M. JEAN-MICHEL GALABERT,
PRESIDENT DE SECTION AU CONSEIL D'ETAT
JEUDI 5
FEVRIER 1998
M. LE
PRÉSIDENT.-
Nous devons maintenant entendre Jean-Michel Galabert,
président de section au Conseil d'Etat.
Nous devons vous entendre sous la foi du serment.
(M. le Président donne lecture des dispositions de l'article 6
de l'ordonnance du 17 novembre 1958 ; M. Jean-Michel Galabert
prête serment).
M. LE PRÉSIDENT.-
Nous pouvons raisonnablement envisager
d'arrêter nos travaux à 12 H 30, ce qui laissera à Monsieur
le rapporteur le temps de poser ses questions et permettra aux collègues
qui souhaiteraient prendre la parole de s'exprimer.
M. LE RAPPORTEUR.-
Monsieur le président de section au Conseil
d'Etat, la circulaire du 24 juin 1997 précise très
exactement votre mission dans son avant-dernier alinéa. Je rappelle que
Jean-Michel Galabert a été chargé d'une mission de
coordination et de proposition par M. Jean-Pierre Chevènement, dans
le cadre de la mise en oeuvre de la circulaire. Sa mission consiste à
suivre cette mise en oeuvre, à faire part des difficultés
rencontrées et des observations qu'il estime justifiées,
également à proposer toute initiative de nature à
résoudre ces difficultés. C'est bien cette mission
générale qui vous a été confiée, M.
Galabert, de contrôle, de coordination, également de propositions
face aux difficultés rencontrées par les différentes
préfectures pour faire appliquer cette circulaire.
Les questions que je vous poserai sont assez simples. Premièrement, je
souhaiterais savoir dans quelles conditions se déroule la mission qui
vous a été confiée et de quels moyens matériels et
humains vous disposez. Deuxièmement, de quelle autonomie effective
jouissez-vous pour l'exercice de cette mission et comptez-vous publier un
rapport final rendant compte de votre mission, qui serait éventuellement
rendu public ?
Telle est la première série de questions que je souhaitais vous
poser, Monsieur le président.
M. GALABERT
- Effectivement, la circulaire m'a confié une mission
telle que vous l'avez indiquée.
Pour répondre à un premier aspect de votre question, je suis
entouré d'une équipe on ne peut plus réduite, ayant
à côté de moi un administratif civil du ministère de
l'intérieur, plus une secrétaire. Ceci dit, cette équipe
de travail réduite ne me pose pas de problème et nous avons
beaucoup plus l'occasion de travailler par téléphone que par
écrit. Je précise que la mission qui nous a été
confiée est tout de même assez personnalisée.
Sur l'autonomie dont je dispose, un aspect de ma mission consiste bien à
visiter un certain nombre de préfectures et mes entretiens sont assez
libres. Il peut m'arriver de dire que telle disposition de la circulaire ne me
paraît pas des plus heureuses mais il est bien évident que je ne
peux recommander une régularisation qui serait contraire aux
dispositions de la circulaire. Encore une fois, je bénéficie
d'une certaine liberté de ton mais je ne peux pas recommander des
comportements qui seraient contraires à la circulaire.
Je précise, même si la question ne m'a pas été
posée, que le terme de ma mission devrait être aux alentours
d'avril mais il n'est pas prévu qu'un rapport final soit publié.
M. LE RAPPORTEUR.-
Pour poursuivre mes questions, quelles
difficultés ont été soulignées par les
administrations en charge de la procédure de régularisation ?
S'agit-il de difficultés d'ordre individuel ou portant sur certaines
catégories de demandeurs ? Vous a-t-on signalé des
difficultés d'ordre matériel pour la mise en oeuvre de la
circulaire ? Comment avez-vous été informé de ces
difficultés ? Quels sont les départements où se sont
manifestées les plus nombreuses difficultés ? Avez-vous le
sentiment que les difficultés qui vous ont été
signalées traduisent l'intégralité des difficultés
effectivement rencontrées par l'administration ?
Toutes les difficultés signalées par les préfets à
la direction des libertés publiques vous sont-elles
systématiquement transmises et est-il possible que vous n'ayez pas
été informé de certaines des difficultés
rencontrées ? Enfin, vous êtes-vous déplacé dans
certaines préfectures pour observer sur place les difficultés
particulières, en vue de les réguler ?
M. GALABERT
- Je dois peut-être commencer par vous dire que j'ai
été saisi par trois voies.
A partir du moment où j'ai été nommé, j'ai
reçu premièrement de nombreuses demandes individuelles concernant
des cas particuliers, si je puis dire de candidats "de base" à la
régularisation, deuxièmement d'associations intervenant sur des
cas individuels. Je précise que le choix d'un certain nombre
d'associations consiste à considérer les demandes collectivement.
Mettons qu'elles me disent : "Notre programme est d'obtenir des papiers pour
tous", je leur réponds qu'elles sont tout à fait libres de
poursuivre cet objectif mais que ce n'est pas à moi qu'elles doivent le
dire, mais bien au ministre de l'intérieur ou au Premier ministre, et
elles ont compris que cela ne relevait pas du tout de mes compétences.
Troisièmement, vous avez fait allusion au fait que je me déplace
dans des préfectures. Je me suis rendu dans 24 préfectures dont
je dirai, en gros, qu'elles correspondaient à celles où les
demandes étaient les plus importantes, et je suis en train d'engager un
second tour. J'ai commencé par le Val-de-Marne, il y a peu, et je me
suis également rendu à Toulouse. Bien évidemment, je me
déplace dans les grandes préfectures.
En ce qui concerne les difficultés rencontrées, je dirai qu'au
départ il y a eu des difficultés d'interprétation de la
circulaire du fait que certaines de ses dispositions n'étaient pas
claires. Ma première mission, pas trop complexe, a consisté
à m'assurer qu'une fois que l'information avait été
fournie par le ministère, l'ensemble des préfectures appliquaient
le texte dans le même esprit.
Pour vous citer un exemple plus concret, celui d'un Malien déclarant
vivre dans un foyer, seul, qui demandait sa régularisation. Certaines
préfectures, minoritaires, se sont alors rapportées à ce
qui était dit dans la circulaire en ce qui concerne les
célibataires "sans charge de famille", mais en considérant
uniquement cette situation de famille en France alors que les personnes dans
cette même situation pouvaient fort bien avoir une famille à
l'étranger. D'autres préfectures ont adopté une position
inverse, finalement acceptée par l'administration après mon
intervention. Faire appliquer sur l'ensemble du territoire la même
interprétation du texte dans un objectif d'unité juridique n'est
pas toujours facile !
Il convient ensuite d'apprécier les situations individuelles en vertu
d'un certain nombre de critères. L'intéressé doit
justifier de l'aspect continu de son séjour, etc.
Les difficultés d'interprétation initiales sont à peu
près résolues mais d'autres difficultés sont liées
au volume des affaires. Il est certain que des préfectures comme la
préfecture de police de Paris, celle de Seine-Saint-Denis ou celle du
Val-de-Marne, sont tellement encombrées qu'en dépit de la bonne
volonté des personnels, il est très difficile de gérer les
dossiers. Dès lors qu'on est saisi par une association pour un cas
traité par la préfecture de police, comme c'est
déjà arrivé, on peut bien sûr essayer de
repérer un dossier mais ce n'est pas très commode !
A l'inverse, les départements où il y a très peu de
demandes, je pense à des départements de taille
modérée, dont la préfecture peut être une ville
d'importance limitée, manquent d'expérience et de doctrine en
matière de gestion des étrangers, et les problèmes s'y
personnalisent très vite. Par exemple, on trouve deux avocats dans la
ville, dont l'un est " brouillé " avec le chef de service, ce
qui laisse plus de champ libre à l'activité des associations.
M. LE RAPPORTEUR.-
Vous avez bien voulu nous parler des associations,
des avocats qui ont de plus ou moins bonnes relations avec les chefs de
service, moi-même ancien avocat je connais bien le problème. J'en
viens donc à ma troisième série de questions.
Comment les associations et les groupements vous font-ils part de leurs
observations ? Avec quels associations et groupements êtes-vous en
contact ? Quelles observations ont été formulées par
les associations et groupements d'aide aux demandeurs ? Quelles sont, selon ces
associations et groupements, les difficultés rencontrées par les
demandeurs d'une régularisation ?
Quelle appréciation portez-vous sur ces observations ? Les observations
formulées par les associations vous semblent-elles
représentatives de celles qui seraient susceptibles d'être
formulées par les intéressés eux-mêmes ? Enfin,
avez-vous rencontré individuellement certains demandeurs ?
M. GALABERT
- Sous la réserve faite initialement, il me semble
que les associations ont compris une fois pour toutes qu'elles ne venaient pas
me voir pour discuter de l'option politique mais pour traiter de cas
particuliers. En réalité, je suis en contact avec des
associations de tailles très diverses. Cela va de très grandes
associations à des associations à l'échelon local. Je
pense à Montpellier, mais c'est loin d'être le seul exemple, ou
à la Haute-Savoie, où les questions les plus fréquentes
qui me sont signalées sont des cas individuels.
De quoi se plaignent-elles ? Indépendamment des incidents locaux, bien
souvent liées aux personnes, en particulier en région parisienne
j'ai pu constater que les associations jugeaient trop long les délais de
procédure. Par exemple, on dépose la demande en juillet et
l'accusé de réception arrive en octobre. Il existe un
délai en la matière. Théoriquement, si vous êtes
interpellé, vous pouvez dire que vous avez présenté une
demande de régularisation et dans ce cas-là, en théorie,
l'agent de police "passe son chemin". Je ne dis pas que, sur des milliers, on
n'a pas eu deux ou trois affaires à régler où
l'intéressé avait été mis en rétention alors
même qu'il avait formulé une demande, mais ce sont des choses qui
s'arrangent.
Les associations se sont également parfois plaintes des conditions
d'accueil, tenant à la fois aux moyens matériels dont dispose
chaque préfecture, également peut-être à
l'implication plus ou moins grande du corps préfectoral. Par exemple, si
on s'aperçoit que tel candidat a des réactions vives, il y a tout
intérêt à ce que l'entretien n'ait pas lieu au guichet.
Dans ces conditions, on peut discuter avec l'intéressé.
Les associations ont une autre plainte, dont j'ose dire qu'elle n'est pas
très grave et à laquelle il est d'ailleurs plus ou moins
envisagé de répondre par le projet de loi. Elles peuvent en
général accompagner les demandeurs, sauf pour l'entretien
individuel proprement dit ce qui paraît d'ailleurs tout à fait
raisonnable, et elles auraient souhaité l'instauration de comités
de suivi au niveau des préfectures. Sauf exception, cela n'a pas
été accordé. Ceci dit, la plupart des préfectures
ont des relations empiriques avec les associations. Celle du Vaucluse ne
travaille pas avec le MRAP parce qu'à Avignon, la personne la plus
disponible et qui entretient des relations avec les services
préfectoraux est de la CIMADE. Sur le plan local, les militants locaux
ne sont pas toujours psychologues et ce sont les agents du guichet qui en
subissent les conséquences.
Dès lors que je me rends dans une préfecture, j'ai un entretien
avec le préfet. Une réunion est organisée, d'une
durée de 1 h 30 à 2 h 00, au cours de laquelle on évoque
les demandes d'explication de la circulaire ou de réponse à des
interrogations. Je m'arrange toujours pour que participent à ces
réunions des chefs de bureau mais aussi des agents plus proches du
guichet.
M. LE RAPPORTEUR.-
Avez-vous des demandes d'audiences
spécialisées d'avocats d'associations ?
M. GALABERT
- Pas tellement des grandes associations, qui ont
généralement des juristes. J'ai eu des relations très
fréquentes avec des avocats qui, en général, paraissent de
très bons spécialistes. Ils ne vous saisissent d'un dossier que
dès lors qu'il y a vraiment matière à intervenir. Pour
faire une réponse très sommaire, en général les
associations ont leurs juristes, pas forcément un avocat, mais il est
arrivé que des avocats nous saisissent.
M. LE RAPPORTEUR.-
Je vous livre ma dernière série de
question. Premièrement, quelles propositions avez-vous d'ores et
déjà formulées au ministre de l'intérieur ?
Deuxièmement, quelles ont été les conséquences de
ces propositions ? Troisièmement et pour finir, ont-elles
entraîné des modifications dans les procédures
observées par l'administration ?
M. GALABERT
- Je dois d'abord vous dire que parallèlement, il
arrive que l'inspection générale de l'administration du
ministère de l'intérieur mène des missions d'inspection,
mais dans une optique qui n'est pas la même, consistant à
s'assurer que les services en charge de la régularisation fonctionnent
bien. J'ai plutôt invité le ministre de l'intérieur
à préciser les points de la circulaire qui paraissaient douteux
et je crois avoir contribué à résoudre le problème
d'interprétation signalé tout à l'heure, concernant les
" sans charge de famille ", en indiquant que l'interprétation
était différente dans telle ou telle préfecture.
Je reçois les gens, je me rends dans les préfectures et j'ai un
rendez-vous tous les 15 jours avec le directeur de cabinet et les conseillers
techniques du ministère de l'intérieur. Naturellement, j'ai des
relations très suivies avec le directeur des libertés publiques,
M. Delarue, que vous venez de voir.
Je dois évoquer d'autres problèmes administratifs dont une
difficulté que j'aurais dû mentionner précédemment,
en ce qui concerne les étrangers atteints d'une maladie grave et qui
demandent leur régularisation au titre du paragraphe 1.7, ne pouvant
être soignés dans leur pays dans des conditions satisfaisantes.
Cette disposition soulève certaines difficultés avec les
médecins inspecteurs de la santé. Je sais que dans le
Val-de-Marne, on en avait même fait un point de cristallisation. Je m'y
suis rendu la semaine dernière et, comme par miracle, c'était
réglé. A Bordeaux et à Toulouse, le moins qu'on puisse
dire est que ce n'est pas le cas. Je ne sais si on peut parler de grève
du zèle à ce niveau mais, alors que certains émettaient
systématiquement un avis favorable, à Toulouse il y a un
réel refus de donner un avis. Il y a à cela des raisons parfois
déontologiques, que l'on retrouve dans le fonctionnement des
administrations.
Dès lors que les intéressés sont hospitalisés, il
est possible d'avoir des données plus précises et, la plupart du
temps, les médecins sont obligés de travailler sur dossier. Il
est vrai qu'il n'est pas forcément facile de se prononcer au seul vu du
dossier médical. Il est nécessaire, pour rester en France, eu
égard à la nature et à la gravité de la pathologie,
qu'elle ne soit pas soignée de façon satisfaisante dans le pays
d'origine. Maintenant, il est possible que la maladie n'empêche pas une
activité professionnelle, ce qui est un peu le cas à l'heure
actuelle au niveau du SIDA et on a souvent évoqué le cas des
personnes astreintes à des dialyses. A ce niveau, il y a une
concertation pour arriver à une position commune au ministère de
l'intérieur et à celui des affaires sociales.
M. LE RAPPORTEUR.-
Monsieur le président, sur la base des
missions qui vous ont été confiées, en définitive
vous êtes là pour coordonner différentes visions des
préfectures ou des médecins de la santé, entre autres au
sujet du célibataire dont vous faisiez état tout à
l'heure, sans charge de famille. Si je comprends bien et si je puis m'exprimer
ainsi, vous devez commencer à dire le droit !
M. GALABERT
- De toute façon on n'arrivera jamais à
interpréter les textes de la même manière à
Strasbourg qu'à Paris ou à Dijon. Au mois de juillet ou
d'août, les demandes ont commencé à arriver et je peux vous
dire que les agents eux-mêmes n'avaient pas idée de ce que cela
donnerait. La réaction, au niveau des préfectures, était
de dire : "Nous n'avons pas attendu la circulaire pour rejeter certains". J'ai
en revanche entendu un agent me dire: "On régularise tout le monde", et
6 mois après, dans ce département, j'ai constaté que les
critères de la circulaire faisaient qu'on ne s'orientait pas dans cette
direction.
Désormais, les gens sont rodés, même si des adaptations
psychologiques seront à faire, que je ne méconnais pas. De toute
manière, je le dis en mon nom propre mais il me semble que je peux
également le dire au nom de M. Delarue, directeur des libertés
publiques, si nous n'avions pas eu envie d'exercer cette mission, nous aurions
refusé le poste.
Dans toutes les préfectures, un gros problème tient à la
preuve du séjour. Vous avez des professionnels de la chose qui arrivent,
en toute bonne foi, avec leurs 700 cartes orange de circulation. Vous avez
aussi celui qui a eu la "chance" de se faire soigner pour une grippe tous les
hivers. En la matière, certains font flèche de tout bois ! On a
même entendu le raisonnement suivant : "En 1994, vous voyez bien que
j'étais présent en France puisque j'ai reçu un mandat de
reconduite à la frontière, à telle date " !
M. LE RAPPORTEUR.-
Avez-vous rencontré certains demandeurs
à titre individuel ?
M. GALABERT
- Il m'est arrivé d'en avoir au
téléphone. Certains me communiquent leur numéro de
téléphone et, étant donné que je n'ai qu'une
secrétaire, il m'arrive de leur demander une précision.
M. LE RAPPORTEUR.-
Prenons le cas du Malien célibataire mais qui
a une charge de famille au pays. Quelle est l'interprétation, à
ce moment-là ?
M. GALABERT
- L'interprétation est celle qui avait prévalu
au niveau du ministère. Le fait d'avoir une famille à charge dans
le pays ne vous exclut pas du bénéfice de circuler mais il se
trouve tout de même que cette personne est dans une situation, pour
parler net, où ses chances d'obtenir une régularisation sont plus
limitées.
Je me permets de vous indiquer pourquoi on a débattu sur la structure
qui aurait eu l'avantage de limiter tout contentieux. Je dirai que celle-ci ne
pourrait être tenue comme légale, encadrant simplement l'exercice
par les préfets du pouvoir de régularisation qu'ils
possèdent de toute façon.
Cette interprétation juridique était nette. Au cas où un
étranger demande sa régularisation, pour limiter tout
contentieux, on aurait dit : une circulaire a été publiée,
créatrice de droit. Le ministère de l'intérieur a pris une
autre optique. On se base donc essentiellement sur la circulaire mais,
dès lors qu'on est saisi d'une demande de titre de séjour, cela a
deux conséquences.
Mettons que l'étranger soit hors circulaire mais qu'il remplisse les
conditions de la loi ou du traité bilatéral entre la France et
son pays d'origine, je pense à un Camerounais présent en France
depuis 15 ans et qui pouvait le prouver, avec une période
étudiante. L'article 12 bis de l'ordonnance de 1945 lui permettait de
prétendre à régularisation. Si la personne ne remplit pas
les conditions de l'ordonnance, le schéma normal consiste à dire
: "Je ne puis vous accorder le titre de séjour que vous demandez" et
à faire quitter le territoire dans tels délais.
Bien souvent les préfectures, sans que ce soit d'ailleurs de mauvais
augure, ont tenu le discours suivant : "Vous devez partir", tout en
prévenant l'objection en disant : "Votre famille étant au pays,
l'obligation de quitter le territoire ne porte pas atteinte à l'article
8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des
libertés fondamentales".
Il a d'abord fallu rappeler à certaines préfectures que la
légalité de la mesure de départ n'était pas en soi
un motif de refus. Certaines faisaient valoir que l'étranger
n'exerçait pas une activité régulière et que sa
famille était au pays. Il reste, et c'est humain, les préfectures
étant confrontées à des dossiers où les
problèmes d'appréciation sont délicats, qu'il est
difficile de ne pas avoir tendance à regarder d'abord la situation
familiale : "Celui-là est célibataire et, si vous refusez la
régularisation, la mesure d'éloignement ne posera pas de
problème". Cela ne déteint pas sur la façon dont il
satisfait ou non aux critères de régularisation.
M. ALLOUCHE
- Vous nous apportez un certain nombre
d'éléments de précision qui effectivement répondent
à notre attente mais, au fur et à mesure que je vous entends, je
me dis que l'utilité de votre rôle paraît de plus en plus
importante compte tenu de votre volonté d'harmoniser, en quelque sorte,
l'application de la circulaire dans l'ensemble des préfectures. Ma
question est la suivante.
Au regard des dossiers qui ont à ce jour été
refusés, avez-vous une idée statistique du nombre de cas qui ont
été reconsidérés, pour lesquels il a
été possible de donner satisfaction aux demandes exprimées
alors que, dans un premier temps, pour une application plus ou moins
fidèle à l'esprit et à la lettre de la circulaire, il y
avait eu une proposition de refus ?
M. GALABERT
- Dans les préfectures les plus surchargées,
on n'a guère le temps d'instruire le recours gracieux et on s'en remet,
si je puis dire, au silence de l'administration, en laissant s'écouler
le délai de quatre mois à l'issue duquel le recours gracieux est
considéré comme rejeté. Les autres préfectures ont
elles par contre déjà répondu et elles ont
généralement instruit le recours gracieux. Je précise
qu'il est arrivé que des recours gracieux me soient directement
adressés.
Il a pu arriver que l'intéressé, lisant la décision de
rejet, puisse apporter la preuve de sa présence effective en France
depuis 7 ans. S'il est capable de le faire là-dessus, dans son dossier
cela peut être considéré comme suffisant. Pour faire
d'ailleurs une parenthèse sur ce point, autant j'ai parlé tout
à l'heure de gens prévoyants, qui avaient gardé la trace
de leurs 7 années de carte orange, etc, autant certains sont moins
prévoyants ou d'un moindre niveau culturel, qui n'y ont pas
pensé. A Toulouse, on me disait encore vendredi dernier que des
personnes ne pouvaient recevoir satisfaction du fait qu'elles n'apportaient pas
la preuve de leur séjour, pour lesquelles on avait pourtant la
conviction qu'elles résidaient depuis longtemps sur le territoire
français.
Je peux vous citer un autre exemple, d'une préfecture qui avait eu la
malencontreuse idée de ne pas même recevoir
l'intéressé avant de proposer la décision de rejet. On a
demandé le secret absolu. J'ai téléphoné à
la préfecture et mon discours a été le suivant : "Puisque
qu'il engage un recours gracieux, commencez par le recevoir", ce que la
préfecture a bien voulu faire. Suite à cela, la décision
de rejet a été prise et j'ai adressé une lettre à
l'intéressé, lui indiquant qu'il pouvait toujours faire recours,
sans préciser qu'au vu du refus opposé, la décision de la
préfecture paraissait solide.
Mme DUSSEAU
- Monsieur Galabert, vous avez en partie répondu
à mon ignorance mais je souhaite vous poser quelques questions. Par
rapport aux 7 années exigées de certains demandeurs, faut-il
impérativement 7 années de présence continue ? Des
éléments peuvent peut-être prouver une présence
pendant mais non depuis 7 ans en France.
M. GALABERT
- En principe, on parle d'un séjour continu de 7 ans,
mais sous réserve d'allers-retours. Si l'étranger retourne dans
son pays d'origine pendant un mois, ce n'est pas cela qui sera pris en compte.
Par contre, il est certain qu'on ne va pas additionner les 10 ans passés
antérieurement en France, plus les 3 années entre 1994 et 1997,
par exemple.
Mme DUSSEAU
- Au niveau du recours gracieux, au bout de 4 mois de
silence de l'administration, que se passe-t-il ?
M. GALABERT
- En matière de droit administratif, au bout de
quatre mois de silence de l'administration, ce que vous lui avez demandé
est théoriquement censé vous être refusé.
Mme DUSSEAU
- Troisièmement, je n'ai pas très bien compris
ce que vous nous avez indiqué concernant les personnes vivant en France
dans un état de célibat mais ayant une charge de famille à
l'étranger. Je souhaiterais que vous éclaircissiez votre
réponse.
M. GALABERT
- Pour schématiser le plus possible, dans un premier
temps les préfectures, à Paris notamment, considéraient
que dès lors que la personne n'était pas mariée, cela
allait, mais qu'à partir du moment où elle avait une famille, que
celle-ci vive en France ou dans le pays d'origine, elle ne pouvait
bénéficier de la régularisation. L'interprétation
qui a prévalu, après confrontation avec le ministère de
l'intérieur, est qu'on lui demande de vivre en célibataire en
France mais que, si cette personne a une famille à l'étranger,
cela ne ressort pas.
M. LE PRÉSIDENT.-
Que se passe-t-il en cas de polygamie ?
M. GALABERT
- C'est toujours éliminatoire, même à
l'extérieur.
Mme DUSSEAU
- En ce qui concerne les étrangers malades, une
durée de séjour est-elle exigée ?
M. GALABERT
- Mettons que vous soyez victime d'un accident de la route
extrêmement grave, faisant appel à des techniques chirurgicales,
on vous gardera le temps de vous soigner. Il y a aussi les cas de SIDA, les
dialyses...
Mme DUSSEAU
- Par rapport à l'ensemble des dossiers, a-t-on une
idée du pourcentage que représentent ces personnes malades ? Vous
nous avez parlé d'une dialyse, d'un accident de la route, il y a
forcément une ventilation des cas.
M. GALABERT
- C'est encore difficile à dire et cela dépend
des endroits. J'étais à Bordeaux il y a peu, où on doit
dénombrer à l'heure actuelle 7 ou 8 cas de malades. Dans le Gers
ou l'Arriège, il doit y avoir 15 demandes de régularisation,
dont une demande s'agissant d'une personne malade. En région parisienne,
le pourcentage est bien sûr beaucoup plus faible. On peut dire, en tout
état de cause, que les cas recensés jusqu'à ce jour sont
peu nombreux.
M. LE RAPPORTEUR.-
Il faut préciser que les étrangers
malades doivent résider habituellement en France.
M. CALDAGUES
- Pour poser à mon tour une question sur la
polygamie, juridiquement cette question me remplit de perplexité. Les
critères sur lesquels l'autorité ou les tribunaux peuvent
déterminer que quelqu'un est polygame ou qu'il ne l'est pas me
paraissent extrêmement flous, pour ne pas dire inexistants. J'ai cru
comprendre qu'était polygame à vos yeux quelqu'un dont la
polygamie était due à un second mariage dans son pays d'origine,
je ne pense pas que ce soit l'interprétation des tribunaux.
M. GALABERT
- La sanction de la polymamie, ce qui signifie l'existence
de plusieurs ménages, est que vous ne pouvez faire venir qu'une
épouse au titre du regroupement familial. Ceci étant, des
familles polygames sont arrivées à une époque où la
"chasse" à la polygamie n'était pas faite avec autant de rigueur
qu'aujourd'hui, ce qui pose souvent énormément de
problèmes.
M. CALDAGUES
- Ma deuxième question est la suivante. Lorsque le
demandeur invoque un état de santé exigeant un traitement en
France, hormis le cas des affections chroniques ou quasi chroniques dont vous
nous avez parlé tout à l'heure, comme les dialyses, dont on ne
sait combien de temps elles peuvent durer, qui peuvent même
s'avérer définitives, quelle est la durée de
validité d'une attestation médicale ? Dans de nombreux cas, la
médecine française ne reste tout de même pas
définitivement impuissante.
M. GALABERT
- Les étrangers remplissant les conditions
bénéficient généralement d'une autorisation de
séjour d'une durée de trois mois, renouvelable, et
désormais si le rapport du médecin fait apparaître la
nécessité d'un traitement de longue durée on
délivre une carte de séjour temporaire d'un an, avec autorisation
de travailler si la maladie le permet.
M. DEMUYNCK
- La circulaire prévoit-elle un traitement
particulier pour les étrangers frappés d'interdiction
définitive du territoire, trafiquants de drogue dans 90 % des cas ?
M. GALABERT
- Il s'agit là d'un réel problème, que
j'examine avec l'ensemble des préfectures. Il convient de distinguer
l'interdiction de territoire à titre principal qui ne pose pas de
problème, ne pouvant être levée que par un décret de
grâce du président de la République. Certaines personnes
ont certes formé des recours à ce niveau mais les chances sont
minces.
S'agissant d'une interdiction de séjour à titre
complémentaire, la circulaire a prévu que le préfet puisse
demander au ministre de l'intérieur de vous assigner à
résidence, vous remettant dans une situation qui permet d'obtenir le
relèvement. Je précise bien qu'en aucun cas cette
procédure d'assignation à résidence en vue de demander
à la juridiction un relèvement n'est appliquée à
des agents dont la condamnation principale tenait à des motifs de droit
commun.
M. LE PRÉSIDENT.-
Je souhaite vous poser deux questions.
Premièrement, vous connaissez la circulaire sur l'aide au retour et,
globalement, je souhaiterais savoir ce que vous en pensez. Ne vient-elle pas
trop tardivement, par rapport à d'autres décisions, et n'est-elle
pas trop compliquée ?
M. GALABERT
- Je peux en effet, comme vous l'avez fait, observer qu'elle
est intervenue tardivement, mais les consignes sont données pour pouvoir
éventuellement accorder le bénéfice à quelqu'un qui
aurait quitté le territoire à la suite d'un refus et qui pourrait
y prétendre. Aujourd'hui, de nombreuses préfectures tirent sur
les délais avant de mettre en forme et de vous notifier une
décision de refus pour pouvoir accompagner la notification d'un rapport
que vous pouvez adresser pour l'aide au retour. Ceci dit, on peut s'interroger
sur l'efficacité de l'aide au retour.
M. LE PRÉSIDENT.-
Deuxième question toute simple, on a
donc en gros 150.000 dossiers de régularisation : 180.000 moins les
doubles emplois. Il nous a été dit qu'on avait traité en
priorité les cas les plus faciles dans la plupart des
préfectures, ce qui est d'ailleurs normal : on régularise d'abord
les régularisables, mais cela signifie aussi qu'on va avoir à
faire face à une accumulation de choix difficiles dans des délais
relativement courts. Ne pensez-vous pas que tout cela va quelque peu
"embouteiller" les choses au cours des deux derniers mois ? Surtout qu'il y
aura un cumul avec l'aide au retour qui va commencer et a clairement introduit
ses propres délais dans les délais impartis par la circulaire.
Finalement, ne pensez-vous pas qu'on se dirige vers un report des délais
impartis dans la circulaire du 24 juin 1997 ?
M. GALABERT
- La plupart des préfectures pensent tenir le
délai d'avril, même si certaines sont plus prudentes ou plus
pessimistes, comme la préfecture de police ou la préfecture des
Bouches-du-Rhône. Maintenant, si beaucoup de décisions ne sont pas
prises, elles sont déjà largement préparées, ce qui
paraît de nature à restreindre quelque peu votre inquiétude.
Il est en outre tout à fait certain qu'on a commencé par traiter
les cas les plus simples. Je dois tout de même signaler que même en
l'état actuel, les chiffres qui sont communiqués, même
préfecture par préfecture, d'admissions et de refus, ne sont pas
encore très significatifs. Il n'est pas question d'arriver au taux
national, ne serait-ce que parce que les conditions au niveau des populations
étrangères ne sont pas les mêmes d'un département
à un autre. On aura forcément des chiffres différents et
cela dépend aussi de la façon dont la préfecture a
procédé. Celle qui a vraiment appliqué la règle a
commencé par traiter les cas les plus favorables et,
inévitablement, les choses vont évoluer quand on arrivera au 1-6.
Ce n'est pas très significatif.
Je crois tout de même que la nouvelle loi relative à
l'entrée et au séjour des étrangers en France va
être une "passerelle". Si on a été conduit à
prolonger après le 1er novembre la possibilité, pour les malades,
de bénéficier de la régularisation, c'est parce que l'on
pouvait penser que la loi nouvelle prendrait le relais de la circulaire et
qu'on ne voulait pas créer de hiatus ; ceci dit, une fois la nouvelle
loi en vigueur, il deviendra délicat d'appliquer une circulaire
dès lors qu'elle serait contraire à la loi nouvelle.
M. LE PRÉSIDENT.-
Pensez-vous que la loi sera en vigueur avant le
terme de la circulaire ?
M. GALABERT
- Je ne suis pas parlementaire mais disons qu'il y a de
très fortes probabilités. Je précise que je ne crois pas
m'aventurer beaucoup en disant que je ne pense pas que les dispositions de la
future loi appelleront énormément de décrets
d'application. Certaines devraient pouvoir s'appliquer sans décret.
M. LE PRÉSIDENT.-
Que se passerait-il en cas de vide juridique
entre la fin de l'application de la circulaire et l'application de la loi ?
M. GALABERT
- Disons que ce serait fâcheux.
M. LE PRÉSIDENT.-
Le ministre a annoncé que les
décrets d'application ne seraient pas pris avant les élections.
M. GALABERT
- Cela paraît probable.
M. LE PRÉSIDENT.-
Mes chers collègues, Monsieur le
rapporteur, si votre curiosité est satisfaite je remercie M. Galabert
pour la façon très claire et très spontanée dont il
nous a fait part de ses impressions. Il nous a très fortement
éclairé sur l'environnement de cette procédure et nous
l'en remercions.