.
M. BOUCAULT
.- Je ne connais pas ces raisons. Il a sans doute
été sensible aux demandes qui lui ont été faites
par ses passagers. En tout cas, je constate que, depuis le début de la
semaine, les choses se passent bien et que les avions partent avec les
passagers, les policiers et les personnes à reconduire.
M. LE PRÉSIDENT
.- Monsieur le Préfet, nous cherchons
à comprendre comment cela s'est passé. Effectivement, depuis le
début de la semaine, il ne s'est rien passé.
M. BOUCAULT
.- Il ne s'est rien passé, mais les personnes partent
dans les avions.
M. LE PRÉSIDENT
.- Vous parlez de nouvelles, parce que celles qui
ont été libérées par le tribunal de Bobigny sont
convoquées à une instance de fin juin. Ce ne sont pas
celles-là qui sont parties mais d'autres.
M. BOUCAULT
.- Oui, bien sûr. Ce sont d'autres qui avaient
été interpellées à l'occasion de l'occupation
d'édifices à Paris. Ce sont toutes des personnes qui ont
déjà fait l'objet d'une procédure de reconduite.
M. LE PRÉSIDENT
.- Hier, le ministre nous a donné des
assurances de grande fermeté là-dessus.
M. BOUCAULT
.- Tout à fait. C'est ce qui se passe depuis le
début de la semaine. L'aéroport de Roissy est dans mon
département, Monsieur le Président, et je suis cela de
très près. Je peux donc vous dire que, depuis le début de
la semaine, les choses se passent bien. Nous avons tiré les
leçons de ce qui s'est passé .
M. LE PRÉSIDENT
.- Quelles leçons en tirez-vous ?
M. BOUCAULT
.- Nous en concluons qu'il y a une information à faire
auprès des passagers ainsi qu'auprès des compagnies. Cette
information a été faite et elle a porté ses fruits.
M. LE PRÉSIDENT
.- Les premiers incidents ont eu lieu le 29. C'est
bien cela ?
M. BOUCAULT
.- Oui. C'était vendredi.
M. LE PRÉSIDENT
.- Il s'agissait du vol de Bamako ou de Cotonou.
Comment cela s'est-il passé ? Est-ce que les passagers se sont
indignés de ce que l'on amenât des reconduits avec des menottes
derrière le dos ? Je lis les dépêches d'agence...
M. BOUCAULT
.- Oui, tout à fait.
M. LE PRÉSIDENT
.- Le ministre a dit que des groupes, notamment
des "coordinations" du 13ème, du 20ème ou du 19ème,
s'étaient organisés dans l'aéroport pour sensibiliser les
gens. Nous savons tout cela par les dépêches d'agence.
M. BOUCAULT
.- Oui. Tout cela est parfaitement public.
M. LE PRÉSIDENT
.- Pouvez-vous nous donner quelques détails
complémentaires ? Il y a des parlementaires qui sont
intéressés.
M. BOUCAULT
.- Tout cela est parfaitement connu. Il y a eu effectivement
des groupes qui se sont réunis dans l'aéroport et qui ont
entrepris de distribuer des tracts aux passagers et de développer
auprès d'eux leur argumentation.
M. LE PRÉSIDENT
.- Ces passagers étaient-ils à
quai ?
M. BOUCAULT
.- Ils étaient dans la salle d'embarquement, bien
sûr.
M. LE PRÉSIDENT
.- Comment ces groupes pouvaient-ils avoir
accès aux salles d'embarquement ?
M. BOUCAULT
.- Ils arrivaient vers les salles d'embarquement. Ces groupes
étaient dans la zone publique de l'aéroport. Il est très
facile de s'approcher de l'enregistrement des vols. Pour Bamako, on sait
très bien où l'enregistrement se fait et il est tout à
fait facile, pour ces groupes de personnes, d'établir le contact avec
les passagers des vols.
M. LE PRÉSIDENT
.- Ces passagers étaient-ils
eux-mêmes originaires du Mali ?
M. BOUCAULT
.- Oui, pour un certain nombre. Il y avait à la fois
des Africains et des Européens.
M. LE PRÉSIDENT
.- Y a-t-il eu une bagarre dans l'avion ?
M. BOUCAULT
.- Non, absolument pas.
M. LE PRÉSIDENT
.- Mais ils sont montés.
M. BOUCAULT
.- Ils sont montés et quand ils ont vu les personnes,
ils ont demandé que ces personnes descendent.
M. LE PRÉSIDENT
.- Cela s'est reproduit à trois reprises.
C'est bien cela ?
M. BOUCAULT
.- Cela s'est reproduit à trois reprises, exactement.
M. LE PRÉSIDENT
.- Comment cela a-t-il pu se reproduire le
lendemain et le surlendemain, puisque les personnels étaient
alertés ?
M. BOUCAULT
.- C'est aussi une question d'appréciation que fait le
commandant de bord qui -vous le savez- est souverain dans son avion. Il se
trouve que, le jeudi de la semaine dernière, un commandant de bord avait
accepté de partir et avait donné des explications aux passagers.
Par conséquent, la semaine dernière, il y a eu des reconduites
qui se sont passées normalement, sans incident. Nous avons eu des
difficultés pendant la fin de la semaine dernière mais, depuis le
début de la semaine, il n'y en a plus.
M. LE PRÉSIDENT
.- Il s'agit bien de la compagnie Air
France ?
M. BOUCAULT
.- Il s'agit d'Air France et d'Air Afrique.
M. LE PRÉSIDENT
.- Quelles précautions ont-elles
été prises pour que cela ne se reproduise plus ? Est-ce que
les compagnies sont informées avant ? Y a-t-il une procédure
nouvelle ?
M. BOUCAULT
.- Oui. Un certain nombre de dispositions ont
été prises à l'égard des personnes qui pouvaient
développer un discours s'opposant à la mise en oeuvre de cette
décision administrative et un contact a effectivement été
pris avec les responsables des compagnies pour leur expliquer quel était
le sens de l'action et comment les choses devaient se faire.
M. LE PRÉSIDENT
.- Ces gens étaient-ils en rétention
administrative ou en bout de rétention administrative ?
M. BOUCAULT
.- Ils étaient en rétention administrative.
M. LE PRÉSIDENT
.- Donc pendant trois jours, ils ont
été gardés dans le tribunal de Bobigny ?
M. BOUCAULT
.- Non. Ils étaient au centre de rétention de
Vincennes.
M. LE PRÉSIDENT
.- Mais après qu'ils ont été
libérés, est-ce qu'ils sont allés au tribunal ?
M. BOUCAULT
.- Le tribunal les a libérés.
M. LE PRÉSIDENT
.- Entre le moment où ils ont quitté
l'avion et le moment où le tribunal les a libérés, il y a
bien eu un jugement, une décision. Est-ce qu'il s'est passé
48 heures ?
M. BOUCAULT
.- Ils étaient retournés au centre de
rétention de Vincennes ou du Mesnil-Amelot, qui est le plus proche de
l'aéroport de Roissy.
M. LE RAPPORTEUR
.- Quelle est la motivation de la décision du
tribunal de Bobigny ? Est-ce que vous l'avez ?
M. LE PRÉSIDENT
.- D'après l'avocat, il n'a pas
statué sur le refus d'embarquer, parce qu'il n'y avait pas eu de refus
d'embarquer mais une décision unilatérale du commandant de bord.
Je pense que l'incrimination du refus d'embarquer n'a pas été
retenue.
M. BOUCAULT
.- Oui, mais l'affaire a été renvoyée au
mois d'avril.
M. LE PRÉSIDENT
.- Mais il n'y a pas incrimination.
M. BOUCAULT
.- C'est vrai, mais l'opposition à la reconduite va
être jugée à ce moment-là. Il va bien se tenir une
audience du tribunal de Bobigny là-dessus.
M. LE PRÉSIDENT
.- Vous ne savez pas s'ils reviendront ?
M. BOUCAULT
.- Comment le savoir ?
M. LE RAPPORTEUR
.- Sur quel motif le tribunal de Bobigny va-t-il
être amené à statuer ? Est-ce que ce sera sur un
délit commis ? Est-ce que c'est le tribunal correctionnel ou une
autre juridiction qui est saisie ? On les a raccompagnés à
l'avion et, à l'avion, ils ont refusé d'embarquer ou le
commandant de bord a refusé de les embarquer. A ce moment-là,
vous les avez ramenés au centre de détention, logiquement.
M. BOUCAULT
.- Oui.
M. LE RAPPORTEUR
.- Est-ce qu'ils sont toujours au centre de
rétention ou sont-ils libres ?
M. BOUCAULT
.- Ils sont libres.
M. LE RAPPORTEUR
.- Donc il a fallu que le tribunal de Bobigny statue.
M. BOUCAULT
.- Tout à fait.
M. LE RAPPORTEUR
.- Pouvez-vous nous passer cette décision ?
M. BOUCAULT
.- Oui. Je vous la passerai.
M. LE RAPPORTEUR
.- A mon avis, le tribunal les a mis en liberté
provisoire jusqu'à décision définitive, puisqu'il a
renvoyé l'affaire à une audience fin avril pour une nouvelle
plaidoirie et une décision définitive.
M. LE PRÉSIDENT
.- Ce sont bien des gens qui manifestaient devant
les églises ?
M. BOUCAULT
.- Des gens qui avaient occupé deux églises.
M. LE PRÉSIDENT
.- Ils avaient donc été
frappés par un arrêté de reconduite à la
frontière. Or ils ne sont pas partis. Donc ils sont retournés
dans la nature.
M. BOUCAULT
.- Comme cette occupation avait nécessité
l'intervention des forces de police pour les expulser de ce bâtiment, ils
ont été interpellés et ils ont eu un examen de leur
situation. On s'est assuré qu'ils n'avaient pas déposé de
dossier dans le cadre de la circulaire du 24 juin ou que, s'ils l'avaient
fait, la décision avait été négative. Ils ont donc
fait l'objet d'un arrêté de reconduite à la
frontière et ont été mis en rétention.
M. LE RAPPORTEUR
.- Avaient-ils déposé des demandes de
régularisation ?
M. BOUCAULT
.- Oui, pour un certain nombre d'entre eux. C'est pourquoi
nous avons été amenés à travailler avec la
préfecture de police.
M. LE RAPPORTEUR
.- Leur avait-on déjà notifié un
refus ?
M. BOUCAULT
.- Pour un certain nombre, oui.
M. LE RAPPORTEUR
.- C'était la motivation de l'occupation de
l'église, si je comprends bien.
M. BOUCAULT
.- Oui, comme cela s'est passé dans quelques villes.
M. LE RAPPORTEUR
.- Quelle est la date de la décision de
Bobigny ?
M. BOUCAULT
.- Lundi dernier, me semble-t-il.
M. LE PRÉSIDENT
.- On peut voir cela dans les
dépêches.
M. BOUCAULT
.- Il faudra voir cela dans la décision.
M. LE RAPPORTEUR
.- Il est intéressant de voir l'exécution
d'une décision, comment cela peut fonctionner ou ne pas fonctionner et
pour quelles raisons il y a des difficultés de fonctionnement.
Je vous remercie, Monsieur le Préfet. En ce qui me concerne, j'en ai
terminé.
M. DEBARGE
.- Il n'y a pas de jurisprudence en ce qui concerne la
décision d'un commandant de bord. Le commandant de bord est maître
à bord, si j'ose dire. S'il ne veut pas faire quelque chose, il ne le
veut pas et c'est tout. Cela peut donc toujours recommencer.
M. LE PRÉSIDENT
.- Je crois que ce sont les réglementations
internationales des compagnies aériennes.
M. LE RAPPORTEUR
.- Cela explique que, dans le passé, on ait pu
créer des charters. Pour le commandant de bord, cela peut perturber
l'appareil.
M. DEBARGE
.- Il y a déjà eu des incidents à
l'arrivée. Je crois m'en souvenir. Il se peut également qu'une
partie des passagers ne le veuillent pas.
M. LE PRÉSIDENT
.- Cela fait des années que cela se passe
ainsi. Je crois d'ailleurs que c'est pourquoi Mme Cresson est la
première à avoir décidé de recourir aux charters,
parce qu'elle se trouvait frappée par la difficulté que l'on
avait à faire prendre une ligne régulière à des
personnes reconduites à la frontière.
La parole est à M. Mahéas.
M. MAHEAS
.- Monsieur le Préfet, je ferai tout d'abord une
constatation en tant qu'élu de la Seine-Saint-Denis. La mise en place de
l'examen des dossiers a été particulièrement efficace. Les
étrangers ont été convenablement accueillis et je ne peux
que m'en féliciter avec les élus que je connais. Pour nous, cela
s'est bien passé, malgré le fait que la Seine-Saint-Denis est, de
loin, le département qui a à traiter le plus de dossiers. Je ne
sais pas, mes chers collègues, si vous avez vu les pourcentages, mais
nous sommes à 7 â de la population alors que le Nord
était à 0,5 â et Marseille à 1,5 â.
Rapporté à la population, c'est donc la Seine-Saint-Denis qui
doit traiter le plus de dossiers.
Mes préoccupations sont un peu différentes de celles qui ont
été exprimées jusqu'alors. C'est un nombre modeste de
dossiers, somme toute, qui sont actuellement en régularisation, mais
à l'intérieur même de la Seine-Saint-Denis, les situations,
selon les villes, sont très différentes. Il existe des
pôles où, effectivement, Maliens, Algériens, Marocains,
Zaïrois ou Chinois sont en nombre et vont être
régularisés.
Par conséquent, je voudrais savoir si, dès à
présent, Monsieur le Préfet, vous avez prévu, pour ces
villes, non pas un plan d'action, bien évidemment, mais un plan qui
permette une intégration sans trop de problèmes, notamment pour
les enfants (pour les célibataires, cela ne pose pas de
problème), sachant que les conjoints d'étrangers en situation
régulière vont être amenés sans doute, si ce sont
des familles, à faire venir leurs enfants dans le cadre du rapprochement
familial.
M. BOUCAULT
.- Monsieur le Sénateur, ces personnes sont
effectivement déjà sur le territoire. En ce qui concerne les
enfants, la plupart d'entre eux sont déjà scolarisés et
beaucoup de familles sont déjà logées, même si elles
le sont plus ou moins bien. Le problème principal apparaît donc
bien être celui de l'ouverture des droits sociaux. Ils n'étaient
pas ouverts, et pour cause, puisqu'ils sont en situation
irrégulière.
Je me permettrai de vous dire quelques mots du suivi social que nous avons mis
en place pour permettre l'insertion de ceux qui voient leur situation
régularisée. Nous avons choisi, dans le cadre des instructions
qui ont été données par le ministre de l'emploi et de la
solidarité, d'organiser des réunions par commune ou groupe de
communes. Les deux premières vont se tenir prochainement à Sevran
et à Drancy. Ce sont des réunions qui sont organisées par
la DDASS avec des associations d'accueil des migrants comme le SSAE et l'ASFAM.
En accord avec les maires, nous invitons les étrangers qui sont
régularisés à une réunion d'information à
laquelle participent tous les organismes sociaux : la Caisse d'allocations
familiales, la Caisse primaire d'assurance maladie, les services municipaux, en
particulier le CCAS, ainsi que les travailleurs sociaux de circonscription,
l'ANPE, l'hôpital et les associations de quartier qui s'occupent
d'insertion.
Tous ces organismes sont là et font une information
générale auprès des étrangers qui sont
régularisés, après quoi chacun d'entre eux a l'occasion
d'avoir un entretien particulier ou de prendre contact avec tel ou tel
organisme, particulièrement, encore une fois, la Caisse d'allocations
familiales et la CPAM. Je crois que cela permettra aux étrangers
d'obtenir toute l'information nécessaire et d'approfondir tel ou tel
point dans un second temps.
M. LE PRÉSIDENT
.- Merci. La parole est à Mme Pourtaud.
Mme POURTAUD
.- Merci, Monsieur le Président. Monsieur le
Préfet, j'ai noté avec beaucoup d'intérêt les
chiffres que vous nous avez donnés et je pense qu'on ne peut que se
féliciter, effectivement, que la très large majorité des
situations familiales ait pu être dénouée à travers
l'étude de ces dossiers. Je pense que c'était vraiment l'esprit
de la circulaire du mois de juin.
Si vous le permettez, je voudrais vous demander des précisions sur la
manière dont vous avez traité les cas de célibataires,
pour lesquels le taux de rejet est extrêmement important. J'imagine que
vous avez utilisé certains critères objectifs au-delà de
la circulaire, ne serait-ce que pour donner des instructions aux services qui
se sont occupés de l'examen des dossiers, notamment la durée de
séjour sur le territoire ou le degré d'intégration.
Comment avez-vous mesuré ces données ? Est-ce que vous avez
demandé qu'il y ait un minimum de séjour régulier sur le
territoire ?
Pourriez-vous par ailleurs nous indiquer, pour ceux qui ont été
régularisés parmi les célibataires, quelle a
été la durée de séjour sur le territoire
français, si tant est que ce renseignement soit en votre possession,
parce que je me rends compte que c'est spécifique ?
Par ailleurs, pourriez-vous nous donner la répartition par
nationalité de ceux qui sont régularisés ? Vous nous
l'avez donnée pour les dossiers traités mais non pas pour les
personnes qui ont été régularisées. J'aimerais
aussi que vous nous donniez le nombre de Chinois qui ont été
régularisés. Pardonnez-moi, mais en tant qu'élue
parisienne, j'avoue que ce sujet m'intéresse à titre de
comparaison.
M. LE PRÉSIDENT
.- Monsieur le Préfet, vous avez là
quelques questions.
M. BOUCAULT
.- En ce qui concerne tout d'abord la doctrine que nous avons
définie et appliquée sur la catégorie 1.6, je dirai
qu'elle est tout à fait transparente et que tous ceux qui ont eu
à recevoir des étrangers et à instruire les dossiers ont
les mêmes documents de référence. En effet (je l'avais
d'ailleurs remis à votre commission lorsqu'elle s'est rendue à
Bobigny), nous avons établi, dès le départ, ce que nous
avons appelé entre nous un vade-mecum, un document qui s'appelle
"circulaire du 24 juin" et qui fait le point de toutes les instructions
complémentaires que nous avons reçues, qui reprend les lettres
que le ministère nous a adressées en réponse à nos
questions d'application et qui fait état des positions que j'ai
été amené à prendre pour traiter tel
problème à l'occasion de l'examen de tel ou tel cas.
En effet, nous nous réunissions très souvent dans les
premières semaines et les premiers mois, sachant que, maintenant, les
réunions sont plus espacées. A l'issue de chacune de ces
réunions et à l'arrivée de chaque instruction ou lettre en
réponse à une question, nous actualisons donc ce vade-mecum et
indiquons aux agents comment traiter tel ou tel cas.
Par conséquent, en ce qui concerne les célibataires, pour
répondre de façon précise à vos questions, nous
avons rappelé qu'ils doivent avoir été au moins pendant
six mois en situation régulière, que le titre étudiant ne
peut être pris en compte, sauf exception, et que les
récépissés provisoires de séjour
délivrés au titre des demandeurs d'asile -vous savez qu'ils sont
très nombreux- ne peuvent pas être pris en compte dans cette
période de situation régulière.
En ce qui concerne le critère d'activité régulière,
cela doit être une activité déclarée, mais elle ne
doit pas être assimilée à une activité stable
exercée de manière continue. Nous acceptons une activité
régulière d'au moins cinq ans sur les sept années de
séjour justifiées comme un élément susceptible
d'emporter la conviction de l'instructeur des dossiers.
Nous attachons aussi beaucoup d'importance à l'intégration en
matière de domicile. En effet, nous sommes confrontés, dans ce
département à un phénomène de suroccupation des
foyers. Nous avons 52 foyers en Seine-Saint-Denis et il est vrai qu'un
certain nombre de ces célibataires sont en suroccupation dans ces
foyers. Nous hésitons donc beaucoup à régulariser la
situation d'un étranger qui indique un foyer comme adresse quand nous
savons qu'il est en forte suroccupation.
Nous avons aussi explicité la notion de célibataire
géographique en précisant que, si le conjoint et l'enfant
étaient au pays, cela n'entraînait pas le rejet de la demande.
D'ailleurs, la circulaire n'emploie pas le terme "
célibataire
"
mais le terme "
étranger sans charge de famille en France
".
Nous avons indiqué aussi que cette catégorie pouvait être
utilisée pour les concubins sans enfant qui déposaient une
demande dans le cadre de la circulaire du 24 juin.
Au fond, l'idée, Madame le Sénateur, est de réunir un
faisceau d'indices qui emportent la conviction des personnes qui instruisent le
dossier sur le degré d'insertion des célibataires dans la
société française, mais il est vrai que nous avons
beaucoup de dossiers pour lesquels nous avons du mal à tirer ne
serait-ce qu'un fil de cette insertion, que ce soit par le logement, par les
ressources ou par la preuve d'un séjour suffisamment long. La circulaire
dit qu'en principe, ce séjour ne doit pas être inférieur
à sept ans, mais il est vrai que j'ai été amené
à accepter des dossiers pour lesquels, bien que l'on soit en-dessous de
sept ans, l'étranger pouvait justifier de plusieurs années de
séjour en France.
Je pense qu'il faut appliquer cette circulaire dans l'esprit dans lequel elle a
été faite, mais il est vrai que nous n'avons pas pu réunir
ce faisceau d'indices et cette intime conviction pour un très grand
nombre de dossiers, comme les statistiques données tout à l'heure
le montrent.
M. LE RAPPORTEUR
.- Quel est le pourcentage des moins de sept ans ?
M. BOUCAULT
.- Parlons plutôt des plus de cinq ans.
M. LE RAPPORTEUR
.- La circulaire parle de sept ans en précisant
"
exceptionnellement moins de sept ans
".
M. BOUCAULT
.- Il y en a environ 10 %, mais comme nous en avons
régularisé 5 %, cela fait 10 % de 5 %, soit
0,5 %. C'est un chiffre très faible. Cela ne représente que
quelques individus.
En ce qui concerne maintenant les nationalités, j'ai le total des
demandes par nationalité, qui fait l'objet d'un tableau que je vous
laisserai, avec les décisions favorables et les refus. Les
décisions favorables et les refus ne correspondent pas au total des
demandes par nationalité, d'une part parce qu'elles ne sont pas encore
toutes traitées et d'autre part parce que, dans le total des demandes,
il y a les cas de double emploi, ce qui relativise les chiffres que je vais
vous donner. Je vais vous donner les cinq catégories principales.
Pour ce qui concerne les Maliens, nous avons enregistré
6 532 demandes et nous avons pris 431 décisions
favorables et 2 680 refus.
M. LE PRÉSIDENT
.- Il en reste encore 2 000, à peu
près.
M. BOUCAULT
.- Oui, mais il y a beaucoup de doublons, notamment pour
cette nationalité, avec des noms et des prénoms qui sont assez
courants dans ce pays et qui ne facilitent pas le traitement des dossiers.
En ce qui concerne les Algériens, nous avons reçu
4 173 demandes et nous avons pris 1 153 décisions
favorables et 811 refus.
Pour ce qui est des Marocains, nous avons reçu 3 190 demandes
et nous avons pris 653 décisions favorables et 971 refus.
Pour les Zaïrois, nous avons eu 2 779 demandes,
795 décisions favorables et 588 refus.
M. LE PRÉSIDENT
.- Là aussi, il y a beaucoup de doublons.
Mme POURTAUD
.- Mais c'est surtout parce que ce n'est pas fini.
M. BOUCAULT
.- C'est vrai, mais il y a plus de doublons que de dossiers
non traités.
M. LE PRÉSIDENT
.- Vous n'avez pas traité à part
certaines nationalités, par exemple les Algériens, plus vite que
d'autres ?
M. BOUCAULT
.- Non, absolument pas. Nous l'avons fait au fur et à
mesure que les dossiers arrivaient.
Enfin, pour ce qui est des Chinois, nous avons eu 2 285 demandes,
578 décisions favorables et 746 refus. Ce sont essentiellement
des cas 1.4.1., c'est-à-dire des familles installées de longue
date en France, avec des difficultés pour apporter la preuve de la
durée de leur séjour.
M. LE RAPPORTEUR
.- Y a-t-il beaucoup de demandeurs du droit d'asile chez
les Chinois ?
M. LE PRÉSIDENT
.- Les demandes d'asile sont instruites par
l'OFPRA, de toute façon.
M. BOUCAULT
.- La catégorie qui a le plus d'avis favorables est
celle des Haïtiens : sur 1 310 demandes, nous avons
516 décisions favorables et 226 refus.
M. LE PRÉSIDENT
.- Les Algériens aussi.
M. BOUCAULT
.- Tout à fait. Les décisions favorables sont
en effet plus importantes du fait des situations de famille, de l'enracinement,
de la durée du séjour en France, de la langue, etc.
Mme POURTAUD
.- Il me semble que vous avez appliqué les six mois
de séjour régulier sur le territoire uniquement aux
célibataires.
M. BOUCAULT
.- Oui, conformément aux instructions.
Mme POURTAUD
.- Lorsque vous dites que, pour les Chinois, il y a eu des
difficultés pour prouver l'ancienneté du séjour, cela veut
dire qu'en fait, il n'y avait pas de date d'entrée. On n'avait pas de
visa sur un passeport.
M. BOUCAULT
.- Tout d'abord, on n'a pas toujours la preuve de la date de
leur arrivée en France, mais on n'a surtout pas la preuve de leur
présence en France de façon régulière depuis leur
date d'arrivée présumée. C'est la difficulté pour
ce type de dossier.
Mme POURTAUD
.- Lorsqu'on exige six mois de séjour
régulier, cela veut dire que les gens sont entrés de
manière légale.
M. BOUCAULT
.- Avec un visa.
Mme POURTAUD
.- Oui, avec un visa. Cela veut dire qu'ils ne sont pas
partis à l'expiration de leur visa touristique, par exemple.
M. BOUCAULT
.- Oui.
M. DEBARGE
.- Je m'associe à ce que disait Jacques Mahéas.
Ce chiffre de 8 960 que vous avez donné implique beaucoup de choses
en amont que vous avez évoquées tout à l'heure et qui
existent quant à la gestion a posteriori de la circulaire pour ceux qui
vont rester, même avec tous les charters du monde.
M. BOUCAULT
.- Monsieur le Sénateur, pour ceux dont la situation
va être régularisée, on l'a fait parce qu'on a eu la
conviction que ces familles ou ces célibataires étaient bien
intégrés dans la société française et donc
qu'un certain nombre de problèmes, pour eux, étaient
déjà réglés, notamment ceux auxquels on peut
penser : l'éducation des enfants, le logement et même
éventuellement le travail, puisque vous savez que certaines personnes
nous ont présenté des feuilles de salaire, et non pas seulement
une ou deux mais des séries très complètes. Par
conséquent, si nous avons bien fait notre travail, en principe, les
personnes que nous régularisons sont déjà assez bien
insérées dans la société.
M. LE RAPPORTEUR
.- Quand il y a des bulletins de salaire d'employeurs,
vous ne le signalez pas à l'inspection du travail pour qu'il y ait des
poursuites éventuelles ? Vous apaisez le jeu, à cet
égard.
M. BOUCAULT
.- Nous sommes chargés d'examiner la situation
d'étrangers en situation irrégulière. C'est le but des
instructions qui me sont données. Par ailleurs, le fait qu'une personne
ait été déclarée fait que les cotisations sociales
ont été payées et qu'un certain nombre d'obligations ont
été remplies. Il faut aussi en tenir compte.
M. LE PRÉSIDENT
.- Il nous a été dit tout à
l'heure par l'un de vos collègues que cela avait permis de
déceler un certain nombre de cas de travail "au noir" mais que, pour
autant, l'inspection du travail n'avait pas été saisie.
M BOUCAULT
.- Il faut dire que beaucoup d'employeurs peuvent être
de très bonne foi dans ce domaine. En effet, il y a, parmi ces personnes
qui travaillent effectivement depuis longtemps, des demandeurs d'asile,
à l'époque où les demandeurs d'asile pouvaient travailler.
Beaucoup d'entre eux travaillaient et ils ont donc pu être
embauchés dans une entreprise, dans des conditions tout à fait
régulières et, effectivement, lorsque l'autorisation de
séjour n'a pas été renouvelée, l'employeur n'a pas
mis ses fiches à jour, mais on peut considérer qu'il a
été de bonne foi en continuant de salarier
régulièrement la personne qui travaillait dans l'entreprise. Je
pense donc qu'il n'y a pas de raison, a priori, de voir là, dans tous
les cas, une volonté de fraude.
M. LE PRÉSIDENT
.- D'accord.
Monsieur le Préfet, nous allons vous remercier, en vous priant de nous
excuser d'avoir abusé de votre temps. J'ai l'impression d'être
l'interprète de tous mes collègues pour vous remercier de la
transparence de vos propos et de la totale franchise avec laquelle vous nous
avez exposé les efforts qui ont été faits et les
résultats obtenus. Je dois être tout à fait à
l'unisson de mon collègue, M. le Rapporteur, et des collaborateurs
du Sénat, pour vous dire que nous avons été
particulièrement sensibles à l'accueil que vous nous avez
réservé. Je vous prie de nous excuser encore du travail que nous
vous donnons, mais nous le faisons par mandat de l'assemblée, comme vous
le savez.
Merci beaucoup et bonne continuation dans votre tâche qui n'est pas
facile.
M. BOUCAULT
.- Merci, Monsieur le Président, de votre accueil et
de vos propos de conclusion. J'y suis sensible.
M. JEAN GAEREMYNCK,
DIRECTEUR DE LA POPULATION ET
DES MIGRATIONS
AU MINISTÈRE DE L'EMPLOI ET DE LA
SOLIDARITÉ
JEUDI 9 AVRIL 1998
M.
MASSON, président
.- Mes chers collègues, nous allons ouvrir
la séance de ce jeudi. M. COURTOIS s'est excusé.
Nous allons entendre M. GAEREMINCK, Directeur de la Population et des
Migrations.
Le rapporteur va vous poser des questions, Monsieur le Directeur,
mais nous devons vous entendre sous la foi du serment.
(M. le Président donne lecture des dispositions de l'article 6
de l'ordonnance du 17 novembre 1958 ; M. Jean Gaeremynck
prête serment).
M. LE PRÉSIDENT.-
Je vous remercie, Monsieur le Directeur.
Monsieur le Rapporteur va vous poser des questions.
L'organisation des travaux de ce matin va nous conduire à travailler
avec M. Gaeremynck jusqu'à 10 h 30 ou 10 h 45
puisque nous avons ensuite d'autres auditions.
Monsieur le Rapporteur, peut-être, pourriez-vous poser vos questions
jusqu'à 10 h ou 10 h 15, ce qui laissera à
nos collègues la possibilité de compléter leurs
informations.
M. BALARELLO, rapporteur
.- Monsieur le Directeur, nous avons trois
séries de questions à vous poser. Je vous signale que notre
Commission s'est déjà rendue dans une dizaine de
préfectures, nous couvrons environ près de 80 % des demandes
de régularisation, ce qui nous donne une idée très
précise des problèmes.
Mes questions porteront sur les trois thèmes suivants :
-
I? Le rôle des services sociaux lors de l'instruction des demandes de
régularisation.
II? La procédure d'aide au retour.
III? Les conséquences sociales des régularisations.
Quel a été le rôle des services sociaux lors de l'instruction des demandes de régularisation ?
Selon quelles modalités et quelle fréquences s'est effectuée la consultation pour avis des services sociaux ?
Pouvez-vous évaluer la proportion des dossiers pour lesquels l'avis des services sociaux a été sollicité ?
Quelle influence ces avis ont-ils eue sur la décision finale ?
M. LE PRÉSIDENT.- Je vous propose de répondre à cette série de questions pour ne pas alourdir le débat.
M. GAEREMYNCK, directeur de la population et des migrations . - Merci, Monsieur le Président.
Je ne pourrai pas, malheureusement, vous fournir d'éléments exhaustifs, mais des indications recueillies à l'occasion d'une enquête auprès de plusieurs préfectures, pour la raison principale qu'il n'y a pas eu de collecte d'informations organisées par le Ministère de l'Intérieur sur ce point précis de l'application de la circulaire.
Nous sommes dans la phase d'instruction des dossiers et des demandes de réexamen de situation administrative des étrangers en situation irrégulière. Elle est conduite par les services des préfectures qui ont la possibilité de saisir les services sociaux, si nécessaire.
Le Ministère n'a pas organisé de système de remontée d'informations sur ce point.
Nous avons essayé de rassembler quelques informations des deux côtés. Nous avons interrogé le SSAE (Service Social d'Aide aux Emigrants). Nous supposions qu'eux seraient plus sollicités, compte tenu de leur vocation à traiter des dossiers des personnes en situation de migration.
Nous avons effectué une enquête auprès d'un certain nombre de préfectures. Je peux vous donner les résultats, mais ils sont un peu dispersés, difficiles à exploiter pour obtenir une vue d'ensemble. Ils n'apporteront pas de réponse exhaustive à votre question.
Concernant le SSAE, qui est vraiment le service social spécialisé le plus important en nombre et en répartition sur le territoire, nous n'avons reçu qu'une réponse significative relative au département de la Haute-Garonne. Le Directeur des services nous a dit que ce département lui avait demandé une quinzaine d'enquêtes, pour complément d'informations, et relatives aux personnes et familles ayant sollicité le réexamen de leur situation : situation des enfants, composition de la famille. C'est le seul département qui m'a été cité par ce service.
Il est possible que d'autres demandes aient été adressées à d'autres services, mais celui-ci est vraiment spécialisé, il est financé par l'Etat par l'intermédiaire du Fonds d'Action Sociale.
Nous avons essayé de toucher les principales préfectures quant au nombre de dossiers à réexaminer. Une enquête rapide auprès d'elles a donné ce qui suit :
Alpes-Maritimes :
- une vingtaine de demandes pour l'application de la circulaire, relative au regroupement familial,
- quelques enquêtes concernant la catégorie, tout à fait particulière, des malades étrangers sollicitant leur régularisation à ce titre. Les malades qui ne pourraient pas, à leur retour dans leur pays, bénéficier des soins appropriés à leur état.
Bouches-du-Rhône :
- environ une douzaine de demandes d'enquêtes ponctuelles, selon l'évaluation rapide donnée par les services interrogés,
- Des demandes concernant les parents d'enfants nés en France ; elles ont été adressées à la DDASS.
- Enquêtes de police en cas de doute sur la communauté de vie.
Il apparaît aussi, à l'occasion de ces enquêtes auprès des préfectures, que les demandes de renseignements étaient adressées aux services sociaux et de police.
Essonne : une vingtaine de demandes d'enquêtes présentées à la DDASS.
Hauts-de-Seine : il semble que ce soit le département dans lequel les enquêtes aient été les plus nombreuses. Une indication orale, donnée par le directeur de la DDASS à une de mes collaboratrices, en indique plusieurs centaines, mais sans plus de précisions car aucun comptage n'a été demandé au service.
Val-de-Marne : pas de demande d'enquêtes présentées à la DDASS, mais quelques enquêtes de police ponctuelles.
Val d'Oise : pas d'enquête auprès des services sociaux, qui sont débordés, mais enquêtes de police systématiques pour toutes les demandes.
M. LE RAPPORTEUR.- Dans le Val-d'Oise, enquêtes de police systématique, c'est la règle ?
M. GAEREMYNCK . - Oui, c'est ce que nous a dit le Bureau des Etrangers.
Seine-et-Marne : pas de demandes d'enquêtes adressées à la DDASS, ponctuellement des enquêtes de police, portant notamment sur la communauté de vie.
Préfecture de police : quelques enquêtes ont été demandées à la DDASS, principalement pour connaître la situation de familles, notamment des enfants. Elles ont été suivies d'un rapport social, mais malheureusement pas de chiffres précis. Le comptage n'a été ni organisé ni prévu, ce n'est pas la priorité des services qui ont à faire face à une lourde tâche.
Voilà les informations qui nous sont remontées sur ce point. Je ne peux vous donner de chiffres plus précis.
M. LE RAPPORTEUR . - Quelle est l'influence de vos avis sur les décisions finales ?
M. GAEREMYNCK . - Je ne suis pas en mesure de vous le dire véritablement. Bien sûr, ils sont pris en compte dans l'instruction, mais celle-ci est relativement complexe.
Bien souvent, la méthode préconisée dans les circulaires était celle du faisceau d'indices. Les indications des services sociaux ont servi à compléter ces indices, de là à dire lequel a été prédominant, dans ce type de technique, c'est toujours délicat et contradictoire avec la méthode elle-même.
M. LE RAPPORTEUR . - Quelques questions :
Pouvez-vous dresser un bilan des précédents dispositifs d'aide au retour ? En quoi le nouveau dispositif pourrait-il être plus attractif ?
La publication de la circulaire sur l'aide au retour, sept mois après celle sur les régularisations, ne risque-t-elle pas d'affecter le succès de l'opération ?
Comment expliquez-vous un tel retard dans la publication de la circulaire ?
Combien de personnes ont demandé à bénéficier de l'aide au retour ?
Comment expliquez-vous le faible nombre de demandes d'aide au retour ? Quelle évaluation avez-vous faite du nombre final de demandeurs de l'aide au retour et du coût total de l'opération ?
Avez-vous mesuré le risque de nouvelles entrées clandestines d'étrangers après leur retour dans leur pays d'origine, grâce à l'aide instituée ?
M. LE PRESIDENT . - Je me permets d'en rajouter une.
Est-ce votre service qui a rédigé la circulaire publiée au J.O. avec sept mois de retard ?
M. GAEREMYNCK . - Oui, en liaison avec nos collègues du Ministère de l'Intérieur.
M. LE PRÉSIDENT.- Vous allez donc être à l'aise pour nous expliquer le retard.
M. GAEREMYNCK . - C'est ma direction qui assure la tutelle de l'Office des Migrations Internationales qui joue un rôle important dans la mise en oeuvre du dispositif d'aide au retour.
Le bilan des précédents dispositifs d'aide au retour : quelques chiffres sur le bilan de cette opération mise en place par la circulaire précédente d'août 1991.
Selon les chiffres en notre possession, entre 1991 et 1997, les dossiers bénéficiaires de l'aide au retour sont au nombre de 7 007.
M. LE PRESIDENT . - Est-ce une moyenne annuelle ?
M. GAEREMYNCK . - C'est très variable, suivant les années la moyenne est de 1 000 environ, entre 1991 et 1997. En 1991, c'était 303.
Ce sont les candidats, pour chacun d'eux il y avait des personnes accompagnantes (conjoint, enfants). Il faut rapprocher ces 7 007 personnes du chiffre total incluant les personnes accompagnantes, soit 8 203.
M. LE RAPPORTEUR . - Pourrez-vous nous laisser un tableau, Monsieur le Directeur ?
M. GAEREMYNCK . - Bien sûr, Monsieur le Sénateur.
M. LE PRESIDENT . - Ces 8 203 s'additionnent-ils aux 7 007 ?
M. GAEREMYNCK . - Non. Ces 7 007 équivalent au nombre de dossiers présentés. Certains demandeurs non seulement ont présenté un dossier pour eux-mêmes, mais aussi pour leurs enfants et leur conjoint. En additionnant, nous arrivons à 8 203.
M. LE PRESIDENT . - Donc les conjoints ou enfants sont 1 200.
M. GAEREMYNCK . - Oui, 152 pour les conjoints et 1 044 pour les enfants. Voilà les personnes qui ont bénéficié du dispositif mis en place par la circulaire d'août 1991.
En matière d'aide au retour, plusieurs dispositifs se sont succédé dans le temps. Je ne remonte pas à celui de 1974, mais pour nous en tenir à la période la plus récente, un dispositif réglementaire avait été prévu en 1984, modifié par un décret de 1987, qui a mis en place un dispositif d'aide à la réinsertion dans le pays d'origine au profit des travailleurs licenciés dans le cadre de plan sociaux mis en oeuvre par les grandes sociétés industrielles, plus particulièrement le secteur de l'automobile.
A l'occasion d'une opération de régularisation, analogue mais de moindre ampleur que celle en oeuvre aujourd'hui, un dispositif d'aide au retour a été conçu par la circulaire d'août 1991. Elle ne s'adressait pas particulièrement aux personnes licenciées dans le cadre d'un plan social, mais à celles qui ne pouvaient bénéficier de la régularisation prévue par l'opération de 1991. Celle-ci visait essentiellement les personnes dont le dossier avait été rejetées par l'OFFRA et la Commission de Recours des Réfugiés, ces personnes étaient appelées : les déboutés du droit d'asile.
Le dispositif de 1991, plus complet, a absorbé les précédents et il est devenu le dispositif d'aide au retour principal.
Les chiffres que je vous ai donnés sont relatifs aux dossiers déposés par des personnes invitées à quitter le territoire à la suite de l'opération de régularisation de 1991, mais aussi par la suite, toute personne invitée à quitter le territoire a pu bénéficier de ce dispositif.
Je fais la liaison avec une autre de vos questions :
Pourquoi avoir attendu plusieurs mois pour mettre en place ce dispositif en complément de la circulaire du 24 juin 1997 ?
Trois éléments de réponse :
Le dispositif de 1991 existait, il était en place, toute personne, avant la publication de la circulaire de 19 janvier 1998 pouvait solliciter l'OMI dans les conditions prévues par la circulaire de 1991. Au moment où elle était invitée à quitter le territoire, elle était informée de la possibilité de saisir l'OMI. Donc, il n'y a pas eu de solution de continuité entre les dispositifs de 1991 et celui prévu par la circulaire du 19 janvier 1998.
Il y a eu un temps de réflexion, de concertations interministérielles et de mise en place avec des partenaires de l'Administration. Nous avons voulu faire en sorte que le dispositif de 1998 soit plus complet, plus étoffé et si possible plus incitatif pour les personnes qui n'auraient pu bénéficier du réexamen de leur situation individuelle.
M. LE RAPPORTEUR.- Monsieur le directeur, à ce propos, je vais demander à nos services de prendre contact avec vous pour avoir un tableau exhaustif des différentes aides au retour, avec les conventions particulières, bilatérales entre la France et certains pays africains qui complètent ces aides par des primes à l'installation dans les pays de retour.
Je vous remercie.
M. GAEREMYNCK . - En quoi le nouveau dispositif est-il plus attractif ?
Il est plus étoffé, il ne consiste pas simplement à proposer aux personnes invitées à quitter le territoire des prestations financières, mais d'autres plus complètes.
Nous avons voulu mettre en place trois types de prestations. Nous nous sommes inspirés de ce qui s'est pratiqué dans certains pays étrangers.
Premier type de prestation : la possibilité, pour toute personne qui quitte le territoire et saisit l'OMI pour bénéficier de ce dispositif, d'avoir un entretien personnalisé, à caractère psychologique mais pas uniquement, destiné aussi à faire le point de sa situation personnelle, sociale et professionnelle, sur sa famille ; de lui proposer une aide pour les conditions de son retour, une assistance administrative, faire le point des droits sociaux acquis en France, la possibilité pour elle de continuer à en bénéficier s'il s'agit d'une question de retraite.
M. LE PRESIDENT . - N'était-ce pas le cas avant ?
M. GAEREMYNCK . - C'était prévu dans la circulaire de 1991, mais, à ma connaissance, cela n'a pas été mis en place de manière satisfaisante.
M. LE PRESIDENT . - L'OMI ne l'a-t-il pas fait ?
M. GAEREMYNCK
. - Nous avons voulu porter un effort
particulier sur ce point.
Les questions d'assistance administrative sont utiles, mais il y a une attitude
psychologique à avoir envers les personnes invitées à
quitter le territoire. Certaines personnes doivent faire le deuil de leur
présence en France. Pour certaines c'est très difficile, ce n'est
pas naturel, elles ont eu un projet personnel, il faut leur expliquer que leur
avenir n'est plus dans ce pays, mais dans leur pays d'origine. Une phase de
traitement psychologique de leur situation nous apparaît
nécessaire.
Je me souviens de réunions avec des partenaires de l'Administration,
notamment une avec la Croix Rouge suisse qui expliquait qu'ils avaient fait un
énorme effort dans ce sens, cette phase de deuil doit être prise
en compte et traitée au cours de ces entretiens.
Voilà le premier type de prestations assurées aux personnes qui
saisissent l'OMI.
Deuxième type de prestations, à caractère matériel
et financier : elles consistent à prendre en charge les frais de
voyage des personnes et des familles, les frais de bagage, les personnes
souhaitent avoir la possibilité de repartir avec des bagages, il s'agit
de 40 kilos d'excédents de bagages par personne.
Un pécule : nous avons voulu faire en sorte que ce ne soit pas
centré sur ce point. Il est plus important qu'avant, il a
été porté à 4 500 F, plus 900 F par
enfant. Nous l'avons relevé substantiellement, mais nous n'avons pas
voulu que ce soit le seul élément dont on parle. Il y en a
d'autres.
Troisième type de prestations proposées : elles consistent,
dans le pays d'accueil où l'OMI est présent, à accueillir
les personnes, à les prendre en charge à l'arrivée, en
liaison avec les services des pays concernés, à leur donner la
possibilité de rejoindre une autre ville que la capitale, ou un village,
à prendre en charge des frais d'hébergements d'urgence, de
refaire avec elles un bilan de leur situation personnelle ; enfin, un peu
le pendant de ce qui se fait en France, voir si nous pouvons leur offrir une
aide pour leur réinsertion dans le pays : la scolarisation des
enfants, l'aide à l'emploi, des assistances de ce type.
M. LE RAPPORTEUR
. -Ce n'est pas généralisé, il faut
qu'il y ait une convention bilatérale.
M. GAEREMYNCK
. - C'est prévu là où l'OMI est
présent. Il a des missions dans six pays de forts départs, donc
avec des retours de personnes non régularisées : les pays du
Maghreb, le Maroc, la Tunisie, la Turquie, la Roumanie.
M. LE RAPPORTEUR
. -Et les pays d'Afrique noire ?
M. GAEREMYNCK
. - Le Mali et le Sénégal.
M. LE RAPPORTEUR.-
Et la Côte-d'Ivoire ?
M. GAEREMYNCK
. - Non.
Pour la mise en oeuvre de ce dispositif d'aide au retour, l'OMI envisage de
passer une convention avec une organisme international, l'OIM (Organisation
Internationale des Migrations) qui a des implantations dans une vingtaine de
pays.
M. LE RAPPORTEUR
. - Où se trouve son Siège ?
M. GAEREMYNCK
. - A Genève. La France est membre de cette
organisation qui est représentée un peu partout dans le monde,
notamment dans les pays où ont lieu les retours de personnes non
régularisées.
L'OMI est en discussion avec cette organisation pour la mise au point d'une
convention permettant de prendre en charge certaines prestations d'accueil, du
type de celles mentionnées à l'instant : premier accueil,
bilan social, évaluation de la situation personnelle et introduction
vers les services sociaux du pays pour satisfaire des besoins immédiats.
M. LE RAPPORTEUR
. - Y a-t-il des accords définitifs ?
M. GAEREMYNCK
. - Non, nous sommes en discussion avec eux.
M. LE PRESIDENT
. - Ces points sont attractifs. Le pécule
n'avait-il pas été réévalué depuis
1991 ?
M. GAEREMYNCK
. - Non.
M. LE PRESIDENT
. - Ce que vous avez donné en 1998 est donc la
réactualisation si l'évolution des prix avait été
suivie.
M. GAEREMYNCK
. - C'était 1 500 F en 1991, il n'y a
pas eu une telle dérive des prix. Je n'ai pas le taux d'actualisation.
C'est substantiellement plus, cela a été multiplié par
trois, peut-être un peu moins compte tenu de la dérive des prix.
M. LE RAPPORTEUR
. - Nous aimerions avoir un tableau exhaustif de l'aide
au retour, des différents dispositifs et notamment de l'aide à la
réinsertion dans le pays d'origine.
M. LE PRESIDENT
. - Sept mois pour cette circulaire, pourquoi ?
M. GAEREMYNCK
. - Pour la mise au point, pas de solution de
continuité dans la discussion interministérielle avec nos
collègues de l'Intérieur, il fallait voir aussi avec l'OMI
comment l'intégrer dans le budget. Par hypothèse, elle ne pouvait
l'être dans le budget 1997 initialement prévu, bien sûr il
peut y avoir des décisions modificatives.
Donc : délai de mise au point, publication au J.O., mais cela a peu
d'incidence sur le nombre de bénéficiaires.
M. LE PRESIDENT
. - Ce n'est pas ce que dit le Ministre de
l'Intérieur.
M. GAEREMYNCK
. - Il faut tenir compte du calendrier des
décisions de rejets de dossiers, des demandes de réexamen et donc
des décisions invitant les intéressés à quitter le
territoire. Je n'ai plus le calendrier à l'esprit, mais je crois que la
notification des décisions de rejet, assortie des indications à
quitter le territoire, a commencé assez tard.
Les décisions de régularisation ont commencé au court de
l'été et de l'automne. Quant aux décisions de rejet et
invitant à quitter le territoire, il y a eu un effet décalage
dans le temps.
M. LE PRESIDENT
. - N'aurait-il pas été
préférable de publier la circulaire au bout de deux mois et non
pas de sept ?
M. GAEREMYNCK
. - On peut toujours dire que cela aurait
été mieux, mais les personnes pouvaient toujours saisir l'OMI.
M. LE PRÉSIDENT.-
Avec un pécule trois fois moins
élevé.
Il vous a fallu un délai de sept mois pour publier une circulaire
officielle et vous me dites que c'est presque normal.
M. GAEREMYNCK
. - Cela n'a pas pénalisé les
intéressés et encore une fois la mise au point...
M. LE PRESIDENT
. - Pensez-vous qu'un délai de sept mois soit
normal alors qu'il s'agit d'une intervention ferme du Gouvernement ? Le
Ministère des Finances a-t-il fait des observations ?
M. GAEREMYNCK
. - Nous avons travaillé dans la concertation
interministérielle, avec l'Intérieur, les Finances.
M. LE PRESIDENT
. - Comme toujours dans ces cas. La circulaire est-elle
signée de plusieurs ministres ?
M. GAEREMYNCK
. - Oui, elle est signée des ministres de
l'Emploi et de la Solidarité, de l'Intérieur, des Finances et des
Affaires Etrangères.
M. LE PRESIDENT
. - Où cela a-t-il freiné ? Ce n'est
pas la première fois que nous apprenons qu'une circulaire est difficile
à établir. Nous aimerions savoir sur quel ministère elle a
buté.
M. GAEREMYNCK
. - Nous nous sommes interrogés.
Peut-être le délai de retard se doit-il à la conception du
système. Nous nous demandions ce qui pouvait être le plus
efficace. Fallait-il mettre l'accent sur le pécule, sur les prestations
financières ? Fallait-il construire autre chose ?
M. LE PRESIDENT
. - Qui concevait ?
M. GAEREMYNCK
. - Ce sont des relations de travail entre les
administrations.
M. LE PRESIDENT
. - Le Ministère de l'Intérieur
était-il plus favorable à une aide distribuée au
départ ? Le Ministère des Affaires Etrangères
l'était-il à une aide à l'arrivée ? C'est
important.
Nous pouvons imaginer qu'une des solutions du retour est
précisément cette aide au retour conçue d'une façon
efficace.
Où est le débat ? Mes questions ont pour objet de vous aider
et non pas de vous gêner.
M. GAEREMYNCK
. - Nous avons été saisis par le
Ministère de l'Intérieur sur la question du pécule,
essentiellement. Nous avons pensé que nous ne pouvions pas nous en tenir
à cela et qu'il fallait faire quelque chose de plus substantiel.
M. LE PRESIDENT
. - C'était le départ qui
intéressait le Ministère de l'Intérieur, donc le
pécule. Il y a eu une mission, un rapport.
M. GAEREMYNCK
. - Il y a plusieurs étages. Le dispositif de
la circulaire du 19 janvier 1998 est destiné à
bénéficier à toutes les personnes qui quittent le
territoire.
Quant à ce qui se passe dans le pays de retour, c'est l'OMI qui
intervient quand elle est présente et a une convention avec un autre
organisme.
Il existe aussi un dispositif plus sophistiqué, qui consiste à
fournir une aide aux projets d'activités économiques
portés par certains étrangers, suivant un principe de
sélectivité. Tous n'ont pas la capacité de créer
une entreprise ou des activités. C'est après examen et
évaluation des projets qu'ils pourront bénéficier d'une
aide.
Ce programme d'aide, de développement local migration a
été amorcé en 1995. Nous avons voulu lui donner une
ampleur nouvelle en adjoignant les moyens du Ministère de la
Coopération à ceux de l'Office des Migrations Internationales et
mettre sur place, dans certains pays, un dispositif d'évaluation des
projets, un comité de décision et de suivi des projets à
partir du moment où ils démarrent.
Ce que nous appelons Développement Local Migration existe, pour
l'instant, dans les pays du bassin du fleuve Sénégal,
principalement au Mali, au Sénégal et en Mauritanie.
Nous avons mis au point, pour lui donner plus d'ampleur que par le
passé, un protocole entre l'OMI, la Coopération et le
Ministère de l'Emploi et de la Solidarité pour répartir
leurs interventions. Pour l'organisation, il est prévu que dans le pays
de retour, les projets soient évalués par un organisme d'appui
technique, avec lequel les Pouvoirs Publics français locaux ont
conventionné. Un Comité de décisions a été
créé, présidé par le chef local de la Mission de
coopération, dont le secrétaire est le représentant de
l'OMI. Il est articulé autour de l'OMI et du Ministère de la
Coopération. Ce comité décide, au vu d'un projet
présenté et évalué par l'organisme technique.
Une aide de l'OMI peut être allouée pour le financement du
démarrage de projets, pour un maximum de 24 000 F. Nous voulons
faire en sorte que cette aide ne soit pas seulement une aide de
démarrage mais que le déroulement de ce projet sur le site soit
suivi par l'organisme d'accueil. Il ne sert à rien de donner une aide
pour démarrer un projet, si l'on ne vérifie pas qu'il est viable
et qu'il puisse être suivi dans le temps.
Nous démarrons modestement, mais nous le voulons absolument. Nous avons
voulu, avec l'OMI, créer des conditions permettant une évaluation
sérieuse de ces projets.
M. LE PRESIDENT
. - Par qui sont pilotés ces projets de
développement ? Par la Coopération ?
M. GAEREMYNCK
. - C'est un copilotage.
M. LE PRESIDENT
. - Qu'appelez-vous copilotage ? Piloter à
deux est moins simple qu'à un.
M. GAEREMYNCK
. - Tout se passe bien. Les deux participent au
financement. L'OMI par l'aide au démarrage et la Coopération
finance l'organisme technique local de soutien.
M. LE PRESIDENT
. - C'est donc piloté par les deux, avec des fonds
conjoints, Coopération et OMI.
M. LE RAPPORTEUR
. -Quel est le budget prévu pour 1998 ?
M. LE PRÉSIDENT.-
Ces fonds sont-ils indépendants de ceux
évoqués pour l'aide au retour ?
M. GAEREMYNCK
. - Oui. Pour l'OMI, il s'agit de 4,4 MF, sous
réserve de confirmation.
M. LE RAPPORTEUR.-
La Coopération abonde-t-elle la même
somme ?
M. GAEREMYNCK
. - Je n'ai pas le budget, je vous le communiquerai.
M. LE PRESIDENT
. - Avez-vous les chiffres concernant les
bénéficiaires ?
M. GAEREMYNCK
. - Pour le programme Développement Local
Migration, pour les pays africains du bassin du Sénégal, 227
projets économiques de réinsertion ont pu être
financés au Mali.
M. LE RAPPORTEUR
. - Pour le seul Mali ?
M. GAEREMYNCK
. - Oui.
M. LE PRESIDENT
. - Donc, pour 227 personnes.
M. GAEREMYNCK
. - Oui.
M. LE PRESIDENT
. - Elles sont donc déjà parties.
M. GAEREMYNCK
. - Oui, elles sont sur place. Ce sont les
bénéficiaires du Plan de Développement Local Migration
(PDLM) depuis qu'il existe, en 1995. Il a été créé
à cette date, mais pas sur le principe d'association des deux
partenaires indiqués à l'instant. Il a commencé avec des
fonds du Ministère de la Coopération. Ensuite, il a
été relié aux actions et aux financements de l'OMI.
M. LE PRESIDENT
. - C'est M. GODFRAIN qui l'a lancé.
M. GAEREMYNCK
. - Oui, vers la fin de l'année 1995. Nous y
avons introduit un partenaire supplémentaire avec ses moyens financiers
et l'intervention des deux partenaires s'articule.
M. LE RAPPORTEUR
. - En vertu de la circulaire de M. CHEVENEMENT,
avez-vous élaboré de nouveaux projets, en sus de ces 227 ?
M. GAEREMYNCK
. - Quant au nombre de personnes qui auraient
présenté un projet, je ne puis vous le dire. En
réalité, il existe un flux continu de projets
présentés au Comité. Il a redémarré au
début 1998 sur la base du protocole Coopération et OMI et
quelques dizaines de projets ont été présentés.
M. LE RAPPORTEUR
. - Pourrez-vous nous en donner le nombre ?
M. GAEREMYNCK
. - Oui, si nous pouvons faire une répartition
dans le temps.
M. LE PRESIDENT
. - Le retard était dû plus à un
souci de compléter, de réfléchir qu'à un souci
financier.
M. GAEREMYNCK
. - Oui.
M. LE PRESIDENT
. - N'y a-t-il pas eu d'objections du Ministère
des Finances ?
M. GAEREMYNCK
. - Non.
M. LE PRESIDENT
. - Il s'agissait de perfectionner.
M. GAEREMYNCK
. - Et de créer quelque chose qui fonctionne.
Nous ne voulons pas financer des projets qui échouent. Nous voulons
qu'ils soient viables et qu'ils s'insèrent dans la politique de
développement de coopération française. Voilà l'un
des motifs de ce conventionnement avec la Coopération. Il faut que ces
projets aient un sens dans le cadre du développement économique
des pays en cause, même si c'est difficile. Nous voulons qu'ils
s'inscrivent dans la logique de cette politique
M. LE RAPPORTEUR.-
Ces 227 projets ne concernent-ils que le Mali ?
M. GAEREMYNCK
. - Pour une raison que je n'ai pas encore bien
identifiée, cela n'a pas vraiment marché au
Sénégal. Il est vrai que le Mali est le principal pays de
départ d'émigration. Ce sont les ressortissants de ce pays qui
ont le plus demandé à bénéficier du dispositif. Une
zone de forts départs est située à l'Ouest du Mali, Kayes,
pas très loin de la frontière du Sénégal. Cette
zone est l'une des plus déshéritées du monde.
Une des difficultés, est que dans le parcours personnel des personnes
qui ont émigré et retournent dans leur pays, il n'est pas
évident que la réinstallation dans le village ou la région
d'origine soit la solution la plus intéressante pour eux.
M. LE RAPPORTEUR
. - Ou la plus efficace.
M. GAEREMYNCK
. - Dans la mentalité africaine, il faut
prendre en compte l'aspect du prestige personnel, de l'échec du retour.
Nous avons un Comité de décision à Kayes, mais il est
probable que les activités des personnes qui reviennent se
développent plus facilement à Bamako ou dans d'autres parties du
pays. Nous y sommes très attentifs, il faut que cela marche.
M. LE PRESIDENT
. - Nous ne sommes pas à l'échelle du
problème, 227 projets pour 150 000 dossiers de
régularisation, dont 75 000 seront déboutés.
M. GAEREMYNCK
. - Les projets sont créateurs
d'activité. Toutes les personnes revenant au pays n'ont pas
forcément la capacité de créer des entreprises. Ce ne sont
pas des projets extraordinaires, ils sont individuels, modestes. Mais,
malgré tout, il faut avoir une capacité de proposer, de concevoir.
M. LE RAPPORTEUR
. - Comment expliquez-vous le faible nombre de demandes
d'aide au retour ? Combien de personnes ont-elles demandé d'en
bénéficier ?
M. GAEREMYNCK
. - Au 5 avril 1998, les dossiers
déposés à l'OMI étaient au nombre de 282 et
concernaient 309 personnes. Il y a eu 1 700 demandes d'information.
M. LE PRESIDENT
. - Essentiellement pour la Seine-Saint-Denis ?
M. GAEREMYNCK
. - Seine-Saint-Denis : 58. Val-de-Marne :
37. Autres départements : 160, mais peu pour Paris.
M. LE RAPPORTEUR.-
Combien de personnes ont quitté le
territoire ?
M. GAEREMYNCK
. - Pour l'instant, 83.
M. LE PRESIDENT
. - Les 282 incluent-ils les 83 départs ?
M. GAEREMYNCK
. - Oui.
M. LE RAPPORTEUR.-
Quelle est l'évaluation globale du nombre des
demandeurs ?
M. GAEREMYNCK
. - Il est très difficile de le savoir.
Pour expliquer le faible nombre : ce dispositif est incitatif, mais il y a
un effet de décalage dans le temps, qui a un caractère
psychologique.
Selon notre analyse, les personnes dont la demande est rejetée ne
croient pas forcément à l'aide au retour. Je crois qu'il y aura
des recours. Beaucoup d'étrangers dont la demande est rejetée ont
l'intention de faire un recours, je pense à un recours gracieux,
ministériel.
M. LE PRESIDENT
. - Après avoir épuisé les voies
possibles de recours, ils ont le sentiment que s'ils mettent le doigt
là-dedans, ils sont privés du recours.
M. GAEREMYNCK
. - Ils n'y croient pas. Ils pensent ne pas avoir tout
dit, s'être mal expliqués. Nous avons des relations avec les
associations, elles nous disent que la première demande est de les aider
à constituer leur dossier de recours. Des recours sont
déposés dans les préfectures.
Les étrangers ne croient pas à la première
décision. Un mécanisme d'adaptation psychologique doit se faire
à la décision de rejet, il prend du temps. Voilà notre
hypothèse. Les personnes estiment avoir une chance encore. Les dossiers
commencent à être traités dans les préfectures, un
petit nombre d'entre eux donne lieu à l'inversion de la décision,
la proportion n'est pas significative. C'est à partir de la
deuxième décision que les personnes se font à
l'idée que leur dossier ne sera pas pris en compte. A ce
moment-là, elles seront plus dans la disposition d'esprit de demander le
bénéfice de l'aide au retour. Voilà notre hypothèse.
M. LE PRESIDENT
. - Nous allons passer aux prévisions.
M. LE RAPPORTEUR
. - Selon l'OMI, il était prévu
10 000.
M. GAEREMYNCK
. - C'est ce qui était budgétisé.
M. LE PRESIDENT
. - Vous ne l'atteindrez pas.
M. GAEREMYNCK
. - Nous n'en savons rien.
M. LE RAPPORTEUR.-
Il faudra attendre l'expiration des délais de
recours gracieux et contentieux.
M. GAEREMYNCK
. - Oui, pour avoir une vue d'ensemble.
M. LE RAPPORTEUR.-
Quelques questions :
Pouvez-vous dresser un bilan économique et social des
précédentes opérations de régularisation (1981,
1991, 1992) ?
Quel est le profil de la population aujourd'hui régularisée ?
Comment s'est organisé concrètement le suivi par les services
sociaux des personnes régularisées ?
Quelles seront les conséquences de ces régularisations sur
l'emploi ?
Quelles seront les conséquences de ces régularisations sur la
situation financière des organisme de protections sociale ?
Pouvez-vous rappeler les droits aux prestations sociales dont peuvent
bénéficier les étrangers en situation
irrégulière ?
En quoi cette nouvelle régularisation pourrait-elle avoir des
conséquences différentes de celles des régularisations
précédentes ?
Quelles sont les perspectives d'intégration dans la
société française des personnes ainsi
régularisées ?
M. LE PRÉSIDENT.-
Vastes questions. Avez-vous
réfléchi à tout cela ?
M. GAEREMYNCK
. - Oui, bien sûr.
Concernant le bilan des précédentes opérations, j'ai
apporté, à votre intention, une copie d'un document, qui est le
document de référence, c'est le seul à mon avis
véritablement substantiel sur le bilan de l'opération de
régularisation. Il s'agit d'une étude effectuée par
plusieurs chercheurs.
En prenant connaissance de cette étude, on note les différences
par rapport à l'opération de régularisation de 1998. En
1981 et 1982, c'était une opération de régularisation de
travailleurs.
L'étude porte sur : d'où viennent les travailleurs
régularisés ? Quelles sont leurs caractéristiques
socio-démographiques ? De quels secteurs viennent-ils ?
Il s'agit fondamentalement d'une régularisation de travailleurs.
L'étude porte sur un échantillon de 10 000 personnes pour
déterminer leurs caractéristiques socio-démographiques.
Quelques éléments : ce sont essentiellement des hommes
(80 %), des célibataires en général, très peu
de familles, des jeunes. Cela correspond bien à l'immigration
traditionnelle de travailleurs que nous avions connue dans la période
précédente.
C'était des travailleurs des isolés, des personnes jeunes ayant
une faible qualification, principalement des ouvriers dans les secteurs
d'activité que nous connaissons, notamment le BTP. La plupart n'avait
pas d'enfants, un peu plus d'un tiers avait au moins un enfant, 15 % en
avaient deux. L'étude est très complète.
Un autre élément, plus de 95 % d'entre eux avaient un emploi
au moment de l'opération.
D'ailleurs sur le plan administratif, l'opération de
régularisation était le fait de la Direction
Départementale du Travail, comme pour l'opération de 1981. Vous
noterez qu'il y a des détails sur les catégories
socioprofessionnelles, BTP, 30 %, puis hôtels, cafés,
restaurantes, agriculture : 10 %.
Voilà l'opération 1981-1982.
Celle de 1991 est de moindre ampleur. En 1981, 150 000 dossiers ont
été déposés et plus de 130 000 ont fait
l'objet d'une décision favorable.
L'opération de 1991 est de nature tout à fait différente,
d'abord par les personnes visées, dont les demandes d'asile, au sens de
la Convention de Genève, avaient été rejetées,
c'étaient dont des " déboutés " du droit
d'asile. A ma connaissance, il n'existe pas d'étude comparable
réalisée sur cette population.
Mes collaborateurs ont effectué un comptage, je vous en donnerai copie.
Moins de 15 000 personnes ont été
régularisées. Nous avons quelques éléments sur la
répartition par nationalité, par continent d'origine, (l'Asie
étant le principal) et par secteurs d'activité.
Bien sûr, les demandeurs d'asile déboutés étaient
visés.
Dans le document que je vous laisserai, vous aurez la répartition
géographique : en premier l'Asie, puis l'Afrique, ensuite la
répartition par activité : BTP, 20 %, l'industrie,
23 %, etc.
Voilà pour les caractéristiques des opérations
précédentes.
Profil de la population aujourd'hui régularisée : nous avons
une indication si nous analysons les demandes, les catégories de
bénéficiaires au titre de la circulaire.
Il est possible de classer les personnes et les bénéficiaires
d'une décision dans les catégories de cette circulaire. Un point
important, ce n'est pas une régularisation de travailleurs, ce n'est pas
le principe de la circulaire, il s'agit de régularisations de
séjour, dans certain cas le travail peut être pris en compte.
Parmi les critères pris en compte par la circulaire, et c'est ainsi
qu'ils ont été appliqués pour cette régularisation,
le critère familial est essentiel. Ce n'est pas pour autant que des
familles entières ont été régularisées, avec
armes et bagages.
Le critère familial est important : conjoint de français,
conjoint de personne en situation régulière, famille
constituée de longue date, regroupement familial, etc. Cela n'implique
pas que des familles entières soient régularisées. Nous le
notons bien dans les chiffres que je vais vous donner.
Je me fonde sur deux tableaux, celui du Ministère de l'Intérieur
et celui de l'OMI, ils sont compatibles et sont à la même date.
Les chiffres de l'OMI sont un peu inférieurs étant donné
le délai de transmission. j'ai leur tableau correspondant aux dossiers
transmis à l'Office aux fins de contrôle médical.
La première catégorie qui apparaît est celle des parents
d'enfants nés à France, ensuite viennent les étrangers
sans charge de famille, régularisables, puis les conjoints
d'étrangers en situation régulière et les conjoints de
français.
Quelques chiffres : les parents d'enfants nés en France :
14 584 ; les étrangers sans charge de famille,
régularisables : 8 237 ; les conjoints d'étrangers
en situation régulière : 8 209 ; les familles
constituées de longue date en France : 7 436 ; le
regroupement familial : 5 960. Il s'agit du regroupement familial au
sens de la catégorie de la circulaire : enfants mineurs
entrés en France hors procédure regroupement familial (paragraphe
1.5.2).
Concernant le regroupement familial, le chiffre de 5 960 personnes, pour
lesquelles l'Office a été sollicité pour faire passer la
visite médicale, correspond à 4 029 dossiers. Donc, le
nombre de demandeurs a été de 4 029, dans un certain nombre
de cas les demandeurs étaient accompagnés de leur conjoint, mais
il n'y a pas le double de bénéficiaires par rapport au nombre de
dossiers.
Nous pouvons penser qu'ont bénéficié du regroupement
familial, dans la majorité des cas, les conjoints des demandeurs au
titre de cette catégorie de circulaire, et même pas un enfant dans
tous les cas. C'est le demandeur plus le conjoint et, dans un cas sur deux, le
conjoint plus un enfant.
C'est une hypothèse, il faut rapprocher les 4 029 dossiers des
5 960 personnes qui passent la visite médicale. Au titre du
regroupement familial, ce ne seront pas des familles importantes en nombre qui
sont régularisées.
J'ai essayé de répondre à votre question sur le profil de
la population régularisée.
Oui, c'est un critère familial, mais la décision de
séjour, dans les faits concerne surtout des personnes isolées.
Le suivi des services sociaux : nous avons essayé de faire en sorte
que toutes les personnes dont la situation est régularisée soient
prises en compte par les services sociaux. L'objet de la circulaire
était de prendre une décision ou non en matière de
séjour, mais nous ne devons pas en rester là. Nous avons fait
inscrire dans la circulaire que les personnes en cause seraient
signalées, de manière systématique, aux services sociaux
et nous avons mis en place, avec l'OMI, cette procédure de suivi social.
Cette partie de la procédure OMI prévoit un point de passage
obligé. Toutes les personnes régularisables ne peuvent se voir
remettre le titre de séjour que si elles ont passé le
contrôle médical de l'OMI. Nous avons mis en place une
procédure d'évaluation de leur situation sociale et personnelle
sous forme d'un questionnaire rempli par des auditeurs sociaux, une nouvelle
fonction, un nouveau métier. Ce sont des personnes jeunes, assez
qualifiées (bac + 2 à bac + 5). Elles sont d'ailleurs très
satisfaites de ce qu'elles font.
Ces auditeurs sociaux voient systématiquement toutes les personnes qui
viennent passer le contrôle médical de l'OMI, afin de leur poser
des questions pour renseigner le questionnaire (je vous en laisserai un
exemple). Il contient des questions sur la situation des personnes, personnelle
et familiale et leurs besoins.
L'objectif est vraiment d'évaluer la situation de ces personnes et leurs
besoins. La première question qui se pose est de savoir si ces personnes
ont besoin d'un apprentissage du français et dans quelles proportions.
Ensuite, viennent les questions d'emploi, de logement. etc.
C'est la première fois qu'a été mis en place, à
cette échelle, un suivi social systématique à partir du
questionnaire proposé. Evidemment, nous ne pouvons pas forcer les
personnes à répondre aux questions, mais nous le leur proposons.
Dans l'application, nous notons que la majorité d'entre elles acceptent
de remplir le questionnaire et quelquefois l'entretien se prolonge, ces
personnes étant heureuses de parler d'elles, elles auront un titre de
séjour, mais elles aiment évoquer leur situation personnelle.
Nous avons voulu cette phase d'évaluation sur la base du questionnaire
rempli dans les locaux de l'OMI. Celui-ci est ensuite transmis aux DDASS,
à charge pour elles de les exploiter, notamment de les transmettre aux
services sociaux spécialisés.
Les DDASS prennent en compte ces questionnaires, elles opèrent un tri.
Certaines personnes disent ne pas avoir de besoins particuliers, d'autres
demandent, de manière insistante et urgente, d'être introduites
dans des dispositifs d'apprentissage du français. C'est pris en compte,
nous faisons en sorte qu'elles soient introduites dans des services
spécialisés.
Les modalités : elles sont assez variables. La DDASS organise des
réunions collectives, il y en avait une hier en Seine-Saint-Denis, les
personnes sont invitées à y venir. La DDASS fait venir des
représentants des services publics : emploi, éducation
nationale, etc.
Nous voulons connaître ces personnes qui vivent en France et savoir qui
elles sont, quelles sont les familles, quels sont leurs besoins et les
introduire dans les dispositifs sociaux.
M. LE RAPPORTEUR
. - Pourriez-vous nous adresser une note sur ce point
particulier ?
M. GAEREMYNCK
. - Bien sûr.
Les conséquences de ces régularisations sur l'emploi et sur la
situation financière des organismes de protection sociale : deux
types de conséquences :
Les personnes dont la situation est régularisée pourront
bénéficier des prestations d'assurance maladie et vont devenir
des ayants-droits. Les personnes en situation irrégulière ne
pouvaient pas être affiliées à l'assurance maladie,
maintenant ce sera possible. De toute façon ces dernières
pouvaient bénéficier, dans certaines conditions, de l'aide
médicale.
M. LE RAPPORTEUR
. - Ces personnes régularisées
avaient-elles un emploi ?
M. GAEREMYNCK
. - Je n'ai pas la réponse, mais nous l'aurons
car nous mettons sur pied une vaste enquête.
Les questionnaires dont je parlais ont pour objet d'introduire
immédiatement les personnes dans les services publics et sociaux dont
elles ont besoin, mais nous voulons que ces questionnaires fassent l'objet
d'une exploitation systématique.
Nous avons prévu, en 1998, de financer une étude pour exploiter
les informations contenues dans tous les questionnaires. L'étude de 1981
et 1982 portait sur un échantillon.
Sur le plan statistique, ils seront rendus anonymes. Nous avons demandé
l'accord de la CNIL et ils seront exploités poux mieux connaître
la situation, les caractéristiques socio-démographiques des
personnes régularisées en 1997-1998.
Le questionnaire énonce ces différentes caractéristiques.
Nous aurons les informations, ensuite il y aura exploitation de l'ensemble.
Nous en tirerons également un échantillon qui suivra plus
particulièrement le parcours migratoire des personnes en cause.
M. LE RAPPORTEUR.-
Vous ne savez pas si la plupart de ces personnes ont
ou non un emploi, clandestin ou non.
M. GAEREMYNCK
. - Parmi les éléments à prendre
en compte pour la décision de réexamen, la question était
de savoir si les intéressés travaillaient ou pas. Le travail
étaient l'un des indices, parmi d'autres. Ce n'était pas le
critère essentiel.
M. LE RAPPORTEUR
. - N'avez-vous pas de comptage particulier ?
M. GAEREMYNCK
. - Non, mais nous l'aurons.
M. LE RAPPORTEUR
. - A quelle date pensez-vous l'avoir ? Est-ce en
cours ?
M. GAEREMYNCK
. - L'opération de traitement est en cours, le
remplissage des questionnaires, ensuite la transmission à
l'opérateur.
M. LE RAPPORTEUR
. - Il est important de savoir si ces personnes ont
déjà un emploi ou si elles vont grossir le nombre de
chômeurs.
M. GAEREMYNCK
. - Un certain nombre ont un emploi, mais pas
forcément tous. Combien ? Nous ne sommes pas en mesure de le dire.
M. LE RAPPORTEUR.-
Vous nous ferez une note.
M. GAEREMYNCK
. - Je vous remettrai un exemplaire du questionnaire.
Accès aux prestations familiales : les enfants, bien sûr,
bénéficient des prestations familiales, selon le système,
c'est-à-dire l'âge, le nombre.
M. LE PRÉSIDENT.-
Vous n'avez pas de point de repère.
M. GAEREMYNCK
. - Non puisqu'il n'y a pas de comptage.
L'enquête nous apportera des éléments. Pour l'instant, nous
n'avons pas d'informations.
M. LE PRESIDENT
. - Connaissez-vous le nombre d'enfants à charge
dans les familles régularisées ? Vous devez pouvoir
l'obtenir rapidement.
M. GAEREMYNCK
. - Nous l'avons clairement pour les demandes
présentées au titre de regroupement familial. Pour les autres
catégories, l'information est disponible, mais elle n'a pas encore
été exploitée.
M. LE RAPPORTEUR
. - Pour le budget des caisses d'allocations familiales,
il est intéressant de savoir quel va être l'impact.
M. LE PRÉSIDENT.-
Nous allons entendre Mme AUBRY, je suppose
qu'elle aura un chiffre prévisionnel sur les incidences
financières et sociales de cette régularisation. Un ministre ne
peut pas ne pas prendre en compte une opération de régularisation
de 75 000 personnes en France.
Je suppose que vous avez les éléments nécessaires pour
nourrir la curiosité du ministre.
M. GAEREMYNCK
. - Le système des prestations familiales est
très complexe.
M. LE PRÉSIDENT.-
Raison de plus pour réfléchir.
M. GAEREMYNCK
. - Le montant des allocations dépend du rang
de l'enfant, de l'âge, du nombre, de la position de la famille. Une
multiplicité de critères interviennent.
M. LE RAPPORTEUR.-
Supposons que nous arrivions à
régulariser 75 000 personnes, il doit y avoir un maximum de chefs
de famille.
M. GAEREMYNCK
. - On ne fait pas cela à l'unité
près.
M. LE RAPPORTEUR
. - Il doit être possible d'évaluer le
montant des prestations familiales à verser.
M. GAEREMYNCK
. - Parmi le nombre de personnes à
régulariser, les personnes adultes ne présentent pas un
problème, mais il y a les familles, celles-ci, dans un certain nombre de
cas, ont des enfants nés en France. Ils sont déjà pris en
compte.
M. LE PRESIDENT
. - Nous n'allons pas nous appesantir sur ce point. Nous
sommes très demandeurs d'une évaluation des incidences
évoquées par Monsieur le Rapporteur, aussi bien sur le domaine de
l'emploi que sur les situations financières des organismes de protection
sociale, avant la fin de la mission.
Par conséquent, si cette réponse ne peut pas être
donnée aujourd'hui, elle sera demandée de façon tout
à fait précise et, au besoin, nous vous entendrons à
nouveau à la fin de la mission. C'est un élément important
de notre rapport.
M. LE RAPPORTEUR
. - Les perspective d'intégration dans la
société française des personnes régularisées.
M. GAEREMYNCK
. - Je répète mes propos
précédents sur le suivi social. Nous voulons, par un dispositif
social, que les personnes soient connues et sur la base du questionnaire qui
reflète leurs besoins particuliers, les introduire dans les services les
plus appropriés : emploi, logement, apprentissage du
français, etc.
L'objectif du service social est d'introduire ces personnes dans les
dispositifs de la politique d'intégration sociale.
M. LE RAPPORTEUR.-
L'apprentissage du français n'est pas
obligatoire.
M. GAEREMYNCK
. - L'idée est de le suivre. Un grand nombre
d'entre elles nous le demande.
M. LE RAPPORTEUR
. - Vous nous communiquerez le pourcentage, ce serait
intéressant car l'intégration passe tout de même par
l'apprentissage de la langue.
M. GAEREMYNCK
. - Un certain nombre d'entre elles parlent
français.
M. LE PRESIDENT
. - Nous allons passer la parole aux collègues qui
après ce long et intéressant débat, ont peut-être
des questions complémentaires à poser ou des observations
à faire.
M. DEMUYNCK
. - Merci, Monsieur le Président. Il est vrai que
cette audition a été longue et intéressante. je vais poser
deux brèves questions.
Dans les régularisations qui vous ont été
présentées, retrouvez-vous des personnes qui ont
déjà bénéficié d'une aide au retour, sous
différentes circulaires qui ont pu paraître ?
Vous avez expliqué que vous faisiez une évaluation, un suivi, un
entretien à l'OMI. Pourriez-vous être plus précis et nous
dire quels en sont les résultats, les demandes précises, et
surtout quels sont les moyens supplémentaires que vous allez donner aux
organismes afin de satisfaire éventuellement ces demandes et si les
villes sont informées des demandes de ces nouveaux
régularisés ?
M. GAEREMYNCK
. - Sur le fait de retrouver des personnes ayant
bénéficié d'une aide au retour, je ne peux vous
répondre, nous n'avons pas d'éléments sur ce point. Cela
ne fait pas partie du questionnaire et à mon avis c'est
négligeable.
M. LE PRÉSIDENT.-
Votre impression est que c'est
négligeable.
M. GAEREMYNCK
. - Cela ne fait pas partie des question posées
dans le cadre de l'instruction des dossiers et ne sert pas quant au suivi
social.
Quant à votre deuxième question, nous avons voulu que l'OMI
s'organise pour faire face à toutes ces demandes. Tout à l'heure
nous parlions d'un budget autour de 10 000 personnes, nous sommes
très loin de ce chiffre pour la saisine de l'OMI, mais en tout cas
l'Office est prêt, par ses agents et aussi par l'intermédiaire des
conventions.
Nous avons demandé à l'OMI de conventionner avec certains
organismes ou associations, pour assurer l'information sur les dispositifs
d'aide au retour, le dispositif que je décrivais tout à l'heure.
Nous demandons aux associations avec lesquelles elles sont en contact, par le
biais de réunions d'information collectives, d'entretiens individuels
d'informer les étrangers de l'existence du dispositif d'aide au retour
et de ses possibilités.
Nous demandons, dans certains cas, de procéder, en liaison avec l'OMI,
à l'entretien personnalisé, dont je parlais tout à
l'heure, destiné à faire le bilan de la situation sociale,
personnelle et éventuellement professionnelle des
intéressés.
L'OMI principalement, avec les organismes avec lesquelles elle est
conventionnée, est en mesure de procéder à ces entretiens
et de mettre en oeuvre les dispositifs.
Information sur les municipalités, les villes : les personnes
saisissent l'OMI, il y a une délégation Paris Nord, Paris Sud.
Qui faudrait-il informer et sur quels critères ? Quelle
municipalité, quelle commune ?
M. DEMUYNCK
. - En Seine-Saint-Denis une information pourrait
être donnée à toutes les communes, dans tous les domaines.
Vous parliez de cours de français, de logement. Ne serait-il pas
intéressant que nous puissions avoir un bilan pour ceux qui sont
ressortissants de la Seine-Saint-Denis pour connaître leurs demandes,
leurs difficultés, leurs problèmes ? Les
municipalités pourraient ainsi prendre les mesures nécessaires
pour une meilleure intégration.
Je suis Maire, je n'ai aucune information particulière. Les services
sociaux sont obligés de se débrouiller, notamment en
matière de logement, dans des conditions inacceptables. Il faudrait
à la fois connaître les problèmes que ces personnes
rencontrent, mais surtout donner des moyens supplémentaires aux
collectivités.
M. LE RAPPORTEUR.-
Je partage entièrement le point de vue de
notre collègue. Il faut surtout donner l'information aux
départements car pour l'aide sociale ce sont les budgets
départementaux qui sont mis à contribution.
M. GAEREMYNCK
. - Ce que vous dites est particulièrement
légitime. Je pense que l'information doit passer par les directions
départementales. Nous allons leur demander si elles peuvent diffuser ces
informations aux communes.
M. LE PRESIDENT
. - D'autres questions ?
M. BLAIZOT
. - J'aimerais bien savoir si vous
bénéficiez d'une collaboration vraiment forte des
autorités locales pour l'accueil et tout ce qui peut accompagner leur
intervention. Les représentations diplomatiques des pays en question
à Paris interviennent-elles pour essayer de contribuer au succès
de ces opérations ? Par exemple, pour convaincre les personnes non
autorisées à rester sur le territoire à rentrer
plutôt que de rentrer dans la clandestinité. Y a-t-il de la part
des autorités des pays concernés un appui à votre
action ? Avez-vous le sentiment que le climat d'accueil qu'auront les
personnes qui rentreront sera satisfaisant et un motif de succès de
l'opération ?
M. GAEREMYNCK
. - Concernant l'action des autorités des pays
concernés en France avant le départ, je crois qu'il n'y a rien de
particulier.
M. BLAIZOT
. - Vous ne voyez donc pas les représentants de
ces pays prendre en charge les intéressés.
M. GAEREMYNCK
. - Je peux demander à nos collègues des
Affaires Etrangères s'ils ont des éléments sur ce point.
Je ne peux répondre négativement, peut-être existe-t-il une
action dont je n'ai pas connaissance.
M. BLAIZOT
. - Le Ministère des Affaires Etrangères
pourrait convaincre les représentations diplomatiques de ces pays
d'encourager les ressortissants à rentrer, avec la conviction qu'ils
seront bien reçus, qu'ils ne se heurteront pas à des obstacles de
la population ou des autorités. Ce serait important.
M. GAEREMYNCK
. - Je vais transmettre la question à mes
collègues des Affaires Etrangères.
M. LE PRESIDENT
. - D'autres questions ?
M. BLAIZOT
. - Qu'en est-il des représentations diplomatiques
à Paris et des autorités locales sur place.
Si les personnes sont reçues à coups de " trique ", il
est certain que cela se saura et qu'elles ne seront pas tentées de
rentrer. Si, au contraire elles sont reçues dans un climat d'accueil
approprié, ce serait peut-être un élément de
succès.
M. GAEREMYNCK
. - Je crois que le problème n'est pas
là, nous pouvons craindre une relative indifférence des pays qui
ne sont pas intéressés. Les relations avec les pays africains ne
sont pas toujours faciles.
M. LE PRÉSIDENT.-
Il peut y avoir une réaction de
souveraineté.
M. GAEREMYNCK
. - Je vais voir avec mon collègue des Affaires
Etrangères comment cela se passe avec les autorités des pays
étrangers. Il y a des contacts, c'est certain, mais quel est le climat
général, je ne peux vous donner d'indication utile.
M. BLAIZOT
. - C'est une part importante du succès de
l'opération.
M. GAEREMYNCK
. - Pour l'instant, peu de personnes sont reparties,
le problème n'a pas pris une ampleur telle que l'impact dans le pays se
pose sur une certaine échelle.
M. BLAIZOT
. - Il faudrait essayer de sensibiliser les
autorités locales afin qu'elles manifestent une bonne volonté.
M. LE PRESIDENT
. - Les Ambassadeurs ont dû faire leur
métier à cet égard, il faut l'espérer. C'est un
aspect important du problème. L'accueil, s'il est bon, aura
peut-être une place déterminante dans un dispositif nouveau et,
pour l'instant est hésitant.
D'autres questions ?
S'il n'y en a pas, je vais, Monsieur le Directeur, arrêter là
cette longue et intéressante audition. Au nom de mes collègues,
je vous remercie de la complaisance avec laquelle vous avez répondu aux
questions pertinentes de Monsieur le Rapporteur. Vous avez enrichi notre
débat et apporté, sur ce thème complexe, une information
sur un volet qui n'est pas souvent traité et qui mérite une
grande attention.
Voilà pourquoi nous nous sommes permis d'insister sur les questions
complémentaires que vous aurez à fournir concernant les
incidences de ce vaste mouvement de régularisation, incidences, je le
rappelle, de nature sociale et financière.
Merci, Monsieur le Directeur de cette prestation tout à fait conforme
à ce que nous espérions.
M. GAEREMYNCK
. - Merci, Monsieur le le
Président.
M. JEAN-MARC DUPEUX,
SECRÉTAIRE
GÉNÉRAL DE LA CIMADE
ET M. LAURENT GIOVANONNI,
RESPONSABLE DU SERVICE ACCUEIL DE LA CIMADE
JEUDI 9 AVRIL
1998
M. LE
PRÉSIDENT.-
Mes chers collègues, la séance est
reprise, nous allons entendre maintenant Monsieur Jean-Marc Dupeux,
Secrétaire général de la CIMADE, et
Monsieur Laurent Giovanonni, Responsable du service d'accueil de la
CIMADE.
Nous devons vous entendre sous la foi du serment.
(M. le Président donne lecture des dispositions de l'article 6
de l'ordonnance du 17 novembre 1958 ; M. Jean-Marc Dupeux
prête serment).
M. LE PRÉSIDENT.-
Je vais, Monsieur le Secrétaire
général, vous livrer aux questions de Monsieur le Rapporteur et
vous aurez à répondre à quelques questions posées
par mes collègues ici présents, et accessoirement du
Président.
M. LE RAPPORTEUR
. - Monsieur le Secrétaire Général
et Monsieur le Responsable des services d'accueil de la CIMADE, j'aimerais que
pour notre Commission parlementaire, vous présentiez en quelques mots
votre association.
M. DUPEUX
. - La CIMADE a 60 ans d'âge, elle a vécu
près des personnes en situation difficile depuis la dernière
guerre. C'est en 1939 que des jeunes, d'obédience protestante et autres,
se sont convaincus qu'il fallait être présents auprès des
personnes placées dans les camps de Vichy à Gurs, à
Rivesaltes, je passe sur l'histoire, que nous n'avons pas encore écrite,
mais nous y travaillons, nous avons retrouvé des archives.
La conviction oecuménique l'a emporté dans cette association qui
a toujours considéré que les éléments de sa foi,
Jésus Christ, devaient se vivre sur les frontières et au
delà.
Après la guerre, la CIMADE a envoyé des équipiers en
Allemagne pour travailler à la réconciliation, elle a
été très active pendant la guerre d'Algérie, elle a
développé un foyer de réfugiés de l'Est et elle a
accueilli les harkis au retour de la guerre d'Algérie.
La CIMADE était proche des Algériens, pendant toute la guerre
nous avions des équipiers en Algérie et à Alger
même. La proximité des étrangers que nous avons accueillis,
entre 1950 et 1970, nous a fait travailler à la formation, à
l'alphabétisation, à l'accueil et toujours à la
défense du droit de ces étrangers dans notre pays.
Aujourd'hui la CIMADE est présente dans différents lieux de
France, par des postes permanents salariés, dans les grandes villes de
France et par une multiplicité de petits groupes CIMADE qui pratiquent
l'accueil de l'étranger dans les plus petites villes, là, ce sont
des bénévoles, un mouvement d'environ 1 000 personnes
engagées dans ce travail.
Je serai bref sur les autres services que nous rendons : la formation et
l'accueil des réfugiés dans notre foyer de Massy, la
présence dans les centres de rétention et la dimension
internationale à travers notre service de solidarité
internationale.
M. LE PRESIDENT
. - C'est une association.
M. DUPEUX
. - Oui, loi 1901 dont les statuts ont été
déposés en 1940.
M. LE PRESIDENT
. - 1940 ?
M. DUPEUX
. - Au cours de la guerre.
M. LE RAPPORTEUR
. - Je vais vous poser trois séries de questions
portant sur l'aide pour la constitution des dossiers, l'aide à la
réinsertion dans le pays d'origine et l'éloignement du territoire
des étrangers en situation irrégulière.
Abordons en premier lieu l'aide pour la constitution des dossiers
Les préfectures ont-elles pris l'initiative de vous apporter des
informations spécifiques sur la procédure de
régularisation, sur les critères fixés par la circulaire
et sur les preuves admises ?
Autrement dit, vous ont-elles consultés au départ, dès
l'application de la circulaire ?
M. DUPEUX
. - Dès l'application de la circulaire, oui. J'ai
adressé une lettre à M. Lionel Jospin dès qu'il a
été question de régularisation, le 16 juin, pour dire
-compte tenu de nos expériences car nous avons instruit des dossiers
dans les périodes de régularisations précédentes-
ce qui nous semblait opportun de ne pas oublier, à partir du moment
où nous nous engagions dans ce processus délicat.
Pour répondre précisément à votre question, oui,
nous avons été informés dès le début et
pendant toute la procédure, par le Ministère de
l'Intérieur, sur la manière dont la situation se
déroulait, c'est-à-dire comment comprendre les différents
critères de cette circulaire.
M. LE PRESIDENT
. - Et les préfets ?
M. DUPEUX
. - De même, dans beaucoup de lieux, les
représentants de la CIMADE ont rencontré les préfets pour
dialoguer sur ces sujets.
M. LE PRÉSIDENT.-
Vos représentants ne sont pas dans tous
les départements.
M. CALDAGUES
. - Le nouvel interlocuteur n'a pas prêté
serment et ne peut donc s'exprimer.
M. LE PRESIDENT
. - Nous pouvons lui faire prêter serment.
(M. le Président donne lecture des dispositions de l'article 6
de l'ordonnance du 17 novembre 1958 ; M. Laurent Giovanonni
prête serment).
M. DUPEUX
. - Je suis venu avec M. GIOVANONNI, mais il semble
que cela pose problème.
M. LE PRÉSIDENT.-
Il n'y a pas de problème, simplement
vous souhaitez que M. GIOVANONNI réponde à la question de
M. le Rapporteur
M. DUPEUX
. - Je ne l'ai pas exprimé très clairement,
mais je vous explique pourquoi je lui ai demandé d'être ici.
Le poste parisien de la CIMADE est celui qui a travaillé dans des
conditions dantesques, pour accueillir et informer. Puisqu'on me demande de
dire la vérité, en tant que Secrétaire
général, je n'ai pas été, au jour le jour, dans
tous les lieux CIMADE. Pour vous donner une information vraie, il m'a
semblé utile que la personne adéquate vienne donner ces
informations à votre Commission.
M. LE RAPPORTEUR.-
Je voulais, Monsieur le Président, donner tous
apaisements à M. DUPEUX. En effet, sur la convocation, il est
prévu que des questions pouvaient être posées à
Monsieur DUPEUX, Secrétaire général de la CIMADE et
à Monsieur GIOVANONNI, Responsable du service accueil de la CIMADE.
M. LE PRÉSIDENT.-
C'est la faute du Président qui n'a pas
fait prêter serment aux deux.
M. CALDAGUES
. - Le Président n'est pas fautif.
M. LE PRESIDENT
. - Veuillez m'excuser, Monsieur GIOVANONNI, de ne pas
vous avoir fait prêter serment. L'incident est clos, maintenant vous
pouvez répondre.
M. GIOVANONNI
. - Je voulais apporter quelques précisions
concernant les informations en provenance des préfectures.
La plupart d'entre elles nous ont effectivement informés et ont tenu
à convoquer des réunions d'information, notamment la
Région Parisienne.
M. LE RAPPORTEUR.-
C'était l'objet de ma deuxième
question :
Les préfectures ont-elles informé les demandeurs sur l'aide
susceptible de leur être apportée par les associations ?
M. GIOVANONNI
. - Je voulais préciser la première
question, l'information par rapport aux associations et aux préfectures.
Certaines préfectures ont convoqué des réunions,
auxquelles avons participé pour obtenir toutes les informations. Elles
ont donné des informations pratiques sur la procédure de
constitution des dossiers, sur les documents à fournir pour telle ou
telle catégorie d'étrangers.
A ce moment-là, il y avait encore un certain flou, notamment sur le
formulaire type que les étrangers devaient remplir. Nous avons
sollicité au Ministère de l'Intérieur un formulaire au
niveau national, afin qu'il ne soit pas différent d'une
préfecture à l'autre, ce qui était le cas au début
de la mise en oeuvre de la circulaire.
M. LE RAPPORTEUR.-
Les préfectures ont-elles informé les
demandeurs sur l'aide susceptible de leur être apportée par les
associations ?
M. LE PRÉSIDENT.-
Il s'agit des demandeurs.
M. GIOVANONNI
. - A ma connaissance, non, il n'est pas impossible
que dans tel ou tel lieu de telles informations aient été
communiquées.
M. LE RAPPORTEUR
. - Avez-vous accepté d'aider tous les
étrangers qui vous ont sollicités ? Dans le cas contraire,
quels ont été vos critères d'appréciation ?
M. LE PRESIDENT
. - Avez-vous été sélectifs, ou
avez-vous répondu à toute demande ?
M. DUPEUX
. - Je vais répondre pour la CIMADE en
général, puis M. GIOVANONNI donnera des
précisions concernant l'Ile-de-France
Nous avons accueilli tout le monde sans distinction, c'est notre métier.
La question se posait autour de l'afflux des personnes. Les associations
capables d'informer ont peu de moyens et sont peu nombreuses.
Il a donc fallu organiser nous-mêmes des réunions d'information,
et suivant les lieux de France nous avons accueilli de manière plus ou
moins forte, dans la mesure où il y avait plus ou moins de demandes. Je
sais qu'à Strasbourg il n'y a pas eu un afflux considérable de
personnes, du fait que la préfecture avait déjà
régularisé les situations des personnes qui entraient dans la
circulaire.
J'aimerais que M. GIOVANONNI nous dise comment cela s'est passé
à Paris.
M. GIOVANONNI
. - Il faut distinguer l'aide, quelle forme d'aide. La
première que nous avons apportée, sans aucune distinction, est le
travail d'information qui n'existait pas au niveau administratif.
Comme l'information n'a pas été mise en place par les
ministères, il a fallu que les associations s'en chargent. Notre
première tâche a consisté à élaborer un
document simple, pratique pour expliquer la circulaire de régularisation
destinée aux étrangers qui venaient nous demander conseil et qui
souhaitaient savoir dans quelles catégories ils rentraient et s'il
convenait ou pas de déposer une demande.
Selon les lieux, et notamment à Paris, nous n'avons pas nous-mêmes
rempli de dossiers, nous avons fait des séances d'information
collectives, environ six séances par semaine, avec entre 50 à 100
participants. Nous expliquions aux personnes les critères et documents
requis pour faire une demande de régularisation.
M. LE PRÉSIDENT.-
Dans les locaux de la CIMADE ?
M. GIOVANONNI
. - Oui. A la fin de chaque séance, nous
répondions aux questions individuelles des intéressés et
tous demandaient s'il était souhaitable de faire un demande, si elle
avait des chances ou pas d'aboutir. Nous avions un rôle de conseil et en
fonction de la circulaire, nous donnions les informations sollicitées.
Ce sont les intéressés eux-mêmes qui se
déterminaient. Nous ne prenons jamais de décision à leur
place. En revanche, nous constituons à présent des dossiers
directs pour les recours gracieux, dans ce cas, nous effectuons une
légère sélection. Nous n'ouvrons pas des dossiers pour
tout le monde, sachant que certains sont beaucoup trop éloignée
des critères requis par cette circulaire.
M. LE RAPPORTEUR
. - Avez-vous été amenés, par
certaines préfectures, à participer aux entretiens ?
M. DUPEUX
. - Nulle part.
M. LE RAPPORTEUR.-
Même pas dans les Hauts-de-Seine ?
M. GIOVANONNI
. - A ma connaissance, non. Peut-être pour deux
pu trois personnes, au cas par cas, mais c'était tout à fait
exceptionnel.
M. LE RAPPORTEUR.-
Certains demandeurs se sont-ils faits domicilier
à votre association ?
M. GIOVANONNI
. - Non, à de très rares exceptions
près.
M. LE RAPPORTEUR.-
La nature de l'aide que vous avez apportée
sont les réunions d'information.
M. DUPEUX
. - Pour Paris, oui. Dans d'autres lieux où il y
avait moins de demandes, les entretiens étaient plus longs et la
manière de suivre les personnes qui avaient écrit et qui
revenaient était différente.
A Paris, nous n'avons fait que de l'information, tout l'été, au
rythme indiqué tout à l'heure.
M. LE RAPPORTEUR
. - L'Administration a-t-elle accepté que vous
preniez position en faveur de certains dossiers plus délicats que
d'autres, pour les soutenir, les plaider auprès de l'Administration
M. GIOVANONNI
. - Cela arrive régulièrement, c'est une
pratique constante de notre association d'avoir des relations, au delà
des divergences, des contestations, des échanges sur des questions
générales, mais également sur des dossiers particuliers.
M. LE RAPPORTEUR
. - Avez-vous le sentiment que l'Administration a pris
en compte vos observations ? Votre plaidoirie a-t-elle été
efficace pour certains de dossiers ?
M. GIOVANONNI
. - Pour certains dossiers, c'est moins la plaidoirie
qui est efficace que notre capacité d'avoir une relation de confiance
avec les étrangers qui viennent nous voir, qui n'est pas
forcément la même dans les locaux d'une préfecture, et
d'apporter des éléments nouveaux qui n'avaient pas
été versés au dossier.
M. LE RAPPORTEUR
. - D'expliciter le dossier.
M. GIOVANONNI
. - Oui, de verser au dossier des
éléments nouveaux permettant à la préfecture de le
reprendre et de modifier sa vision de la situation.
M. LE PRESIDENT
. - C'est dans le cadre du recours gracieux.
M. GIOVANONNI
. - Oui, ou d'un mémoire complémentaire
versé à un dossier pas encore traité.
M. LE PRÉSIDENT.-
Il y a beaucoup de rejets de dossiers. Les
déboutés sont tous au stade du recours gracieux. Vous aidez
à la formulation du recours gracieux.
M. GIOVANONNI
. - Oui.
M. LE PRÉSIDENT.-
Pour les recours gracieux, êtes-vous
sollicités systématiquement par les personnes ? Tous les
déboutés formulent-ils un recours gracieux ?
M. GIOVANONNI
. - Pour la Région Parisienne, le nombre de
personnes refusées est d'environ 20 000, il est évident que
nous ne les avons pas vu toutes. Beaucoup tentent de formuler un recours
gracieux auprès des préfectures, mais ce n'est pas
systématique.
M. LE PRESIDENT
. - Dans ce cas, vous leur fournissez des formules.
M. GIOVANONNI
. - Nous recevons les personnes, nous examinons s'il y
a ou non des éléments nouveaux, un traitement des dossiers
contestable de notre point de vue. Nous essayons alors de formuler un recours
personnalisé, signé par l'intéressé et par
nous-mêmes. Nous l'envoyons à la préfecture et nous en
discutons, au cas par cas avec les responsables des administrations
M. LE RAPPORTEUR.-
C'est vous qui allez discuter.
Il y a deux catégories de recours : le recours gracieux et le
recours contentieux. Il n'y a pas que votre association qui se préoccupe
de formaliser le recours gracieux et de procurer un avocat aux personnes pour
formaliser un recours contentieux.
M. DUPEUX
. - On peut avoir un recours contentieux sans avocat.
M. LE RAPPORTEUR
. - Avez-vous un ou plusieurs avocats qui se
préoccupent de la question ?
M. DUPEUX
. - Nous n'avons pas d'avocats, mais il arrive que la
CIMADE aide à formuler des recours.
M. LE PRESIDENT
. - Comment évaluez-vous l'efficacité de
vos interventions ? Quelle est l'impression générale ?
Votre intervention est-elle prise en considération ou pas ?
M. LE RAPPORTEUR.-
Quel est le pourcentage de réussite ?
M. GIOVANONNI
. - Il n'est pas encore établi. Il y a beaucoup
de recours. Les préfectures ont encore un nombre de dossiers
considérables à traiter en première instance et ne font
que commencer à étudier les recours gracieux.
Cela dit, pour les recours que nous avons adressés et pour lesquels nous
avons des réponses, le taux de réponse favorable pour Paris, est
de 30 à 40 %. Il ne s'agit que de dossiers que nous avons
sélectionnés, pour lesquels nous savions qu'ils avaient de bonnes
chances d'aboutir, les personnes remplissant les critères de la
circulaire et notamment l'interprétation qui en est donnée.
L'un des deux gros problèmes auquel nous sommes confrontés, pour
lequel les préfectures ne peuvent pas modifier leur attitude, suite
à des arbitrages interministériels, concerne la situation des
célibataires qui, à une époque, étaient demandeurs
d'asile. Ils étaient avant que leur demande d'asile ne soit
rejetée, en situation régulière. Ils remplissent les
critères de la circulaire et la régularisation leur a
été refusée, l'Administration et le Ministère de
l'Intérieur ne voulant pas reconnaître cette situation.
C'est une situation étonnante, qui provoque le rejet de très
nombreux dossiers de demandes de régularisation de personnes qui ont
été en situation régulière et qui ont eu une
insertion professionnelle et sociale.
Les personnes concernées sont parfois en France depuis plus de sept ans.
Avant octobre 1991, les demandeurs d'asile avaient droit non seulement au
séjour mais au travail. Elles se retrouvent aujourd'hui devant un refus
de régularisation, au motif qu'elles n'ont jamais eu de période
régulière, ce qui est un non sens. Il y a, là, un conflit
d'interprétation de la circulaire qui dépasse les
préfectures. Certaines nous ont confié qu'elles avaient du mal
à comprendre cette logique.
M. LE RAPPORTEUR
. - Nous passons au point suivant.
Avez-vous était associé au processus mis en place pour l'aide au
retour des étrangers à qui la régularisation a
été refusée ?
M. DUPEUX
. - Au processus de la mise en place, non. Cela dit, nous
avons dans nos différents sites toute l'information disponible, celle
qui vient de l'OMI. Nous connaissons le dispositif, mais nous n'y avons pas
été associés.
M. LE RAPPORTEUR.-
Vous n'intervenez pas. Vous auriez pu intervenir.
M. DUPEUX
. - Nous donnons l'information. Si vous m'interrogez sur
le processus qui a conduit à cette circulaire et la manière
d'envisager l'aide au retour, là aussi, nous aurions pu donner des avis.
M. LE RAPPORTEUR.-
Vous n'avez pas été consultés.
M. DUPEUX
. - Nous aurions émis des avis montrant
l'aberration de cette proposition par rapport aux personnes refusées.
M. LE RAPPORTEUR
. - Parlez-nous de cette aberration.
M. DUPEUX
. - Si vous ratez le Bac et que vous ayez une session de
rattrapage, ce n'est pas entre les deux que vous pouvez changer d'orientation.
Quand on donne un délai de deux mois pour le recours, et d'un mois pour
envisager le départ, il est évident qu'à partir de la
notification de refus et avec un tel délai il est impossible d'entrer
dans une perspective logique d'aide au retour. Passé le délai
d'un mois, on retrouve toutes les difficultés pour se réinscrire
dans le dispositif. Il existe d'assez grandes aberrations dans ce dispositif.
Ai-je été suffisamment clair ?
M. CALDAGUES
. - Ce n'est pas clair.
M. LE RAPPORTEUR
. - Prenez un cas concret.
M. GIOVANONNI
. - Le dispositif général de cette
circulaire d'aide à la réinsertion est à peu près
le même que celui qui existe depuis 1991, sauf que les montants
financiers sont plus importants.
Cette circulaire précise de façon très stricte que le
délai pendant lequel la personne -qui a été l'objet d'un
refus de régularisation, peut formuler sa demande- est d'un mois.
Passé ce délai la demande est irrecevable. Si la personne est
sous le coup d'un arrêté de reconduite à la
frontière, d'interdiction judiciaire (pour refus d'embarquement par
exemple), sa demande est irrecevable.
Que constatons-nous depuis plusieurs années que ce dispositif existe, ce
n'est pas la première fois que nous le rencontrons et en informons les
personnes ? Nous constatons que quelqu'un qui a espéré
obtenir une régularisation de sa situation administrative et avoir une
vie normale en France, met plusieurs mois avant de comprendre que ses
démarches sont vouées à l'échec et qu'il n'y
arrivera pas.
Ce n'est qu'après six mois environ que la personne comprend que sa
demande n'aboutira pas et qu'elle accepte de changer de projet. Elle est alors
plus réceptive et peut envisager un possible retour et ses conditions.
Le fait de limiter à un mois la période pendant laquelle la
demande peut être présentée est aberrant. Les personnes
à qui la demande de régularisation est refusée
reçoivent une notification de la préfecture leur proposant deux
mois pour présenter un recours et un seul mois pour faire une demande de
retour. L'espoir fait vivre, les personnes font des recours, c'est naturel et
humain.
Le jour où elles tenteront, pour certaines, une demande d'aide au
retour, elles ne pourront plus, les délais étant forclos depuis
longtemps.
M. LE PRESIDENT
. - Donc, vous estimez que le télescopage de deux
formules conduit la seconde à être occultée par la
première. Quand on est susceptible d'être reconduit à la
frontière, on ne présente pas nécessairement une demande
pour bénéficier d'une aide au retour.
M. GIOVANONNI
. - Cette question d'aide au retour est complexe et
sensible, il aurait été souhaitable qu'il y ait une
réflexion collective pour tenter de proposer un dispositif qui puisse
fonctionner, ce qui n'est pas le cas.
M. CALDAGUES
. - La décision sur le recours gracieux,
à supposer qu'elle soit négative, rouvre-t-elle le délai
de demande d'aide au retour ?
M. DUPEUX
. - Non.
M. CALDAGUES
. - Est-ce sûr ?
M. LE PRÉSIDENT.-
Le directeur de l'OMI, entendu ici, nous avait
dit qu'on comptait beaucoup sur les associations, comme la CIMADE, pour aider
l'OMI à faire valoir l'intérêt de cette formule.
L'espoir de l'Administration était de vous placer en situation de
coopération quant à cette formule. La demande a été
formulée de façon officieuse et précise.
M. DUPEUX
. - Même officielle.
M. LE PRÉSIDENT.-
Vous avez été associé
à cette démarche d'aide au retour. C'est le renversement de votre
rôle traditionnel qui est de défendre la situation des
étrangers en France. Là, on vous demandait de défendre une
politique gouvernementale qui consistait à aider les étrangers
à rentrer dans leur pays d'origine.
Quelle est votre position et quel accueil avez-vous réservé
à cette démarche ?
M. DUPEUX
. - Notre travail est d'informer les personnes sur
l'ensemble des règles qui les concernent. Quand il y a une circulaire,
nous les informons sur l'ensemble des règles, qu'ils s'agisse d'une
circulaire de régularisation ou d'aide au retour, cette dernière
ne concerne que peu de personnes.
Ce n'est pas parce que des associations vont battre des mains et dire qu'il
faut y aller, que spontanément les étrangers vont faire la
démarche. Il y a une incompatibilité, c'est ce que j'ai
essayé de raconter avec ma petite histoire.
Peut-être avez-vous perdu un jour vos papiers en pays étranger.
Essayez, à partir de cette petite expérience et de votre
état psychologique dans cette période, de reconstituer ce que
peut être celui des personnes qui sont là depuis des années
et qui sont entrées dans cette demande de régularisation. Elles
reçoivent un refus et il leur est dit qu'elles ont la possibilité
d'un recours ou de rentrer chez elles.
Ces informations sont données à la CIMADE, nous avons dit au
Directeur de l'OMI que nous étions déjà associé
à eux, puisque nous donnions l'information et que leurs plaquettes
étaient dans toutes nos permanences, d'ailleurs elles sont
envoyées aux personnes avec les notifications de refus. Donc, celles-ci
nous interrogent et nous les informons régulièrement.
Nous effectuons ce travail, mais mettons-nous dans l'esprit de la personne qui
a fait une demande de régularisation pour rester dans un pays où
souvent des liens forts l'attachent. Nous avons beaucoup insisté sur la
vie familiale, mais il y a aussi la vie privée à
découvrir, le fait que les personnes ont des liens dans ce pays.
D'ailleurs il a été demandé à ces
célibataires des fiches de paie, des feuilles d'impôts, il fallait
qu'ils montrent tous les liens les attachant au pays.
Et, tout d'un coup, c'est le basculement : et si vous retourniez dans
votre pays... Ce n'est pas après avoir fait, avec une telle
intensité, le choix d'y rester que par un déclic d'un instant et
d'une association, fut-elle douée de tous les charismes, que ce
processus va s'enclencher.
Les délais ne permettent aucune évolution, il faut au moins six
mois pour qu'une personne, verrouillée dans sa situation en France,
puisse envisager de tenter le coup.
Effectivement, si on veut faire participer les associations il faut reprendre
les questions des régularisations avec les associations.
M. LE RAPPORTEUR.-
Sur le plan pratique, tout le monde serait d'avis
qu'il faudrait augmenter la durée du délai pour remplir les
formalités de l'aide au retour.
M. GIOVANONNI
. - La question du délai nous fait dire que
cette circulaire telle qu'elle est rédigée, n'aura pas d'effet ou
qu'un effet très marginal.
La question du délai n'est pas le seul argument. Il serait souhaitable
d'avoir une véritable réflexion collective qui pourrait
répondre à la demande d'un certain nombre de personnes qui, sans
espoir d'obtenir leur régularisation, choisiraient le retour.
Pourquoi ne pas envisager une sorte de formation préparant au retour,
avec des projets, l'accompagnement des personnes qui, au-delà d'un
simple retour, auraient aussi un projet de réinsertion
économique, sociale, familiale dans leurs pays d'origine. Ce n'est pas
nouveau, cela s'est pratiqué il y a quelques années pour des
personnes en situation irrégulière. La CIMADE a participé
à plusieurs reprises à ce genre de projet, notamment avec des
réfugiés souhaitant revenir dans leur pays.
Evidemment, pour les personnes en situation régulière, c'est plus
délicat, mais mériterait une véritable réflexion
collective pour essayer d'élaborer un système qui ait quelque
chance de fonctionner, parce que répondant à la réelle
situation des personnes.
M. LE RAPPORTEUR.-
N'avez-vous pas l'impression que l'OMI le fait
déjà, notamment au Mali ? Son Directeur nous a dit que
près de 300 projets avaient été réalisés
dans ce pays depuis 1991.
M. GIOVANONNI
. - Il y a effectivement des projets
intéressants de l'OMI au Mali ou dans d'autres pays. Si nous prenons les
statistiques de l'aide au retour depuis qu'elle a été
instituée en 1991, c'est quand même extrêmement faible.
M. LE PRESIDENT
. - 227 projets au Mali.
M. LE RAPPORTEUR
. - Nous passons à la troisième
série de questions
M. DUPEUX
. - Sur la question précédente, j'ai quelque
chose à rajouter. L'idée qui prévaut est celle-ci :
Si les gens ne peuvent pas rester chez nous, il faut absolument qu'ils puissent
rester chez eux et donc qu'il y ait un développement économique
dans ces pays. Ce raisonnement vise à dire : le
développement au Sud est le moyen d'arrêter les flux migratoires.
Cette idée mérite d'être examinée car elle est en
grande partie fausse. Pour les Malien de la région de Kayes, ce qui les
a bloqués chez nous est le fait que l'on ait restreint les
possibilités d'aller et venir. Ces personnes menaient déjà
des opérations de développement dont on n'a jamais fait le bilan.
En quelque sorte, c'était des coopérants et les mesures
restrictives que nous avons prises dans nos pays d'Europe pour arrêter
l'immigration a bloqué les personnes et la possibilité pour elles
d'aller et venir.
Voilà pourquoi aujourd'hui nous nous demandons : comment relancer
quelque chose au Mali ?
Par ailleurs, nous n'avons jamais vu de développements
économiques qui ne fassent pas une part importante à des flux de
personnes qui vont et qui viennent. Qu'est-ce que le commerce, sinon des
personnes qui voyagent ? Qu'est-ce que le développement, sinon des
personnes qui partagent des technologies en allant et venant ?
La CIMADE a une certaine expérience en la matière. Nous avons
expérience en matière de solidarité internationale pour
les projets de développement que nous menons au Sud, quand il faut faire
venir un chargé de projet, c'est la croix et la bannière parce
qu'il n'a pas de visa. Il faut se battre et expliquer que cette personne vient
juste faire le point avec nous sur son projet. Or, cette personne, par son
projet, est en train de lutter très concrètement contre cette
immigration que d'aucuns craignent.
Là, nous sommes vraiment dans des vices de pensée. Il faudrait
vraiment examiner cette idée. Peut-il y avoir développement avec
renvoi des personnes chez elles avec un petit capital et tout se passe
là-bas ?
Le développement, ce sont les échanges, la possibilité
d'aller et venir. Il faut réfléchir d'abord sur ce que
représente aujourd'hui, en termes de coopération, les
immigrés qui sont chez nous compte tenu des flux financiers qu'ils
génèrent vers les pays du sud. Ensuite, si nous voulons de l'aide
au retour, nous devons admettre que celle-ci n'implique pas arrêt et
blocage des flux migratoires, car il n'y a pas de développement sans
flux.
Deus exemples : le Portugal était un pays de migration, au moment
où il s'est développé, les flux migratoires se sont
intensifiés. Entre la Corée et le Japon, dans la période
où la Corée s'est développée, les flux se sont
intensifiés entre ces deux pays. Il faut réfléchir
à ces exemples. Nous devons arrêter de raisonner sur cette
idée trop simple, bloquer les flux en développant l'idée
de laisser les personnes chez elles, en leur donnant un capital. Ce n'est pas
cela l'économie.
M. LE RAPPORTEUR.-
Vous avez parlé de projet et avez dit avoir
quelques difficultés pour obtenir des visas pour les personnes
chargées de le réaliser. Quel est le genre de projet que vous
avez patronné, par exemple au Sénégal ?
M. DUPEUX
. - Dans ce pays, nous avons une association qui est
devenue plus importante que la CIMADE. Elle emploie 130 salariés, il y a
trois programmes : un programme urbain à Dakar et deux programmes
ruraux de développement de l'agriculture et formation des personnes.
La CIMADE ne fait pas de l'agriculture pour l'agriculture, pour nous il s'agit
toujours du droit des personnes, de l'émancipation des peuples, de la
capacité des personnes à se tenir debout. Ces trois projets sont
soutenus pas d'autres ONG que la CIMADE.
Nous faisons de la formation des femmes, des agriculteurs. Cette association
est composée de 3 000 membres. C'est une association fille, mais
elle est indépendante, c'est notre partenaire.
M. LE RAPPORTEUR
. - D'autres questions.
Pensez-vous que les étrangers non régularisés doivent
être éloignés du territoire ? Si oui, quels sont,
selon vous, les meilleurs moyens pour y procéder ?
Comment percevez-vous l'incitation faite aux passagers de vols réguliers
à manifester leur hostilité à l'éloignement du
territoire des étrangers en situation irrégulière ?
M. DUPEUX
. - Première question : c'est la loi. Nous
l'expliquons en permanence, c'est notre travail, que ce soit à
l'arrivée, dans les zones d'attente, dans les centres de
réfugiés où les personnes demandent l'asile, au jour le
jour avec les personnes qui ont des difficultés avec leur titre de
séjour ou dans les centres de rétention.
M. LE PRÉSIDENT.-
Vous leur dites : faites attention, vous
êtes sous le coup d'une obligation d'être éloignés du
territoire.
M. DUPEUX
. - Oui, quand il y a une interdiction du territoire, nous
leur expliquons ce que cela signifie. Nous essayons, dans la mesure de nos
faibles moyens, que cela se fasse dans les meilleurs conditions de
compréhension et de dignité.
Quand cela nous paraît scandaleux, comme actuellement vis à vis
des Algériens qui sont conduits dans ce pays où continuent les
massacres, nous le faisons savoir. Il n'est pas normal, étant
donné la politique restrictive de visa et le fait que des
Algériens rentrent sur notre territoire pour se protéger, que
nous nous retrouvions avec une vingtaine d'expulsions par semaine, que l'on
continue à renvoyer des personnes qui recherchaient un abri et qui sont
reprises par le GIA ou l'armée alors qu'elles voulaient se soustraire
à ces horreurs ; ou bien encore des personnes qui sont depuis
longtemps sur notre territoire et qui sont condamnées à le
quitter pour trouver un pays qui vit une guerre affreuse.
M. GIOVANONNI
. - Pour avoir une vision plus générale,
il faut revenir sur l'aide au retour. Il me paraîtrait plus intelligent
de tout faire pour privilégier le retour volontaire. A ce jour, la
réflexion dans ce sens n'a pas été très loin, il
serait temps de réfléchir, d'une façon plus digne et plus
respectueuse, aux liens très étroits, que l'on a trop tendance
à oublier, entre la France et les pays d'origine pour l'accompagnement
des personnes qui ne peuvent pas rester en France.
Pour la reconduite à la frontière, effectivement c'est la loi.
Cela dit, il ne faut pas se raconter d'histoire. Tout le monde sait que le
nombre de personnes que le dispositif peut renvoyer chaque année ne
dépasse jamais 10 à 12 000 personnes par an. Aujourd'hui,
nous sommes devant une situation de rejet, en gros c'est la moitié,
depuis le début de la régularisation, 50 % d'acceptations et
50 % de refus, c'est donc 80 000 personnes en situation
irrégulière.
Vous demandez s'il est souhaitable de les reconduire à la
frontière, cette question n'a pas de sens en soi. Nous savons que de
toute façon, quel que soit le Gouvernement en place, ce n'est pas
possible.
Nous avons dit, bien avant la circulaire du 24 juin, qu'il convenait de
régulariser le plus largement possible la situation des étrangers
qui souhaitaient poursuivre leur vie en France. Parallèlement, pour
celles qui ont des attaches en France moins importantes, il faut tenter
d'inventer un dispositif plus intelligent permettant de favoriser leur retour
volontaire dans des conditions plus dignes et plus respectueuses.
Je ne sais si vous l'avez perçu, mais le mouvement des sans papiers qui
se développe depuis 1996 est beaucoup plus qu'un mouvement de
revendication. C'est quelque chose qui marque un retour de la mémoire,
de l'histoire et des liens très forts qui unissent les pays d'origine de
ces personnes à la France. Il faut absolument avoir cela en tête.
M. LE RAPPORTEUR
. - Cela étant, je réfléchis, ce
n'est pas moi qui ai dit que la France ne pouvait accueillir toute la
misère du monde que proposez-vous ? Comment voyez-vous la question
de l'immigration non seulement en France mais en Europe ?
Ne pensez-vous pas que la régularisation massive provoque
inéluctablement un appel d'air, un nouvel afflux de personnes qui
viendront en immigration clandestine en France ?
M. GIOVANONNI
. - La question de l'appel d'air est
régulièrement mise en avant, il faut la minorer, elle
n'était pas notable les années passées lors des autres
régularisations. Celle de 1991, 1992, certes moins importante,
concernait des déboutés du droit d'asile, elle n'a pas
provoqué, que je sache, d'appel d'air, le nombre de demandeurs d'asile
ayant considérablement baissé après. L'appel d'air n'a
jamais été constaté véritablement.
Quant à la politique d'immigration et la question des sans papiers, il
faut distinguer deux éléments : la situation actuelle
à laquelle nous sommes confrontés, 150 à
160 000 personnes ont fait une demande de régularisation. Si
nous examinons les chiffres des années passées, le dispositif
législatif des années 1993-1995 a eu pour conséquences non
pas de faire baisser les entrées, mais surtout de faire baisser le
nombre de nouvelles cartes de séjour délivrées. Depuis
vingt ans, environ 20 000 personnes sont acceptées sur le
territoire, l'immigration zéro n'a jamais existé et n'existera
jamais, donc il y a toujours ce même flux de personnes qui ont obtenu
chaque année une nouvelle carte de séjour.
Depuis 1993, ce chiffre a baissé. L'effet du dispositif
législatif a sans doute a fait baisser les entrées, mais a
surtout bloqué la régularisation ou l'octroi de titres de
séjour pour les personnes qui avaient des attaches en France. Le chiffre
de 100 à 120 000 est tombé à 80, 70 et 60 000.
Si nous faisons le calcul de ce différentiel entre le taux habituel de
100 à 120 000 et le nombre de cartes octroyées depuis quatre
ou cinq ans, nous tombons à 150 000. Il nous semblerait
préférable d'apurer cette situation qui crée des tensions
dont personne n'a à profiter, et ensuite, d'essayer d'avoir une
réflexion dépassionnée, dépolitisée, dans le
sens politicien du terme, sur la politique migratoire nécessaire pour la
France et l'Europe. En effet, personne n'a de réponse toute faite. Pour
aboutir, il faudrait d'abord dépassionner le débat et apurer la
situation.
M. LE PRESIDENT
. - Nous n'allons pas faire la politique de l'immigration
européenne .
M. LE RAPPORTEUR.-
Comment percevez-vous l'incitation faite aux
passagers de vols réguliers à manifester leur hostilité
à l'éloignement du territoire des étrangers en situation
irrégulière ?
M. LE PRESIDENT
. - C'est un problème actuel.
M. DUPEUX
. - Les agitations excessives sont nuisibles. Le
problème est celui qui a été évoqué tout
à l'heure. On pose et on va poser des questions autour des reconduites
qui n'ont pas de sens.
Faut-il ou pas reconduire, alors qu'on se prépare à remettre
80 000 personnes dans la clandestinité alors qu'elles ont
manifesté la volonté de rester en France ?
Oui. Il ne faut pas s'habituer à renvoyer des personnes
étiquetées chez elles, car chaque fois que l'on porte atteinte
à la dignité de l'homme et que l'on s'y habitue, on court des
risques. Il peut y avoir quelques manifestations de personnes et les compagnies
aériennes commencent à se manifester. C'est un
épiphénomène de la question centrale posée autour
de ces reconduites.
Si cette circulaire de régularisation aboutit au fait que 80 000
personnes sont remises dans la clandestinité, de manière durable,
nous allons continuer à avoir ces foyers de contestation. Le mouvement
des sans papiers est un véritable mouvement dont il faut tenir compte.
Il est très fragile, pas très constitué, dans certains
lieux il peut être manipulé, mais ce n'est pas une grosse
manipulation sinon il serait plus efficace. C'est un petit mouvement durable et
profond.
Voulons-nous vivre ainsi avec ce malaise autour de quelques étrangers,
alors que les problèmes de notre pays sont bien plus importants et
tournent autour des problèmes beaucoup plus graves du chômage, de
la défense des droits sociaux et autres ?
Allons-nous continuer à nous focaliser autour de ces sans papiers parce
que nous n'aurons pas voulu faire une régularisation aussi large ?
M. LE RAPPORTEUR.-
Vous excluez l'éloignement du territoire.
M. DUPEUX
. - Encore une fois, non. Vous posez la question de savoir
si les passagers d'un avion sont d'accord pour voyager avec quelqu'un
saucissonné sur le siège à côté de lui. Je
réponds que ce n'est pas le vrai problème, c'est un
épiphénomène qui peut vous déranger demain si vous
prenez l'avion et que vous ayez une personne dans ce cas à
côté de vous, ce qui ne vous semblera pas correspondre à la
dignité.
M. LE RAPPORTEUR
. - Quelle est la solution ? Le charter ?
M. GIOVANONNI
. - Je reviens à votre question :
sommes-nous pour ou contre le renvoi ? Nous disons que ce n'est pas la
réponse adaptée et que cette question n'a pas de sens au vu de la
situation. La France n'a pas les moyens de renvoyer 80 000 personnes.
M. LE RAPPORTEUR
. - Selon vous, il faut les garder.
M. GIOVANONNI
. - Il faudrait régulariser la situation des
personnes qui ont des attaches en France, pour apurer la situation et en
même temps voir si nous pouvons inventer des systèmes permettant
aux personnes de partir d'elles-mêmes et dans d'autres conditions dans
leur pays d'origine.
C'est de loin préférable aux gesticulations de toutes sortes
autour des reconduites à la frontière.
M. CALDAGUES
. - Je ne crains pas de focaliser sur le
problème des sans papiers, puisque tel est l'objet de notre Commission
d'enquête décidée par le Sénat de la
République.
J'ai mis moins de trois minutes à comprendre la leçon
d'économie, échaudé que j'étais par les plus de
trois minutes que j'avais mises à comprendre la question
précédente.
L'aide au retour et l'installation sur place engendrent-elles
nécessairement des flux migratoires ? La question est de savoir si
c'est aussi évident que cela. Quand l'Etat délivre une aide aux
paysans bretons ou aux PME auvergnates, considérez-vous que cela
déclenche des flux migratoires ?
Il y a eu un discours sur la mutation psychologique qui demande six mois avant
de s'opérer. En réfléchissant, j'ai cru comprendre que le
problème était le suivant : il y a effectivement
incohérence. Dès lors qu'il y a coexistence du recours gracieux
et de la demande d'aide au retour, l'un tue l'autre et réciproquement.
Si on demande l'aide au retour, on fusille le recours gracieux, et vice-versa,
je l'ai compris grâce aux précisions de M. Giovanonni. Je me
réjouis, en suscitant son serment, de lui avoir donné la
possibilité de s'exprimer et de donner ces précisions.
Je pose la question de savoir si j'ai bien compris.
Vous avez évoqué la question du refus de prise en compte de la
durée pendant laquelle les demandeurs d'asile ont pu résider sans
encombre sur le territoire national. Il faut savoir ce que l'on vise quand on
parle de résidence régulière.
Considérez-vous que le récépissé de demande
d'asile, qui a constitué un titre de séjour au provisoire, au
point qu'il en a été fait abus, équivaut à une
situation de séjour régulière ?
Je crois avoir compris qu'aux yeux de l'Administration ce n'est pas une
durée de séjour régulière, alors que vous la
considérez comme telle.
Vous avez évoqué, pour la déplorer, la demande, cela
visait l'aide au retour, qui n'était pas recevable de la part de
quelqu'un qui faisait l'objet d'un arrêté de reconduite à
la frontière. Faut-il réserver le même traitement à
quelqu'un qui est l'objet d'un arrêté de reconduite à la
frontière qu'à quelqu'un qui ne l'est pas ? Peut-on faire
une différence entre les deux ?
Vous avez parlé de la dignité de l'homme, elle ne connaît
pas de frontière. Puisque vous avez une filiale de la CIMADE au
Sénégal, avez-vous des branches de la CIMADE dans les territoires
d'outre-mer ? En avez-vous une à Nouméa ?
Envisagez-vous d'en avoir une à la suite des événements,
sur lesquels j'ai pas entendu beaucoup de protestations, qui ont conduit des
réfugiés qui n'avaient que le malheur d'être Chinois et de
vouloir échapper à un régime communiste, à ne pas
accepter d'être reconduits par un charter affrété par ceux
qu'ils entendaient fuir et qui pour cette raison ont été
traités avec tir à balle en caoutchouc ce qui a provoqué
des drames humains.
M. LE PRESIDENT
. - Monsieur le Secrétaire général,
vous avez cinq questions de M. Caldaguès, voulez-vous y
répondre.
M. DUPEUX
. - Sur les Bretons qui sont venus à Paris, ou sur
les Auvergnats qui tiennent un certain nombre de bistrots, il y aurait à
dire. Mais le problème des titres de séjour est très
important, encore une fois l'asile s'est réduit comme une peau de
chagrin dans cette Europe. Aujourd'hui, des personnes font une demande d'asile,
elles obtiennent un récépissé. Est-ce un titre ou
pas ?
M. LE PRESIDENT
. - Vous avez répondu à la première
question.
M. DUPEUX
. - Oui, je continue de penser qu'il n'y a pas des
développement uniquement avec des flux de capitaux et de marchandises.
Le développement se fait avec des personnes qui se rencontrent, qui
vont, qui viennent, qui apprennent de nouvelles technologies.
Il est vrai que l'on communiquera peut-être plus par Internet. Toutefois,
nous allons vers un monde où non seulement les capitaux et marchandises
vont circuler, mais aussi les hommes et pas seulement ceux qui sont riches,
mais aussi ceux qui veulent inventer une économie pour demain. Il faut
voir dans quel monde nous avançons. Je ne crois pas que le
développement économique, tel qu'il est conçu à
l'échelle mondiale, puisse ralentir les flux. Si nous nous
plaçons du point de vue du sous-développement, c'est la
même chose.
M. GIOVANONNI
. - Pour répondre à la troisième
question concernant le récépissé, nous pouvons
répondre sur le terrain juridique et sur un autre plus pragmatique.
Cette circulaire de régularisation a pour objet, me semble-t-il, de
d'essayer de faire en sorte qu'un certain nombre d'étrangers qui ont des
attaches avec la France puissent continuer à y vivre, de constater une
situation de fait, des étrangers se sont trouvés en situation
irrégulière ont commencé une vie en France et qu'il
convient humainement de leur permettre de la poursuivre de façon
régulière.
Parmi ces personnes, il y en a effectivement qui ont présenté,
dans les années passées, une demande d'asile et ils ont
été autorisées à vivre en France avec un titre de
séjour provisoire et beaucoup ont été autorisés
à travailler jusqu'en octobre 1991.
Parmi les personnes célibataires ayant plus de sept ans de séjour
en France, beaucoup sont d'anciens demandeurs d'asile qui ont été
déboutés et qui ont donc eu, à une époque, un titre
de séjour provisoire et de travail. Est-ce un titre régulier ou
pas ?
Sur le terrain juridique, on est en situation régulière ou
irrégulière. La personne qui a un récépissé
de demande de séjour lorsqu'elle est contrôlée par la
police est relâchée immédiatement n'étant pas
considérée comme étant en situation
irrégulière. Elle est autorisée à vivre en France.
Il n'y a pas de demi mesure. En l'occurrence, la personne est en situation
régulière, cela lui confère-t-il des droits par la
suite ? C'est une autre question à laquelle il faut répondre
de façon non juridique mais pragmatique.
Pour les personnes qui ont un arrêté de reconduite à la
frontière, d'un point de vue pragmatique, qu'est-ce que cela change
qu'elles aient reçu un arrêté de reconduite par la
poste ? Je ne vois pas ce que cela change quant à la situation
humaine des personnes d'avoir reçu ce papier.
M. CALDAGUES
. - Le sens de ma question était : la
signature d'un préfet, mandaté par les lois de la
République a-t-elle une valeur ou pas ? Il ne s'agit pas
d'informatique, un arrêté de reconduite à la
frontière est signée par un préfet. A-t-il un sens ou
non ?
M. GIOVANONNI
. - D'un point de vue juridique et légal, bien
sûr. Je pense qu'il y a des périodes où il faut sortir un
peu du cadre légal et juridique pour avoir une idée pragmatique
de la situation, c'est le sens de ma réponse.
M. DUPEUX
. - Nous n'avons pas d'antenne CIMADE en Nouvelle
Calédonie et nous ne pensons pas en avoir immédiatement.
Toutefois, nous sommes associés à ceux qui ont protesté
contre la manière de procéder en tirant sur les personnes avec
des balles en caoutchouc dans un centre de rétention improvisé.
Que dire d'autre ?
Nous nous y sommes associés, d'autres associations plus présentes
là-bas nous ont tenu informés, mais nous n'avons pas d'antenne
locale. J'ai été, comme citoyen français, tout à
fait choqué et scandalisé que soient oubliés, encore une
fois, les droits élémentaires de la personne humaine.
M. GIOVANONNI
. - De nombreux courriers émanant
d'associations ont été envoyés, notamment l'ANAFE
(l'Association Nationale d'Assistance aux Frontières pour les Etrangers)
qui a envoyé, bien avant cette issue dramatique, plusieurs courriers aux
ministres concernés pour leur demander de faire en sorte que la demande
d'asile de ces personnes soit enregistrée et traitée selon les
normes habituelles pour la France. Le problème là-bas est
juridique, la loi de 1952 n'étant pas applicable. Il fallait donc une
intervention pour que ces personnes ne soient pas privées arbitrairement
de liberté comme c'était le cas. Nous estimons qu'il n'y avait
pas lieu de les maintenir de façon contrainte.
Plusieurs démarches ont été effectuées à
l'époque, elles n'ont pas reçu, de notre point de vue, de
réponses satisfaisantes et malheureusement cela s'est terminé de
façon dramatique.
M. ALLOUCHE
. - Je vais m'efforcer d'être concis car j'ai un
certain nombre de demandes d'explication à soumettre à nos deux
invités.
Pour ce qui me concerne, je suis toujours respectueux et admiratif du travail
réalisé par les organisations humanitaires. Nous ne pouvons que
saluer leur action.
L'action de la CIMADE se situe dans la légalité puisque vous
informez les étrangers de la législation française et
veillez à l'application stricte de la loi, ce qui est normal en soi.
Mais je vais me faire l'avocat du diable, parce que je souhaite que vous alliez
plus loin si possible dans ce que vous avez dit. Je vais vous provoquer. Vous
êtes favorable au contrôle des flux migratoires. Comment le
concevez-vous ? En effet, si l'on admet le principe que l'on peut accepter
des personnes, a contrario certaines ne peuvent l'être.
Vous avez participé activement à la définition des
critères. M. GIOVANONNI, que nous recevons ici, a été
reçu également dans le cadre d'une audition sur un projet de loi
de la Commission nationale consultative des droits de l'homme. A ma
connaissance, les critères ont été définis par la
CNCDH et le collège des médiateurs. A ce moment-là, je
n'ai pas vu une protestation de la CIMADE contre la définition de ces
critères. Qui dit critère, dit naturellement que certaines
personnes n'entrent pas dans ces critères.
Puisque le Secrétaire général a donné lecture d'un
texte, repris par la presse, protestant contre la conception erronée de
la politique du Gouvernement en la matière, contre le fait d'avoir
demandé des dossiers à des personnes pour régularisation,
avez-vous une solution pour régulariser sans que quelqu'un dépose
un dossier d'information ?
Je suis demandeur, parce que j'aimerais transmettre des idées à
mes amis du Gouvernement, pour reconduire très dignement les personnes
qui ne sont pas admises à séjourner sur le territoire.
Il ne faut de charter parce que c'est dégradant, l'avion de ligne n'est
pas possible, peut-être la montgolfière, le vélo, la
voiture, le bateau ? Vous admettez le principe que certaines personnes
doivent être reconduites. Comment ?
M. LE PRESIDENT
. - Ce sont donc vos questions. M. Duffour a-t-il
des questions qui recoupent celles de M. Allouche ?
M. DUFFOUR
. - Pas exactement.
M. LE PRESIDENT
. - Il faut donc les séparer.
M. DUPEUX
. - Le sens de l'intervention des associations l'autre
jour au Ministère de l'Intérieur était non pas un point de
vue sur les modes de reconduite, mais de dire qu'à partir du moment
où 80 000 personnes allaient être remises dans la
clandestinité, le fait de poser la question du moyen de la reconduite
était une manière d'éviter de se poser celle de savoir
comment l'on avait pu concevoir une telle circulaire de régularisation.
Nous avons écrit à M. Jospin avant, M. Giovanonni peut
dire un mot sur les critères des médiateurs, ceux de la CNCDH
étaient très importants pour nous.
Le traitement, appliqué, notamment vis-à-vis des
célibataires, conduit à cette politique rigide et écarte
des personnes déboutées du droit d'asile, qui sont en France
depuis 1991 et qui ont manifesté leur attachement à la France. A
partir de là, on se met dans une situation d'avoir à reconduire
un nombre important de personnes, 80 000, il ne faut pas nous poser la
question : comment, en tant qu'association, pensez-vous que nous allons
faire ? Tout Gouvernement est dans l'impossibilité de le faire.
M. LE PRESIDENT
. - M. Allouche a dit tout à l'heure, avec
une attitude un peu provocatrice (ce sont ses propos) que vous aviez
participé à la définition des critères.
M. DUPEUX
. - Il s'agit de la CNCDH.
M. ALLOUCHE
. - La CIMADE est partie prenante de la CNCDH.
M. DUPEUX
. - C'est exact.
M. GIOVANONNI
. - Il ne faut pas tout mélanger au niveau des
critères, ni les époques non plus, Monsieur Allouche.
M. LE PRESIDENT
. - N'était-ce pas les le même
Gouvernement ?
M. GIOVANONNI
. - Le mouvement des sans papiers s'est
développé. Nous avons tente de travailler, en tant
qu'association, avec le collège des médiateurs qui s'est
constitué pour essayer d'ouvrir une voie au dialogue et à la
négociation.
A l'époque, beaucoup, qui sont aujourd'hui au Gouvernement, soutenaient
la démarche des médiateurs. Des critères ont
été élaborés par ces derniers, qui n'ont rien
à voir et qui sont assez éloignés de ceux de la circulaire
de régularisation.
Par exemple, les critères des médiateurs proposaient que tous les
déboutés entrés en France avant le 1
er
janvier
1993 soient régularisés, pour prendre en compte une durée
d'insertion.
M. ALLOUCHE
. - Ce n'est pas ce que dit M. Hessel.
M. GIOVANONNI
. - M. Hessel n'est pas le seul des
médiateurs, je ne pense pas être en désaccord profond avec
lui. Les critères des médiateurs ne sont pas les mêmes que
ceux de la circulaire. Nous avons collaboré, participé à
un avis émis par la Commission nationale consultative des droits de
l'homme, il a été rendu public en octobre 1996, deux mois
après l'issue brutale du conflit de Saint Bernard.
La démarche de la Commission nationale consultative des droits de
l'homme était, dans ce contexte précis, au-delà de l'appel
à une négociation une régularisation pour rendre une vie
normale à beaucoup d'étrangers en situation
irrégulière, de faire un appel au Gouvernement pour une
discussion, une négociation, une ouverture. c'est dans ce conteste que
cette commission a émis ses critères.
Je ne les ai pas ici, peut-être les avez-vous, je ne pense pas qu'ils
soient tout à fait semblables, il y a des rapprochements avec ceux de la
circulaire de régularisation qui s'en est inspiré, mais ils ne
sont pas identiques.
Encore deux ou trois éléments supplémentaires sur la
question. Nous avons interpellé le Premier Ministre pour demander
notamment une concertation avant la publication de la circulaire, il n'y en a
pas eu. Nous avons fait savoir au Gouvernement que pour ce mouvement sensible,
ne pas faire de concertation préalable avec les associations, les
collectifs de sans papiers était risqué. Nous en payons les
conséquences.
Nous avons également parlé de l'ampleur nécessaire de
cette régularisation pour apaiser la situation. Notre objectif est que
les situations s'apaisent, notre conviction est qu'il n'est bon pour personne
que cette situation perdure dans la tension et le conflit, mais encore faut-il
s'en donner les moyens.
Nous avons proposé qu'il y ait une rencontre au niveau local et des
instances de médiation. Nous savons parfaitement que toute circulaire,
quelle qu'elle soit, est difficile à appliquer. Ces instances de
médiation entre administration, collectifs de sans papiers, associations
nous paraissaient utiles pour permettre que tout se passe au mieux.
Je pourrais développer beaucoup de demandes que nous avons faites pour
faire en sorte que cela se passe mieux.
M. LE PRESIDENT
. - L'heure tourne, je suis obligé de canaliser.
Il y avait encore une question. Quel moyen de transport
suggérez-vous ? M. Allouche disait que les avions de ligne et
les charters posaient des problèmes.
M. GIOVANONNI
. - Nous avons déjà répondu
à cette question.
M. DUFFOUR
. - Je vais être très court. Nos
sensibilités ici sont différentes, mes discours dans
l'hémicycle comme dans les commissions étaient plus proches des
vôtres que de celui du Ministre de l'Intérieur.
Je suis sensible à vos propos. Je crois particulièrement à
ce que vous avez dit sur les instances de médiation au niveau local.
j'ai toujours beaucoup insisté sur ce point qui nous permettrait
d'avancer. Puisque nous évoquions les médiateurs, sans faire de
publicité à un journal que je lis quotidiennement, celui-ci
publiait des interviews de deux médiateurs, M. Bouchet et Mme
Chemillet-Chandereau dont l'argumentation était fort semblable à
la vôtre.
Deux questions ou plutôt une appréciation par rapport aux
chiffres, aux dossiers.
Concernant les déboutés qui sont en recours gracieux, par rapport
à ceux qui aboutissent positivement, il y en a, les préfets nous
l'ont dit, quelle est votre appréciation ? Y avait-il un travail
insuffisant des préfectures, des interprétations trop
restrictives, ou bien d'autres éléments ont-ils été
amenés permettant des conclusions différentes ?
Que permettraient les critères, s'ils étaient
interprétés de manière souple ?
M. GIOVANONNI
. - Je vais tenter de répondre à la
question sur les préfectures. Nous ne leur jetterons pas la pierre,
malgré les critiques qui peuvent être émises à
l'égard de telle ou telle préfecture. Globalement, elles ont
été soumises à un travail considérable. Il serait
mal venu de critiquer la façon dont elles ont traité les
dossiers, même si elles ont pu faire des erreurs et mal prendre en compte
certains dossiers.
Beaucoup d'étrangers ont été réticents à
donner les informations qui leur étaient demandées. Il y a
quelque chose de profondément complexe, difficile à
apprécier dans cette circulaire, le fait de demander à des
personnes en situation irrégulière d'apporter des preuves d'un
travail. Par exemple, j'ai reçu hier deux jeunes
sénégalaises qui sont en France depuis plus de dix ans en
qualité d'employées de maison. Leur récit est tellement
précis qu'à l'évidence il est exact : comment prouver
qu'elles ont travaillé, seul l'employeur le peut et elles n'osent pas
lui demander de faire la déclaration ?
Quand une situation de confiance s'établit avec la personne, on peut
arriver à obtenir ces éléments. Toutefois, les conditions
dans lesquelles les préfectures ont dû traiter les dossiers, ne
permettaient pas d'avoir une bonne appréciation.
Que permettraient les critères s'ils étaient
interprétés d'une façon plus souple ? Il est
difficile de répondre. Deux problèmes se posent, celui des
célibataires et celui des déboutés. Pour les
célibataires, il faudrait des instructions complémentaires pour
assouplir. La circulaire mentionne treize catégories, pour l'une d'elle
il faudrait des instructions différentes qui permettraient de faire
avancer un peu les choses.
Le problème de l'asile territorial, il dépasse le cadre de la
circulaire. C'est la même procédure que nous retrouverons dans la
loi quand elle entrera en application, c'est plus complexe.
M. LE PRESIDENT
. - Merci, Monsieur GIOVANONNI. Nous avons
épuisé notre temps et notre séance.
Je crois que la Commission sera unanime pour reconnaître la
qualité des échanges, la très grande
spontanéité et sincérité dont M. DUPEUX et
M. GIOVANONNI ont fait preuve tout au long de cette heure et demi
passée ensemble.
Nous en avons beaucoup appris et je suis l'interprète de tous pour vous
remercier de la qualité de votre prestation et de votre
disponibilité. C'est dans l'esprit dans lequel nous travaillons et nous
aurons à coeur, dans le rapport, de refléter votre position.
Merci beaucoup.
M. DUPEUX
. - Merci Monsieur le Président.
M. ANDRÉ BIZEUL,
CHEF DU SERVICE DU CONTROLE DE
L'IMMIGRATION
DE L'AÉROPORT DE ROISSY-CHARLES-DE-GAULLE
JEUDI 23
AVRIL 1998
M.
MASSON, président.-
La commission d'enquête va entendre
M. Bizeul, Chef du service du Contrôle de l'immigration de
l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle.
Nous devons vous entendre sous la foi du serment.
(M. le Président donne lecture des dispositions de l'article 6
de l'ordonnance du 17 novembre 1958 ; M. André Bizeul
prête serment).
M. LE PRÉSIDENT.-
Nous sommes en charge des conditions dans
lesquelles la mise en oeuvre de la circulaire ministérielle de
l'année dernière s'applique, et va s'appliquer surtout au terme
des délais impartis pour la régularisation d'un certain nombre
d'étrangers ; nous devons vous interroger sur le sujet.
Nous recevrons dans quelques jours le Directeur général d'Air
France, ainsi qu'un pilote, et quelques autres personnes encore, pour nous
faire une idée plus précise.
M. BALARELLO, rapporteur.-
Monsieur le Président, en ma
qualité de Rapporteur, j'ai une série de 14 questions à
vous poser.
- Pouvez-vous exposer les difficultés rencontrées pour mener
à bien l'éloignement de certains étrangers en situation
irrégulière en direction de Bamako le 28 mars dernier ?
Des actes d'obstruction à la mise en oeuvre de cet éloignement
ont été constatés. Ont-ils été le fait des
intéressés eux-mêmes, des passagers du vol en direction de
Bamako ou de tierces personnes ?
Un procès-verbal a-t-il été dressé ?
Des associations, ou groupements politiques, ont-ils ouvertement incité
à des actes d'obstruction à l'éloignement ?
Quelles procédures judiciaires ont été engagées
à la suite de ces agissements ? Sur quel fondement juridique ?
M. BIZEUL.-
L'activité d'éloignement a été
confiée à ce service, qui s'appelait la Police de l'air et des
frontières de ROISSY, en juin 1995 lorsqu'une unité nationale
d'éloignement a été créée : l'U.N.E.
Elle a été fixée à ROISSY car c'est le point de
départ le plus approprié pour la plupart des pays
étrangers où doivent retourner les reconduits.
Ce n'est qu'une des activités de ce service. Vous savez que sur un
aéroport, avec environ 1000 fonctionnaires, nous faisons toutes les
formes de police : le contrôle de l'immigration -qui est la
priorité à l'arrivée-, le contrôle de l'immigration
au départ, mais aussi la sûreté aéroportuaire pour
la protection des passagers et la lutte contre d'éventuels attentats, la
sécurité publique classique, la police judiciaire -car sur un
aéroport se commettent des infractions-, la police de renseignements, et
-parce qu'il y a 50 000 employés avec toute une activité
économique et parfois des désordres sociaux- le maintien de
l'ordre public.
L'exécution des mesures de reconduite à la frontière, avec
cette unité d'éloignement, est actuellement composée de
presque 45 fonctionnaires.
C'est une petite unité installée dans la zone
aéroportuaire. Il y a 2 officiers et 3 équipes de 11
gardiens de la paix qui travaillent de 5 h 30 le matin à
24 heures. A un instant précis de la journée, cela ne
représente que 5 à 8 personnes.
Nous effectuons donc, avec cette unité, une partie des escortes de
reconduite. Le reste est effectué par les services ayant conduit
jusqu'à l'aéroport, depuis la préfecture d'origine, les
éloignés interdits du territoire ou faisant l'objet
d'arrêtés préfectoraux de reconduite à la
frontière. Nous nous partageons ces escortes.
M. LE PRÉSIDENT.-
A qui appartient la responsabilité de
cette escorte ?
M. BIZEUL.-
La responsabilité est à deux niveaux.
La préfecture d'origine est responsable de toute l'organisation jusqu'au
moment du départ. Elle organise le départ avec une autre
structure, le Bureau de l'éloignement -le BUREL- situé 26 rue
Cambacérès à PARIS 8ème au siège de la
DICCILEC. Le BUREL est en relation avec les Wagons-lits de façon
à avoir immédiatement les réservations des places d'avion
pour les reconduits et les escorteurs, ainsi que des réservations
d'hôtels lorsque les escorteurs doivent passer une nuit dans le pays
où ils ont reconduit l'éloigné.
La préfecture prend toutes les dispositions avec le BUREL pour
organiser, dans les délais de la rétention administrative, le
départ sur le vol pour la destination choisie.
Des policiers des différents départements français, ou des
gendarmes -lorsque ce sont des interdits du territoire sortant de prisons-,
arrivent dans nos services. Ils nous remettent une personne prête
à partir ainsi qu'un dossier.
Dans notre U.N.E. nous vérifions que tout est en règle : la
procédure pour éloigner la personne, le document
transfrontière, et si nous ne l'avons pas, nous allons au consulat pour
obtenir le laissez-passer consulaire. Nous vérifions que les
réservations sont bien faites avec la Compagnie, que l'avion est
prêt à partir et que le passager a ses bagages.
Nous accompagnons ensuite l'escorte jusqu'à l'intérieur de
l'avion, au moment du départ, de manière à constater le
départ ou le refus d'embarquer.
Nous sommes présents depuis l'arrivée de l'éloigné
sur la zone aéroportuaire jusqu'au moment où l'avion
décolle. Nous restons avec les policiers qui ont conduit
l'éloigné, même s'ils ne l'accompagnent pas dans son pays
de destination -ce sont parfois des personnes de ROISSY qui vont, par exemple,
à Bamako.
Si, au dernier moment, à l'intérieur de l'avion, le commandant de
bord refuse de partir avec un éloigné agité -n'offrant pas
les garanties de sécurité pour le vol-, il faut reprendre contact
avec la préfecture d'origine et le confier aux policiers qui l'avaient
conduit.
Voilà l'organisation d'une reconduite qui, en général, se
passe bien.
Lorsqu'il y a refus d'embarquer, le Tribunal de grande instance de Bobigny,
puisque l'aéroport y est rattaché, traite le refus d'embarquer.
Je dois préciser que ces policiers spécialisés à
l'U.N.E. sont des volontaires. La plupart d'entre eux est là depuis 3
ans, puisque cela a été créé le 16 juin 1995. Ils
connaissent les difficultés que présentent ces personnes au
moment de repartir. Il y a de leur part une action psychologique : ils
vont expliquer aux personnes comment ce départ doit se faire, et qu'il y
aura des conséquences judiciaires s'il n'a pas lieu. C'est une
préparation à réaliser avant de monter dans l'avion.
Le samedi 28 mars 1998, nous avons eu une opération de reconduite qui a
concerné 12 Maliens. Ils devaient partir à 15 h 30 sur
un vol d'Air Afrique.
Une vingtaine de manifestants est arrivée sur l'aéroport vers
9 h 30. Il s'agissait de l'association Jeunes contre le Racisme en
Europe : les J.R.E. Nous les avions déjà vus car ils
venaient sur l'aéroport depuis plusieurs jours.
Ils se comportaient toujours de la même façon, cherchant le
contact avec les passagers des vols à destination de Bamako. Ce sont
toujours les mêmes vols : il y a, vers 11 heures, un vol Air
France sur l'aérogare 2A. Et, selon les jours, un vol d'Air Afrique part
en début d'après-midi ou vers 15 heures. Ces manifestants se
déplacent d'une aérogare vers l'autre pour conditionner les
passagers à ne pas accepter de décoller avec des reconduits
à l'intérieur de l'avion.
Le 28 mars 1998, des fonctionnaires étaient en contact avec ces
manifestants qui demandaient aux passagers de protester, au sujet de la
présence des reconduits, auprès du personnel navigant et du
commandant de bord. Ils disaient que c'était leur devoir moral de le
faire.
Il y a eu des distributions de tracts. Nous avons pu récupérer
les tracts qu'ils distribuaient.
M. LE RAPPORTEUR.-
Pouvez-vous nous en laisser une photocopie ?
Comment sont-ils informés d'un départ
d'éloignés ?
M. BIZEUL.-
Je ne le sais pas. Nous leur avons posé la question
mais ils ne l'ont pas dit.
M. LE RAPPORTEUR.-
N'avez-vous pas quelques indications ?
M. LE PRÉSIDENT.-
Avez-vous fait un rapport de cette affaire
à vos supérieurs ?
M. BIZEUL.-
Oui. Le 28 mars nous avons constaté qu'il y avait un
rapport évident entre ce conditionnement des passagers et le refus
d'embarquement de la part des reconduits.
De plus, mes fonctionnaires, témoins de ce qui se passait dans l'avion,
ont constaté l'attitude hostile et menaçante des passagers :
ils retrouvaient exactement les phrases entendues dans la zone d'enregistrement
et les termes des tracts.
M. LE RAPPORTEUR.-
Monsieur le Directeur, je vous demande, au nom de la
commission, de verser le rapport fait à vos supérieurs.
M. BIZEUL.-
Ce sont des flashs d'informations transmis le 28 mars 1998.
Ils sont annotés par moi, avec des commentaires personnels.
M. LE RAPPORTEUR.-
Quelles sont vos annotations, sans vos commentaires
personnels ?
M. BIZEUL.-
Je vous fais parvenir ces documents dès cet
après-midi.
M. LE RAPPORTEUR.-
Merci Monsieur le Directeur.
M. BIZEUL.-
Nous avons alerté nos autorités en leur
demandant comment nous pourrions, avec des moyens juridiques, faire cesser tout
cela.
Nous avons eu, en début de semaine suivante, une réponse de la
Direction des libertés publiques des affaires judiciaires du
ministère de l'Intérieur, qui je crois s'était entendu
avec la chancellerie. Elle nous a fourni les textes de référence
à utiliser pour mettre fin à tout cela.
Concernant le 28 mars 1998, le commandant de bord a eu beaucoup de mal et nous
a aidés dans les altercations à l'intérieur de l'avion.
M. LE RAPPORTEUR.-
La réponse est de quelle date ?
M. BIZEUL.-
La réponse écrite de la D.L.P.A.J. est
arrivée le 2 avril 1998, mais dès le 30 mars 1998 nous avions une
réponse verbale.
A l'intérieur de ce vol la situation a
dégénéré et le commandant de bord a
décidé de faire débarquer tout le monde.
M. LE PRÉSIDENT.-
Que s'est-il passé ? S'il y a 12
Maliens qui arrivent les fait-on embarquer ?
M. BIZEUL.-
Tout à fait.
M. LE PRÉSIDENT.-
Qu'y avait-il à
l'intérieur ? Les passagers étaient embarqués ?
M. BIZEUL.-
Plusieurs faits se sont succédé. Le 28 mars
1998 les passagers ont embarqué avant.
M. LE PRÉSIDENT.-
Qui décide de l'embarquement avant des
uns ou des autres ?
M. BIZEUL.-
C'est un contact pris entre le responsable de l'embarquement
- souvent le commissaire de police pendant ces moments-là, car ce sont
des situations exceptionnelles, ou l'officier chargé des embarquements-
et le commandant de bord et son équipage, de manière à se
mettre d'accord.
Certains commandants de bord préfèrent que les passagers
embarquent et ensuite font monter les reconduits. Ce qui réussit le
mieux, le plus souvent, c'est l'inverse.
On s'entend avec l'équipage, auquel on explique qui sont les
reconduits : en effet, un reconduit faisant l'objet d'un
arrêté préfectoral de première catégorie
(c'est-à-dire une personne en situation irrégulière) aura
un comportement différent de celui d'un interdit du territoire venant de
passer plusieurs années en prison avant de retourner chez lui.
Nous n'avons pas connaissance du dossier complet, mais nous avons vu cette
personne pendant quelques heures avant le départ. Cela nous permet de
donner au commandant de bord et à son équipage le profil de la
personne. Nous pouvons indiquer si ce sera une escorte facile ou difficile, ou
s'il n'y aura pas d'escorte du tout, certaines personnes acceptant de repartir
sans escorte.
Ensuite nous nous entendons avec le commandant de bord sur le timing :
bien souvent c'est un embarquement -par l'arrière de l'avion, sur les
places arrière- une heure avant le décollage.
Les reconduits, et leur escorte, sont dans l'avion 15 ou 20 minutes avant
l'arrivée des passagers qui, eux, embarquent par l'avant.
Nous essayons de préserver un espace tampon, une centaine de places,
entre les reconduits et les autres passagers. Cela dépend toutefois du
taux de remplissage de l'avion.
Quand les reconduits ont l'intention de refuser l'embarquement, en
général ils se tiennent relativement bien jusqu'à
l'arrivée des passagers car ils n'ont comme auditeurs et interlocuteurs
que des policiers ou un équipage qui a été bien
informé. Dès que les passagers arrivent, on voit quelle attitude
ils vont adopter : ils commencent à crier, à se
débattre et à faire un appel à la solidarité ou au
soutien, notamment quand il y a beaucoup d'Africains dans l'avion.
C'est là que commence le moment difficile à gérer :
la présence avec nous du commandant de bord, ou du responsable du
personnel commercial, est importante. Suivant les équipages les
réactions sont différentes. Certains abandonnent très vite
en disant :
"La sécurité ne sera pas assurée sur
mon vol, je ne pars pas avec ces gens à bord"
. D'autres
disent :
"Nous allons vous aider à ce que force reste à
la loi",
participent avec nous aux discussions avec les passagers et les
reconduits -pour calmer tout le monde- et font partir leur avion.
La personnalité du commandant de bord, et de son équipage, est
très importante.
M. LE RAPPORTEUR.-
Air Afrique est-elle une filiale d'Air France ?
M. BIZEUL.-
Non, mais ils sont assistés par Air France pour les
tâches d'enregistrement.
M. LE PRÉSIDENT.-
Ce sont toujours des vols Air Afrique ?
M. BIZEUL.-
Non. Il y a eu des vols Air France et Air Afrique. Le 28
mars dernier, c'était un vol Air Afrique, mais le 27, où nous
avions eu des difficultés, c'était un vol Air France.
M. LE PRÉSIDENT.-
Il y a eu également des incidents le 27
mars ?
M. BIZEUL.-
Oui, il y a eu des incidents les 26 et 27 mars 1998.
M. LE PRÉSIDENT.-
Les pilotes sont-ils maliens ou
français ?
M. BIZEUL.-
Le 26 mars 1998 il y avait neuf Maliens, avec dix-huit
fonctionnaires d'escorte, dans un vol d'Air Afrique à
15 h 30 ; le commandant de bord était un Français.
Il a pris la parole pour dire aux passagers que leur attitude n'était
pas admissible et qu'il décollerait même s'il y avait un peu de
troubles dans son avion. Cela a calmé tout le monde et il est parti avec
ces neuf reconduits alors que la situation ne se présentait pas bien au
départ.
M. LE PRÉSIDENT.-
Et pour le 27 mars 1998 ?
M. BIZEUL.-
Le 27 mars 1998, c'était un vol Air France à
11 heures. Il y avait quatre Maliens.
M. LE RAPPORTEUR.-
Il y avait huit fonctionnaires ?
M. BIZEUL.-
Le commandant de bord, dont il faut louer le
professionnalisme, a décidé à la fin de ne pas partir car
les reconduits, ainsi que les passagers, étaient vraiment très
énervés.
Il a fait descendre tout le monde pour essayer de calmer les esprits. Il n'a
néanmoins pas pu prendre les escortés car cela aurait
provoqué une émeute dans son avion.
M. LE RAPPORTEUR.-
Et le 28 mars 1998 ?
M. BIZEUL.-
Ce jour-là les douze reconduits n'ont pas
embarqué : le commandant de bord a là aussi estimé
qu'il n'était pas possible de partir. Ils résistaient et
étaient très agités : vociférations, insultes,
menaces à l'égard des fonctionnaires de police. Cela a
été très difficile.
M. LE PRÉSIDENT.-
Vous nous donnerez tous ces rapports. Cela vous
évitera le commentaire trop long de l'épisode.
M. BIZEUL.-
Je vous les communiquerai.
Les reconduits du 28 mars ont ensuite fait l'objet d'une procédure de
refus d'embarquement. Ils ont été présentés le
lundi 30 mars 1998 à la 17ème chambre du Tribunal de Bobigny.
M. LE RAPPORTEUR.-
Une décision de justice a-t-elle
été rendue ?
M. BIZEUL.-
Ils ont tous reçu une notification à
comparaître à des audiences entre les mois de mai et juin
prochains.
Les reconduits ne sont pas partis et ont été
libérés.
M. LE PRÉSIDENT.-
Pour les passagers, quelle a été
la position de certains d'entre eux, les 26, 27 et 28 mars 1998 ?
M. BIZEUL.-
C'était l'hostilité.
Cela nous a fait réfléchir : a-t-on un moyen quelconque de
coercition vis-à-vis de ces manifestants et des moyens juridiques de
faire cesser tout cela ?
La réflexion a commencé au niveau du ministère. Nous avons
reçu verbalement les réponses, et elles sont arrivées par
écrit ensuite. Aussi, le 1
er
avril dernier, quand le
même processus a recommencé -présence d'une trentaine de
manifestants devant les terminaux pour inciter les passagers à s'opposer
à l'opération-, nous avons procédé à un
contrôle d'identité.
Vingt-six personnes ont été interpellées ce
jour-là, principalement des militants des comités anti-expulsion
et des jeunes contre le racisme en Europe.
Cela m'a permis de parler à ces personnes. Je leur ai expliqué
que les tracts distribués avaient été analysés et
qu'ils constituaient, pour nos autorités judiciaires, un appel à
la rébellion tombant sous le coût d'un article du Code
pénal. De ce fait, les distributeurs de tracts auraient à rendre
compte de cela devant la justice.
Je leur ai signifié que je m'opposerai, avec mes fonctionnaires,
à leur contact avec les passagers, car il était de nature
à troubler l'ordre public, aussi bien dans l'aérogare qu'à
l'intérieur de l'avion. J'ai été très clair et ils
ont été prévenus.
Le 1
er
avril dernier, nous avons également eu, dans l'avion,
des difficultés pour embarquer les Maliens, mais ils sont partis.
M. LE PRÉSIDENT.-
Combien de reconduits y avait-il le
1
er
avril dernier ?
M. BIZEUL.-
Il devait y en avoir six ou sept, avec une escorte assez
forte de quatorze ou quinze fonctionnaires. Ces reconduits étaient
vraiment très déterminés. Je suis resté dans
l'avion environ une demi-heure pour calmer tout le monde.
Après un certain temps, le commandant de bord a jugé qu'il avait
la situation en main, et il est parti. Il y a eu des blessés : sept
de mes fonctionnaires ont été blessés au départ et
à l'arrivée. En effet, à Bamako cela a été
également un peu houleux.
Ces blessures sont des coups portés aux fonctionnaires, des pouces
retournés, des tentatives de strangulation. Il y a également eu
deux hublots et un fauteuil cassés.
Ce vol du 1
er
avril dernier a fait monter les états
d'âme des personnels navigants : jusqu'au 1er avril dernier on les
sentait relativement prêts à nous aider quand ils voyaient qu'ils
pouvaient avoir la situation en main. Beaucoup d'entre eux avaient
déjà eu des reconduits dans les avions et savaient
qu'après le décollage de l'avion les esprits se calmaient :
les reconduits savent qu'ils partent définitivement et qu'il n'y a plus
rien à faire.
Ce 1
er
avril 1998, le personnel de bord de l'avion d'Air France a
été impressionné par la violence des reconduits et par
l'hostilité des passagers. C'était un vol avec escale à
Nouakchott. Les escales sont pénibles car on reste longtemps dans
l'avion, il fait chaud...
Ce jour-là, le 1er avril 1998, nous avons contrôlé
l'identité de ces militants et nous avons fait partir les reconduits.
Le 2 avril 1998, je n'étais pas là, mon adjoint me
remplaçait. Il y a eu trois Maliens sur le vol d'Air Afrique, et
l'interpellation de neuf passagers.
Nous avons expliqué au commandant de bord que nous avions la ferme
volonté de continuer à faire partir les reconduits et à ne
plus laisser les passagers s'opposer au départ, et que l'on avait pour
cela des textes avisés pour les interpeller.
J'avais prévenu le procureur de la République de Bobigny.
M. LE PRÉSIDENT.-
C'étaient des passagers maliens ?
M. BIZEUL.-
Parmi les neuf interpellations, il y avait huit Maliens et
un Français.
Mon adjoint, avec l'accord du commandant de bord, a fait débarquer tout
le monde par le satellite de départ. Ensuite, avec l'aide des
fonctionnaires présents dans l'avion, ils ont mis à part les
passagers agités -ceux qui avaient appelé à la
rébellion et avaient aidé à concrétiser ce refus
d'embarquer- et l'on a sorti leurs bagages des soutes de l'avion.
Nous avons expliqué aux autres qu'ils allaient repartir, mais que
ceux-ci allaient rester avec nous. Nous les avons placés en garde
à vue, et nous leur avons diligenté une procédure de
complicité à refus d'embarquement : article 27 de
l'ordonnance de 1945.
Nous les avons également entendus dans un deuxième cadre, celui
de l'obstacle à la circulation des aéronefs. C'est un
délit : article L 282-1 du Code de l'aviation civile.
Ils ont passé la journée en garde à vue, en attendant que
toute cette procédure se fasse. Un compte rendu au Parquet a
été fait en fin de journée ; ils ont
été remis en liberté sur instruction du Parquet vers
19 h 30.
M. LE RAPPORTEUR.-
Vous avez l'identité de ces gens qui ont
contribué à empêcher le vol. Est-ce des touristes, des
personnes en situation régulière en France ?
M. BIZEUL.-
Ce sont des personnes en situation régulière
en France qui faisaient un voyage au Mali.
M. LE RAPPORTEUR.-
Ils risquent d'être expulsés.
M. BIZEUL.-
C'est possible. Pour ceux qui rentreront en France, je ne
connais pas leur situation ; il est évident qu'ils seront
convoqués en justice et iront au Tribunal correctionnel.
M. LE PRÉSIDENT.-
Ces personnes-là sont parties.
M. BIZEUL.-
Oui. Dès leur remise en liberté ils ont
peut-être pris des avions, mais peut-être ne sont-ils pas partis.
J'ai revu à cette occasion, puisqu'ils attendaient à
proximité de nos locaux, quelques-uns des manifestants auxquels j'ai dit
que la détermination des autorités, ainsi qu'ils pouvaient le
constater, allait jusqu'à interpeller des passagers. Je leur ai
demandé de faire attention à leurs actes quand ils incitaient les
passagers à se rebeller.
Les manifestants revenaient tous les jours, plus ou moins nombreux, mais
toujours déterminés à contacter les embarquants. A chaque
fois, ils se sont heurtés à nos cordons de police : j'avais
demandé le soutien d'une demie compagnie de C.R.S., mes forces vives
n'étant plus suffisantes : tout cela se passait en même temps
que les retours de La Mecque, et cela prend énormément de
personnel car beaucoup de personnes se trouvent à l'intérieur de
Roissy.
J'avais étanchéifié la zone d'enregistrement des vols
sensibles car ces manifestants venaient systématiquement sur tout ce qui
était affiché vers l'Afrique, que ce soit Air France ou Air
Afrique et qu'il y ait ou pas de reconduits sur le vol. Visiblement, leur
système d'information n'est pas très fiable : ils sont venus
pour des vols sur lesquels il n'y avait pas de reconduits.
Au fil des jours, ils se sont lassés. Actuellement ils ne viennent plus.
Il y a deux observateurs qui ne viennent pratiquement plus.
Il y a eu une manifestation plus importante, avec les médias, le
lundi 6 avril 1998. C'était l'association Droit devant qui a
mobilisé presque cent personnes, avec les télévisions, et
quelques journalistes.
M. LE RAPPORTEUR.-
Ont-ils distribué des tracts ?
M. BIZEUL.-
Non. Depuis ce contrôle d'identité -je leur
avais dit que tout cela tombait sous le coup d'un article du Code pénal-
et ils n'ont plus distribué de tracts.
Je précise que cet article du Code pénal n'est pas coercitif
puisqu'il n'autorise pas la garde à vue. Il permet de relever
l'identité de la personne, de l'entendre sur ses intentions ; elle
est ensuite transmise au Parquet pour poursuites, mais ce sont seulement des
peines d'amendes. Il n'y a pas de garde à vue pour ce motif.
En revanche ils essayaient d'avoir ce contact avec les gens. Ne pouvant plus
les avoir en direct sur l'enregistrement du vol, ils essayaient de les trouver
à l'intérieur de l'aérogare.
M. LE PRÉSIDENT.-
Dans une revue de presse du Figaro du 3 avril
dernier, je lis
"...trois des Maliens, dont deux ont un passé
judiciaire chargé..."
. Est-ce exact ?
M. BIZEUL.-
Oui, ce sont des interdictions du territoire. Sur le
même vol nous trouvions, dans ces journées après le 20 mars
dernier, aussi bien des APRF liées à des événements
parisiens -qui venaient de la Préfecture de police-, que des mesures
d'éloignement venant d'autres préfectures de France, donc des
sorties de prison.
Et, dans les escortes, il y avait des reconduits récents et ces fameuses
sorties de prison, avec des gens condamnés pour vol à main
armée, viol, qui, en général, ont à ce
moment-là un comportement violent.
M. LE RAPPORTEUR.-
Est-ce ceux qui ont le comportement le plus
violent ?
M. BIZEUL.-
Oui. On sentait, mais on ne peut pas en faire une
règle, qu'ils découvraient, en sortant de prison, une sorte
d'ambiance particulière à cette reconduite et profitaient du
mouvement.
M. LE PRÉSIDENT.-
Etaient-ils menottés ?
M. BIZEUL.-
Certains l'étaient, et d'autres pas. C'est le genre
de convenances que l'on prend avec le commandant de bord. Nous nous
efforçons toujours de faire entrer les reconduits non entravés
dans les avions.
Mes fonctionnaires s'en font un devoir. C'est là que la
préparation psychologique est importante : le retour au calme, la
présence constante du même fonctionnaire de chez nous depuis
l'arrivée de la personne sur la plate-forme et pendant l'escorte. Nous
poussons le détail jusqu'au fait que le fonctionnaire ne procède
pas à sa fouille : il ne va pas dans son "intimité de
bagage", de façon à garder le contact qui va le calmer
psychologiquement. On lui explique que la meilleure façon d'aborder
l'avion est d'y rentrer librement. Et cela se passe bien en
général.
Dans ce contexte, nous avions des gens bien plus déterminés. Nous
nous entendions avec le commandant de bord. Dans les différents cas, il
nous a autorisés à les laisser menotés jusqu'au
décollage. A partir du décollage, il y a des raisons de
sécurité et le commandant de bord souhaite que tout le monde ait
les mains libres.
Un commandant de bord a conseillé, pour la sécurité de ses
passagers, de les garder menotés pendant le décollage. Chaque
commandant de bord décide.
M. LE PRÉSIDENT.-
Les journaux ont raconté des histoires
de scotchage.
M. BIZEUL.-
C'est un moyen que nous utilisons à la place de la
menotte de police qui est un objet métallique qui risque de blesser
quelqu'un qui s'agite, par les mouvements, et qui aussi peut être
dangereuse pour les fonctionnaires et pour le matériel de l'avion. Je
précise que la masnotte est le terme administratif pour désigner
les menottes qui est un terme journalistique.
La bande Velcro ne blesse pas, est plus simple, aussi efficace et
s'enlève beaucoup plus facilement quand on veut libérer la
personne.
M. LE RAPPORTEUR.-
Il n'y a jamais eu, comme le disent ces tracts, des
bâillons ?
M. BIZEUL.-
Non. S'il y avait eu des bâillons il n'y aurait pas eu
d'incidents dans l'avion. Souvent les passagers arrivant à
l'intérieur de l'avion ne se rendaient pas compte que ceux du fond
étaient différents des autres.
En revanche, ils les entendaient hurler pour attirer leur attention dès
leur montée dans l'avion.
M. LE RAPPORTEUR.-
Je lis le tract :
"Vous ne les verrez
peut-être pas ils seront menottés, scotchés, ligotés
pour empêcher qu'ils n'alertent les passagers par leurs cris"
.
M. BIZEUL.-
C'est entièrement faux. Vous lirez même quelque
part qu'ils sont drogués, ce qui est faux. Il n'y a pas un
médicament, ni une piqûre délivrés à ces
gens-là.
M. LE RAPPORTEUR.-
Monsieur le Directeur, je vous remercie.
Quelle est la situation actuelle des personnes dont l'éloignement n'a pu
être mis en oeuvre ?
Les relations entre la DICCILEC, d'une part, et les services de
l'aéroport, les Compagnies aériennes, d'autre part, vous
paraissent-elles satisfaisantes ?
Estimez-vous que les difficultés rencontrées le 28 mars dernier
sont ponctuelles ou au contraire traduisent une difficulté plus
générale à mener à bien l'éloignement
d'étrangers en situation irrégulière par la voie
aérienne ?
Quelles conséquences pratiques aura la décision des Compagnies
Air France et Air Afrique de faire, à compter du 3 avril dernier, un
embargo total sur les reconduites effectuées sur la ligne Paris-Bamako
soit en transit, soit en destination finale, et de n'accepter qu'un seul
reconduit par vol, impérativement accompagné de deux
fonctionnaires d'escorte, sur toutes les autres destinations intérieures
ou internationales ?
Ces conséquences se font-elles d'ores et déjà sentir sur
la mise en oeuvre des mesures d'éloignement ?
M. BIZEUL.-
Je ne peux répondre aux questions
générales que pour l'aéroport de Roissy, puisqu'il y a
d'autres points de départ du territoire que l'aéroport de Roissy.
Concernant nos relations avec les autorités aéroportuaires, cela
se passe bien. Cet éloignement n'est qu'une des nombreuses
activités que nous avons sur l'aéroport. Nous avons des contacts
très fréquents, plusieurs fois par jour, avec les responsables
les chefs d'escales des différentes Compagnies et les équipages.
Nous avons l'habitude de travailler ensemble et essayons de résoudre ce
type de problème.
Les compagnies aériennes savent qu'il faut faire partir ces personnes et
que notre tâche est de mener à bien ces départs.
M. LE RAPPORTEUR.-
Il n'y a que deux Compagnies, Air France et Air
Afrique ?
M. BIZEUL.-
Non. Tous les jours à Roissy environ 20 personnes
sont reconduites à la frontière : sur la Tarom en Roumanie,
Air China, Air Algérie, sur des vols indonésiens. Il en part vers
tous les pays.
Nous en parlerons quand on répondra de la situation factuelle et
ponctuelle depuis le 28 mars dernier. On parle beaucoup du Mali, mais il en
part vers d'autres destinations : l'Asie, l'Afrique et même
l'Amérique.
M. LE RAPPORTEUR.-
Et là, vous n'avez pas d'incidents ?
M. BIZEUL.-
Non.
Nos relations ont toujours été bonnes. Mais en raison de ces
incidents dans les avions depuis la fin mars, nous avons senti une
réticence chez les personnels à prendre les reconduits. Nous
avons donc découvert cette réaction des deux compagnies Air
France et Air Afrique, qui ont pour conséquence qu'il a fallu trouver
d'autres Compagnies. La DICCILEC en a trouvé : actuellement, les
Maliens partent sur des vols de la Sabena, avec escale à Bruxelles, tous
les jours et sans difficulté.
Les manifestants, dont le nombre a considérablement diminué
notamment depuis le début des vacances, ont trouvé
l'aérogare de départ du vol Sabena. Ils viennent à une ou
deux personnes assister au départ, mais il n'y a pas de mouvement en
zone publique. Nos reconduits qui partent à deux ou trois sur les vols
de la Sabena partent sans difficulté avec des escortes composées
en général de deux fonctionnaires pour un Malien.
Sur les autres pays il n'y a pas de difficulté : les gens
continuent à partir sans escorte, même vers d'autres pays
africains.
En conséquence, si nous devons partir sur les vols Air France vers
d'autres destinations cela nous coûte un peu plus de fonctionnaires. Pour
mon service, cela n'a pas ralenti les départs et n'a pas provoqué
de non-départ par rapport à ce qui nous était
demandé par les préfectures et le bureau de l'éloignement.
M. LE RAPPORTEUR.-
Vers l'Algérie rencontrez-vous des
problèmes ?
M. BIZEUL.-
Non. La compagnie Air Algérie est arrivée il y
a près d'un an sur l'aérogare. Les responsables ont
demandé les mêmes règles. Même si elles sont
drastiques, ils s'y conforment.
M. LE RAPPORTEUR.-
Vous avez eu des éloignements par Air
Algérie sans problème ?
M. BIZEUL.-
Sans aucun problème.
M. LE RAPPORTEUR.-
Vous les chiffrez à combien sur Air
Algérie ?
M. BIZEUL.-
Je n'ai pas de statistiques. Je ne sais pas si c'est
important. Je peux vous dire que c'est moins important que le Mali.
La mise en oeuvre de telles mesures fait-elle l'objet de renforts
spécifiques de la part d'autres services de police ou de
gendarmerie ?
M. BIZEUL.-
On ne peut pas considérer que ce sont des renforts.
C'est un partage. Le bureau central de l'éloignement connaît nos
contraintes et notre capacité de réponse à sa demande. Il
organise en conséquence les éloignements avec des personnes de
mes services ou des gens de la gendarmerie, des renseignements
généraux, de la préfecture de police ou des Directions de
la sécurité publique des départements.
Les Directions départementales de sécurité publique, dans
beaucoup de départements générant des mesures de
reconduite, se sont organisées. Elles ont spécialisé des
fonctionnaires volontaires dans l'escorte.
Ce sont des personnes avec lesquelles nous sommes habitués à
travailler. Cela facilite les choses car c'est un travail assez particulier.
M. LE RAPPORTEUR.-
Les risques de troubles, à l'occasion d'un vol
comprenant des étrangers en situation irrégulière faisant
l'objet d'une mesure d'éloignement, vous paraissent-ils suffisamment
importants pour fonder la position récente des Compagnies
aériennes ?
M. BIZEUL.-
Je pense qu'il faudra poser la question au personnel de
bord. La règle veut que la police soit chez elle dans un avion jusqu'au
moment où les portes sont fermées.
Sur un aéroport, la fermeture des portes caractérise la prise de
pouvoir par le commandant de bord. A partir de là, le commandant de bord
est le seul juge.
Il est évident qu'avoir des gens debout, que ce soit les passagers ou
les reconduits, qui se bagarrent dans un avion au moment du décollage,
est de nature à entraîner un commandant de bord à dire
qu'il ne part pas.
D'autres commandants de bord diront que cela se calmera et qu'ils partiront.
Nous nous conformons sans difficulté à leur décision.
Je peux citer l'exemple de reconduites qui se passaient très bien
jusqu'à ce que l'on appelle le roulage. Lorsque l'avion
commençait à rouler, les reconduits se rebellaient de
façon telle que l'avion revenait à son point de départ.
Ensuite on appliquait la procédure de refus d'embarquer.
M. LE RAPPORTEUR.-
Comment ces risques sont-ils perçus par les
agents de la DICCILEC chargés d'accompagner le vol ?
M. BIZEUL.-
Le risque est connu. Il a atteint une sorte de paroxysme en
février de l'année dernière lorsqu'il y a eu cette
violente reconduite à Bamako. Cette reconduite a été
suivie, comme toujours quand on en tire les enseignements, de mesures
particulières pour affiner la technique de préparation des
reconduits, d'embarquement dans l'avion, de contacts préalables avec la
Compagnie, de conduite à tenir face aux reconduits et aux passagers.
Les personnes savent le faire et cela ne les gêne pas. Ils exercent un
métier qui a pour vocation le rétablissement de l'ordre ;
ils vivent des situations soit stressantes, soit de désordre.
M. LE RAPPORTEUR.-
La prise en charge des étrangers
éloignés, à l'aéroport d'arrivée,
s'opère-t-elle de manière satisfaisante ?
M. BIZEUL.-
La police française a, dans environ vingt pays dans
le monde, et notamment dans les pays offrant des difficultés sur le plan
de l'immigration, des commissaires de police ayant le statut d'attachés
de police à l'ambassade.
Dès que le vol se prépare au niveau du bureau de
l'éloignement à Paris, l'attaché de police et les
autorités du pays d'arrivée sont prévenus.
Un avion a toujours la possibilité de faire demi-tour. Mais lorsque
l'avion est en vol depuis un certain temps, le commandant de bord donne un code
sur les ondes. Nous communiquons ce code à l'attaché de police du
service de coopération technique policière dans le pays
d'arrivée. Il peut ainsi préparer l'accueil.
Il vient en personne, ou envoie ses collaborateurs, à l'arrivée.
Selon l'ambiance dans le pays et l'aéroport, ils s'arrangent avec les
autorités de police locale pour que nos fonctionnaires soient
protégés.
S'il y a des troubles, ou si les comptes rendus des médias ont
soulevé une émotion dans le pays d'arrivée, et que
l'attaché de police juge que le débarquement des reconduits peut
poser des problèmes de sécurité, les policiers locaux,
sous sa conduite, iront à l'intérieur de l'avion -lorsque tout le
monde a débarqué- chercher les reconduits pour que nos
fonctionnaires soient protégés.
Sinon on attend à l'intérieur de l'avion un certain temps, afin
de sortir les reconduits de manière discrète, et les remettre aux
autorités, dans une partie éloignée de l'aéroport.
Tout cela est vraiment organisé, et s'organise aussi pendant tout le
temps du vol.
M. LE RAPPORTEUR.-
Y a-t-il une bonne collaboration avec les
autorités locales ?
M. BIZEUL.-
Maintenant oui, il n'y a pas de pays qui pose de
problème.
M. LE PRÉSIDENT.-
Ce n'était pas le cas en 1997.
M. BIZEUL.-
Oui, c'est vrai.
M. LE PRÉSIDENT.-
Ils peuvent être menotés quand ils
descendent ?
M. BIZEUL.-
Non. Ils sont remis à la police.
M. LE PRÉSIDENT.-
C'est là qu'il peut y avoir des
dégradations dans l'avion.
M. BIZEUL.-
Il y en a au moment du roulage lors de l'atterrissage. Cela
se comprend psychologiquement. La personne sait que la porte va s'ouvrir sur le
retour. Il y a une forte émotion et une émulation entre les
reconduits ; il y a de nouveau des scènes où les
fonctionnaires doivent les maîtriser. Ils sont remis librement à
la police locale.
M. LE PRÉSIDENT.-
Les fonctionnaires sont-ils entre les
intéressés ?
M. BIZEUL.-
Nous avons des techniques très affinées de
positionnement dans l'avion selon le nombre de reconduits, le type d'avion, la
présence d'espace ou pas entre les passagers et les reconduits.
Quand il y a un reconduit et deux fonctionnaires, en général ils
sont sur un siège du fond, derrière la cloison ; le
reconduit est au milieu avec un fonctionnaire de chaque côté.
Autrement dans un coin, un fonctionnaire à côté du
reconduit et un fonctionnaire derrière, et toujours à
proximité des toilettes. Quand le reconduit va aux toilettes il y a une
technique de non-fermeture de la porte avec un pied coincé dans la
porte entrouverte.
Nous les faisons systématiquement passer aux toilettes avant d'aller
à l'intérieur de l'avion pour ne pas qu'ils demandent, pendant
l'embarquement des passagers, à se lever de leur siège.
Cela a été, au fil des mois et des années, affiné
dans le détail.
M. LE RAPPORTEUR.-
Y a-t-il une séparation dans les avions entre
les reconduits et les passagers ? Y a-t-il, dans certains avions, un
rideau dans le fond ?
M. BIZEUL.-
Cela dépend du commandant de bord, s'il souhaite ou
pas les séparer de la vue des autres passagers.
M. LE RAPPORTEUR.-
Compte tenu des derniers incidents,
l'affrètement de vols spécifiques pour l'éloignement
d'étrangers en situation irrégulière n'apparaît-il
pas plus efficace d'un strict point de vue policier ?
M. BIZEUL.-
Je ne répondrai pas à cette question. Cela ne
dépend pas de moi qui ne suis qu'un exécutant. On me propose des
cas de figure et je les exécute. Je n'ai pas à me prononcer sur
la manière qui sera choisie pour l'éloignement.
M. LE RAPPORTEUR.-
Je comprends, Monsieur le Directeur, que cette
question soit gênante. C'est la raison pour laquelle la rédaction
est très pointue
"Compte tenu des derniers incidents,
l'affrètement de vols spécifiques pour l'éloignement
d'étrangers en situation irrégulière n'apparaît-il
pas plus efficace d'un strict point de vue policier ?"
.
M. BIZEUL.-
"...Efficace d'un strict point de vue policier"
, non.
Si les fonctionnaires respectent bien les consignes données pour le
maintien des reconduits et savent quand cela devient dangereux -car ils ont
aussi leur propre discernement sur la situation-, dire
"On arrête, on
débarque et on fait la procédure de refus d'embarquer"
, je
pense qu'en matière strictement policière il n'y a pas de
différence d'efficacité.
M. LE PRÉSIDENT.-
Combien avez-vous d'expulsés par jour,
en moyenne pure, sur Roissy, toutes Compagnies confondues ?
M. BIZEUL.-
Entre 10 et 20 chaque jour, mais cela dépend des
jours. L'activité aéroportuaire de Roissy ne s'arrête
jamais.
Des vols sur le Cameroun partent à minuit : nous avons donc des
reconduits camerounais qui partent à minuit.
M. LE PRÉSIDENT.-
Air France et Air Afrique représentent
quelle proportion ?
M. BIZEUL.-
Je ne sais pas.
M. LE PRÉSIDENT.-
Moins que la moitié ?
On fait une fixation sur Air France et le Mali.
M. BIZEUL.-
Ce n'est pas l'essentiel.
M. LE PRÉSIDENT.-
Dix par jour est-ce une moyenne sur une longue
durée ?
M. BIZEUL.-
C'est ainsi depuis que je suis en poste.
M. LE PRÉSIDENT.-
Cela fait une moyenne de quinze par jour, soit
150 pour 10 jours et 1 500 à 2 000 par an.
M. BIZEUL.-
Cela fait un peu plus de 400 par mois.
M. LE PRÉSIDENT.-
Roissy est-il le plus gros poste de
départ ?
M. BIZEUL.-
Non. Marseille, par bateau, est plus important. Roissy est
le plus important par avion.
C'est la raison pour laquelle cette unité d'éloignement a
été créée à Roissy.
M. LE RAPPORTEUR.-
Pour l'instant, les expulsés sont en
général des célibataires ou bien y a-t-il des
familles ?
M. BIZEUL.-
Je ne sais pas répondre à cette question. En
général, ce sont des célibataires.
Nous avons des familles dans les refus d'entrée sur le territoire, dans
les non-admissions, ceux que l'on arrête à la frontière et
que l'on reconduit parfois avec les autres reconduits. Il y a aussi tout cet
aspect de reconduite.
M. LE RAPPORTEUR.-
Concernant l'aide au retour, avec une prime,
avez-vous ce type de personnes ?
M. BIZEUL.-
Non.
M. LE RAPPORTEUR.-
Vous parliez de volontaires.
M. BIZEUL.-
Il y en a à qui la mesure est notifiée, qui
viennent d'eux-mêmes prendre l'avion.
M. LE RAPPORTEUR.-
Ceux-là perçoivent l'aide au
retour ?
M. BIZEUL.-
Je ne sais pas.
M. LE RAPPORTEUR.-
On nous a dit qu'une partie de la prime était
perçue à l'embarquement, et l'autre à la réception
dans le pays.
M. LE PRÉSIDENT.-
Ce sont les volontaires, ils ne sont pas
escortés de fonctionnaires.
M. BIZEUL.-
Souvent, le refus d'embarquer est constitué par le
fait que les gens n'ont pas suffisamment de bagages à rapporter chez
eux. Ils accepteraient l'obligation de rentrer, mais rentrer les mains vides,
sans rapporter quelque chose à la famille, c'est très dur.
Parfois ils préfèrent refuser, au risque d'aller en prison, pour
retenter leur chance.
M. LE RAPPORTEUR.-
N'y a-t-il pas une mesure à prendre pour
permettre à ces personnes d'embarquer d'une façon ou d'une autre,
par d'autres vols, beaucoup plus de bagages ?
M. BIZEUL.-
C'est traité au niveau du bureau de
l'éloignement qui s'inquiète du poids de bagages que les gens
font partir, et s'arrange avec les Compagnies pour prendre les surplus de
bagages quand il y en a. C'est à la fois pour donner satisfaction
à cette personne qui a réussi à rassembler tout cela, et
aussi pour nous faciliter la tâche : nous savons que s'ils ont un
surplus de bagages, nous sommes beaucoup plus certains qu'ils partent.
M. LE RAPPORTEUR.-
Vous suggéreriez une mesure
réglementaire pour permettre à ces gens-là d'embarquer
beaucoup plus de bagages si cela peut faciliter le retour ?
M. BIZEUL.-
Pourquoi pas ?
M. LE PRÉSIDENT.-
Y a-t-il des gendarmes qui font des
procédures d'accompagnement ?
M. BIZEUL.-
Oui. Les gendarmes sont ceux qui se chargent des reconduites
à la sortie des établissements pénitentiaires.
M. LE PRÉSIDENT.-
Jusqu'au pays d'origine ?
M. BIZEUL.-
Oui. Mais c'est assez peu. Souvent les gendarmes viennent
jusqu'au centre de rétention administrative, aident à la
procédure d'embarquement et ensuite nous prenons le relais.
M. LE PRÉSIDENT.-
Les fonctionnaires de chez vous font combien de
voyages par an ?
M. BIZEUL.-
Ils partent en général une ou deux fois dans
la semaine. On s'arrange pour qu'ils fassent un long courrier en début
de semaine et un moyen courrier en fin de semaine. Il y a un système
complexe de récupération des temps pris en dehors des heures
normales, et également une rémunération de frais de
police.
En revanche, ils n'ont aucune dépense à faire sur place puisque
tout est pris en charge par l'Administration centrale grâce à cet
implant Wagons-lits. Ils n'ont à débourser ni l'hôtel, ni
les repas.
M. LE PRÉSIDENT.-
A Bamako il repartent par le vol suivant ou
restent 24 heures ?
M. BIZEUL.-
Nous privilégions des vols avec retour
immédiat, mais parfois ils sont obligés de rester. Quand ils vont
dans des pays à risque, ils sont pris en charge par nos autorités
policières en place qui choisissent l'hôtel.
M. LE PRÉSIDENT.-
Ils font cela durant plusieurs
années ?
M. BIZEUL.-
Ceux qui ont commencé en 1995 sont toujours dans le
service. Il y a un noyau d'une bonne trentaine de personnes.
M. LE PRÉSIDENT.-
Changent-ils de lignes ?
M. BIZEUL.-
Oui, de temps en temps. Mais il y a assez peu de
destinations de rêve. La Polynesie, c'est rare !
M. LE PRÉSIDENT.-
La Thaïlande ?
M. BIZEUL.-
Non.
M. CALDAGUES.-
S'il est vrai que la dignité humaine n'a pas de
prix, on peut se préoccuper de savoir quelle est l'échelle de
coûts respectifs entre des accompagnements individuels, ou
pluri-individuels et des vols collectifs ?
M. BIZEUL.-
Je ne tiens pas les comptes. La seule régie que j'aie
est celle des frais de mes fonctionnaires. Je suis en aval dans
l'exécution. Je ne connais ni les prix des vols affrétés,
ni ce que coûtent ces vols.
M. CALDAGUES.-
Dans un vol collectif, combien faut-il de fonctionnaires
pour assurer la bonne maintenance du voyage, par rapport à ceux
nécessaires pour des reconduites individuelles ou
pluri-individuelles ?
M. BIZEUL.-
Il en faut davantage.
M. CALDAGUES.-
Davantage par personne éloignée ?
M. BIZEUL.-
Oui. Le vol collectif oblige à mettre dans l'avion
une réserve d'effectif. En général la moyenne est de deux
fonctionnaires par reconduit, plus, dans le collectif, une réserve.
C'est pour des raisons de sécurité. C'est très difficile
de pouvoir maîtriser une situation s'il n'y a pas deux fonctionnaires par
reconduit. Il faut une réserve : s'il y a à bord un
phénomène de rébellion, les fonctionnaires ne doivent pas
être trop attentifs à leur reconduit pour juger de la situation et
prendre des initiatives. Il faut des gens débarrassés de cette
charge pour aider à contrôler l'avion. Ce sont des enseignements
tirés de l'expérience.
M. LE PRÉSIDENT.-
Comment font les autres pays ?
M. BIZEUL.-
Je ne le sais pas. Je n'ai pas d'information à ce
sujet.
M. LE RAPPORTEUR.-
Monsieur le Directeur, quel est le haut-fonctionnaire
qui pourrait nous renseigner sur ce que font les autres pays ? Des
études ont dû être faites.
M. BIZEUL.-
Je suis un homme de terrain. Le Directeur central pourra
vous répondre.
M. LE PRÉSIDENT.-
Monsieur Bizeul, je ferais l'unanimité
en disant que vous avez répondu à toutes nos questions avec
beaucoup de clarté, sans réticence et avec beaucoup
d'objectivité.
M. BIZEUL.-
Je vous remercie.
M. LE PRÉSIDENT.-
Nous vous remercions vivement et vous
souhaitons beaucoup de courage dans la persévérance de votre
action.
M. BIZEUL.-
Merci, Monsieur le Président.
M. LE PRÉSIDENT.-
Vous nous envoyez ces rapports sans vos
annotations personnelles.
M. BIZEUL.-
Ce sont des notes d'information.
Les procès-verbaux rédigés à l'occasion de ces
procédures sont adressés au procureur. Je ne peux pas me
permettre d'en extraire certains.
M. LE PRÉSIDENT.-
Tout document peut être communiqué
à une commission d'enquête, sauf les documents frappés du
"secret-confidentiel" et les procédures d'instruction.
M. BIZEUL.-
Je dérogerais à des règles importantes
si j'avais encore des procès-verbaux destinés à la justice.
M. LE PRÉSIDENT.-
Il ne s'agit pas de cela, mais de rapports
administratifs que vous faites à vos hiérarchies.
M. CHRISTIAN BRUSCHY,
REPRÉSENTANT DE
LA
CONFÉRENCE DES BATONNIERS
JEUDI 23 AVRIL 1998
M. LE
PRÉSIDENT.-
Monsieur Bruschy, je suis ravi de vous accueillir ici.
Avant de vous livrer à Monsieur M. le Rapporteur, je vais devoir vous
faire prêter serment.
(M. le Président donne lecture des dispositions de l'article 6
de l'ordonnance du 17 novembre 1958 ; M. Christian Bruschy
prête serment).
M. BRUSCHY.-
Je le jure.
M. LE RAPPORTEUR.-
Monsieur le représentant de la
Conférence des Bâtonniers, la commission d'enquête
parlementaire a souhaité entendre l'avis des avocats.
Je vais vous poser trois séries de questions, tout d'abord sur l'aide
pour la constitution des dossiers.
Les préfectures ont-elles pris l'initiative de vous apporter des
informations spécifiques sur la procédure de
régularisation, sur les critères fixés par la circulaire
et sur les preuves admises ? Dans l'affirmative, comment avez-vous
diffusé ces informations ?
Les préfectures ont-elles informé les demandeurs sur l'aide
susceptible de leur être apportée par les avocats ?
M. BRUSCHY.-
Je remercie votre commission, Monsieur le Président
et Monsieur le Rapporteur, d'avoir invité la Conférence des
Bâtonniers à fournir son témoignage, qui, je
l'espère, sera utile.
Il est important que le barreau soit associé aux travaux de votre
commission. Je le dis d'autant plus que j'avais lu et travaillé avec
beaucoup d'attention le rapport de la commission Schengen -que vous aviez
Monsieur le Président, déjà présidée- et que
j'en ai tiré, concernant mon activité d'avocat, un énorme
profit.
Monsieur le Rapporteur, vous imaginez des rapports avec les préfectures
qui seraient des rapports idéaux ou idylliques. Malheureusement, nous
n'en sommes pas encore là.
Les rapports avec les préfectures se sont améliorés. Un
certain nombre d'avocats ont directement accès auprès du cabinet
du Préfet, ou du Secrétaire général ou du
Sous-préfet chargé des étrangers -quand il y en a dans
certains départements-, mais cela reste essentiellement des contacts
d'ordre personnel qui ne sont pas systématisés.
Dans un certain nombre de préfectures -celles des départements
où le nombre d'étrangers est le plus élevé et,
étant provincial je pense notamment aux préfectures du
Rhône et des Bouches-du-Rhône-, des réunions d'information
sont organisées à l'initiative de la préfecture. Des
avocats y participent, en qualité de membres d'associations de
défense ou de soutien aux étrangers ; ils n'y assistent pas
en tant que représentants du barreau, sauf à titre tout à
fait exceptionnel.
Les avocats qui participent à ces réunions, et ceux qui ont un
contact privilégié avec les autorités
préfectorales, se font un devoir -au moins pour les départements
cités- de répercuter leur information auprès de leurs
confrères.
Ils en informent l'Ordre de façon générale, et, de
façon particulière, les avocats spécialisés dans le
droit des étrangers.
Par capillarité l'information passe, mais les préfectures ne
donnent pas toujours une information très claire ; en effet, elles
ne sont pas toujours détentrices d'une information claire.
J'ai suivi l'opération de régularisation massive de 1981.
Lorsqu'une opération de régularisation se déroule, le
ministère de l'Intérieur donne des directives
"évolutives". Pour l'opération de régularisation qui se
termine, les informations diffusées par la préfecture au
début de l'opération n'étaient pas nécessairement
les mêmes que celles diffusées en cours d'opération et
à la fin de l'opération : certains critères avaient
été assouplis et d'autres avaient pu être durcis.
En matière de respect de droit à la vie en famille, le
ministère de l'Intérieur à donné des directives
d'assouplissement. Concernant les étrangers qui se trouvaient en France
depuis un certain temps -le délai minimum était de 7 ans- et qui
n'avaient pas de charge de famille, on a maintenu des critères assez
rigides.
Les avocats qui suivent ce type de dossier -il n'y en a pas
énormément, dans des gros barreaux comme Lyon ou Marseille cela
représente une quinzaine d'avocats- étaient informés et
répercutaient, à d'autres confrères qui avaient quelques
dossiers, des informations au fur et à mesure.
Je prends l'exemple de la préfecture des Bouches-du-Rhône :
le Sous-préfet chargé des étrangers nous a informés
qu'au vu du volume des demandes de régularisations, et du volume de
refus qui s'ensuivra, il ne lui était pas possible de répondre
aux recours gracieux. Il disait que le délai de 4 mois prendrait fin et
cela vaudrait refus sans que ses services aient réellement pu examiner,
faute de temps et surtout faute de personnel, les recours déposés.
L'information a été transmise et cela met les avocats devant une
responsabilité : faut-il déposer un recours devant les
juridictions administratives, en sachant qu'il a quelques chances de
succès, ou déposer un recours gracieux, attendre la fin du
délai de 4 mois et ensuite déposer un recours devant le Tribunal
administratif.
Voilà le type d'informations qui rend les rapports avec l'Administration
parfois délicats, du fait des charges qui sont celles de
l'Administration.
Concernant les préfectures citées, les rapports ont parfois
été tendus mais ils se sont toujours inscrits dans un contexte de
courtoisie.
M. LE RAPPORTEUR.-
Monsieur, je vous remercie.
M. BRUSCHY.-
Implicitement, sur la deuxième question, je serais
plus précis pour ne pas laisser une impression négative
concernant les préfectures.
Les préfectures n'ont pas édité de document, tant en
français que dans les langues étrangères, informant les
étrangers de la possibilité offerte de recourir à un
avocat. Etait-ce possible ? Est-ce le rôle de
l'Administration ? On peut se poser la question.
En revanche, il est arrivé assez souvent, lorsqu'un dossier juste
convenable présentait visiblement pour l'Administration un certain
intérêt -mais l'Administration n'était pas disposée
d'emblée à accorder la régularisation-, que l'on conseille
à l'étranger de se mettre en relation avec une association, soit
de prendre contact avec un avocat.
Le guichetier, sans doute à l'initiative de sa hiérarchie,
conseillait de s'orienter vers un avocat ; mais cela n'a pas
été systématique.
Je dois souligner, par ailleurs, que les associations ont été
très présentes dans cette opération de
régularisation, avec beaucoup d'aspects positifs et parfois quelques
aspects négatifs.
M. LE PRÉSIDENT.-
Est-ce gratuit dans les deux cas ?
M. BRUSCHY.-
Concernant l'avocat, vous posez une excellente question.
C'est une situation extrêmement délicate. Nous ne pouvons pas
recourir à l'aide juridictionnelle dans une opération de
régularisation où il s'agit d'entrer en contact avec
l'Administration et non pas de porter un problème devant une
juridiction.
Nous sommes obligés de demander des honoraires aux étrangers
concernés qui se tournent vers nous. Notre profession n'hésite
pas à pratiquer la gratuité, mais nous ne pouvons pas le faire
systématiquement. Cela déséquilibrerait l'équilibre
financier des cabinets.
M. LE RAPPORTEUR.-
Avez-vous connaissance d'avocats qui auraient
conseillé à certains étrangers de renoncer à leur
demande, en leur disant qu'ils ne répondaient pas aux critères de
la circulaire ? Et si oui, quels ont été leurs
critères d'appréciation ?
M. BRUSCHY.-
Vous mettez l'accent sur notre rôle essentiel dans
cette opération de régularisation, à l'exception de notre
rôle final concernant les recours devant les juridictions administratives.
Notre rôle s'est situé en amont. Comme ont pu le faire des
associations, nous avons dû conseiller des étrangers qui venaient
nous trouver, avant même de se tourner vers l'Administration, pour savoir
si leur dossier avait une quelconque chance d'aboutir.
Je ne peux pas répondre pour l'ensemble des confrères, et c'est
aussi un problème de secret professionnel. Je peux vous dire que lorsque
les dossiers sont apparus comme étant très au-dessous des
critères fixés par la circulaire du 24 juin, l'avocat n'a pu
conseiller que de ne pas déposer une demande de régularisation.
C'est le rôle de conseil de l'avocat ; il n'est pas là pour
encourager l'immigration irrégulière, mais doit apporter le
conseil le plus judicieux possible.
Il existe des dossiers n'apparaissant pas tout à fait conformes aux
critères fixés par la circulaire. En les examinant soigneusement
et en les mettant en rapport avec des droits fondamentaux (par exemple le droit
au respect à la vie en famille), ou parfois (bien que ce soit une
catégorie comprise dans la circulaire) l'article 3 de la Convention
européenne des droits de l'homme sur les traitements inhumains ou
dégradants ou les sévices que ces étrangers pourraient
encourir en cas de retour dans leur pays d'origine, on élargit quelque
peu les limites.
Même si la régularisation n'aboutit pas, par la suite un recours
devant la juridiction administrative permettrait de résoudre la
difficulté (en fonction des droits fondamentaux inscrits soit dans la
Constitution, soit dans certains textes internationaux, principalement la
Convention européenne des droits de l'homme de 1950).
C'est en cela que l'avocat se distingue d'une association. Il a à
l'esprit l'ensemble du cadre juridique. Quand on lui soumet un cas, il doit le
replacer dans le cadre juridique d'ensemble.
M. LE RAPPORTEUR.-
Certaines préfectures, non seulement dans les
Bouches-du-Rhône mais aussi ailleurs, ont-elles admis les avocats aux
entretiens pour lesquels les demandeurs ont été convoqués ?
M. BRUSCHY.-
Les préfectures ont admis, à peu près
partout, les avocats aux guichets. La préfecture admettait les membres
des associations, elle pouvait difficilement refuser les avocats. C'est un
point qui, personnellement, m'a embarrassé : était-ce bien
le rôle d'un avocat d'aller discuter aux guichets, et si son rôle
n'était pas de s'adresser directement au chef du Bureau des
étrangers ou au Préfet pour plus d'efficacité,
peut-être perdions-nous beaucoup d'énergie, et un peu de prestige
professionnel, en nous présentant avec nos clients aux guichets.
Je sais que des confrères ont adopté cette attitude. Je ne les
blâme pas. Elle a peut-être pu se révéler efficace
mais, personnellement, ce n'est pas une attitude que je partage.
M. LE RAPPORTEUR.-
Certains demandeurs se sont-ils fait domicilier chez
leur avocat ?
M. BRUSCHY.-
Dans toutes les préfectures il y a eu deux temps
dans la domiciliation.
Dans un premier temps, quand on a adressé à la préfecture
la demande de régularisation -c'était par écrit et par
voie postale-, l'étranger pouvait être domicilié chez
l'avocat.
Dans un second temps, quand il se présentait aux guichets des
préfectures, celles-ci, sauf exception, ont demandé que
l'étranger dispose d'une adresse personnelle et qu'il ne soit pas
domicilié chez un avocat.
M. LE RAPPORTEUR.-
A votre connaissance, dans les
Bouches-du-Rhône, y a-t-il eu beaucoup d'étrangers qui se sont
fait domicilier chez leur avocat ?
M. BRUSCHY.-
Je ne peux pas vous donner un chiffre, mais il y en a eu un
certain nombre, vraisemblablement plusieurs centaines.
M. LE PRÉSIDENT.-
Cela s'est-il pratiqué dans tous les
barreaux ?
M. BRUSCHY.-
A ma connaissance, oui. D'après les confrères
avec lesquels j'étais en rapport, cela s'est pratiqué un peu
partout.
M. LE PRÉSIDENT.-
Et les Parisiens ?
M. BRUSCHY.-
La Conférence des Bâtonniers ne comprend pas
le barreau de Paris, aussi étrange que cela soit. Je ne peux donc pas
vous donner d'informations sur Paris.
La Conférence des Bâtonniers existe depuis le début du
siècle, c'est une "vieille dame", mais le barreau de Paris a toujours
estimé qu'il constituait un interlocuteur direct des Pouvoirs Publics et
qu'il n'avait pas à faire partie de la Conférence des
Bâtonniers.
M. LE RAPPORTEUR.-
Même si souvent ces Bâtonniers sont des
provinciaux. Les avocats ont, à votre connaissance, parfois
contribué à la constitution du dossier ?
M. BRUSCHY.-
Oui, ils ont souvent rédigé la lettre la
demande de régularisation et ils ont matériellement
organisé les dossiers des demandeurs.
M. LE RAPPORTEUR.-
Comment l'Administration a considéré
l'intervention d'avocats en faveur de certains demandeurs ?
Dans quelle mesure a-t-elle pris en compte les observations faites par les
avocats puisque, comme vous l'indiquiez il y a quelques instants, l'avocat
-surtout s'il est comme vous professeur de droit- peut replacer la circulaire
dans un cadre plus important, c'est-à-dire la Convention
européenne des droits de l'homme et d'autres textes qui existent ?
M. BRUSCHY.-
Monsieur le Rapporteur, nous avons parfois des
difficultés de dialogue avec l'Administration.
Il y a une amélioration depuis une dizaine d'années. C'est assez
général. C'est la même chose avec la police, depuis que
nous pouvons être présents dans les commissariats lors des gardes
à vue. Il y a des domaines où nous étions
considérés comme des corps étrangers, des
"empêcheurs de tourner en rond " où, peu à peu, nous
commençons à être admis.
Je crois qu'avec l'Administration préfectorale nous en sommes à
ce stade. Nous commençons à être admis. Cela ne veut pas
dire que nous soyons pleinement admis.
Lorsque nous apportons un certain nombre d'arguments pertinents qui font
référence au droit, l'Administration -quand elle prend le soin de
bien examiner nos arguments, car là encore il y a des problèmes
de personnel tant du point de vue quantitatif que qualitatif-
préfère prendre une décision favorable à
l'étranger plutôt que de risquer un recours pour excès de
pouvoir devant la juridiction administrative. Nous le constatons, tant pour
cette opération de régularisation, que lors d'autres situations.
Ces deux ou trois dernières années, plus particulièrement
dans les Bouches-du-Rhône, il y avait un certain nombre d'affaires
pendantes devant le tribunal administratif car cela prend un certain temps pour
que les affaires soient audiencées ; l'Administration,
d'elle-même, a préféré prendre une décision
favorable et demandé aux intéressés de signer un acte de
désistement.
Cette façon de procéder n'est pas systématique, mais elle
fait incontestablement des progrès.
M. LE RAPPORTEUR.-
Pensez-vous que c'est une intervention efficace,
notamment pour les interprétations juridiques de la circulaire ?
M. BRUSCHY.-
Sur ce point des aspects juridiques, notre rôle a
été le plus important. Pour les autres aspects, une association
bien organisée pouvait faire ce travail. Mais replacer les dossiers dans
le cadre juridique d'ensemble c'est bien la spécificité du
travail de l'avocat.
M. LE RAPPORTEUR.-
Avez-vous été associé au
processus mis en place pour l'aide au retour des étrangers et à
qui la régularisation a été refusée ?
M. BRUSCHY.-
Dans le cadre des réunions évoquées
précédemment, la préfecture a informé des avantages
éventuels, avec quelques sommes modestes, que pourrait
représenter un retour dans le pays d'origine.
Dans les décisions de refus qui ont été prises, cela a
aussi été signalé, avec une demande de mise en rapport
avec l'Office des Migrations internationales.
Nous avons aussi été consultés sur ce point par les
étrangers intéressés. Nous leur avons apporté le
conseil le plus judicieux. Ce n'est pas toujours facile. Il y a des cas
où il est préférable de ne pas demander à
l'étranger de se maintenir indéfiniment en France. S'il n'a pas
d'attache familiale en France, et si, à terme, il n'y a aucune
perspective de régularisation, des solutions de bon sens peuvent
s'imposer.
M. LE RAPPORTEUR.-
Quelles sont, selon vous, les solutions de bon
sens ? Quand un étranger a fait l'objet d'une procédure
d'éloignement, puisqu'il n'est pas régularisé, quels sont
-d'après votre expérience et les contacts que vous avez avec ces
étrangers- les meilleurs moyens pour procéder à leur
éloignement ?
Un des fonctionnaires nous a dit qu'il y a un problème de bagages, un
problème terre-à-terre : les étrangers aimeraient
souvent pouvoir emporter beaucoup plus de bagages que ce qui est
autorisé actuellement.
Vous avez des conversations avec des gens qui ne sont pas
régularisables. Que vous ont-ils dit ? Quels sont leurs souhaits
qui pourraient faciliter ce retour ?
M. BRUSCHY.-
Quand l'étranger se trouve frappé d'une
mesure d'éloignement, quand il a été interpellé par
la police ou la gendarmerie, qu'il est placé par arrêté
préfectoral dans un centre de rétention, nous avons deux
réactions. Soit l'étranger veut absolument se maintenir en
France, soit il tire les conséquences en ayant un propos du type :
"J'ai joué, j'ai perdu, j'en tire la leçon"
.
Tout dépend aussi de la situation concrète de chaque
étranger. Si un étranger n'a aucune attache en France il sera
plus susceptible de partir, sans vraiment s'opposer à son départ,
qu'un étranger qui a des attaches en France et voudra absolument se
maintenir.
Nous devons d'abord utiliser toutes les voies de droit. Lorsque
l'étranger est présenté au juge
délégué pour prolonger la rétention, si
l'étranger remplit les conditions nous intervenons pour qu'il soit
assigné à résidence, et si l'interpellation dont il a fait
l'objet est nulle, nous faisons appliquer la jurisprudence de 1995 de la Cour
de cassation pour annuler la procédure.
Il y a des points sur lesquels nous avons un rôle spécifique. De
même, pour l'arrêté de reconduite à la
frontière, nous devons conseiller l'étranger pour savoir s'il
convient de déposer un recours contre cet arrêté devant le
tribunal administratif. Si le recours est déposé, nous essayons
de faire annuler la décision du tribunal.
Il existe un certain nombre de problèmes concrets et les bagages en font
partie. Parfois aussi, tous les liens de droits tissés par
l'étranger dans la société française sont
anéantis à son détriment, ou parfois au détriment
de ses créanciers. Ce problème n'est pas bien pris en compte par
l'Administration.
Quand un étranger a été un moment en situation
régulière et que, par la suite, il ne l'a plus été,
il existe des comptes en banque avec, parfois, des sommes de plusieurs dizaines
de milliers de francs. Après son retour dans son pays d'origine, il aura
ensuite beaucoup de problèmes pour récupérer les sommes
déposées sur ses comptes qui ne sont pas des comptes
dépôts pour les étrangers domiciliés hors de France.
Souvent l'étranger est un locataire, ce qui va créer pour son
bailleur de grosses difficultés. J'ai connu aussi des créanciers,
au sens général, qui étaient en très mauvaise
posture du fait de l'éloignement d'un étranger. Ce
n'étaient pas des personnes qui avaient aidé l'étranger en
situation irrégulière. Celui-ci était peut-être, au
début, en situation régulière et avait un bail, mais on ne
vérifie pas chaque jour la situation d'une personne.
Une série de difficultés n'est pas prise en compte du fait de la
rapidité de la procédure d'éloignement ; il serait
approprié d'y réfléchir de façon extrêmement
concrète.
Les avocats, directement informés de ce genre de difficultés, et
les personnes qui travaillent au sein de la Cimade, dans les centres de
rétention -qui ont un rôle d'assistance sociale à
l'égard des étrangers-, devraient entamer, avec l'Administration
et plus spécialement la DICCILEC, une procédure de
réflexion sur ces difficultés.
M. LE RAPPORTEUR.-
Comment percevez-vous l'incitation faite aux
passagers de vols réguliers à manifester leur hostilité
à l'éloignement du territoire des étrangers en situation
irrégulière ?
M. BRUSCHY.-
Ce n'est pas le travail du barreau. J'ai constaté
des incidents à Paris mais il y a aussi eu des incidents à
Marseille pour les embarquements maritimes.
M. LE RAPPORTEUR.-
Pouvez-vous nous parler de ce qui s'est passé
ces derniers jours à Marseille ?
M. BRUSCHY.-
Il ne s'agissait pas d'étrangers habitant
Marseille ; c'étaient des étrangers de nationalité
d'un pays du Maghreb qui, habitant ailleurs, étaient amenés
à Marseille en vue d'un embarquement maritime pour être reconduits
dans leur pays d'origine.
Divers incidents ont eu lieu : des manifestations sur le port de
Marseille, des personnes ont plongé dans le port pour montrer leur
désaccord, les étrangers ont tout fait rouler sur les passerelles
pour refuser de monter dans les bateaux.
Il est délicat, pour un avocat, de porter un jugement. Je suis là
en qualité de représentant de la Conférence des
Bâtonniers et non pas en citoyen. Il n'est pas toujours évident de
dire que des infractions étaient constituées, non pas concernant
les étrangers qui s'opposent à l'embarquement -car le refus
d'embarquement est clairement identifié-, mais pour les personnes
intervenant pour soutenir les étrangers : il n'est pas certain
qu'une infraction pénale ait été constituée dans
les cas évoqués.
M. LE RAPPORTEUR.-
Je vous remercie.
De combien de recours (gracieux, administratifs et contentieux) ont
été, à votre connaissance, saisis les cabinets d'avocats,
notamment à Marseille ? Dans quel département ces recours
sont-ils les plus nombreux ?
M. BRUSCHY.-
Je ne peux pas vous fournir de réponse. Dans
beaucoup de départements l'opération de régularisation est
toujours en cours, les décisions de refus ne sont pas encore intervenues
et nous n'avons pas l'intégralité des dossiers pour pouvoir en
juger.
J'indique que souvent les cabinets d'avocats, saisis par les
intéressés, dans un premier temps -parce qu'ils estiment que l'on
ne sait jamais comment la situation peut évoluer et qu'il y a
éventuellement un vague espoir pour le dossier- conseillent un recours
gracieux, doublé d'un recours hiérarchique, en disant que cela
donne du temps : cela ne met pas l'étranger à l'abri, car ce
n'est pas suspensif. Ils estiment que, dans quelques mois, l'on verra si l'on
peut déposer un recours devant le tribunal administratif. C'est une
démarche progressive qui, dans l'ensemble, est adoptée.
Les contacts pris avant de venir témoigner devant votre commission -je
n'ai pu les prendre qu'au sein du barreau de Marseille- prouvent que beaucoup
d'étrangers veulent faire des recours. Les cabinets
spécialisés dans le droit des étrangers sont très
sollicités. Je ne peux pas vous donner d'éléments
statistiques à ce sujet.
M. LE RAPPORTEUR.-
Pensez-vous que la presque totalité des
personnes éloignées fasse des recours ?
M. BRUSCHY.-
Nous sommes dans une situation embarrassante.
On peut déjà dire que la catégorie d'étrangers qui
a fait, ou fera, l'objet de refus les plus nombreux est la catégorie
6 : "sans charge de famille". Là, les refus sont de 80 %.
C'est aussi la catégorie pour laquelle les moyens de droit sont les plus
réduits. On peut avoir des moyens d'illégalité externe, si
la personne qui a signé la décision n'est pas compétente,
mais cela arrive dans n'importe quelle décision administrative. En
revanche, sur le fond du droit les moyens sont limités. On ne pourra pas
évoquer l'article 8 de la Convention européenne des droits de
l'homme, sur le droit du respect de la vie en famille. On ne pourra pas
évoquer l'article 3, car je ne pense pas que ces étrangers
courent de grands dangers en cas de retour dans leur pays d'origine. Ce sera,
sans doute, vrai pour certains, mais c'est une minorité.
Ce qui risque de générer le contentieux le plus important c'est
la catégorie pour laquelle les moyens de droit, que nous pourrions
invoquer, seront les plus réduits.
M. LE RAPPORTEUR.-
Quels sont les principaux motifs invoqués
à l'appui des réclamations que vous déposez ?
M. BRUSCHY.-
Les principaux motifs sont ceux de la Convention
européenne.
Monsieur le Rapporteur, ayant été notre confrère, vous
savez que l'avocat doit parfois faire preuve d'imagination. Toute notre
profession utilise l'article 8, sur le droit au respect de la vie en famille.
Il y a peut-être d'autres perspectives car le Conseil d'Etat vient de
rendre un arrêt dans lequel il donne un effet direct à la
Convention internationale sur le droit de l'enfant. Ce n'est pas très
loin du droit au respect de la vie en famille, mais on pourra jouer sur cette
convention.
Je crois aussi que l'article 8 fait référence au respect du droit
à la vie privée. Pour le moment, nos juridictions administratives
et la Cour européenne des droits de l'homme n'ont pas accordé
beaucoup d'importance à ce droit.
On pourrait imaginer qu'un étranger en France depuis longtemps a
noué, dans la société française, des liens
étroits -pas nécessairement des liens matrimoniaux-
profondément inscrits dans cette société ;
peut-être l'atteinte à la vie privée pourrait, à
terme, trouver un écho auprès de nos juridictions.
Nous devons essayer de trouver les voies de droit : il en existe que l'on
peut tirer -même si ces conventions n'ont pas d'effets directs- du Pacte
international sur les droits civiques et politiques, du Pacte international sur
les droits sociaux et culturels, et notamment le droit à
l'éducation.
Il y a encore beaucoup à faire concernant le respect des droits
fondamentaux.
M. LE RAPPORTEUR.-
Concernant les décisions prises sur les
recours, pour l'instant vous n'avez pas de décisions ?
M. BRUSCHY.-
Non, c'est trop tôt.
M. LE RAPPORTEUR.-
Et sur les recours gracieux, vous n'avez pas encore
de réponse ?
M. BRUSCHY.-
Nous avons des réponses d'autres
préfectures ; ce sont parfois des réponses positives.
Pour la préfecture des Bouches-du-Rhône il y a un effet de
débordement. D'autres préfectures, où visiblement le
nombre de dossiers est moins élevé, répondent parfois
positivement en disant que l'avocat a apporté des renseignements
complémentaires permettant de modifier la décision prise.
M. LE RAPPORTEUR.-
Le tribunal administratif de Nice a récemment
décidé, à trois reprises, qu'il y avait péril pour
les Algériens s'ils étaient obligés de retourner dans leur
pays d'origine. En fonction de cela, ce même tribunal a fait annuler des
arrêtés préfectoraux. Y a-t-il d'autres tribunaux qui
prennent la même position ?
M. BRUSCHY.-
Le tribunal administratif de Nice fait figure de pionnier.
Il a donné à ces annulations un caractère assez
systématique. C'est ce qui différencie la "jurisprudence" du
tribunal qui semble considérer qu'un retour d'un Algérien dans
son pays d'origine, au vu de la situation actuelle en Algerie, comporte des
risques sérieux ou vitaux pour l'intéressé.
Les autres tribunaux administratifs, notamment ceux de Lyon ou de Marseille,
ont une attitude plus ponctuelle. C'est au cas par cas, au vu de la situation
personnelle de l'intéressé, de ce qu'a été sa vie
en Algérie, des menaces qu'il aurait pu, avant de venir en France,
encourir dans son pays d'origine, que la décision est prise sur la base
de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme. C'est
quelque peu différent.
M. LE RAPPORTEUR.-
Pensez-vous que le pourcentage des
régularisations sera sensiblement modifié à l'issue des
procédures gracieuses et contentieuses ?
Comme vous êtes professeur de droit, ma question est d'autant plus
intéressante.
M. BRUSCHY.-
Monsieur le Rapporteur, vous me mettez dans une situation
délicate car vous me demandez un pronostic.
Je vous l'ai dit, quelques recours gracieux, concernant les préfectures
qui ont la possibilité de les examiner, ont eu une issue positive. Cela
ne va pas beaucoup modifier le nombre de régularisations. Cela serait de
l'ordre de quelques centaines sur le plan national. Je ne pense pas que nous
irons vraiment au-delà.
J'aurais le même pronostic concernant les résultats obtenus devant
les juridictions administratives. Il y aura un certain nombre de
résultats, mais je ne crois pas qu'ils modifient de manière
sensible le nombre de régularisations.
M. LE RAPPORTEUR.-
Je vous remercie, Monsieur le professeur.
M. LE PRÉSIDENT.-
Merci Monsieur le Rapporteur. Y a-t-il quelques
questions ?
M. BLAIZOT.-
J'ai le sentiment que peut-être l'Administration et
le ministère de l'Intérieur n'ont pas eu la confiance, qui me
paraissait justifiée, à l'égard de l'intervention des
avocats. J'ai cru comprendre dans ce qu'a dit Maître Bruschy, que
l'intervention d'un avocat n'a pas été appréciée
par les services des préfectures. Les intéressés n'y ont
pas tellement incité et je le regrette. Quand on a à faire
à un délinquant qui tombe sous le coup d'un article du Code
pénal on l'avise très officiellement qu'il peut recourir aux
services d'un avocat.
A l'égard de ces personnes qui ne sont pas des délinquants au
sens propre du terme -leur seul délit est une situation
irrégulière en France-, on aurait dû être ouvert. Il
aurait été bon que dans les circulaires du ministère
l'Intérieur soit indiqué qu'ils pouvaient recourir à
l'avis ou au concours d'un conseil qui pouvait être un interprète
animé d'autres compétences, ou mobilisé par sa
volonté de faire valoir les droits de l'intéressé. Par
exemple, l'employeur peut souvent apporter devant les bureaux un avis
très pertinent sur la conduite de l'intéressé.
Il me semble que votre rapport devrait souligner auprès du
ministère de l'Intérieur que les concours de conseils auraient
dû être très officiellement proposés. Les
intéressés y auraient eu recours ou non, mais au moins
auraient-ils été avisés que l'on ne mettrait pas à
la porte les gens qui les accompagneraient pour les aider à se
défendre ou à faire valoir leur point de vue.
M. BRUSCHY.-
Je ne peux, Monsieur le Sénateur, qu'approuver votre
position. Mais je dirais, concernant notre profession, que nous avons aussi un
effort à faire en matière de formation. Le droit des
étrangers est complexe : il fait appel à des
compétences en droit administratif, en droit pénal, y compris en
procédure civile, car tout ce qui concerne la rétention
administrative, le contrôle du juge délégué,
relève de la procédure civile et ce droit est insuffisamment
enseigné dans nos facultés. En tant qu'universitaire j'en suis
navré. C'est la énième fraction d'un cours,
généralement en maîtrise, où l'on insiste davantage
sur la nationalité -ce qui est très important-, ou sur le droit
international privé, que sur le droit des étrangers.
Quand les étudiants ont terminé leurs études de droit,
qu'ils sont maîtres en droit, je dois dire qu'ils ne connaissent pas
grand-chose en matière de droit des étrangers. Ils passent
l'examen du CFPA ; là les barreaux ont fait un effort pour qu'il y
ait un cours de droit des étrangers dispensé dans la plupart des
CFPA. C'est un cours qui ne peut pas être volumineux car, en une
année, les futurs avocats ont beaucoup de choses à apprendre et
il faut caser le droit des étrangers dans cette masse d'enseignement.
Les initiatives prises sont un peu de formation continue. Beaucoup de barreaux
prennent l'initiative d'organiser des sessions de formation sur le droit des
étrangers (j'y interviens de temps en temps) pour faire en sorte que les
avocats soient mieux adaptés à leur rôle. Cela est
très important.
Il faut avoir à l'esprit que ce sont surtout les jeunes avocats qui
s'occupent du droit des étrangers car c'est un droit peu
rémunérateur. Heureusement que les avocats plus chevronnés
interviennent aussi pour donner du "coeur au ventre" à nos jeunes
confrères.
Là, il y a une exigence de formation : formation au niveau de
l'enseignement, mais aussi formation sur le terrain. Les avocats qui
interviennent, les avocats de permanence, sont constamment en relation avec un
confrère plus ancien, et plus expérimenté, dans ce domaine.
Il faut de plus en plus que les barreaux soient présents dans toutes ces
procédures, et auprès des préfectures. Les barreaux
doivent aussi faire un effort, déjà bien engagé, de
formation. De cette manière, l'avocat, qui est en quelque sorte un
fantassin des droits fondamentaux -car nous jouons un rôle tout à
fait important- peut réellement et pleinement jouer son rôle.
M. LE PRÉSIDENT.-
Maître, je vous remercie des positions
apportées dans cette audition. Vous avez fourni des
éléments précieux et objectifs et nous vous remercions.
Une question me vient à l'esprit : les associations ont-elles aussi
des avocats comme conseils ?
M. BRUSCHY.-
Cela dépend des associations. Je l'ai dit, le
rôle des associations a été globalement très
positif. Il y a quand même des associations qui n'étaient pas tout
à fait outillées pour jouer ce rôle, qui l'ont joué
et parfois n'ont pas toujours donné les conseils les plus avisés.
Ne voyez pas dans mon propos une critique générale des
associations.
Les associations les plus chevronnées telles que Cimade, Ligue des
droits de l'homme et SOS racisme travaillent généralement avec
des avocats. A Marseille ; je suis moi-même Président de la
Maison des Etrangers, une association semi-publique d'un type un peu
particulier car la municipalité y est fortement
représentée, et je fais en sorte que les services fournis par
cette association soient de la meilleure qualité juridique possible.
De ce point de vue, je crois que les grandes associations remplissent bien leur
rôle et qu'elles le font en relation avec les avocats. Il existe des
associations plus modestes -des associations communautaires- qui n'ont pas
grande expérience en la matière, pas grand lien avec le monde du
droit. Pour celles-là les rapports avec les avocats sont peut-être
un peu plus rares, ce qui est tout à fait regrettable.
M. LE PRÉSIDENT.-
Nous avons épuisé le sujet.
Monsieur le Rapporteur, avez-vous d'autres questions ?
M. LE RAPPORTEUR.-
Je n'en ai pas.
M. LE PRÉSIDENT.-
Je lève la séance en vous
remerciant, Maître, de vous être déplacé et de nous
avoir apporté quelques précisions dans ce rapport difficile que
Monsieur le Rapporteur aura à déposer d'ici deux mois.
M. BRUSCHY.-
Je vous remercie au nom de la Conférence des
Bâtonniers.
MME
CLAIRE RODIER ET M. FRANÇOIS MARTINI,
MEMBRES PERMANENTS DU
GROUPEMENT D'INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRÉS
(GISTI)
JEUDI 23 AVRIL 1998
M.
MASSON, président
.- Mes chers collègues, nous accueillons cet
après-midi Mme Claire Rodier et M. François Martini, membres
permanents du groupement d'information et de soutien des immigrés - le
GISTI.
Je vous souhaite, Madame Rodier et Monsieur Martini, la bienvenue.
Nous devons vous entendre sous la foi du serment.
(M. le Président donne lecture des dispositions de l'article 6
de l'ordonnance du 17 novembre 1958 ; Mme Claire Rodier et M.
François Martini prêtent serment).
Mme RODIER, membre permanent du GISTI
.-
Je le jure.
M. MARTINI, membre permanent du GISTI
.-
Je le jure.
M. LE PRÉSIDENT
.-
Nous allons maintenant procéder
à votre audition. La parole est à M. le rapporteur.
M. BALARELLO, rapporteur
.- Madame et Monsieur, nous allons, au cours de
cette audition, aborder trois séries de questions. La première
concerne l'aide pour la constitution des dossiers ; la deuxième porte
sur l'aide à la réinsertion dans le pays d'origine ; enfin, la
troisième est relative à l'éloignement du territoire des
étrangers en situation irrégulière.
Tout d'abord, l'aide pour la constitution des dossiers.
Les préfectures ont-elles pris l'initiative de vous apporter des
informations spécifiques sur la procédure de
régularisation, sur les critères fixés par la circulaire
et sur les preuves admises ?
Mme RODIER
.- Je préciserai, en préalable, que le GISTI est
un organisme de petite taille situé à Paris. Nous nous occupons
donc uniquement du cas des étrangers résidant à Paris et
dans la région parisienne.
Pour répondre à votre question, sachez que nous avons
été informés non pas par les préfectures, mais par
les ministères de l'intérieur et du travail, au moment de la mise
en place de la circulaire sur les points que vous avez évoqués,
à savoir la procédure, les critères et les preuves.
M. LE RAPPORTEUR
.-
Les ministères compétents
ont-ils informé les demandeurs sur l'aide susceptible de leur être
apportée par les associations ?
Mme RODIER
.
-
Les seules informations que l'on puisse avoir
à ce sujet nous parviennent de façon indirecte, par des
demandeurs qui se présentent au GISTI et qui nous disent être
envoyés par la préfecture
M. LE RAPPORTEUR
.- Avez-vous accepté d'aider tous les
étrangers qui vous ont sollicités ?
Mme RODIER
.- Le GISTI apporte une aide à tous les
étrangers qui en font la demande, cette aide pouvant simplement
résider dans une orientation vers une autre association plus
habilitée.
Pour ce qui concerne la régularisation, le GISTI a joué un
rôle d'information dans la première partie de l'application de la
circulaire, en ce sens que nous n'avons pas, sauf cas très
exceptionnels, aidé directement à la constitution de dossiers de
demande de régularisation. Nous nous sommes essentiellement
concentrés sur la diffusion de l'information, car nous avions
l'impression que les personnes concernées par la circulaire
étaient très peu informées - sinon par voie de presse ou
par le bouche à oreille. Par ailleurs, la circulaire était d'une
telle complexité, que nous avons estimé qu'il était
préférable de les informer sur son contenu plutôt que de
passer du temps à constituer des dossiers - nous avons
préféré laisser ce travail à des associations plus
importantes que la nôtre.
Nous nous sommes donc concentrés sur la circulaire et la diffusion de
l'information sous forme de brochures que nous publions de façon
continue depuis le mois de juillet - le ministère de l'intérieur
diffusant régulièrement, notamment par télégrammes,
des petites circulaires complémentaires.
M. LE RAPPORTEUR
.- Vous avez donc dirigé des demandeurs vers
d'autres associations plus spécialisées dans la constitution des
dossiers ? Quelles sont ces associations ?
Mme RODIER.-
Nous n'avons pas dirigé explicitement des demandeurs
vers d'autres associations. Nous avons l'habitude de travailler en
collaboration avec de nombreuses associations parisiennes et d'Ile-de-France,
ainsi qu'avec des collectifs de sans-papiers - dont un grand nombre avait
monté des permanences d'accueil pour les demandeurs ; nous diffusons
donc une liste de toutes les adresses utiles pour ce type de demandes.
M. LE RAPPORTEUR
.- Votre association a-t-elle été admise
aux entretiens pour lesquels les demandeurs avaient été
convoqués ?
Mme RODIER
.- Nous n'avons assisté à aucun entretien - sauf
cas exceptionnel d'un accompagnement d'une personne.
M. LE RAPPORTEUR
.-
Certains demandeurs se sont-ils fait
domicilier à votre association ?
Mme RODIER
.- Non, aucun.
M. LE RAPPORTEUR
.- Quelle a été concrètement la
nature de l'aide que vous avez apportée aux demandeurs ?
Mme RODIER
.-
Outre la diffusion d'informations, sur laquelle je
ne reviendrai pas - nous vous avons apporté nos brochures -, le GISTI a
une spécificité dont la finalité est la formation par le
droit et l'analyse juridique des textes. Nous formons donc les travailleurs
sociaux qui sont appelés à recevoir des étrangers, les
associations partenaires ou les collectifs de sans-papiers.
Je vous disais tout à l'heure que, dans une première
étape, nous ne constituions pas de dossier. Mais il y a eu une seconde
étape : quand les refus de régularisation ont commencé
à tomber. Je laisse là la parole à François Martini.
M. MARTINI
.- Si nous n'avons pas constitué de dossiers de demande
de régularisation, en revanche, nous avons accueilli à nos
permanences les personnes ayant reçu un refus de régularisation
afin de les aider à exercer leur droit au recours.
Nous avons, pour cela, installé une permanence le mercredi, à
laquelle se sont déjà présentées plus de 300
personnes et qui a adressé à l'administration plus de
200 recours gracieux ou hiérarchiques
M. LE RAPPORTEUR
.-Avez-vous, pour que ces 300 personnes s'adressent
à votre permanence, fait une diffusion par voie de presse ou
récupéré la liste des personnes dont la
régularisation avait été refusée ?
M. MARTINI
.- Pas du tout, dès lors qu'il existe un endroit ou
l'on peut obtenir une aide, notamment juridique et gratuite, le bouche à
oreille fonctionne immédiatement, et en deux ou trois semaines nous
avions déjà atteint nos capacités maximum d'accueil
hebdomadaire.
Nous avons donc constitué des dossiers pour contester les refus de
régularisation sur papier à en-tête de l'association,
signés par un membre de l'association et par les
intéressés.
M. LE RAPPORTEUR
.- Avez-vous fait appel à des avocats ou à
des juristes ?
M. MARTINI
.-
Le GISTI est essentiellement constitué
d'avocats et de juristes ayant une bonne connaissance du droit des
étrangers, sa vocation étant de travailler les textes juridiques
et la jurisprudence.
M. LE RAPPORTEUR
.- J'en viens à la deuxième série
de questions concernant l'aide à la réinsertion dans le pays
d'origine.
Avez-vous été associés au processus mis en place pour
l'aide au retour des étrangers à qui la régularisation a
été refusée ?
Mme RODIER
.- Le GISTI n'a pas été associé à
la procédure d'aide au retour. Nous avons eu connaissance de cette
disposition par la circulaire et elle fait l'objet d'une de nos publications.
M. LE RAPPORTEUR
.
-
J'en viens maintenant aux questions relatives
à l'éloignement du territoire des étrangers en situation
irrégulière.
Pensez-vous que les étrangers non régularisés doivent
être éloignés du territoire ? Si oui, quels sont, selon
vous, les meilleurs moyens pour y procéder ?
Mme RODIER
.-
La position adoptée par le GISTI est claire :
la circulaire du 24 juin 1997 n'est pas adaptée à la situation
qui existait juste avant sa publication. C'est la raison pour laquelle il n'est
pas simple de vous répondre ; pour nous, il n'est pas normal de renvoyer
les personnes qui ne répondent pas aux critères de la circulaire.
Il nous semble qu'une circulaire au champ d'application plus large aurait
été nécessaire afin de régulariser toutes les
personnes qui ne le seront pas aujourd'hui.
M. LE RAPPORTEUR
.- Comment percevez-vous l'incitation faite aux
passagers de vols réguliers à manifester leur hostilité
à l'éloignement du territoire des étrangers en situation
irrégulière ?
Mme RODIER
.- Notre association n'a pas participé à cette
incitation faite aux passagers, mais elle aurait pu le faire, cela n'est pas
contraire à ses principes et à sa vocation.
Mais le problème est plutôt de savoir pourquoi certaines personnes
se sont opposées au départ de reconduits. Et la raison principale
est que cette circulaire est totalement inadaptée à la situation
à laquelle devraient faire face les pouvoirs publics au moment où
ils ont décidé d'organiser la régularisation de certains
étrangers.
Actuellement, tout le monde sait pertinemment - aussi bien le directeur de
l'OMI que les préfets - qu'il est impossible, dans la pratique, de
renvoyer chez eux les 50% d'étrangers qui ne seront finalement pas
régularisés à l'issue de la procédure de
régularisation. Il n'est donc pas anormal de s'opposer à ces
reconduites, car c'est dénoncer l'incohérence de la circulaire
elle-même.
M. LE RAPPORTEUR
.- Quelles solutions les pays européens
doivent-ils appliquer pour résoudre les problèmes liés
à l'immigration ? Doivent-ils laisser entrer tout le monde ou, au
contraire, fermer hermétiquement les frontières?
Mme RODIER
.-
A vous entendre, nous avons l'impression qu'il faut
choisir entre ouvrir ou fermer les frontières. Nous pensons que les
portes sont partiellement ouvertes, mais mal ouvertes ; des milliers
d'étrangers entrent de fait en Europe et les Etats ferment les yeux
devant cet état de fait. Personne n'ignore la présence de
nombreux irréguliers dans tous les pays d'Europe, puisque la France et
certains de nos partenaires entérinent leur présence en
procédant régulièrement à des
régularisations. Les portes ne sont donc pas fermées.
Nous ne disons pas "ouvrons-les", mais admettons qu'elles sont ouvertes et
réfléchissons à la façon dont on peut gérer
ce flux, cette mobilité nécessaire et inéluctable.
M. LE RAPPORTEUR
.- L'immigration zéro n'existe pas ; tout le
monde en est conscient. Cela étant dit, l'immigration à tout-va
n'est pas non plus admissible, sauf à arriver à des
résultats explosifs.
Avez-vous des suggestions à nous proposer à ce sujet ? Quels
critères adopter ? Comment limiter l'entrée des immigrés ?
Mme RODIER
.-
Je ne suis pas certaine que la non-limitation des
entrées aboutirait à un résultat explosif. Par ailleurs,
lorsque vous parlez d'immigration à tout-va cela suppose que les
personnes veulent rester. Or je pense que les personnes qui migrent
actuellement en Europe, légalement ou illégalement, ne sont pas
forcément des personnes qui veulent y rester. Je crois même que,
d'une certaine façon, elles sont contraintes de rester, car lorsqu'on
sort, on a beaucoup de mal à revenir. Nous plaidons pour la
mobilité.
On cite souvent les personnes d'origine sénégalaise qui
contribuent au co-développement de leur pays par leur micro-projet
personnel consistant à avoir un petit boulot, éventuellement
illégal, pour envoyer de l'argent à la famille. Ces personnes
n'ont pas vocation à rester en France, elles cherchent simplement un
endroit d'où elles pourront alimenter leur famille. Je ne suis pas
persuadée, en débridant tout ce système, que l'on
assisterait à un afflux d'étrangers aussi massif qu'on veut bien
le dire.
Par ailleurs, cette procédure oblige les pouvoirs publics à
déroger aux principes du droit humanitaire et à commettre des
actes contraires aux droits de l'homme. Les manifestations devant les avions ne
représentent peut-être qu'un épiphénomène,
mais il convient de réaliser qu'il s'agit d'une manifestation en
réaction d'actes contraires au respect des droits de l'homme. Et quand
on part de ce constat, c'est une autre façon de prendre le
problème : si on ne peut pas éloigner les étrangers, parce
que c'est contraire aux droits de l'homme, il convient de
réfléchir à une autre solution.
M. LE PRÉSIDENT
.-
Le directeur de l'OMI - l'office des
migrations internationales -, que nous avons auditionné, nous a
clairement dit qu'il comptait sur le soutien des associations pour convaincre
les personnes non régularisées de l'intérêt de
l'aide au retour. Avez-vous été contactés par l'OMI dans
cette perspective ?
M. MARTINI
.- Nous n'avons eu aucun contact avec les services de l'OMI.
Mais nous avons pu constater que les personnes ayant fait l'objet d'un refus de
régularisation sont beaucoup plus animées par la volonté
de former un recours contre cette décision que véritablement
intéressées par le dispositif d'aide au retour. J'en veux pour
preuve que sur les 300 personnes qui se sont présentées à
notre permanence en vue de constituer un dossier pour un éventuel
recours, une seule nous a interrogés quant aux modalités de
l'aide au retour.
M. LE PRÉSIDENT
.-
Accepteriez-vous, si l'OMI vous le
demandait, de tenter de convaincre les personnes non régularisées
de l'intérêt de l'aide au retour ?
M. MARTINI
.-
En termes d'information, et d'autant plus si cela
répond à une demande des intéressés, nous ne nous
permettrons pas de dissimuler cette information - nous l'avons prouvé en
diffusant la circulaire. Nous sommes donc éventuellement disposés
à diffuser des informations sur le système d'aide au retour.
Mme RODIER
.- Je voudrais insister sur le fait qu'il est paradoxal
d'offrir simultanément un délai d'un mois pour la demande d'aide
au retour et un délai de deux mois pour le recours gracieux. Il est bien
évident que les personnes concernées n'envisageront la demande
d'une aide au retour qu'après le refus des recours qu'elles auront
déposés.
M. LE PRÉSIDENT
.- La parole est à M. Duffour.
M. DUFFOUR
.-
Je souhaiterais, tout d'abord obtenir deux
précisions. Premièrement, vous avez caractérisé la
circulaire comme étant d'une rare complexité. J'aimerais savoir,
depuis cet été, quelles ont été les questions les
plus posées et sur quels points ambigus vous avez été
amenés à préciser le texte lui-même ?
Ma seconde question concerne les 300 personnes qui sont venues vous voir pour
constituer des dossiers de recours gracieux. Parmi les 200 dossiers qui ont
fait l'objet d'un recours, quels sont les points qui devront être mieux
argumentés pour devenir acceptables ?
Enfin, je souhaiterais avoir votre point de vue sur cette phrase émanant
d'un collectif de sans-papiers de la région parisienne : "Alors que la
date limite approche au-delà de laquelle les sans-papiers ne seront plus
régularisables, des dizaines de milliers de personnes ont vu leur
dossier rejeté, car la circulaire n'était pas appliquée
convenablement."
Ce texte met l'accent non pas sur la complexité de la circulaire, mais
sur la façon dont les autorités préfectorales appliquent
la circulaire. Quel est votre point de vue à ce sujet - auriez-vous
rédigé le texte de la même façon ?
Mme RODIER
.-
Pour répondre à votre première
question, je serai franche et vous dirai que, avant même que des
questions nous soient posées quant au contenu de la circulaire, nous
nous sommes, nous, spécialistes, interrogés sur certains points.
Nous nous sommes donc aussitôt adressés aux représentants
des ministères concernés qui nous ont conviés à une
réunion d'explication. Or les questions que nous nous posions le 26 juin
n'ont pas toujours trouvé une réponse immédiate
auprès de ces représentants.
Par ailleurs, autre signe de complexité de la circulaire, le
ministère de l'intérieur a publié, depuis le 24 juin, une
vingtaine de notes précisant des points de la circulaire et
répondant à des questions que les préfets se sont
posés.
La complexité de la circulaire est telle que je me souviens d'un point
dont on ne savait pas s'il s'agissait d'un critère en soi ou d'une
présentation générale des situations familiales.
La régularisation des personnes entrées hors regroupement
familial - conjoint ou enfants d'étrangers - qui pouvaient
prétendre à la délivrance d'un titre de séjour
était formulée de façon très ambiguë, puisque
la circulaire renvoyait à la procédure de droit commun -article
29 de l'ordonnance de 1945-. Les préfets avaient pour mission de
régulariser les personnes entrées hors regroupement familial en
appliquant l'ordonnance de 1945, mais dans un regroupement sur place. Or
l'ordonnance de 1945 exige des conditions de ressources et de logement.
Nous avons donc demandé au ministère si ces conditions de
ressources et de logement seraient prises en compte ou s'il prévoyait la
régularisation des conjoints habitant en France depuis un certain nombre
d'années et des enfants présents. Nous n'avons obtenu que des
réponses floues à cette question, puisqu'il nous a
été répondu que l'on demandait aux préfets
d'être relativement souples. Résultat : à Paris, on
régularise sans condition de ressource alors qu'en Seine-Saint-Denis on
refuse les regroupements sur place faute de ressources.
Ensuite, il y a eu de nombreux problèmes d'interprétation des
critères qui paraissaient simple,
a priori
. Par exemple, en ce
qui concerne les célibataires sans charge de famille, ils devaient vivre
en France depuis "environ sept ans" ! Je pense sincèrement que le
ministère s'est arrangé pour laisser une ambiguïté
sur cette question, laissant ainsi le pouvoir discrétionnaire du
préfet s'exercer.
Du fait de sa complexité, cette circulaire a pu être perçue
comme mal appliquée par les préfets ; or ce n'est pas
forcément notre interprétation. Nous pensons qu'elle a
été conçue d'une telle façon qu'elle ne peut pas
être bien appliquée : elle ne peut pas être appliquée
de façon homogène ni dans son intégralité. M.
Chevènement a bien insisté sur le fait qu'il fallait un entretien
individuel pour chaque étranger ; or nous savons tous que, parfois, cet
entretien a consisté en une simple remise de document.
Nous ne faisons donc pas grief aux employés des préfectures de
mal recevoir les étrangers qui se présentent. Nous disons
simplement que compte tenu de la teneur de la circulaire et des critères
exigés, il n'est pas possible de bien recevoir 150 000 personnes.
M. MARTINI
.-
L'immense majorité des 300 personnes que nous
avons reçues sont des célibataires - environ 65 %. Nous avons
été, pour constituer leurs dossiers, confronté à
des problèmes d'interprétation de la circulaire : qu'est-ce que
des ressources issues d'une activité régulière ; comment
prouver la présence en France d'une personne qui n'a pas pu travailler,
qui n'a pas pu avoir un logement à son nom ?
Par ailleurs, au-delà des célibataires, nous rencontrons de
sérieuses difficultés en matière d'asile territorial -
environ 10 % des personnes sont venues nous voir pour ce type de
problème. Après un récit basique sur les risques de retour
dans le pays d'origine, ces personnes reçoivent un refus de
régularisation. Nous nous efforçons donc, en l'absence de
preuves, de faire raconter à ces personnes un récit le plus
circonstancié possible pour essayer d'asseoir sa
crédibilité.
S'agissant des familles, certaines d'entre elles ne répondent pas aux
critères tels qu'ils sont prévus : quelquefois cela se joue
à quelques mois, le mariage n'est pas suffisamment ancien, il manque une
année de scolarisation pour un enfant. On voit également
apparaître "une reconstitution de stock des mêmes situations", je
pense en particulier à tous les étrangers dont les enfants sont
nés sur le territoire français après l'entrée en
vigueur de la circulaire ou à celles qui viennent de se marier, dont les
demandes sont jugées irrecevables.
Parmi les 200 dossiers qui ont déjà fait l'objet d'un recours
gracieux, nous comptons huit réponses positives, sept négatives
et quelques convocations pour réexamen des dossiers.
M. LE PRÉSIDENT
.-
Madame, monsieur, je vous remercie pour
votre spontanéité et la qualité de vos
réponses.
MME ARLETTE HEYMANN-DOAT,
VICE-PRÉSIDENTE DE LA
LIGUE
DES DROITS DE L'HOMME
ET MME DOMINIQUE NOGUERES,
PRÉSIDENTE DE LA FÉDÉRATION DE PARIS
ET MEMBRE DU
COMITÉ CENTRAL
DE LA LIGUE DES DROITS DE L'HOMME
JEUDI 23 AVRIL
1998
M.
MASSON, président.-
Mes chers collègues, la séance est
reprise. Nous accueillons maintenant Mmes Arlette Heymann-Doat,
vice-présidente de la Ligue des droits de l'homme et Dominique
Noguères, présidente de la fédération de Paris et
membre du comité central de la Ligue des droits de l'homme.
Nous devons vous entendre sous la foi du serment.
(M. le Président donne lecture des dispositions de l'article 6
de l'ordonnance du 17 novembre 1958 ; Mmes Arlette Heymann-Doat et
Dominique Noguères prêtent serment).
M. LE PRÉSIDENT.-
Nous allons maintenant procéder à
votre audition. La parole est à M. le rapporteur.
M. BALARELLO, rapporteur.-
Je vous rappelle, mesdames, que la commission
sénatoriale a été constituée pour enquêter
sur l'application de la circulaire du 24 juin 1997. Je vais donc, à ce
sujet, vous poser une série de questions concernant, tout d'abord, la
constitution des dossiers, puis, l'aide à la réinsertion dans le
pays d'origine, enfin, l'éloignement du territoire des étrangers
en situation irrégulière.
S'agissant de l'aide pour la constitution des dossiers, les préfectures
ont-elles pris l'initiative de vous apporter des informations
spécifiques sur la procédure de régularisation, sur les
critères fixés par la circulaire et sur les preuves admises ?
Mme NOGUERES.-
Nous n'avons pas été consultés
spécifiquement sur les procédures qui allaient être mises
en place pour l'élaboration et l'exécution de cette circulaire.
En revanche, nous avons été régulièrement
informés des instructions données par le ministère de
l'intérieur sur la procédure de régularisation.
M. LE RAPPORTEUR.-
Les préfectures ont-elles informé les
demandeurs sur l'aide susceptible de leur être apportée par les
associations ?
Mme NOGUERES.-
Je serai prudente dans ma réponse, car je ne
dispose pas de tous les éléments, mais je ne pense pas que les
préfectures ont informé les personnes qui sont allées
déposer leur dossier sur l'aide susceptible de leur être
apportée par les associations.
M. LE RAPPORTEUR.-
Avez-vous été sollicités par des
étrangers en vue de la constitution de leur dossier ?
Mme NOGUERES.-
Tout à fait, nous avons aidé un certain
nombre de personnes à préparer leur dossier. Sur Paris - bien
entendu, nous avons des sections dans tous les départements -, la Ligue
des droits de l'homme est organisée par sections ; chaque section a
dû gérer, en moyenne, 40 à 50 dossiers. Les sections
régionales les plus sollicitées ont été celles de
la région parisienne, de la région PACA, de la région
Lyonnaise et de la région du Nord.
M. LE RAPPORTEUR.-
Avez-vous accepté d'aider tous les
étrangers ou simplement ceux qui répondaient aux critères
de la circulaire ?
Mme HEYMANN-DOAT.-
Certaines associations, telles que France terre
d'asile, se sont occupées uniquement des demandeurs d'asile. Notre
association, n'ayant pas une vocation spécifique, a choisi d'aider
essentiellement les étrangers susceptibles de remplir les conditions
fixées par la circulaire.
M. LE RAPPORTEUR.-
Votre association a-t-elle été admise
à participer aux entretiens pour lesquels les demandeurs avaient
été convoqués ?
Mme NOGUERES.-
L'association, notamment en province, a, en effet,
fréquemment accompagné les personnes intéressées
lors du dépôt de leur dossier - et à l'entretien auquel
celles-ci avaient été convoquées - dans les services
préfectoraux. Cela a été très bien accepté
par les autorités préfectorales.
M. LE RAPPORTEUR.-
Certains demandeurs se sont-ils fait domicilier
à une adresse de votre association ?
Mme NOGUERES.-
Aucun. Nous avons toujours refusé de le faire.
M. LE RAPPORTEUR.-
Les préfectures ont-elle pris en compte vos
observations concernant certains dossiers ?
Mme NOGUERES.-
Je ne voudrais pas vous faire une réponse de
Normand, mais tout dépend des préfectures et si l'on se trouve
à Paris ou en province. Il est incontestable que les sections des villes
de province sont en collaboration plus étroite avec les
préfectures, car elles connaissent, en général, le
préfet ou les services en question. Leurs observations sont donc
davantage prises en compte qu'à Paris.
M. LE RAPPORTEUR.-
S'agissant de l'aide à la réinsertion
dans le pays d'origine, votre association a-t-elle été
associée au processus mis en place pour l'aide au retour des
étrangers à qui la régularisation a été
refusée ?
Mme NOGUERES.-
Personne, à ma connaissance, ne s'est
présenté dans les permanences de l'association pour constituer un
dossier de demande d'aide au retour.
M. LE RAPPORTEUR.-
J'aborderai, enfin, la question de
l'éloignement du territoire des étrangers en situation
irrégulière.
Pensez-vous que les étrangers non régularisés doivent
être éloignés du territoire ?
Mme HEYMANN-DOAT.-
Comme nous vous l'avons dit tout à l'heure,
nous avons essentiellement aidé les étrangers susceptibles de
remplir les conditions fixées par la circulaire ; par conséquent,
selon nous, la plupart des personnes concernées - bien entendu, il y a
pu avoir des erreurs - devraient être régularisées et la
question de l'éloignement du territoire ne devrait pas se poser. Nous
sommes, en effet, non pas dans un processus d'éloignement, mais de
régularisation. Nous ne pouvons donc pas vous dire que nous sommes
favorables à l'éloignement de ces personnes.
M. LE RAPPORTEUR.-
Autrement dit, vous êtes partisans de
régulariser tout le monde.
Mme HEYMANN-DOAT.-
Nous sommes favorables à la
régularisation, non pas de tous les étrangers vivant en France,
mais de ceux - ils sont environ 150 000 - qui ont déposé un
dossier et qui,
a priori
, répondent aux critères
fixés par la circulaire.
M. LE PRÉSIDENT.
Pourquoi ces 150 000 personnes n'ont-elles pas
toutes été régularisées ?
Mme HEYMANN-DOAT.-
Les autorités préfectorales ayant
interprété la circulaire de différentes manières,
il y a eu, incontestablement, une inégalité dans le traitement
des dossiers.
M. LE PRÉSIDENT.-
Les préfectures semblent pourtant tendre
vers le même taux de régularisation, proche de 50 %, et la
commission d'enquête, lors de ses déplacements, n'a pas eu le
sentiment qu'il existait de fortes disparités entre les
préfectures.
Mme NOGUERES.-
La rédaction de la circulaire du 24 juin 1997 peut
donner lieu à des interprétations diverses. Je prendrai l'exemple
de la catégorie des étrangers qui pose, actuellement, le plus de
problèmes, à savoir l'étranger célibataire pour
lequel on impose sept ans de présence en France, dont six mois en
situation régulière, des conditions de ressources et le paiement
de ses obligations fiscales ; cette exigence de période de situation
régulière est appréciée de manière
différente selon les préfectures.
Par ailleurs, certaines préfectures ont accepté de
considérer comme étant un titre de séjour une succession
de récépissés de l'OFPRA, pour ceux qui avaient
demandé l'asile, alors que d'autres ont refusé.
S'agissant du respect des obligations fiscales et des conditions de ressources,
certaines préfectures vont exiger des justifications pour toutes les
années passées en France, d'autres ne les demanderont que pour
quelques années.
A la lecture de la circulaire, j'avais pensé que la
régularisation allait s'opérer sur le fondement d'un faisceau
d'indices permettant à l'administration d'évaluer
l'intégration dans la société française de la
personne concernée. Or tel n'est pas le cas.
Par ailleurs, et je le regrette vivement, car cela pose un problème de
fond important, certaines personnes pourtant présentes en France depuis
10 ou 12 ans se voient refuser la régularisation au motif qu'elles ne
peuvent pas apporter la preuve d'une durée minimale de séjour de
7 ans ou du respect de leurs obligations fiscales sur la totalité des
années passées en France. Je rappellerai, à ce sujet,
qu'au départ, la circulaire ne précisait pas la durée pour
laquelle le demandeur devait justifier d'une situation régulière.
Ce n'est que plus tard que cette durée a été fixée
à 6 mois.
M. LE RAPPORTEUR.-
Raisonnons en juriste ; la phrase importante est la
suivante : "D'autres éléments seront pris en compte pour
apprécier l'insertion dans la société française."
C'est la raison pour laquelle il est exigé des conditions de ressources
issues d'une activité régulière, de domicile et le respect
des obligations fiscales.
Mme NOGUERES.-
Je suis tout à fait d'accord. Mais en
général, au bout de 7 ou 10 ans de présence, l'on peut
considérer le demandeur comme étant inséré dans la
société française.
M. LE RAPPORTEUR.-
Vous savez, certains étrangers vivent dans des
ghettos, dans la clandestinité et ne se sont jamais
intégrés.
J'en viens à ma dernière question : comment percevez-vous
l'incitation faite aux passagers de vols réguliers à manifester
leur hostilité à l'éloignement du territoire des
étrangers en situation irrégulière ?
Mme HEYMANN-DOAT.-
Une incitation ? Certains passagers qui ont
manifesté leur désaccord n'étaient pas des Français.
M. LE RAPPORTEUR.-
Certaines associations ont incité à
manifester, puisque des tracts ont circulé.
Mme HEYMANN-DOAT.-
Je vous crois volontiers, mais d'autres passagers ont
pu, spontanément, réagir devant des personnes
bâillonnées avec du scotch.
M. LE RAPPORTEUR.-
Qu'entendez-vous par "bâillonnées", car
nous avons posé la question ce matin au responsable de la police. Il
faut être clair, les personnes reconduites ont été,
quelquefois menottées, mais jamais bâillonnées.
Mme HEYMANN-DOAT.-
J'ai du mal à répondre à votre
question portant sur l'incitation faite aux passagers à manifester leur
hostilité, car nous n'étions pas présents.
Mme NOGUERES.-
Il est vrai que nous n'y étions pas, cependant je
comprends tout à fait la réaction de certains passagers qui
s'affirment choqués de voir des personnes ligotées sur un
siège d'avion à leurs côtés - ne serait-ce que pour
des raisons bassement matérielles de sécurité -, puisque
cela m'aurait également choquée ; je pense même que je
serais allée voir le commandement de bord pour obtenir des explications.
Ces passagers ont donc eu un comportement digne face à ces pratiques
inacceptables.
M. LE RAPPORTEUR.-
Quelles solutions préconisez-vous pour lutter
contre l'immigration clandestine ?
Mme HEYMANNE-DOAT.-
Nous sommes contre une ouverture totale des
frontières. Nous sommes favorables non pas à la liberté
d'installation, mais à la liberté de circulation. Et je ne crois
pas que cette liberté de circulation incitera la terre entière
à venir s'installer en France - l'exil est difficile à vivre pour
tout le monde. L'invasion de la France du fait de l'instauration d'une
politique plus humaine est de l'ordre du fantasme et ne correspond en rien
à la réalité migratoire.
Au contraire, je crois que si cette liberté de circulation est
facilitée, les étrangers ne resteront pas en France ; la
situation actuelle oblige les personnes de nationalité
étrangère à s'installer en France de peur de ne pouvoir y
revenir après un retour dans leur pays d'origine.
M. LE RAPPORTEUR.-
Cette solution est-elle valable pour les Kurdes, par
exemple ?
Mme HEYMANN-DOAT.-
Le problème kurde est différent,
puisqu'il pose la question du droit d'asile.
M. LE PRÉSIDENT.
Ces personnes ne demandent pas l'asile.
Mme HEYMANN-DOAT.-
Si, beaucoup l'ont demandé. Et lorsqu'on sait
ce qu'il se passe en Turquie, on peut les comprendre.
M. LE RAPPORTEUR.-
Mais lorsqu'il en arrive 700 sur la frontière
franco-italienne, que devons-nous faire ?
Mme HEYMANN-DOAT.-
Il s'agit là d'un problème qui doit
être examiné au niveau européen. Les conventions de
Schengen et de Dublin ont mis en place, pour ce type de problème, une
concertation.
M. LE PRÉSIDENT.-
Certes, mais que fait M. Balarello, en tant que
maire, quand 700 Kurdes se présentent à la frontière ?
Mme HEYMANN-DOAT.-
Ils ne veulent pas s'installer dans votre commune ?
M. LE RAPPORTEUR.-
Les Italiens, qui ont reçu les premiers ces
personnes, ont refusé de traiter le problème. Elles se
présentent donc, une fois remises en liberté, à la
frontière franco-italienne ; qu'en faisons-nous ?
Mme HEYMANN-DOAT.-
Je ne crois pas qu'une telle question puisse se
régler au plan national, et encore moins au plan municipal.
M. LE RAPPORTEUR.-
Il faut pourtant bien les éloigner.
Mme HEYMANN-DOAT.-
Il existe une réponse transitoire qui est la
zone d'attente.
M. LE PRÉSIDENT.-
La zone d'attente est réservée
à ceux qui arrivent en avion.
Mme HEYMANN-DOAT.-
Pas du tout, il existe des zones d'attente
près des gares et des ports.
M. LE PRÉSIDENT.
Les zones d'attente sont réservées
aux personnes qui entrent sur le territoire français en provenance d'un
pays qui ne fait pas partie de l'espace Schengen. Ce qui n'est pas le cas de
ces Kurdes qui viennent d'Italie.
M. LE RAPPORTEUR.-
Je vais vous exposer mon opinion. S'agissant du
problème de l'immigration, il conviendrait de parvenir à un
consensus entre tous les pays européens, je dirais même entre tous
les partis politiques raisonnables européens.
Je suis comme vous, je comprends tout à fait, et cela me fait de la
peine, qu'une grande majorité de ces personnes immigre pour des raisons
économiques ou politiques. A leur place, nous ferions certainement tous
la même chose. Cela étant dit, si nous ne contrôlons pas le
flux migratoire, nous allons assister à de sérieux
bouleversements dans notre pays.
Mme NOGUERES.-
Les Kurdes qui se présentent actuellement à
la frontière ont-ils précisé s'ils souhaitaient
s'installer ou simplement passer ?
M. LE RAPPORTEUR.-
Nous pensons qu'ils souhaitent se rendre en Allemagne.
Mme NOGUERES.-
Donc, en principe, ils transitent.
M. LE RAPPORTEUR.-
Tout à fait, mais l'Allemagne les
acceptera-t-elle ?
A ce sujet, je vous signale que l'Italie vient de se doter d'une loi relative
à l'immigration beaucoup plus restrictive qu'auparavant.
Mme HEYMANN-DOAT.-
Cette question de l'immigration doit être
réglée au niveau européen. Cependant, il doit s'agir d'une
politique non pas négative, mais qui prenne en compte, d'une part, le
respect de la dignité des personnes et la liberté de circulation,
et, d'autre part, l'intérêt de la France et des autres pays
européens qui ne peuvent pas vivre en vase clos.
Mme NOGUERES.-
Je voudrais revenir sur le problème de la loi
italienne qui est, en effet, assez restrictive, pour souligner le fait que
cette loi intervient après une régularisation importante
d'étrangers en situation irrégulière qui a permis de
régler la plupart des situations. Je regrette que la France n'ait pas
procédé, de manière similaire - avec cette circulaire -,
à une régularisation massive, avant le vote de la nouvelle loi
relative à l'entrée et au séjour des étrangers en
France
M. LE PRÉSIDENT.-
Mesdames, je vous remercie.
M. JEAN-LOUIS OTTAVI,
DIRECTEUR DE LA
DICCILEC
JEUDI 30 AVRIL 1998
M.
MASSON, président
. - Mes chers collègues, nous ouvrons la
séance.
MM Debarge, Courtois et Camoin sont absents et je vous prie de bien vouloir les
excuser.
Nous avons aujourd'hui deux auditions très importantes. D'abord celle de
M. Jean-Louis Ottavi, directeur de la Direction Centrale du Contrôle
de l'Immigration et de la Lutte contre l'Emploi des Clandestins -DICCILEC-,
assisté de M. Chaze, contrôleur général et directeur
central adjoint. Ce dernier ne parlera pas, par conséquent il ne
prêtera pas serment.
Nous devons vous entendre sous la foi du serment.
(M. le Président donne lecture des dispositions de l'article 6
de l'ordonnance du 17 novembre 1958 ; M. Jean-Louis Ottavi
prête serment).
M. OTTAVI
. - Je le jure.
M. LE PRÉSIDENT
. - Je vous en remercie.
Monsieur le Directeur, vous allez être livré au questionnaire de
M. le rapporteur Balarello, qui mène ce rapport et qui,
aujourd'hui, attend beaucoup de vous.
M. BALARELLO, rapporteur
. - Monsieur le Directeur, la commission
désire vous entendre sur 4 séries de questions dont la
première concerne l'organisation des services pour l'éloignement
du territoire français.
Pouvez-vous rappelez sommairement l'organisation mise en place par la DICCILEC
pour l'éloignement des étrangers en situation
irrégulière?
M. OTTAVI
. - Monsieur le rapporteur, je vous remercie notamment de cette
première question. J'avais justement l'intention et très
brièvement de vous préciser comment les choses étaient
organisées.
Madame et Messieurs les sénateurs, qu'il me soit permis de replacer
l'éloignement dans le contexte de la DICCILEC. Je voudrais à cet
égard vous donner quelques points de repère. Je dirige un service
fort de 6 702 fonctionnaires de tous corps et de tous grades
répartis aux frontières terrestres, aériennes et
maritimes.
Nous conduisons un ensemble de missions très variées dont voici
les principales. D'abord le contrôle des documents transfrontières
à l'entrée et au départ, qui concerne environ 100 millions
de voyageurs internationaux -français et étrangers- pour une
année, 1997 par exemple.
Ensuite, nous conduisons des missions de police administrative et de police
judiciaire.
Troisièmement, nous assurons la sûreté du trafic
aérien.
Enfin je dispose d'un office spécialisé chargé de lutter
contre l'immigration dans sa version professionnelle, dans sa version bandes ou
crime organisés. Sa mission est notamment de lutter contre le travail
clandestin.
Au cours de l'année 1997, nous avons prononcé un peu plus de
46 000 refus d'entrée sur le territoire national. Nous avons
intercepté un peu plus de 7 000 faux documents. Nous avons
notifié pratiquement 11 000 fiches de recherche qui ont conduit
à écrouer plus de 3 000 personnes dans des maisons
d'arrêt. Nous avons démantelé 10 filières
professionnelles de crimes organisés en matière d'immigration
clandestine et démantelé 16 ateliers clandestins.
Dans ce contexte, l'une de nos missions, et c'est celle qui vous concerne plus
directement aujourd'hui, est l'éloignement des étrangers qui ne
doivent pas demeurer sur le territoire national. A cet effet, je dispose au
sein de mon service d'une unité forte de 32 fonctionnaires de tous corps
et de tous grades. Elle est regroupée dans l'unité qui s'appelle
le Bureau de l'éloignement. Sa mission est de coordonner à partir
de la saisine préfectorale tout le dispositif nécessaire pour
procéder à l'éloignement effectif de l'étranger.
Parmi les caractéristiques que j'ai citées
précédemment, il est important de retenir pour la suite du
débat que la DICCILEC se trouve aux deux extrémités d'une
situation.
D'une part à l'entrée en France où l'une de ses missions
consiste à ne pas permettre, à un étranger qui ne
répond pas aux règles d'entrée de séjour sur le
territoire, d'y pénétrer. Cette mission est fondamentale car,
parmi ces plus de 46 000 refus d'entrée en France, figuraient en
grand nombre de futurs étrangers clandestins sur le territoire national.
D'autre part, à l'autre bout de la chaîne, il existe une mission
sur laquelle j'aimerais dire deux mots, et nous pourrons poursuivre les
interrogations sur l'organisation. Je ne connais de l'éloignement que
les dossiers que les préfectures me soumettent. Sur cet aspect de mon
activité, ma vision est réduite à celle des saisines
préfectorales et j'ignore tout le reste. Par conséquent, je ne
connais pas le nombre de reconduites à la frontière dans une
année, entre les décisions administratives et judiciaires. Je
pense que ce chiffre peut osciller aux alentours des 40 000, mais le
Directeur des libertés publiques pourra le préciser. Une grande
partie de ces décisions est notifiée par voie postale, bien
évidemment partie que je ne connais pas.
Il s'agit donc d'étrangers pour lesquels les préfectures m'ont
saisi. A partir de là, nous allons mettre en oeuvre tout ce qui pourra
faciliter l'identification, la réservation des places, le routing, la
délivrance de laissez-passer autant que de besoin, la constitution
d'escorte si elle est nécessaire et la procédure d'embarquement.
Voilà quelle est ma responsabilité.
M. LE PRÉSIDENT
. - Vous n'êtes pas concerné par les
saisines directes du Ministre ?
M. OTTAVI
. - Pouvez-vous préciser ?
M. LE PRÉSIDENT
. - Le Préfet n'agit que par
délégation du Ministre, je suppose.
M. OTTAVI
. - Le Bureau de l'Eloignement ou BUREL n'est saisi que par les
préfectures. Mais il l'est sitôt que la procédure pratique
d'éloignement va commencer. Au plus tôt car cette procédure
sous-tend un ensemble de démarches de type matériel,
d'organisation des modalités pratiques.
A aucun moment je ne me prononce sur le fond du dossier. Mon travail commence
quand la préfecture a fini le sien et que la décision
administrative -pour ne citer qu'elle- est réputée parfaite,
complète, exécutoire et définitive.
Je peux vous citer un chiffre de mémoire, je parle sous serment donc je
ne vais pas dire n'importe quoi. Pratiquement 90 % des étrangers
interpellés et qui sont sur le point de partir sont démunis de
papiers. Nous devons donc conduire un travail important d'identification, de
manière comparable à une enquête judiciaire afin d'obtenir
le laissez-passer nécessaire.
M. LE RAPPORTEUR
. - Comment organisez-vous la coordination de vos
services avec ceux de la gendarmerie et des douanes ? La juxtaposition de
plusieurs services ne constitue-t-elle pas un obstacle à
l'efficacité ?
M. OTTAVI
.- Je réponds non. L'action de l'administration
fonctionnaire ou militaire est guidée par un principe simple : le
service capteur garde l'affaire et la plupart du temps, jusqu'à la
conduite au centre de rétention administrative.
Les questions d'escorte nationale ont été réglées
par convention entre la police et la gendarmerie. Depuis le début de ma
nomination au sein de ce service, c'est-à-dire janvier 1997, je ne
connais pas de contentieux quelconque qui soit remonté à mon
niveau.
A partir du moment ou le bureau d'éloignement est saisi, la DICCILEC sur
ces dossiers devient le service leader et, j'ose le dire, le service
incontesté. Nous réglons au cas par cas toutes les
difficulté qui pourraient surgir en termes de relations avec la justice,
la pénitentiaire et l'organisation de la phase terminale de
l'éloignement.
Par conséquent, je ne peux pas affirmer qu'il existe des
difficultés insurmontables ni que la présence de plusieurs
administrations soit, de quelle que manière que ce soit, une
véritable gêne.
M. LE PRÉSIDENT
. - Qui choisit la procédure, entre la
gendarmerie et la DICCILEC ?
M. OTTAVI
. - Le service capteur garde la partie préalable,
c'est-à-dire enquête judiciaire ou saisine de la
préfecture. Ensuite, dès que le bureau d'éloignement est
saisi, il prend la maîtrise de toute l'opération.
M. LE PRÉSIDENT
. - Dans l'instruction de la procédure, la
gendarmerie n'intervient pas , il n'y a que vous.
M. OTTAVI
. - La gendarmerie intervient dans la partie
précédant la saisine préfectorale puisque, ensuite, la
préfecture va nous saisir du dossier d'éloignement. La
gendarmerie peut être amenée à établir quelques
actes complémentaires. A partir du moment où la préfecture
saisit le bureau d'éloignement, c'est nous qui prenons en compte. Par
exemple, pour différentes raisons en fonction du positionnement
géographique, l'escorte pourra être conduite par la gendarmerie si
c'est sa zone de compétence, par la sécurité publique
voire par la DICCILEC.
La saisine du bureau d'éloignement conduit immanquablement mon service
à en assurer la totale coordination.
M. LE PRÉSIDENT
. - A l'exclusion de la gendarmerie, par
conséquent..
M. OTTAVI
. - Je ne peux pas vous dire. Il est possible que nous faisions
appel à elle. Pour une raison quelconque, elle peut conserver une partie
de l'identification. Mais nous assurons le suivi du dossier, nous
préparons l'embarquement, le vol, les réservations, les escortes
etc.
La gendarmerie, par exemple, peut conduire auprès d'un consulat à
Paris un étranger pour lequel un laissez-passer est requis. Mais tout
ceci est piloté depuis le BUREL afin d'éviter une mauvaise
coordination entre les services.
M. DEMUYNCK
. - Combien de reconduites effectives sont-elles
réalisées par rapport aux reconduites théoriques ?
M. LE RAPPORTEUR
. - Nous allons y venir.
Quelle appréciation portez-vous sur les relations de la police avec la
justice et l'administration pénitentiaire ?
M. OTTAVI
. - Ce sont de bonnes relations. Comme tout ce qui concerne
l'interministériel, des points peuvent être
améliorés.
M. LE PRÉSIDENT
. - Dans le cadre des mesures
d'éloignement, quelle est celle qui peut être
améliorée ?
M. OTTAVI
. - D'abord la connaissance le plus en amont possible de la
libération d'étrangers incarcérés et pour lesquels
une IQF a été prononcée par la justice.
Plus nous sommes informés en amont de la future libération d'un
étranger, qui doit être reconduit à la frontière
à l'issue de la peine préventive de liberté, mieux nous
pouvons gérer les difficultés qui s'y rattachent. Ce sont
l'établissement de l'identité, la préparation de la sortie
en relation avec un moyen de transport possible, la négociation
notamment avec le juge de l'application des peines lequel, au terme de la loi,
peut prononcer une libération anticipée si elle a pour
conséquence de permettre l'éloignement de l'étranger.
Toutes ces démarches peuvent être améliorées.
Comment le sont-elles ?
D'abord un certain nombre d'aspects de coordination, de coopération
entre la justice, le pénitentiaire et le Ministère de
l'Intérieur au travers de la loi qui est au stade du Conseil
Constitutionnel, prévoit l'existence d'un dossier qui nous permettra
d'assurer, pour les gens éloignables, une prise en compte le plus en
amont possible.
Les instructions du Ministre de l'Intérieur que j'ai reçues sont
très claires. Je rappelle que je suis un technicien, j'ai 28 ans
d'ancienneté au Ministère de l'Intérieur. Je crois qu'il
faut rester pratique et concret.
L'étranger incarcéré présente à mes yeux
deux particularités.
Premièrement, dans la plupart des cas, mais pas tous, la nocivité
dont il a fait preuve l'a conduit devant un tribunal qui l'a condamné.
Deuxièmement, il est à la disposition de l'administration et pour
un certain temps. Une décision est prise et notre rôle est de
l'exécuter et seulement l'exécuter. Il apparaît donc
indispensable que nous fassions l'effort nécessaire et nous le faisons
-car j'ai reçu des directives extrêmement fermes de la part de
notre Ministre- d'installer des cellules d'éloignement auprès des
maisons d'arrêt. Elles représentent un potentiel important
d'étrangers qui devront être éloignés à
l'issue de leur rétention.
M. LE PRÉSIDENT
. - Cette expérience a commencé
voilà deux ans.
M. OTTAVI
. - En effet et elle a apporté ses preuves. Nous
parlions d'organisation tout à l'heure. Fleury-Mérogis, Fresnes,
les Baumettes, les Pyrénées Orientales constituent pour l'instant
les principales maisons d'arrêt équipées de ces cellules
d'éloignement de la DICCILEC.
M. LE PRÉSIDENT
. - Elles fonctionnent bien.
M. OTTAVI
. - Oui, et elles vont dans le sens de l'amélioration.
M. LE RAPPORTEUR
. - Nous abordons maintenant une deuxième
série de questions.
Avez-vous observé une pression migratoire supplémentaire depuis
la mise en oeuvre de la circulaire du 24 juin 1997 et l'annonce du projet de
loi relatif à l'immigration ?
M. LE PRÉSIDENT
. - Y a-t-il eu effet d'annonce ?
Une loi existe désormais et des débats ont eu lieu depuis 7 ou 8
mois. Que s'est-il passé pour vous dans les faits ? Qu'avez-vous
constaté comme changement de comportement ou d'activité, s'il y
en a eu ?
M. OTTAVI
. - J'ai pris mes fonctions en janvier 1997. Directement
liée au texte auquel vous faites allusion, je n'ai connaissance
d'information laissant penser à une pression migratoire
particulière.
Par contre je peux parler, bien qu'elle ne concernait pas la France au premier
chef, de l'immigration à laquelle a été confrontée
l'Italie, d'étrangers en provenance de Turquie et d'Irak.
M. LE PRÉSIDENT
. - Surtout des Kurdes.
M. OTTAVI
. - Je ne sens pas de pression augmenter. Les frontières
extérieures, je les contrôle parfaitement et nous n'avons pas
constaté de pression. Ce sont pour la France eu égard à sa
topographie et à sa position en Europe des frontières quasi
exclusivement aériennes et maritimes puisque qu'il faut sortir la seule
Suisse comme frontière terrestre hors Shengen.
M. LE PRÉSIDENT
. - Rien ne s'est passé pour vous, de
plus ?
M. OTTAVI
. - De significatif ou de particulier, non.
M. LE RAPPORTEUR
. - Avez-vous évalué le nombre de
personnes non régularisées dans le cadre de la circulaire du 24
juin, qui sont susceptibles de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ?
M. OTTAVI
. - Non car je n'ai aucun moyen de les évaluer.
M. LE PRÉSIDENT
. - Les préfets vous ont peut-être
donné des indications ?
M. OTTAVI
. - Non.
M. LE PRÉSIDENT
. - Ils ne vous téléphonent
jamais ?
M. OTTAVI
. - Non, mais je les appelle parfois. A ce sujet, je ne dispose
que des informations déjà publiées. En revanche, à
ma connaissance sauf quelques cas particuliers qui m'échapperaient, mais
vous avez bien compris que ma saisine préfectorale est une saisine
mélangée dont je n'ai pas le détail. Je n'ai pas le
dossier des étrangers.
M. LE PRÉSIDENT
. - Nous pouvons vous fournir les détails.
M. OTTAVI
. - Vous avez dû comprendre que je n'applique pas cette
circulaire de régularisation, ce sont les préfectures qui s'en
chargent.
Je ne connais pas encore les effets de la circulaire de régularisation
dans sa partie " étrangers non régularisés "
tout simplement parce que, à ma connaissance, les arrêtés
préfectoraux de reconduite à la frontière ne sont pas pris.
M. LE PRÉSIDENT
. - Peut-être, mais vous devez savoir que
sur environ 150 000 dossiers instruits, 75 000 personnes vont
être reconduites à la frontière. Vous en avez entendu
parler, je suppose ?
M. OTTAVI
. - Oui. Je prends acte de cette estimation.
M. LE PRÉSIDENT
. - Cette estimation vous est communiquée
par les préfets. A l'unité près, vous pouvez
connaître le nombre de personnes qui ne seront pas
régularisées.
En tant que directeur de service, vous avez pour responsabilité
d'anticiper. Si vous ne disposez pas encore de l'arrêté de
reconduite à la frontière, vous êtes obligé de
réfléchir au moyen qui vous permettra de les reconduire.
M. OTTAVI
. - Bien sûr.
M. LE PRÉSIDENT
. - Y avez-vous réfléchi ?
M. OTTAVI
. - Bien sûr et je vais vous livrer, à ce stade,
mes observations.
Le chiffre, nous le connaîtrons à la fin de l'opération. La
part des étrangers en situation irrégulière en France a
préexisté. Bon an, mal an, 40 000 arrêtés
préfectoraux de reconduite à la frontière, qui
constituaient d'année en année un potentiel.
En quoi la situation est-elle nouvelle ? Monsieur le président,
vous avancez un chiffre précis d'environ 60 à 70 000. Je
précise qu'il ne s'agit pas d'une situation de création sui
generis brutale, mais d'une situation que nous connaissons.
M. LE PRÉSIDENT
. - Ils se rajoutent aux 40 000.
M. OTTAVI
. - Je ne pense pas.
M. LE PRÉSIDENT
. - Expliquez-le nous.
M. OTTAVI
. - C'est une position personnelle. Il me semble, mais je ne
pourrais pas porter de preuves, qu'à partir du moment où la
circulaire de régularisation a été publiée, un
ensemble d'étrangers qui étaient déjà sur le
territoire national s'est présenté auprès des
préfectures. Ce ne sont pas des gens qui sont entrés.
M. LE PRÉSIDENT
. - Je crois qu'il y a une confusion. Je
m'explique très mal. Monsieur le rapporteur s'explique mieux que moi,
mais pas très bien non plus puisque vous ne semblez pas comprendre la
question.
Il existe un cycle régulier d'étrangers en situation
irrégulière que vous devez reconduire à la
frontière. Ils ont été repérés et leur
dossier a été instruit. Un beau jour, l'on décide de faire
resurgir les demandes d'étrangers qui n'étaient pas
régularisés. N'étant pas régularisés, ils
n'étaient pas frappés d'arrêté de reconduite
à la frontière. Ce sont donc des nouveaux et pas les anciens que
vous avez déjà traités.
Parmi ces 150 000 dossiers nouveaux, 75 000 sont
régularisés et 75 000 ne sont pas régularisables,
vont être traités et faire l'objet d'un nouveau dossier.
Manifestement aux 40 000 s'ajoutent 75 000 qu'il faudra traiter. Je
ne vous dis pas qu'ils seront expulsés ou reconduits -c'est une autre
affaire- mais ne dites pas que ce sont les mêmes.
M. CALDAGUES
. - Antérieurement à la circulaire, un flux
annuel d'arrivée se traduisait par des décisions de reconduites
à la frontière. Le second est la conséquence du premier.
Ce flux régulier annuel d'arrivée, vous l'avez cité comme
une moyenne annuelle, n'a aucune raison de disparaître ou alors c'est
qu'il serait tari.
C'est pourquoi j'aimerais savoir si des prévisions ont été
établies et si vous êtes équipés pour faire face
à cette situation.
Mme DUSSEAU
. - J'aimerais des renseignements sur ces 40 000
décisions de reconduite à la frontière accumulées
et auxquelles s'ajouteraient ou non -c'est le débat- les 75 000.
Dispose-t-on d'une analyse sur ces 40 000 décisions de reconduites
à la frontière ?
Correspondent-elles à des gens qui sont pris au moment de leur
arrivée et pour lesquels une décision de reconduite est
engagée ?
M. LE RAPPORTEUR
. - Je précise que ce sont 40 000 annuellement.
M. LE PRÉSIDENT
. - C'est le turn-over habituel.
Mme DUSSEAU
. - Ou alors correspondent-elles à des personnes
prises alors qu'elles sont en France depuis un certain nombre de mois ou
d'année ? Existe-t-il une analyse relative à ces
40 000 ?
M. OTTAVI
. - Ces 40 000 étaient un ordre de grandeur. Il
n'est peut-être pas celui-là chaque année. C'est pourquoi,
je préférerais que ces éléments soient fournis par
le directeur des libertés publiques, qui a en charge la gestion
complète.
C'est le chiffre que j'avais retenu, il n'est pas sous mon contrôle
personnel. Je n'ai pas le détail. Je ne connais de ces dossiers de
reconduite que la part des saisines à partir du moment des
interpellations.
La décision est une chose, mais l'interpellation de l'étranger en
est une autre.
Un étranger est interpellé et deux cas de figure se
présentent. Soit il est en séjour régulier. Soit la
vérification sur le fichier des personnes recherchées le fait
apparaître comme un étranger en séjour irrégulier et
l'APRF ou la décision judiciaire préexistent.
Nous ne nous entendons pas exactement sur la question parce qu'il faut placer
deux réponses côte à côte. A ma connaissance, le
texte de juillet n'a pas provoqué de pression particulière.
M. LE PRÉSIDENT
. - C'est une autre question.
M. OTTAVI
. - Ceci signifie que la population en séjour
irrégulier préexistait sur le territoire national. Maintenant
nous la connaissons ou nous allons la connaître. Comprenez-vous ?
M. LE PRÉSIDENT
. - Pas très bien.
M. OTTAVI
. - Un certain nombre de personnes avaient été
identifiées, recherchées et faisaient l'objet d'APRF, ce que vous
appelez le turn-over.
Un certain nombre d'entre elles ne seront pas régularisées et
intégreront une population, mais sont déjà là.
M. LE PRÉSIDENT
. - Cette population ne faisait pas l'objet d'une
procédure ?
M. OTTAVI
. - Voilà, mais elle était déjà
là.
M. LE PRÉSIDENT
. - Comment allez-vous faire avec une population
déjà là, qui n'était pas recensée et qui
doit intégrer votre circuit, en plus du turn-over ?
M. OTTAVI
. - L'action de mon service est déclenchée par
l'interpellation qui, sauf cas particuliers, va être
réalisée comme auparavant.
M. LE PRÉSIDENT
. - Monsieur le Directeur, comptez-vous sur la
difficulté de les interpeller pour lisser votre courbe, et ainsi
éviter d'atteindre un pic ?
M. OTTAVI
. - Je ne dis pas que je compte là-dessus.
M. LE PRÉSIDENT
. - Peut-être, mais vous l'espérez un
peu. Sinon, vous risquez de rencontrer des problèmes.
M. OTTAVI
. - Oui. Je réponds au plan technique. Nous sommes en
mesure de pratiquer un certain nombre d'éloignements.
M. LE PRÉSIDENT
. - Supplémentaires ?
M. OTTAVI
. - Supplémentaires par rapport à la situation
que nous connaissons maintenant.
M. LE PRÉSIDENT
. - Je vous prie de m'excuser d'insister sur ce
point, mais je ne voudrais pas la commission reste sur une sorte
d'ambiguïté à cet égard.
Je comprends bien qu'au plan technique, votre service se trouve tout à
fait en état de faire face à une demande supplémentaire
importante.
M. OTTAVI
. - Oui importante.
M. LE PRÉSIDENT
. - Du simple au double ?
M. OTTAVI
. - Je ne l'ai pas mesuré exactement. Par rapport
à la situation actuelle, si c'était nécessaire, ce serait
plus du double.
M. LE PRÉSIDENT
. - Voilà une réponse
intéressante.
M. LE RAPPORTEUR
. - Seuls 32 fonctionnaires sont affectés
à cette tâche de l'éloignement, n'est-ce pas ?
M. OTTAVI
. - Ils sont affectés à la gestion des dossiers.
M. CALDAGUES
. - Parmi les 40 000 décisions
d'éloignement prises annuellement, combien sont effectivement
exécutées ?
M. OTTAVI
. - Les chiffres dont je dispose pour l'année 1997 sont
de 9 947, 10 000 et environ 12 000.
M. CALDAGUES
. - Ces chiffres peuvent signifier et nos points de vue se
rapprocheraient, que les 30 000 décisions qui ne sont pas
exécutées se retrouvent peut-être dans le stock que la
circulaire est en train de traiter ?
M. OTTAVI
. - La police et la gendarmerie, qui travaillent normalement ni
moins ni plus, en interpellent un certain nombre tous les ans. La
régularisation va faire retomber les non régularisés dans
la clandestinité et la population de gens qui ne sont pas en
règle et susceptibles d'être interpellés par la police et
la gendarmerie, est à mon sens à peu près la même.
La police et la gendarmerie n'ont pas attendu la régularisation pour
rechercher des étrangers en situation irrégulière.
M. LE RAPPORTEUR
. - Donc 30 000 clandestins, par an, s'ajoutent
à ceux qui sont déjà dans le pays ?
M. OTTAVI
. - Non, parce que beaucoup partent, d'une manière ou
d'une autre.
M. LE RAPPORTEUR
. - A combien évaluez-vous le résiduel,
c'est-à-dire non éloignés par an ?
M. OTTAVI
. - Ce chiffre est impossible à déterminer et
inaccessible. A mon avis, personne ne pourra vous répondre. La
circulaire de régularisation a donné comme
indication 150 000 dossiers.
M. LE RAPPORTEUR
. - Vous attendiez-vous à ce chiffre ?
M. OTTAVI
. - Oui. J'ai vécu la régularisation de 1983, de
beaucoup plus loin et elle a concerné un peu plus de 100 000
dossiers. Donc ce chiffre ne me surprend pas. Je répète que ce
n'est qu'une indication.
M. LE PRÉSIDENT
. - Le chef de la police aux frontières est
mieux placé pour avoir une indication que n'importe lequel d'entre
nous ?
M. OTTAVI
. - Je dois faire oeuvre d'humilité et de
modestie : je suis incapable de vous dire combien il y a
d'étrangers en France, à l'instant.
M. LE PRÉSIDENT
. - Ne pouvez-vous pas nous donner un ordre de
grandeur ?
M. OTTAVI
. - Non. De toute façon, le chiffre qui serait
avancé ne serait vérifiable par personne et n'aurait pas de sens.
M. LE PRÉSIDENT
. - Vous n'avez même pas un sentiment ?
M. OTTAVI
. - C'est un peu plus de 150 000.
M. LE PRÉSIDENT
. - Oui, puisque 150 000 se sont
déjà dévoilés, vous supposez qu'il en reste encore
quelques-uns, mais vous ne voulez pas dire quoi que ce soit.
M. OTTAVI
. - Je n'ai pas dit que je ne voulais pas. Mais si j'annonce un
chiffre, il risque d'être repris dans la presse. Or j'affirme, ici et
solennellement devant tout le monde, que personne ne peut avancer un chiffre.
Notre point de repère est de 178 000 au minimum moins la
régularisation, qui donne la photographie juste avant la circulaire.
M. LE PRÉSIDENT
. - Ceci laisse à penser que vous ne voulez
pas donner une impression.
M. OTTAVI
. - Franchement, je ne sais pas comment vous dire comment
évaluer la clandestinité ! Je veux bien vous donner un
élément de réflexion. Imaginons une seconde que ne se
soient pas présentés les célibataires pas suffisamment
intégrés, qui n'auraient pas pu correspondre aux critères
-une fois de plus critères que je n'applique pas puisque je ne suis pas
là pour régulariser-.
Combien parmi ces gens, malgré l'appel à la
régularisation, sont restés dans l'ombre ? Je ne peux pas le
dire.
M. CALDAGUES
. - Je renonce à établir des calculs puisque
nous sommes en désaccord sur les modalités de calcul.
Toutefois, ici, notre droit est de savoir dans quelles conditions sera
appliquée la loi, même si nous ne l'avons pas votée. De la
même façon, je ne veux pas croire qu'un maire et les services de
la santé publique soient incapables de connaître la
capacité nécessaire d'accueil des hôpitaux dans telle ville
ou dans telle région, je ne peux pas croire non plus...
M. ALLOUCHE
. - ...A l'hôpital il existe un nombre de lits bien
précis !
M. CALDAGUES
. - Ce n'est ni plus ni moins aléatoire ! Je ne
peux donc pas croire que le service chargé matériellement de
l'éloignement ne soit en mesure ou n'ait le désir
d'établir des prévisions quant à l'ampleur de sa
tâche et qu'il soit par conséquent incapable de nous les
communiquer.
Je ne peux pas croire que le service chargé de cette tâche
matérielle, et pas juridique, ne se soucie pas de savoir combien de cas
il va devoir traiter dans les années qui viennent et qu'il
n'établisse aucune prévision à ce sujet. Je ne peux pas le
croire, Monsieur le Directeur, parce que ce serait de l'incurie.
M. LE PRÉSIDENT
. - Monsieur Caldagues, Monsieur le Directeur nous
a appris qu'en cas de besoin, il pouvait doubler l'activité de son
service par rapport aux dossiers qu'ils traitent actuellement.
M. ALLOUCHE
. - Ne compliquons pas une tâche déjà
compliquée.
M. le Directeur nous dit qu'il n'est pas en mesure de nous communiquer un
chiffre précis. Connaître précisément le nombre de
clandestins est par nature impossible.
Avant la circulaire du 24 avril 1997, nous savons qu'il existait un certain
nombre de milliers de non régularisés. Ils n'étaient pas
clandestins parce qu'on les connaissait. Quand ils passent devant les
caméras de télévision, ils ne sont plus clandestins. Ils
étaient non réguliers sur le territoire.
Un certain nombre d'entre eux, 150 à 170 000, ont
déposé un dossier.
Je rappelle que certains sont devenus irréguliers par un changement de
législation. De ceux-là, une partie va être
régularisée. Il restera un reliquat de x milliers qu'à ce
jour, nous ne pouvons pas estimer.
Je comprends Monsieur le Directeur, comment voulez-vous le savoir ? Je
retiens que vous essayez d'obtenir des éléments pour alimenter la
cause qui est la vôtre. Alors que M. le Directeur affirme que, depuis
cette circulaire, il n'y a pas de pression migratoire, vous vous obstinez
à penser le contraire. Il n'y en a pas !
M. LE PRÉSIDENT
. - Monsieur Allouche, mon métier est de
chercher à cerner la vérité au plus près. Je ne
m'obstine à rien du tout !
Mme DUSSEAU
. - M. Ottavi témoigne ici sous serment, comme tous
nos invités. Effectivement, nous pouvons lui demander l'exacte
vérité sur les chiffres, sur lesquels d'ailleurs je reste parfois
sur ma faim. Pour autant, il ne me semble pas possible de lui demander de
donner son sentiment. Rien n'est plus évasif qu'un sentiment.
Lui demander d'être plus précis sur des données qu'il a en
sa possession, oui mais le questionner ainsi en le sommant de donner son
sentiment me paraît anormal.
Depuis 1988, j'aimerais connaître les chiffres de décisions de
reconduite à la frontière et les reconduites effectives. Ce
différentiel calculé sur 10 ans permettrait sans doute
d'approcher davantage la situation réelle.
M. LE PRÉSIDENT
. - Concernant votre première
interrogation, je rappelle que notre rôle est de faire respecter une
institution parlementaire essentielle dans le contrôle de
l'activité du gouvernement. Nous sommes bien tous d'accord
là-dessus. Ce n'est pas une anomalie que de manifester, à cet
égard, la volonté d'une certaine curiosité
vis-à-vis des chefs de service.
Mme DUSSEAU
. - Au contraire.
M. LE PRÉSIDENT
. - Si M. Ottavi était dans le bureau du
Ministre et si ce dernier lui demandait son sentiment sur cette affaire,
Monsieur le Directeur le donnerait. Nous sommes ici dans la même
situation. Ce n'est pas un secret d'état. Par conséquent, nous
avons accès à cette confidence et à ce sentiment.
Cette question est institutionnelle, Madame. Que l'on soit un parlementaire de
droite ou de gauche, notre souci est de faire respecter l'institution
parlementaire et ce contrôle du gouvernement par le biais de commissions
est essentiel dans l'activité d'un parlementaire.
Je crois que nous sommes tous d'accord sur ce point. Quel est votre sentiment,
Monsieur Ottavi ?
M. OTTAVI
. - M. le Ministre m'a posé la question et je lui ai
fait exactement la réponse que je viens de vous donner.
M. LE PRÉSIDENT
. - Très bien. Nous actons votre
réponse dans le procès-verbal.
M. LE RAPPORTEUR
. - Je poursuis, mais je pense que vous ne pourrez pas
répondre à ma question : comment analysez-vous la coordination
entre la circulaire du 24 juin 1997 et celle du 18 janvier 1998 relative
à l'aide au retour pour ce qui est de la mise en oeuvre de
l'éloignement du territoire ?
M. OTTAVI
. - Je ne peux pas vous répondre. Ce domaine n'entre pas
dans mes compétences.
M. LE RAPPORTEUR
. - Je l'avais compris.
Avez-vous reçu des consignes spécifiques pour maintenir
au-delà de la date du 24 avril fixée par le Ministre la
suspension des mesures d'éloignement d'étrangers à qui la
régularisation a été refusée ? A défaut
d'instructions dans ce sens, avez-vous déjà procédé
à des éloignements ?
M. OTTAVI
. - A ma connaissance, je n'ai pas procédé
à des éloignements de gens qui n'auraient pas été
régularisés.
Je n'ai de l'éloignement que la perception des saisines des
préfectures. Je vais vous communiquer des chiffres, malheureusement sur
deux ans, et vous comprendrez en quoi la courbe des éloignements
effectifs suit celle des décisions administratives très
exactement, avec un léger plus au profit de mon service pour lequel
moins le nombre de dossiers à traiter est grand et mieux nous pouvons
les traiter, bien sûr.
M. LE PRÉSIDENT
. - Je vous rappelle qu'il s'agit de la circulaire
du 24 juin. Alors ne nous ramenez pas au turn-over habituel. La question qui
vous est posée par M. le rapporteur est simple : s'agissant des
gens du 24 juin, avez-vous procédé à des reconduites
à la frontière sur décision de M. le Préfet en
l'état actuel des choses ?
M. OTTAVI
. - A ma connaissance pas. J'ai déjà
répondu deux fois à cette question.
M. LE PRÉSIDENT
. - Donc il n'y a pas eu de décision en
l'état s'agissant des gens recensés en application de la
circulaire du 24 juin.
M. LE RAPPORTEUR
. - Envisagez-vous la mise en place de moyens
spécifiques pour mener à bien ces éloignements ?
M. OTTAVI
. - Si je ne fais pas cette prévision, je conduis le
service à une véritable incurie -c'est ce qui a été
dit- ou je suis de mauvaise foi.
J'ose espérer vis-à-vis de l'administration que je ne conduis pas
ma direction à une véritable incurie. Ce dont nous parlons, ce
qui est sous ma responsabilité est une mise en oeuvre technique et,
cela, nous savons faire.
Il peut exister des situations dans lesquelles, au travers de la
sensibilité du dossier, il faut prendre des décisions politiques.
Elles ne me concernent pas. Les décisions arrêtées en
termes de modalités, de moyens à mettre en oeuvre notamment
humains supplémentaires au profit de mon service, sont des
décisions de niveau politique.
Je sais faire tout ce qu'il faut faire à partir du moment où j'ai
les moyens. Par conséquent, je ne suis pas particulièrement
préoccupé dans la mesure où je suis tributaire des
interpellations et des saisines des préfectures. Je dispose
néanmoins d'une marge de manoeuvre importante. Si je devais être
confronté à une situation qui sortirait de la norme du BUREL
composé de 32 fonctionnaires, j'en référerais à mon
administration en lui demandant des moyens supplémentaires. Si c'est une
priorité, je les obtiens. Ensuite, c'est un problème de mise en
oeuvre technique, que nous savons résoudre.
M. LE PRÉSIDENT
. - Il ne vous a pas encore été
demandé de prévoir un accroissement des moyens ?
M. OTTAVI
. - Non parce que je dispose encore d'une marge de manoeuvre.
M. LE PRÉSIDENT
. - Si cette demande était faite, y
ferez-vous face ?
M. OTTAVI
. - J'en rendrai compte afin d'obtenir les moyens pour y faire
face.
Pour l'instant, la marge de manoeuvre dont je dispose me permet de monter en
puissance. Donc les choses sont largement prévisibles.
M. LE PRÉSIDENT
. - Largement prévisibles ?
M. OTTAVI
. - D'après moi, oui. En ce sens, j'assume ma
responsabilité de directeur d'une direction technique.
M. LE PRÉSIDENT
. - Avant d'aborder la troisième
série de questions, nous allons aborder les événements
récents à Roissy et les enseignements à en tirer. Mais
auparavant, concernant l'organisation des services et la mise en place d'un
dispositif spécifique pour l'éloignement des étrangers,
avez-vous des questions ?
M. MAMAN
. - Monsieur le Directeur, vous avez dit ne pas savoir combien
de décisions de reconduites étaient prises parce qu'elles
dépendaient des préfectures.
Serait-il possible de demander à toutes les préfectures de vous
adresser ces renseignements ? Je n'ai pas compris pourquoi la transmission
d'informations entre les préfectures et vous reste difficile puisque
votre service est centralisateur.
Vous avez parlé de cellules d'éloignement auprès des
maisons d'arrêt. En quoi consistent-elles exactement ?
M. OTTAVI
. - Monsieur le Sénateur, je vous rappelle que
j'exécute une tâche matérielle. Mon service n'est saisi que
si un étranger en situation irrégulière ou sortant de
prison va devoir être reconduit. A cette occasion, la préfecture
me saisit et m'envoie un minimum de dossiers pour mettre en oeuvre toute la
procédure pratique. C'est la seule partie que je connais, mais d'elle je
connais tout.
Je réponds très clairement, pour vous montrer la marge de
réussite et l'amélioration qui peut être apportée,
qu'en 1996 et j'arrondis les chiffres, les saisines préfectorales de mon
bureau étaient de 20 000 et les éloignements de 12 000
; en 1997, les saisines étaient de 15 700 et les
éloignements de 9 947, soit un taux effectif par rapport à
la saisine variant entre 60 et 65 %. Je ne connais rien du reste.
J'ai donc réussi à mettre en oeuvre 65 % des saisines des
préfectures sur des éloignements effectifs. La perte en ligne
vient de toute une série de raisons. Soit le laissez-passer n'a pu
être obtenu ; soit un quota a été dépassé
alors que l'on arrivait en fin de rétention administrative etc.
M. LE RAPPORTEUR
. - Pourriez-vous préciser la nature des raisons
que vous venez d'énoncer ?
Mme DUSSEAU
. - Je comprend mal l'articulation entre les 20 000
saisines et les 40 000 décisions de reconduite à la
frontière.
M. OTTAVI
. - Les 20 000 sont des personnes interpellées.
M. LE PRÉSIDENT
. - Parmi les 40 000 dossiers, 20 000
personnes sont interpellées.
M. OTTAVI
. - Oui.
M. LE PRÉSIDENT
. - Parmi ces 20 000, 9 000 sont
reconduites à la frontière.
M. OTTAVI
. - Les préfectures nous ont saisis 20 000 fois et
nous avons réussi à en renvoyer à l'étranger
12 000.
M. LE PRÉSIDENT
. - Les autres sont passés dans le camp de
la clandestinité ?
M. OTTAVI
. - Oui ou alors ils ont été
régularisés.
M. MAMAN
. - Je suis vraiment surpris, vu tous les moyens d'information
à disposition, que ces renseignements ne puissent pas être
centralisés. Chaque préfecture semble travailler dans son coin.
Dispose-t-on de chiffres nationaux ?
M. OTTAVI
. - Oui. Je ne les ai pas car je n'ai aucune raison de les
avoir. Le Directeur des libertés publiques vous les communiquera car
c'est lui qui les a.
Pourquoi voulez-vous, alors que j'ai décrit l'ensemble de mes missions
auxquelles je consacre beaucoup d'heures par jour, que je m'intéresse
à ces gens ? En tant que DICCILEC, administration chargée
d'exécuter l'éloignement, je ne peux consacrer du temps
qu'à partir du moment où une saisine personnalisée est
lancée. Le reste, franchement Monsieur le Président, à
quoi me servirait-il ?
M. LE PRÉSIDENT
. - A vous faire rêver la nuit !
M. MAMAN
. - Nous aimons savoir ce qui se passe.
M. LE PRÉSIDENT
. - Je comprends bien que vous avez assez de votre
tâche sans vous occuper du reste.
La deuxième question de M. Maman portait interrogation sur les cellules
d'éloignement. En quoi consistent-elles ?
M. OTTAVI
. - Nous avons mis en place des fonctionnaires de la DICCILEC
auprès des maisons d'arrêt en nombre variable. Nous les
dépêchons souvent par redéploiement car nous estimons que
cette mission est prioritaire. Ces gens sont complètement
intégrés dans le dispositif pénitentiaire. Leur mission
est de considérer le problème le plus en amont possible,
sitôt que l'étranger est incarcéré pour commencer
à traiter notamment le problème d'identification.
Mon but est de réduire ces 35 %. Le pourcentage d'effectivité des
reconduites frontière est le même que le pourcentage
général que j'ai indiqué tout à l'heure. Ce sont
des étrangers pour lesquels nous avons le plus souvent du temps pour
procéder à cette opération délicate
d'identification. C'est une chose de la mener dans le délai de
rétention administrative, au maximum de 10 jours et souvent de moins, et
c'en est une autre de le faire alors que l'étranger est
incarcéré durant 3 ou 4 mois.
C'est pourquoi j'ai dépêché des fonctionnaires de mon
administration, avec pour rôle essentiel de faire en sorte qu'au moment
de l'élargissement, le dossier soit complet. Ils sont en rapport avec le
juge d'application des peines, avec l'administration pénitentiaire, avec
le Ministère de la Justice pour tâcher de faire coordonner afin
que l'opération soit conduite, y compris la réservation de places
et notamment l'escorte nécessaire.
En 1 an, le taux d'effectivité des reconduits à la
frontière a progressé de 20 %, donc je peux mesurer les effets de
l'action que j'ai conduite.
M. LE RAPPORTEUR
. - J'ai noté, sauf erreur de ma part, Monsieur
le Directeur, qu'environ 20 000 étrangers en situation
irrégulière étaient interpellés. Par contre, les
mesures d'éloignement effectives sont de l'ordre de 9 000 à
9 600.
M. OTTAVI
. - Non. A 20 000 c'est 12 000 ; à
15 000 c'est 9 009. C'est pourquoi je disais que la courbe suivait.
M. LE RAPPORTEUR
. - Vous les avez interpellés. Ils sont en
situation irrégulière et ils ne sont pas éloignés.
Pour quelles raisons ?
M. OTTAVI
. - Elles sont multiples. C'est un étranger qui,
d'ailleurs, ne va pas venir jusque qu'à moi.
M. LE RAPPORTEUR
. - Par qui est-il interpellé ?
M. OTTAVI
. - Par la police, la gendarmerie, en province, à Paris.
Nous avons donné comme instruction aux préfectures de nous saisir
sitôt que la procédure commence, pour nous laisser la marge de
temps d'un montage compliqué. Mais il existe un pourcentage de pertes.
Tout d'abord, certains dossiers ne vont plus être suivis par la
préfecture. Ensuite, d'autres feront une demande d'asile, certaines
identifications seront impossibles, nous n'obtiendrons pas des laissez-passer
à cause d'un débat sur la nationalité possible et nous
nous inscrivons dans un délai de 10 jours à partir de son
interpellation, 12 du moins.
Nous maîtrisons parfaitement ces données d'un point de vue
statistique.
Par conséquent, nous connaissons l'existence du dossier, il est en
cours. Combien de fois nous avons préparé le départ
effectif et la préfecture annule le dossier sans toujours nous expliquer
pourquoi. Un problème rend le départ impossible.
Nous avons choisi d'être saisis le plutôt possible car notre
procédure est particulière à traiter. Nous aurions pu
choisir que les préfectures nous saisissent quand le dossier est
parfait, mais nous aurions disposé de peu de jours pour nous retourner
et coordonner le départ.
M. LE RAPPORTEUR
. - Chaque année, un certain nombre de milliers
de personnes sont interpellées, mais elles ne sont pas
éloignées effectivement et elles passent dans la
clandestinité.
M. OTTAVI
. - Elles peuvent retourner dans la clandestinité.
Certains ont demandé l'asile politique, par exemple.
M. LE RAPPORTEUR
. - Ceux qui restent ne sont pas éloignés,
donc ils restent. Ils viennent s'ajouter.
M. HYEST
. - Ces procédures paraissent difficiles à
comprendre. Les décisions préfectorales ne sont appliquées
que s'il y a interpellation. Vous dites qu'elles constituent la moitié,
ou un peu moins. Il y a bien 40 000 décisions ?
M. OTTAVI
. - J'ai connaissance de 20 000 dossiers.
M. LE PRÉSIDENT
. - C'est le turn-over.
M. HYEST
. - Ces 20 000 dossiers résultent d'interpellations.
Les interpellations signifient donc identification. Une fois que les services
de police, de gendarmerie ou les vôtres puisque la DICCILEC opère
directement comme au Pertus ou en Savoie, ont identifié ces dossiers,
comme des décisions administratives sont prises, l'identification n'est
pas préalable ? On ignore de qui il s'agit ?
M. OTTAVI
. - La plupart du temps, ces gens sont démunis de
papier. Le procès-verbal commence souvent ainsi :
Disant avoir
interpellé M. x se disant etc.
. L'enquête de police ou de
gendarmerie va démontrer le caractère de séjour
irrégulier, de non-présentation des papiers, de non
capacité d'expliquer ou de prouver une nationalité ou une
identité.
C'est donc une véritable enquête d'identification car, de
mémoire, 90 % des étrangers interpellés en situation
irrégulière ne sont pas porteurs de papiers d'identité.
M. HYEST
. - Comme ils sont incarcérés pendant plusieurs
mois, vous avez le temps de les identifier, autrement certains prisonniers
n'auraient pas de nom.
M. OTTAVI
. - Pour autant, auraient-ils déclaré une
identité que nous n'avons pas forcément le document
transfrontière légal nous permettant le renvoi dans le pays de
destination.
M. BLAIZOT
. - J'aimerais savoir en quoi consiste la
clandestinité. Vous dites que sur ceux qui, chaque année, sont
condamnés à être reconduits à la frontière, 6
à 10 000 ne peuvent l'être pour des raisons diverses. Que
deviennent ces gens ? Sont-ils relâchés, surveillés ou
bien restent ils dans la nature et ils seront repris une autre fois pour telle
ou telle raison ? Vraisemblablement, leur situation sera inchangée
et ils ne pourront pas être reconduits davantage à la
frontière la seconde fois que la première.
Les 10 000, chaque année, s'ajoutent les uns aux autres. Ils
doivent être des dizaines et des dizaines, voire des centaines de
milliers.
Leur cheminement est-il suivi ou bien se promènent-ils comme bon leur
semble et, finalement, ce seront des citoyens ordinaires car, au bout de 10 ans
peut-être, ils bénéficieront d'une durée de
séjour en France suffisamment longue pour être
régularisés.
Tout ceci paraît très aléatoire.
M. LE PRÉSIDENT
. - Le directeur de la DICCILEC, c'est la police
à la frontière. Il nous a bien expliqué qu'en amont et en
aval, ce n'était pas son travail.
M. BLAIZOT
. - Je suppose qu'il avise les services de police de ce que
tel ou tel étranger destiné à être reconduit
à la frontière, il n'a pu être éloigné et il
ne s'en occupe plus. Dans ce cas, qui s'en charge ?
M. LE PRÉSIDENT
. - M. Chevènement vient dans 15 jours,
vous pourrez lui poser la question.
M. OTTAVI
. - Si je suis directeur de la DICCILEC depuis janvier 1997, il
n'en demeure pas moins que j'y passé 13 ans de ma carrière en
tant que commissaire de police, à Marseille. C'est donc un monde que je
connais bien.
Ces gens vont être remis en liberté pour différentes
raisons, dont certaines sont des demandes d'asile politique ou des
régularisations. Le dossier m'échappe, je ne vais pas vous dire
combien.
M. LE PRÉSIDENT
. - Sur les 20 000 demandes, 5 000
asiles sont accordés chaque année sous l'empire de la
réglementation de Genève.
M. OTTAVI
. - Sur ces 20 000 demandes, je vous rappelle que
12 000 étaient parties. Le rapport mentionne bien : 20 000-12 000,
15 000-10 000.
M. LE PRÉSIDENT
. - Ceux qui font les demandes ne sont pas ceux
qui sont partis.
J'aimerais maintenant aborder avec vous le problème de Roissy.
M. OTTAVI
. - Si les gens sont remis en liberté, ils font l'objet
d'une sommation à quitter le territoire national. Je signale qu'une
partie des étrangers s'en va d'elle-même.
Je ne souhaiterais pas que l'on se place toujours dans des situations
cumulatives. Parmi les reconduits, 75 % partent sans escorte. Ces gens
partent contraints, mais ils le font seuls en dehors de la reconduite, avec ou
sans aide.
M. LE PRÉSIDENT
. - Retenez, mes chers collègues, que ce ne
sont pas 10 000 plus 10 000, mais 10 000 plus 10 000 moins
quelque chose. De toute façon, de ces clandestins personne ne sait rien.
M. LE RAPPORTEUR
. - Vous devez être en rapport avec des homologues
étrangers. Vous nous avez appris que 90 % des personnes ne pouvaient pas
être éloignées parce que leur identité n'est pas
connue ou alors elles sont fausses. Vous aviez 10 jours auparavant. Maintenant,
ce délai est passé à 12 jours. Dans d'autres pays,
particulièrement en Angleterre, en Espagne ou en Allemagne, les
délais sont beaucoup plus longs ou illimités.
D'après les discussions que vous pouvez avoir avec vos collègues,
ne pensez-vous pas que l'immigré qui vient en France en situation
irrégulière donne systématiquement une fausse
identité ou qu'il en est dépourvu ? Ce constat se
retrouve-t-il à l'étranger ?
M. OTTAVI
. - En effet, cette caractéristique se retrouve à
l'étranger.
M. LE RAPPORTEUR
. - De façon aussi importante ou non ?
M. OTTAVI
. - Je dépose sous la foi du serment, donc ce serait
grave d'affirmer des choses que je ne connais pas. Avec la Grande-Bretagne,
à cause du tunnel sous la Manche, nous échangeons des
informations qui démontrent soit des documents falsifiés, soit
l'absence de document, c'est-à-dire des bouts de passeports que l'on
retrouve dans l'Eurostar en nombre conséquent.
M. LE PRÉSIDENT
. - En Angleterre, on les garde sine die sans
délai de rétention alors qu'en France, il est maintenant de 12
jours.
M. LE RAPPORTEUR
. - C'est la raison pour laquelle j'ai posé cette
question.
M. OTTAVI
. - Monsieur le rapporteur, vous venez de dire que 90 % ne
peuvent être éloignés car ils n'ont pas de papiers. Je
rectifie : 90 % n'ont pas de papier et nous posent des problèmes
d'identification, mais nous les identifions en grande partie. Sinon le chiffre
serait ridicule.
M. DEMUYNCK
. - Dans les dossiers déposés pour les
régularisations, c'est-à-dire ceux qui ont fourni des feuilles de
paye émanant d'entreprises, avez-vous communication de ces entreprises
et y effectuez-vous des contrôles ?
M. OTTAVI
. - Je n'ai pas connaissance d'informations de cette nature,
dans le cadre de l'opération de régularisation. Il est
évident qu'il appartient à mon service, au travers de l'office,
d'en être informé si nous sommes dans la partie crime
organisé. Les services locaux sont concernés en premier chef pour
tout ce qui est petits ateliers, travail clandestin modeste et la
filière du travail clandestin. Je n'ai pas connaissance d'avoir
été saisi d'une affaire.
M. LE PRÉSIDENT
. - Vous avez démantelé 10
filières l'année dernière.
M. OTTAVI
. - Oui, mais à partir d'informations dont nous
disposions. Parmi les dernières filières de 1997, je ne sais pas
si l'une d'entre elles remonte, à l'origine, d'une information qui nous
a permis de vérifier son existence.
M. CALDAGUES
. - Parmi les personnes qui font l'objet d'un
arrêté de reconduite à la frontière, vous " en
traitez " un certain nombre parce qu'ils sont parvenus jusqu'à
vous. D'autres sont obligés de s'en aller car ils font l'objet d'un
arrêté, mais ils prennent eux-mêmes les dispositions pour
s'en aller. Je suppose qu'ils quittent notre territoire par les voies normales
et pas de façon clandestine. Appréhendez-vous, aux
frontières, leur identité et donc leur nombre ?
N'existe-t-il pas un moyen statistique de vérifier ?
M. OTTAVI
. - Non.
M. CALDAGUES
. - Je trouve que c'est grave.
M. OTTAVI
. - Nous travaillons sur un flot de 100 millions de voyageurs
internationaux. Premièrement, beaucoup de ces frontières sont
terrestres et je ne dispose d'aucun moyen pour découvrir si la personne
a quitté la France pour se rendre en Allemagne, en Italie ou en
Belgique.
Deuxièmement la responsabilité de Schengen nous conduits à
mettre l'accent sur l'entrée, au travers de mes 6 702 fonctionnaires.
M. LE PRÉSIDENT
. - Nous passons à la troisième
série de questions relatives aux événements de Roissy et
les leçons à en tirer.
M. LE RAPPORTEUR
. - Estimez-vous que les difficultés
rencontrées à la fin du mois de mars et au début du mois
d'avril à l'aéroport de Roissy-Charles de Gaulle sont ponctuelles
ou, au contraire, traduisent une difficulté plus générale
à mener à bien l'éloignement d'étrangers en
situation irrégulière par la voie aérienne ?
M. OTTAVI
. - Elles sont ponctuelles. Si elles devaient perdurer, ce
serait un élément supplémentaire de complication, mais le
fondement même n'est pas mis en cause.
M. LE PRÉSIDENT
. - Vous estimez donc que c'est une
péripétie ?
M. OTTAVI
. - Oui.
M. LE PRÉSIDENT
. - Il n'y a pas lieu de considérer que
nous allons nous trouver devant une situation aggravée permanente ?
M. OTTAVI
. - Monsieur le Président j'ai été
attentif. Je vais être très humble car, dans mon métier,
l'avenir est incertain. En l'état de la situation, oui, je
considère que c'est une péripétie que nous
maîtrisons avec nos moyens et qui n'a pas eu d'effet significatif sur la
mission de reconduite à la frontière.
M. LE RAPPORTEUR
. - Pouvez-vous préciser les termes de l'accord
annoncé par la presse entre le Ministère de l'Intérieur et
la compagnie Air France pour la reprise des reconduites à destination du
Mali à bord des avions de cette compagnie ?
En quoi les solutions arrêtées par l'accord se
différencient-elles de celles appliquées avant les incidents ?
M. OTTAVI
. - Je ne voudrais pas répondre à la question
ainsi. Je m'exprime sous ma responsabilité, et si j'ai tort je vais vite
le savoir. L'on ne négocie pas avec Air France. Il n'existe aucun
compromis. Une convention existe et, pour des raisons conjoncturelles, elle a
été en partie suspendue dans une situation conservatoire.
M. LE RAPPORTEUR
. - Quelle est la date de sa signature, car nous la
demanderons tout à l'heure à M. Spinetta ?
M. LE PRÉSIDENT
. - Il nous la donnera tout à l'heure.
M. LE RAPPORTEUR
. - D'accord.
M. OTTAVI
. - Elle était en oeuvre largement avant que j'arrive.
J'arrive dans un moment où elle est appliquée.
M. LE PRÉSIDENT
. - Vous prétendez que l'on ne
négocie pas avec Air France. Est-ce à dire que l'on ne
négocie pas avec un service public ?
M. OTTAVI
. - Cela signifie que je prends acte de l'existence d'une
convention qui, à un certain moment et eu égard à un
contexte, est en partie remise en question par Air France.
J'en prends acte. J'en comprends les raisons, mais je n'ai pas participé
à sa renégociation.
M. LE PRÉSIDENT
. - Cette convention avec Air France
était-elle signée avec la DICCILEC ou l'Etat ?
M. OTTAVI
. - Avec le Ministre, s'agissant d'Air France.
M. LE RAPPORTEUR
. - Y a-t-il eu un avenant modificatif à la
convention initiale ou bien une parenthèse avant une reprise de la
convention initiale ?
M. OTTAVI
. - Il n'y a pas eu d'avenant. C'est pourquoi je vous disais
que l'on ne négocie pas. Nous prenons acte. Nous avons répondu
à la préoccupation d'Air France, qui est la
sécurité à bord.
Mon approche de l'éloignement est technique. Pardonnez-moi l'expression
qui risque de vous paraître démesurée, mais sur le plan
technique nous savons tout faire. S'il faut, par rapport à une certaine
manifestation de refus d'embarquement, mettre les moyens nécessaires
pour sécuriser l'avion, nous savons le faire, nous le ferons.
M. LE RAPPORTEUR
. - Vous n'êtes pas au courant d'un
éventuel accord modificatif ?
M. OTTAVI
. - Il n'y en a pas.
M. LE LE RAPPORTEUR
. - Il est possible que l'information ne vienne pas
jusqu'à vous ?
Aucun avenant n'a été écrit, mais des conditions verbales
ont été passées ou une entente modifiant la convention
initiale. Nous sommes bien d'accord ?
M. OTTAVI
. - Nous prenons acte de la nouvelle disposition d'Air France.
M. LE PRÉSIDENT
. - Quelles sont les nouvelles dispositions d'Air
France ?
M. OTTAVI
. - Ces nouvelles disposition d'Air France sont directement
liées à la sécurisation de l'avion. C'est un nombre
précis de personnes à reconduire avec des escortes
adaptées, qui dépend de la destination et du porteur.
M. LE PRÉSIDENT
. - Pour Bamako ?
M. OTTAVI
. - Un par jour, par avion pour Air France.
M. LE PRÉSIDENT
. - Par combien de personnes sont-ils
escortés ?
M. OTTAVI
. - Nous évaluons. Mon intérêt est que le
vol se déroule sans aucun incident, donc je répondrai par les
moyens nécessaires. Si le commandant de bord estime qu'ils ne sont pas
suffisants, je ferai apprécier le niveau d'escorte. C'est de mon chef.
M. LE PRÉSIDENT
. - Est-ce un minimum de deux ?
M. OTTAVI
. - Non, c'est 4 pour Bamako, par vol.
M. LE PRÉSIDENT
. - L'escorte peut compter plus de 4
personnes ? Bien sûr, c'est vous qui appréciez la situation.
M. OTTAVI
. - Si nous n'arrivons pas à maîtriser la notion
de sécurité à bord de la cabine avec ces moyens,
effectivement nous avons un énorme problème.
M. LE RAPPORTEUR
. - Compte tenu de cet accord, le recours à
d'autres compagnies sera-t-il maintenu ?
M. OTTAVI
. - Bien sûr. Il a toujours existé.
M. LE PRÉSIDENT
. - En demandent-ils autant ?
M. OTTAVI
. - Cela peut varier par compagnie, y compris s'agissant de
départ sans escorte.
Au sein du BUREL, Wagon-lits procède à la mécanique des
réservations et il est outillé pour rechercher tous les routings,
toutes les compagnies, tous les prix et les adaptations. Nous allons toujours
privilégier la compagnie nationale quand nous le pouvons, sinon nous
cherchons ailleurs.
M. LE PRÉSIDENT
. - Quel est l'état de vos relations avec
la compagnie Air Afrique ? Des évolutions peuvent-elles intervenir
à brève échéance ?
M. OTTAVI
. - Air Afrique s'était alignée sur Air France.
Nous l'utilisons chaque fois que nous le pouvons, chaque fois d'ailleurs que
l'exécution d'une reconduite frontière est sans danger.
Malgré l'escorte nous avons débarqué des reconduits dont
l'opposition était telle qu'elle était incompatible avec la
tranquillité minimum d'un vol. Dans ce cas précis, le Code
Pénal prévoit dans ses textes une procédure pour refus
d'embarquement et la personne est écrouée.
M. LE RAPPORTEUR
. - Quelles sont les autres compagnies utilisées
le plus fréquemment ?
M. OTTAVI
. - Beaucoup d'autres.
M. LE RAPPORTEUR
. - Tout dépend des destinations.
M. OTTAVI
. - Nous avons toujours fait appel à l'ensemble des
compagnies. C'est une question non seulement économique, mais aussi
pratique. Je voudrais définir le périmètre et le contenu.
75 % des reconduits partent sans escorte. Beaucoup d'étrangers en
situation irrégulière partent librement, mais nous ne les
connaissons pas. 25 % partent avec des escortes.
Au moment où je vous parle, le problème se cristallise sur trois
points précis. Le Mali d'abord, la Chine et le Congo-Brazzaville enfin.
En Chine, d'une manière générale, les difficultés
rendent quasi nécessaires les escortes, toujours pour la
sécurité du vol. Le paysage qui se présente devant nous
n'est pas un problème général. Demain peut-être,
l'évolution géopolitique changera ces données.
M. LE RAPPORTEUR
. - Les risques de troubles à l'occasion d'un vol
comprenant des étrangers en situation irrégulière faisant
l'objet d'une mesure d'éloignement vous paraissent-ils suffisamment
importants pour fonder la position récente des compagnies
aériennes ?
M. OTTAVI
. - Il ne m'appartient pas de me prononcer là-dessus.
M. Spinetta le dira au nom d'Air France. Moi, en tant que responsable
d'une administration et me fondant sur les observations des préfectures
ou de mes collaborateurs, sur Roissy c'est l'homme du terrain et pas moi qui va
évaluer l'escorte nécessaire. Par contre, j'en prends la
responsabilité.
Je prends un seul exemple. Au cours de cette période, était
prévu l'embarquement de 7 Maliens. On m'a téléphoné
pour m'avertir que la situation risquait d'être compliquée. Une
escorte de 14 avait été décidée. J'ai donné
le feu vert pour placer l'escorte nécessaire.
M. LE RAPPORTEUR
. - Combien de personnes avez-vous réunies?
M. OTTAVI
. - 17 personnes sont parties avec les 7 Maliens, de
mémoire.
Dans la reconduite à la frontière, la mise en oeuvre des moyens
nécessaires par l'Etat est indispensable, afin que tout se
déroule normalement. Il y va même de l'intérêt du
fonctionnement de notre administration.
M. LE RAPPORTEUR
. - Avez-vous reçu des consignes
spécifiques pour prévenir et réprimer certains
agissements, notamment de certaines associations, tendant à
empêcher l'exécution de mesures d'éloignement ?
M. OTTAVI
. - C'est l'application de la loi.
M. LE PRÉSIDENT
. - Des passagers ont été poursuivis
pour complicité et opposition à la justice.
M. OTTAVI
. - Je répète qu'il s'agit de l'application de la
loi. Autrefois, ce type de manifestation n'avait pas lieu.
Il existe plusieurs manières d'empêcher un avion de partir. La
première est, pour les passagers, de prendre fait et cause et d'aller au
contact des reconduits et de l'escorte. Nous allons passer de la
vérification judiciaire puis, éventuellement, incrimination pour
coups et blessures, rébellions, injures et outrages.
Une deuxième attitude face à certains passagers, convaincus par
les propos tenus au moment de l'enregistrement par des gens qui exprimaient
leurs sentiments -nous sommes dans une démocratie- de telle
manière que cela constituait un trouble à l'ordre public, c'est
l'application de la loi pour des distributeurs de tracts, application de la loi
pour des passagers qui, bien que ne s'étant pas portés
vigoureusement au secours des reconduits, ont manifesté une attitude
passive et, par exemple, n'ont pas obéi aux ordres du commandant de
s'asseoir et de boucler leur ceinture.
M. LE PRÉSIDENT
. - Les passagers sont retournés chez eux ?
M. OTTAVI
. - Oui, nous sommes restés dans le cadre strict de la
loi. Mais ils ont été placés en garde à vue.
M. LE PRÉSIDENT
. - Le jugement n'a pas été encore
prononcé ?
M. OTTAVI
. - Non.
M. LE RAPPORTEUR
.- Compte tenu des derniers incidents,
l'affrètement de vols spécifiques pour l'éloignement
d'étrangers en situation irrégulière n'apparaît-il
pas plus efficace d'un strict point de vue policier ?
M. LE PRÉSIDENT
. - Le charter ne répond-il pas à
une nécessité objective compte tenu des difficultés que
vous notez et du nombre de fonctionnaires que vous devez mobiliser ? Sur
Bamako, pour un étranger qui part, il vous faut prévoir 4
fonctionnaires ?
Une autre approche du problème n'est-elle pas de répondre plus
globalement ? Tout ceci est sur un plan strictement technique. Nous
laissons l'appréciation politique du problème de
côté, qui n'est pas, je vous l'accorde Monsieur le Directeur, de
votre niveau.
M. OTTAVI
. - Merci de cette précision extrêmement
importante. Je m'exprime donc en tant que technicien.
Le vol groupé ne peut pas être employé pour deux ou trois
personnes.
Dans le fonctionnement de l'administration, le rythme quotidien fondé
à partir de l'interpellation et de la saisine des préfectures...
M. LE PRÉSIDENT
. -...C'est-à-dire les 10 000.
M. OTTAVI
. - Oui, mais jour par jour. Tout à l'heure, l'on a
parlé des pics. En effet, ils peuvent exister après un concours
de circonstances. Je suis à la tête de ce service depuis 15 mois
et, en cas de pic, je réagirais immédiatement.
Au rythme quotidien sauf circonstances particulières, je n'ai pas le
nombre d'étrangers d'une même nationalité susceptibles de
pouvoir constituer un vol spécial affrété.
M. LE PRÉSIDENT
. - Pourquoi était-ce le cas
autrefois ?
M. OTTAVI
. - Le contexte était tout autre.
M. LE PRÉSIDENT
. - Depuis votre nomination, aucun charter n'a
été affrété ?
M. OTTAVI
. - Si, quatre ou cinq.
M. LE PRÉSIDENT
. - Vous savez pourquoi ?
M. OTTAVI
. - A un instant donné, une population suffisante
était réunie, d'une même nationalité et susceptible
d'être renvoyée.
M. LE PRÉSIDENT
. - C'est le charter du Mali où des
incidents à l'arrivée se sont produits.
M. OTTAVI
. - Par exemple. Celui-là, je l'ai malheureusement connu.
M. LE PRÉSIDENT
. - Les fonctionnaires ont été
molestés.
M. OTTAVI
. - Oui, ils ont été blessés.
M. LE PRÉSIDENT
. - Donc vous savez très bien ce qui s'est
passé à cette occasion ?
M. OTTAVI
. - A l'arrivée ?
M. LE PRÉSIDENT
. - Vous disiez que les charters ne sont pas
nécessaires car il n'y a pas un grand nombre de personnes regroupables
à un moment donné. Dans ce cas précis, ce fut pourtant le
cas.
M. OTTAVI
. - Non. Toujours d'un point de vue technique, le vol
groupé n'est pas une alternative au vol régulier. Pour imaginer
un vol groupé, un vol affrété après une
décision politique, il faut avoir la population éloignée.
Actuellement, pour des raisons que je ne peux pas expliquer autrement que par
le constat, je n'ai pas au quotidien le flux nécessaire.
Le vol affrété n'est pas une alternative.
Il faudrait organiser dans les 12 jours au plus tard, une réserve
conduisant à l'affrètement d'un charter.
M. LE PRÉSIDENT
. - Ce fut le cas en mars.
M. OTTAVI
. - Oui. En même temps, des sortants de prison ont
été reconduits par ce vol.
En effet, une coïncidence peut permettre d'organiser un nombre de sortants
de prison, constituant avec les interpellés au travers des
contrôles quotidiens, une population.
M. LE PRÉSIDENT
. - Vous n'excluez pas le charter, mais il
dépend des flux.
M. OTTAVI
. - Et d'une décision politique. Ce ne sont pas des
éléments techniques.
M. LE PRÉSIDENT
. - D'un point de vue technique, le charter est
nécessaire si vous avez des flux importants à un moment
déterminé.
M. OTTAVI
. - En 1996, parmi les 12 000 reconduites à la
frontière, les vols groupés ont représenté
1 000 passagers, soit presque 10 %.
Une partie de ces 1 000 passagers se répartit sur des vols
réguliers, ce qui donne une idée en terme de réelle
efficacité de la part que représente les vols
affrétés. C'est pourquoi je me permets d'insister, et du point de
vue technique, sur la vision la plus large possible des modes de transport, des
compagnie différentes et des diverses techniques qu'il conviendrait de
mettre en oeuvre pour faire respecter la loi en observant un rapport
décent sur les moyens employés.
M. LE RAPPORTEUR
. - Monsieur le Directeur, pouvez-vous exposer
l'état de la coopération avec nos principaux voisins ?
M. LE PRÉSIDENT
. - Comment sont organisées les
autorités d'accueil ?
M. OTTAVI
. - Elles sont prévenues par la voie diplomatique
d'abord -sous réserve de problèmes prévisibles, car nous
ne prévenons pas de tous les retours- et par la saisine
systématique, ensuite partout où se trouve un attaché de
police du STIP. C'est le cas pour le Mali, également pour le
Sénégal, la Roumanie.
Dans la technique, il y a le préavis du commandant de bord. Plus
l'affaire paraît difficile plus nous investissons dans l'explication et
la préparation du commandant de bord.
Il y a l'avis des autorités d'arrivée par le canal diplomatique
et par le STIP afin que les autorités qui ont une part de
responsabilité puissent être suffisamment informées et
arrêter les décisions nécessaires.
M. LE RAPPORTEUR
. - Comment la question de l'éloignement des
étrangers en situation irrégulière est traitée dans
les principaux pays d'immigration ?
M. OTTAVI
. - La Grande-Bretagne utilise des vols réguliers, les
escortes je n'en connais pas les chiffres. Il y a des éloignements
forcés, entravés aussi.
M. LE PRÉSIDENT
. - Ce n'est pas le cas chez nous ?
M. OTTAVI
. - Si.
M. LE PRÉSIDENT
. - Pas dans l'avion ?
M. OTTAVI
. - Pas au décollage ni à l'atterrissage. Mais si
dans l'avion, au moment de l'embarquement ou pendant le vol, l'étranger
met en péril sa sécurité, celle de l'escorte ou celle des
passagers il est entravé par des menottes ou des bandes velcroc parce
qu'il se débat.
M. LE PRÉSIDENT
. - Jamais bâillonné ?
M. OTTAVI
. - Jamais. Je ne voudrais pas que le ton prenne une forme
d'ironie. Les hurlements démontrent qu'ils ne sont ni
bâillonnés ni drogués. En Allemagne, quelques vols sont
affrétés avec la Roumanie et un avec le Viêt-nam, mais en
quantités peu importantes. Ils ont recours à des vols
réguliers, escortés ou pas comme nous et entravés
sérieusement.
L'Italie a dû organiser deux à trois vols groupés,
notamment sur la question Kurde, mais avec des Egyptiens arrivés avec
les Kurdes en direction de l'Egypte. Elle utilise également des vols
réguliers. L'Espagne, la Belgique c'est pareil. En Hollande, la notion
d'escorte et d'entrave est peut-être encore plus stricte.
M. LE RAPPORTEUR
. - Pratiquement tous les pays européens
procèdent de la même façon.
M. OTTAVI
. - En effet.
M. LE PRÉSIDENT
. - Aucune étude n'a été
lancée de votre direction ? L'intérêt de l'information
générale est de montrer que la France n'est pas un pays
d'exception où, en définitive, l'on bafoue le droit des gens. Les
autres pays qui souscrivent comme nous à la Convention européenne
des droits de l'homme et qui participent des grands principes
démocratiques font pareil. Tout au moins est-ce votre jugement.
M. OTTAVI
. - Absolument. J'ai demandé à l'Institut des
Hautes Etudes de Sécurité d'inscrire cette année à
son programme un certain nombre de points, notamment sur ce qui se passe
auprès de nos partenaires et des PECO dans la perspective de
l'élargissement. Je leur soufflerai une piste supplémentaire, qui
est en quelque sorte par essence ce que l'on peut attendre d'eux, à
savoir qu'ils se penchent au-delà des quelques propos que j'ai pu vous
tenir et qui me reviennent d'une information des officiers de liaison. Entre
les pays partenaires, nous avons des échanges d'officiers de liaison
étrangers à Paris, dont quelques-uns dans mon service et
quelques-uns de mon service dans les différentes capitales d'Europe
occidentale. Ce sont eux qui m'ont donné des informations au fur et
à mesure que l'actualité se présentait.
Ceci me permet de vous informer aujourd'hui que les principaux pays d'Europe
occidentale pratiquent, pour quelques uns d'entre eux, des vols groupés
en fort petit nombre. Les Pays-Bas n'en ont plus fait depuis un an, l'Allemagne
très peu et l'Italie seulement deux ou trois. Ce sont les charters.
Ils procèdent par vol régulier avec et sans escorte. Mais c'est
à l'image de ce qui se passe en France ni plus ni moins.
M. LE RAPPORTEUR
. -L'observation de la pratique de ces pays d'un point
de vue strictement policier vous conduit-elle à souhaiter une
modification des méthodes employées en France ?
M. OTTAVI
. - Non. Nous disposons d'un BUREL, d'une unité
nationale d'escorte, d'un ensemble de services spécialisés. Nous
progressons notamment avec les sortants de prison.
M. LE PRÉSIDENT
. - Vous ne souhaitez pas de modification
substantielle des méthodes utilisées en France, ni de la
réglementation.
M. OTTAVI
. - Non.
M. LE RAPPORTEUR
. - J'en ai terminé, Monsieur le Président.
M. LE PRÉSIDENT
. - Merci Monsieur le Rapporteur. Il nous reste
deux minutes avant l'arrivée de M. Spinetta. Avez-vous des
questions ?
M. DEMUYNCK
. - Combien de vol d'Air France ont-ils été
perturbés au départ, compte tenu de l'embarquement de ces
personnes que l'on ramène ?
A partir du moment où le commandant de bord a décidé de
partir, avez-vous connaissance d'incidents qui ont mis en cause la
sécurité des passagers ?
M. OTTAVI
. - Sur la première question, je ne sais même pas
si le traitement des statistiques permettrait de retrouver les vols Air France.
C'est Wagon-lits qui procède à l'ensemble des
réservations. Concernant les incidents propres à Air France, les
derniers ont été portés à votre connaissance.
Après le décollage de l'avion, oui des incidents se sont
produits, y compris récemment au moment de l'arrivée.
Les moments plus délicats pendant la durée du voyage sont
l'escale, le transit et l'atterrissage. Certains incidents se sont produits,
dont certains ont connu des débordements que nous connaissons.
M. LE PRÉSIDENT
. - Mes chers collègues, nous allons
libérer M. le Directeur de la DICCILEC, M. Ottavi.
Je serai l'interprète de tout le monde pour le remercier de la
qualité de sa prestation, de sa franchise et la façon tout
à fait claire dont il nous a répondu tout au long de ce
questionnaire.
Monsieur le Directeur, vous ne m'en voudrez pas d'avoir cherché à
préciser le paysage qui est difficile. Nous étions chacun dans
notre rôle. Vous avez rempli le vôtre avec beaucoup
d'efficacité.
M. OTTAVI
. - Je vous remercie, Monsieur le Président.
M. JEAN-CYRIL SPINETTA,
PRÉSIDENT DIRECTEUR
GÉNÉRAL
ET M. JOËL CATHALA, DIRECTEUR DE LA
SÛRETÉ
DU GROUPE AIR FRANCE
JEUDI 30 AVRIL
1998
M. LE
PRÉSIDENT
. - Nous allons entendre M. le Président Directeur
Général d'Air France, qui n'était pas prévu dans le
calendrier initial mais dont l'audition s'est avérée
nécessaire compte tenu des difficultés que nous avons
récemment notées en ce qui concerne le rapatriement
d'étrangers en situation irrégulière sur le territoire et
qui étaient frappés d'un arrêté de reconduite
à la frontière.
Je remercie Monsieur Spinetta ainsi que M. Cathala Directeur de la
Sûreté du groupe Air France, d'être présents
aujourd'hui pour répondre à notre préoccupation.
Nous devons vous entendre sous la foi du serment.
(M. le Président donne lecture des dispositions de l'article 6
de l'ordonnance du 17 novembre 1958 ; M. Jean-Cyril Spinetta et
Joël Cathala prêtent serment).
M. LE PRÉSIDENT
. - Monsieur le Rapporteur, pouvez-vous engager le
débat ?
M. LE RAPPORTEUR
. - Monsieur Spinetta, pouvez-vous exposer les
difficultés que vous avez recensées à l'embarquement et
à l'arrivée des vols d'Air France comprenant des étrangers
reconduits ?
Quels sont les problèmes de sécurité qui ont pu se poser
au cours de ces vols ?
M. SPINETTA
. - Air France a enregistré plusieurs séries
d'incidents, qui ne sont pas récents. Ils peuvent être
classés selon le moment du vol où ils se situent.
D'abord, à partir de 1994, sur des destinations particulièrement
sensibles comme le Mali, le Zaïre ou la Chine, des incidents se sont
produits au moment de l'embarquement des reconduits. La presse les a parfois
relatés. Il s'agit d'interpellation des passagers, de disputes parfois
de bagarres.
C'est donc une première série d'incidents au moment de
l'embarquement des passagers. Pour y répondre, une mesure a
été prise à partir de 1994 de préembarquer les
reconduits sur les avions pour éviter ces phénomènes au
moment de l'embarquement.
Ensuite, à partir de 1996, des incidents se sont passés au moment
du roulage de l'avion, c'est-à-dire quand il quitte la passerelle et se
dirige vers la piste pour décoller. Nous avons connu plusieurs
incidents. Un est survenu le 5 octobre 1996 sur un vol vers Bamako partant de
Paris Roissy. Deux passagers reconduits se sont levés, ont ouvert la
porte arrière gauche de l'appareil et ont tenté de sauter de
l'appareil au moment du roulage. Ils ont été
maîtrisés par les policiers d'escorte, mais l'incident aurait pu
être grave puisqu'un des policiers a failli être
précipité par la porte.
D'une part l'avion roulait, d'autre part il faut compter 5 mètres entre
la porte de l'avion et la piste, et les conséquences auraient pu
être relativement préoccupantes.
Le troisième type d'incidents sont ceux qui se produisent entre les
reconduits et les membres de l'équipage. Parfois il arrive -ce fut le
cas une fois- que l'intégrité physique des membres de
l'équipage ait été mise en cause. Sur un vol le
19 juillet 1997, un chef de cabine a reçu un coup de tête de
la part d'un des passagers reconduits, ce qui a eu pour lui des
conséquences médicales relativement lourdes.
Le quatrième type d'incidents se produit à l'arrivée du
vol dans le pays, au moment où l'avion se pose dans le pays où
sont reconduits les personnes présentes sur le vol. Parmi ces incidents,
un a été particulièrement lourd. Il concernait un vol
affrété par le Ministère de l'Intérieur le 27
février 1997. C'était un avion de la filiale d'Air France, Air
Charter qui comptait 77 ressortissants maliens escortés par 42
fonctionnaires de police. A l'arrivée du vol, à Bamako, s'est
produit une véritable mutinerie. La presse en a assez longuement
parlé. L'appareil a été très très
sérieusement endommagé, voire partiellement détruit avec,
pour l'équipage, des dommages physiques assez lourds compte tenu de
l'intensité des disputes à bord de l'appareil.
Enfin, des incidents peuvent survenir à bord, pendant le vol. Le dernier
cas est celui qui a été le plus relaté sur un vol Air
France, le 1er avril 1998 sur Bamako avec 7 personnes reconduites et une
escorte de 16 policiers. Des passagers présents sur le vol ont pris fait
et cause pour les personnes reconduites. Une véritable bataille
rangée a eu lieu à l'arrière de l'appareil, mais au moment
où l'avion n'était pas posé, c'est-à-dire dans les
10 minutes qui précédaient l'atterrissage de l'avion. Dans cette
phase toujours très délicate d'un vol qui est celle de
l'atterrissage, ce type d'événement peut avoir des
conséquences très significatives. J'ajoute que les hôtesses
et les stewards avaient été obligés de se réfugier
à l'avant de l'appareil. Les mesures de sécurité les
concernant, à savoir le fait d'être assis et sanglés, n'ont
pas pu être observées. Des sièges et même des hublots
en plastique intérieurs de l'appareil ont été
brisés.
Voilà donc les catégories d'incidents que nous rencontrons
à l'embarquement, pendant le roulage, à l'arrivée de
l'appareil et pendant le temps de vol juste avant l'arrivée de
l'appareil au pays de destination.
Ces incidents concernent essentiellement quelques pays tels que le Mali, le
Zaïre qu'Air France ne dessert plus en ce moment le Congo et la Chine. Sur
les autres destinations, nous n'avons pas connu d'incidents notables.
M. LE RAPPORTEUR
. - Le directeur de la DICCILEC vient de nous
l'indiquer, il y a un instant.
Quelles mesures spécifiques avez-vous prises pour prévenir et
remédier aux difficultés rencontrées ?
M. SPINETTA
. - Je vais brosser un rapide historique de la situation
depuis 1994.
Premièrement le Ministère de l'Intérieur centralise
désormais les opérations de reconduite dans les rapports avec les
transporteurs, en tout cas avec la compagnie nationale Air France, tandis
qu'auparavant le BUREL de la DICCILEC s'en chargeait.
Deuxièmement une convention a été signée le 15
septembre 1994 avec le Ministère de l'Intérieur. Elle porte la
date du 28 juillet, mais j'ai vu que la date de signature était bien
celle du 15 septembre 1994. Elle définit une procédure et, pour
les différentes catégories de reconduits à la
frontière, les modalités de cette reconduction avec escorte ou
sans escorte, en distinguant les avions gros porteurs d'une capacité
supérieure à 100 places avec 2 couloirs, des avions moyens
porteurs d'une capacité supérieure à 100 places avec un
seul couloir.
Cette convention a prévu les règles d'accompagnement ou de non
accompagnement des reconduites à la frontière. Elle est toujours
d'application. Elle est renouvelable annuellement par tacite reconduction et
elle peut être résiliée par l'une des deux parties par
lettre recommandée avec un préavis de 3 mois.
Cette convention s'est appliquée. Suite au dernier incident concernant
ce vol sur Bamako le 1er avril, et compte tenu des problèmes de
sécurité qui auraient pu se poser, nous avons pris une mesure
conservatoire en date du 2 avril 1998, donc au lendemain des incidents, mais il
s'agissait bien d'une mesure conservatoire. Elle consiste à poser un
embargo sur les passagers avec ou sans escorte à destination de Bamako.
Pendant la durée de cette mesure conservatoire qui, à
l'époque, n'était pas fixée, Air France n'accepte plus sur
les vols Paris/Bamako de reconduit avec ou sans escorte.
M. LE PRÉSIDENT
. - Est-ce conforme à la convention ?
M. SPINETTA
. - Non puisque la convention prévoyait des mesures
différentes. Mais je vais y revenir.
Nous avons limité sur le reste du réseau, à un seul
reconduit avec escorte, les possibilités que nous acceptions sur les
avions d'Air France.
Quel problème une compagnie aérienne doit résoudre,
à quelles difficultés doit-elle faire face ?
Il existe une contradiction entre une convention signée qui
prévoit un certain nombre de règles et les responsabilités
propres de l'entreprise, notamment du commandant de bord en matière de
sécurité et de sûreté des vols.
Le code de l'aviation civile, dans trois de ses articles L 322-4, L 422-2 et L
422-3, définit précisément les responsabilités du
commandant de bord et énumère qu'il a la faculté de
débarquer toute personne pouvant présenter un danger pour la
sécurité ou le bon ordre de l'aéronef ;
Qu'il est responsable de l'exécution de la mission ;
Qu'il a autorité sur toutes les personnes embarquées et a la
faculté de demander à toute personne de l'équipage ou des
passagers, qui peut présenter un danger pour la sécurité,
de ne pas être présent à bord du vol.
M. LE RAPPORTEUR
. - Pourriez-vous nous laisser un exemplaire de la
convention ?
M. SPINETTA
. - Bien entendu.
La convention prévoyait des escortes. Dans le cas des avions gros
porteurs, notamment à destination des pays d'Afrique où, en
général, ce sont des A 310, elle prévoyait une
escorte de 2 fonctionnaires de police pour 4 à 6 reconduits, 3
fonctionnaires de police pour 7 à 9 reconduits, 4 fonctionnaires pour 10
à 12 reconduits et 5 pour 13 à 15 reconduits.
Quand j'ai évoqué l'incident du 1er avril sur Bamako, j'ai fait
état de 7 personnes reconduites et de 16 fonctionnaires de police. Au
moment de la signature de la convention, le 15 septembre 1994, elle
définissait des règles qui, à l'évidence, doivent
s'adapter à la réalité de la situation, aux circonstances
et aux problèmes rencontrés. Sans une demande particulière
de la part d'Air France, le Ministère de l'Intérieur avait
considéré que, pour certaines destinations
particulièrement sensibles, il devait décider de mesures
restrictives plus fortes.
M. LE RAPPORTEUR
. - Avez-vous eu un échange de
télégramme sur le renforcement des effectifs avec le
Ministère de l'Intérieur ?
M. CATHALA
. - La police décide elle-même d'un renforcement
d'effectifs.
Sur le vol dont parlait M. Spinetta, sur lequel nous avons connu un incident en
vol grave, l'escorte comptait 16 policiers pour 7 reconduits. Je rappelle que
l'émeute qui s'est produite à bord n'a pu être
maîtrisée que grâce à la présence de 3 agents
de sûreté d'Air France, qui se trouvaient à bord. Ce sont
des agents de société privée à qui nous faisons
appel pour renforcer nos mesures de sécurité. Ils sont intervenus
car la bagarre était devenue générale à bord de
l'avion.
Au total, l'on pouvait compter 19 personnes pour 7 reconduits. C'est pourquoi
nous en avons conclu que la sécurité n'était plus
assurée, malgré une escorte dépassant largement ce qui est
prévu par la convention car, normalement, elle n'aurait dû compter
que 3 policiers. Avec 19 personnes, nous avons tout juste maîtrisé
l'émeute.
M. LE RAPPORTEUR
. - C'est après cet incident que vous avez
demandé au Ministère de l'Intérieur de n'embarquer plus
qu'une personne.
M. SPINETTA
. - Nous avons demandé un embargo sur les destinations
à titre conservatoire.
M. BALARELLO
. - Comment l'avez-vous demandé ?
M. CATHALA
. - Nous en avons informé le Ministère de
l'Intérieur.
M. LE RAPPORTEUR
. - Pouvez-vous nous procurer les documents, la
convention initiale, ensuite votre demande faite, le cas échéant,
au Ministère de l'Intérieur ?
M. CATHALA
. - Ce n'est pas une demande. En tant que transporteur
aérien, la compagnie est responsable de la sécurité de ses
vols, des passagers et de l'équipage. Nous avons décidé
cette mesure car nous ne pouvions plus assurer la sécurité de nos
passagers, de nos équipages dans ces conditions d'escorte.
Il fallait donc les revoir et en discuter de nouveau avec le Ministère
de l'Intérieur. Le temps de cette discussion, nous avons pris cette
mesure conservatoire.
M. LE RAPPORTEUR
. - Vous l'avez notifié.
M. CATHALA
. - Oui, nous l'avons notifiée par
télégramme.
M. LE RAPPORTEUR
. - Vous avez notifié au Ministère de
l'Intérieur que vous suspendiez l'application de la convention.
M. SPINETTA
. - Oui, en attendant que de nouvelles conditions soient
définies d'acceptation des passagers.
M. LE PRÉSIDENT
. - Quelle a été la réaction
du Ministre de l'Intérieur ?
M. SPINETTA
. - Deux réunions ont suivi cette décision,
peut-être 3. Elles ont abouti à la fixation de règles
nouvelles à titre transitoire pour une durée de 6 mois. Nous
sommes convenus avec le Ministère de l'Intérieur de nous
réunir mensuellement pour faire le point sur la mise en oeuvre de ces
mesures décidées à titre transitoire pour une durée
de 6 mois et voir dans quelle mesure il y aura lieu de les maintenir, de les
adapter compte tenu des circonstances.
M. LE RAPPORTEUR
. - Quelle a été la réaction des
personnels navigants suite à ces incidents ?
M. SPINETTA
. - Je rappelais les articles du Code de l'Aviation Civile,
qui donnent aux personnels navigants une responsabilité
particulière en matière de sécurité des vols et
d'appréciation du caractère dangereux d'une situation
provoquée notamment par des personnes, par des passagers. C'est
évidemment une préoccupation permanente des personnels navigants
techniques que sont les pilotes et des personnels navigants commerciaux, qui
doivent parfois gérer des situations délicates.
Les syndicats des personnels navigants ou les personnels eux mêmes n'ont
pas réagi officiellement. Bien entendu, toutes ces affaires sont suivies
de manière extrêmement régulière et suscitent chez
eux beaucoup d'inquiétude.
La décision que nous avons prise à titre conservatoire a
été comprise par l'ensemble des personnels de l'entreprise,
faisant suite à ces incidents lourds du vol du 1er avril. Avant de
mettre en oeuvre les nouvelles mesures transitoires pour une durée de 6
mois, qui s'appliquent depuis le 27 avril, nous avons pris contact avec les
organisations syndicales des personnels navigants. Ils ont estimé que
ces mesures transitoires nouvelles étaient frappées de bons sens
et donc elles pouvaient s'appliquer.
Je vais vous donner ces nouvelles règles.
M. LE RAPPORTEUR
. - Vous voudrez bien nous donner les textes ?
M. SPINETTA
. - Bien entendu. Les nouvelles règles font, comme
habituellement, la distinction entre les reconduits frontière avec
escorte et les reconduits frontière sans escorte.
La première règle que nous avons établie conjointement
avec le Ministère de l'Intérieur est que, sur un même vol,
les reconduits avec escorte ne seront plus embarqués avec des reconduits
sans escorte.
La deuxième règle est que nous limitons à 2 personnes par
vol les reconduits sans escorte, avec une exception sur la liaison
Cayenne/Haïti où 3 reconduits sans escorte sont admis.
La troisième règle est que nous limitons à 3 reconduits
avec escorte par vol sur l'ensemble du réseau le nombre de reconduits
avec escorte sauf sur la destination de Bamako où un seul reconduit avec
escorte sera admis. Sur Bamako, 4 agents composent l'escorte.
Le nombre d'agents d'escorte selon les destinations sera le suivant :
Pour l'Afrique, en dehors du Maghreb et de la Chine et je viens d'annoncer la
règle particulière concernant Bamako, 1 reconduit avec escorte
2 agents d'escorte, 2 reconduits avec escorte 6 agents d'escorte, 3
reconduits avec escorte 9 agents d'escorte.
Sur les autres destinations, pour 1 reconduit avec escorte 2 agents d'escorte,
pour 2 reconduits avec escorte 5 agents d'escorte, pour 3 reconduits avec
escorte 7 agents d'escorte.
Voilà les règles qui s'appliquent depuis le 27 avril.
M. LE RAPPORTEUR
. - L'embargo était en vigueur jusqu'à
lundi.
M. SPINETTA
. - Jusqu'à lundi, l'embargo était en vigueur
sur Bamako et un seul reconduit sur les autres destinations. Jusqu'au 1er
avril, la convention de 1994 s'appliquait, mais modulée compte tenu les
circonstances par une décision antérieure. Entre le 1er et le 27
avril, embargo sur Bamako et un seul reconduit sur les autres destinations.
Depuis le 27 avril, ce sont les règles que je viens de citer.
M. LE RAPPORTEUR
. - La réaction de certains passagers vous
paraît-elle isolée ou traduit-elle un sentiment plus
général d'hostilité ?
M. SPINETTA
. - Nous rencontrons des problèmes
particulièrement sur certaines lignes et sur certaines destinations. Les
difficultés sont les plus criantes sur le Mali. Souvent, mais pas
systématiquement, les passagers font preuve de solidarité avec
les reconduits.
M. LE PRÉSIDENT
. - Des passagers de nationalité malienne,
je suppose ?
M. SPINETTA
. - Le plus souvent, mais pas seulement. De la part des
européens, nous recevons des lettres de protestations ou de
réclamations indiquant ne pas comprendre ces mesures.
D'une façon générale, sur le plan de l'ambiance et de
l'agrément du vol, les passagers trouvent souvent un peu
désagréable, pour ne pas utiliser un mot plus fort, d'être
confrontés à ce type d'incident, de dispute ou de violence alors
qu'ils ont acheté un billet commercial.
M. LE PRÉSIDENT
. - Ces incidents surviennent aussi chez les
concurrents ?
M. SPINETTA
. - Je suppose que des problèmes analogues se posent
chez les concurrents. Mais peu importe. Quand vous êtes passagers sur une
ligne commerciale, ces circonstances sont vécues difficilement par les
clients, sur un plan commercial.
M. LE PRÉSIDENT
. - Quand Sabena affrète un vol à
destination de Bamako, ces aléas se posent sans doute par les passagers
de la même façon.
M. LE RAPPORTEUR
. - Les allemands, avec les Kurdes notamment, ne
sont-ils pas confrontés aux mêmes problèmes ?
M. SPINETTA
. - Je n'ai pas de renseignement à ce sujet.
M. LE RAPPORTEUR
. - Au point de vue technique, n'est-il pas possible de
poser une séparation avec la queue de l'appareil ?
M. SPINETTA
. - Une séparation physique entre la cabine avec les
passagers commerciaux et l'endroit où sont les reconduits avec ou sans
escorte, a été envisagée. Ces systèmes ne peuvent
être que temporaires. Il est hors de question d'en équiper de
manière permanente les appareils.
C'est une procédure illusoire. C'est un rideau mobile ou un paravent
pour isoler les gens, mais il ne permet pas d'éviter au reste de la
cabine les désagréments s'ils se produisent pour ce type de
reconduits à la frontière. Ce système a été
essayé, mais les résultats n'ont pas paru pertinents.
M. LE RAPPORTEUR
. - Il n'y a aucune espèce de
séparation ?
M. SPINETTA
. - Non.
M. LE RAPPORTEUR
. - Le statut d'Air France vous semble-t-il, Monsieur le
Président, de nature à lui imposer des obligations
spécifiques pour faciliter l'exécution des mesures
d'éloignement du territoire ?
M. LE PRÉSIDENT
. - La notion de service public s'impose-t-elle au
sein d'Air France, à la demande des autorités ?
M. SPINETTA
. - Nous sommes liés par la convention de 1994. J'ai
rappelé qu'elle prévoyait des modalités de
résiliation de la part de l'entreprise ou de la part du Ministère
de l'Intérieur.
Pour l'instant, cette convention exprime un accord des parties : le
Ministère de l'Intérieur et la compagnie nationale Air France. Il
est tout à fait clair que cette dernière, pour des
problèmes exclusivement liés à la sécurité
et à la sûreté des vols, a la possibilité que lui
offre le code de l'aviation civile d'interrompre les opérations, si elle
estime que la sécurité est en cause.
C'est ce qui a été fait dans le cadre des mesures conservatoires
du 2 avril. Il n'existe pas d'obligation du service public au sens strict, qui
ferait obligation à Air France de se trouver dans une situation
particulière par rapport aux autres compagnies aériennes.
M. LE PRÉSIDENT
. - Le statut public d'Air France ne crée
pas une situation particulière par rapport à des compagnies
aériennes à statuts privés ?
M. SPINETTA
. - Tout à fait.
M. LE RAPPORTEUR
. - Quelle appréciation portez-vous sur les
relations de votre compagnie avec les services de police pour la mise en oeuvre
des mesures d'éloignement ? L'entente est-elle bonne ?
M. SPINETTA
. - J'ai suivi les discussions qui ont eu lieu entre le 2 et
le 27 avril pour des mesures s'appliquant maintenant. La prise en
considération est réelle par les services de police des
difficultés qu'ils connaissent et auxquelles ils doivent faire face en
premier lieu. Ils les comprennent, les admettent.
Le fait que nous nous soyons mis d'accord sur les dispositions transitoires que
je viens de rappeler montre que les services de police comprennent nos
difficultés et les mesurent mieux que personne.
Sur le plan des relations quotidiennes, je laisserai la parole à
M Cathala.
M. CATHALA
. - Quand une mesure d'éloignement est prise, nous en
sommes informés à travers la réservation de vol qui est
faite par Wagon-lits, l'opérateur sous contrat avec le Ministère
de l'Intérieur. Il est signalé que le vol va comprendre un
reconduit. Nous en informons le commandant de bord. La Direction de la
Sûreté dont j'ai la responsabilité fait l'interface avec
les services de police pour organiser au mieux.
Nous restons vigilants sur les modalités d'embarquement, qui ont
été déterminées par le Ministère de
l'Intérieur. Nous préembarquons les reconduits,
c'est-à-dire avant les autres passagers. Ils sont placés
plutôt au fond de l'appareil. Des procédures de place sont prises
dans l'avion.
Ceci étant, nous veillons au respect des quotas prévus dans nos
accords. Les commandants de bord y veillent également puisque c'est leur
responsabilité. C'est au moment de l'embarquement que se produisent ou
pas, selon les cas, des incidents. Il s'en produit avec les reconduits, mais
aussi parfois avec des passagers non-admis. Ce sont des étrangers qui
ont été refoulés, à l'arrivée sur le
territoire, que la police ne laisse pas rentrer et donc qui doivent repartir.
Cette catégorie est hors quotas car c'est la convention de Chicago qui
nous l'impose.
Nous sommes en contact permanent avec les services de police pour faire en
sorte que les procédures que nous avons définies ensemble soient
respectées.
M. LE PRÉSIDENT
. - Quand êtes-vous prévenus en
général ?
M. CATHALA
. - 24 heures avant l'embarquement.
M. LE RAPPORTEUR
. - Estimez-vous que les difficultés
rencontrées à la fin du mois de mars et au début du mois
d'avril à l'aéroport de Roissy-Charles de Gaulle sont ponctuelles
ou, au contraire, traduisent-elles une difficulté plus
générale à mener à bien l'éloignement
d'étrangers en situation irrégulière par la voie
aérienne ?
M. SPINETTA
. - Je ne crois pas que l'on puisse dire que ces
difficultés sont ponctuelles.
En ce qui concerne les catégories d'incidents auxquelles Air France
avait été confrontée, je suis remonté en 1994. Ils
se produisent essentiellement sur les destinations du Mali. Nous nous trouvons
confrontés à une situation qui n'est pas conjoncturelle. Sur la
destination de Bamako, c'est une situation d'incidents
répétitifs.
Nous avons recensé 116 incidents de toute nature dans des vols avec
reconduits, à bord de nos avions, depuis le 16 novembre 1996 et au
départ du seul aéroport de Roissy-Charles de Gaulle.
M. LE PRÉSIDENT
. - Sur le Mali ?
M. SPINETTA
. - Non, sur l'ensemble du réseau.
M. LE RAPPORTEUR
. - Avec une majorité sur Bamako ?
M. SPINETTA
. - En termes statistiques peut-être pas, mais en terme
d'intensité des incidents oui. Ce sont ceux que le commandant de bord ou
le chef de cabine signale. Il peut s'agir d'incidents relativement
bénins, mais aussi plus lourds. Par conséquent, la situation ne
me paraît pas conjoncturelle.
M. LE PRÉSIDENT
. - Lors d'une précédente audition,
je parle sous contrôle de M. le rapporteur, je me souviens avoir entendu
parler de 10 à 15 reconduites à la frontière, tous
les jours de Roissy, par vol aérien.
Je ne sais pas si cette multiplication est vraie, toutefois si vous multipliez
10 par 360 jours, cela donne 3 600 qui, sur 2 ans, font 7 200
rapportés à 116. Le pourcentage apparaît effectivement
faible.
M. SPINETTA
. - Comme nous l'avons vu dans la convention entre Air France
et le Ministère de l'Intérieur, par vol, en règle
générale, il y avait plusieurs reconduits. En comptant 6 à
8 personnes par vol, l'on peut en recenser environ 700 toutes compagnies
aériennes confondues.
M. LE RAPPORTEUR
. - De nouveaux incidents graves pourraient-ils fonder
une nouvelle décision de suspendre les reconduites sur certains
vols ?
M. SPINETTA
. - Nous aurons maintenant à apprécier les
choses et à les suivre. Les mesures et les dispositions transitoires qui
ont été arrêtées me paraissent de nature à
pouvoir effectuer ces opérations dans les meilleures conditions du point
de vue de la sécurité, qui est le seul domaine dans lequel Air
France a une responsabilité propre, qu'elle se doit d'exercer. Quand une
disposition transitoire est arrêtée, il me semble que les
problèmes de sécurité doivent être
maîtrisés.
Si les faits relatés n'étaient pas de nature à remettre en
cause la sécurité des passagers et des vols, qui est le seul
domaine où Air France doit s'interroger légitimement, je ne vois
aucune raison de remettre en cause les dispositions arrêtées.
J'insiste sur le fait que toutes les mesures prises par Air France sont
fondées uniquement sur l'aspect sécurité des vols,
sécurité des passagers et sécurité des
équipages. C'est notre ligne de conduite. Je crois qu'il ne peut pas y
en avoir d'autres.
Nous avons apprécié la situation de cette manière et nous
continuerons de le faire ainsi.
M. LE PRÉSIDENT
. - Vous ne voyez aucune difficulté
croissante ?
M. SPINETTA
. - Tous les mois, les dispositions transitoires
arrêtées feront l'objet d'une réunion avec les responsables
du Ministère de l'Intérieur pour vérifier que les
conditions de leur mise en oeuvre sont acceptables du point de vue de la
sécurité. Nous allons suivre ce dossier avec le Ministère
de manière très régulière.
Si le dispositif trouve son point d'équilibre, je ne vois aucune raison
de prendre des mesures nouvelles. Je répète que la
sécurité est l'angle d'attaque de la Compagnie Air France et sur
lequel, en informant le Ministère de l'Intérieur, nous pouvons
être amenés à décider de dispositions
particulières.
M. LE PRÉSIDENT
. - Les intéressés sont-ils
menottés dans l'avion ?
M. SPINETTA
. - Je crois qu'il existe tous les cas de figure. Prenons un
incident qui s'est produit samedi dernier. Il ne s'agissait pas de reconduits,
mais de 3 non-admis sur un vol sur Bamako. Un était sans escorte et les
deux autres avec une escorte de 4 policiers. Ceux qui étaient sous
escorte ont donné lieu dans l'avion à une contestation assez
violente de la part de passagers, qui ont pris fait et cause pour eux. Les
policiers ont estimé qu'il valait mieux ne pas insister, quitter le vol
et interrompre les opérations. Par contre, le non admis sans escorte est
resté à bord du vol et est parti à Bamako sans
difficulté.
M. LE PRÉSIDENT
. - Ils n'ont pas été
menottés ?
M. SPINETTA
. - Non, je ne crois pas. Mais je vais laisser
répondre M. Cathala.
M. CATHALA
. - Les services de police apprécient s'il faut
entraver ou pas les non-admis. L'attitude des passagers reconduits varient,
certains sont très violents, d'autres ne le sont pas.
D'abord il faut l'accord du commandant de bord qui, à bord de l'avion,
est responsable de la sécurité et du bon ordre. Il peut
lui-même demander que ces passagers soient entravés ou qu'ils ne
le soient plus pour des raisons de sécurité. L'escorte reste
soumise in fine à sa décision.
M. LE RAPPORTEUR
. - Vous n'avez jamais eu connaissance de personne
bâillonnée ou droguée ?
M. CATHALA
. - Non. S'ils étaient drogués, ils ne seraient
pas violents. Pas un cas de personne bâillonnée ne nous a
été signalé. Parfois, nos équipages nous ont
parlé de gens entravés, mais ce n'est pas très
fréquent.
M. LE RAPPORTEUR
. - Compte tenu des derniers incidents,
l'affrètement de vols spécifiques pour l'éloignement
d'étrangers en situation irrégulière n'apparaît-il
pas plus efficace et plus sûr ?
M. SPINETTA
. - J'hésite à me prononcer. Je ne me
prononcerai pas d'ailleurs. J'ai rappelé tout à l'heure que l'un
des incidents les plus lourds s'était produit le 27 février 1997
à l'arrivé sur Bamako. L'avion a été très
largement détruit et incendié.
Il s'agissait d'un Boeing 737 d'Air Charter, filiale d'Air France
affrété par le Ministère de l'Intérieur pour
reconduire au Mali 77 ressortissants Maliens escortés par 42
fonctionnaires de police. Une véritable mutinerie s'est
déclenchée à Bamako.
Air France a l'expérience, à travers sa filiale Air Charter non
seulement, mais également sur des vols affrétés, de
circonstances difficiles.
J'ajoute un point qui n'a pas été signalé dans les
questions que vous m'avez posées, Monsieur le rapporteur. Ce n'est pas
systématique, mais il peut arriver notamment au Mali, que nos
équipages qui sont en attente parfois pendant quelques jours dans le
pays, soient soumis localement à des pressions ou à des menaces
assez fortes de la part d'une partie de la population. Tout ceci crée
des tensions vives.
Sur les vols affrétés, nous avons donc connu un incident
extrêmement lourd.
M. LE RAPPORTEUR
. - Avec les autorités locales à Bamako,
il n'existe aucune difficulté ?
M. SPINETTA
. - Non.
M. LE RAPPORTEUR
. - Les deux dernières questions sont les
suivantes :
Comment est traitée la question de l'éloignement par voie
aérienne chez nos principaux partenaires, les européens en
particulier ?
Quelle est la nature des difficultés rencontrées par les
compagnies aériennes étrangères et comment celles-ci
sont-elles traitées ?
M. LE PRÉSIDENT
. - Etes-vous en concertation avec elles ?
M. SPINETTA
. - Je dois avouer mon ignorance de la manière dont
ces problèmes sont traités par les autres pays européens,
dans les relations avec leurs compagnies aériennes. Je vais laisser la
parole à M. Cathala.
M. CATHALA
. - Il n'existe pas de concertation avec les autres compagnies
aériennes pour savoir comment elles traitent ce problème.
Quand nous avons connu cet incident sur le vol du 1er avril et que nous avons
pris une mesure d'embargo, la compagnie Air Afrique qui a connu elle aussi des
incidents à l'embarquement à Roissy nous a contactés pour
signifier qu'elle ne prenait plus personne. Ils se sont alignés sur la
mesure d'Air France. Nous les avons informés que nous modifions nos
mesures depuis lundi. Ils sont absolument indépendants des autres
opérateurs. Ils ne savent pas quelle décision ils vont prendre.
Quant à Sabena, un incident est survenu à Bruxelles où
l'escorte française a été prise en partie pendant le
transit à Bruxelles. C'était un vol Paris/Bruxelles,
Bruxelles/Bamako. Mon homologue de la Sabena m'a contacté pour
connaître les dispositions que nous décidions. Je lui ai
rappelé notre position, qui ne préjuge pas du fond du
problème, mais simplement de la sécurité des vols, de nos
équipages et de nos passagers. Sabena est en train de
réfléchir à ce problème.
Mais il n'existe pas de concertation précise entre les compagnies
aériennes sur ce problème.
M. LE RAPPORTEUR
. - Sabena rencontre-t-elle les mêmes
difficultés avec les étrangers qui immigrent en Belgique, ceux
qui viennent de l'ex-Congo par exemple ?
M. CATHALA
. - Je ne saurais pas vous répondre.
M. LE PRÉSIDENT
. - Il apparaît utile d'engager cette
concertation avec les différentes compagnies amies et voisines, et qui
se trouvent situées dans les mêmes conditions que vous. Vous
n'ignorez pas le traité d'Amsterdam, ni les positions que la commission
doit prendre au terme des traités, de mener une politique de
l'immigration communautaire dans les 5 années qui suivent la
ratification du traité.
Il est bien évident que ce problème se posera à
l'échelon européen et non plus national, au tout début du
siècle prochain. N'est-ce pas une bonne occasion de concertation avec
les Anglais, les Hollandais qui comptent de nombreux ressortissants de ce qui
était, il y a encore un demi-siècle, les Indes
Néerlandaises ?
Le problème Kurde sera incontournable dans les 10 années qui
viennent, qu'ils soient de Turquie, d'Irak ou d'Iran. Ne parlons pas du
problème chinois, que nous avons devant nous et que les compagnies
aériennes doivent traiter avec les difficultés que vous
connaissez.
N'est-ce pas l'occasion pour une réflexion de fond entre les compagnies,
qui ne sont qu'agents prestataires, mais où elles ont des
intérêts communs et une sécurité à assurer,
en même temps qu'une concurrence à éviter ?
M. SPINETTA
. - Vous avez raison, Monsieur le Président, cette
réflexion peut être envisagée pour savoir comment les
problèmes se passent dans les autres compagnies européennes.
M. LE PRÉSIDENT
. - Schengen nous l'a imposé avec
l'obligation de payer pour un passager qui se serait introduit de façon
irrégulière et dont vous auriez à assumer le transport.
Une disposition légale a été prise à ce sujet. Les
mêmes obligations sont affectées aux compagnies concurrentes.
M. LE RAPPORTEUR
. - J'en ai terminé.
M. LE PRÉSIDENT
. - Merci Monsieur le rapporteur.
Avez-vous des questions, chers collègues ?
M. MAMAN
. - Premièrement, puisque les départs sont
nombreux, est-il possible de les espacer ?
Deuxièmement, quels sont les moyens mis à la disposition de
l'escorte à bord ? Jusqu'où peut-elle agir ? Par
exemple, a-t-elle des armes ? Je suppose que non, mais jusqu'où
peut-elle utiliser la violence pour limiter l'action des personnes qui sont
rapatriées ?
M. SPINETTA
. - D'abord concernant les réservations par le
Ministère de l'Intérieur, via le bureau spécialisé
de la DICCILEC et via Wagon-lits distributeur du Ministère, la
convention de 1994 indique que l'administration bénéficie pour
ces places d'une priorité pour accéder au quota de places
disponibles.
C'est la règle. C'est l'article 7 de la convention. Une règle de
priorité est donnée pour que l'administration puisse
bénéficier des places dont elle a besoin : "
Air
France privilégiera la réservation de places pour les
éloignés présentés par l'administration dans le
respect des quotas
". Les quotas sont ceux de l'escorte, que
j'évoquais précédemment.
Ensuite, concernant les modalités de comportement des forces de police,
Air France n'intervient pas. Vous avez évoqué le problème
des armes. Il n'y en a pas à bord des avions. Cette règle
s'applique à ces opérations comme à d'autres. Le
commandant de bord n'a pas à intervenir sauf s'il estime que la
sécurité du vol est menacée par une bagarre, une dispute,
des cris, bref une ambiance non propice à un vol se déroulant
dans de bonnes conditions. A ce moment précis, il peut réclamer
des mesures particulières pour que le vol continue dans de bonnes
conditions.
Les personnels de l'entreprise n'interviennent pas dans la nature des
décisions prises par l'escorte. Les reconduits sont placés sous
sa responsabilité et c'est à elle de prendre les mesures qu'elles
estiment nécessaires pour que le vol se déroule le mieux
possible.
M. ALLOUCHE
. - Dans l'hypothèse la plus favorable,
c'est-à-dire un nombre de reconduits avec un minimum d'incidents, vous
est-il possible de nous fournir une estimation du nombre de reconduites
possibles par Air France, ses filiales ? Et quelles sont, d'après
vous, les compagnies aériennes européennes et amies qui
pourraient nous aider dans cette tâche, en tenant compte des conventions
passées, des escortes nécessaires et des conditions de
sécurité primordiales ?
Quel peut être le chiffre optimum ?
M. SPINETTA
. - Je ne suis pas capable de répondre à cette
question parce que les destinations sur lesquelles il y a des reconduits sont
relativement peu nombreuses. Nous ne tenons pas à jour de chiffres
statistiques relatifs au nombre d'opérations de reconduites
effectuées par Air France. Aussi étrange que cela puisse
paraître, il n'existe pas de chiffre statistique précis permettant
de préciser le nombre total de personnes qui ont été, dans
le cadre de l'application de la convention de 1994, reconduites sur les vols
d'Air France.
Dix à 15 personnes par jour, 3 650 par an sont des ordres de
grandeur possibles.
Compte tenu des nouvelles dispositions prises à titre transitoire pour
une durée de 6 mois, il est probable que le nombre de reconduits sera
inférieur à ce qu'il était précédemment.
Mais sans base statistique permettant de comparer la situation ancienne
à la situation nouvelle, j'ai du mal à répondre à
votre question.
M. DEMUYNCK
. - Quand des éloignés sont
débarqués parce qu'ils perturbent un vol, quel est le
comportement d'Air France pour un autre retour éventuel sur un autre
vol ? Décidez-vous que ces passagers, ayant mis en cause la
sécurité des passagers, ne doivent plus être
représentés ou acceptez-vous qu'ils repartent sur un autre
vol ?
Par ailleurs, votre convention comporte-t-elle un article qui prévoit
des conditions tarifaires ?
M. SPINETTA
. - Je prends l'exemple le plus récent. Il ne
concernait pas des reconduits, mais des gens non-admis. Un incident un peu
lourd s'est passé samedi dernier. Sur le premier vol de samedi, les
policiers eux-mêmes ont estimé que les conditions n'étaient
pas réunies pour qu'il se déroule dans de bonnes conditions. Donc
ils ont décidé d'en descendre. La reconduite s'est
effectuée le lendemain sur le vol d'Air France sur Bamako, qui partait
à 11 heures du matin.
M. DEMYNCK
. - Ce sont des non-admis donc vous avez obligation de les
reconduire.
M. SPINETTA
. - Nous n'intervenons pas sur les problèmes
d'appréciation a priori de dangerosité de telle ou telle
personne. C'est à la police qu'il appartient de le faire. Elle fixe les
règles. Nous n'intervenons que si le vol lui-même est
perturbé dans les conditions de sécurité.
Je reviens toujours à cette règle, mais notre
responsabilité s'arrête -elle est importante- à tout ce qui
concerne la sécurité du vol. Si une opération se passe mal
avec telle ou telle personne elle peut se dérouler de manière
plus normale dès lors que les fonctionnaires de police ont traité
le problème d'une manière différente.
Pour ce qui concerne les conditions commerciales, le tarif applicable aux
étrangers à éloigner du territoire métropolitain
est le tarif le plus bas existant sur la relation concernée, sans qu'il
soit tenu compte des conditions requises pour l'application de ce tarif. C'est
l'article 8 de la convention relatif aux conditions tarifaires.
M. DUFFOUR
. - Vous expliquez que, pour la prochaine année, c'est
un chiffre optimum mais admettons 3 650 reconduites éventuelles.
Vous avez rajouté que ce chiffre serait certainement plus bas.
A partir des données que vous avez précisées à
propos des mesures de sécurité, combien de fonctionnaires vont
être mobilisés pour accompagner tous ces gens dans leur pays
d'origine ?
M. SPINETTA
. - Je ne l'ai pas calculé, mais le nombre de
fonctionnaires sera sûrement important.
Je ne suis déjà pas capable de calculer le nombre de reconduits
qui vont être sur la Compagnie sur Air France, alors a fortiori sur le
nombre de fonctionnaires qui seront nécessaires... Il existe des
règles.
M. LE PRÉSIDENT
. - Le rapport établira le calcul et le
coût de l'opération apparaîtra dans les conclusions.
M. CATHALA
. - 12 000 policiers ne sont pas nécessaires pour
reconduire 3 000 étrangers. Ce n'est pas une estimation en nombre,
mais en temps qu'il convient de faire. C'est le temps consacré par ces
fonctionnaires qui doit être estimé.
M. LE PRÉSIDENT
. - Les trois destinations les plus difficiles
sont Brazzaville, Bamako et Pékin.
M. MAMAN
. - En Chine, les incidents vont-ils jusqu'à des actes de
violence vis-à-vis du personnel ?
M. CATHALA
. - Nous avons enregistré pour des ressortissants
chinois, Maliens ou de l'ex-Zaïre des gens qui cassent des sièges
ou qui commettent des dégâts à bord de l'avion, et les
Chinois également.
M. LE PRÉSIDENT
. - Ces incidents ont lieu à Pékin
ou au départ ?
M. CATHALA
. - Au départ.
Mme POURTAUD
. - Monsieur le président, lorsque des passagers avec
ou sans escorte faisant l'objet d'une mesure de reconduite sont prévus
à bord d'un appareil, puisque vous en êtes informés les
autres passagers le sont-ils également avant le départ où
découvrent-ils le fait en montant à bord ?
Deuxièmement, avez-vous pu d'une manière ou d'une autre, si tant
est que vous l'ayez recherché, évalué si ces reconduites
présentaient des conséquences commerciales pour la compagnie sur
ces destinations ?
M. SPINETTA
. - Les passagers ne sont pas informés. Nous sommes
prévenus 24 heures à l'avance par le Ministère de
l'Intérieur des opérations qui seront faites, en règle
générale. Nous n'avons pas le temps matériellement
d'informer les passagers, de la présence sur le vol de reconduits
à la frontière.
Quant aux conséquences commerciales, oui il y en a et nous les mesurons
parfaitement à travers le courrier que nous recevons de la part de
passagers présents sur des vols sur lesquels les incidents se sont
produits et qui témoignent assez fréquemment de leur
incompréhension face aux événements. C'est parfois
davantage que de l'incompréhension.
Honnêtement, nous n'arrivons pas à le mesurer en termes de
chiffres de trafic commercial sur ces lignes. Le plus souvent, les choses se
passent sans reconduits et, même quand il y en a, le plus souvent sans
incident.
J'ai annoncé 116 incidents depuis 1996. Nous ne détectons pas,
sur le plan commercial, des clients qui ne nous seraient plus fidèles
par crainte d'être confrontés à des situations de ce genre
sur un vol qu'ils prennent, vers l'Afrique ou ailleurs. Ce n'est pas
significatif.
M. LE RAPPORTEUR
. - Comment procèdent les Etats-Unis, par exemple
avec l'immigration chinoise ou vietnamienne ? Est-ce un éloignement
par avion ? Vous n'avez aucun renseignement à ce sujet ?
M. SPINETTA
. - Non.
M. LE PRÉSIDENT
. - Il nous appartiendra peut-être de
rechercher comment procèdent les autres. Dans ces matières, nous
sommes toujours très hexagonaux, nous sommes très gaulois !
Nous détenons à nous seuls la vérité et nous
agissons.
D'autres rencontrent les mêmes problèmes. Je ne vois pas pourquoi
les Etats-Unis n'auraient pas, vis-à-vis de la Jamaïque ou
d'Haïti, des problèmes de rapatriement, je sais même qu'il y
en a de féroces.
Monsieur le Président Directeur Général je crois
être l'interprète de tout le monde pour vous dire combien nous
avons apprécié votre contribution à notre recherche, sur
un thème ingrat, vous nous l'accorderez, et combien nous avons
été heureux de vous entendre. Nous vous remercions de vos
réponses qui sont, me semble-t-il, tout à fait simples, claires
et appréciées.
Je remercie également M. CATHALA qui nous a fourni des informations
précises et techniques sur les problèmes qui nous importent.
M. SPINETTA
. - Je vous remercie Monsieur le Président.
MME MARTINE AUBRY,
MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE LA
SOLIDARITÉ
JEUDI 7 MAI 1998
M.
MASSON, président
- Mesdames, Messieurs, la séance est
ouverte.
Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin Mme Martine Aubry, ministre de
l'emploi et de la solidarité, chargée de l'intégration et,
à ce titre, compétente en termes de famille, d'enfance, de droits
des femmes, de personnes âgées et d'immigrés.
Je suis très honoré de votre présence, malgré les
lourdes charges qui vous reviennent.
Sont excusés Mmes Dusseau et Pourtaud, MM. Camoin, Marquès et
Blaizot.
Nous devons vous entendre sous la foi du serment.
(M. le Président donne lecture des dispositions de l'article 6
de l'ordonnance du 17 novembre 1958 ; Mme Martine Aubry
prête serment).
M. le rapporteur va maintenant vous poser un certain nombre de questions sur la
façon dont la circulaire du ministre de l'intérieur du 24 juin
est appliquée, sur ses conséquences et sur les conditions dans
lesquelles la procédure d'aide au retour a été
engagée...
M. BALARELLO, rapporteur
- Deux séries de questions, l'une
concernant la procédure d'aide au retour et l'autre relative aux
conséquences sociales des régularisations. J'y ajouterai une
dernière série à propos de l'Europe. Même si cet
aspect du problème vous concerne moins directement, il n'en demeure pas
moins intéressant.
S'agissant de la procédure d'aide au retour, croyez-vous que le nouveau
dispositif d'aide au retour instauré par la circulaire du 19 janvier
1998 sera plus attractif que ceux qui l'ont précédé ?
Mme AUBRY, ministre de l'emploi et de la solidarité
- Monsieur le
Président, Monsieur Le Rapporteur, Messieurs les sénateurs, tout
d'abord je voudrais rappeler les opérations de régularisation
précédentes, sachant qu'elles ont des optiques différentes
de celle mise en place l'année dernière.
Lors de la régularisation de 1981, les personnes arrivées en
France et présentant, avant cette date, un contrat de travail d'une
validité d'au moins un an, pouvaient être
régularisées. En 1991, il s'agissait de demandeurs d'asile
déboutés.
Aujourd'hui, le dispositif mis en oeuvre touche un certain nombre de
catégories de personnes qui, pour des raisons diverses, ne pouvaient
être régularisées, ni même très souvent
expulsées. Ces catégories sont toutefois beaucoup plus
réduites. Ceci entraînera donc certainement, à la fois en
termes quantitatifs, mais aussi qualitatifs, des modifications importantes par
rapport à 1981 et 1991.
Vous avez parlé d'un dispositif plus attractif : cela concernait-il le
dispositif d'aide au retour ou de régularisation ?
M. LE RAPPORTEUR
- ... D'aide au retour.
Mme LE MINISTRE
- La circulaire du 19 janvier 1998 reprend le dispositif
mis en place en 1991, en le complétant, sur l'accompagnement social des
intéressés.
Ces deux dispositifs organisent une préparation au retour, mais celui de
1998 accompagne les mesures administratives, sociales et financières par
des mesures psychologiques, assurées par l'office des migrations
internationales, comme par des organismes et des associations qui ont
été conventionnées avec lui. Quatorze conventions sont
aujourd'hui signées et 35 sont en cours de signature.
Pourquoi ce dispositif peut-il être plus attractif ? ... Le Gouvernement
a dit simplement les choses : nous avons, par circulaire, défini un
certain nombre de catégories, en précisant que ceux qui ne
seraient pas régularisés devraient retourner dans leur pays. La
volonté du Gouvernement ne fait pas de doute !
Sur le plan financier, l'aide au retour est de 4.500 francs, plus 900 francs
par enfant à charge, mais nous avons tiré les conséquences
des précédentes régularisations et prévu que cette
allocation soit remise pour moitié au moment du départ et pour
moitié versée dans le pays de retour, ce qui paraît une
sage précaution.
En outre, des accords ont été signés avec certains pays,
afin de suivre les intéressés, en collaboration avec l'OMI et les
associations sur place. L'aide qui leur est apportée peut aller
jusqu'à 24.000 francs. C'est le cas au Mali, au Sénégal et
en Mauritanie. Nous pouvons ainsi aider ces personnes à
développer un projet de réinsertion professionnelle.
M. LE RAPPORTEUR
- Pourrez-vous nous adresser la liste des conventions
signées et de celles en cours de signature ?
Mme LE MINISTRE
- Tout à fait...
Ce programme de développement local migrations, appelé PDLM, est
signé aujourd'hui au Mali, au Sénégal et en Mauritanie et
est en cours de discussion en Tunisie, au Maroc, en Turquie et en Roumanie.
En effet, nous aurions intérêt à développer ce type
de projet pour un certain nombre de pays.
Beaucoup de personnes qui entrent sur notre territoire le font pour des raisons
économiques, et nous avons donc tout intérêt à aider
au développement de ces pays si l'on souhaite enregistrer un changement
de cette situation.
La décision prise par le Premier ministre de créer une
délégation interministérielle au co-développement
va dans le même sens. Il s'agit d'essayer de développer des
dispositifs d'aide au retour afin de faciliter tous les retours volontaires,
mais aussi d'essayer de développer les pays d'origine.
Nous souhaitons gérer la mobilité dans des conventions mutuelles
avec ces pays répondant aux intérêts des Etats, favoriser
l'émergence de systèmes de crédit mutualisés,
coopératifs, décentralisés, et drainer l'épargne
immigrée vers l'investissement productif dans le pays d'origine.
Ce co-développement lié aux migrations internationales peut avoir
un triple effet : il peut aider certaines personnes à repartir dans leur
pays, y compris ceux en situation régulière ; il peut
également drainer une partie de l'épargne réalisée
par les salariés étrangers sur notre territoire en direction du
pays d'origine, autour de projets sérieux et accompagnés ; enfin,
il peut permettre le développement des pays sous certains angles, en
évitant ainsi que les flux migratoires en provenance de ces pays ne
soient trop importants.
M. LE RAPPORTEUR
- Pourrez-vous nous adresser une note exhaustive sur
ces problèmes ?
Mme LE MINISTRE
- Bien sûr.
M. LE PRÉSIDENT
- Nous vous interrogions sur
l'attractivité de ce dispositif, les précédents n'ayant
pas donné de grands résultats...
Mme LE MINISTRE
- C'est vrai. Jusqu'à présent, il n'y a
pas eu, en termes quantitatifs, énormément de retours aux pays.
Je puis d'ailleurs vous communiquer les chiffres précédents...
Le dispositif d'aide publique à la réinsertion,
expérimenté en 1984 et pérennisé en 1987, a
concerné 63.000 personnes pour les années 1985 à 1987. Ce
dispositif reposait principalement sur la signature de conventions avec des
entreprises en restructuration, notamment dans le secteur automobile, et a
profondément décru ces dernières années : 311
personnes en 1996 et 286 en 1997...
Le dispositif d'aide à la réinsertion de 1991 pour les
déboutés du droit d'asile a concerné quant à elle
8.200 personnes, mais 1.599 en 1995 et seulement 1.016 ans 1997. On voit donc
bien qu'il y a eu une diminution assez forte de ces dispositifs.
Aujourd'hui -mais nous ne sommes qu'au début des demandes d'aide au
retour, puisqu'une fois la décision prise, les personnes
concernées ont un délai d'un mois pour pouvoir déposer un
dossier- on compte 2.500 demandes d'information sur l'aide au retour. Par
ailleurs, 400 dossiers ont été déposés et 200
personnes sont effectivement parties.
Les dossiers concernent principalement des Turcs, des Algériens, des
Maliens, des Marocains et des Tunisiens.
M. LE PRÉSIDENT
- Noue aurons l'occasion de revenir sur ces
chiffres, qui nous paraissent à la fois intéressants et faibles.
Il y a sans doute quelques causes à cela...
M. LE RAPPORTEUR
- Ceci me permet de vous poser la seconde question...
La publication de la circulaire du 19 janvier 1998, sept mois après
celle sur les régularisations, ne risque-t-elle pas d'affecter le
succès de l'opération et de faire obstacle à
l'éloignement des non-régularisés ?
M. LE PRÉSIDENT
- Ces sept mois d'écart nous ont paru
fâcheux...
M. LE RAPPORTEUR
- Comment expliquez-vous un tel retard dans la
publication de cette circulaire ?
Mme LE MINISTRE
- Ce délai n'a privé personne de la
possibilité d'aide au retour. Il n'y a eu aucune rupture entre le
précédent dispositif, qui remontait à août 1991, et
celui de janvier 1998.
Si j'ai dit que le dispositif actuel était plus intéressant,
c'est parce qu'il accompagne d'une aide psychologique, mais aussi d'une aide au
projet, les personnes qui souhaitent repartir.
Cela dit, les aides financières préexistaient, et un
étranger en situation irrégulière qui l'aurait voulu ,
aurait pu en bénéficier avant le mois de janvier
En second lieu, la circulaire prévoit que les intéressés
disposent d'un délai d'un mois à compter de sa publication, ou de
la remise de l'invitation à quitter le territoire, IQF, si celle-ci est
faite postérieurement.
Or, si les premières IQF ont été notifiées
dès le mois de juillet 1997, les premiers arrêtés
préfectoraux de reconduite à la frontière ont
été notifiés en avril dernier, soit plus de deux mois
après la publication de la circulaire. C'est à ce moment qu'un
certain nombre d'étrangers en situation irrégulière
prennent conscience de la situation et contactent l'OMI pour vérifier
leurs possibilités de quitter le territoire.
J'ai donc la conviction que la publication de cette circulaire, en janvier, n'a
pas entraîné de retard dans les retours au pays.
La qualité de cette circulaire, ainsi que la nécessité de
discuter et de négocier avec certains pays ou certaines associations
accompagnant les personnes en situation irrégulière retournant
dans leur pays, expliquent ce délai, qui en fait sans doute un
dispositif plus complet et plus attractif pour ceux qui doivent repartir chez
eux.
M. LE PRÉSIDENT
- Le Ministre de l'intérieur, pour sa
part, s'est plaint ici-même publiquement de la lenteur des
procédures administratives...
Mme LE MINISTRE
- Je n'ai pas à m'exprimer sur les propos du
ministre de l'intérieur. J'ai donné les chiffres tout à
l'heure... Encore une fois, je ne crois pas que le délai a causé
des difficultés ou des retards dans les retours au pays.
M. LE RAPPORTEUR
- Comment expliquez-vous le faible nombre de demandes
d'aide au retour enregistrées jusqu'à présent ? Je
remarque que l'on compte seulement 41 dossiers déposés pour le
Mali.
Mme LE MINISTRE
- Une fois la décision de
non-régularisation prise, les étrangers en situation
irrégulière exercent leur droit de recours. Une seconde
décision intervient ensuite, et c'est seulement après que
l'arrêté de reconduite à la frontière leur a
été présenté que la conviction de partir s'impose
à eux. Ils se renseignent alors sur les dispositifs qui leur permettent
de repartir dans les meilleures conditions.
Je suis persuadée -et c'est pourquoi nous avons renforcé les
moyens de l'OMI- que l'on va avoir une accélération
extrêmement forte des demandes d'aide au retour dans les semaines qui
viennent.
M. LE RAPPORTEUR
- Quelle évaluation faites-vous du nombre final
de demandeurs de l'aide au retour parmi les personnes
non-régularisées ?
Mme LE MINISTRE
- Il n'y a pas d'évaluation de mes services ;
dans ce domaine, je me garderai bien de tout pronostic.
Je souhaite -et la volonté du Gouvernement a été
très claire- mettre fin à un certain nombre d'états de
fait qui tournaient parfois à des situations inextricables, certains
étrangers n'étant ni régularisables, ni expulsables, et
d'autres, ayant des enfants français, n'arrivant pas à travailler
pour faire vivre leur famille sur notre territoire. La volonté du
Gouvernement est cependant tout aussi forte, dès lors que ces personnes
ne remplissent pas ces critères, de les reconduire à la
frontière !
Ces procédures, du fait des recours -qui sont nécessaires dans
une démocratie- nécessitent quelques délais, mais nous
sommes dans un circuit qui fonctionne maintenant normalement, et je pense que
nous allons enregistrer un nombre de demandes plus important.
Je suis bien entendu dans l'incapacité de dire combien
d'étrangers recourront à ces procédures. Il est vrai que,
dans ces milieux comme dans d'autres, le bouche-à-oreille joue
énormément, et j'espère qu'un certain nombre de personnes
viendront nous voir pour retourner dans leur pays dans les meilleures
conditions, car nous y avons tous intérêt. Certains pays, comme le
Mali, ont parfois été troublés par la façon dont
certains retours se sont opérés...
Nous souhaitons que ces retours s'effectuent de la manière la plus
correcte possible, non seulement au niveau des droits de l'homme, mais aussi
économique, psychologique et social.
M. LE PRÉSIDENT
- Le directeur de l'OMI nous a indiqué
qu'il existait une prévision budgétaire de 10.000 aides au retour
pour l'exercice du budget 1998, et que l'on pouvait espérer des
crédits supplémentaires en cas de besoin. Le chiffre de 10.000 ne
vous paraît-il pas optimiste ?
Mme LE MINISTRE
- Je n'en sais rien. Il s'agit d'un crédit
évaluatif, qui pourra être dépassé si
nécessaire.
M. LE PRÉSIDENT
- Nous sommes au mois de mai...
Mme LE MINISTRE
- Cela ne fait que deux mois, du fait des recours, que
le processus fonctionne à plein.
M. LE PRÉSIDENT
- Si les intéressés attendent les
résultats de leur recours gracieux et contentieux pour déposer un
dossier d'aide au retour, nous risquons d'attendre un peu !
M. LE RAPPORTEUR
- Pour quelle raison le Gouvernement a-t-il
décidé la création, le 24 avril dernier, d'un
délégué interministériel au co-développement
et aux migrations internationales ? Cette décision est-elle la
conséquence de l'échec rencontré par la procédure
d'aide au retour ?
Mme LE MINISTRE
- J'ai déjà dit un mot de la raison pour
laquelle le Premier ministre a décidé de créer la
délégation interministérielle. Je crois que le
co-développement présente un intérêt profond...
M. LE PRÉSIDENT
- Quelle en est la définition ?
Mme LE MINISTRE
- Par rapport à l'aide au développement,
le co-développement laisse à penser -et je crois qu'il faut
arriver à le construire- que les pays ont intérêt à
mettre ce dispositif en place et le réaliser ensemble.
Il ne s'agit pas d'une aide sous forme d'assistance aux pays qui ont besoin de
se développer, mais d'une aide organisée à la fois par le
pays d'origine et par le pays d'accueil, par des Français, mais aussi
par des citoyens de ces pays, autour de plusieurs possibilités.
En premier lieu, un certain nombre d'étrangers en situation
régulière décident de repartir chez eux, parce que nous
les avons aidés à monter des projets qui aideront leur pays
d'origine.
En outre, il faut organiser la collecte de l'épargne qui se fait
aujourd'hui de manière bilatérale et isolée, pour aider
à la mise en place de projets sur le terrain.
Tout ce qui se fait aujourd'hui autour du fleuve Sénégal et au
Mali, où certains villages s'organisent avec les personnes qui sont sur
notre territoire et qui habitaient précédemment dans ces
villages, afin de développer un puits, une école, un dispensaire
d'accès aux soins, me paraît aller dans le bon sens.
Nous souhaitons aussi, au titre du co-développement, aider à la
coopération entre les Etats mais aussi entre les entreprises et entre
les associations.
Nous voyons de plus en plus -et je le constate dans le domaine de la
santé- comment un co-développement et des relations
bilatérales entre des hôpitaux français et ceux des pays
où l'état de santé est difficile, permettent de
développer des conditions de maintien au pays.
Il s'agit donc encore une fois d'avoir une vision qui soit moins une vision
d'assistance qu'une vision destinée à faire en sorte que ces pays
se prennent en mains, pour aider au développement.
M. LE PRÉSIDENT
- ... Et à quoi correspond la nomination
du délégué interministériel au
co-développement ? Je crois qu'il vous est rattaché...
Mme LE MINISTRE
- En effet...
Cette nomination correspond à la volonté de faire
d'expériences isolées une véritable politique. Je ne pense
pas, à terme, que la délégation interministérielle
au co-développement doive rester ainsi : elle devra devenir un
élément naturel de la politique de notre pays et, sans doute,
être intégrée à la Direction des populations de
l'immigration, en parallèle avec le travail mené par l'OMI.
Il est cependant important, dans un période expérimentale, que ce
délégué puisse porter ces projets dans les pays d'origine
et auprès des ressortissants qui se trouvent sur notre territoire, et
essaye de monter, avec des associations et des entreprises, un certain nombre
d'expériences innovantes qui puissent être reconnues, afin de
permettre le développement de beaucoup d'autres.
M. LE PRÉSIDENT
- Ce délégué aurait pu
être rattaché au ministre délégué à la
coopération...
Mme LE MINISTRE
- Oui, s'il s'était agi d'un
élément de coopération ou d'aide au développement
classique, c'est-à-dire de l'apport par la France de crédits ou
d'aides techniques à ces pays.
Ainsi que je l'ai dit, il s'agit d'aides apportées en règle
générale par des ressortissants des pays concernés qui
sont actuellement installés sur notre territoire...
M. LE PRÉSIDENT
- C'est un recyclage, une mobilisation...
Mme LE MINISTRE
- C'est cela même...
M. LE PRÉSIDENT
- Il n'est pas interdit de penser que des
crédits du ministère de la coopération puissent être
affectés à cette tâche...
Mme LE MINISTRE
- Les crédits du ministère de la
coopération aident au développement de ces pays, mais dans le
cadre d'une aide bilatérale. Dans le cas précis, nous souhaitons
aussi mobiliser l'épargne des ressortissants autour de projets de
développement. Il est très important que nous soyons capables
d'aider ces projets et d'étendre le dispositif.
Le ministère de la coopération finance par ailleurs les
structures d'appui -associations, ONG, bureaux d'études aux projets de
réinsertion- pour un montant maximum de 8.000 francs.
M. LE RAPPORTEUR
- Autre question concernant le
délégué interministériel : M. Sami Naïr a
déclaré dans la presse le 4 mai dernier que "la mondialisation
exacerbe les mouvements migratoires et nous oblige à gérer plus
souplement les flux". Le Gouvernement partage-t-il cette conception ? Cette
prise de position correspond-elle aux objectifs assignés à M.
Sami Naïr dans ses fonctions de délégué
interministériel au co-développement et aux migrations
internationales ?
Mme LE MINISTRE
- Vous faites sans doute référence
à une interview publiée par Le Monde, un peu tardivement
d'ailleurs, car elle a été réalisée avant la
nomination de M. Sami Naïr, d'après ce qu'il m'en a dit, et
était en fait relative au rapport qu'il a remis au Gouvernement.
Il voulait, par la phrase que vous avez relevée, lier de manière
forte la maîtrise des flux et la coopération. L'idée qui
est aussi la sienne -et qui me paraît bonne- est d'essayer de favoriser
des flux temporaires.
Dans le fond, nous avons tous, depuis des années, par absence d'aides au
retour et au co-développement, favorisé le maintien de ces flux
sur notre territoire.
Le fait que certains ressortissants, en accord avec les pays d'origine,
viennent dans le but de construire un projet de développement dans leur
pays et y retournent par la suite, m'apparaît une bonne idée.
Pour le reste, M. Sami Naïr s'est exprimé en son nom. Le
Gouvernement ne reprend pas à son compte l'ensemble de ses propos qui,
encore une fois, faisaient référence au contenu de son rapport au
Gouvernement.
Il doit maintenant me faire dès proposition sur le
co-développement et le Gouvernement annoncera sa politique lorsque ces
propositions auront été étudiées par le
Gouvernement.
M. LE RAPPORTEUR
- La théorie des flux temporaires ne peut-elle
se révéler dangereuse ?
Mme LE MINISTRE
- Je ne pense pas qu'il faille organiser des flux
temporaires à grande échelle. Je prétends seulement qu'un
certain nombre de personnes restent sur notre territoire de manière
permanente parce que nous ne leur avons pas permis de retourner chez eux dans
de bonnes conditions.
La France ne doit pas être un lieu d'accueil pour des flux successifs de
ressortissants de pays étrangers, mais doit aider un certain nombre
d'étrangers, qui ont des difficultés d'insertion, à
retourner dans leur pays dans de bonnes conditions, notamment grâce
à des projets de co-développement.
Le Gouvernement ne souhaite donc pas développer des flux successifs de
personnes susceptibles de repartir dans leur pays mais, au contraire, d'aider
ceux qui se trouvent en France à n'y rester que de manière
transitoire, dans un objectif de développement.
M. LE RAPPORTEUR
- L'idée d'une gestion plus souple des flux
migratoires évoquée par M. Sami Naïr n'est donc pas
partagée par le Gouvernement...
Mme LE MINISTRE
- ... Je pense que la situation de crise que vit
aujourd'hui l'Europe ne permet pas d'organiser des flux migratoires temporaires
successifs à grande échelle. C'est une politique que pourraient
peut-être envisager des pays qui retrouveraient une forte croissance,
comme un moyen de développement des pays d'origine, mais pour ce qui
nous concerne, je pense que l'on doit favoriser le retour au pays de ceux qui
ne souhaitent pas s'installer ici de manière permanente. Pour moi, c'est
du pragmatisme !
M. LE RAPPORTEUR
- Passons à la seconde série de
questions, relatives aux conséquences sociales de la
régularisation...
Quel est le profil de la population aujourd'hui régularisée ?
Mme LE MINISTRE
- La circulaire distingue neuf catégories
d'étrangers régularisables.
Au 31 mars 1998, sur 150.000 demandes, on compte selon le ministère de
l'intérieur environ 42.000 autorisations de séjours et 40.000
rejets, soit 13,8 % pour les familles constituées de longue date, 16,3 %
pour les conjoints d'étrangers en situation régulière, 6,2
% pour les conjoints de Français, 11,5 % pour le regroupement familial,
14,8 % pour les étrangers sans charge de famille, 5,6 % pour les mineurs
âgés de plus de 16 ans entrés hors regroupement familial et
28,1 % pour les parents d'enfants nés en France.
Je remettrai bien évidemment ces chiffres à la commission.
M. LE RAPPORTEUR
- Quelle est la statistique pour les étrangers
malades ?
Mme LE MINISTRE
- Ils se trouvent dans les autres catégories, qui
représentent 3,7 %. Il y en en fait très peu -1.430 aujourd'hui.
M. LE RAPPORTEUR
- Quelles seront les conséquences de la
régularisation sur la situation de l'emploi ? N'y a-t-il pas là
un risque d'aggravation du chômage ?
Mme LE MINISTRE
- Les données disponibles pour l'instant sur le
profil des personnes régularisées correspondant aux
catégories de la circulaire ne nous permettent pas de porter un regard
clair sur la situation de ces personnes au regard de l'emploi.
Cependant, le questionnaire qui sert d'appui au diagnostic social
réalisé par l'OMI au moment de la régularisation comporte
deux volets l'un est relatif à la situation de famille du
bénéficiaire ; l'autre permet de noter les différents
domaines dans lequel un suivi social doit être envisagé, dont la
formation et l'emploi.
C'est donc à partir de ce questionnaire que nous serons capables
d'analyser véritablement la situation.
Le ministère de l'emploi et de la solidarité a d'ailleurs
conçu une importante étude de connaissance de cette population
qui aura bénéficié de la régularisation. Un dossier
a été déposé à la CNIL et un organisme
d'études est pressenti.
Pour beaucoup de ces étrangers régularisés, nous ne sommes
pas dans la même situation qu'en 1981. Beaucoup d'entre eux
étaient dans des familles déjà intégrées.
L'effet en matière d'emploi est donc très différent.
En outre, l'appel que représente la présence d'enfants sera
beaucoup moins important, puisqu'une des raisons majeures de la
régularisation réside dans le fait qu'un certain nombre avaient
des enfants Français déjà installés en France.
Bien évidemment, la capacité d'insertion dans notre
société est beaucoup plus forte, puisque le critère majeur
était un critère d'intégration sur notre territoire.
M. LE RAPPORTEUR
- Vous avez parlé d'une étude en cours
d'élaboration. Quand sera-t-elle disponible ?
Mme LE MINISTRE
- Elle n'est pas lancée encore, puisqu'il nous
faut un rapport de la CNIL...
M. LE RAPPORTEUR
- Il n'existe donc pas d'étude ?
Mme LE MINISTRE
- Cette étude pourra être faite à
partir des diagnostics sociaux réalisés par l'OMI.
Or, ceux-ci sont en cours pour un grand nombre d'étrangers
régularisés. Nous n'avons donc pas encore toutes les
données ; c'est seulement lorsque nous les aurons que nous pourrons
tirer les conséquences de cette étude, très certainement
en fin d'année.
M. LE RAPPORTEUR
- Comment entendez-vous répondre aux nouveaux
besoins de logements sociaux suscités par ces régularisations ?
Mme LE MINISTRE
- Je n'ai pas de données particulières sur
ce point, mais je pense que les critères de régularisation
portaient sur des familles largement intégrées ou sur des
étudiants en cours d'études, et donc logés...
Je pense donc que ce problème du logement doit se poser, mais de
manière marginale, dans les cas retenus dans la circulaire.
M. LE RAPPORTEUR
- Quelles seront, pour les départements, les
conséquences financières du droit ainsi ouvert à certaines
prestations d'aide sociale pour les personnes régularisées ?
Mme LE MINISTRE
- Il faut traiter l'ensemble des conséquences de
ces régularisations, car il y aura des conséquences sur les
organismes de protection sociale...
M. LE RAPPORTEUR
- C'était l'objet de ma question suivante...
Mme LE MINISTRE
- Dès lors qu'il y a régularisation, ces
personnes entreront dans le dispositif classique ; on devrait alors enregistrer
une diminution des crédits d'aide sociale globale versée par les
départements plutôt qu'une augmentation -sans que nous soyons
capables de le mesurer toutefois exactement.
Quant aux conséquences sur les organismes de protection sociale, elles
portent sur les prestations familiales et sur l'assurance-maladie.
Concernant les prestations familiales, seuls seront touchés directement
les enfants entrés hors regroupement familial, qui peuvent donner lieu
à l'ouverture de droits.
Au 31 mars 1998, le nombre de bénéficiaires de la
régularisation à ce titre est de 4.519, ce qui a permis une
estimation du nombre total de personnes régularisées attendues
à ce titre au terme de l'opération.
Par ailleurs, l'OMI a réalisé une étude par sondage sur la
composition des familles avant et après régularisation ; enfin,
les services de la CNAF disposent du montant moyen de prestations familiales
versées aux familles étrangères en fonction de la
composition de la famille. Ceci a permis au bureau des prévisions de la
CNAF -ce ne sont que des prévisions et j'y mets donc toutes les
précautions d'usage- de faire une estimation du coût global
d'ouverture du droit aux prestations familiales au titre du réexamen.
L'impact apparaît être, sous les réserves d'usage,
estimé à 190 millions de francs en année pleine. Ce
chiffre concerne toutes les prestations versées par les CAF, y compris
les aides au logement.
Cette masse, il faut le souligner, représente 0,08 % des 242 milliards
de dépenses des CAF et autres organismes débiteurs en
métropole, et 0,7 % de la masse versée actuellement.
M. LE RAPPORTEUR
- Pourrez-vous nous communiquer cette note ?
Mme LE MINISTRE
- Bien sûr...
J'ajoute que le surcoût de 25 millions du RMI est intégré
dans le chiffre de 190 millions.
Concernant l'assurance-maladie, dans le cadre des travaux préparatoires
à la mise en place de la couverture maladie universelle, la direction de
l'action sociale et celle traitant du RMI ont établi un chiffrage
estimatif du coût annuel des dépenses d'aide médicale au
profit des étrangers en situation irrégulière. En effet,
qu'il y ait ou non convention avec le pays d'origine, il existe une aide
médicale gratuite, y compris pour des personnes en situation
irrégulière lorsque la nécessité l'impose.
Le chiffre est de 300 millions de francs. Si l'on admet que 75.000 sur 150.000
obtiendront leur régularisation, la dépense moyenne annuelle
étant de 4.000 francs par personne, on arrive à une
dépense annuelle de l'ordre de 300 millions de francs, soit une somme
qui n'est pas loin de celle dépensée aujourd'hui pour les
étrangers en situation irrégulière.
Sans doute en restera-t-il un certain nombre - je ne prétends pas que
les 300 premiers millions disparaîtront totalement- mais il faut
préciser que les étrangers régularisés cotiseront
à la Sécurité sociale.
Globalement, pour l'assurance-maladie, au pire l'opération sera blanche,
au mieux, elle rapportera de l'argent !
M. LE RAPPORTEUR
- S'ils travaillent : c'est tout le problème !
Mme LE MINISTRE
- Oui, mais les critères choisis sont des
critères d'intégration, qui laissent à penser que le
travail sera plus simple pour ces catégories que pour celles qui ont
été régularisées en 1981...
M. CALDAGUÈS
- Vous avez évoqué les garanties
d'insertion produites à l'appui des demandes de régularisation.
Dans la mesure où elles résident dans des activités
préexistantes, celles-ci ne peuvent être que clandestines !
Comment conciliez-vous leur prise en compte avec la lutte contre le travail
clandestin ? Si ce n'est pas le cas, comment est-il possible d'avoir de telles
activités lorsqu'on est en situation irrégulière ?
Mme LE MINISTRE
- En effet, il n'est pas possible d'avoir une
activité déclarée en étant en situation
irrégulière.
Il ne peut donc y avoir -sauf fraude extrêmement difficile à
mettre en oeuvre- de travailleur déclaré à la
Sécurité sociale en situation irrégulière.
En revanche, le travail clandestin existe et je rappelle que les
procès-verbaux émis par les inspecteurs du travail font
apparaître qu'il ne touche que pour 10 % d'entre eux des étrangers
en situation irrégulière. Dans 90 % des cas, il s'agit soit de
Français non-déclarés soit d'étrangers en situation
régulière.
Nous travaillons actuellement à un diagnostic des dernières
mesures prises en matière de lutte contre le travail clandestin.
En 1992, j'avais moi-même renforcé les contrôles sur le
travail clandestin, notamment en généralisant la
déclaration préalable au travail, que je continue à
considérer comme l'élément majeur de lutte contre le
travail clandestin. Deux cent mille personnes avaient d'ailleurs
été par la suite déclarées à la
Sécurité sociale...
Cette déclaration avait été mise en place dans des
conditions extrêmement souples, puisque l'employeur pouvait souscrire une
déclaration soit par fax, soit par minitel ou par courrier. Il recevait
immédiatement un numéro de la Sécurité sociale
permettant d'assurer que la déclaration avait bien été
faite.
Je crois qu'il y a eu quelques assouplissements dans la pratique et dans le
contrôle. J'ai pour ma part demandé aux inspecteurs du travail
d'être très vigilants en la matière, car cette
déclaration est l'élément majeur pour pouvoir
contrôler ce type de travail irrégulier, qui a lieu chez les
commerçants ou chez les artisans.
Le travail au noir chez un particulier pose d'autres types de problèmes,
puisque l'inspecteur du travail ne peut pénétrer au domicile des
particuliers. Je souhaite, après le diagnostic qui est en train
d'être réalisé, reprendre cette législation sur le
travail clandestin, pour vérifier s'il n'y pas encore des mesures
à mettre en place, tant parce qu'il s'agit d'une règle normale de
la démocratie que parce que notre système de protection sociale
ne peut se permettre de telles fuites de cotisations !
M. LE RAPPORTEUR
- D'après les services de la préfecture
d'une dizaine de départements, de nombreux candidats à la
régularisation ont fourni des bulletins de salaire remontant à
plusieurs années. Or, qui dit bulletin de salaire dit cotisations !
Par ailleurs, quelles sont les perspectives d'intégration dans la
société française des personnes ainsi
régularisées ?
Mme LE MINISTRE
- Je l'ai dit : ces cas peuvent survenir, mais ils sont
marginaux. Il s'agit de fraudes de la part du chef d'entreprise ou de
présentation de faux papiers. C'est de plus en plus difficile, et les
mesures prises par le ministère de l'intérieur rendront encore
plus difficile la falsification de ces papiers.
D'autre part, le suivi social des personnes doit permettre -et c'est la
première fois que cela existe- de meilleures chances
d'intégration sur notre territoire.
D'ores et déjà, les constatations faites par les auditeurs
sociaux de l'OMI et des directions de l'action sanitaire et sociale sont
très encourageantes ; en effet, le questionnaire social que nous
proposons au moment de la visite médicale réalisée par
l'OMI n'est pas obligatoire.
Or, très peu de personnes refusent de se plier à cette
formalité et d'être suivies : 15 % seulement à fin mars, la
plus grande partie résultant de problèmes de traduction. Ce sont
les populations chinoises qui, en grande majorité, n'ont pu remplir le
questionnaire de suivi social qui permettra de les suivre et de les aider
à s'intégrer.
Je répète que les critères qui ont été
choisis ne laissent aucun doute quant au fait que l'intégration de ces
personnes se fera plus facilement que les fois précédentes...
M. LE RAPPORTEUR
- La préfecture de la Seine nous a
indiqué qu'il existait 7.000 demandes de régularisations
émanant de Chinois...
Enfin, ne pensez-vous pas qu'il est urgent d'unifier les législations
européennes de l'espace Schengen concernant l'immigration,
l'installation des étrangers dans l'Union européenne et les
actions de co-développement ?
Mme LE MINISTRE
- L'espace Schengen -qui commence à bien
fonctionner - me paraît être un plus dans le cadre de la
maîtrise des flux migratoires même si, au départ, il a
entraîné quelques inquiétudes et parfois même
quelques difficultés. Il faudra aller plus loin, et nous sommes
déjà allés plus loin en matière de droit d'asile au
niveau européen.
Nous devons en effet aller vers une plus grande unification de nos
réglementations et, si le co-développement fonctionne bien,
essayer de faire en sorte qu'en Europe, d'autres pays développent ce
type de liens.
M. LE RAPPORTEUR
- Merci.
M. LE PRÉSIDENT
- La discussion est ouverte.
M. ALLOUCHE
- S'agissant de la déclaration préalable
d'embauche, DPE, j'ai souvenir de ce débat, qui s'était
déroulé au Sénat il y a quelques années, et je
voudrais renvoyer mes collègues de la majorité sénatoriale
à la discussion que nous avions eue.
Vous n'aviez pas approuvé cette mesure, ce qui prouve qu'il ne suffit
donc pas de tenir des discours sur la nécessité de lutter contre
le travail clandestin : encore faut-il approuver les mesures -fussent-elles
drastiques ! Je suis d'ailleurs heureux d'apprendre que 200.000 cas ont
été ainsi réglés.
Par ailleurs, afin de tordre le cou aux rumeurs non-fondées, pouvez-vous
dire, Madame le Ministre, à quoi ont droit les personnes en situation
irrégulière dans le domaine social ?
Mme LE MINISTRE
- Je voudrais remercier M. Allouche de son soutien
à la DPE. Il est vrai que beaucoup d'artisans, de commerçants et
de petites entreprises ont fait pression ces dernières années
pour que cette déclaration soit supprimée. Je considère
que l'on ne peut à la fois prétendre lutter contre le travail
clandestin -qui porte encore une fois très marginalement sur les
étrangers en situation irrégulière- et frauder le fisc ou
la Sécurité sociale, d'autant que les moyens informatiques
permettent aujourd'hui de déclarer un salarié, avant qu'il ne
commence à travailler, avec une grande facilité !
Par ailleurs, les chiffres que j'ai cités concernent la
régularisation. Encore une fois, après les réserves
d'usage, je pense qu'ils sont fondés...
En troisième lieu, les personnes en situation irrégulière
ont essentiellement droit à des prestations liées à des
situations de détresse et d'urgence particulières.
En fait, il s'agit d'assistance à des personnes en danger : celles-ci
n'ont évidemment pas le droit aux prestations familiales classiques, au
RMI ou à d'autres diverses. Il s'agit de cas très précis
-prestations sociales à l'enfance, aide sociale dans un centre
d'hébergement ou de réadaptation sociale... Ce sont ces
dépenses, pour la plupart réalisées par les
départements, qui vont diminuer lorsque ces personnes seront
régularisées.
L'aide médicale coûte 300 millions de francs et concerne les
soins dispensés dans un établissement hospitalier ou l'aide
médicale à domicile lorsque l'intéressé est
présent de façon ininterrompue depuis trois ans sur le territoire
et est atteint d'une affection grave.
Enfin, l'allocation d'aide sociale aux personnes âgées et aux
infirmes est attribuée à condition d'avoir résidé
en France de façon ininterrompue depuis au moins quinze ans, avant
l'âge de 70 ans.
Voilà quelques prestations qui relèvent plus du respect des
droits de l'homme et de d'assistance à personne en danger qu'à
une intégration dans notre système de protection sociale !
M. BOYER
- Pour répondre à M. Allouche, je rappelle que ce
sont les collectivités locales qui payent les CCAS. Cela ne figure pas
dans vos chiffres : il faut l'ajouter !
Mme LE MINISTRE
- En effet, mais aujourd'hui, l'aide sociale
attribuée par les collectivités territoriales à un certain
nombre de travailleurs en situation irrégulière va diminuer...
M. MAHÉAS
- Madame le Ministre, la France a intégré
par le passé un nombre plus important d'étrangers, et je vois
exposer sur les panneaux de la ville de Neuilly-sur-Marne des devoirs
d'élèves de troisième relatant le rôle des
étrangers lors de la dernière guerre mondiale et
l'intégration de ces étrangers entre les deux dernières
guerres mondiales.
On est quelquefois un peu frileux, mais 145.000 régularisations
environ, même si les estimations sont revues à la baisse, 50 %
d'étrangers régularisés, ne présentent dans la
plupart des départements aucune difficulté.
Cependant, un certain nombre de sénateurs ici présents sont de la
Seine-Saint-Denis. Il est vrai que le nombre de dossiers dans ce
département est plus important qu'ailleurs. Les services
préfectoraux ont d'ailleurs fait un travail considérable :
actuellement, plus de 95 % des dossiers sont traités dans notre
département -et très correctement traités.
Toutefois, ce département ne nécessite-t-il pas un suivi
particulier -même si le rapporteur a indiqué les
difficultés de façon globale- dans le domaine de
l'éducation, du logement du travail et de l'aide sociale, certaines
communes de Seine-Saint-Denis étant particulièrement pauvres ?
Mme LE MINISTRE
- En termes statistiques, le nombre de dossiers
reçus par l'OMI à la fin du mois de mars 1998 ayant donné
lieu à régularisation est de 32.120 en Ile-de-France, dont 13.450
à Paris et 8.750 en Seine-Saint-Denis.
Comme je l'ai dit, je ne pense pas que la régularisation de ces
personnes entraîne des dépenses supplémentaires pour les
communes et les départements, au contraire.
En revanche, elle pose les mêmes types de problèmes que pour
l'ensemble des habitants de Seine-Saint-Denis.
La seule façon d'y répondre est de le faire, comme essaye le
Gouvernement, par une politique de la ville qui recrée la mixité
sociale. En effet, l'un des grands problèmes en Seine-Saint-Denis, comme
dans beaucoup de départements, de banlieues ou de quartiers, est
d'arriver à retrouver une véritable vie en société
et de faire en sorte que des catégories différentes puissent
vivre les unes à côté des autres.
Ceci permet que des enfants appartenant à des familles en
difficulté ne se retrouvent pas tous dans les mêmes écoles,
et n'entrent dans la spirale infernale de l'échec scolaire. C'est toute
la politique que nous menons actuellement, notamment en accroissant la
mixité et en donnant les moyens supplémentaires en services
publics -sécurité, éducation- à des
départements qui souffrent particulièrement d'un fort pourcentage
de personnes défavorisées.
M. CALDAGUÈS
- Je ne voudrais pas élargir nos discussions,
mais je puis vous raconter comment quelqu'un qui a un malade incurable chez
lui, soumis à une garde quasi permanente, et qui accomplit
scrupuleusement ses obligations, peut être persécuté par
l'URSSAF pour des questions de pure forme, alors que des sociétés
nationales accusent des découverts énormes auprès de
ladite URSSAF !
Vous comprendrez mieux alors pourquoi existe chez certains la tentation de
frauder, celle-ci provenant dans une large mesure d'un excès de
paperasserie, auquel a fort heureusement remédié la mesure
instituée par le Gouvernement de M. Balladur, et que le Gouvernement
actuel a diminuée !
S'agissant de la DPE, il existe des professions, notamment dans la
restauration, où la déclaration crée des
difficultés particulières. Ce sont des professions dans
lesquelles on use beaucoup de l'embauche à l'essai. Ce sont elles qui se
sont manifestées...
Enfin, vous avez dit que les prestations versées aux personnes en
situation irrégulière relevaient essentiellement de l'assistance
à personne en danger. Il a été formellement établi
par la commission d'enquête sur l'immigration de l'Assemblée
nationale qu'il existait des bénéficiaires de la
Sécurité sociale en nombre significatif en situation
irrégulière ! D'ailleurs les services de la
Sécurité sociale se sont toujours refusés à mener
une enquête à ce sujet.
Par conséquent, j'émets un doute quant aux chiffres que vous avez
cités, ainsi que sur le coût de l'aide médicale gratuite.
Je vous recommande donc de relire ce rapport...
Enfin, personne ne pense à l'accueil dans les écoles des enfants
en situation irrégulière ! On reproche aux municipalités
de pas être suffisamment prévoyantes en matière de locaux
scolaires -on l'a fait pour Paris- alors qu'on ne sait pas à l'avance
combien on aura d'enfants l'année prochaine, puisqu'on doit accueillir
les enfants en situation irrégulière ! Cela aussi a un
coût, tout comme d'autres prestations municipales !
Il ne faut donc pas oublier tout cela et, lorsqu'on s'efforce de mettre ses
collègues en difficulté, Monsieur Allouche, appréhendez
quand même un peu plus sérieusement la situation !
M. ALLOUCHE
- J'ai toujours appris que l'école était
laïque et obligatoire !
Mme LE MINISTRE
- Lorsque je suis arrivée dans ce
ministère, aucun calcul n'avait été fait sur le coût
de l'aide médicale gratuite et la couverture maladie universelle, alors
que le précédent Gouvernement, qui est resté aux affaires
durant quatre ans, avait pourtant prôné l'assurance maladie
universelle.
Dès mon arrivé, j'ai fait mener l'enquête dont je vous
parle, qui a permis à la Sécurité sociale de dire que les
étrangers en situation irrégulière lui coûtaient 300
millions de francs en prestations maladie. Elle n'était peut-être
pas réalisée au moment où l'Assemblée nationale a
travaillé sur ce sujet, mais c'est maintenant chose faite, et je
remettrai ces résultats à la commission d'enquête.
Par ailleurs, on ne peut laisser dire ce que vous avez dit...
M. CALDAGUÈS
- On peut tout laisser dire au Parlement, Madame !
Mme LE MINISTRE
- ... J'aurais peut-être dû employer une
autre formule, mais les faits sont les faits, Monsieur le Sénateur !
Vous avez dit que le non-paiement des cotisations est souvent dû à
la paperasserie et avez cité en exemple la mesure de M. Balladur.
Celle-ci ne visait pas à réduire paperasserie, mais à
accroître les aides pour emplois familiaux à des personnes qui,
représentant 0,25 % des familles françaises, ne sont pas parmi
les plus défavorisées !
Nous étions le seul pays où, sur 115.000 francs, qui
représentent le coût d'une personne à temps plein au SMIC,
l'Etat remboursait 80.000 francs, soit 2,5 fois ce que touche un RMIste ! Vous
comprendrez donc que, dans l'état où se trouvait la
Sécurité sociale, on ait pu envisager de ne pas continuer
à aider à cette hauteur des personnes qui, par ailleurs, avaient
les moyens de prendre quelqu'un à domicile à temps plein !
En ce qui concerne la paperasserie, au contraire, le Gouvernement,
derrière le Premier ministre a annoncé une réduction de
celle-ci et a décidé d'unifier les déclarations
d'entreprise, afin de pouvoir créer une société en un
jour. J'ai par ailleurs lancé, avec les organisations UPA et CGPME,
l'idée d'une négociation interprofessionnelle pour que l'ensemble
des professions acceptent le principe d'une caisse unique pour la couverture
maladie complémentaire et la retraite complémentaire des premiers
salariés.
Si le patronat est d'accord sur ce point, le ministre des affaires sociales et
l'ACOSS sont prêts à réaliser la déclaration, le
bulletin de paye et à demander à l'entreprise un seul
chèque pour l'ensemble des cotisations qui doivent être
prélevées. Nous n'avons donc pas accru la paperasserie, au
contraire !
Quant à l'aide à domicile, vous verrez, avec les mesures que je
serai amenée à prendre dans la loi de financement de la
Sécurité sociale, que nous allons essayer de soutenir l'aide
à domicile pour les personnes dépendantes handicapées et
les personnes âgées, ce qui n'a pas été tout
à fait le cas jusqu'à présent !
M. MAMAN
- Madame le Ministre, vous avez dit que vous vouliez faciliter
les retours volontaires. Quel est le processus employé ?
En second lieu, quels sont les moyens utilisés pour drainer
l'épargne des étrangers vers leur pays ?
Mme LE MINISTRE
- J'aurais dû ajouter que nous sommes en train de
mettre en place la proposition du rapport Weil, afin que les caisses de
Sécurité sociale puissent consulter le fichier des
étrangers en situation régulière tenu par le
ministère de l'intérieur. Ceci permettra d'éviter les
situations marginales de personnes qui travaillent, alors qu'elles ne sont pas
en situation régulière.
Le processus engagé pour l'aide au retour est extrêmement simple :
nous faisons connaître à l'intéressé l'aide que nous
pouvons lui apporter. S'il fait partie des pays avec lesquels nous avons une
convention d'aide au développement, comme le Mali, nous pouvons l'aider
dans son projet à hauteur de 24.000 francs.
M. MAMAN
- Sait-il où se renseigner ?
Mme LE MINISTRE
- Il suffit d'aller à la préfecture pour
qu'il soit aussitôt informé par lettre et convoqué par le
service de l'OMI, afin de lui faire connaître les différentes
possibilités.
En outre, il existe également des conventions passées avec des
associations qui peuvent fournir ces renseignements, ainsi qu'un numéro
vert que les personnes en situation régulière comme en situation
irrégulière peuvent contacter.
M. LE RAPPORTEUR
- Y a-t-il des imprimés dans les
préfectures pour les pays avec lesquels existe une convention ?
Mme LE MINISTRE
- Oui.
M. LE RAPPORTEUR
- Pouvez-vous nous les communiquer ?
Mme LE MINISTRE
- Bien sûr.
D'autre part, ce n'est pas le rôle de l'administration de collecter
l'épargne, mais plutôt aux associations. En revanche, on peut
aider les structures à collecter cette épargne, pour la renvoyer
dans les pays d'origine, afin de financer un projet particulier.
Un groupe de travail existe pour le Mali et pour quelques villages autour du
fleuve Sénégal. Je crois qu'il faut arriver à
généraliser cette opération. Aujourd'hui, ce sont les
étrangers eux-mêmes qui s'organisent et qui créent une
espèce de caisse commune pour envoyer ces fonds à
l'étranger. On peut les y aider...
M. LE PRÉSIDENT
- M. Sami Naïr semble avoir des idées
à ce sujet...
M. DEBARGE
- Une observation au sujet des travaux de la commission.
Notre volonté était de nous en tenir à l'application de la
circulaire, à sa concrétisation et aux résultats qui en
découlent. Au fur à mesure de nos réunions, nous nous
apercevons que l'environnement a beaucoup d'importance.
L'immigration est une vieille affaire en France. On ne rappellera pas qui a
fait venir les immigrés, ni pourquoi ces derniers sont venus et quelles
ont été les conséquences de certaines attitudes
politiques, mais c'est un héritage; et le nier serait nier
l'évidence !
Jacques Mahéas a rappelé que l'intégration était
une chose dont nous avions l'habitude, mais l'intégration n'est plus la
même qu'auparavant, même si la nature des uns et des autres peut
demeurer la même...
D'autre part, je pense que le problème est mondial, et si nous
n'arrivons pas à créer les conditions d'une intégration
large et constructive en Europe, les questions seront bientôt d'une autre
dimension et d'un autre risque que celles que nous nous posons actuellement !
Je n'ai pas été longtemps ministre de la coopération, mais
dans certains endroits, la situation est véritablement explosive !
L'intégration, la régularisation, sous une forme ou sous une
autre, l'aide au retour, doivent être menées sur une très
longue période.
Pour ma part, je pense que nous allons connaître des affaires
d'immigrés clandestins pendant encore longtemps. Il faut certes se fixer
un objectif, mais il n'y aura pas de miracle dans ce domaine !
On comptait 150.000 clandestins régularisables il y a un an ; il y en
aura certainement moins dorénavant, mais il en restera toujours un
certain nombre, et l'on sait que ce ne sont pas les charters qui
régleront ce genre d'affaires ! C'est pourquoi l'administration sera
obligée de tenir compte des objectifs politiques, qui peuvent fort bien
faire l'objet d'un consensus sur certaines questions...
Par ailleurs, je voudrais signaler l'exemple, en Seine Saint-Denis, d'un cas
certes particulier, qui justifierait toutefois la spécialisation de
certains services, afin de pouvoir fournir une réponse précise
aux intéressés. Ces cas sont fort rares, mais il ne faut pas
perdre de vue que l'avenir d'un individu est en jeu !
D'autre part, où en est-on des possibilités de relations avec
certaines communautés ? En Seine-Saint-Denis, 95 % des dossiers ont
été étudiés, mais il existe des nuances, et la
relation avec les immigrés en provenance du sud-est asiatique, par
exemple, est plus difficile qu'avec d'autres. La barrière du langage
n'est pas seule en cause...
M. LE RAPPORTEUR
- C'est l'une des raisons pour lesquelles je partage
votre point de vue et c'est pourquoi j'ai posé une question sur
l'harmonisation des réglementations européennes.
Mme LE MINISTRE
- Je suis très proche de l'avis exprimé
par M. Debarge. Ma conviction est que nous devrions afficher clairement les
principes de la politique d'immigration, afin que tout candidat à
l'immigration en connaisse bien les conditions. Pour le reste, je crois que
nous avons également intérêt à faire appliquer la
loi sans "coup de menton".
Aucun Gouvernement véritablement n'a réussi à traiter le
problème des personnes en situation irrégulière, sauf -et
cela a été très rare- lorsqu'ils ont affiché une
politique et ont été capables de s'y tenir.
L'immigration zéro n'existe pas. Nous avons fait venir par le
passé des flux très importants de salariés pour aider
à reconstruire notre pays et restaurer notamment sa capacité
industrielle. Il convient donc maintenant de faire appliquer la loi sans grand
discours ni "coups de menton ".
Même lorsqu'on a tenu des discours d'une extrême fermeté
vis-à-vis des étrangers en situation irrégulière,
on n'a jamais réussi à renvoyer chez eux plus de 20 % de ceux
à qui l'on avait délivré un arrêté de
reconduite à la frontière ! Même lorsque la politique
des charters était considérée comme une politique, on n'a
jamais renvoyé plus de 12.000 étrangers par an, alors même
que ceux qui avaient mis cette politique en place estimaient qu'il pouvait y
avoir jusqu'à 500 ou 800.000 étrangers en situation
irrégulière dans notre pays !
Ma conviction est qu'il faut clairement afficher nos principes dans ce domaine
et savoir ce que nous acceptons et ce que nous n'acceptons pas. Je crois
qu'aujourd'hui, le discours du Gouvernement contribue à une telle
clarté !
Il faut maintenant faire en sorte que la loi soit appliquée en
matière d'accueil et de régularisation, mais aussi de retour au
pays.
C'est en demeurant fermes sur ces principes, en assurant un accompagnement
psychologique, social, et financier, et en aidant les projets de
développement, que nous y parviendrons !
Bien évidemment, on ne peut parler d'immigration sans parler de
développement. L'Europe s'est posée la question des relations
avec les pays de l'Est -peut-être du fait de la situation allemande. Je
souhaiterais beaucoup, pour ma part, que se pose le problème des
relations avec le Maghreb et l'Afrique noire, car plus nous aiderons ces pays
à se développer, et moins nous aurons à traiter les
problèmes d'immigration comme c'est le cas actuellement !
M. DUFFOUR
- Vous avez évoqué le chiffre de 1.430
étrangers régularisables pour raison de santé. La
régularisation de ces demandeurs dépend d'un inspecteur de la
santé, qui formule son avis sur le cas médical.
Or, je reçois un certain nombre de malades qui nécessitent un
fort accompagnement psychologique et qui estiment que ce jugement est parfois
un peu sévère, les choses ne pouvant se décréter de
manière bureaucratique.
Quels sont les éléments dont disposent les inspecteurs de la
santé pour pouvoir porter ces jugements sur le système de
santé du pays d'origine et sur la possibilité pour le malade
d'être suivi efficacement sur place ?
Mme LE MINISTRE
- La circulaire précise clairement qu'un
étranger qui réside habituellement en France, atteint d'une
pathologie grave qui nécessite un traitement médical dont le
départ pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une
exceptionnelle gravité, pourra obtenir une autorisation provisoire de
séjour, afin de lui permettre de traiter son problème de
santé.
Le médecin inspecteur départemental fait un rapport sur
l'état de santé du malade. Nous nous mettons ensuite en rapport
avec le ministère des affaires étrangères, qui fait
état du système de santé du pays d'origine, et l'on
rapproche les différents éléments. C'est au regard de
ceux-ci que le préfet prend une décision.
M. LE PRÉSIDENT
- Mes chers collègues, nous arrivons au
terme de cette audition, particulièrement fructueuse.
Madame le ministre, je voudrais vous remercier d'avoir eu la courtoisie et la
bienveillance de vous être présentée devant la commission,
à un moment où vous êtes particulièrement
occupée. Grâce à vous, nous avons pu sortir un moment de la
technicité du débat pour élever celui-ci.
Je me suis réjoui de ce j'ai entendu, d'une part -mais ce n'était
pas la première fois- du fait du consensus évoqué par
notre collègue Debarge autour des problèmes d'immigration. Cela
fait maintenant environ quinze ans que je pratique ces lois, et je constate que
l'on arrive à des résultats similaires, quels que soient les
procédés ou les déclarations.
L'Europe -mais l'Europe n'est pas la France- ferait bien de penser à ces
matières, et je loue M. le rapporteur d'avoir esquissé un
débat à cet égard.
Je déplore toutefois la précipitation avec laquelle la loi,
définitive depuis la décision d'hier du Conseil constitutionnel,
a été déposée. Je regrette également
l'urgence, car on aurait pu faire autrement. Plusieurs d'entre nous en sont
conscients mais, comme vous l'avez dit, le champ est long !
S'agissant de la politique de co-développement, permettez, Madame,
à un ancien spécialiste de ces problèmes de dire qu'il n'y
aura pas de co-développement s'il n'y pas de co-développeur !
Les gens qui animent le développement sont sur le terrain et non
à Paris, quelles que soient leur bonne volonté et leur
intelligence. Pour les trouver, il faut bâtir un véritable
réseau.
Or, il s'agit d'une espèce de plus en plus rare ! Bien entendu, ces
animateurs doivent être issus du pays d'accueil. Ils peuvent se former
ailleurs, mais c'est une ascèse, en même temps qu'une
philosophie...
C'est effectivement une politique fructueuse, qui a déjà
été pratiquée en d'autres temps... Comme quoi rien n'est
nouveau en ce bas monde !
Je souhaite encore vous dire combien nous avons été heureux de
vous entendre. Vous avez exposé, comme toujours, votre matière
avec talent et beaucoup de sincérité. Nous vous en sommes
très reconnaissants. Je vous en remercie.
M. JEAN-MARIE DELARUE,
DIRECTEUR DES
LIBERTÉS
PUBLIQUES
ET DES AFFAIRES JURIDIQUES
AU MINISTÈRE DE
L'INTÉRIEUR
JEUDI 7 MAI 1998
M. LE
PRÉSIDENT
. - Nous devons vous entendre sous la foi du serment.
(M. le Président donne lecture des dispositions de l'article 6
de l'ordonnance du 17 novembre 1958 ; M. Jean-Marie Delarue
prête serment).
M. LE RAPPORTEUR
. - Une série de questions relatives aux demandes
de régularisation.
Pouvez-vous nous indiquer combien de préfectures avaient terminé
l'instruction des demandes le 30 avril ?
Quelles sont les préfectures qui n'ont pas achevé cette
instruction ? Combien de dossiers sont en instance au 30
avril ?
A quelle date tous les dossiers seront terminés et toutes les
décisions notifiées ?
Quel est le chiffre définitif du nombre des demandeurs ?
Avez-vous évalué le pourcentage des demandeurs qui seront
régularisés ?
Quels sont les principales catégories bénéficiaires ?
M. LE PRÉSIDENT
. - Comme vous le voyez, c'est une séance
de synthèse. Je pense que les chiffres que vous nous donnerez seront
ceux sur lesquels le rapport sera calé.
M. DELARUE
. - Je vais en partie vous décevoir car je n'ai pas les
chiffres définitifs au 30 avril. Je voudrais reprendre la notion de
" terminer " cette opération. Qu'est-ce que cela veut
dire ?
Pour moi, cela comporte plusieurs étapes. D'abord terminer dans les
préfectures le premier examen de ces dossiers de demandes. Mais restent
derrière, inévitablement et normalement, les recours gracieux,
hiérarchiques et contentieux. Je ne voudrais pas tromper la Commission.
M. LE RAPPORTEUR
. - Veuillez m'excuser de vous interrompre, mais en
quatrième question j'ai un chapitre concernant les recours, c'est
pourquoi je vous demanderai de donner une réponse à la question
précise : combien de préfectures avaient terminé
l'instruction des demandes au 30 avril ? Les recours font l'objet
d'un autre chapitre.
M. DELARUE
. - Permettez-moi de dire que cette opération de
régularisation s'étalera nécessairement, à mon
sens, sur plusieurs années, compte tenu des recours contentieux. C'est
pourquoi j'indiquais que la notion de " terminer " ne peut s'entendre
que...
M. LE RAPPORTEUR.
- Instruction terminée.
M. DELARUE
. - ... par la première décision des
préfectures au vu d'un premier examen.
M. LE RAPPORTEUR
. - C'est la question précise.
M. DELARUE
. - Encore une fois, nous sommes le 7 mai et je n'ai pas le
chiffre au 30 avril. Je ne peux que délivrer des estimations. Le
Ministre sera en état, la semaine prochaine, de donner les chiffres
définitifs.
Le nombre de demandes a progressé au long des mois, puis il a
diminué. Les préfectures ont découvert à l'examen
des dossiers qu'il y avait des doubles emplois, que certaines personnes ont
demandé simultanément la régularisation dans plusieurs
préfectures et que d'autres ont déposé deux dossiers dans
une même préfecture.
Le nombre de demandes a atteint un maximum de 179 000 et le nombre net
doit être de 145 000, sous réserve de faire le comptage
définitif.
Quelles sont les préfectures qui ont terminé et celles qui n'ont
pas terminé ? A priori, je dirais que deux tiers ont terminé
et un tiers n'a pas terminé, mais ce tiers dans des proportions
très variables. Beaucoup ont traité 90 à 95 % des
dossiers et d'autres en ont traité 80 %. Tout dépend du
volume des dossiers que chacune d'entre elles avait reçu. La situation
peut varier d'une préfecture à une autre.
Les préfectures qui n'ont pas terminé sont celles de quinze ou
seize départements où la demande était la plus forte. Ce
sont les préfectures du Val-de-Marne, des Bouches-du-Rhône, de la
Seine-Saint-Denis, des Hauts-de-Seine, du Val-d'Oise, de Paris, du Nord et du
Pas-de-Calais.
En revanche, la plupart des départements ruraux ou ceux où les
étrangers sont très peu nombreux (cela se confond parfois) ont
terminé.
Quels sont les dossiers en instance ?
Sous réserve de chiffres définitifs, à mon sens, il ne
doit pas rester, au maximum, plus d'un quart de dossiers en instance,
calculés sur le chiffre de demandes, c'est-à-dire environ
146 000. Sur ce chiffre de demandes nettes, il ne reste pas plus, en
l'état actuel de mes informations, d'un quart de demandes encore en
instance.
Quel est le pourcentage des régularisations ? Les chiffres varient
entre 45 et 50 %.
M. LE RAPPORTEUR.
- Et les principales catégories de
bénéficiaires ?
M. DELARUE
. - Cela n'a pas varié depuis le début. Ce sont
les premières catégories définies par les circulaires,
c'est-à-dire essentiellement familiales ou conjoints de français.
Les catégories les moins régularisées sont les
célibataires sans charge de famille.
M. LE PRÉSIDENT
. - Je suis un peu surpris de ce quart de dossiers
qui reste encore à régulariser. Nous tournions déjà
autour de ce pourcentage il y a un mois. Ce sont les plus difficiles, ou
avez-vous une explication ? Apparemment cela n'avance plus.
M. DELARUE.
- Cela avance encore un peu. Ce sont des dossiers complexes
en ce sens que leur instruction est difficile du fait des demandeurs. Ce sont
des demandeurs que nous ne pouvons pas retrouver, dont les enveloppes de
convocation sont renvoyées avec l'avis : " n'habite pas
à l'adresse indiquée " ou ce sont des personnes qui n'ont
pas fourni les papiers qu'on leur demandait. Leur dossier s'en trouve
retardé.
Dans d'autres préfectures et celles que vous connaissez bien, et pour ne
pas les dissimuler : les Bouches-du-Rhône, la Préfecture de
police et Bobigny, c'est simplement l'importance du volume des affaires qui
fait que nous sommes retardés.
M. LE PRÉSIDENT
. - Vous allez arriver à un pourcentage
incompressible. Qu'allez-vous en faire ? Les classer ?
M. DELARUE
. - Non. Nous avons donné des instructions
précises aux préfets. Dans le cas où une enveloppe
reviendrait avec la mention " n'habite pas à l'adresse
indiquée ", nous leur demandons de faire quelques recherches s'ils
en ont la possibilité et d'effectuer une deuxième relance. Si
après l'étranger ne s'est toujours pas manifesté, nous
demandons que le dossier soit classé.
M. LE PRÉSIDENT
. - Vous allez éviter qu'on traîne
une queue de régularisations pendant des semestres.
M. DELARUE
. - Oui. Nous nous sommes fixés plusieurs conditions
pour éviter qu'un déménagement reste hors d'atteinte du
fait de circonstances extérieures, mais nous considérons qu'au
bout de deux relances, le préfet ne peut pas faire l'impossible.
M. LE RAPPORTEUR
. - Deuxième série de questions concernant
les moyens mis en oeuvre pour réaliser cette opération de
régularisation.
Pouvez-vous nous indiquer le montant définitif des moyens
budgétaires dégagés pour l'opération ?
Quel est le nombre total des personnels supplémentaires affectés
à ces régularisations, c'est-à-dire les agents de l'OMI,
les vacataires et fonctionnaires titulaires ?
Quelle utilisation ferez-vous des équipements supplémentaires mis
en place pour l'opération après la fin de celle-ci ?
Les régularisations et leurs suites prévisibles (traitement des
recours, accroissement des titres à renouveler) n'auront-elles pas trop
perturbé le fonctionnement normal des services des
étrangers ?
M. LE PRÉSIDENT
. - Si vous avez des documents écrits,
pourriez-vous nous les envoyer ?
M. DELARUE.
- Je n'ai pas de chiffres précis pour la même
raison que précédemment, mais je vous enverrai ces chiffres.
Quant au montant définitif des moyens budgétaires, je ne suis pas
en état de vous le donner pour les raisons indiquées par
vous-même antérieurement. L'opération n'étant pas
tout à fait terminée, je ne peux pas vous dire quels seront les
moyens budgétaires consacrés à cette opération.
Ce sont essentiellement des moyens en personnel et ils ont consisté
à embaucher un certain nombre de vacataires dans les préfectures
qui nous le demandaient. Pour vous donner un ordre de grandeur, c'est de
l'ordre de la douzaine de millions de francs, à la fois en
rémunérations pour des vacataires et en indemnités
données l'année dernière au personnel titulaire.
Toutefois, certaines préfectures ont encore besoin de vacataires dans un
délai qui n'est pas déterminé. Par exemple, une
préfecture de la Petite Couronne souhaite que le personnel de l'OMI -il
y a douze personnes dans cette préfecture- reste jusqu'à
l'automne et peut-être même jusqu'à la fin de
l'année. Par conséquent, je ne peux répondre
précisément à votre question. Même chose pour les
vacataires, je crois que monsieur NUTTE vous a indiqué le nombre de
personnes qu'il avait engagé pour ces circonstances. Ce personnel est en
train d'être réduit au fur et à mesure de
l'achèvement de la première opération, mais il en demeure
encore dans les préfectures les plus importantes. Je ne sais donc pas
à quelle date précise ils quitteront leurs fonctions.
S'agissant des titulaires, je ne peux pas vous dire combien sont
affectés à la fonction. Leur nombre est très variable
selon les préfectures et les modalités de travail
arrêtées par elles. Dans certains services on a pris des personnes
affectées à temps plein à cette opération. Dans les
préfectures que je voyais encore en début de semaine, les
personnes étaient à temps partiel pour l'opération de
régularisation et sur le travail normal de leur service.
Je ne suis pas en état de vous donner un découpage aussi fin,
mais je peux vous donner une approximation.
M. LE PRÉSIDENT
. - Il nous le faudrait assez tôt pour
boucler le rapport.
M. DELARUE
. - D'accord, mais pour les titulaires ce sera certainement un
chiffre approché.
Pour les équipements, il n'y a eu pratiquement aucun équipement
supplémentaire. Les fichiers informatiques que certaines
préfectures ont constitués l'ont été avec les
moyens dont elles disposaient et rien de plus.
A ma connaissance, il n'y a pas d'équipements supplémentaires.
Ceux qui auraient été financés, par la Préfecture
de police, par exemple, restent entre ses mains, elle en fera l'usage qu'elle
souhaite.
Pour répondre à votre dernière question, ce travail a
perturbé le fonctionnement normal. Il est très clair que le
renouvellement de cartes de séjour est quelquefois un peu long dans les
préfectures. Les étrangers s'en plaignent d'ailleurs et c'est une
de nos difficultés.
Quant à la suite prévisible, nous pensons que, bien entendu, il y
aura une lourde charge pour les renouvellements de cartes de séjour,
puisque les premières cartes renouvelées vont arriver dès
l'été prochain, alors que l'opération, dans les plus
grosses préfectures, ne sera pas achevée en ce qui concerne la
partie recours. Ce sera peut-être un peu difficile. S'il le faut, nous
dégagerons quelques moyens, des vacataires supplémentaires.
M. LE RAPPORTEUR
. - Le traitement des difficultés
rencontrées :
Pouvez-vous nous exprimer, de manière succincte, les principales
difficultés qui vous ont été communiquées par M.
Galabert, par les préfectures et les associations ?
Quelle suite leur a été donnée ?
Quelles sont les principales conclusions des missions de l'inspection
générale de l'administration sur l'opération de
régularisation ?
M. DELARUE
. - Les difficultés sont de toutes natures, elles sont
assez convergentes de la part de M. Galabert, des préfectures et des
associations.
On peut synthétiser la situation comme suit : ce dont se plaignent,
s'inquiètent les uns et les autres, c'est de l'éventuelle
différence de traitement d'une préfecture à une autre.
Certains estiment que quelques préfectures sont laxistes et d'autres
beaucoup trop rigides. Je suis très sensible à cela et je me
permets de vous rappeler ce que je vous ai indiqué, c'est-à-dire
deux éléments :
D'une part que l'immigration n'était pas la même dans tous les
départements. Il est clair qu'entre des départements, où
les personnes arrivent dans des conditions irrégulières et de
façon plutôt momentanée et ceux où existe une
vieille immigration laborieuse, notamment celle qui est entrée sous
condition de travail dans les années 1950 et 1960, il y a
d'énormes différences et les écarts s'expliquent largement
de cette manière.
D'autre part, j'ai dit que nous nous étions efforcés de suivre
le plus attentivement possible le déroulement des opérations dans
chaque préfecture. J'avais indiqué un certain nombre de moyens
que nous avions pris à cet égard.
Globalement, nous constatons qu'en dépit de ce qu'imaginent les
associations en particulier, il n'y a pas beaucoup d'écarts d'une
préfecture à une autre. Les personnels des préfectures
accomplissent leur travail aussi consciencieusement que possible. Ce qui me
paraît déterminant dans cette affaire, c'est que je ne connais pas
une décision sur ces questions difficiles qui ne soit prise par au moins
trois personnes successivement.
En clair : le chef de bureau fait une proposition, le directeur de la
réglementation en fait une autre et le
secrétaire-général a la signature. Ces trois personnes
voient le dossier après la phase d'instruction et sont à
même d'émettre un jugement de fond sur la portée de ce
qu'elles décident. On a gommé ainsi, autant que possible, les
aspérités individuelles.
Je ne suis pas sûr que nous n'ayons pas pris des moyens suffisants ni que
les situations soient aussi tendues à cet égard que ne l'ont dit
beaucoup de nos interlocuteurs. Le reste, à mon sens, sont des reproches
qui sont hors circulaire ou qui concernent des points de détail, ou
plutôt des points mineurs.
Les critiques générales : ce sont celles que chacun peut
faire dans sa conscience et je laisse à chacun cette évidente
liberté. D'aucuns nous reprochent de ne pas régulariser la
totalité des demandes. Je crois que sur ce point il n'y a pas
d'ambiguïté. Nous avons eu, de la part des associations que nous
avons rencontrées, à l'initiative du cabinet du ministre de
l'Intérieur il y a trois semaines, de vives récriminations sur
l'évolution qui conduisait à la non régularisation de la
moitié des étrangers demandeurs au bout du premier examen.
Nous avons eu des réactions très vives à cet égard,
je dois vous le dire, mais il leur a été rappelé que sur
ce point la circulaire ne comportait d'emblée aucune
ambiguïté. Puis d'autres peuvent penser que nous en avons
régularisé 50 % de trop. Mais je laisse tous ces
commentaires à des personnes plus disertes que moi sur ces points.
Les secteurs plus précis de la circulaire : nous avons
sûrement commis des fautes et j'en suis le premier responsable. J'ai
noté par exemple, ce que j'ai trouvé fort dommageable, que dans
un certain nombre de préfectures on avait mis beaucoup de temps pour
régulariser les étrangers malades. Or, s'il y a bien une
catégorie incontestable qui devait normalement avoir une carte
rapidement afin que l'état de santé des personnes en faisant
partie soit aussi sauvegardé que possible, c'était celle en
état de justifier de maladie grave. Si cela a fait difficulté,
c'est notamment parce qu'il a été difficile de mobiliser des
médecins de santé publique dans telle ou telle DDASS.
Une autre difficulté nullement imputable à quelque fonctionnaire
que ce soit, est celle qui concerne les déboutés du droit
d'asile, ou les étrangers qui affirment avoir été
persécutés ou qui risquaient des persécutions dans leur
pays.
Pour les avoir examinés à titre personnel, puisque nous avions
demandé que ces dossiers remontent au Ministère de
l'Intérieur, je peux vous dire que l'appréciation est très
difficile à porter. De surcroît, nous-mêmes Direction des
libertés publiques, avons tellement été envahis de
dossiers à cet égard que nous avons pris du retard. Je ne suis
pas fier de ce qu'un certain nombre de dossiers soient restés chez moi
trois à quatre mois.
M. LE PRÉSIDENT
. - Pour quelles raisons ?
M. DELARUE.
- Je n'ai pas les moyens de faire face à l'afflux de
dossiers individuels. Les directions, comme la mienne, ne sont pas faites pour
examiner des milliers de dossiers qui transitent. Je suis sûr que le
Sénat, dans sa sagesse, augmentera les dotations budgétaires du
ministère de l'Intérieur.
M. LE PRÉSIDENT
. - Et par-dessus le marché vous avez
l'Europe.
M. DELARUE.
- Oui et notamment le système Dublin qui nous
mobilise aussi.
Sur les autres points, je crois que l'on nous a fait un troisième grief,
s'agissant des étrangers célibataires dépourvus de charge
de famille, on a dit que nous avons été plutôt rigoureux,
dans le sens que, par exemple, pour la durée de séjours
réguliers nous n'avons pas pris en compte les autorisations provisoires
de séjour données aux demandeurs d'asile.
Nous avons répondu aux associations que c'était un choix tout
à fait délibéré et que pour nous ces
récépissés ou autorisations provisoires ne valaient pas
séjour régulier au sens où l'entendait la circulaire. Il
nous a été dit aussi que le critère d'insertion qui
nécessitait, pour les mêmes célibataires dépourvus
de charge de famille, une présence de sept ans en France était
trop rigoureux et qu'il aurait fallu l'accommoder à une sauce plus
modeste. Nous avons répondu de la même manière que tout
cela était inscrit noir sur blanc dans la circulaire.
Voilà pour les principales critiques. Il y en a eu bien d'autres. Je
trouve que pour une opération qui met en jeu des personnes, la critique
est nécessaire. Nous y avons répondu au mieux, je prends
l'exemple que j'indiquais sur les médecins de santé publique.
Nous nous sommes rapprochés du ministère des Affaires sociales
pour qu'il soit mis un terme à ces désagréments.
Nous avons essayé de pallier les inconvénients au fur et à
mesure du déroulement de l'opération. Les préfets qui
avaient reçu des consignes assez strictes et nous-mêmes, nous
sommes efforcés de rencontrer, au fur et à mesure de
l'opération, les personnes impliquées et notamment les
associations.
M. LE RAPPORTEUR
. - Concernant la deuxième question, les
conclusions des missions de l'inspection générale. Y a-t-il eu
des missions ?
M. DELARUE
. - Il y en a eu deux.
M. LE PRÉSIDENT.
- Sur quelles préfectures ?
M. DELARUE
. - Deux missions d'inspection ont été
effectuées, en septembre et en décembre. Ces missions
d'inspection sont décidées à la demande du ministre et
leurs conclusions sont rendues exclusivement à lui-même. Donc je
vous renvoie au ministre sur ce point.
M. LE PRÉSIDENT
. - Nous le demanderons au ministre.
M. LE RAPPORTEUR
. - Concernant les recours :
De combien de recours gracieux, administratifs et contentieux avez-vous eu
connaissance ?
Quels sont les principaux motifs de ces recours ?
Dans quels délais les recours administratifs et gracieux seront-ils
traités ?
Quelle évaluation faites-vous du nombre de recours administratifs et
gracieux qui seront satisfaits ?
M. DELARUE
. - Jusqu'à présent nous n'avons pas
demandé aux préfectures de comptage sur les recours gracieux. Je
souhaitais attendre la fin de la phase de première instruction pour
réunir, dans une dizaine de jours, les quinze préfectures les
plus intéressées, avec l'accord de mon cabinet, pour examiner
avec elles l'ampleur, le volume et les moyens de répondre.
Sur les recours gracieux, je ferai une remarque très
générale. Dans le droit commun, c'est-à-dire les refus de
séjour et les arrêtés de reconduite qui sont pris en temps
normal, nous avons des taux de recours à la fois gracieux,
hiérarchiques et contentieux, qui sont de l'ordre de 20 %. Je pense
que ce taux va être assez largement dépassé dans les mois
qui viennent.
Les étrangers ont senti qu'ils avaient davantage de chance que dans le
passé et certains d'entre eux sont aidés, à bon droit, par
des associations pour rédiger ce type de recours, à tel point
d'ailleurs que nous avons souvent des formules un peu toute faites, puisque
vous m'interrogez sur les motifs.
Je peux vous parler surtout des recours hiérarchiques que nous avons au
Ministère de l'Intérieur. Nous en avons actuellement entre
5 000 et 6 000, et il y en a de deux sortes : ceux qui
émanent des personnes elles-mêmes, qui ont fait l'objet de
décisions négatives par les préfectures, et ceux qui
émanent des personnes qui soutiennent ces demandeurs.
Très généralement, les motifs sont de pur fait,
c'est-à-dire que l'on nous dit : j'estime que ma situation n'a pas
été examinée comme il convenait. Et on nous apporte soit
les mêmes faits que ceux indiqués devant la préfecture pour
dire qu'ils n'ont pas été pris en considération, que l'on
n'a pas bien compris ce qu'on a voulu dire ; ou bien on nous apporte des
faits nouveaux et ce sont ces dossiers qui retiennent le plus notre attention.
Dans quel délai va-t-on statuer ? Dans des délais tels qu'au
bout de quatre mois si nous n'avons pas tranché, ce seront des refus
implicites, nécessairement.
Nous l'avons demandé aux préfectures et nous le pratiquons
nous-mêmes : nous lisons attentivement tous les recours qui nous
sont adressés. Un certain nombre d'entre eux, au premier examen, se
révèlent identiques en tous points à ce qui a
été présenté aux préfectures
déjà. A ceux-là, il y a toute chance de répondre
par un refus implicite. En revanche, à ceux qui apportent des faits
nouveaux, où qui sont signalés par telle ou telle personne, nous
répondrons de façon expresse et de telle sorte que les personnes
soient prévenues, mais avant le délai de quatre mois
indiqué il y a un instant.
Quelles sont les chances de succès ? Je dois vous dire que cela
dépend beaucoup des catégories. Nous avons des recours qui
portent essentiellement sur la catégorie dite 1-6, c'est-à-dire
les célibataires sans charge de famille. Les autres, et notamment les
familles, ont reçu assez largement satisfaction. Pour ceux-là,
compte tenu des critères de la circulaire, il y a assez peu de chance
que ces recours soient couronnés de succès. Sans préjuger,
car nous n'avons là-dessus aucun objectif d'aucune sorte, j'imagine mal
que le pourcentage de succès de ces recours aille au-delà de
20 %. C'est un ordre de grandeur que je donne et je ne voudrais pas que
vous preniez ce chiffre comme une indication d'objectif car ce n'est nullement
dans l'état d'esprit. A priori, la très grande majorité de
ces recours n'a guère de chance de succès.
Un mot sur les recours contentieux qui ne manqueront pas de s'ensuivre.
Ceux-ci, sauf erreur matérielle ou méconnaissance de conventions
internationales, ont très peu de chance de prospérer. La
circulaire sur laquelle se sont fondés les préfectures et le
ministre ne peut pas être utilement invoquée à l'appui d'un
recours pour excès de pouvoir, puisque ce n'est pas une circulaire
réglementaire.
Un recours contentieux, déposé en invoquant tel ou tel aspect de
la circulaire qui aurait été méconnu, serait voué
à l'échec. Les premiers jugements du tribunal administratif qui
s'est prononcé sur ce point le confirment. J'en connais deux.
M. LE PRÉSIDENT
. - Récents ?
M. DELARUE
. - La semaine dernière.
M. LE PRÉSIDENT
. - Les instructions de ces recours sont-elles
faites par votre service ?
M. DELARUE.
- Oui.
M. LE PRÉSIDENT.
- Les 400 dossiers en instance, est-ce
cela ?
M. DELARUE.
- Non, ce sont les dossiers de première instruction
envoyés par les préfectures pour les déboutés du
droit d'asile. Les recours dont je parle, sont au nombre de 5 000 à
6 000. Si certains recours gracieux sont suivis d'un recours
hiérarchique, je m'attends à avoir, d'ici à quelques mois,
environ 25 000 recours hiérarchiques au ministère de
l'Intérieur.
M. LE RAPPORTEUR
. - Vous faites état de deux décisions du
tribunal administratif. Concernent-elles la catégorie des risques
vitaux ?
M. DELARUE
. - Je ne me rappelle plus et je crains de dire des sottises.
Mon souvenir est plutôt vague sur ce point, mais il me semble que cela ne
concernait pas les risques vitaux.
M. LE RAPPORTEUR.
- Pourriez-vous nous les adresser ?
M. DELARUE.
- Naturellement.
M. LE RAPPORTEUR
. - Maintenant le traitement des personnes à qui
la régularisation a été refusée : Quel bilan
peut-on faire du nouveau dispositif d'aide au retour ?
S'adressant à des personnes venant d'effectuer des démarches pour
être autorisées à séjourner, le faible impact de
cette aide n'était-il pas prévisible ?
M. DELARUE
. - Je serais plus nuancé que vous sur cette affaire de
l'aide au retour, on peut en dire ce que l'on veut, on peut penser que l'on
aurait pu aller plus loin, mais elle est là.
J'indique que c'est un peu en corollaire avec ce que nous venons de dire. Pour
avoir entendu cela de la part de plusieurs personnes, et c'est aussi un peu mon
sentiment, je dirais que pour les étrangers qui ne sont pas
régularisés, il n'y a pas aujourd'hui de décision franche
que tout est fini et qu'il faut partir car il existe précisément
les recours dont nous parlions il y a un instant.
Quand les personnes auront fait le choix de partir, et un certain nombre
d'entre elles feront ce choix, le dispositif d'aide au retour montera assez
vite en puissance.
Je pense que l'on ne peut pas apprécier le dispositif de l'aide au
retour en trois ou quatre mois, il prendra son véritable poids seulement
vers la fin de l'année, quand une première vague de recours sera
passée et que les personnes seront très concrètement
confrontées à la nécessité d'avoir à choisir
entre l'irrégularité ou le départ. Je ne suis pas
très inquiet sur ce point.
Je sais que c'est une question difficile, peut-être n'avons-nous pas
assez fait connaître le dispositif, mais je suis surtout persuadé
que les personnes hésitent encore, de bonne foi. Elles ont à
peser un certain nombre d'inconvénients des deux côtés et
elles finiront par choisir. La maigre montée en puissance pour moi a des
raisons un peu plus compliquées à évaluer que le simple
fait brut de dire : au bout de trois mois il y en a 200, donc c'est
mauvais.
M. LE RAPPORTEUR
. - Je poursuis mes questions :
Le ministre avait donné des instructions pour que l'éloignement
des étrangers dont la régularisation a été
refusée ne soient pas éloignés du territoire avant le 24
avril 1998.
Depuis, d'autres instructions ont-elles été données pour
la période postérieure ?
M. DELARUE.
- Pas du tout. Je vous rappelle que cette date du 24 avril
avait été fixée en fonction d'un délai de trois
mois écoulés après la publication de la circulaire sur
l'aide au retour, qui a été publiée le 24 janvier au
Journal Officiel. Nous avions dit, pour des raisons d'égalité
entre les demandeurs, qu'il fallait laisser le temps aux personnes d'en prendre
connaissance. Nous avons donc demandé, sous réserve de cas
particuliers, qu'il n'y ait pas d'arrêté de reconduite avant le 24
avril.
Je ne voudrais pas qu'il y ait confusion sur ce point : cela signifie que
pour les étrangers qui entraient dans le circuit de la
régularisation, en principe, aucun arrêté de reconduite n'a
été pris avant le 24 avril et que depuis cette date des
arrêtés de reconduite ont été pris.
Je n'en connais pas le nombre à ce stade, mais les préfets que
j'ai interrogés sur ce point m'ont dit que la mécanique
était relancée. Est-ce à dire qu'il n'y a pas eu du tout
d'arrêtés de reconduite depuis le mois de janvier ? Pas du
tout.
M. LE RAPPORTEUR.
- Dans le cadre seulement de la circulaire.
M. LE PRÉSIDENT
. - Donc, depuis le 25 avril les
arrêtés de reconduite à la frontière, concernant ces
étrangers visés par la circulaire de juin, sont possibles ?
M. DELARUE.
- Certainement.
M. LE PRÉSIDENT
. - Ils sont non seulement possibles mais en
cours ? Les préfets ont remis la mécanique en marche,
n'est-ce pas trahir la vérité de le dire ?
M. DELARUE
. - Ce n'est pas la trahir.
M. LE PRÉSIDENT.
- N'y a-t-il plus d'instruction
ministérielle de stopper la machine ?
M. DELARUE.
- Il n'y a pas eu d'instruction ministérielle depuis
celle indiquant qu'il n'y aurait pas d'arrêté de reconduite avant
le 24 avril.
M. LE RAPPORTEUR
. - A votre connaissance, y en a-t-il eu un
d'exécuté ?
M. DELARUE.
- Je ne sais pas. Ce que je sais, c'est qu'il y a des
arrêtés de reconduite tous les jours.
Exécutés ? Je l'ignore. Au niveau de la DICCILEC qui
reçoit des étrangers qu'elle doit reconduire, il est difficile de
faire la distinction, au seul vu d'un arrêté de reconduite, sur le
point de savoir si l'étranger est dans le cadre de l'opération
régularisation ou non.
M. LE PRÉSIDENT.
- Vous comprenez bien la connotation de
communication que représente une information comme celle-là. Il
est tout à fait normal que nous posions cette question au ministre et
qu'il puisse y répondre. La question qui lui sera posée est la
suivante : Monsieur le Ministre, depuis le 24 avril des
arrêtés de reconduite à la frontière ont-ils
été pris concernant les étrangers visés par la
circulaire de juin, oui ou non ? Et si oui, combien ont été
exécutés ?
M. DELARUE
. - Je crains qu'il ne soit pas davantage en mesure de vous
répondre que moi.
M. LE PRÉSIDENT
. - S'il est prévenu, je pense qu'il pourra
répondre.
M. DELARUE.
- Non, pour une raison matérielle très simple.
Quand vous avez un arrêté de reconduite en main, il n'y a pas
écrit dessus en gros " régularisation " ou pas. On ne
fait pas la distinction, parmi les étrangers reconduits, entre ceux de
" droit commun " et les autres.
M. LE PRÉSIDENT.
- Je fais confiance au Cabinet du ministre. Je
connais sa qualité et son efficacité et je suis sûr qu'il
saura répondre à cette question qui n'est pas une question
piège.
M. DELARUE
. - Pas du tout.
M. LE RAPPORTEUR.
- Comment ferez-vous concrètement pour
retrouver des personnes habituées à séjourner
irrégulièrement et sachant depuis plusieurs mois qu'elles ne
seront pas régularisées ?
M. DELARUE
. - Là aussi, nous rentrons parfaitement dans le droit
commun.
Pardonnez-moi d'insister et je vais être sans doute au-delà des
limites de la bienséance. S'agissant de reconduite, il n'y a pas de
problème de philosophie à cet égard. Ceux qui sont en
situation irrégulière, qu'ils soient issus de l'opération
régularisation ou du non renouvellement de la carte de séjour,
seront traités de la même manière.
Nous n'allons pas séparer les étrangers qui n'auraient pas
été régularisés à la suite de
l'opération de juin 1997 et les autres. Nous allons les traiter de la
même façon, c'est-à-dire interpellation sur la voie
publique avec les conséquences que cela entraîne. Nous avons dit
déjà qu'il n'y aurait pas de recherche des étrangers
à l'aide des fichiers constitués en préfecture à
l'occasion des régularisations. Nous retombons dans le cadre normal de
la reconduite à la frontière, telle qu'elle se pratique depuis
des années, depuis que cette mesure existe.
M. LE RAPPORTEUR.
- Nous avons noté qu'il n'y aurait pas de
recherches à partir des dossiers de demandes qui ont été
rejetées.
M. DELARUE.
- A partir des fichiers des préfectures.
M. LE RAPPORTEUR
. - Je poursuis les questions :
Quel coût global représente chaque année pour le budget de
l'Etat, l'éloignement des étrangers en situation
irrégulière ?
M. DELARUE
. - Je ne sais pas, c'est financé par la Direction
administrative de la Police nationale. C'est un budget sur lequel je n'ai
aucune maîtrise et c'est une question à laquelle M. OTTAVI
aurait pu vous répondre. Mais je peux m'engager à vous fournir la
donnée si elle vous intéresse.
M. LE RAPPORTEUR.
- A combien avez-vous évalué le
coût supplémentaire des mesures transitoires adoptées le
22 avril et concernant la reconduite par voie aérienne ?
M. LE PRÉSIDENT
. - C'est-à-dire la multiplication des
fonctionnaires qui doivent escorter les étrangers reconduits au Mali, on
m'a parlé de sept.
M. DELARUE.
- Sept pour aller au Mali, pour une personne, l'augmentation
est moindre sur les autres destinations. Ce n'est pas ma tâche, mais
d'autres l'ont calculé certainement et nous serons en mesure de vous le
donner. Nous sommes loin de l'opération régularisation stricto
sensu, n'est-ce pas ?
M. LE RAPPORTEUR
. - Cela fait partie de l'éloignement.
M. DELARUE.
- Encore une fois, il n'y a pas de différence dans la
reconduite entre ceux qui sont issus de l'opération de
régularisation et les autres. Par conséquent, nous sommes un peu
loin de l'opération de régularisation elle-même.
M. LE RAPPORTEUR
. - Vous pourrez nous donner le renseignement, par
exemple pour un éloigné, car depuis l'adoption de la convention
avec les compagnies aériennes, vous savez fort bien qu'il y a un
coût supplémentaire, à mon avis très important, qui
va incomber au budget.
M. DELARUE
. - Bien sûr, on ne peut le nier. Je voulais vous dire,
mais vous le savez, que la convention que vous évoquez, datée du
22 avril, est temporaire, pour six mois. Nous ne savons donc pas quelle
sera la situation dans ce laps de temps. Il a été convenu avec
Air France que nous reverrions la situation dans six mois. J'ai eu l'honneur de
rencontrer les représentants d'Air France et je leur ai dit que je
n'attendrai pas autant pour leur reposer la question. En conséquence,
les chiffres éventuels que nous pourrions vous donner seraient encore
aléatoires.
M. LE RAPPORTEUR
. - Pouvez-vous nous donner le chiffre des mesures
transitoires ? Par exemple pour un Malien, cela coûte tant de plus
que jusqu'à présent. Quel est le coût pour un
Roumain ? Ce n'est pas en dehors des prérogatives de notre
Commission.
M. LE RAPPORTEUR
. - Je poursuis
Les incidents survenus récemment à Roissy vous paraissent-ils
avoir un caractère ponctuel où traduisent-ils des
difficultés structurelles ?
M. DELARUE.
- Le commentaire est nécessairement difficile. Il
suppose une appréciation de l'état de l'opinion qu'il n'est pas
dans ma pratique d'avoir à faire. Par conséquent, sur ce point,
les variations de l'opinion peuvent être très fortes. En tout
état de cause, je constate que ce qui s'est passé ces
dernières semaines à Roissy, ou même à la gare de
Lyon, est le fait de personnes très peu nombreuses.
Mais je ne veux rien préjuger de la suite. En d'autres temps il y avait
eu des manifestations de ce type. Ce qui s'est passé là ne me
paraît ni fondamentalement nouveau ni trahir une évolution de fond
de notre société. Cette réaction était
prévisible compte tenu du fait que certaines personnes s'attendaient
à ce que nous régularisions la totalité des demandeurs. Ce
n'est pas le cas, et donc certains manifestent leur opposition.
Je ne suis pas sûr que ce soit structurel ou conjoncturel. Je suis
embarrassé pour vous répondre. Mais, pour l'instant, j'observe
que ces mouvements ont des conséquences assez limitées sur les
mesures d'éloignement.
M. LE RAPPORTEUR
. - Nous passons aux questions suivantes :
Dans quel cadre juridique s'inscrivent les mesures transitoires
arrêtées le 22 avril entre Air France et le ministère de
l'intérieur ?
Ces mesures sont-elles susceptibles d'être maintenues au delà de
la durée prévue de six mois ?
Vous avez déjà répondu et vous dites que d'ici à
six mois le ministère reconsidérerait ces accords.
M. DELARUE
. - Je vous ai même dit que j'espérais bien
revoir la question avant six mois .
M. LE RAPPORTEUR
. - Cela fait-il partie de la convention ?
M. DELARUE.
- Cela fait partie aussi de mon métier. C'est un
avenant à la convention.
M. LE RAPPORTEUR
. - Cela fait-il partie du texte de la convention ?
M. DELARUE
. - Il s'agit d'une lettre envoyée par Air France qui
confirme les termes de la séance que nous avons eue ensemble et qui
s'analyse comme un avenant à la convention de 1994.
M. LE RAPPORTEUR
. - Donc, c'est un avenant concrétisé par
un échange de lettres. Nous vous demandons de nous les faire parvenir.
Pouvez-vous nous apporter des précisions sur les incidents qui viennent
de se produire à la gare de Lyon le 5 mai à l'occasion d'un
éloignement groupé d'étrangers en situation
irrégulière ?
Quelles associations ou groupements ont été
impliqués ? Des poursuites ont-elles étaient
engagées ? Des mesures ont-elles été prises pour
prévenir de tels incidents ?
M. DELARUE.
- Là aussi nous sommes à la limite du sujet.
Sauf erreur, la personne reconduite à la Gare de Lyon, qui était
un Tunisien, n'entrait pas dans le cadre de la régularisation. Nous
sommes au-delà de la limite, mais je peux vous répondre
tranquillement.
M. HYEST.
- Comme vous ne pouvez pas faire la distinction.
M. DELARUE
. - Je peux la faire en termes de calendrier.
M. LE PRÉSIDENT
. - Vous venez de nous expliquer qu'il n'y avait
pas de discrimination et que les procédures de reconduite se faisaient
indistinctement. Nous sommes fondés à être aussi
indistincts que vous l'êtes.
J'ai cru déceler une sorte d'insinuation qui nous laisserait penser que
nous nous mêlons de ce de ce qui ne nous regarde pas.
M. DELARUE.
- J'ai dit que j'étais sûr que, pour des
raisons de calendrier, le Tunisien en cause dans l'opération de la Gare
de Lyon qui a eu lieu avant hier n'était pas quelqu'un qui entrait dans
la procédure de régularisation.
M. LE PRÉSIDENT
. - Et ceux de Marseille, du bateau ?
M. DELARUE.
- Il y a eu plusieurs incidents à Marseille. Je ne
peux pas savoir. Nous sommes encore une fois à la limite, mais sur le
cas de la Gare de Lyon, la Préfecture de police a recensé 200
à 300 personnes qui souhaitaient empêcher le départ du
train. Certaines sont montées à bord, d'autres sont redescendues.
A ma connaissance aucune organisation n'a revendiqué la présence
de ces militants à la Gare de Lyon ce jour-là.
M. LE RAPPORTEUR
. - Encore une autre question :
Compte tenu, d'une part, des difficultés rencontrées
récemment pour l'éloignement par voie aérienne
d'étrangers en situation irrégulière et, d'autre part, du
nombre habituel d'étrangers éloignés chaque année,
quel dispositif précis a été mis en place pour
procéder à l'éloignement de plusieurs dizaines de milliers
de personnes supplémentaires ?
M. DELARUE
. - A l'heure actuelle, aucun. Nous avons aujourd'hui environ
vingt reconduites par jour. Nous pouvons, en l'état actuel de la
situation, augmenter cette cadence, la doubler et même la tripler sans
difficulté.
M. LE RAPPORTEUR
. - Sur les vingt, quelle est la ventilation entre voie
aérienne, train ou bateau ?
M. DELARUE.
- Je ne peux pas donner de chiffres. En gros, je suppose
qu'il y a un quart par voie maritime et trois quarts par voie aérienne.
Le train est utilisé essentiellement pour du transit d'un endroit
à un autre de la France. Nous ne reconduisons pratiquement personne y
compris dans les zones européennes par train, sauf en effet à
l'intérieur de l'espace Schengen.
M. LE RAPPORTEUR
. - Et pour la Roumanie ?
M. DELARUE.
- C'est toujours par avion.
M. LE PRÉSIDENT.
- Les collègues ont-ils des questions
à vous poser, même si parfois, Monsieur le Directeur, vous avez eu
l'impression que nous nous égarions ?
M. DELARUE
. - Absolument.
M. LE PRÉSIDENT
. - Bien que nous nous soyons
égarés, ce qui est tout à fait notre droit, il est
intéressant que vous soyez resté.
M. DELARUE.
- J'ai juré de vous dire toute la
vérité. Je vous l'ai dite.
M. LE PRÉSIDENT
. - Vous direz au ministre que nous comptons bien
qu'il dise toute la vérité s'agissant de la reconduite à
la frontière. Nous allons lui demander si le premier acte de la nouvelle
série a commencé. Y a-t-il des questions ?
M. DEBARGE.
- Même observation que ce matin. Pour les
irréguliers, avant que la question ne soit réglée, cela
prendra beaucoup de temps. Je reste neutre sur la prise de position, Monsieur
le Directeur a le mérite de la franchise, à la limite ce
serait 18 000 par an, si je comprends bien.
M. DELARUE.
- Reconduites ?
M. DEBARGE.
- Indistinctement.
M. LE PRÉSIDENT
. - Vingt par jour, vous pouvez passer à
soixante.
M. DELARUE.
- En 1997, il y a eu environ 9 200 reconduites
exécutées, et nous étions dans des fourchettes assez
basses en effet. Je crois que même au plus fort des reconduites dans ce
pays, nous n'avons pas dépassé les 12 000 reconduites
exécutées.
Il y a la question de l'alimentation et la question des moyens
matériels. Je crois que nous pouvons, sans difficultés majeures
et sans moyens exceptionnels, arriver facilement, par hypothèse,
à 15 000, vous allez me dire que nous ne reconduirons pas
60 000 personnes en 24 heures hors de ce pays.
M. LE PRÉSIDENT
. - Pas en 24 heures, en un an. Ce qui est
intéressant dans ces entretiens, c'est que la DICCILEC n'est pas
à la limite de potentiel, et que, par ailleurs, vous n'avez prévu
aucune mesure nouvelle pour faire face à la détection
d'irréguliers supplémentaires.
C'est une question à laquelle également Monsieur le Ministre
devra s'attendre. Je vous remercie.
M. JEAN-MICHEL GALABERT,
CHARGE D'UNE MISSION SUR LE
SUIVI
DES REGULARISATIONS
JEUDI 7 MAI 1998
M. LE
PRÉSIDENT. -
Nous devons vous entendre sous la foi du serment.
(M. le Président donne lecture des dispositions de l'article 6
de l'ordonnance du 17 novembre 1958 ; M. Jean-Michel Galabert
prête serment).
M. LE PRÉSIDENT
. - A la veille de la clôture de notre
rapport, nous vous entendons, Monsieur Galabert, et pour nous permettre
d'ajuster nos chiffres et nos impressions, le Rapporteur va vous poser quelques
questions complémentaires.
M. LE RAPPORTEUR
. - Nous savons la tâche importante que vous avez
assumée pour la régularisation des immigrés en situation
irrégulière dans le cadre de la circulaire du 24 juin 1997.
Nous avons, avec notre Commission et le Président, visité neuf
préfectures représentant à peu près 75 % des
régularisations de sans papiers. Et partout nous avons posé la
question indiscrète, veuillez m'en excuser, de savoir si elles avaient
eu des contacts avec vous. Toutes nous ont dit que vous aviez effectué
deux visites dans chaque département. Ceci nous amène donc
à vous poser les questions suivantes :
Pouvez-vous exposer les principales difficultés qui vous ont
été exprimées quant au déroulement de
l'opération :
Quelle est l'origine des observations présentées
(préfectures, demandeurs, associations) ?
Ces observations concernent-elles plus spécifiquement certaines
catégories de demandeurs ? Ce sont principalement des
célibataires d'après ce qui nous a été dit.
Quel a été l'objet des observations (moyens mis en place,
procédure, conditions de fond) ?
M. GALABERT
. - J'ai visité 25 préfectures, dont une
quinzaine où je suis allé deux fois, essentiellement dans la
région parisienne et les grandes villes du midi.
Concernant les principales difficultés, au début -et
c'était un peu l'objet même de mes déplacements en
préfecture- il y a eu le problème d'assurer
l'interprétation uniforme d'un point de vue juridique de la circulaire.
J'anticipe sur les célibataires auxquels vous avez fait allusion. Tout
à fait au début de l'opération, la notion de
célibataire a été comprise, essentiellement à la
Préfecture de police, de cette manière : lorsque le Malien
disait " je vis seul en France mais j'ai ma femme au Mali ", il
était considéré comme n'étant pas
célibataire. Très tôt le ministère de
l'Intérieur a tranché et a fait prévaloir
l'interprétation " sans charge de famille en France ".
Là où c'est plus difficile, c'est lorsque la décision du
préfet dépend d'un certain nombre d'appréciations de
faits : les documents que vous avez remis pour prouver votre séjour
sont-ils considérés comme probants ou pas ?
Nous le disons souvent, que ce soit avec les préfets ou avec des
personnes comme M. Delarue, si on nous donnait trois ou dix dossiers, nous
serions d'accord sur huit, nous nous mettrions d'accord sur le neuvième
et sans doute sur le dixième.
On peut essayer d'expliquer dans quel esprit on pense que cela doit être
fait, avec quel degré d'exigence et de souplesse, mais on ne peut pas
garantir que sur un dossier il n'y aura pas de nuances d'appréciation.
C'est ainsi que ce qui a été monté en exergue par les
associations, tel dossier dont on dit qu'il aurait reçu un avis
favorable à Paris et défavorable en Seine-Saint-Denis, fait
désordre, mais ce n'est pas ahurissant.
Au départ, il y a eu des difficultés classiques, notamment savoir
quelle était la portée d'un acte de divorce dans un pays du
Maghreb, également lorsque la famille de l'enfant est restée dans
le pays d'origine alors que celui-ci est venu en France.
Certaines de ces difficultés tiennent à la taille de la
préfecture. La Préfecture de police ou celle de la
Seine-Saint-Denis rencontrent des difficultés qui ne touchent pas au
fond du droit et qui ne mettent pas en cause la bonne volonté des
agents. Souvent quand on nous demandait d'intervenir, avec une lettre de
l'intéressé ou des personnes qui s'intéressent à
lui, le fait d'identifier un dossier à la Préfecture de police
n'est pas toujours facile.
En sens inverse, en ce qui concerne des préfectures que je ne suis pas
allé voir, nous avons eu quelques inquiétudes dans les toutes
petites préfectures qui ont peut-être soixante demandes, mais dont
les personnels, à l'opposé de ceux de la Préfecture de
Police ou de la Seine-Saint-Denis qui sont des professionnels, manquent
d'habitude ; dans l'Ardèche, par exemple, la population
étrangère possède surtout des résidences
secondaires, aussi la préfecture manque de références pour
régulariser soixante ou quatre-vingt personnes.
Dans certains petits chefs-lieux de départements, on a l'impression que
cela s'envenime : si sur les trois avocats de la ville l'un est brouillé
avec le directeur et l'autre avec le bureau des étrangers, il y a
parfois des difficultés.
M. LE RAPPORTEUR. -
Avez-vous le sentiment d'avoir été
saisi de toutes les difficultés rencontrées ?
M. GALABERT
. - Nous avons été saisis par des
intéressés, par tous les canaux, par l'irrégulier
" lambda " qui a trouvé le numéro de
téléphone ou qui écrit. En tout, nous devons en
être à 300 ou 350 saisines, ce qui au regard de 150 000
demandes est dérisoire, mais cela finit par faire une typologie d'un bon
nombre des difficultés que nous pouvons rencontrer.
A chaque visite que nous effectuons dans une préfecture, même
maintenant, les intéressés et les associations nous saisissent.
M. LE RAPPORTEUR.
- Avez-vous systématiquement transmis toutes
les interrogations à la Direction des libertés publiques ou
est-ce vous-même qui avez décidé ?
M. GALABERT
. - Ma mission ne me donne pas pouvoir de décision.
Tous les quinze jours, nous prenons contact avec le Directeur de Cabinet du
ministre, M. Duport, avec mon collègue M. Quinqueton,
chargé des dossiers au Cabinet et avec M. Delarue nous nous
téléphonons et nous nous voyons.
M. LE RAPPORTEUR
. - Avez-vous établi un rapport à la suite
de votre déplacement dans les préfectures ?
M. GALABERT
. - J'ai fait un compte rendu qui m'a amené à
dire, par exemple, à M. Delarue que dans certaines préfectures il
fallait qu'il aille voir comment cela fonctionnait, d'un point de vue
administratif. J'ai établi un rapport d'étape que j'ai remis au
ministre.
M. LE RAPPORTEUR
. - Nous demanderons au ministre de nous transmettre
votre rapport.
Concernant vos propositions, esquelles ont été suivies
d'effet ?
M. GALABERT.
- Celles concernant l'interprétation de la
circulaire ont été suivies d'effet. La pratique était
d'apposer la mention " salarié " sur les cartes
délivrées, la pratique générale a été
de le faire sans que cela soit demandé. J'ai rencontré une
préfecture qui avait une pratique inverse, dans ce cas, nous lui avons
donné des instructions.
M. LE RAPPORTEUR
. - Ont-elles été suivies d'effet ?
M. GALABERT.
- En général, oui.
M. LE RAPPORTEUR.
- Y a-t-il eu des suites quand la préfecture
n'a pas suivi vos propositions ?
M. GALABERT.
- En ce qui concerne la qualité d'accueil, beaucoup
de préfectures ont eu à coeur d'aménager un local avec une
table pour les entretiens avec les personnes. Dans certaines préfectures
cela continuait à se passer au guichet et ce compte tenu de
possibilités matérielles.
M. LE PRÉSIDENT
. - Si vous allez à Foix ou dans d'autres
lieux, les locaux sont rares.
M. GALABERT.
- L'Ariège a eu dix-sept demandes.
M. LE PRÉSIDENT
. - Deux rapports d'inspection ont
été établis. Est-ce à votre demande ?
M. GALABERT.
- Non, c'était parallèle. Nous nous sommes
entendus pour ne pas nous rencontrer. L'optique d'inspection
générale de l'administration est plutôt faite pour porter
des jugements.
M. LE PRÉSIDENT.
- Ce n'est pas vous qui avez provoqué les
rapports d'inspection auprès du ministre ?
M. GALABERT
. - Non.
M. LE RAPPORTEUR.
- Une autre question :
Avez-vous formulé des propositions particulières concernant le
traitement des étrangers non régularisés ?
Considérez-vous le départ du territoire comme la
conséquence normale de la non régularisation ?
Quels moyens doivent, selon vous, être utilisés pour
exécuter les mesures d'éloignement du territoire ?
M. GALABERT
. - D'abord cela se situe au-delà du champ de ma
mission qui était de participer à l'opération de
régularisation. Selon ma lettre de mission, cela devait prendre fin
à la parution du nouveau dispositif législatif. La loi a
été publiée à la suite de la décision du
Conseil constitutionnel. On a donné jusqu'au 30 mai aux
préfectures pour statuer. Il y aura des recours gracieux, je pense donc
que le ministre prolongera ma mission quelques semaines.
Après, je peux vous donner une opinion plus personnelle et de citoyen.
Bien sûr, la suite logique est le retour au pays. Cela dit, il est tout
à fait évident que des aides au retour ont été
proposées, il a été constaté qu'elles jouaient dans
certains cas, mais pas d'une façon massive. Nous avons reçu
l'autre jour encore une lettre d'un intéressé disant : j'ai
reçu mon refus il y a trois mois, bien qu'ayant laissé passer le
délai d'un mois, puis-je demander l'aide au retour ?
Il lui a été répondu favorablement, il y a un délai
mais cela paraissait la solution la plus logique.
M. LE RAPPORTEUR
. - Les services suivent-ils ?
M. GALABERT.
- Oui. Selon les informations reçues, cela touche
des familles arrivées depuis relativement peu de temps et dont
l'intégration ne se fait pas. Tout va encore mieux si elles ont des
enfants majeurs qui ont un droit propre aux 4 500 francs en plus.
M. LE RAPPORTEUR.
- A ce moment-là, si c'est multiplié par
trois ou quatre, cela représente une somme assez coquette.
Quels moyens doivent être utilisés pour exécuter les
mesures d'éloignement du territoire ? En dehors de l'aide au retour.
M. GALABERT.
- Il y a les retours par voie aérienne. Il faut
considérer qu'il y a environ 150 000 demandes. Nous avons
constaté un nombre important de demandes abandonnées.
Dans le Var, par exemple, cela s'expliquait par la présentation de
demandes depuis l'Afrique du Nord, quitte à se domicilier chez un parent
qui était dans le Var, ainsi beaucoup de personnes n'ont pas
répondu à la convocation.
M. LE RAPPORTEUR.
- C'est intéressant. Vous avez remarqué
cela plus particulièrement dans le Var ?
M. GALABERT
. - C'est la première fois que je l'ai remarqué
et je l'ai signalé aussitôt au ministère. Mais quand je
suis allé dans les Hauts-de-Seine, ils en étaient à
15 % de demandes abandonnées.
M. LE RAPPORTEUR.
- Avez-vous l'impression que des personnes font une
demande de régularisation alors qu'elles sont en Afrique du Nord ?
M. GALABERT
. - Cela a dû arriver. Mais le traitement des dossiers
prenait du temps et la convocation n'arrivait que trois mois après et il
commençait à se savoir que ce serait moins automatique qu'on ne
l'espérait. Aussi des personnes n'ont pas donné suite parce
qu'elles ont senti entre temps que c'était plus aléatoire
qu'elles ne le pensaient.
M. LE RAPPORTEUR
. - Et elles n'avaient pas intérêt à
se signaler.
Rendrez-vous un rapport sur votre mission ?
Sera-t-il rendu public ?
A défaut, pouvez-vous indiquer vos principales conclusions ?
M. GALABERT
. - J'ai établi le rapport d'étape auquel j'ai
fait allusion, je ne suis pas sûr que j'en ferai un autre. La
publicité qui lui sera donnée dépend du ministre.
M. LE RAPPORTEUR
. - Quelles sont vos principales conclusions ?
M. LE PRÉSIDENT.
- Ferez-vous un rapport ?
M. GALABERT
. - Pour l'instant, il est fait et il est remis au ministre.
J'avais pensé l'intituler " rapport d'étape ", puis je
me suis aperçu qu'à la fin avril il n'y aurait pas
d'éléments nouveaux.
Je pense, mais à titre personnel, qu'il est difficile de savoir vers
quel chiffre global nous allons nous orienter. Nous notons les pourcentages les
plus variés selon les régions de France. La Préfecture de
police, la Seine-Saint-Denis et Marseille doivent avoir la moitié des
régularisations en France et avec la région parisienne et Nice,
cela fait les trois-quarts, même si le Cantal fait l'objet d'un laxisme
puisqu'il a régularisé à 100 % ses deux demandeurs.
Dans une interview du journal le Parisien Libéré,
M. Chevènement avait évoqué la moitié et
même un peu plus. En lisant l'article récent, nous voyons qu'il a
dit : le résultat probable, plutôt que: c'est notre objectif.
Ces chiffres ont été lancés dans la nature.
Dans mon rapport, je dis ce que j'ai senti des dossiers. Je pense que nous
aurions pu monter un peu plus haut sans faire perdre à
l'opération le caractère sélectif qu'elle a.
M. LE RAPPORTEUR
. - Une question un peu en dehors du sujet, mais qui est
au coeur du système et qui intéresse la Commission. Ne
pensez-vous pas que ce problème de l'immigration doit être
traité au niveau de l'Europe et par une harmonisation des
législations européennes ?
Ne pensez-vous qu'il faudrait rapidement se diriger vers cela ?
M. GALABERT
. - Cela existe déjà d'une certaine
façon.
Cela dit, il reste dans les pays des attitudes psychologiques. En Italie, les
régularisations ont atteint 150 000, sans que cela ait
provoqué le moindre débat national qui s'est polarisé sur
l'Albanie.
M. LE RAPPORTEUR
. - Je tiens à vous informer que l'Italie vient
d'adopter une législation beaucoup plus draconienne. C'est un texte de
mars 1998, je l'ai eu directement, étant Maire d'une commune
frontalière, par le préfet de la province italienne voisine.
M. GALABERT
. - On m'a dit que les tensions essentielles se polarisaient
sur le problème de l'Albanie.
M. LE RAPPORTEUR.
- Quel est votre sentiment sur ce point ?
M. GALABERT.
- Il est évident que ce sont des problèmes
européens.
M. LE RAPPORTEUR
. - Ne faudrait-il pas arriver à l'harmonisation
d'une réglementation européenne là-dessus ?
M. GALABERT
. - Certainement.
M. LE RAPPORTEUR
. - Quelles sont vos principales conclusions ?
M. GALABERT
. - L'opération, dans le cadre où elle a
été définie, s'est plutôt bien passée,
notamment de la part des personnels des préfectures qui sont au coeur de
l'opération. Ils ont eu à appliquer des réglementations
d'esprit très différent, d'une période à l'autre.
J'ai raconté l'anecdote de ce directeur de préfecture à
qui l'intéressé ayant à prouver sa présence en
France a dit : j'étais là en 1994, voilà
l'arrêté de reconduite à la frontière que vous
m'avez signé alors. Cela demande une petite reconversion. De ce point de
vue, cela a été satisfaisant.
Il y a des divergences. Une organisation ne peut jamais être parfaitement
uniforme. Pour le reste, il y a eu un effort annoncé et indiscutablement
légitime de résoudre d'abord des situations familiales, les
conjoints, les couples, le rapprochement des enfants. Pour de nombreuses
raisons, en partie techniques, les célibataires, surtout s'ils avaient
leur famille dans leur pays d'origine, ont été un peu
sacrifiés. Je pense que certaines préfectures ont
été un peu rigoureuses.
M. LE PRÉSIDENT
. - Je vous remercie.
Chers collègues, avez-vous des questions complémentaires ?
Je n'en vois pas. Bien, Monsieur le Président, nous vous remercions de
votre propos et de sa précision et nous allons vous
libérer.
MM. GÉRARD NICKLAUS ET ÉRIC TOURNAIRE,
COMMANDANTS DE BORD À AIR FRANCE
MARDI 12 MAI
1998
M.
MASSON, président
- Chers collègues, la séance est
ouverte.
Je dois excuser M. le rapporteur Balarello, tributaire d'un avion de ligne, et
qui a semble-t-il quelque retard...
M. ALLOUCHE
- C'est Air France !
M. LE PRÉSIDENT
- Je me garderai de faire allusion à une
quelconque compagnie !
Je dois également présenter les excuses de MM. Blaizot, Camoin,
Debarge, Duffour, Mahéas, Plasait, Poirier, Mme Pourtaud et M. Schosteck.
Nous devons entendre ce matin MM. Gérard Nicklaus et TOURNAIRE,
commandants de bord à Air France.
J'espère que M. Nicklaus sera présent d'ici quelques minutes.
M. Tournaire, je vous souhaite bienvenue au Sénat. Vous êtes
devant une commission d'enquête C'est une procédure que vous
n'avez certainement pas l'habitude de pratiquer.
Il s'agit d'une institution qui existe dans le Parlement français, aussi
bien à l'Assemblée nationale qu'au Sénat. C'est une
procédure très formelle, un peu solennelle, qui a pour objectif
de permettre aux parlementaires de se faire une idée des conditions dans
lesquelles le Gouvernement gouverne, et qui est à la discrétion
de la majorité d'une assemblée, dans le cadre des lois et
règlements.
En l'espèce, c'est une ordonnance -celle du 17 novembre 1958- qui
définit le fonctionnement des assemblées parlementaires, et
notamment les conditions dans lesquelles les commissions d'enquête sont
pratiquées.
Je rappelle que ces commissions d'enquête peuvent entendre qui elles
souhaitent...
Je salue l'arrivée de M. Gérard Nicklaus...
... Ces commissions d'enquête sont publiques, sauf si, pour des raisons
de commodité, nous décidions le huis clos, mais nous avons, tout
au long de cette série d'auditions, pensé qu'il était
préférable que les choses se fassent publiquement. Le public est
donc présent et l'enregistrement des débats peut être
communiqué à toute personne qui le souhaiterait.
Nous devons vous entendre sous la foi du serment.
(M. le Président donne lecture des dispositions de l'article 6
de l'ordonnance du 17 novembre 1958 ; MM. Gérard Nicklaus
et Eric Tournaire prêtent serment).
C'est en principe M. Balarello, rapporteur, qui doit vous interroger, mais en
son absence, je vais vous poser des questions à sa place. Il prendra le
relais lorsqu'il arrivera...
Messieurs, pouvez-vous exposer les difficultés que vous avez
recensées à l'embarquement, au cours des vols et à
l'arrivée lorsque, parmi les passagers, figurent des étrangers
reconduits ?
Nous avons eu vent d'un certain nombre d'incidents. Je ne dis pas qu'ils se
sont produits sur vos vols mais, d'une façon générale,
pouvez-vous nous dire ce que les pilotes et vous-mêmes ressentez face
à ce type de problèmes ?
Quel est le droit à cet égard et quelle est la
responsabilité d'un chef de bord ? A quel moment cette
responsabilité commence-t-elle à s'exercer ? Est-ce à
partir du moment où les portes sont fermées ? A quel moment se
dégage-t-elle ? Est-ce au moment où les passagers sont descendus ?
La parole est à M. Gérard Nicklaus...
M. NICKLAUS, commandant de bord à Air France
- Je suis commandant
de bord sur Airbus 310. L'Airbus 310 est un avion affecté d'une
manière assez spécifique sur le réseau africain -Afrique
de l'ouest et ancien empire colonial français. Beaucoup de vols
s'effectuent sur ces destinations. Des liens très étroits nous
unissent à ces pays et il existe donc de forts mouvements de populations.
Je suis particulièrement confronté à des problèmes
de sûreté et de sécurité. Le code de l'aviation
civile définit les droits et les devoirs du commandant de bord. Les
devoirs sont sanctionnables pénalement et civilement en cas de
manquement, notre responsabilité étant entièrement
engagée.
J'en vécu personnellement certains incidents à bord. Des
collègues de ce secteur m'en ont rapporté quelques-uns. Ces
incidents engagent directement la sécurité de nos clients, du
matériel de la compagnie et des équipages. C'est à ce
niveau que j'ai désiré apporter mon témoignage.
Il existe un problème général de sécurité
des vols. Ce problème a plusieurs facettes. Il est d'abord posé
par le comportement des passagers expulsés qui ont déjà
tenté d'ouvrir la porte durant le roulage pour sauter de l'appareil et
qui ont tenté de jeter un policier d'une hauteur de cinq mètres.
On déplore parfois également des bris de matériel, comme
les sièges. Les hublots -partie importante de l'aéronef ont
également fait l'objet de tentatives de dégradations. D'autres
parties vitales, accessibles de la cabine, pourraient également mettre
en jeu la sécurité...
Le comportement des expulsés ne répond plus à la raison,
et il est hors de question de les calmer. J'ai vécu une émeute
à bord avant le décollage, et il est évident qu'il est
alors impossible de raisonner qui que ce soit.
M. LE PRÉSIDENT
- Au sol, vous n'êtes pas responsable ?
M. NICKLAUS
- Il est précisé dans les textes sur
l'aviation civile ou dans les instructions d'Air France que la
responsabilité prend effet au début de la mission.
Dans le passé, le début de la mission était clairement
indiqué par la DGDT 42, qui précisait une heure de début
de mission. Cette DGDT 42 n'a pas été reprise lors de la refonte
d'Air France, et il est aujourd'hui impossible de faire dire à la
direction de la compagnie quand commence la mission du commandant de bord.
Il y a là une grosse lacune. Les textes officiels de l'aviation civile
ne le définissent pas non plus précisément. On parle de
début de mission, mais sans fixer de lieu ni d'heure. Il est dit que les
passagers sont sous la responsabilité du commandant dès lors
qu'ils sont à bord...
En l'occurrence, lorsque les passagers sont à bord au sol et qu'il se
produit une émeute, la responsabilité du commandant me
paraît engagée, aussi bien envers les passagers expulsés
qu'envers les passagers ordinaires ou l'équipage.
L' autre problème est celui posé par les autres passagers en
cabine, africains ou même quelquefois européens, qui prennent fait
et cause pour les passagers expulsés, sans davantage d'informations. Il
existe différentes catégories de passagers : passagers non admis
à l'entrée sur le territoire qui n'ont pas de visas en
règle ou qui détiennent des passeports falsifiés,
personnes expulsées pour présence illégale sur le
territoire ou à la suite d'un délit. Bien évidemment, les
passagers, à bord, ne font pas la différence.
Tout récemment, des passagers, arrivés à la
frontière française en possession de documents falsifiés
ou de visas qui n'étaient pas en règle, se sont vu refuser
l'accès au territoire. Selon les règles, la police les a
placés dans le premier avion disponible, et la compagnie a dû
payer une amende.
Or, les passagers de l'avion en question ont pris fait et cause pour ces
non-admis. Ceci laisserait à penser qu'il n'existe plus de
frontières ! En tout état de cause, les passions se
déchaînent, et l'on arrive à des situations
incohérentes...
Il y a un peu plus de deux ans, l'un de nos collègues a dû se
poser à Marseille. Un autre a dû faire une approche
précipitée sur Bamako, à cause d'une émeute en vol.
On rejoint là le problème de la sécurité des vols,
toute approche précipitée présentant en effet des risques.
En outre, les conditions météorologiques pourraient ne pas
permettre l'atterrissage. En Afrique, les orages sont fréquents et il
est hors de question de se poser sous un orage ! La situation pourrait donc
dégénérer...
En troisième lieu, la sécurité en cabine n'est plus
assurée. Dernièrement, sur Bamako, le personnel navigant
commercial chargé d'assurer la sécurité en cabine n'a pu
rester à son poste, en particulier le personnel féminin, qui a
dû se réfugier dans le cockpit. Si une intervention s'était
révélée nécessaire pour traiter un feu ou
réaliser une évacuation d'urgence à l'atterrissage, le
personnel navigant commercial n'aurait pu remplir sa mission, et l'on aurait pu
déplorer des victimes.
De plus, ce personnel est agressé verbalement -voir frappé. Sa
mission devient donc impossible...
Si le commandant de bord ou l'officier pilote -indispensables à la
conduite du vol- venaient eux aussi à être agressés, il
s'ensuivrait également un risque majeur.
Or, ceci n'est plus à exclure. Il est donc recommandé que le
commandant de bord reste dans le cockpit, de façon à pouvoir
continuer à diriger l'avion. Les passagers ne le comprennent pas
toujours, et cela donne parfois lieu à des plaintes.
Il existe aussi un problème d'ordre psychologique : ce genre de
situation, même si l'on essaie de ne pas y être impliqué
directement, crée un stress important, entraîne une dispersion des
moyens et perturbe le bon déroulement des tâches.
Or, il est reconnu que la sécurité des vols passe par
l'amélioration de la vigilance de l'équipage. Une telle situation
va à l'encontre de cet impératif ! Ceci peut en effet
provoquer des oublis et engendrer des incidents, voire des accidents.
Même si le commandant de bord a certains droit, la police des
différents Etats du monde en a également. Or, le commandant est
soumis au pouvoir de la police. L'un de nos collègues a ainsi connu
quelques problèmes à Conakry, parce qu'il a voulu appliquer les
consignes en vigueur à un ministre guinéen ! Ce collègue,
ainsi qu'un agent de la sûreté, a été emmené
manu militari dans une salle de l'aéroport où, pendant deux
heures, on a tenté, sous la menace, de lui extorquer sa signature au bas
d'un document !
La police est toute-puissante dans n'importe quel pays, et nous sommes soumis
au bon vouloir des autorités et la police.
M. LE PRÉSIDENT
- Dans le cadre des règlements...
M. NICKLAUS
- Certes, mais les règlements ne sont pas les
mêmes partout !
... Certaines opérations, dans notre métier, sont plus
délicates que d'autres et exigent une concentration plus importante,
ainsi qu'un travail de l'équipage très pointu. Il en va ainsi de
la phase de mise en route, de décollage, d'approche, etc. Dans certaines
de ces phases, comme un arrêt de décollage, les réactions
doivent pouvoir avoir lieu dans la seconde.
Il faut également noter une pression très déstabilisante
des autorités de police pour inciter le commandant à embarquer
ces passagers. Il est difficile d'y résister...
Les autres points, qui relèvent du domaine de la sûreté
à Air France, ne peuvent être exposés en public...
M. LE PRÉSIDENT
- Si la commission en est d'accord, nous vous
entendrons à huis clos à la fin de cette matinée.
Vous pouvez poursuivre...
M. NICKLAUS
- Par ailleurs, depuis peu, la Sabena, momentanément
chargée du transport des personnes expulsées, est victime d'un
boycott de la part des prestataires locaux -qui sont souvent imposés-
chargés d'assister ses avions lors des escales.
J'essaie d'être un citoyen respectueux des lois. Je pense qu'il faut soit
les faire appliquer, soit les changer, si elles posent un problème.
J'ai ici des coupures de la presse malienne, dans lesquelles on affirme que le
Premier ministre français n'a pas honoré la parole donnée
au Mali. Certains articles assimilent les équipages d'Air France
à la police. Selon moi, la sécurité des équipages
d'Air France va devenir localement problématique.
Les acteurs de première ligne que nous sommes sont devenus des otages,
parce que des personnes ont cru que la loi ne leur serait pas appliquée
et qu'ils ne seraient pas expulsés. La désillusion est grande
après coup, et leurs réactions sont à la mesure de leur
dépit.
M. LE PRÉSIDENT
- Vous pensez qu'on leur a dit le contraire ?
M. NICKLAUS
- ... Je pense en effet qu'ils ont compris le contraire.
On arrive aujourd'hui à inverser les données du problème :
on ne parle pas de clandestin, mais de sans-papiers. Il y a là une
nuance extrême.
M. LE PRÉSIDENT
- C'est la presse qui en parle !
M. NICKLAUS
- Tout à fait... Etre clandestin, par
définition, c'est être répréhensible. Lorsqu'on est
sans-papier, la faute en revient aux autorités !
Ceci participe des malentendus et des problèmes. Aussi est-il normal que
les passagers se rangent du côté des "sans-papiers", c'est
compréhensible. J'ai aussi entendu des hommes politiques, s'exprimant
sur le sujet, parler de "sans-papiers". Il ne s'agit donc pas seulement de la
presse !
Sur un vol Conakry-Bamako-Paris, on s'est rendu compte après le
décollage que, malgré les mesures de sécurité, on
avait un passager clandestin. Il s'agissait d'un ghanéen, que l'on a
fini par identifier, qui s'était débarrassé de son faux
passeport dans les toilettes de l'avion, afin qu'on ne puisse pas
établir d'où il venait. Si l'on se débarrasse de ses
papiers, on devient en effet "sans-papiers".
Les équipages d'Air France sont directement confrontés à
l'insécurité, qui ne pourra à mon sens se réduire
que par une action politique.
Enfin, je tiens à dire que nous transportons également dans nos
avions des expulsés d'autres pays -Danemark, Hollande, etc...- qui sont
bien sûr également accompagnés, et avec qui les choses se
passent fort bien !
M. LE PRÉSIDENT
- M. Tournaire, avez-vous quelque chose à
ajouter ?
M. TOURNAIRE, commandant de bord à Air France
- Vous demandiez
à quel moment la responsabilité du commandant de bord
était engagée.
Même si les textes ont été modifiés et ne sont pas
très précis sur ce sujet, à partir du moment où
l'on prend en charge la mission et où l'on se présente pour
signer, la responsabilité du commandant est engagée. Cette
mission, c'est celle que lui confie le président de la compagnie, par
délégation pleine et entière.
Vous nous demandiez également ce qu'étaient le droit et les
responsabilités pour un commandant de bord.
Nous détenons un manuel d'exploitation, et le code de l'aviation civile,
en France, guide nos actions, mais nous avons également des accords et
des normes proposées par l'Organisation internationale de l'aviation
civile, ainsi que certaines conventions, comme celles de Tokyo et de la Haye,
qui précisent qu'à partir du moment où la porte de l'avion
est fermée, on peut considérer qu'on est en vol et que toutes les
procédures décrites dans ces textes sont applicables.
M. LE PRÉSIDENT
- Monsieur le Rapporteur...
M. LE RAPPORTEUR
- Le rapporteur s'excuse tout d'abord de son retard
aérien...
Quelles mesures spécifiques prenez-vous pour prévenir et
remédier aux difficultés rencontrées ?
M. TOURNAIRE
- Nous avons notre jugement pour cela, pour lequel il nous
est fait confiance. C'est ce pourquoi nous avons été
formés. C'est à nous de juger, suivant l'attitude des gens et en
fonction du suivi des procédures de police qui existent...
Malheureusement, celles-ci ne sont pas toujours suivies, ce qui explique que
les autres passagers sont parfois au courant des expulsions, ce qui ne devrait
pas arriver !
M. LE PRÉSIDENT
- Vous voulez dire que les passagers peuvent
être un peu affolés par un commentaire trop abrupt ?
M. TOURNAIRE
- Les passagers expulsés sont normalement
pré-embarqués par la porte arrière, avant la
clientèle, qui embarque ensuite par la porte avant. Ce n'est pas
toujours le cas.
Normalement, les papiers sont remis à l'équipage de
manière discrète. Ceci n'est pas toujours fait et peut
énerver la personne expulsée, qui voit son passeport passer dans
les mains du chef de cabine, qui le remet ensuite au commandant, alors qu'il
devrait être remis directement au commandant de bord. Dès lors, il
est difficile de garantir qu'un vol va bien se dérouler, sans danger
pour les autres passagers !
M. LE RAPPORTEUR
- Vous préconisez que les procédures de
police soit strictement appliquées ?
M. TOURNAIRE
- Je pense qu'elles ont été
étudiées par des professionnels pour que les choses se passent le
mieux possible. Nous sommes habitués aux procédures et savons
qu'appliquer les procédures est le meilleur moyen d'arriver à
notre objectif !
M. LE RAPPORTEUR
- Quelle a été votre réaction aux
incidents survenus récemment à Roissy ?
M. LE PRÉSIDENT
- Vous étiez présent ?
M. NICKLAUS
- J'ai connu un incident lors d'un de mes vols, avec une
émeute à bord.
M. LE PRÉSIDENT
- C'était le 1er avril ?
M. NICKLAUS
- Non, c'était antérieur, au mois de mars, de
mémoire le 27...
Ce jour-là les procédures normalement applicables n'ont pas
été strictement appliquées. Le pré-embarquement n'a
pas eu lieu et pendant que nos clients ordinaires embarquaient par la porte
avant, les passagers expulsés étaient embarqués par la
porte arrière.
Bien sûr, ils se sont débattus. Il faut également savoir
que les conditions dans lesquelles on les embarque ne sont pas satisfaisantes...
M. LE PRÉSIDENT
- Combien y avait-il de
pré-embarqués ?
M. NICKLAUS
- De mémoire, quatre ou cinq passagers
expulsés et huit policiers...
M. TOURNAIRE
- Cinq reconduits, un non-admis et huit policiers...
M. NICKLAUS
- Certains passagers ont pris fait et cause dès
l'embarquement pour les expulsés. Pendant le vol, certains passagers
nous ont confié que lors de l'enregistrement, compte tenu des
manifestations dont ils avaient été témoins et des
informations en leur possession, ils avaient prévu de manifester dans
l'avion.
M. LE PRÉSIDENT
- Des Africains ?
M. NICKLAUS
- Ceux-là étaient en effet africains.
Parmi ces passagers figurait d'ailleurs une délégation de
Guinée, composée d'une douzaine de personnes, dont six ou huit
ont pris part à l'émeute.
Cette délégation accompagnait un ministre guinéen, qui
était bien sûr en première classe. Il y avait même
une caméra de la télévision guinéenne, qu'on avait
laissé passer sur un vol que la police considérait pourtant comme
sensible !
L'émeute étant impossible à maîtriser...
M. LE PRÉSIDENT
- Qu'entendez-vous par "émeute" ?
M. NICKLAUS
- ... Les policiers étaient agressés
verbalement, personne ne voulait s'asseoir ou regagner son siège et la
situation aurait pu s'envenimer très rapidement.
M. LE PRÉSIDENT
- C'était une altercation...
M. NICKLAUS
- C'était plus que cela...
M. LE PRÉSIDENT
- ... Une altercation violente... Une
émeute, au sens juridique, a une signification précise.
M. NICKLAUS
- Certes...
Il est évident que les conditions de transport des expulsés ne
sont pas satisfaisantes, mais il faut reconnaître que ceux-ci sont
violents. On peut le comprendre, j'ai dit pourquoi tout à l'heure. Ils
n'hésitent pas agresser physiquement l'équipage et les policiers.
Il y a d'ailleurs déjà eu des blessés parmi ces derniers.
M. LE RAPPORTEUR
- Vous dites que les conditions de rapatriement ne sont
pas satisfaisantes. Que voulez-vous dire ?
M. NICKLAUS
- Ces passagers ont les bras liés à l'aide de
scotch. En effet, il est impossible de faire monter des passagers simplement
menottés dans un avion contre leur gré. Ils se débattent,
s'accrochent partout, hurlent pour avoir gain de cause et ne pas embarquer.
En tout état de cause, de telles conditions ne sont pas satisfaisantes...
Pour en revenir à l'incident, j'ai fait débarquer les passagers
expulsés et l'émeute a cessé.
Il faut savoir que, lorsque les portes de l'aéronef sont fermées,
s'applique la convention de Tokyo. dont l'article 1 permet au commandant de
bord de débarquer toute personne présentant un trouble pour
l'ordre à bord dans les pays qui ont ratifié la convention.
L'ordre étant revenu, j'ai voulu faire débarquer un certain
nombre de personnes dont les réactions me semblaient incompatibles avec
le bon ordre, et dont je pouvais craindre des actions inopportunes en vol ou
à l'arrivée. Cela ne m'a pas été possible, la
moitié des forces de police de l'aéroport étant
occupée à contenir une manifestation, et l'autre moitié
à protéger le nouveau terminal inauguré par le ministre
des transports !
Si la situation avait perduré, il n'existait donc plus aucun moyen de
rétablir l'ordre ! Ceci est extrêmement grave...
M. LE PRÉSIDENT
- Vous avez donc décollé avec les
passages, le ministre et la caméra ?
M. NICKLAUS
- En effet.
M. LE PRÉSIDENT
- Cela s'est tout de même bien passé
?
M. NICKLAUS
- Nous sommes effectivement arrivés à bon
port. J'ai essayé de remplir ma mission du mieux possible. Il n'y a pas
d'accident cette fois-là, mais j'ai peur qu'il n'en soit pas toujours
ainsi !
M. LE RAPPORTEUR
- Quelle était la composition de la
délégation
M. NICKLAUS
- Je ne peux le dire. Il y avait un ministre et, à
l'arrière, diverses personnes : un cameraman, un garde du corps et
d'autres gens, dont je ne connaissais pas la fonction. En tout état de
cause, il est anormal qu'une délégation d'un pays
étranger, et normalement ami, fasse preuve d'un tel comportement dans un
avion d'Air France !
M. TOURNAIRE
- Pour votre information, il s'agissait du ministre des
affaires sociales de Guinée...
M. LE RAPPORTEUR
- La réaction de certains passagers à ces
reconduites vous paraît-elle isolée ou traduit-elle au contraire
un sentiment plus général d'hostilité ? Cela peut-il se
généraliser ?
M. TOURNAIRE
- C'est plutôt une hostilité envers l'ordre et
la force. En France, la presse présente ces expulsés comme des
victimes, et les Français et les Européens qui sont à bord
peuvent éprouver de la compassion pour ces gens. Je ne connais toutefois
pas le sentiment des ressortissants des pays concernés.
M. LE PRÉSIDENT
- Cela se passe néanmoins très bien
avec les personnes expulsées du Danemark ou de La Haye...
M. NICKLAUS
- Les passagers qui prennent partie affirment que la loi
française ne les concerne pas, pas plus que l'autorité du
commandant de bord !
M. LE RAPPORTEUR
- Vous pensez donc qu'il peut s'agir d'un sentiment
d'hostilité général ?
M. NICKLAUS
- De plus en plus. Plus le temps passe, plus les
réactions s'exacerbent.
M. LE PRÉSIDENT
- Cela signifie-t-il qu'on ne pourra plus
procéder à des expulsions, nonobstant les règlements ?
M. NICKLAUS
- De la façon actuelle, non !
M. TOURNAIRE
- Il faut peut-être modifier la manière de
faire. L'Etat français, à la suite de l'affaire de
l'église Saint-Bernard, avait décidé d'employer du
matériel d'Etat et de faire appel à l'armée de l'air...
M. LE PRÉSIDENT
- Il ne s'agit pas d'un charter ?
M. TOURNAIRE
- C'est un charter. Un charter, c'est un affrètement
d'une coque et d'un équipage...
M. LE PRÉSIDENT
- Oui, mais privé...
M. TOURNAIRE
- Pas forcément. Vous pouvez le considérer
comme vous voulez...
M. LE RAPPORTEUR
- Cela fait l'objet de ma deuxième question.
M. LE PRÉSIDENT
- Dans l'état actuel des choses, pensez
vous qu'un sentiment d'hostilité se développera en France avec
les procédures telles qu'elles sont appliquées sur les compagnies
d'Etat ?
M. TOURNAIRE
- Il est de plus en plus difficile de mélanger les
clients d'une société commerciale avec ce genre de passagers, au
moins ceux considérés comme difficiles, et que l'on doit encadrer
par quatre policiers.
M. LE PRÉSIDENT
- Ou plus...
Est-ce une appréciation générale chez les pilotes, ou bien
vous est-elle personnelle ?
M. TOURNAIRE
- Je pense que nous traduisons le sentiment de la
majorité de nos camarades.
M. LE PRÉSIDENT
- Vous l'affirmez devant la commission
d'enquête ?
M. TOURNAIRE
- Absolument ! Tous les gens qui ont eu à subir ce
genre de problèmes vous le diront comme nous.
M. LE PRÉSIDENT
- Votre
Président-directeur-général est informé de cette
position ?
M. TOURNAIRE
- Bien sûr. A chaque incident, les commandants de
bord font un rapport.
M. LE PRÉSIDENT
- Il est informé que la position que vous
prenez, qui est un sentiment général ?
M. NICKLAUS
- On ne peut pas le dire ainsi ; le rapport d'un commandant
de bord se doit d'être factuel. Il ne s'agit pas de donner des conseils
au Président-directeur-général d'Air France, mais de
relater des faits.
M. LE PRÉSIDENT
- J'entends bien, mais vous avez porté un
jugement de nature plus générale, et affirmé que, selon
vous, on ne pourrait continuer à procéder à des expulsions
en mélangeant des passagers ordinaires et des passagers
expulsés...
M. TOURNAIRE
- On ne pourra pas le faire, si l'on veut garder notre
vocation première, qui est de transporter des clients qui paient pour
cela.
M. LE PRÉSIDENT
- Votre
Président-directeur-général connaît votre sentiment ?
M. TOURNAIRE
- Bien sûr, et je pense qu'il est venu s'exprimer sur
ce point.
M. LE PRÉSIDENT
- En effet. C'était un peu plus ambigu,
mais enfin...
Monsieur le Rapporteur...
M. LE RAPPORTEUR
- Que pensez-vous des mesures transitoires
adoptées par Air France et le ministère de l'intérieur ?
M. TOURNAIRE
- Cela constitue déjà une avancée. Les
faits montreront si elles sont suffisantes. On ne peut deviner ce qui va se
passer dans les semaines ou les mois à venir...
M. LE RAPPORTEUR
- Quelle appréciation vous portez sur vos
relations avec les services de police pour la mise en oeuvre des mesures
d'éloignement ?
L'information et la coordination sont-elles suffisamment assurées ?
M. TOURNAIRE
- Très souvent, un manquement aux procédures
écrites des services de police génère un incident à
l'embarquement et fait que ces personnes sont refusées.
M. LE RAPPORTEUR
- Auriez-vous une circulaire concernant les
procédures écrites qui doivent être respectées par
les procédures de police ?
M. TOURNAIRE
- Je n'en suis pas le dépositaire, mais les gens de
la DICCILEC en disposent...
M. LE RAPPORTEUR
- Il faudra la demander au directeur de la DICCILEC.
Par ailleurs, estimez-vous que les difficultés rencontrées
à la fin du mois de mars et au début du mois d'avril à
l'aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle sont ponctuelles ou, au contraire,
traduisent une difficulté plus générale à mener
à bien l'éloignement d'étrangers en situation
irrégulière par voie aérienne ? Vous avez
déjà largement répondu à cette question...
M. TOURNAIRE
- J'ajouterai simplement que je pense que, le nombre
augmentant, les incidents iront croissant, car on compte désormais
pratiquement un reconduit par vol.
M. LE RAPPORTEUR
- Sur quelles destinations connaissez-vous des
difficultés ?
M. NICKLAUS
- Les problèmes ont généralement lieu
avec l'Afrique de l'ouest -Bamako, Douala, Conakry...
M. LE PRÉSIDENT
- Et le Maghreb ?
M. TOURNAIRE
- Nous n'allons plus en Algérie. Quant au Maroc,
beaucoup d'éloignements se font par bateau.
On rencontre aussi des problèmes avec les Chinois...
M. LE RAPPORTEUR
- Et les Roumains ?
M. TOURNAIRE
- J'en ai personnellement reconduit sans problème.
M. LE RAPPORTEUR
- De nouveaux incidents pourraient-ils à votre
avis fonder une nouvelle décision de suspendre les reconduites sur
certains vols ?
M. TOURNAIRE
- La décision relève du Président et
du service "sûreté".
M. LE RAPPORTEUR
- Quel est votre sentiment ?
M. TOURNAIRE
- Notre sentiment est que la vocation de la compagnie est
de transporter des passagers payants : c'est une compagnie à but
commercial. Elle aura donc de plus en plus de mal à accepter des
passagers reconduits, aussi nombreux et aussi souvent.
M. LE RAPPORTEUR
- Compte tenu des derniers incidents,
l'affrètement de vols spécifiques pour l'éloignement
d'étrangers en situation irrégulière n'apparaît-il
pas plus efficace et plus sûr ?
M. LE PRÉSIDENT
- Charter ou non...
M. NICKLAUS
- Pour moi, le mot "charter" n'évoque pas
forcément quelque chose d'horrible !
M. LE PRÉSIDENT
- Parlons dans ce cas de "vol spécifique".
M. NICKLAUS
- Pour moi, la solution ne réside pas tant dans des
mesures matérielles que dans des mesures politiques, au plus grand
bénéfice de tous !
M. LE PRÉSIDENT
- Qu'entendez-vous par une "solution
politique" ? ... Une modification des lois ?
M. NICKLAUS
- Si vous le voulez bien, nous en parlerons à huis
clos.
M. TOURNAIRE
- J'ajoute qu'un charter est un vol commercial...
M. LE RAPPORTEUR
- C'est pourquoi j'ai utilisé le terme de "vol
spécifique".
M. TOURNAIRE
- Nous avons connu un vol charter qui s'est très mal
passé à Bamako : les passagers sont descendus et sont
remontés avec des barres de fer ! Certains officiers de police ont
même été blessés et l'avion a été
très endommagé. Ce n'est donc pas la solution si l'avion n'est
pas protégé à l'arrivée !
Au lendemain des événements de l'église Saint-Bernard, le
Gouvernement a demandé à l'armée de l'air de ramener les
Maliens expulsés dans leurs pays. Le chef d'état-major de
l'armée de l'air a fait savoir qu'il n'était pas souhaitable que
la chose se reproduise pour l'image de l'armée de l'air. Je pense qu'il
va falloir choisir si l'image de l'armée de l'air est plus importante
que le fonctionnement des compagnies aériennes françaises !
M. LE PRÉSIDENT
- Selon vous, c'est l'armée qui doit s'en
charger ?
M. TOURNAIRE
- Je pense que les avions de l'armée sont des avions
d'Etat, les problèmes de reconduites aux frontières massives
relèvent de l'Etat et les équipages de l'armée de l'air
sont formés et ont tous les moyens logistiques nécessaires pour
pouvoir accomplir cette mission de la meilleure façon possible.
M. LE PRÉSIDENT
- Inutile de vous dire que l'armée n'est
pas du tout d'accord...
M. TOURNAIRE
- Ce n'est pas mon propos. Je ne peux pas m'exprimer sur ce
point...
M. LE RAPPORTEUR
- Comment est traitée à votre
connaissance la question de l'éloignement par voie aérienne chez
nos principaux partenaires européens ?
M. TOURNAIRE
- De nombreux pays pratique l'éloignement
accompagné médicalisé.
M. LE RAPPORTEUR
- Sous somnifère ?
M. TOURNAIRE
- C'est cela. Les expulsés sont accompagnés
d'un médecin, qui assure l'accompagnement médicalisé
jusqu'à destination.
M. LE RAPPORTEUR
- C'est-à-dire sous tranquillisant ?
M. TOURNAIRE
- Je ne sais pas quels sont les produits utilisés...
M. LE PRÉSIDENT
- Quels sont ces pays ?
M. TOURNAIRE
- Danemark, Hollande, Allemagne. Beaucoup de pays
européens...
M. LE RAPPORTEUR
- Il y en a certainement d'autres...
M. NICKLAUS
- Certainement.
M. LE RAPPORTEUR
- ... Et les Etats-Unis ?
M. TOURNAIRE
- Je pense que l'Air Force est peut-être moins
regardante sur son image de marque !
M. LE PRÉSIDENT
- La parole est aux commissaires....
M. MAMAN
- Combien d'expulsés peut contenir un avion ? Y a-t-il
une limite ?
M. TOURNAIRE
- Il existe un nombre maximum, en fonction du type de
reconduits, de la destination et de la capacité de l'avion. Certains
reconduits sont accompagnés, d'autres non. C'est une classification qui
est établie par les services administratifs de la DICCILEC, qui
connaît les gens, qui les a étudiés pendant plusieurs jours
et qui dit s'ils ont besoin ou non d'être accompagnés.
M. MAMAN
- A quel moment le commandant de bord vérifie-t-il si
c'est exact ? De quels moyens de contrôle dispose-t-il ?
M. TOURNAIRE
- En général, les reconduits sont
amenés au pied de l'avion par un véhicule administratif ; nous
avons un contact direct avec l'officier de police responsable, mais la
règle est que nous devons être prévenus longtemps à
l'avance. Si nous jugeons, par exemple pour des raisons de
sécurité, que cette reconduite est impossible, nous le disons
à moment-là.
M. MAMAN
- Combien de temps à l'avance ?
M. TOURNAIRE
- Au moment de la préparation des vols. Disons une
heure et demie avant le décollage...
M. MAMAN
- C'est suffisant ?
M. TOURNAIRE
- Pour nous, oui ! Ce sont les textes...
M. MAMAN
- Est-il possible à un commandant de bord de refuser
d'embarquer un expulsé parce qu'il lui semble dangereux ?
M. TOURNAIRE
- Il ne le fera pas a priori, mais seulement si la personne
expulsée manifeste un comportement dangereux pour l'exécution de
sa mission.
M. MAMAN
- A quel moment pourra-t-il évaluer son
comportement ? Une fois à bord ?
M. NICKLAUS
- Il existe différentes obligations : selon les
catégories, les autorités doivent prévenir la compagnie
entre 3 heures et 24 heures à l'avance.
Le commandant de bord est prévenu lorsqu'il arrive à la
préparation des vols soit, pour les longs courriers, deux heures avant
le départ, mais nous ne pouvons refuser le transport d'un passager,
expulsé ou non, que lorsque son attitude compromet la
sécurité ou le bon ordre à bord.
M. MAMAN
- Entre le moment où il est entré dans l'avion et
celui où vous allez décoller...
M. NICKLAUS
- Ou même après : c'est arrivé...
M. MAMAN
- Quels sont vos rapports avec les autorités de police
que vous allez recevoir dans l'avion. Avez-vous avez une réunion
préalable ?
M. NICKLAUS
- Tout ceci a été largement codifié au
fil des années. Chacun fait son travail. Nous sommes là pour
conduire un avion et des clients d'un point à un autre. Nous avons ce
jour-là à bord des clients particuliers qui nous sont
imposés, et nous opérons dans le cadre de nos
prérogatives. Les autorités de police, quant à elles,
opèrent dans le cadre de leurs propres prérogatives, mais il n'y
a plus de conflit entre les commandants de bord et les autorités de
police.
Les rôles sont définis. Chacun comprend les problèmes de
l'autre. Ceci n'empêche pas qu'il y ait de la part des autorités
de police des pressions très fortes...
M. LE PRÉSIDENT
- Les fonctionnaires de police connaissent aussi
leur métier : ils sont spécialisés dans ce genre de
convoyage...
M. TOURNAIRE
- Malheureusement, ils ne respectent pas toujours
scrupuleusement les procédures. Ceci pose souvent des problèmes
à l'embarquement, ce qui a pour conséquence de repousser les gens
sur un vol ultérieur.
M. ALLOUCHE
- Faut-il une autorisation pour filmer à bord ?
Par ailleurs, selon vous, la question des reconduites s'est-elle
aggravée ? Si oui, comment l'expliquez-vous ?
M. TOURNAIRE
- Il est interdit de filmer ou de photographier dans
l'enceinte de la plupart des aéroports du monde, sauf autorisation
particulière de l'autorité compétente.
Une fois l'avion en vol, la chose relève du commandant pour ce qui
concerne la cabine de pilotage. Pour ce qui se passe derrière, je ne
pense pas qu'il existe de texte...
En second lieu, comme je l'ai déjà dit, la situation ne s'est pas
aggravée, c'est le nombre de reconduits qui a augmenté ! Il y a
pratiquement un reconduit sur chaque vol et on compte pratiquement cinq ou six
vols par semaine sur Bamako.
En outre, certaines personnes refusées lors de l'embarquement sont
reconduites sur un vol ultérieur...
M. LE PRÉSIDENT
- Vous avez bien dit qu'il fallait constater que
c'était une tendance qui allait s'aggravant ?
M. TOURNAIRE
- Je pense surtout que le comportement des habitués
des lignes entre l'Afrique francophone et la France ont évolué
sous le poids de la presse locale, mais également française.
M. LE PRÉSIDENT
- Il s'agit plus du comportement des passagers
que de celui des reconduits ?
M. TOURNAIRE
- ... Ainsi que leur nombre !
M. NICKLAUS
- Les incidents étaient beaucoup plus rares dans le
passé. Quant aux reconduits, ils tentent plus qu'avant de
résister, en sachant qu'ils ont de fortes chances de réussir !
M. LE PRÉSIDENT
- Il s'agit de passagers qui partagent la
même nationalité que les expulsés ?
M. TOURNAIRE
- ... Ou voisine.
M. LE PRÉSIDENT
- Il existe une sorte de solidarité...
M. NICKLAUS
- Certains passagers Européens ou Français
expriment aussi leur désapprobation. Il y a d'ailleurs eu des lettres en
ce sens adressées à la direction. Je pense que la direction
générale aurait été plus à même de
vous répondre...
M. LE PRÉSIDENT
- Ces Français n'ont pas aidé
à la résistance ?
M. NICKLAUS
- Physiquement, non.
Mme DUSSEAU
- Quel était le nombre total de passagers que
transportait l'avion au moment de l'émeute que vous avez
rapportée ?
M. NICKLAUS
- Entre 120 à 130 personnes.
Mme DUSSEAU
- Il y avait donc sept expulsés, 130 personnes
transportées et 8 policiers présents ?
M. NICKLAUS
- oui.
Mme DUSSEAU
- Soit, un policier par personnes -ou un peu plus.
M. NICKLAUS
- Oui.
Mme DUSSEAU
- Combien de personnes ont pris fait et cause pour les
expulsés ? Pouvez-vous indiquer le nombre d'Européens et
d'Africains ?
M. NICKLAUS
- Une quinzaine. En effet, l'embarquement était en
cours et les événements se déroulaient à
l'arrière de l'avion, les passagers expulsés étant
étalés sur les sièges. Ce sont donc les passagers qui se
trouvaient le plus près qui ont davantage réagi. Les autres ne
voyaient pas bien ce qui se passait, d'autant que les perturbateurs et quelques
autres témoins étaient debouts et gênaient la vision...
Mme DUSSEAU
- Ceux que vous qualifiez de perturbateurs sont les
reconduits ?
M. NICKLAUS
- En effet...
Mme DUSSEAU
- Etaient-ils "scotchés" ?
M. NICKLAUS
- Oui... Parmi les perturbateurs figuraient aussi certains
autres passagers, dont la moitié faisait partie de la
délégation officielle que j'ai déjà
évoquée.
Mme DUSSEAU
- Quels était le nombre des personnes ?
M. NICKLAUS
- Une quinzaine d'actifs.
Mme DUSSEAU
- Essentiellement guinéens ?
M. NICKLAUS
- ... Ainsi que des Maliens.
Mme DUSSEAU
- Connaissez-vous, dans les autres pays, des exemples
d'expulsions qui se passent mal ?
En second lieu, à votre connaissance, que les expulsés soient
sous assistance médicale ou non, d'autres pays connaissent-ils aussi des
manifestations de la part des passagers ?
M. NICKLAUS
- Je ne puis parler que de la France. Lorsque j'ai eu
à mon bord des policiers d'un Etat parmi ceux que l'on a cités
accompagnant une personne expulsée, il n'y a jamais eu d'incident, mais
je ne sais pas s'il y a des incidents sur leurs propres compagnies...
M. LE RAPPORTEUR
- Quel était le nombre de policiers par
expulsé ?
M. NICKLAUS
- Deux pour un.
M. TOURNAIRE
- Je pense que les procédures d'accompagnement ne
sont pas les mêmes. Je ne suis pas sûr non plus qu'il y ait des
manifestations en faveur des reconduits. En effet, selon moi, il existe des
fuites.
M. LE RAPPORTEUR
- Vous avez des contacts avec des commandants de bord
de compagnies étrangères : en discutez-vous entre vous ?
M. NICKLAUS
- Lorsque nous rencontrons des collègues, nous
parlons de sujets qui nous intéressent davantage, aéronautiques
par exemple... Il est vrai que l'on compte moins d'expulsés sur les
compagnies étrangères que sur nos compagnies.
En effet, en France, une personne en situation irrégulière est
placée en rétention pour un certain nombre de jours. Puis, si le
tribunal le décide, cette rétention est prolongée. Au bout
de douze jours, si la personne n'a pas quitté le territoire
français, on la remet en liberté.
Dans les autres pays, il n'en va pas de même. En Allemagne, par exemple,
la durée de la rétention est de six mois ; aux Pays-Bas, pays que
d'aucuns considèrent comme trop libéral, la rétention dure
une année, et en Grande-Bretagne le temps de rétention est
illimité.
Ces pays, ayant des lois différentes, procèdent
différemment, et organisent des vols groupés. Il y a donc
beaucoup moins de passagers de ce type dans les avions de lignes
régulières.
M. LE PRÉSIDENT
- Je crois que la curiosité de tous nos
collègues a été largement satisfaite.
J'ai compris que vous souhaitiez le huis clos...
M. NICKLAUS
- Oui.
M. LE PRÉSIDENT
- Monsieur le Rapporteur, vous n'y voyez pas
d'inconvénient ?
M. LE RAPPORTEUR
- Absolument pas, Monsieur le Président !
M. LE PRÉSIDENT
- Nous allons donc suspendre la séance
quelques instants...
La séance est suspendue quelques instants.
(Les débats se poursuivent à huis clos).
M. JEAN-PIERRE CHEVÈNEMENT,
MINISTRE DE
L'INTÉRIEUR
MARDI 12 MAI 1998
M. LE
PRÉSIDENT
. - Nous tenons ce soir la dernière audition de la
Commission d'enquête selon le calendrier que nous nous étions
fixé. A cette occasion, il était normal que nous entendions
Monsieur le Ministre de l'Intérieur pour la deuxième fois afin de
conclure et de nous forger non pas des impressions, mais une opinion.
Par conséquent, Monsieur le Ministre, soyez le bienvenu ici et je peux
vous assurer que nous allons apporter à vos réponses la plus
grande attention. Je dis à vos réponses parce que le rapporteur
est arrivé à un certain nombre de synthèses et il va, sur
des points très concrets, poser des questions qui permettront d'asseoir
notre conviction.
Monsieur le Ministre, je vais vous demander de prêter serment. Je ne le
demande pas à vos collaborateurs.
M. LE MINISTRE
. - Je peux m'adresser à eux cependant.
(M. le Président donne lecture des dispositions de l'article 6
de l'ordonnance du 17 novembre 1958 ; M. Jean-Pierre
Chèvènement prête serment).
M. LE MINISTRE
. - Je souhaiterais pouvoir faire une déclaration
liminaire et après je répondrai à vos questions. Je suis
disponible jusqu'à 19 heures.
M. LE PRÉSIDENT
. - Nous vous remercions de cette
disponibilité.
Chers collègues, vous êtes nombreux ce soir. C'est un
témoignage de l'intérêt que vos déclarations
suscitent, Monsieur le Ministre. Je pense qu'il faut réserver une heure
aux échanges et déclarations des collègues.
Vous pouvez faire une déclaration liminaire.
M. LE MINISTRE
. - Oui, Monsieur le Président. D'abord, je pense
qu'il est utile que vous connaissiez les derniers résultats de cette
opération qui, comme vous le savez, est encore en cours. Les
statistiques dont je dispose à la fin du mois d'avril font
apparaître que 144.707 demandes ont en fait été
formulées. Ce chiffre n'est pas définitif, mais le traitement des
dossiers a fait apparaître un nombre important de doubles comptes ou de
personnes n'habitant pas à l'adresse indiquée, qui ont
été relancées sans succès. Il est apparu même
que dans certains cas, certaines de ces personnes habitaient encore dans leur
pays d'origine.
Nous sommes donc à 144.707 demandes sur lesquelles les autorisations de
séjour, en dehors des récépissés dont je vous
expliquerai tout à l'heure ce qu'ils sont, se montent à 48.901.
Les rejets à 45.913. S'ajoutent
13.701 récépissés qui correspondent à des
dossiers incomplets auxquels généralement il ne manque qu'une
pièce et qui, dans la très grande majorité des cas,
préfigurent une régularisation. Au total, le taux de rejet au 30
avril 1998 est donc de 42,31 %. Cette opération de
régularisation n'est pas terminée. J'ai demandé que chacun
puisse être reçu personnellement. Actuellement, 75 % des dossiers
ont été traités. La totalité devrait l'être
à la fin du mois de mai. Disons que certains retards s'expliquaient dans
des départements où le nombre de demandeurs était
très élevé. Trois d'entre eux concentrent la moitié
des demandes, et la loi Réséda vient seulement d'être
publiée au Journal Officiel. Je signe tout à l'heure la
circulaire d'application qui a d'ailleurs 48 pages.
Voilà pour les chiffres qu'il était bon que vous connaissiez
d'emblée.
Je rappelle que cette opération a toujours été une
opération sur critères. Jamais le gouvernement n'a annoncé
une régularisation générale. Il ne l'a pas fait pour ne
pas donner un signal qui aurait pu être compris d'une manière
telle que tout étranger venant en France aurait ainsi un droit acquis et
imprescriptible à s'y installer. Vous n'ignorez pas que 85 millions
d'étrangers viennent en France chaque année pour des raisons
touristiques et 1,7 million y viennent avec un visa de trois mois. La plupart
de ceux qui demeurent sur le territoire en situation irrégulière
sont des gens qui sont venus sur le territoire avec un visa et qui ont
prolongé leur séjour au-delà de trois mois. Environ
66 %.
Donc, le gouvernement s'est inspiré de l'avis portant sur la
régularisation de séjour d'étrangers dits " sans
papiers ", du 12 septembre 1996, avis donné par la Commission
nationale consultative des droits de l'homme. Je crois utile de vous rappeler
ce qu'étaient les catégories pour la Commission nationale
consultative des droits de l'homme, notamment à l'instigation des
médiateurs de Saint-Bernard, mais je crois utile de vous rappeler
quelles étaient les personnes qui devaient faire partie des
catégories régularisées pour cette Commission. C'est utile
parce qu'on verra la continuité, contrairement à tout ce qui est
dit dans des conditions non seulement d'approximation, de déformation
constante de la réalité et même du mépris de la
réalité, contre lesquelles je n'ai cessé de protester
depuis longtemps.
Il s'agit des personnes ayant vocation à devenir Français, des
personnes aspirant à une vie familiale normale, droits garantis par
l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme. Il a
été reconnu par le Conseil constitutionnel : conjoint d'un
étranger en situation régulière en France, parents
d'enfants nés en France, personnes ayant un proche parent
résidant régulièrement en France, ascendant ou enfant,
personnes dépourvues de titre de séjour qui, en l'absence de
trouble à l'ordre public, ont une bonne insertion dans la
société française, notamment en raison de
l'ancienneté du séjour, de la justification d'un travail, pouvant
justifier d'un domicile, de l'acquittement des impôts et des charges
sociales, de la scolarisation des enfants.
Vous reconnaissez là la fameuse catégorie 1-6 dite des
étrangers sans charge de famille, régularisables.
Enfin, personnes déboutées du droit d'asile dont le retour dans
le pays d'origine les exposeraient à des risques sérieux, ou
personnes malades justifiant d'un certificat médical établi dans
des conditions sérieuses et les étudiants en cours
d'études universitaires reconnues.
La Commission, en septembre 1996, demandait que ces personnes soient
accueillies dans de bonnes conditions sur tout le territoire, et que la carte
de séjour porte la mention de salarié.
Nous n'avons rien fait d'autre. Le gouvernement s'est scrupuleusement
acquitté de la tâche qu'il s'était fixée et
notamment à la suite des déclarations du Premier Ministre lors du
débat de politique générale du 19 juin 1997. Je rappelle
ses propos.
M. Jospin a déclaré " la France doit définir une
politique d'immigration ferme et digne, sans renier ses valeurs, sans
compromettre son équilibre social. L'immigration est une
réalité économique, sociale et humaine, qu'il faut
organiser, contrôler et maîtriser au mieux, en affirmant les
intérêts de la nation et en respectant les droits de la personne.
La République accueille ses hôtes selon ses lois qui doivent
être claires et précises. L'immigration irrégulière
et le travail clandestin qui, je le sais, ne sont pas le seul fait des
étrangers, seront combattus sans défaillance parce que l'un et
l'autre compromettent l'intégration et parce qu'ils sont contraires
à la dignité même des immigrés. La politique de
coopération avec les Etats d'émigration prendra en compte
l'objectif de la maîtrise des flux migratoires. "
Et il ajoutait : sans attendre, le gouvernement a décidé de
mettre fin à certaines situations intolérables et inextricables
qui résultent des contradictions de la législation en vigueur.
Des instructions seront données aux préfets dans les prochains
jours pour qu'ils procèdent, sur le fondement de critères
précis, à un examen attentif et personnel de ces
situations. "
Rien n'est plus injuste que de prétendre que le gouvernement aurait
manqué à ses promesses. Le gouvernement a scrupuleusement tenu
ses engagements. Quant à ceux qui évoquent l'abrogation des lois
Pasqua, Debré, ils ne trouveront jamais ce mot dans ma bouche, à
aucun moment, et si le Premier ministre les a prononcés en une seule
occasion, il suffit de se reporter à toutes ses déclarations, en
toute autre circonstance, pour savoir que dans son esprit il s'agissait de
réformer la législation existante non pas de l'abroger. Pour y
substituer quoi ? Encore faudrait-il qu'on se pose le problème. Car ceux
qui prétendent qu'ils sont pour le droit à la circulation et pas
pour le droit à l'installation méconnaissent le fait que le droit
à la circulation débouche forcément sur l'installation
dans un certain nombre de cas.
Je ne veux pas faire litière de tout ce qui ne tient pas la route,
encore que j'aimerais quand même évoquer quelques points au
passage.
D'abord, je lis un article dans un grand journal du soir : le délai
expire le 30 mai prochain, comme s'il s'agissait d'un délai couperet.
Non, il y a des recours possibles, gracieux et hiérarchiques.
80.000 personnes sont sur le point d'être chassées du sol
français sans ménagement aucun. L'actualité l'a
démontré maintes fois. C'est faire litière de toutes les
allégations mensongères qu'on trouve répandues à
profusion sur des étrangers soi-disant bâillonnés ou
drogués. Cela n'a jamais existé. Cela relève de la
fantasmagorie. Dois-je préciser que les droits de l'homme, encore une
fois, qu'on invoque sont aussi ceux du citoyen et qu'on ne peut pas poser les
droits de l'homme indépendamment de l'organisation politique qui permet
de les garantir, c'est-à-dire de la citoyenneté ?
Faut-il que j'aille beaucoup plus loin ?
Le problème de l'immigration est rarement vu dans sa
réalité. On ne voit que la pointe émergée d'un
iceberg qui est l'ensemble des relations internationales et notamment des
relations nord sud, et on ne peut pas poser justement ce problème de
l'immigration si on n'a pas présent à l'esprit ce qui est la base
de tout. Je pense qu'il faut créer dans les pays du sud, et
peut-être dans certains pays de l'est, les conditions du
développement et de l'avènement d'un Etat de droit. Si on n'est
pas capable de penser à l'échelle mondiale, il ne faut pas se
revendiquer du beau nom d'intellectuel. Il faut penser le problème dans
sa dimension réelle.
Jaurès nous l'a appris. Il faut avoir un idéal, mais il faut
garder le contact avec le réel.
J'ajoute que tout Etat, il faut le rappeler, se donne le droit d'accueillir ou
non des étrangers sur son sol. La législation sur le
séjour n'est pas propre à la France, elle existe dans tous les
pays du monde entier.
On évoque le fait que les non régularisés seraient des
célibataires. Je voudrais simplement dire que l'esprit de la circulaire
étant de faire pleinement sa place au droit de vivre en famille, il
n'est pas anormal que ce soient surtout des célibataires qui soient les
déboutés de cette circulaire. Il n'en reste pas moins que
près du quart des régularisés sont quand même des
célibataires qui témoignaient d'une bonne insertion. Je vous
rappelle les recommandations de la Commission nationale consultative des droits
de l'homme.
Tout est à l'avenant. Je ne vais pas évoquer l'Algérie.
Personnellement, je suis partisan d'assouplir fortement notre politique
vis-à-vis de l'Algérie, mais je suis tout à fait hostile
à considérer que l'Algérie est un pays qu'on pourrait en
quelque sorte abandonner et sur lequel on pourrait tirer un trait comme s'il
était devenu aujourd'hui et pour toujours un Etat de non-droit. Je
n'ignore pas et je souffre à l'idée de ce qui se passe en
Algérie, mais je pense que la meilleure aide qu'on peut apporter
à l'Algérie ne consiste pas à donner en quelque sorte un
signal de détresse et de fuite qui priverait, encore une fois, ce pays
de la majorité de ses élites dont il a besoin pour construire son
avenir et trouver une identité conforme aux exigences des temps
contemporains. D'ailleurs, ce n'est pas ce que les autorités
algériennes nous demandent.
Je vois que la France n'accorde aujourd'hui quasiment plus le droit d'asile. Je
donnerai des chiffres tout à l'heure. Vous verrez que tout cela n'est
pas vrai même si la politique est très restrictive.
Je pourrais encore répondre à quelques
contre-vérités.
Les flux migratoires ont toujours été stables.
Malheureusement, je regarde, moi, le chiffre des reconduites aux
frontières et il va sans cesse croissant. Et dans les pays
étrangers, j'étais hier en Suisse et dans d'autres encore,
j'observe que la réalité du monde n'est pas celle qu'on nous
décrit. Il y a malheureusement, et pour des raisons aisément
compréhensibles de la misère, des guerres civiles,
étrangères, des flux de population toujours croissants. Enfin,
j'observe que l'égalité des droits est acquise sur le plan
social. Il y a eu un débat au Sénat, dont vous avez gardé
le souvenir, et cette égalité des droits vaut entre
Français et étrangers en situation régulière.
Sinon, tout le monde pourrait avoir le droit au travail, le RMI, le
bénéfice de la sécurité sociale, mais aussi le
bénéfice des prestations non contributives, c'est-à-dire
prestations aux adultes handicapés et les prestations du fonds national
de solidarité.
Je pense qu'on pourrait encore épiloguer longtemps sur un certain nombre
de contre-vérités, d'associations d'idées qui courent les
rues et auxquelles on devrait plus souvent tordre le cou, si tant est qu'un peu
d'esprit critique voulait bien s'exercer. Je crois que le problème peut
être résolu humainement, dans une perspective politique, parce
qu'on ne peut pas et on ne doit pas faire litière de la politique quand
on est affronté à un problème comme celui-là.
Je vais, si vous le voulez bien, vous dire que la logique de l'opération
était simple. Il existait plusieurs dizaines de milliers
d'étrangers qui étaient à la fois privées du droit
au séjour et inexpulsables, notamment des parents d'enfants
français ou nés en France, mais aussi des conjoints, et je crois
que c'est à cette situation que nous voulions mettre un terme. Il y a
été mis un terme définitif grâce au vote de la loi
Réséda, qui n'est pas l'objet de votre Commission, mais la loi
Réséda, en instituant la carte de séjour vie privée
et familiale, tire définitivement un trait sur cette situation que le
Premier ministre qualifiait d'intolérable et d'inextricable. C'est un
des acquis de la loi.
Par ailleurs, nous avons voulu préserver la nécessaire ouverture
de la France sur le monde. Notre pays est un grand pays, quatrième
puissance commerciale, premier pays de destination touristique accueillant
125.000 étrangers par an. Il y a un certain nombre de cartes
scientifiques notamment qui ont été créées, mais
tout cela est dans le prolongement de la circulaire. Et nous avons toujours
pensé que notre politique ne pouvait prendre naissance que dans le
contexte d'une politique de co-développement qui a un contenu
très riche, économique mais aussi politique. J'ai eu l'occasion
de m'en entretenir avec Madame l'ambassadeur du Mali et d'autres responsables
politiques africains.
L'opération de régularisation s'est déroulée dans
des délais beaucoup plus rapides qu'en 1981/82, elle va s'achever au
niveau des préfectures à la fin mai, avec le mécanisme de
recours dans le courant de l'été. Mais on peut considérer
que cette opération a été remarquablement menée et
je tiens à rendre hommage aux services des préfectures, aux
préfets qui se sont engagés, aux chefs de service des
étrangers et à l'ensemble des personnels. Ils ont excellemment
fait leur travail. Je voudrais aussi rendre hommage à M. Galabert et
à tous ceux qui nous ont aidés, au fur et à mesure que
l'opération progressait, à faire en sorte qu'un certain nombre de
directives puissent être données à temps pour que partout
prévale la même interprétation des critères
fixés par la circulaire.
Nous sommes donc dans la phase où cette opération va se terminer.
Elle est encore en cours, mais je pense qu'au mois de juin on y verra plus
clair et, dans le courant de l'été, les recours
hiérarchiques, notamment ceux qui touchent les personnes dont le retour
dans leur pays d'origine pourrait menacer leur vie car les préfectures
n'ont pas toujours les éléments nécessaires pour
l'apprécier, ou bien les malades car là aussi, bien qu'on fasse
appel à des médecins hospitaliers, ce n'est pas toujours facile
à interpréter. Et puis, il y a les déboutés du
droit d'asile, mais certains l'ont été en d'autres temps qui
peuvent mériter un réexamen particulier. Donc, cette
opération ne pourra être définitivement
considérée comme terminée que dans le courant de
l'été.
Comme vous le savez, les demandes se sont portées plus
précisément sur certaines préfectures, notamment dans la
région parisienne, les Bouches-du-Rhône, le Midi de la France, la
région lyonnaise, la région parisienne. D'autres ont
été très peu sollicitées.
Je veux maintenant m'acheminer vers la conclusion de cet exposé
liminaire. Nous avons voulu sortir d'une situation malsaine, rassembler les
Français sur une politique raisonnable, soustrayant l'immigré
à son rôle de pushing ball dans un débat politique souvent
malsain.
Je dirai que dans un régime démocratique, la contestation est
naturelle et ne peut cependant pas s'affranchir des devoirs de l'information et
d'une information aussi objective que possible. D'une bonne
compréhension de ce qu'a voulu faire le gouvernement et de qu'il a
déclaré vouloir faire. Je n'aimerais pas qu'un certain nombre de
gens qui aujourd'hui crient au loup alors que le loup n'y est pas et que
demain, à force de s'être mobilisés, ne trouvent plus
personne quand le loup y serait. Et quand un certain nombre de dispositions,
comme par exemple la carte de séjour vie privée et familiale, ou
la carte de séjour scientifique ou encore profession artistique et
culturelle, ou l'obligation de motiver des refus de visa pour des personnes
ayant de la famille en France ou ayant droit au séjour, ou encore des
dispositions relatives au droit d'asile, ou encore l'égalité des
droits sociaux, si tout cela venait à être remis en cause,
j'aimerais que tous ceux qui se mobilisent aujourd'hui au nom des droits de
l'homme puissent trouver autour d'eux un renfort crédible. Donc, il me
semblerait souhaitable qu'un peu plus d'objectivité puisse
prévaloir.
Je remercie la DLPAJ, direction des libertés publiques et des affaires
juridiques, son directeur et les équipes qui ont beaucoup
travaillé autour de lui, pour leur inlassable activité afin de
préciser les conditions dans lesquelles cette opération pouvait
être menée. Il reste quelques milliers de recours à
examiner, ce n'est pas un petit travail, mais il sera mené dans les
délais que j'ai fixés.
Quels que puissent être les reproches qui nous sont faits, nous avons
toujours voulu agir dans le souci de la dignité humaine. Je rappelle que
des délais ont été donnés, notamment à
partir de la parution de la circulaire de l'OMI, trois mois avant que soient
pris les arrêtés de reconduite à la frontière, que
celle-ci s'effectue sous contrôle du juge.
Dans l'ensemble, beaucoup quittent le territoire national d'eux-mêmes. 75
% de ceux qui font l'objet d'arrêtés de reconduite regagnent leur
pays sans aucune escorte policière. Seuls ceux qui font obstacle
à leur reconduite sont reconduits sous escorte. Ensuite, il faut quand
même prendre la mesure des choses. Etre reconduit dans son pays n'est pas
terrible si ce pays est une démocratie et c'est souvent le cas.
Et j'ajoute qu'aucun pays de renvoi n'est aujourd'hui un pays dans lequel nous
considérons qu'il n'y a aucune possibilité de réinsertion
dans l'immédiat.
Par conséquent, je crois qu'il faut garder la mesure des choses.
Bien sûr, il n'y a pas eu de pièges tendus par l'administration.
Nous avons toujours tenu le même langage et nous continuerons à le
tenir, en examinant avec beaucoup de soin tous les cas particuliers qui
pourraient nous être signalés.
Je pense que c'est là notamment le rôle non seulement des
parlementaires, mais aussi de tous ceux que la situation d'un certain nombre
d'étrangers, même en situation irrégulière,
préoccupe légitimement.
Voilà ce que je voulais vous déclarer avant l'audition proprement
dite.
M. LE PRÉSIDENT
. - Monsieur le Ministre, merci de cet
exposé liminaire fort complet et fort intéressant. Vous avez
cité non seulement des chiffres, mais une vision assez approfondie d'un
problème dont nous comprenons l'importance, et sa dimension
réelle.
M. LE RAPPORTEUR
. - Je vous remercie Monsieur le Ministre. Notre
Commission d'enquête est sur le point de terminer ses travaux puisque
nous avons visité neuf préfectures et nous avons eu une vingtaine
d'auditions. Nous tenions à ce que ce soit vous qui terminiez le cycle
de ces auditions.
Alors, vous avez déjà répondu dans votre exposé
à pas mal de nos questions, notamment la première qui concernait
vos impressions à la fin de cette opération et quels
enseignements vous en tirez. Vous y avez longuement répondu.
La deuxième question concernait l'écart entre les demandes,
à l'origine c'étaient 178.757 et le chiffre de 144.707 que vous
indiquez aujourd'hui, mais vous nous avez donné quelques explications.
M. LE MINISTRE
. - Chiffre qui n'est pas définitif.
M. LE RAPPORTEUR
. - C'est à peu près le chiffre auquel
nous arriverons.
M. LE MINISTRE
. - Le chiffre ne saurait désormais que baisser.
Les 25 % de dossiers non traités peuvent correspondre aussi à des
dossiers qui ont été déposés dans plusieurs
préfectures, ou à des personnes qui ne répondent pas aux
convocations, malgré le rappel qui est toujours fait.
M. LE RAPPORTEUR
. - J'ai entendu ce que vous nous avez dit
là-dessus. D'ailleurs, vous avez dit lors de votre première
audition qu'il y a des doubles comptes et des personnes qui n'habitent pas
à l'adresse indiquée. Ne pensez-vous pas également qu'il y
a un certain nombre de personnes qui ont déposé des dossiers et
qui tout de même, devant les difficultés, ont reculé en
sentant qu'elles ne pouvaient pas être admises et sont retournées
alors dans la clandestinité ? Ou bien des associations ou des avocats
leur ont dit qu'elles n'avaient aucune chance et elles ont
préféré retourner dans la clandestinité.
M. LE MINISTRE
. - Les avocats ou associations ont plutôt
poussé, dans les dernières semaines, un certain nombre
d'étrangers à se déclarer. Et j'ai observé un
nombre important d'étrangers n'habitant pas en France, mais dont les
noms avaient été fournis à telle ou telle
préfecture. Je ne veux pas exclure qu'un certain nombre
d'étrangers qui ne correspondaient visiblement pas aux critères
de la circulaire ont préféré s'abstenir. Je crois peu
à la thèse de la peur de la préfecture. Plus de la
moitié, 70.000 étrangers qui se sont déclarés,
figurait déjà à l'AGDREF, application
généralisée de la gestion des dossiers des
étrangers en France.
Je ne crois pas que ce soit une raison déterminante. Je pense qu'il y a
eu, dans les dernières semaines, un gonflement brutal de la statistique
des demandes.
M. LE RAPPORTEUR
. - Vous aviez indiqué le 24 février, et
ce n'est pas un reproche, je m'empresse de vous le dire, que le 30 avril,
à l'exception de deux départements, Paris et les
Bouches-du-Rhône, l'opération serait terminée. Or, à
l'heure actuelle il n'en est rien. Et vous nous avez indiqué que
l'opération serait terminée dans tous les départements fin
mai. Donc, les raisons de ce retard sont des raisons administratives.
M. LE MINISTRE
. - C'est surtout la volonté de faire en sorte que
là où dans certaines préfectures on n'avait pas pris le
soin d'entendre chaque étranger concerné, cette règle que
j'avais fixée à l'origine, soit suivie. On m'a prévenu
que, dans certains cas, un certain nombre de préfectures avaient cru
pouvoir s'affranchir de la nécessité de convoquer telle ou telle
personne. Le délai d'un mois a permis de traiter tous ces cas, et puis
naturellement il n'y a pas un couperet. Encore une fois, il y a des recours
gracieux, mais ils doivent faire apparaître, en principe, des
éléments nouveaux, et il y a également des recours
hiérarchiques. Je réfléchis aux conditions dans lesquelles
certains recours hiérarchiques pourraient être satisfaits.
Par exemple, Madame l'ambassadeur du Mali m'a demandé qu'on tienne
compte des déboutés du droit d'asile avant 1991. Vous savez que
le Mali a connu un certain nombre de changements. En 1991, on peut
considérer qu'un régime démocratique s'est établi
au Mali. On peut regarder si une autorisation provisoire de séjour,
donnée avant 1991, ne pourrait pas dans certains cas être
considérée comme un titre de séjour régulier. Le
critère de la circulaire du 1-6, c'était la bonne insertion, mais
là le mot venait directement de la Commission des droits de l'homme,
septembre 96. A partir de là, s'il y avait une bonne intégration
d'un étranger, même n'ayant pas de charge de famille en France,
à condition qu'il y soit demeuré au moins sept ans, et si un
faisceau d'indices permettait de l'apprécier positivement, la
possibilité était donnée de régulariser.
En pourcentage du total, cela n'est pas rien, nous avons
10.200 régularisations d'étrangers sans charge de famille,
régularisables. C'est donc un chiffre qui n'est pas négligeable.
Par catégorie, je vais vous donner le nombre de régularisations
effectuées.
- Pour les conjoints de Français : 3700.
- Pour les conjoints étrangers en situation régulière :
8500.
- Pour les conjoints de réfugiés statutaires : 600.
- Pour les familles étrangères de longue date en France : 8500.
- Pour les parents d'enfants de moins de 16 ans nés en France : 15.700.
Je crois que ce sont des inexpulsables.
- Les enfants d'étrangers en situation irrégulière,
entrés hors regroupement familial : 3600.
- Mineurs de moins de 16 ans : 5200.
- Etrangers sans charge de famille, régularisables : 10.200.
- Etrangers malades : 2100.
- Etudiants en cours d'études supérieures : 1100.
- Personnes encourant des risques vitaux en cas de retour dans leur pays
d'origine : 900.
C'est à la date du 30 avril.
Il nous manque peut-être l'Essonne là-dedans et il faut tenir
compte de ce qui a été enregistré sur l'AGDREF, mais c'est
sur un échantillon voisin.
M. LE RAPPORTEUR
. - Les pourcentages seront donc constants à la
fin de l'opération.
M. LE MINISTRE
. - Pour les catégories, je le crois.
Les cas les plus difficiles sont ceux d'étrangers sans charge de
famille. Mais c'est normal puisque tout l'esprit de la circulaire de
régularisation consistait à faire très largement part,
dans un souci d'intégration, au droit des familles et de
régulariser les personnes qui étaient privées du droit au
séjour bien qu'inexpulsables.
M. LE RAPPORTEUR
. - Les dossiers suivent donc trois phases :
l'instruction, la décision, et ensuite la notification.
Concernant l'instruction, elle sera terminée dans tous les
départements à quelle date ?
M. LE MINISTRE
. - 30 mai.
M. LE RAPPORTEUR
. - Sauf recours hiérarchiques.
M. LE MINISTRE
. - Sauf recours hiérarchiques, auquel cas nous
donnons le temps d'examiner ces recours. Il y en a à peu près
7000. Il faut donc que nous puissions d'abord les étudier et
définir des critères. J'en évoquais un tout à
l'heure pour les déboutés du droit d'asile. Peut-être y
a-t-il une réflexion à conduire sur certains pays pour lesquels
les préfectures n'ont pas forcément les informations. Nous ferons
aussi en sorte de corriger certaines inégalités qui auraient pu
apparaître.
M. LE RAPPORTEUR
. - A quelle date la totalité des dossiers
auront-ils fait l'objet d'une décision ?
M. LE MINISTRE
. - Dans le courant de l'été ; et
l'été c'est du 21 juin au 21 septembre. Mais pour 90 % des cas,
les choses seront réglées dans quelques semaines, même dans
quinze jours.
M. LE RAPPORTEUR
. - La totalité des refus de
régularisation auront été notifiés à la fin
de l'été ?
M. LE MINISTRE
. - Ils peuvent l'être dès lors que le
délai de trois mois, depuis la parution de la circulaire OMI, s'est
écoulé. La circulaire OMI date du 24 janvier.
M. LE RAPPORTEUR
. - Je parlais de la notification du rejet de la demande.
M. LE MINISTRE
. - Tous les jours il y a des notifications.
M. LE RAPPORTEUR
. - Ce sera terminé à quelle date ?
M. LE MINISTRE
. - La notification de rejet comporte aussi la
possibilité de former un recours hiérarchique. Le recours peut
être fait dès aujourd'hui si la notification est faite.
M. LE RAPPORTEUR
. - Les dernières notifications de rejet seront
faites vers quelle date ?
M. LE MINISTRE
. - Je crains qu'il y ait un malentendu. Il y a la
décision prise par la préfecture et, dans mon esprit, cette
notification doit intervenir dans les prochaines semaines. Ensuite, il y a la
possibilité d'un recours hiérarchique et je pense qu'il est quand
même sage de se donner, compte tenu de l'approche des vacances, un
délai un peu plus long pour l'examen de ces recours hiérarchiques.
M. LE PRÉSIDENT
. - Monsieur le Ministre, je clarifie le
débat : d'après les informations que nous avons recueillies,
notamment auprès de vos services, nous avons décelé trois
étapes.
L'étape de l'instruction des dossiers. La préfecture rassemble
toutes les pièces nécessaires à une bonne instruction et
vous nous avez dit que cette instruction des dossiers sera terminée fin
mai.
Deuxième étape : le dossier instruit fait l'objet d'une
décision. Entre l'instruction et la décision, il y a un certain
délai. La question est : à quelle époque estimez-vous que
toutes les décisions seront prises ?
Troisième étape : entre la décision et la notification, il
s'écoule également un certain délai, et la notification de
la décision est le point de départ du recours.
C'est pour chacune de ces étapes que nous souhaiterions avoir une
appréciation sur les délais.
30 mai, c'est clair pour la première étape.
La décision, en principe, ne devrait pas tarder tellement par rapport
à l'instruction, encore que quelquefois la situation de
l'intéressé puisse amener l'autorité préfectorale
à réfléchir et à consulter.
Puis, il y a la notification. Et quelquefois il peut s'écouler des
semaines entre la décision de rejet et la notification.
M. LE MINISTRE
. - Dans mon esprit, il ne doit pas se passer plusieurs
semaines. Mais dans deux départements, il risque d'y avoir un certain
retard et je ne peux pas exclure que dans ces deux départements, Paris
et les Bouches-du-Rhône, interviennent quelques semaines après ce
qui pourrait être considéré comme le délai normal.
En tout état de cause, si je vous ai dit que tout serait tranché
dans le courant de l'été, c'est que je ne suis pas prêt
à accepter qu'un certain nombre de départements puissent se
donner encore du temps. Je crois qu'il faut aussi qu'il y ait un minimum de
règles dans la République et que par conséquent, si les
départements, pour des raisons compréhensibles, ont beaucoup de
retard, ils ne considèrent pas qu'ils ont tout le temps devant eux.
M. LE PRÉSIDENT
. - Tout ceci sera dans le rapport. Nous avons
intérêt à avoir tous une notion très claire et sans
ambiguïté. Nous comprenons que vous souhaitez que les
notifications, c'est-à-dire la fin de la procédure, hors les
recours, soient terminées au milieu de l'été.
M. LE MINISTRE
. - Avant. Au début de l'été. Et je
considère que les recours hiérarchiques qui peuvent être
faits devront être traités avant la fin de l'année.
J'espère être clair. Je n'ai aucune information à vous
cacher. Je considère que cette opération a été
exemplaire. Je l'ai conduite en y mettant un souci scrupuleux. Je peux donc
répondre à toutes vos questions. Je veux simplement éviter
de dire par avance des choses qui pourraient ne pas correspondre tout à
fait à la réalité.
M. LE PRÉSIDENT
. - Nous avons bien compris cette position de
clarification que vous avez prise dès le début, et la Commission
est attentive à vos propos et ne souhaite pas du tout vous gêner
ou vous brocarder. Nous apprécions la clarification et la netteté
des propos que vous tenez.
Pour les deux départements en question, vous considérez que le
délai du début de l'été est peut-être un peu
élastique.
M. LE MINISTRE
. - Non. J'ai fait aux deux préfets
concernés les observations qui sont nécessaires.
M. LE RAPPORTEUR
. - Des questions concernant le traitement des non
régularisés.
Depuis le 24 avril 1998, date à laquelle, selon vos instructions, les
préfets sont autorisés à prendre des arrêtés
de reconduite à la frontière à l'encontre des
étrangers non régularisés, combien d'arrêtés
ont été pris et combien de personnes ont été
à ce jour effectivement éloignées ?
M. LE MINISTRE
. - Je n'ai pas les chiffres.
M. LE PRÉSIDENT
. - Vous pourrez nous les faire parvenir.
M. LE MINISTRE
. - Je ne peux pas vous les faire parvenir car je ne les
ai réellement pas. Je ne peux pas vous dire combien de reconduites ont
été effectuées à l'heure qu'il est. Un certain
fléchissement a été observé au cours des derniers
mois, qui correspond aux instructions que j'ai données par ailleurs.
Mais ce fléchissement a des raisons tout à fait faciles à
expliquer. Il correspond à la volonté des pouvoirs publics de
permettre aux étrangers qui sont en situation irrégulière
sur le territoire national de prendre des dispositions et de
bénéficier de la circulaire du 19 janvier, de l'aide au retour,
et certaines dispositions complémentaires seront prises dans le cadre
des travaux entamés par la mission interministérielle
confiée à Monsieur Samir Naïr.
Toute une réflexion est engagée pour créer les conditions
de la meilleure réinsertion dans certains pays. Je dis bien dans
certains pays, car cela doit se faire dans le cadre d'accords de
coopération avec les autorités gouvernementales de certains pays.
M. LE PRÉSIDENT
. - Nous comprenons bien que vous ne pouvez pas
nous donner au chiffre près le nombre d'arrêtés pris. Mais
vos services ont-ils une information nous permettant de dire que c'est une
centaine, une dizaine, un millier ? Quel ordre de grandeur ?
M. LE MINISTRE
. - Des milliers d'arrêtés ont
été exécutés.
M. LE PRÉSIDENT
. - C'est-à-dire que les
arrêtés ont été notifiés et les
intéressés mis dans les avions ?
M. LE MINISTRE
. - Bien sûr.
M. LE RAPPORTEUR
. - Dans le cadre de votre circulaire ?
M. LE MINISTRE
. - Je ne peux pas distinguer les deux. Il y a des
étrangers dont on s'aperçoit, à l'occasion d'une
interpellation, qu'ils n'ont pas de papiers établissant leur
séjour régulier en France. Ceux qu'on appelle improprement les
sans-papiers ont des papiers, mais ce sont les papiers de leur pays. Ils n'ont
pas de papiers français.
M. LE PRÉSIDENT
. - Il n'y a pas un circuit particulier des
déboutés de la circulaire du 24 juin ?
M. LE MINISTRE
. - Absolument pas. Comment serait-ce possible ?
Les étrangers interpellés qui sont en situation
irrégulière et qui font l'objet d'un arrêté de
reconduite, soit partent d'eux-mêmes, soit sont placés en centre
de rétention et le plus souvent ne sont même pas escortés
parce qu'ils prennent l'avion tout seuls, dans 75 % des cas. Cette
procédure qui existe dans tous les pays se passe en France comme dans
les autres pays. Et d'autres pays nous demandent quelquefois comment nous
procédons.
Il y a un certain fléchissement du nombre global de reconduites, mais
les reconduites s'effectuent toujours et c'est normal, c'est la loi.
M. LE RAPPORTEUR
. - D'ailleurs, Monsieur le directeur des
Libertés Publiques que nous avons entendu il y a quelques jours nous a
dit ce que vous venez de nous préciser.
M. LE MINISTRE
. - Je suis heureux qu'il n'y ait pas de contradiction
entre M. Delarue et moi-même.
M. LE RAPPORTEUR
. - Même si cela étonne un peu le
rapporteur, parce que je pense quand même que lorsqu'il y a des
déboutés de la demande de régularisation de la circulaire,
il doit y avoir des états et on peut quand même les suivre et
savoir s'ils partent ou s'ils sont reconduits à la frontière.
M. LE MINISTRE
. - Il n'y a pas d'états. Comment voulez-vous que
nous puissions les suivre puisque par définition la police n'est pas
habilitée à se rendre à leur domicile ? Il faudrait
pour cela un mandat d'un juge, et ce qui constitue le flux régulier de
reconduites, ce sont les gens interpellés sur la voie publique. Je mets
à part les interdits du territoire par décision judiciaire, qui
sont un nombre non négligeable, et les expulsés par
décision administrative qui sont un très petit nombre, environ
quelques dizaines. Mais là encore, c'est un abus de mot que de parler
d'expulsés à propos des reconduits. Les reconduits ne sont pas
des expulsés. Les expulsés le sont par mesure judiciaire ou
administrative quand ils portent une menace grave à l'ordre public. Les
reconduits sont mis dans un avion et quand ils sont rentrés dans leur
pays, rien ne leur interdit de faire une demande de visa pour la France ou un
autre pays.
M. LE PRÉSIDENT
. - Nous avons bien noté qu'il vous est
impossible de faire le tri entre les arrêtés de reconduite
relevant de la procédure générale et les
arrêtés de reconduite relevant de la circulaire. Une petite
expérience préfectorale me conduit à penser que les
préfets doivent bien avoir dans un coin de leur bureau une statistique
à part avec les arrêtés relevant de la procédure de
la circulaire. Je ne sais pas s'ils ne les communiquent pas à votre
ministère ou si votre direction ne fait pas des calculs à part.
Mais je note que le ministre ne peut pas faire le partage entre les deux.
M. LE MINISTRE
. - J'ai indiqué que jusqu'au 24 avril j'avais
demandé aux préfets de ne pas prendre d'arrêtés
avant que les déboutés de la circulaire ne puissent prendre
connaissance de la circulaire OMI.
Donc, à supposer même que votre intuition ne vous trompe pas, cela
ne serait pas possible pour des raisons objectives. Mais j'ajoute que je n'ai
pas donné d'instructions dans ce sens.
Ceux qui ont vu leur demande rejetée sont invités à
quitter le territoire et les préfets prendront les arrêtés
de reconduite en conséquence, après recours hiérarchique.
M. LE RAPPORTEUR
. - Au cours de nos travaux d'enquête, il nous est
apparu un certain nombre de faits qui paraissent susceptibles de contrarier
votre volonté affichée d'éloigner tous les non
régularisés, à savoir la publication tardive de la
circulaire sur l'aide au retour et le relatif échec de celle-ci.
D'après Mme AUBRY que nous avons entendue, moins de 200 départs
effectifs à la date du 30 avril 1998. D'autre part, l'absence à
ce jour d'un dispositif spécifique pour éloigner les non
régularisés. Nous nous sommes posé la question de savoir
comment on pourrait éloigner 70.000 personnes en quelques mois quand
10.000 à 12.000 le sont au plus chaque année, d'après les
indications que nous ont données vos directeurs. Les difficultés
pratiques actuellement rencontrées pour l'éloignement, notamment
l'éloignement aérien pour lequel la situation est
véritablement inquiétante sont à prendre en
considération.
Nous aimerions avoir votre sentiment sur toutes ces difficultés que vous
rencontrez et dont la Commission s'est rendu compte, après avoir entendu
le président directeur général d'Air France, les
commandants de bord, la DICCILEC, les difficultés que vous
éprouvez pour reconduire à la frontière les gens qui n'ont
pas été régularisés. Que pensez-vous de ce
problème ?
M. LE MINISTRE
. - Je n'ai jamais dit qu'on allait reconduire en quelques
mois 70.000 personnes ou 150.000. Pourquoi pas 300.000 ? Et si on suivait les
conclusions du rapport Philibert/Sauvaigo, 800.000, puisque ce rapport
chiffrait à 800.000 le nombre des étrangers en situation
irrégulière en France. Je n'ai jamais cru à ce chiffre et
j'ai toujours eu une estimation plus basse. Disons que le minimum est celui des
demandes enregistrées, 150.000. Il est vraisemblable qu'il y a des gens
qui ne se sont pas fait connaître. Nous sommes dans une fourchette que je
ne veux pas chiffrer parce que, par définition, ce qui est clandestin ne
se compte pas, mais j'ai tendance à penser que cela représente un
pourcentage de l'ordre de 0,3 à 0,4 % de la population française.
Peut-on assurer la reconduite de l'ensemble de ces étrangers en
situation irrégulière, comme cela, d'un coup ? Evidemment non.
Cela ne s'est jamais fait.
On l'a rappelé avant vous. Monsieur Debré et Monsieur Pasqua ont
pu assurer 10.000 à 12.000 reconduites par an et jamais plus. Je dirai
que malgré un léger fléchissement enregistré, je
pense que nous resterons dans des ordres de grandeur qui ne seront pas
substantiellement différents.
M. LE PRÉSIDENT
. - 10.000 ou 12.000.
M. LE MINISTRE
. - Oui, mais ce qui est important c'est la règle
selon laquelle tout étranger n'a pas un droit acquis quasi
imprescriptible à s'installer sur le territoire national. Je dirai que
tout étranger doit respecter les lois de notre pays. Et l'affirmation de
cette règle doit être suffisamment ferme pour être comprise.
Je pense que compte tenu de l'agitation qui est créée, ce message
ne manquera pas d'être compris, mais je n'y aurais été pour
rien. Je n'aurais pas eu besoin, moi, de gesticuler. Je ne fais rien, je ne dis
rien, je ne réponds pas, j'observe, je suis stoïque. Mais je
considère que l'affirmation de la loi est ce qui compte dans la
République.
M. LE PRÉSIDENT
. - Ce matin nous avons auditionné deux
commandants de bord d'Air France, d'Airbus, sur des lignes sensibles, des
lignes africaines francophones, essentiellement Bamako et Conakry, et nous
avons été assez inquiets des déclarations qu'ils ont
faites ici, avec l'aval de leurs collègues responsables d'avions sur
cette ligne.
Les difficultés pratiques actuellement nous paraissent un des facteurs
susceptibles de contrarier votre volonté d'éloigner les non
régularisés.
Certes, nous comprenons bien que vous ne puissiez pas reconduire 70.000
à 80.000 personnes supplémentaires par rapport au flux des 10.000
à 12.000 précédemment relevé. Mais comment ne pas
tenir compte de ce que l'on nous dit quand on est pilote d'un appareil sur des
lignes comme celles-là, et qu'on nous dit qu'il y a des
dificultés accrues dues à un certain échauffement des
esprits, et ici et sur place, et ils nous ont tendu des coupures de presse des
journaux francophones du Mali. Comment ne pas tenir compte de cette
montée d'une procédure tumultueuse, en tout cas périlleuse
?
Il nous paraît, disent-ils, " incompatible de faire circuler des
passagers payants sur une ligne civile, publique ou non, avec des gens qui sont
reconduits et escortés ".
N'est-ce pas un problème nouveau qui est posé au gouvernement et
notamment au ministre de l'Intérieur chargé de faire respecter la
loi ?
Nous comprenons très bien votre position, mais il y a là une
inquiétude toute nouvelle pour nous et qui est l'expression même
de ce que nous avons entendu ce matin de la part de responsables de la vie de
nombreux passagers sur des lignes d'usage quotidien.
M. LE MINISTRE
. - Monsieur le Président, je vais vous
répondre avec franchise. Je ne conteste nullement au Sénat le
droit d'instituer une Commission, d'avoir des séances publiques et de
procéder à l'audition du président de telle ou telle
compagnie aérienne, de pilotes. Mais il faut bien vous rendre compte, je
vous le dis encore une fois sans aucun esprit malveillant, que la
publicité donnée à ces déclarations ne facilite pas
la tâche du ministre de l'Intérieur, car vous n'ignorez pas qu'un
certain nombre de gens recherchent des postures morales avantageuses qui ne
leur font pas courir personnellement beaucoup de risques. Ce comportement est
encouragé par la démonstration, involontairement donnée,
que leur agitation pourrait effectivement empêcher les reconduites
normales.
M. LE PRÉSIDENT
. - Ce n'est pas le Sénat qui fait cela.
M. LE MINISTRE
. - C'est la médiatisation d'un certain nombre
d'auditions auxquelles vous procédez. C'est gênant parce que
l'écho donné à quelques incidents, somme toute
limités, encourage, par un effet boule de neige que les
spécialistes des médias connaissent bien, un certain nombre de
comportements inciviques. Bien évidemment, cela peut poser quelquefois
des problèmes.
Entre nous soit dit, si les étrangers reconduits étaient
traités dans des conditions aussi inhumaines que le décrit une
certaine littérature, cela se passerait au vu et au su de tous les
passagers de la ligne régulière en question. Et on voit bien que
cela est invraisemblable. La réalité est que cela ne se passe pas
ainsi. Il peut arriver que certains étrangers faisant obstacle à
leur reconduite soient entravés, mais cela s'arrête là.
D'une manière générale, ces incidents sont
provoqués par des petits groupes que j'ai voulu un jour décrire,
mal m'en a pris car on ne peut pas les décrire sans encourir le
soupçon.
M. LE PRÉSIDENT
. - C'est la presse libre dans un monde libre, sur
un sujet authentique.
M. LE MINISTRE
. - On me prête l'expression trotskiste anglo-saxon.
Dans l'article signé Patrice Chéreau, je n'ai pas plus
parlé de trotskistes anglo-saxons que George Marchais avait parlé
de juifs allemands en mai 1968. Tout cela fait partie d'une certaine invention.
En fait, c'est une déformation de mes propos.
Je ne vais pas vous dire que ces petits groupes nous facilitent les choses,
mais dans l'ensemble ils ne perturbent pas sensiblement un déroulement
normal des reconduites. Et celles-ci s'effectuent non seulement par la
compagnie nationale, mais aussi par d'autres moyens.
Mon sentiment est que si on veut traiter avec dignité les
étrangers qui certes sont en situation irrégulière, mais
sont des hommes qui ont le droit à la dignité, il suffit qu'ils
fassent savoir qu'ils sont prêts à emprunter une ligne
régulière et cela se passe très bien.
M. LE RAPPORTEUR
. - La Commission d'enquête sénatoriale ne
vous dessert pas, mais vous rend service. Nous avons posé la question
à la fois à la DICCILEC, mais aussi à Air France et aux
commandants de bord, de savoir comment se passait le transport. Et nous avons
bien précisé qu'il n'a jamais été question de
bâillonner les gens, comme on peut le lire dans une certaine presse. Et
quand nous avons reçu la ligue des droits de l'homme, j'ai bien
précisé au responsable qu'il n'en était rien et que
c'était une erreur d'avoir indiqué que les gens étaient
bâillonnés, c'était totalement inexact, ou étaient
soumis à des tranquillisants.
M. LE MINISTRE
. - Nous sommes dans une démocratie. Les gens
peuvent dire n'importe quoi sans s'exposer à courir des risques
extraordinaires. Moi j'en tiens compte. Que voulez-vous que je fasse ? Je ne
peux pas passer mon temps à rectifier.
M. LE PRÉSIDENT
. - Le Sénat est aussi dans son rôle
quand il auditionne les gens et quand il va au fond d'un problème. Vous
aviez l'air de penser tout à l'heure qu'il serait tout à fait
judicieux d'éviter qu'il y ait à cet égard une
publicité. Nous l'avons faite de façon ausi responsable que
possible et en tenant compte des prérogatives et des
responsabilités gouvernementales. Mais accordez-nous le droit de pousser
notre propre investigation sur un problème particulièrement
épineux. On s'aperçoit en définitive que le système
est en cause si on n'arrive pas à exprimer dans l'opinion la
vérité.
M. LE MINISTRE
. - Je peux vous garantir que cela ne fait pas obstacle,
dans l'état actuel des choses, à ce que les reconduites
s'effectuent somme toute normalement, malgré des incidents qui sont
regrettables car ils donnent une image tout à fait désastreuse de
notre pays compte tenu de la médiatisation qui entoure ces incidents
qui, encore une fois, sont limités. Je pense que ceux qui les
médiatisent à l'excès méconnaissent
profondément ce qu'est l'intention du gouvernement. Le gouvernement veut
stabiliser et intégrer les 4 millions d'étrangers qui vivent en
France dans des conditions régulières. Il tient fermement
à la conception d'une nation citoyenne, d'une communauté de
citoyens. Et ceux qui nous attaquent confondent systématiquement la
nation et la race. Je dénonce une conception ethnique de la nation qui
est celle de forces politiques que je ne veux pas davantage qualifier. Le
Français c'est le citoyen français, point final, quelle que soit
la couleur de sa peau et quelle que soit sa religion. C'est ce que le
gouvernement entend manifester. Mais nous ne pouvons pas naturellement ne pas
déplorer une incompréhension qui tient très largement au
fait que les contestataires que nous avons évoqués se situent
dans un horizon qui est celui, selon eux, sans doute, du " post
national ", ou ont totalement déconnecté la
citoyenneté de la réalité politique que constitue
aujourd'hui la nation et sans doute encore pour longtemps, et parlant de
citoyenneté du monde ils ne sont pas avisés que la seule
organisation mondiale s'appelle l'ONU.
C'est une différence radicale des conceptions. Nous ne parlons pas le
même langage. On ne peut pas rectifier à chaque phrase. Je dirai
que nous sommes dans une autre dimension. Mais pour le moment, moi je
défends les intérêts de la République
française. C'est ma tâche et j'essaie de faire en sorte que les
lois républicaines puissent s'appliquer normalement.
M. MAMAN
. - Ce n'est pas la question.
M. LE PRÉSIDENT
. - Nous avons bien enregistré cette
déclaration de principe, tout à fait justifiée d'ailleurs.
M. LE RAPPORTEUR
. - Il y a à l'heure actuelle 45.913
décisions de rejet. Là-dessus, il y aura certainement des recours
et un certain nombre de décisions vont être rapportées
suite à des recours hiérarchiques, gracieux, ou devant les
tribunaux administratifs. Il restera quand même un nombre important de
personnes puisque l'examen n'est pas fini. Et nous avons perçu les
difficultés énormes qu'il y a à procéder à
l'éloignement. Pensez-vous que le nombre de personnes
éloignées, suite à des décisions, ne
dépassera pas 10.000 à 12.000 par an ?
Ai-je bien compris ?
Nous mesurons vos difficultés, Monsieur le Ministre.
M. LE MINISTRE
. - Tout à l'heure, on a dit qu'on était
à 6000 ou 7000 recours contre les décisions de rejet qui ont
été prononcées. Ces recours seront examinés. Les
tribunaux administratifs ne pourront que statuer sur l'exactitude
matérielle des faits ou l'erreur manifeste d'appréciation, car
nous sommes là dans le cadre d'une circulaire sans valeur
réglementaire.
S'agissant du nombre de reconduites, je ne me suis pas livré à
cet exercice. Le nombre de reconduites peut excéder 10.000 à
12.000.
M. LE PRÉSIDENT
. - On nous a dit qu'on pouvait multiplier ce
chiffre par trois.
M. LE MINISTRE
. - Trois fois, je n'en sais rien. Objectivement, cela a
un coût. Mais rien n'empêche d'augmenter le taux de reconduite.
D'ailleurs, nous avons pris des dispositions pour que, dans les prisons, des
cellules de coordination entre la justice et la police soient installées
pour assurer la reconduite des condamnés à une peine
d'interdiction du territoire, quand il s'agit de criminels ou de
délinquants graves n'ayant pas d'attaches personnelles suffisantes avec
la France. Et la loi Réséda prévoit qu'il doit être
tenu compte du préjudice qui pourrait être causé à
leur vie personnelle ou familiale s'ils étaient reconduits.
En tout cas, je considère que s'il y a un effort à faire, c'est
sur ce point.
M. LE PRÉSIDENT
. - Sauf, Monsieur le Ministre, que la DICCILEC
nous dit que la potentialité est de trois fois ce que l'on fait à
l'heure actuelle.
M. LE MINISTRE
. - Non, pas avec le même potentiel de
fonctionnaires dont elle dispose. La DICCILEC a 6000 fonctionnaires dont
beaucoup, heureusement, sont employés à autre chose qu'à
des reconduites. La DICCILEC procède à plus de 40.000
réadmissions chaque année à nos frontières. Etant
face à des étrangers qui cherchent à
pénétrer dans notre pays, n'ayant pas de papiers
réguliers, elle les reconduit dans leur pays d'origine.
M. LE PRÉSIDENT
. - Elle peut faire mieux.
M. LE MINISTRE
. - En effet, le nombre de reconduites pourrait être
doublé.
M. LE PRÉSIDENT
. - Sauf le problème des vols sur les
lignes régulières.
M. LE MINISTRE
. - Il suffit de ne pas vouloir opérer un renvoi
groupé dans des conditions telles que celles qui ont pu entraîner
il y a quelques années des incidents graves où une cinquantaine
de personnes avaient été reconduites ensemble. Il faut travailler
sur d'autres bases.
M. LE PRÉSIDENT
. - Les réticences des pilotes et des
compagnies ne vous conduisent pas à envisager un autre mode de transport
groupé que la cohabitation de passagers réguliers et de passagers
exceptionnels ?
M. LE MINISTRE
. - Je sais que certains voudraient absolument nous
ramener aux charters. Cela réjouirait à la fois l'extrême
droite et l'extrême gauche.
Alors, je tiens à dire que le gouvernement entend faire appliquer la loi
et dans des conditions qui soient, autant que possible, conciliables avec la
dignité des étrangers, même en situation
irrégulière. Ceux-ci pourront être interrogés sur le
fait de savoir s'ils veulent prendre un vol régulier. S'ils ne le
veulent pas, nous emploierons peut-être d'autres moyens.
M. LE PRÉSIDENT
. - Nos interlocuteurs avaient été
tout à fait clairs. Un charter est régi par une procédure
commerciale comme un avion de ligne. Pour eux, c'était l'aviation
militaire qui devait assumer les reconduites.
M. LE MINISTRE
. - Nous sommes dans un pays où chacun peut avoir
son idée.
M. LE PRÉSIDENT
. - Ce sont des pilotes confirmés, de
lignes régulières, avec des responsabilités de vies
humaines importantes. Voilà ce qu'ils nous disent. Je ne porte pas de
jugement là-dessus, mais je dois vous dire que la position des civils
serait de conduire les militaires à intervenir.
M. LE MINISTRE
. - Je pense que cela ne peut pas se décider dans
ces conditions. Bien entendu, un pilote d'avion est responsables de la
sécurité à son bord, mais en même temps il y a des
lois dont nul ne doit pouvoir s'affranchir. Il y a des lois françaises
qui s'appliquent aux nationaux français et, tant qu'ils sont sur le
territoire français, également aux étrangers, quelle que
soit leur situation.
M. LE RAPPORTEUR
. - Les non régularisés peuvent-ils
espérer, en restant sur le territoire français,
bénéficier ultérieurement d'une régularisation ?
M. LE MINISTRE
. - Le gouvernement a voulu faire une opération qui
tienne pleinement compte d'un certain nombre d'exigences qui ont
été posées par des gens qui trouvaient la situation d'un
certain nombre d'étrangers en situation d'irrégularisables et
inexpulsables, insupportable.
Nous avons défini des règles qui sont appliquées avec
souplesse, dans le souci de la dignité des intéressés.
Maintenant, c'est la loi qui s'applique. La loi vient d'être
votée. Elle vient d'être publiée aujourd'hui même au
Journal Officiel. Les décrets d'application vont paraître. Tout ce
travail a été fait en un temps record. Je voudrais rappeler que
l'Assemblée nationale a été saisie en première
lecture début décembre. Nous avons voulu faire en sorte qu'il y
ait des règles incontestables et je pense qu'elles ne seront pas
contestées parce qu'elles sont justes.
M. LE RAPPORTEUR
. - Quel sort sera réservé aux dossiers
des non régularisés dans les préfectures ?
M. LE MINISTRE
. - J'ai souhaité qu'une mission soit
chargée, au niveau de l'Institut des hautes études de la
sécurité intérieure, en collaboration avec le CNRS, d'une
étude sur ce qu'est l'immigration clandestine dans notre pays. C'est un
sujet totalement inconnu et cela peut être un objet de recherche tout
à fait intéressant.
J'ai demandé à l'IHSI de faire en sorte que ces dossiers puissent
être centralisés et qu'une étude sérieuse puisse
être engagée par des chercheurs afin que nous puissions
nous-mêmes mieux connaître la réalité de cette
immigration clandestine. Je pense d'ailleurs que nous aurions
intérêt à mieux connaître les différentes
communautés qui existent sur notre sol, dont chacune a des
caractéristiques spécifiques.
Je ne vous ai pas donné les régularisations par
nationalité et je vais le faire.
Cela porte sur seulement 39.007 cartes de séjour, et 14.004
récépissés, total de 53.011 admissions.
Vient en premier la nationalité algérienne avec 5177.
Ensuite les Chinois : 5044.
Les Marocains : 4143.
Les Zaïrois : 2867.
Les Maliens : 2138.
Les Tunisiens : 1971.
Les Turcs : 1559.
Je parle des cartes de séjour temporaires.
Je peux vous donner les refus aussi : 2301 Marocains,
1208 Algériens, 966 Turcs, 881 Tunisiens, 650
Sénégalais, 570 Maliens.
Mme DUSSEAU
. - Combien de Chinois ?
M. LE MINISTRE
. - 226. En proportion, cela donne 22,39 % de Marocains,
11,71 % d'Algériens, et 2,20 % de Chinois. Mais c'est une
statistique incomplète.
M. LE RAPPORTEUR
. - J'en ai terminé avec les questions. J'aurai
une demande à faire à Monsieur le Ministre, mais après que
nos collègues aient pu s'exprimer.
M. CALDAGUES
. - Monsieur le Ministre, votre dispositif a une vertu,
c'est que nous allons connaître le nombre minimum officiel
d'étrangers en situation irrégulière sur le territoire
français. Certes, ce n'est pas le nombre réel, le nombre maximum
est difficile à évaluer. Vous avez récusé tout
à l'heure certaines évaluations et vous avez raison de ne pas
vouloir en donner une, mais en tout cas nous aurons le chiffre minimum. Et je
pense que l'effectif des étrangers en situation
irrégulière sur le territoire français pourrait être
un grave motif de préoccupation pour le ministre de l'Intérieur.
Il y a lieu de se demander comment ces étrangers vont subsister
puisqu'ils ne peuvent pas le faire de façon régulière, et
alors là on rejoint les problèmes de l'ordre public et on est de
plus en plus dans le domaine des préoccupations du ministre de
l'Intérieur.
On pourrait donc penser que le ministre et ses services sont très
préoccupés, autant que notre rapporteur qui a posé des
questions à ce sujet, du rythme et des conditions dans lesquelles vont
être exécutées les nécessaires décisions de
reconduite à la frontière. Or, je dois vous dire que, tant en ce
qui vous concerne qu'en ce qui concerne le directeur de la DICCILEC, nous ne
recueillons à ce sujet que des réponses évasives. Notre
Commission d'enquête a pour mission d'examiner les conditions dans
lesquelles vont s'effectuer les régularisations. Elle pourra donner
à ce sujet une tonne d'informations au Sénat, mais le seul sujet
sur lequel elle ne pourra donner aucune information sérieuse et
précise au Sénat, quel que soit le caractère dominant de
cette question pour l'ordre public, le seul sujet pour lequel notre Commission
sera incapable de donner des indications précises au Sénat et
donc à l'opinion publique, ce sont les conditions et les délais
dans lesquels pourront être exécutées les décisions
de reconduite à la frontière, c'est-à-dire l'aspect non
régularisation. J'ai l'impression que notre rapport va être
bancal, et je me tourne aussi bien vers notre Président en lui posant
cette question que vers le Ministre qui est détenteur de l'issue de
l'interrogation que je viens de formuler.
Est-il concevable que notre Commission soit dans l'incapacité de donner
des informations précises sur une partie importante du sujet que nous
avons été chargés d'étudier, à savoir le
sort des non régularisés ?
Cette réponse dépend beaucoup du Ministre et elle est très
préoccupante pour l'autorité de nos travaux.
M. LE MINISTRE
. - Mais c'est parfaitement concevable. Je vous l'ai fait
remarquer d'emblée lors de ma première comparution devant votre
Commission, j'ai considéré qu'elle intervenait trop tôt. Et
encore aujourd'hui, nous sommes dans une opération qui n'est pas
terminée. Nous sommes en cours de régularisation. Je vous ai
expliqué qu'il y aurait quelques délais inévitables. Vous
saurez quand même à peu près tout sur les conditions de la
régularisation puisque nous arrivons au terme. Vous saurez tout sur ce
sujet et j'ai cherché à ne rien vous cacher. Je travaille,
croyez-le bien, avec une parfaite transparence et je dirai avec la
volonté de faire mon travail au vu et au su de tous, en faisant
confiance à l'esprit critique des Français pour savoir si j'ai
bien fait ou non.
Je pense que cette opération, encore une fois, a été
conduite dans des conditions tout à fait exemplaires par
l'administration que je dirige.
Donc, vous saurez tout ou presque tout sur la régularisation, mais
inversement je ne peux pas, dans l'état actuel des choses, vous apporter
des éléments décisifs sur les conditions de la reconduite
dont vous voulez faire un deuxième sujet.
Par contre, il est prévu par la loi Réséda qu'un rapport
annuel sera publié sur notamment les flux, les cartes de séjour.
Par conséquent, cette information sera donnée
régulièrement au Parlement, en temps utile, et on pourra
apprécier, au-delà des péripéties de la conjoncture
que nous vivons aujourd'hui, les conditions dans lesquelles la loi
s'exécute. Mais j'ai toujours affirmé qu'une loi, dès lors
qu'elle était la loi de la République, devait s'appliquer.
M. CALDAGUES
. - Je n'ai pas demandé au ministre de nous donner
des informations sur un processus qui n'est pas encore engagé. J'ai
demandé de nous faire savoir s'il a des prévisions à ce
sujet. Je ne peux pas croire que le ministre de l'Intérieur n'ait pas de
prévisions sur le rythme de résorption d'un ensemble
d'étrangers en situation irrégulière sur le territoire
français.
M. LE PRÉSIDENT
. - Monsieur le Ministre a répondu. J'ai
compris que le flux des reconduites à la frontière tournera entre
10.000 et 12.000 par an, ni plus ni moins. C'est-à-dire que les
nouveaux, décelés par l'instruction de 150.000 dossiers en gros
et non régularisés, s'insèreront dans le flux
régulier de ceux qui sont reconduits à la frontière. Il
n'y aura pas un flux supplémentaire. C'est ce que j'ai compris.
M. LE MINISTRE
. - Je voudrais rappeler que 95.000 étrangers en
situation irrégulière étaient parfaitement connus des
services du ministère de l'Intérieur à l'époque
où Messieurs Pasqua et Debré les dirigeaient. Nous les avons
d'ailleurs retrouvés dans les demandeurs de régularisation.
Simplement, il y en a quelques-uns qui se sont manifestés en plus. Mais
les 95.000 n'étaient pas reconduits.
M. LE PRÉSIDENT
. - Ils n'étaient pas connus officiellement.
M. LE MINISTRE
. - Si, ils étaient dans l'AGDREF, mais ils
n'étaient pas reconduits. Nous ne sommes pas dans une situation
différente de celle dans laquelle se trouvaient mes
prédécesseurs.
M. LE PRÉSIDENT
. - Là, ils font l'objet d'un
arrêté de reconduite. C'est différent.
M. LE MINISTRE
. - Il y avait 40.000 APRF notifiés par voie
postale, dont le taux d'exécution était de 0,28 % par an.
M. LE PRÉSIDENT
. - C'est une confirmation de ce que nous savions
plus ou moins. Il ne se passera rien de plus, nous l'avons compris.
M. ALLOUCHE
. - Monsieur le Ministre, il ne vous étonnera pas et
n'étonnera pas les collègues que je vous dise que dans la mesure
où je soutiens le gouvernement auquel vous appartenez, j'exprime une
satisfaction à la suite des informations que vous venez d'apporter
à la Commission d'enquête. Nous avons commencé par vous,
nous terminons par vous. Je crois qu'en l'espace de cinq mois, nous avons
appris beaucoup de choses sur cette opération sans
précédent.
Je voudrais exprimer un souhait très fort. Vous nous avez dit il y a un
instant que les dossiers déposés allaient faire l'objet d'une
recherche afin de mieux connaître l'immigration. Il est vrai que ce sera
très utile. Mais cette recherche terminée, je souhaiterais que
ces dossiers soient détruits. Les dossiers, nous savons ce que c'est. Et
dans la mesure où il ne sera plus nécessaire de les compulser,
afin de couper court à toute interprétation et pour
préserver l'avenir, que ni vous ni moi ne maîtrisons, je souhaite
ardemment qu'ils soient détruits et de manière transparente.
La remarque : notre collègue, M. Caldagues, a parlé d'une vertu
de l'opération. Effectivement, c'est sans précédent. Nous
n'avons, à ma connaissance, jamais connu une opération de ce
genre. Celle de 81 et celle de 92 se sont déroulées dans des
conditions tout à fait différentes. La transparence qui a
présidé au déroulement de cette opération fera, je
l'espère, mieux appréhender la question de l'immigration en
France et qu'un certain nombre d'idées fausses, de clichés, de
fantasmes, pourront disparaître quand nous connaîtrons mieux ce
qu'est la réalité de cette immigration. Nous sommes tous
favorables à un strict contrôle des flux migratoires, et on ne
peut pas ouvrir le territoire comme certains le souhaitent. Cette
opération aura eu au moins ce mérite.
Enfin, une question : si on vous demandait de résumer à votre
tour cette opération, comment le feriez-vous ?
M. LE MINISTRE. -
Je remercie Monsieur le sénateur Allouche de la
satisfaction qu'il a exprimée. Elle me touche d'autant plus que je sais
qu'il a eu à certains moments des doutes et des interrogations. Il a pu
penser que je dévierais de la ligne que le gouvernement s'était
tracée.
Je pense avoir montré un souci scrupuleux d'appliquer ce qui avait
été annoncé.
Il a exprimé le souhait que ces dossiers soient détruits. Je ne
sais pas s'il y a des règles relatives aux archives. On indique la loi
du 3 janvier 1979.
Personnellement, je ne vois pas d'inconvénient à ce qu'ils soient
détruits parce qu'ils ne sont pas utilisables, et ils ne seront pas
utilisés. S'il ne tient qu'à moi, je ne vois aucun
inconvénient à ce qu'ils soient détruits.
Faut-il qu'un certain pourcentage soit conservé au titre de la loi sur
les archives ? Je l'ignore. De toute façon, tout finit un jour par
être détruit. On peut détruire ces dossiers dès lors
que la mémoire de ce qu'ils contiennent aura été instruite
par des chercheurs qualifiés, et conservée. Car il est
intéressant de connaître cet objet totalement non identifié
que constitue l'immigration clandestine. Mais cela donnera lieu à une
publication. J'y veillerai personnellement.
M. ALLOUCHE
. - Si j'insiste, c'est qu'à la différence des
décennies précédentes, nous avions jusqu'alors à
faire à un support papier. Aujourd'hui, tout est informatisé et
cette mémoire est quasi éternelle. Je ne souhaite pas qu'en 2010
ou plus tard on puisse ressortir un document pour une exploitation peu
honorable.
Alors, qu'il faille les étudier encore, très bien, mais à
partir du moment où nous n'en aurons plus besoin et malgré la loi
sur les archives, en la circonstance je m'interroge sur le fait de savoir s'il
n'y a pas lieu de faire exception compte tenu de ce qu'est ce type de fichier.
Il ne s'agit pas d'un fichier de prestataire de service d'allocations
familiales. Il y a des éléments précis sur les origines,
la nationalité. Mieux vaut éviter de conserver ce genre de
fichier.
M. LE MINISTRE
. - Je veux préciser que même la connaissance
de telle personne qui aurait fait une demande de régularisation, qui
aurait été rejetée, ne donnera lieu à aucune
démarche policière. Il n'est pas possible de perquisitionner,
sauf mandat d'un juge.
M. ALLOUCHE
. - Pas maintenant, mais plus tard.
M. MAMAN
. - On ne sait jamais entre les mains de qui cela peut tomber.
M. LE MINISTRE. -
J'enregistre ce que dit M. Allouche.
Vous m'avez demandé de résumer cette opération. Elle
répondait à des critères. Il est très facile de
prendre une liste et de mettre un tampon sur le papier. C'est ce qui a
été fait en d'autres temps. Une opération plus
limitée a été conduite en 1991 dont l'opportunité
était essentiellement politique. Là, nous avons essayé de
travailler en fonction de critères tenant compte des situations
personnelles des demandeurs. C'était très difficile à
conduire, d'autant plus qu'on se heurtait à des critiques.
C'était très difficile, j'ai dû prendre sur moi, je l'ai
fait en conscience parce que je ne reconnais qu'un maître, c'est le
peuple français et il jugera demain, plus tard, dans 10 ou 15 ans, si
j'ai bien ou mal fait. C'est la règle que je me suis toujours
fixée en toutes circonstances.
M. DUFFOUR
. - Je voudrais d'abord vous remercier, Monsieur le Ministre,
pour votre exposé clair et précis, et dire que je
considère que le travail qui a été mené par vos
services a été tout à fait colossal et que c'est dans la
clarté et avec efficacité que les instructions émanant de
la circulaire ont été appliquées par les
préfectures. Mais vous m'avez déjà entendu dans
l'hémicycle. Ce qui me fait problème, ce sont quelques aspects de
la circulaire elle-même et non pas le travail qui a été
mené depuis sur la base de celle-ci.
Dès le début du mois de juillet, quand vous êtes venu la
présenter à la Commission des lois du Sénat, j'avais
émis quelques doutes. A l'époque, vous m'aviez dit que
j'étais quelque peu angélique.
Je résume : je constate qu'à partir de la fin de
l'été nous aurons donc quelques dizaines de milliers de personnes
qui vont se retrouver sans papiers et qui en même temps, à partir
de tous les éléments qui nous ont été
donnés, ne seront pas reconduites dans leur pays d'origine.
A ce moment-là, nous serons, j'espère, amenés à
réfléchir au problème nouveau qui sera posé et,
dans ce cadre-là, j'essaierai de faire en sorte d'amener quelques
propositions.
Je voudrais simplement dire à court terme, pour les semaines qui
viennent, que nous constatons que si pendant plusieurs mois les coordinations
d'étrangers sans papiers, les associations qui les secondent, ont
présenté les dossiers en bloc et ne voulaient pas dissocier
différents cas, actuellement, parce que le 30 mai approche, il y a une
tendance forte à présenter les cas les plus criants, à
demander aux élus qui depuis le début les soutiennent à
parrainer quelques cas exemplaires.
Pour apaiser les esprits et pour vous permettre de mener à bien vos
travaux futurs, ne pensez-vous pas qu'il serait utile d'avoir certains
comités de suivi auprès des préfets auxquels les
parlementaires pourraient participer pour que les cas les plus criants soient
quand même réglés et que nous ayons un certain nombre de
dossiers qui à l'heure actuelle ne trouvent pas de solution, qui
puissent d'ici l'été puissent franchir la barre et être en
situation d'être réglés ?
M. LE MINISTRE
. - Je remercie M. Duffour qui a bien voulu
reconnaître le travail colossal effectué par les services. Je
pense qu'ils y ont mis beaucoup d'eux-mêmes pour mettre de la
clarté et de l'humanité dans l'application de cette circulaire.
M'étant pleinement investi dans ce dossier, essayant de comprendre ce
qui se passait et de voir quelles étaient les filières
d'immigration clandestine, voir comment des gens pouvaient être
introduits en France et exploités, comprendre ce qu'était le
ressort de ces flux, je fais la part des choses. Je suis capable de compassion,
mais la compassion est une vertu privée. La loi doit se faire sur la
base des droits qu'on reconnaît à chacun. A partir de là,
je dois quand même tenir compte d'un certain nombre d'aspects,
c'est-à-dire la crise sociale dans laquelle notre pays se débat,
la ghettoïsation de certains de nos quartiers, la violence qui se
répand. Vous connaissez tout cela. Et naturellement, je suis aussi
capable de penser les problèmes du sud dans leur dimension historique.
Il faut les aider à construire leurs Etats, c'est ce que j'ai appris et
c'est que je pense fondamental. On peut les aider autant qu'on le peut, moins
par l'octroi de cartes de séjour que par une attitude politique
conséquente en toutes circonstances.
Mais vous m'avez posé la question des gens qui seraient sans papiers.
Encore une fois, ils ont des papiers de leur pays, en général,
quand ils ne s'en sont pas débarrassés, ce qui arrive
fréquemment. Il faut trouver des accords de coopération et de
développement avec certains pays. J'ai évoqué tout
à l'heure certaines possibilités. J'ai demandé qu'elles
soient étudiées. Je n'exclus pas qu'il puisse y avoir, pour des
gens qui travaillent, des contrats de réinsertion, mais dans le cadre
d'un accord avec le pays d'origine ; de réinsertion dans le pays
d'origine afin que les choses soient traitées aussi humainement que
possible.
Beaucoup de ceux qui sont en situation irrégulière sentent bien
qu'ils ne peuvent pas rester et ils repartent. Souvent, ils repartent
d'eux-mêmes et on peut les amener à repartir d'eux-mêmes
dans des conditions de dignité. Si on peut le faire, on le fera. Cela
suppose aussi un dialogue franc avec les autorités des pays d'origine
qui doivent coopérer avec nous pour que certaines situations ne se
prolongent pas abusivement.
Je serai plus réservé sur le cas des parrainages. Je vieux bien
accorder toute la mansuétude possible à un certain nombre de
gens. Mais quand on est un élu, un responsable politique, on doit quand
même savoir ce que l'on fait. Les cas qu'on me présente, c'est
souvent X et Y, et on est dans une situation qui tombe sous le coup de la
circulaire de régularisation, et ils sont régularisés. On
dit qu'ils ne le sont pas, mais ils le sont.
Si vous connaissez des cas qui normalement auraient dû être
régularisés et qui sont des cas limites, signalez-les, et je
demande aux parlementaires et aux élus de signaler à mes services
les cas qui méritent de l'être.
Permettez-moi une incidente politique : la gestion du conflit de Saint-Bernard
en 1996 pendant six mois n'a pas été des plus brillantes, mais
elle obéissait à une logique politique. Le projet de loi de mon
prédécesseur, M. Debré, avec son article premier, a
provoqué une mobilisation d'un certain nombre de gens qui sont
montés sur les planches. Ils pensent qu'on peut donner
perpétuellement la même représentation des choses, mais la
réalité a changé.
Les 53.000 personnes qui ont été régularisées
l'auraient-elles été s'il n'y avait pas eu un changement de
gouvernement ? Evidemment non.
Alors, il faut quand même tenir compte de la réalité,
éviter de faire des amalgames grossiers et essayer de faire en sorte que
des solutions puissent être trouvées sans qu'on substitue
l'immigré en situation irrégulière, et surtout le
délinquant, à la figure historique du prolétaire
rédempteur.
Il y a quand même une vision qui n'est pas juste. Je crois qu'on doit
aider les pays du tiers-monde ou de l'est de l'Europe à construire des
Etats qui tiennent la route, on doit les aider à se développer.
Cela pose beaucoup de problèmes politiques qu'on ne veut pas voir en
face. Il est très facile de dévier de route, mais il faut poser
politiquement les problèmes nord/sud et les problèmes du
développement. C'est très difficile. Ce sont des problèmes
qui méritent vraiment une mobilisation. Il ne faut pas s'égarer
par des chemins de traverse. Je vous le dis très amicalement car je
pense que vous connaissez mes sentiments et je pense que ces problèmes
méritent d'être compris, analysés, et peuvent l'être.
Il faut les penser dans toute leur épaisseur historique. Cela demande de
sincèrement y travailler.
Mme POURTAUD
. - Monsieur le Ministre, je voudrais à mon tour vous
féliciter et féliciter votre administration de la manière
dont a été menée cette opération. Vous avez
employé en substance les termes d'humanité et fermeté. En
effet, c'est ce qui a présidé. Je pense qu'on a veillé
à respecter les droits des étrangers et la transparence maximale
des critères appliqués, ce qui n'est pas très simple.
Je pense que les deux entretiens individuels qui ont été presque
généralement la règle et le délai donné pour
l'information sur la circulaire concernant l'aide au retour ont
été des dispositions qui allaient dans le sens de respecter au
maximum les intérêts des étrangers concernés.
Je me permets néanmoins de souhaiter qu'un maximum des recours
fondés qui ont été déposés ou qui le seront
puissent trouver une issue favorable.
Je souscris à la suggestion d'associer les parlementaires. J'ai entendu
par ailleurs votre proposition de nous entendre, mais peut-être qu'une
procédure d'association serait plus simple.
J'ai maintenant deux questions à vous poser. Une concerne la
procédure : les étrangers qui ont fait l'objet d'un refus de
régularisation pourront-ils éventuellement, dans le cadre de la
loi qui a été publiée ce matin, déposer des
dossiers d'asile territorial ?
Autre question : je partage comme vous l'idée que les problèmes
du sud doivent être recherchés au sud et donc qu'il faut au
maximum développer les processus d'aide à la réinsertion,
et de ce point de vue, je ne vous cache pas que j'ai été
très déçue quand nous avons entendu les chiffres. Je ne
sais pas s'il y en a de plus récents qui auraient fait monter le niveau.
M. LE PRÉSIDENT
. - 200, d'après Madame Aubry.
Mme POURTAUD
. - 200 demandes d'aide au retour, cela nous interpelle.
Quelle est votre interprétation sur ce phénomène et
avez-vous des solutions à y apporter ?
M. LE MINISTRE. -
Je remercie Mme Pourtaud. Je transmettrai d'ailleurs
à tous les services concernés l'appréciation
élogieuse que vous avez bien voulu faire sur leur travail. La
fermeté ne va pas en effet sans humanité, mais l'inverse est vrai
aussi. La loi doit être ferme car ce qui est en jeu, c'est l'avenir de la
République française dans les années à venir. Nous
sommes dans un monde très troublé, très difficile, avec un
déséquilibre énorme dont peu de gens ont pris conscience
parce qu'ils n'ont pas étudié les projections
démographiques, et quand on n'a pas fait ce travail on ne se rend pas
compte du monde dans lequel nous allons devoir naviguer.
Donc, nous devons avoir une appréciation sérieuse,
appliquée avec humanité, et en fait il n'y a presque que des cas
d'espèce. Les cas humains sont aussi nombreux qu'il y a de personnes.
Nous allons essayer de trouver des solutions, d'associer les parlementaires et
les associations. Ils seront tous reçus à la préfecture
à intervalles réguliers.
Concernant l'asile territorial, je pense que s'ils ont des craintes de
persécution fondées et si ces craintes peuvent être
reconnues dans les termes posés par la loi, oui. Mais je pense qu'il va
de soi que tous les recours fondés demandent un petit travail.
J'évoquais le cas du Mali pour la prise en compte des autorisations
provisoires de séjour avant changement de régime de 1991, c'est
une piste. Je dois voir Monsieur Samir Naïr dans quelques jours pour
regarder avec lui comment on peut donner des cadres pour orienter ces flux.
D'après Madame l'ambassadeur du Mali, il y aurait seulement 7500 Maliens
en situation irrégulière en France. Je n'en sais rien.
S'agissant de l'OMI, 200 départs ont eu lieu mais, d'après mes
informations, 2000 contacts ont été pris en vue de l'ouverture
d'un dossier. Et les procédures qui seront mises sur pied par la
délégation interministérielle aux migrations et au
développement déborderont les procédures OMI au sens
strict et se placeront dans le cadre de négociations d'Etat à
Etat.
Voilà ce qui à mon avis devra permettre de traiter avec finesse,
et autant que possible du bout des doigts, des cas difficiles.
Pour le reste, il y a une règle et il faut qu'elle s'applique.
Mme DUSSEAU
. - Ma première question concerne les immigrés
en situation irrégulière qui se sont vu opposer un refus et qui
sont essentiellement des célibataires. J'aurais voulu que vous
précisiez quel est leur profil.
S'agit-il d'un célibataire au sens strict du terme, est-ce non
marié, ou le concubinage a-t-il été pris en compte ?
Dans les préfectures, a-t-il été envisagé une
durée de séjour minimale ? Tout à l'heure vous avez
cité sept ans. Mais est-ce général ?
Enfin, puisqu'un quart des célibataires a été
régularisé, en matière d'insertion, je pense que le
travail a été considéré. S'il n'y avait pas
travail, mais chômage, est-ce que des durées de chômage ont
été envisagées ?
La deuxième série de questions concerne les conditions de
départ. J'avoue avoir été très marquée et
intéressée par ce que nous ont dit les pilotes ce matin. D'abord,
il s'agit de témoignages vécus puisqu'un pilote interrogé
par nous a eu une série d'incidents dans son avion et il nous a
décrit ces personnes expulsées, encadrées d'autant de
policiers que d'expulsés, scotchées sur les sièges, avec
des personnes qui dans l'avion ont pris les policiers et l'équipage
à partie. Visiblement, il y a dans le corps des pilotes un certain
nombre de réserves importantes et sur une dégradation des
conditions de retour au décollage de l'avion. Mais ils nous ont aussi
signalé des dégradations à l'arrivée.
Que pensez-vous de cela ? D'autant plus qu'ils nous ont nettement
signifié qu'il leur paraîtrait de plus en plus difficile dans
l'avenir d'assurer ce type de transport.
Ils ont été amenés à nous dire qu'à leur
connaissance, mais visiblement leur connaissance était précaire
et ne relevait que de conversations, les conditions de retour, d'expulsion, des
étrangers en situation irrégulière dans d'autres pays
apparemment se passaient mieux au décollage et à l'arrivée.
M. LE MINISTRE
. - Dans d'autres pays ?
Mme DUSSEAU
. - Danemark, Angleterre, Pays-Bas, où les conditions
de départ et d'arrivée se passaient mieux.
Enfin, et c'est plutôt un souhait, nous avons eu pendant des
années des immigrés en France qui n'étaient ni
régularisables ni expulsables. Ne risquons-nous pas aujourd'hui
d'être dans une situation avec des gens ni régularisables ni
expulsés ? Est-ce que la meilleure des solutions dans un avenir
proche ne serait pas en fait de les régulariser ?
M. LE PRÉSIDENT
. - Une partie de ce qu'ont dit les pilotes
relevait de la confidentialité. Je le précise.
M. LE MINISTRE
. - Je voudrais rappeler que s'agissant des
étrangers sans charge de famille, pour les statistiques dont je dispose,
s'agissant des cartes de séjour temporaires qui leur ont
été accordées, 6757, elles représentent 15,59 % du
total. Les récépissés : 3417, 24,9 % du total. C'est dire
que cette catégorie, que j'ai d'ailleurs tenu à maintenir dans la
rédaction de la circulaire, elle n'aura pas servi à rien. Les
étrangers sans charge de famille, présentant toutes les
conditions d'une bonne insertion, auront pu obtenir la régularisation de
leur situation. Le critère c'est la bonne insertion.
Mme DUSSEAU
. - Qu'y a-t-il derrière ?
M. LE MINISTRE
. - C'est expliqué dans l'avis de la Commission
nationale consultative des droits de l'homme, que j'ai quasiment repris
intégralement.
Le concubinage : la réponse est oui.
La durée de séjour : la rédaction de la circulaire dit
qu'elle ne peut qu'exceptionnellement être inférieure à 7
ans. Dans la loi c'était 15 ans et dans la nouvelle loi c'est 10 ans.
S'agissant du travail ou du chômage : c'est un indice parmi d'autres dans
le faisceau d'indices, qui permet d'apprécier la bonne ou mauvaise
insertion de l'étranger. Au total, cela représente quand
même près de 10.000 personnes.
Une autre question concerne les reconduites. Les pilotes sont des hommes comme
nous tous. A leur place, je pourrais comprendre aussi leur état
d'esprit. Très peu de gens se sont immergés dans un dossier aussi
complexe pour en comprendre toute la charge historique, économique,
politique et sociale.
Le fait de voir arriver des gens accompagnés de policiers, je vous
rappelle qu'il s'agit toujours de gens qui font obstruction à leur
reconduite et qui, le cas échéant, présentent des signes
d'agitation. Il peut arriver, en effet, qu'ils soient non pas tant
scotchés, mais entravés par des bandes plastiques. Il peut y
avoir des dégradations à l'arrivée. Les pilotes sont
responsables de la sécurité de leur vol et ils ont leur
état d'esprit. Peut-être que dans d'autres pays cela se passe
mieux. Je vais peut-être envoyer une mission dans des pays voisins, mais
en fait l'écho que je recueille de la plupart de mes collègues
c'est qu'ils ont beaucoup de problèmes. Mon collègue allemand m'a
fait une description que je ne vous répéterai pas.
J'ai tendance à penser qu'il y a quelque chose qui a trait à la
culture française. Comme le disait Montaigne au 16ème
siècle : " nous sommes hommes en général et
Français par accident ". C'était une vue qui pouvait se
défendre à l'époque de Montaigne où la France
faisait le tiers de la population de l'Europe et voyageait peu, à part
Montaigne qui a fait des voyages lointains en Suisse et en Italie du nord. Mais
aujourd'hui, la France n'est qu'une toute petite partie de la population
mondiale et il y a des flux migratoires très importants. A vouloir
raisonner aujourd'hui comme au 16ème siècle, on se trompe. Les
hommes politiquement se reconnaissent à travers leur appartenance
nationale. On est obligé de construire une société
politique à partir de là. Et par conséquent, cela va
presque de soi en Allemagne où prévaut la conception du
" Wolk ".
Il n'y a pas un pays d'Europe qui accorde sa nationalité à
100.000 étrangers par an comme la France. Je vous mets au défi de
me citer un pays qui a une pratique aussi libérale.
Je pense que cela tient aussi à la psychologie des peuples. Cela a ses
bons côtés, mais en même temps ceux qui ont la charge
d'assurer le schéma économique doivent être capables de
compenser les caractéristiques curieuses du génie français
et quelquefois aller à contre-courant d'un sentiment sympathique au
premier abord, mais nourri de facilité. C'est ce que j'ai essayé
de faire.
Un mot encore : Mme Dusseau me suggère de régulariser tout le
monde. Si nous faisions cela, nous donnerions un signal qui serait
désastreux à terme, car quiconque aurait envie de s'installer
dans notre pays pourrait le faire. Cela ne serait pas la logique de cette
opération.
M. LE RAPPORTEUR
. - Il y a une demande d'une note de synthèse
évaluant le coût des éloignements, notamment par voie
aérienne.
M. LE MINISTRE
. - Je n'en sais rien moi-même. Il faudrait faire un
rapport très complexe entre le nombre de reconduits et le nombre de
policiers qui les raccompagnent. Nous travaillons aujourd'hui en très
petite quantité, un ou deux reconduits, rarement plus. Et un nombre de
policiers en nombre au moins égal, sinon supérieur. Le coût
a un peu augmenté, mais en même temps le risque était
considérable de reconduire un trop grand nombre d'étrangers par
vol.
M. LE PRÉSIDENT
. - C'est une question qui nous sera posée
à nous. Elle est déjà dans les esprits et nous serons
obligés de le mettre dans le rapport.
M. LE MINISTRE
. - Je vais essayer d'y répondre.
M. LE PRÉSIDENT
. - Cela ne doit pas être tellement
difficile. On nous a dit qu'il y avait une moyenne de 15 reconduites par avion
et par jour, dimanche compris, en moyenne annuelle. On nous a dit qu'il fallait
un minimum de deux fonctionnaires pour un rapatrié, sauf pour Air Mali
où il faut sept fonctionnaires pour un rapatrié. C'est ce que
nous a dit le Président d'Air France et c'est le protocole qui a
été passé entre le ministère et le
Président. Donc, vous pouvez peut-être arriver à une
évaluation. Mais si vous ne voulez pas nous fournir la note...
M. LE MINISTRE
. - Ce n'est pas que je ne veuille pas, mais je n'ai pas
fait cette étude parce que je pense que le résultat en serait
très aléatoire. C'est un coût variable. Il y a 6300
fonctionnaires à la police des frontières, nouveau nom de la
DICCILEC, c'est à mon avis un effectif de quelques centaines
affectées à ces tâches. Je vais faire une recherche.
M. LE RAPPORTEUR
. - C'est le coût des transports.
M. LE MINISTRE
. - C'est le billet d'avion.
M. LE PRÉSIDENT
. - Et le déplacement des fonctionnaires.
M. LE MINISTRE
. - Les compagnies aériennes nous accordent quand
même des prix plus avantageux.
M. LE RAPPORTEUR
. - La charge financière supportée par les
compagnies aériennes : nous pourrons le demander directement
à Air France, mais peut-être le savez-vous.
On peut le demander à Air France et à Air Afrique.
Quel est leur manque à gagner ?
M. LE MINISTRE
. - Il y a d'autres compagnies. Ma position est
très claire : je suis soucieux de ne refuser aucun moyen.
Je ne veux pas prendre de position de principe sur telle ou telle compagnie. Il
y a une certaine concurrence, je suis prêt à l'utiliser aussi pour
minorer le coût des retours.
M. LE RAPPORTEUR
. - Pourriez-vous communiquer à la commission les
deux rapports élaborés par l'Inspection Générale de
l'Administration sur l'opération de régularisation ainsi que
celui de M. Galabert chargé d'une mission sur le suivi ?
M. LE MINISTRE
. - Il s'agit de documents destinés à
éclairer l'action du gouvernement dans une opération qui n'est
pas encore terminée. Ce sont des observations qui portent sur le
comportement de telle ou telle préfecture. Ce sont quand même des
documents qui ont un caractère qui intéresse la
sécurité de l'Etat. On ne va pas mettre en cause le comportement
de tel ou tel préfet. Je suis prêt à vous dire ce qu'est le
contenu de ces rapports, mais très franchement je considère que
pour la conduite d'une opération il y a un minimum de
confidentialité à préserver. Je n'ai aucune information
à vous cacher. Ces rapports peuvent mettre en cause un certain nombre de
comportements et je ne suis pas soucieux de livrer à l'opinion publique,
pour être franc, le fait que certaines préfectures ont pris du
retard ou ont oublié de satisfaire un certain nombre de recommandations
que je leur avais faites. Vous le comprendrez. Mais je peux vous faire un
résumé détaillé de ces rapports qui n'ont
d'ailleurs pas un intérêt énorme au point où nous en
sommes. Les choses ont avancé et on a tenu compte des recommandations.
Je ne parle pas du rapport de Monsieur Galabert qui est un rapport
d'étape et qui doit être complété quand
l'opération sera arrivée à son terme. D'ailleurs, je n'ai
pas eu l'occasion de m'entretenir avec lui. C'est un rapport de grande
qualité, mais il faudrait qu'il puisse l'achever pour qu'on le publie.
Mais c'était plus un rapport tendu à l'exécution de
l'opération elle-même attirant l'attention du ministre sur le fait
que certaines préfectures avaient pris du retard, faisaient
prévaloir ici ou là des interprétations un peu
différentes, ce qui a toujours permis des redressements utiles.
M. LE RAPPORTEUR
. - Je pense que vous pouvez nous adresser le rapport de
Monsieur Galabert parce que c'est vraiment en exécution de l'application
de la circulaire.
M. LE MINISTRE
. - Je vous adresserai le rapport de Monsieur Galabert
quand il m'aura remis le complément.
M. LE PRÉSIDENT
. - Nous, nous avons des délais. Nous
sommes obligés de déposer le rapport.
M. LE MINISTRE
. - Je n'ai qu'un rapport d'étape et des
statistiques, et je n'ai pas vu Monsieur Galabert.
M. LE RAPPORTEUR
. - Je suis à peu près certain que
M. Galabert nous a dit lors de son audition qu'il avait fait un rapport
d'étape et que son rapport définitif ne changerait rien au
rapport d'étape.
M. LE MINISTRE
. - Permettez que je reçoive Monsieur Galabert
quand même. Comprenez que la marche d'un grand Etat demande parfois que
l'exécutif se réserve la primeur de quelques informations qui lui
permettent de conduire son action de manière conséquente. Nous ne
sommes pas dans une situation qui... D'ailleurs, je vous ferai remarquer, je
serai prudent quant au Secrétariat Général au
Gouvernement. Mais je n'ai rien à vous cacher sur le fond. Je peux vous
donner des informations qui ne feraient pas apparaître telle ou telle
déviation dont au fond personne n'a à connaître en dehors
de moi.
M. LE PRÉSIDENT
. - Monsieur le Ministre, ce n'est pas à
vous que je rappellerai les vertus de la loi. A cet égard, une
commission d'enquête est un des instruments précieux que le
Parlement a pour contrôler les activités du gouvernement. Je vous
l'ai entendu dire et d'autres l'ont également affirmé.
Par conséquent, lorsque Monsieur le Rapporteur demande la communication
des rapports de mission, je pense qu'il le fait sans malice mais par
nécessité. Et donc, en se référant à la loi,
il est tout à fait normal que nous demandions un rapport qui n'est pas
couvert par le secret défense, qui n'est pas un rapport qui a trait
à la sûreté de l'Etat, et qui n'est pas un rapport qui est
induit ou inclus dans une procédure judiciaire.
Les deux rapports d'inspection aussi bien que le rapport de M. Galabert me
paraissent devoir être communiqués à la commission. Et une
réticence ou une restriction à cet égard du Ministre ne
pourrait pas ne pas entraîner un commentaire.
Ceci dit, nous avons prouvé que ni le président, ni le
rapporteur, et personne dans la commission n'a l'intention de se comporter en
boutefeu. Ce n'est pas pour le plaisir que nous publierions un commentaire de
l'inspection sur le comportement de tel ou tel préfet. Cela
n'apporterait rien à la vérité et ce serait s'immiscer
dans une appréciation hiérarchique qui ne nous regarde pas. Ce
n'est pas à nous de muter les préfets et de les proposer à
l'appréciation du gouvernement.
Si donc ces rapports d'inspection sont de nature à porter atteinte
à un dispositif hiérarchique interne sans ajouter à la
vérité, nous ne les publierons pas. Et je dirai même que le
rapport fera mention de ce qui paraît nécessaire à la
manifestation de la vérité, mais pas un exposé des erreurs
hiérarchiques ou des erreurs de procédure conduite par tel ou tel
fonctionnaire.
En conclusion, Monsieur le Ministre, je vous suggère que ces rapports
soient confiés au rapporteur sous le sceau de la confidentialité,
et il appartiendra ensuite au rapporteur, sous la responsabilité de la
commission, de sélectionner là-dedans ce qui doit être
inclus dans le rapport pour que nous puissions dire que nous avons fait un
tout, que rien ne nous a été caché. Ce qui serait un bon
point pour le gouvernement, et pour vous en particulier, sans que nous
puissions nuire à la hiérarchie et au pouvoir qu'il vous
appartient d'assumer vis-à-vis de fonctionnaires qui sont sous vos
ordres.
M. LE MINISTRE
. - Monsieur le Sénateur, me demandez-vous de vous
donner une réponse immédiate ?
Je voudrais vous dire qu'eu égard aux documents de travail du
gouvernement, visés par une ordonnance de 1958, il est
précisé qu'ils sont d'abord et avant tout des documents de
travail du gouvernement. Je crois savoir qu'il existe sur ce sujet une
jurisprudence du Secrétariat général du gouvernement, une
doctrine du Secrétariat général du gouvernement, que
j'applique. Je vous jure que vous n'apprendriez rien.
M. LE PRÉSIDENT
. - Vous avez déjà juré.
M. LE MINISTRE
. - Je réitère mon serment. Je veux
éviter que des documents de travail qui peuvent mettre en cause telle ou
telle pratique se trouvent divulgués et je veux me donner le temps de
regarder cela. Honnêtement, je n'ai rien à vous cacher. Vous avez
eu tous les éléments et j'ai quand même pris le temps de
vous répondre de manière détaillée en citant tous
les chiffres dont je disposais, en vous disant comment nous avons
travaillé. Ces documents avaient une valeur à l'époque
où je les ai demandés.
M. LE PRÉSIDENT
. - Permettez-nous de les voir.
M. LE MINISTRE
. - Est-ce que la visite de 8 préfectures en
septembre dernier, alors que vous en avez visité 9, vous apprendra
quelque chose ? A mon avis, non.
M. LE PRÉSIDENT
. - Ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Je ne veux
pas être insistant à l'heure où vous allez partir et
où j'allais, au nom de la commission, vous féliciter, vous et vos
collaborateurs. Vous n'allez pas gâcher cet instant suprême
où le Président s'acquitte d'un devoir qui est fort
agréable. Je ne voudrais pas qu'il soit dit qu'un rapport d'inspection,
dont je connais la multiplicité dans l'année, ne puisse pas
être communiqué parce qu'il pourrait nuire à la
crédibilité d'un fonctionnaire ou à sa dignité.
Nous sommes assez grands pour savoir ce qui, dans un rapport d'inspection, fait
partie de questions hiérarchiques et ce qui peut nourrir une
réflexion. Si vous nous demandez d'agir en rapporteurs responsables.
M. LE RAPPORTEUR
. - Nous pouvons le faire en accord avec votre cabinet.
M. LE PRÉSIDENT
. - C'est banal un rapport d'inspection, c'est
banal, il y en a des centaines.
M. LE MINISTRE
. - Je me conforme à une doctrine. J'appartiens
à un gouvernement, permettez-moi de vérifier que la doctrine
autorise cela. C'est la moindre des choses.
M. LE PRÉSIDENT
. - C'est une doctrine qui a été
élaborée il y a quelques mois à propos d'une commission
d'enquête sénatoriale et dans laquelle on a exclu de la
procédure d'inventaire les papiers internes d'une réflexion d'un
cabinet de ministre.
M. LE MINISTRE
. - Ce n'est pas totalement anormal que l'exécutif
ait des documents qui lui permettent de... Encore une fois, vous n'apprendriez
rien Monsieur le Président.
M. LE PRÉSIDENT
. - Alors pourquoi une telle opposition ?
M. LE MINISTRE
. - C'est un point de doctrine. On ne sait jamais. Si le
gouvernement vous communiquait un document de travail, à juste titre
vous pourriez vous autoriser de ce précédent pour...
M. LE PRÉSIDENT
. - Je ferai référence à un
de vos éminents prédécesseurs par rapport au modeste
rapporteur que j'étais d'une commission d'enquête parlementaire
à l'époque du terrorisme flamboyant. C'était
M. Defferre, votre prédécesseur, et j'étais
rapporteur d'une commission d'enquête sur le terrorisme qui traitait de
ce problème. C'était la rue des Rosiers, les brigades rouges et
l'assassinat de Monsieur Besse.
M. Defferre m'a donné des documents qui étaient autrement
plus importants qu'une inspection. J'en ai fait un usage modéré
et le rapport a été communiqué, j'ai
interprété et j'ai intégré les
éléments, à la satisfaction du Ministre. Pourquoi
voulez-vous que notre rapporteur fasse autrement ?
M. LE RAPPORTEUR
. - Je sais ce qu'est le secret professionnel.
M. LE MINISTRE
. - Là nous sommes en train de définir une
jurisprudence qui vaut pour d'autres gouvernements, d'autres rapporteurs,
d'autres présidents. Laissez-moi le temps de le regarder.
M. LE PRÉSIDENT
. - Nous sommes contraints par la limite
légale de l'analyse du rapport et de sa communication à la
commission. Quel délai avez-vous ?
M. LE RAPPORTEUR
. - Le délai pour le déposer est le
2 juin.
M. LE PRÉSIDENT
. - Quels sont les délais utiles qui vous
sont nécessaires pour avoir ce rapport ?
M. LE RAPPORTEUR
. - Lundi prochain.
M. LE MINISTRE
. - Il faut que je me fasse communiquer des
échanges de courrier entre le Président du Sénat et le
Premier Ministre. Je voudrais vérifier cela. Encore une fois, il n'y a
rien dedans que vous ne connaissiez déjà.
M. LE PRÉSIDENT
. - Eh bien, nous aurons la satisfaction de le
lire.
Nous avons noté que lundi prochain vous préciserez la doctrine
après consultation du Secrétaire Général du
gouvernement. Merci. Nous prenons acte de cela. Et nous en arrivons à la
conclusion générale.
Je crois être ici l'interprète de Monsieur le Rapporteur et de
tous les collègues qui ont suivi cette Commission avec attention, et
notamment votre audition, pour vous dire la totale satisfaction de la
façon dont le gouvernement et notamment votre ministère et
vous-même vous êtes comportés vis-à-vis de cette
Commission.
C'est une tâche que Monsieur le Rapporteur a menée avec
délicatesse. Nous avons trouvé auprès de votre
administration beaucoup de compréhension et de patience, et je voulais
que vous le sachiez Monsieur le Ministre.
Je voudrais me permettre une mention particulière pour la Direction des
Libertés Publiques.
Nous avons été un peu effrayés de l'énorme charge
de travail qui pèse sur cette direction et des effectifs réduits
dont elle dispose. Je ne sais pas quel sera votre budget en 99, mais si quelque
chose était souhaitable, cela serait que vous puissiez avoir pour cette
direction des attentions particulières et notamment quelques effectifs
supplémentaires.
Non seulement elle va avoir maintenant l'instruction des procédures
contentieuses, mais encore vous avez le nouveau droit d'asile territorial
qu'elle devra instruire. Je crois qu'ils sont sept ou huit agents. Ne
pensez-vous pas que c'est un peu incroyable de savoir qu'une question aussi
importante repose sur l'activité de sept ou dix personnes ?
Je crois qu'il y a là un peu un vertige qui s'installe.
Voilà ce que je voulais me permettre d'indiquer ce soir en conclusion de
cette longue démarche.
A certains égards, nous avons aussi le sentiment d'avoir appris et de
vous avoir en même temps un peu accompagné dans le chemin.
Nous n'avons pas fait une opposition systématique, nous avons
tenté de faire preuve de quelques vertus, ne serait-ce que celles de
vous entendre, de vous écouter, et de vous permettre en tout cas de dire
ce que vous avez à dire en vidant quelques querelles accessoires, mais
actuelles sur quelques éléments qui parfois vous chatouillent un
peu. Voilà les vertus sénatoriales.
Alors, en fin de journée, avec tous les remerciements de notre
Commission, je voudrais me permettre de vous dire que vous avez de bons
collaborateurs qui vous ont fidèlement servi.
M. LE MINISTRE
. - Merci Monsieur le Président. Je partage votre
avis à l'égard de mes collaborateurs et je les remercie à
mon tour.