Commission d'enquête sur les régularisations d'étrangers en situation irrégulière
MASSON (Paul) ; BALARELLO José
RAPPORT 470 (97-98), Tome I - COMMISSION D'ENQUETE
Table des matières
- INTRODUCTION
-
PREMIÈRE PARTIE
LE PARI RISQUÉ D'UNE OPÉRATION DE GRANDE AMPLEUR-
I. LE CONTEXTE : UNE APPRÉHENSION DIFFICILE DE L'IMMIGRATION
IRRÉGULIÈRE
-
A. LES RÈGLES D'ENTRÉE ET DE SÉJOUR DES ÉTRANGERS
EN FRANCE : UN DROIT SOUVERAIN DE L'ETAT, MIS EN OEUVRE DANS UN CONTEXTE
EUROPÉEN
- 1. Un droit national directement sous l'influence des conventions internationales
- 2. Le droit de régulariser reconnu à l'administration doit permettre de prendre en compte de manière pragmatique les situations individuelles : l'avis du Conseil d'Etat du 22 août 1996
- B. L'IMMIGRATION IRRÉGULIÈRE : UNE PRESSION CROISSANTE DANS UN CONTEXTE DE MONDIALISATION DES FLUX MIGRATOIRES
-
A. LES RÈGLES D'ENTRÉE ET DE SÉJOUR DES ÉTRANGERS
EN FRANCE : UN DROIT SOUVERAIN DE L'ETAT, MIS EN OEUVRE DANS UN CONTEXTE
EUROPÉEN
-
II. UN CHOIX CONTESTABLE : UNE OPÉRATION GLOBALE DE
RÉGULARISATION PAR VOIE DE CIRCULAIRE
-
A. LE CHOIX D'UNE OPÉRATION GLOBALE DE RÉGULARISATION PAR VOIE
DE CIRCULAIRE
- 1. Une procédure déjà utilisée et aux conséquences fâcheuses
- 2. La circulaire du 24 juin 1997 : un cadre précis au service d'une politique
- B. UN AFFLUX DE DEMANDES
-
A. LE CHOIX D'UNE OPÉRATION GLOBALE DE RÉGULARISATION PAR VOIE
DE CIRCULAIRE
-
I. LE CONTEXTE : UNE APPRÉHENSION DIFFICILE DE L'IMMIGRATION
IRRÉGULIÈRE
-
DEUXIÈME PARTIE
DES RÉSULTATS INQUIÉTANTS QUI LAISSENT SANS RÉPONSE LA QUESTION DE L'ÉLOIGNEMENT DES ÉTRANGERS NON RÉGULARISÉS-
I. UNE OPÉRATION QUI ABOUTIT À DES RÉGULARISATIONS
MASSIVES DONT LES CONSÉQUENCES N'ONT PAS ÉTÉ SUFFISAMMENT
ÉVALUÉES
- A. DES RÉGULARISATIONS MASSIVES
- B. LES CONSÉQUENCES PRÉVISIBLES DE CES RÉGULARISATIONS
-
II. L'ÉLOIGNEMENT DES ÉTRANGERS NON RÉGULARISÉS :
UNE DIFFICULTÉ MAJEURE
- A. UN ESPOIR DÉÇU : LA PROCÉDURE D'AIDE AU RETOUR
- B. UN BILAN INQUIÉTANT : DES CLANDESTINS OFFICIELS
- C. COMMENT FAIRE RESPECTER LES DÉCISIONS D'ÉLOIGNEMENT PRISES EN APPLICATION DE LA LOI?
-
I. UNE OPÉRATION QUI ABOUTIT À DES RÉGULARISATIONS
MASSIVES DONT LES CONSÉQUENCES N'ONT PAS ÉTÉ SUFFISAMMENT
ÉVALUÉES
-
CONCLUSION GÉNÉRALE
- OBSERVATIONS DE GROUPES POLITIQUES
- ANNEXES
N°
470
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Rapport remis à Monsieur le Président du Sénat le 2 juin
1998
Dépôt publié au Journal officiel du 3 juin 1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 3 juin 1998
RAPPORT
de la
commission d'enquête
(1) chargée de recueillir des
informations sur les
régularisations d'étrangers
en
situation irrégulière opérées depuis le
1
er
juillet 1997, créée en vertu d'une résolution
adoptée par le Sénat le
11 décembre 1997,
TOME
I
RAPPORT ET ANNEXES
Président
M. Paul MASSON,
Rapporteur
M. José BALARELLO,
Sénateurs.
(1)
Cette commission est composée de :
MM. Guy Allouche, José
Balarello, François Blaizot, Louis Boyer, Michel Caldaguès,
Jean-Pierre Camoin, Jean-Patrick Courtois, Marcel Debarge, Christian Demuynck,
Michel Duffour, Mme Joëlle Dusseau, MM. Jean-Jacques Hyest, Jacques
Mahéas, André Maman, René Marquès, Paul Masson,
Jean-Claude Peyronnet, Bernard Plasait, Jean-Marie Poirier, Mme Danièle
Pourtaud, M. Jean-Pierre Schosteck.
Voir les numéros
:
Sénat
:
411
,
432
(1996-1997) et T.A.
53
(1997-1998).
|
|
Etrangers. |
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
La commission d'enquête "
chargée de recueillir des
informations sur les régularisations d'étrangers en situation
irrégulière opérées depuis le 1er juillet
1997 "
a été créée par le Sénat
lors de sa séance du 11 décembre 1997
1(
*
)
. Elle a rendu publiques ses conclusions le 9 juin
1998, conformément
aux dispositions de l'article 6 de
l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 modifiée relative
au fonctionnement des assemblées parlementaires.
Par son objet, la commission d'enquête a répondu au souci
légitime du Sénat d'être informé sur un sujet
intéressant directement la nécessaire maîtrise des flux
migratoires qui apparaît comme la condition même d'une bonne
intégration des étrangers dans le respect des lois de la
République.
Cette maîtrise apparaît d'autant plus impérieuse qu'elle
s'inscrit dans le cadre d'une coopération avec nos partenaires
européens (accords de Schengen du 14 juin 1985 et convention
d'application du 19 juin 1990).
Cette coopération se traduit par l'existence de frontières
communes à tous les Etats membres de la convention de Schengen. Un
étranger qui a pénétré dans " l'espace
Schengen " peut circuler librement sur le territoire de tous les Etats
parties à la convention. Il en résulte une étroite
interdépendance entre les politiques migratoires de ces Etats.
La
politique de la France en la matière ne peut donc plus se concevoir
indépendamment de celle de ses partenaires
.
Cette coopération est appelée à se développer avec
la mise en oeuvre du Traité d'Amsterdam, signé le 2 octobre 1997.
Dans ce contexte, la lutte contre l'immigration irrégulière doit
figurer en bonne place dans une politique cohérente de l'immigration.
Le Conseil d'Etat, s'appuyant sur sa propre jurisprudence, a indiqué,
dans un avis rendu le 22 août 1996, les conditions dans
lesquelles l'administration pouvait accorder un titre de séjour aux
étrangers n'entrant pas dans les catégories fixées par
l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945.
A la suite de cet avis, la loi du 24 avril 1997 a eu pour premier objet
d'apporter une réponse à des situations individuelles difficiles,
en élargissant les cas d'attribution de plein droit de la carte de
séjour temporaire.
Malgré cet affinement du cadre juridique permettant de régler
des situations complexes -que la loi ne peut pas toujours prévoir- le
nouveau Gouvernement a décidé, dès le 24 juin 1997,
d'organiser une opération de régularisation sur
critères.
Cette procédure s'imposait-elle et ne comportait-elle pas, compte tenu
de sa " couverture médiatique " prévisible, un risque
" d'appel d'air ", si l'on veut bien se souvenir que les
131.000 régularisations des années 1981-1982 n'ont
aucunement apporté une solution à la lancinante question de
l'immigration clandestine ?
Lorsque la proposition de résolution tendant à créer une
commission d'enquête a été déposée, en
septembre 1997, près de 85 000 demandes de régularisation
avaient été formulées. Le nombre total des dossiers
à traiter était évalué à 179.000 par le
ministère de l'Intérieur lors de la création par le
Sénat de la commission d'enquête en décembre 1997. Ce
chiffre était cependant considéré comme pouvant
évoluer à la baisse, notamment en raison de demandes multiples.
On pouvait donc s'interroger sur le nombre d'étrangers qui seraient
finalement régularisés.
Cette opération ne comportait-elle pas le risque d'une déception
pour les personnes à qui le bénéfice en serait
refusé avec, peut-être aussi, l'espoir d'être à leur
tour régularisées quelques années plus tard ?
Quel traitement serait appliqué à ces
" déboutés de la régularisation "?
Pourraient-ils être effectivement éloignés du territoire,
comme cela paraissait logique, quand on connaît les difficultés
juridiques et pratiques auxquelles se heurte la mise en oeuvre de mesures de
cette nature ? A défaut, ne risquait-on pas de légitimer
leur présence irrégulière en France ?
Enfin, il pouvait paraître légitime, certaines informations
laissant imaginer (à tort ou à raison) des différences
d'appréciation selon les préfectures, de s'assurer des conditions
d'application de la circulaire du 24 juin 1997.
Telles sont les principales questions -qui entrent dans le champ du pouvoir de
contrôle dont le Parlement est investi- qui ont justifié la
constitution d'une commission d'enquête.
Il ne s'agissait pas pour cette dernière de procéder à une
étude d'ensemble de l'immigration -voire de l'immigration clandestine-
mais, adoptant une démarche résolument pragmatique, de recueillir
des informations sur les régularisations opérées depuis le
1er juillet 1997, afin d'en évaluer les conséquences.
La commission d'enquête n'a pas entendu alimenter quelque
polémique mais faire précéder toute conclusion d'un
travail d'investigation aussi rigoureux que possible. Sa démarche se
fonde sur les faits qu'elle a pu constater et non sur des
a priori
.
La commission d'enquête et son rapporteur n'ont pas manqué
d'utiliser les pouvoirs de contrôle sur pièces et sur place qui
leur sont conférés par l'article 6 de l'ordonnance du 17
novembre 1958 modifiée.
Des délégations de la commission d'enquête ont
effectué des déplacements dans neuf préfectures ayant
reçu à elles seules 74 % du total des demandes,
afin de
s'informer auprès des préfets et des services des
étrangers de la manière dont les dossiers étaient
instruits. Ces délégations, toujours accompagnées par le
rapporteur, ont pu mesurer concrètement, à partir des
réponses faites à leurs interrogations ainsi que de leurs
constatations sur place, l'importance du travail supplémentaire
réclamé aux services, malgré l'attribution de moyens
supplémentaires.
La commission d'enquête a constaté, à l'unanimité
de ses membres, que les services préfectoraux avaient su
démontrer à la fois leur disponibilité, leur rigueur et
leur efficacité pour faire face à une opération
difficile.
La commission d'enquête a procédé à vingt auditions
publiques, dont les comptes rendus sont publiés dans le tome II du
présent rapport.
Elle a auditionné le ministre de l'Intérieur (à deux
reprises), le ministre de l'Emploi et de la Solidarité, des hauts
fonctionnaires (les directeurs des libertés publiques et des affaires
juridiques et du contrôle de l'immigration et de la lutte contre l'emploi
des clandestins -DICCILEC- au ministère de l'Intérieur, de la
population et des migrations au ministère de l'Emploi et de la
Solidarité, de l'Office des migrations internationales -OMI- et les
préfets de trois départements).
La commission d'enquête a entendu M. Jean-Michel Galabert,
désigné par le Premier ministre pour effectuer une mission sur le
suivi des régularisations.
Elle a aussi auditionné un représentant de la Conférence
des bâtonniers ainsi que plusieurs associations (GISTI, Ligue des Droits
de l'Homme et CIMADE).
A la suite des incidents ayant émaillé des reconduites à
la frontière d'étrangers dépourvus de titre de
séjour, à partir de la fin du mois de mars 1998, la commission
d'enquête a procédé à l'audition du Président
d'Air France et de deux commandants de bord.
Les travaux de la commission d'enquête ont également pris appui
sur diverses pièces et documents communiqués sur sa demande par
les services ou le ministre de l'Intérieur et, en particulier, deux
rapports de l'Inspection générale de l'administration ainsi que
celui établi par M. Jean-Michel Galabert.
On soulignera cependant que, malgré les prévisions du ministre
de l'Intérieur, l'instruction de la totalité des demandes
n'était pas achevée le 30 avril 1998, puisque 25 % des dossiers
restaient encore en instance à cette date. De ce fait, la commission
d'enquête n'a pas pu disposer de chiffres définitifs avant le
terme légal de sa mission
.
*
* *
La
commission d'enquête n'a jamais contesté la
nécessité d'examiner les situations individuelles complexes
d'étrangers ne répondant pas à toutes les conditions
fixées par la loi.
Elle s'est cependant interrogée sur la
méthode choisie
par
le Gouvernement, consistant en l'organisation d'une opération de grande
ampleur, difficilement conciliable avec une démarche pragmatique et
individualisée.
La commission d'enquête a ensuite cherché à mesurer les
conséquences
de cette vaste opération. Elle s'est
étonnée de l'insuffisance de l'évaluation préalable
des incidences de régularisations massives, qu'il s'agisse de leurs
implications sociales et financières ou du risque " d'appel
d'air ". Elle s'est aussi interrogée sur l'éloignement
effectif du territoire des étrangers non régularisés qui
s'y seraient maintenus en toute illégalité.
La commission d'enquête s'est, enfin, voulue résolument positive
dans ses conclusions en s'efforçant de tracer des
pistes pour
l'avenir
. Elle a souhaité, en particulier, un consensus pour une
indispensable prise en considération de la dimension européenne
du problème, une vision purement hexagonale apparaissant totalement
inadaptée à l'heure de la mondialisation des flux
migratoires.
PREMIÈRE PARTIE
LE PARI RISQUÉ D'UNE
OPÉRATION DE GRANDE AMPLEUR
I. LE CONTEXTE : UNE APPRÉHENSION DIFFICILE DE L'IMMIGRATION IRRÉGULIÈRE
A. LES RÈGLES D'ENTRÉE ET DE SÉJOUR DES ÉTRANGERS EN FRANCE : UN DROIT SOUVERAIN DE L'ETAT, MIS EN OEUVRE DANS UN CONTEXTE EUROPÉEN
1. Un droit national directement sous l'influence des conventions internationales
a) Les principes essentiels du droit national
1.- La Constitution
L'objectif de maîtrise des flux migratoires est
parfaitement
légitime au regard du cadre constitutionnel.
Le Conseil constitutionnel l'a clairement spécifié dans un
considérant de principe :
"
Considérant qu'aucun principe non plus qu'aucune règle
de valeur constitutionnelle n'assure aux étrangers des droits de
caractère général et absolu d'accès et de
séjour sur le territoire national ; que les conditions de leur
entrée et de leur séjour peuvent être restreintes par des
mesures de police administrative conférant à l'autorité
publique des pouvoirs étendus et reposant sur des règles
spécifiques ; que le législateur peut ainsi mettre en oeuvre les
objectifs d'intérêt général qu'il s 'assigne ;
que dans ce cadre juridique, les étrangers se trouvent placés
dans une situation différente de celle des nationaux ; que
l'appréciation de la constitutionnalité des dispositions que le
législateur estime devoir prendre ne saurait être tirée de
la comparaison entre les dispositions de lois successives ou de la
conformité de la loi avec des stipulations de conventions
internationales mais résulte de la confrontation de celle-ci avec les
seules exigences de caractère constitutionnel (...)
".
(Décision n° 93-325 DC du 13 août 1993).
2.- Le droit du séjour dans l'ordonnance du 2 novembre 1945
Quelques définitions |
|
circulation |
Entrée et court séjour
en France (durée
inférieure à 3 mois).
|
séjour |
Maintien
de l'étranger sur le territoire après l'expiration d'un
délai de 3 mois après son entrée en France.
|
zone d'attente |
Lieu
situé dans une gare ferroviaire ouverte au trafic international, un port
ou un aéroport où est placé, "
pendant le temps
strictement nécessaire à son départ
",
l'étranger qui n'est pas autorisé à entrer en France.
|
refoulement |
Refus d'entrée sur le territoire français, opposé à un étranger démuni d'autorisation. |
interpellation |
Intervention de police pouvant donner lieu à un contrôle d'identité ou des documents sous couvert desquels les étrangers sont autorisés à entrer ou séjourner en France. |
reconduite à la frontière |
Décision administrative prise à l'encontre d'un étranger qui ne justifie pas d'une entrée ou d'un séjour régulier. |
rétention administrative |
Maintien
dans les "
locaux ne relevant pas de l'administration
pénitentiaire
" de l'étranger ayant fait l'objet d'une
mesure d'éloignement du territoire, pendant le temps strictement
nécessaire à l'organisation de son départ.
|
expulsion |
Mesure d'éloignement du territoire prononcée à l'encontre d'un étranger dont la présence sur le territoire national constitue une menace grave pour l'ordre public ou qui a fait l'objet d'une condamnation pénale grave. |
interdiction judiciaire du territoire |
Peine
prononcée par un tribunal à l'encontre d'un étranger
coupable de certains crimes concernant
notamment
l'aide à
l'entrée ou au séjour irrégulier.
|
Quel que
soit le souci de perfectionner les textes législatifs, ces derniers ne
sauraient, au risque de les rendre moins lisibles, prendre en compte toutes les
situations individuelles dans leur diversité et dans leur
complexité.
Force est de faire un tel constat en dépit du cadre juridique de plus en
plus détaillé qui est défini par l'ordonnance du 2
novembre 1945.
Tout étranger qui séjourne en France plus de
trois mois
doit, sous réserve de certaines dispenses concernant les diplomates,
être muni d'un titre de séjour. Cette obligation s'applique aux
étrangers âgés de plus de dix-huit ans (
articles 6 et
9
de l'ordonnance du 2 novembre 1945). Cependant, les jeunes
étrangers qui souhaitent exercer une activité professionnelle
avant l'âge de dix-huit ans doivent posséder une carte de
séjour leur conférant l'autorisation de travailler.
Aux termes de l'article 8 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, "
en
dehors de tout contrôle d'identité, les personnes de
nationalité étrangère doivent être en mesure de
présenter les pièces ou documents sous le couvert desquels elles
sont autorisées à circuler ou à séjourner en
France, à toute réquisition des officiers de police judiciaire
et, sur l'ordre et sous la responsabilité de ceux-ci, des agents de
police judiciaire et agents de police judiciaire adjoints.
"
Le défaut de titre de séjour, passé un délai de
trois mois depuis l'entrée sur le territoire, expose l'étranger
à des
sanctions pénales
au titre du délit de
séjour irrégulier qui est puni d'un emprisonnement d'
un an
et d'une amende de
25 000 francs.
Les mêmes peines sont encourues
par celui qui s'est maintenu sur le territoire au-delà de la
durée autorisée par son visa.
Il s'expose par ailleurs à une mesure de
reconduite à la
frontière
que le préfet est habilité à prendre
à son égard.
L'ordonnance du 2 novembre 1945 prévoit la délivrance aux
étrangers séjournant en France d'une carte de résident ou
d'une carte de séjour temporaire.
La
carte de résident
est valable
dix ans
et renouvelable
de plein droit. Elle confère à son titulaire le droit d'exercer
la profession de son choix, salariée ou non, sur l'ensemble du
territoire.
Ce titre peut être délivré, sous réserve que leur
présence ne constitue pas une menace pour l'ordre public, aux
étrangers qui justifient d'une résidence non interrompue,
conforme aux lois et règlements en vigueur, d'au moins
trois
années en France. A cette fin, sont pris en compte les moyens
d'existence, notamment les conditions de l'activité professionnelle.
En outre, sous la même réserve de la menace pour l'ordre public et
de la régularité du séjour, la carte de résident
est délivrée de plein droit à certaines catégories
d'étrangers.
La
carte de séjour temporaire
a pour sa part une durée de
validité maximale d'
un an
. Elle peut porter différentes
mentions en fonction de la situation de l'intéressé et du motif
de son séjour en France. Sauf dans le cas où elle est
délivrée de plein droit, elle ne donne pas par elle-même
à son titulaire le droit d'exercer une activité professionnelle.
S'il souhaite travailler en France, l'intéressé doit donc obtenir
une autorisation.
On notera, enfin, que des
autorisations provisoires de séjour
(APS), d'une durée qui excède rarement
six mois
, mais
renouvelable, peuvent être accordées à certaines
catégories d'étrangers. Tel est le cas notamment pour les
demandeurs d'asile dans l'attente d'une décision de l'Office
français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA)
ou de la commission des recours.
De même, un
récépissé
valant autorisation de
séjour est remis à tout étranger ayant souscrit une
demande de première délivrance ou de renouvellement de carte de
séjour. La durée de validité de ce
récépissé ne peut être inférieure à
un mois
.
3.- Le rôle de la jurisprudence
Votre
rapporteur doit enfin souligner le rôle de la jurisprudence pour prendre
en considération des situations individuelles que leur diversité
ne permet pas toujours d'enfermer dans des catégories
prédéfinies.
Le juge administratif a en particulier précisé les conditions
d'application de
l'article 8
de la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales,
garantissant le droit au respect de la vie privée et familiale. Le
Conseil d'Etat a ainsi considéré que, lorsqu'elle examine une
demande de délivrance d'un titre de séjour, l'administration doit
tenir compte des conséquences d'un éventuel refus sur le droit
à l'intéressé au respect de sa vie privée et
familiale et veiller à ce que l'atteinte portée à ce droit
ne soit pas disproportionnée aux buts en vue desquels le refus de
séjour est opposé (10 avril 1992, Marzini).
En conséquence de cette jurisprudence désormais bien
établie, le refus de délivrance d'un titre de séjour peut
être considéré comme illégal alors même que
cette délivrance ne serait pas imposée par le droit interne ou
par des conventions bilatérales.
Contre l'avis du Sénat, l'Assemblée nationale a souhaité
codifier cette jurisprudence dans l'ordonnance du 2 novembre 1945 en
prévoyant que cette circonstance justifierait l'attribution de plein
droit de la carte de séjour temporaire aux intéressés
(article 5 de la loi du 11 mai 1998).
Le rôle de la jurisprudence peut également se vérifier en
ce qui concerne les conditions d'application de la convention de Genève
relative au statut des réfugiés. Ainsi, le Conseil d'Etat a
spécifié que l'étranger qui sollicite la reconnaissance de
la qualité de réfugié doit être autorisé
à demeurer provisoirement sur le territoire jusqu'à ce qu'il ait
été statué sur sa demande et donc recevoir une
autorisation de séjour (13 décembre 1991, Préfet de
l'Hérault c/ Dakoury et Nkodia). Les lois des 24 août et
30 décembre 1993 ont inscrit cette règle, avec certaines
réserves, dans l'ordonnance du 2 novembre 1945 (
articles 32 et 32
bis
). La loi du 11 mai 1998 a transféré les dispositions y
afférentes dans la loi du 25 juillet 1952 dite désormais
"
relative au droit d'asile
".
b) L'influence croissante des conventions internationales
Les conditions du droit au séjour des étrangers ne se résument pas aux dispositions de l'ordonnance du 2 novembre 1945. Les textes internationaux exercent également une influence non négligeable dans ce domaine.
1.- Les conventions bilatérales
La France a passé de nombreuses conventions bilatérales avec des pays d'émigration en ce qui concerne les conditions d'entrée, de séjour et de travail de leurs ressortissants sur le territoire français. Deux d'entre elles contiennent des dispositions spécifiques aux titres de séjour, qui se substituent à celles de l'ordonnance de 1945. Il s'agit de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié et de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 modifié.
2.- L' " espace Schengen "
La mise
en place de
l'" espace Schengen "
influe désormais
très directement sur les conditions d'entrée et de séjour
des étrangers sur le territoire national. Le principe retenu dans le
cadre de cet espace est celui de la suppression des contrôles aux
frontières. En contrepartie, une coopération policière,
douanière et judiciaire doit se développer. Une
clause de
sauvegarde
(article 2 paragraphe 2 de la convention de Schengen) peut
être mise en oeuvre pour assurer, si nécessaire, le maintien de
contrôles temporaires aux frontières intérieures d'un des
Etats signataires.
Des accords bilatéraux entre Etats ayant une frontière commune
doivent permettre de renforcer la coopération policière.
Ainsi, un début de
coopération
fonctionne
déjà dans le cadre de l'Accord de Schengen ou de conventions
bilatérales. Il se traduit par des mécanismes de
réadmission prévus par l'article 33 de l'ordonnance de 1945.
Relevons également l'existence de
commissariats communs
avec
l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie. Le
Système d'Information
Schengen
(SIS) est en outre accessible aux services chargés du
contrôle aux frontières ou à l'intérieur du
territoire.
La convention de Schengen comporte des dispositions relatives à la
détermination de l'Etat responsable du traitement des
demandes
d'asile.
Ces dispositions sont destinées à éviter la
présentation de requêtes dans plusieurs Etats membres. La
convention de Dublin
s'est substituée sur ce point à celle
de Schengen, depuis le 1er septembre 1997.
Les conventions de Schengen et de Dublin organisent une coopération
entre les Gouvernements des Etats membres, prévoyant des
mécanismes de réadmission des demandeurs par l'Etat responsable
du traitement de la demande d'asile.
3.- Le droit communautaire
Le droit
au séjour des
ressortissants des Etats membres de la
Communauté européenne
est, pour sa part, régi par des
règlements et directives communautaires qui appliquent deux principes
fondamentaux du Traité de Rome, à savoir la
liberté de
circulation
et la
liberté d'établissement
. Si les
règlements sont d'application directe, les directives requièrent
pour leur application en droit interne un acte de transposition. Le principal
texte de référence en la matière est le décret
n° 94-211 du 11 mars 1994 qui réglemente les conditions
d'entrée et de séjour en France des ressortissants des Etats
membres de la Communauté européenne bénéficiaires
de la libre circulation des personnes et de leurs familles. L'ensemble de ces
dispositions est désormais applicable aux ressortissants des Etats
parties au traité de Porto du 2 mai 1992 sur l'Espace économique
européen (qui, depuis l'adhésion de l'Autriche, de la Finlande et
de la Suède à l'Union européenne, sont la Norvège
et l'Islande).
Le Traité sur l'Union européenne, signé le 7
février 1992
, a pour sa part prévu l'établissement
d'une liste commune d'Etats dont les ressortissants sont soumis à
l'obligation de visa. Il a en outre institué une coopération dans
les domaines de la justice et des affaires intérieures Cette
coopération porte notamment sur la politique d'immigration et la
politique à l'égard des ressortissants des pays tiers, les
conditions d'entrée et de circulation de ces ressortissants. Le
projet de convention sur le franchissement des frontières
intérieures
, élaboré dans le cadre du
" troisième pilier " prévoit en particulier une
harmonisation de la politique de délivrance des visas de court
séjour et des visas de transit.
Le Traité d'Amsterdam ouvre la perspective d'une
" communautarisation " de la politique de l'immigration. Cela
signifie qu'à terme les décisions ne seront plus prises par
accord entre les Gouvernements mais à la majorité
qualifiée, selon la procédure de la codécision. Il y aura
donc transfert de compétences qui impliquera pour les Etats membres
l'obligation de mettre leur législation en conformité avec les
normes communautaires.
Votre rapporteur ne peut, sur ce point, que renvoyer à l'excellent
rapport de notre collègue Paul Masson établi au nom de la
Délégation du Sénat pour l'Union européenne
("
L'intégration de Schengen dans l'Union
européenne
", Les rapports du Sénat, n° 53,
1997-1998).
On relèvera qu'en vertu de ce traité, le Conseil de l'Union
européenne dans sa formation " Justice et affaires
intérieures " se substituerait au comité exécutif de
Schengen à compter de l'entrée en vigueur du protocole, c'est
à dire de l'entrée en vigueur du traité lui-même. Le
Conseil continuerait de se prononcer à l'unanimité pendant les
cinq premières années. Pour les matières
intégrées dans le pilier communautaire (premier pilier), le
Conseil pourrait au terme de ces cinq années décider à
l'unanimité que les décisions seraient désormais prises
à la majorité qualifiée. L'initiative resterait en
revanche partagée pour les matières transférées
dans le pilier intergouvernemental, c'est à dire la coopération
policière, judiciaire et pénale.
La décision n° 97-394 du 31 décembre 1997 du Conseil
constitutionnel a jugé contraires à la Constitution plusieurs
dispositions du traité d'Amsterdam qui prévoit des transferts de
compétences au profit de la Communauté dans les domaines de
l'asile, de l'immigration et du franchissement des frontières et qui
intéressent l'exercice de la souveraineté nationale. Cette
décision souligne que les matières relatives à
l'immigration feront bien l'objet de véritables transferts de
compétences, qui obligeront les Etats membres à adapter leur
législation nationale et, dans certains cas, leur Constitution.
Un Etat partie à cette coopération européenne ne peut
donc arrêter des mesures en matière d'entrée et de
séjour sans que ces mesures n'aient des répercussions sur
l'ensemble de ses partenaires. L'entrée d'un ressortissant d'un Etat
tiers sur son territoire a des conséquences directes pour l'ensemble des
autres Etats de l'" espace commun ".
4.- Les conventions multilatérales
Enfin,
des contraintes spécifiques pèsent sur les autorités
administratives chargées de la délivrance des titres de
séjour en application de normes issues de conventions internationales
relatives aux droits de l'Homme.
Pour s'en tenir aux deux conventions qui ont le plus d'effet pratique dans ce
domaine, la
convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au
statut des réfugiés
oblige les Etats parties à
n'appliquer aux déplacements des réfugiés en situation
irrégulière que les restrictions nécessaires en attendant
que le statut de ces réfugiés dans le pays d'accueil ait
été régularisé (
article 31-2
).
La
convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés
fondamentales du 4 novembre 1950
garantit le droit au respect de la vie
privée et familiale (
article 8
). Elle prohibe également
les traitements inhumains et dégradants (
article 3
).
2. Le droit de régulariser reconnu à l'administration doit permettre de prendre en compte de manière pragmatique les situations individuelles : l'avis du Conseil d'Etat du 22 août 1996
Modifiées à de très nombreuses reprises,
les
règles d'entrée et de séjour des étrangers en
France se caractérisent par leur très
grande
complexité.
Si la définition par le législateur de
catégories pouvant bénéficier de plein droit d'un titre de
séjour se justifie au regard de la situation des
intéressés (conjoints de Français, parents d'enfants
français, par exemple), ces catégories ne sauraient embrasser
toutes les situations individuelles qui appellent chacune un examen particulier.
Complexifiant encore un peu plus le droit en vigueur, la loi du 11 mai 1998 se
heurtera vraisemblablement à cette même limite.
Il appartient donc aux préfets -avant comme après cette loi-
de prendre en compte, lorsqu'un titre de séjour n'est pas
délivré de plein droit, les situations personnelles et familiales
des intéressés afin d'assurer une bonne application de la
législation en vigueur.
Le
droit de régulariser
la situation d'un étranger reconnu
à l'administration est essentiel. Les conditions dans lesquelles il peut
s'exercer ont été précisées dans l'avis rendu par
le Conseil d'Etat le 22 août 1996, à la suite de l'occupation de
l'église Saint-Bernard à Paris par des étrangers
démunis de titre de séjour.
a) Le principe : une appréciation libre et fondée sur l'opportunité.
Il
n'existe pas de
droit à la régularisation
. Par
définition, si le demandeur dispose d'un droit à un titre de
séjour, il lui suffit de le faire valoir. La régularisation ne
peut donc concerner qu'un étranger ne se trouvant pas dans une telle
situation.
Sauf lorsque les textes le lui interdisent expressément,
l'autorité administrative
peut
néanmoins procéder
à cette régularisation, sous le contrôle du juge de
l'excès de pouvoir.
Elle prend à cette fin une
mesure gracieuse
favorable à
l'intéressé. Cette mesure est justifiée par la
situation particulière
dans laquelle le demandeur établit
qu'il se trouve.
b) Un principe néanmoins encadré
S'il n'existe pas de droit à la régularisation qui lierait l'administration, la faculté pour celle-ci de régulariser la situation d'un étranger est néanmoins encadrée.
1.- Le droit de l'étranger à un examen de sa situation individuelle
L'administration est tenue de procéder à un
examen
particulier de chacun des cas sur lesquels elle est appelée à se
prononcer.
En conséquence, l'étranger qui demande sa régularisation a
le droit de voir son propre cas examiné. Ce droit se justifie au regard
des éléments spécifiques que peut revêtir un dossier
individuel et qui peuvent expliquer qu'une décision différente
puisse être prise pour des situations qui étaient en apparence
similaires.
De même, si un élément nouveau est apparu dans sa
situation, l'étranger doit pouvoir faire valoir un droit au
réexamen de sa demande.
2.- La prise en compte des conséquences d'un éventuel refus
Si, dans
la généralité des cas, l'administration doit prendre sa
décision
en opportunité,
les conséquences d'un
éventuel refus sur la situation personnelle de l'étranger peuvent
limiter son pouvoir d'appréciation.
Ainsi, elle ne peut refuser le séjour et, par voie de
conséquence, procéder à l'éloignement de
l'étranger lorsque sa décision pourrait avoir des
conséquences d'une
exceptionnelle gravité
sur la situation
personnelle de l'intéressé. Tel est notamment le cas lorsqu'est
en cause l'état de santé de celui-ci.
Une mesure dans ce sens est annulée par le juge administratif comme
entachée d'une
erreur manifeste
dans l'appréciation de ses
conséquences.
3.- L'existence d'un droit à une vie familiale normale
Le
pouvoir d'appréciation de l'administration est également plus
limité lorsque le demandeur peut faire valoir un droit distinct,
à savoir
le droit à une vie familiale normale.
Enoncé par l'
article 8
de la convention européenne de
sauvegarde des droits de l'Homme et des droits fondamentaux, ce droit a
également été dégagé par le Conseil
constitutionnel du dixième alinéa du préambule de la
Constitution de 1946 selon lequel "
la Nation assure à
l'individu et à la famille les conditions nécessaires à
leur développement
".
Comme votre rapporteur l'a déjà indiqué, le Conseil d'Etat
exerce -pour la mise en oeuvre de ce droit- un
contrôle de
proportionnalité
entre les buts en vue desquels les mesures
administratives (refus d'un titre de séjour, reconduite à la
frontière, en particulier) sont prises et le droit des personnes qui en
font l'objet au respect de leur vie familiale.
La loi du 11 mai 1998 a néanmoins prévu d'inscrire cette
jurisprudence dans l'ordonnance du 2 novembre 1945, en créant une carte
de séjour temporaire portant la mention "
vie privée et
familiale
".
Enfin, selon l'avis du Conseil d'Etat du 22 août 1996, il y avait
également lieu de faire un cas à part des étrangers
résidant
habituellement
en France depuis
plus de quinze ans
ou
régulièrement
depuis
plus de dix ans.
Ces
critères sont désormais pris en compte dans l'ordonnance du
2 novembre 1945, au-delà même de ce qu'avait
préconisé le Conseil d'Etat puisque la loi du 11 mai 1998 a
prévu la délivrance de plein droit d'une carte de séjour
temporaire à l'étranger ayant une résidence
habituelle
en France depuis plus de dix ans.
c) Une conséquence nécessaire du refus de régularisation : l'éloignement du territoire
Si elle
n'était pas énoncée dans l'avis précité,
cette conséquence du refus de régularisation mérite
néanmoins d'être soulignée.
En effet, dès lors que l'intéressé ne remplit pas les
conditions requises par le droit en vigueur pour faire valoir un droit à
un titre de séjour et que sa situation personnelle ne comporte pas
d'éléments particuliers justifiant sa régularisation, il
doit être invité à quitter le territoire. Si
nécessaire, une mesure de reconduite à la frontière doit
être prise à son égard.
Cette conséquence du refus de régularisation doit avoir toute sa
portée, sauf à mettre en cause dans leur principe même les
règles relatives au séjour des étrangers et à
valider le maintien de situations irrégulières
particulièrement préjudiciables à l'équilibre
social.
B. L'IMMIGRATION IRRÉGULIÈRE : UNE PRESSION CROISSANTE DANS UN CONTEXTE DE MONDIALISATION DES FLUX MIGRATOIRES
1. L'évaluation difficile des étrangers en situation irrégulière
Par
définition, il ne peut exister aucune statistique fiable concernant la
présence irrégulière d'étrangers en France.
On peut cependant se référer à des évaluations
citées dans le rapport de la commission d'enquête de
l'Assemblée nationale sur l'immigration clandestine et le séjour
irrégulier d'étrangers en France (n° 2699, 10 avril
1996) :
- Le Bureau international du travail a estimé en 1992 à
350.000 le nombre des migrants illégaux en France (200.000 en
Allemagne et 600.000 en Italie) ;
- M. Jean-Claude Barreau évalue, dans son ouvrage publié en
1992
2(
*
)
, à 30.000 par an le nombre
d'entrées clandestines, sachant que le séjour irrégulier
peut aussi être le fait d'étrangers entrés
régulièrement sur le territoire, grâce à un visa
à durée déterminée ;
- M. Jean-Paul Faugère, répondant, le 14 novembre 1995,
à la commission d'enquête de l'Assemblée nationale en sa
qualité de directeur des libertés publiques et des affaires
juridiques au ministère de l'Intérieur, avait estimé, sur
la base d'une tendance de 50.000 mesures d'éloignement du
territoire prononcées chaque année et de 10.000 mesures
exécutées, sur une durée de 4 ou 5 ans, que la
population irrégulière en France était
au minimum
de l'ordre de 200.000, soulignant qu'il convenait de rester prudent en la
matière.
L'évaluation de M. Jean-Paul Faugère, effectuée à
partir de statistiques sur les mesures d'éloignement, ne pouvait,
à l'évidence, pas prendre en compte les étrangers
totalement inconnus des services.
Le nombre des étrangers en situation irrégulière se situe
donc à un niveau supérieur.
Une estimation du nombre des clandestins entre 350.000 et 400.000 ne parait pas
éloignée de la réalité.
2. Un contexte en évolution
a) Le changement de la nature de l'immigration depuis 1945
Les flux
migratoires ont subi des changements profonds depuis 1945.
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les nécessités de la
reconstruction ont conduit notre pays à faire appel à une main
d'oeuvre immigrée.
Cette tendance a ensuite accompagné la croissance de l'économie
pendant les " trente glorieuses ".
La crise des années 1970 et l'apparition d'un chômage structurel
ont provoqué la suspension de l'introduction de travailleurs
étrangers à partir de 1974.
La population immigrée, au départ essentiellement
européenne, s'est diversifiée peu à peu, ce qui a rendu
plus difficile son intégration dans la société
française.
La sensible détérioration de la situation économique dans
de très nombreux pays n'a pu qu'encourager leurs ressortissants à
s'installer notamment en France pour bénéficier de ressources
minimales. Ainsi peut-on expliquer, en grande partie, la pression migratoire en
provenance d'Afrique ou d'Asie.
La répartition par nationalités des demandes de
régularisation, qui sera analysée plus loin, comporte une
illustration intéressante de la forte présence clandestine de
Chinois en France.
La situation particulièrement troublée de certains pays (guerre
civile, bouleversements politiques....) a alimenté, depuis plusieurs
années, de nouvelles vagues, souvent imprévisibles, d'une
immigration issue de tous les continents.
On citera, en particulier, la pression migratoire récente en provenance
d'Europe centrale et orientale, principalement à la suite de la chute du
Mur de Berlin et lors de la guerre en ex-Yougoslavie.
L'immigration roumaine en France
Les
Roumains présentent près du tiers des demandes de statut de
réfugié. Pourtant, la Roumanie ne figure plus au nombre des pays
dont les ressortissants peuvent invoquer la convention de Genève,
puisque la démocratie a été rétablie dans ce pays.
Cette situation résulte en grande partie du fait que la population
concernée, essentiellement nomade, recherche simplement un séjour
temporaire en France.
Or, la convention de Genève fait obligation aux Etats signataires
d'autoriser le séjour des demandeurs d'asile pendant l'instruction de
leur requête. La France accorde en outre des subsides aux personnes
démunies de ressources et sollicitant le statut de réfugié.
Un détournement de procédure peut donc permettre, dans certains
cas, un séjour de durée limitée en France en toute
légalité.
Afin de remédier à cette situation -par ailleurs
préjudiciable à une prompte instruction des dossiers par l'Office
français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA)-
l'article 34 de la loi du 11 mai 1998, approuvé par le Sénat, a
prévu une procédure accélérée d'examen des
demandes (quelques jours seulement) émanant des nationaux de pays
où les libertés ne sont plus menacées.
Il restera à évaluer les conséquences de cette
évolution législative. Ces étrangers resteront-ils
clandestinement en France ou seront-ils éloignés du territoire ?
Demanderont-ils à bénéficier des dispositions de l'article
35 de la même loi concernant l'asile territorial ?
b) L'espace Schengen
La
convention de Schengen
constitue l'amorce d'une politique
concertée de l'immigration
en provenance de pays tiers.
Cette convention a créé un espace commun aux Etats parties,
dénommé " espace Schengen ", constitué du
territoire des pays concernés.
Le contrôle de l'immigration était auparavant effectué par
chaque Etat à ses frontières.
Désormais, le contrôle de l'immigration en provenance de pays
tiers est assuré, pour le compte des Etats membres, par celui dont les
frontières correspondent à celles de " l'espace
Schengen ". Ces frontières sont qualifiées de
" frontières extérieures ", par opposition aux
" frontières intérieures " qui séparent des
Etats signataires de la convention de Schengen.
La plupart des frontières terrestres de la France sont des
" frontières intérieures de l'espace Schengen " (sauf
la frontière Franco-Suisse).
En revanche, les aéroports internationaux et les ports constituent
à la fois des frontières intérieures (pour les
étrangers en provenance d'un État membre) et extérieures
(pour les étrangers en provenance de pays tiers).
Prenons l'exemple d'un étranger (
non ressortissant d'un
État
signataire de la convention de Schengen
) qui souhaite
pénétrer dans " l'espace Schengen " par l'Allemagne.
C'est alors aux autorités allemandes qu'il reviendra de contrôler
l'accès de cette personne dans l'" espace Schengen ".
Cet étranger pourra ensuite entrer et circuler librement en France, sauf
si son admission y est refusée pour menace à l'ordre public.
Si les conditions de délivrance d'un titre de séjour sont plus
souples en France qu'en Allemagne ou en Italie, par exemple, l'étranger
pourra être tenté de demander à séjourner en France.
Si, ne pouvant pas prétendre au bénéfice du séjour,
il s'avérait plus facile de demeurer illégalement en France, il
pourrait être tenté de s'installer clandestinement dans notre pays.
La France pourrait alors renvoyer ce clandestin vers le pays par lequel il est
arrivé dans l'" espace Schengen ", pays responsable de son
entrée dans cet espace, -au lieu de le renvoyer vers son pays d'origine-.
Le même principe vaut pour l'étranger en provenance d'un pays
tiers qui pénètre dans " l'espace Schengen " par la
France. Il pourra ensuite entrer et circuler librement en Italie, par exemple.
Si cet étranger demeurait en situation irrégulière en
Italie, il pourrait être renvoyé vers la France, pays responsable
de son entrée dans " l'espace Schengen ".
On perçoit donc bien la réelle
interdépendance entre
les politiques
suivies par les Etats membres de la convention de
Schengen
et la nécessité d'une coopération
étroite entre ces derniers.
Surtout, il apparaît clairement qu'une politique moins rigoureuse
menée par la France, par rapport à ses partenaires
européens, ne pourrait qu'orienter les flux migratoires vers notre pays.
En tout état de cause, la politique migratoire de la France aura des
répercussions importantes sur la situation de ses
partenaires.
3. Une forte pression médiatique
Les
manifestations d'étrangers démunis de titre de séjour sont
nombreuses et prennent les formes les plus diverses.
Elles mobilisent un certain nombre d'associations qui, depuis quelques
années, parviennent à faire cautionner leur mouvement par
quelques personnalités (artistes, intellectuels....), ce qui suscite un
large écho dans la presse.
Cette médiatisation peut parfois provoquer une certaine émotion,
sans pour autant entraîner, semble-t-il, une large approbation de
l'opinion publique sur la revendication de régularisation de tous les
étrangers en situation irrégulière.
Quelques repères sur le
" Mouvement des
sans-papiers " depuis 1996
- 18
mars 1996 : occupation de l'église Saint-Ambroise (Paris 11ème)
- du 28 juin au 23 août 1996 : occupation de l'église
Saint-Bernard (Paris 18ème)
- 10 juin 1997 : réception à l'Hôtel Matignon d'une
délégation de " sans-papiers "
- 20 juin 1997 : manifestation entre le boulevard Saint Germain et la place de
la Bastille
- mars-avril 1998 : occupation d'églises ou de locaux paroissiaux
à Paris (13ème et 18ème arrondissements), Evry,
Créteil, Nanterre, Bobigny, Argenteuil, le Havre, Clermont-Ferrand,
Nantes.
On notera à cet égard que l'expression
" sans-papiers " souvent employée pour désigner ces
étrangers n'est pas neutre. Elle peut en effet laisser penser que
ceux-ci sont des " victimes ", privées d'un droit par
l'administration alors qu'il s'agit d'étrangers séjournant
irrégulièrement en France.
L'importance parfois excessive accordée par une partie de la presse
à ce mouvement est susceptible de perturber localement la
sérénité et la rigueur devant prévaloir dans
l'examen des situations individuelles.
II. UN CHOIX CONTESTABLE : UNE OPÉRATION GLOBALE DE RÉGULARISATION PAR VOIE DE CIRCULAIRE
A. LE CHOIX D'UNE OPÉRATION GLOBALE DE RÉGULARISATION PAR VOIE DE CIRCULAIRE
1. Une procédure déjà utilisée et aux conséquences fâcheuses
a) Une procédure déjà utilisée
1.- Le régime juridique des circulaires de régularisation
Les
circulaires de régularisation des étrangers permettent
essentiellement d'accorder un titre de séjour aux personnes qui ne
remplissent pas les conditions de fond fixées par la loi.
Elles couvrent donc un domaine différent de celui des
régularisations entendues au sens le plus commun du droit administratif.
Il ne s'agit pas, ici, de restaurer des situations ou des actes dont
l'illégalité proviendrait d'un vice de forme - comme en
matière de marchés publics ou d'installations non
autorisées.
Il s'agit, en l'espèce, par un
acte dérogatoire
du droit
commun, de faire passer de la clandestinité à la
légalité un étranger en contravention avec la loi.
Les circulaires n'ont pas en principe de caractère réglementaire
(Conseil d'Etat, 29 janvier 1954, Institution Notre-Dame de Kreisker).
Les circulaires de régularisation ne confèrent aucun droit
nouveau aux personnes qu'elles concernent.
Leurs dispositions ne sont pas opposables à l'administration qui n'en
respecterait pas la lettre. Ainsi en a jugé le Conseil d'Etat, à
propos de la
" circulaire Fabius "
du 17 mai 1985 (C.E., 13
décembre 1991, préfet de l'Hérault C/Dakoury et Nkodia).
Ces régularisations revêtent donc un
caractère
dérogatoire
alors même que l'administration est normalement
chargée d'appliquer les lois.
Ces circulaires de régularisation ne sont pas pour autant
dénuées de toute valeur juridique.
En premier lieu,
la juridiction administrative ne refuse pas le droit au
ministre de fixer, dans une circulaire, des critères de
délivrance de titres de séjour en dehors de ceux de
l'ordonnance,
dès lors que ceux-ci ne sont pas contraires
à des dispositions expresses de la loi
et entrent bien dans le cadre
de la jurisprudence sur le droit de régulariser,
réaffirmée par l'avis du Conseil d'Etat du 22 août 1996
précité. Pour cette raison, une circulaire de
régularisation ne dispense jamais les services d'un examen approfondi
des demandes.
En deuxième lieu, la circulaire constitue une
instruction à
laquelle les
fonctionnaires, soumis au pouvoir hiérarchique, sont
tenus de se référer,
conformément à l'article
28 du statut général de la fonction publique.
En troisième lieu, l'absence de caractère réglementaire de
la circulaire ne s'oppose pas à l'ouverture d'un
contentieux
sur
son application. Cependant, l'étranger ne saurait en invoquer le
bénéfice à l'appui d'un recours contre un refus de
délivrance de titre de séjour, puisqu'elle n'est pas
créatrice de droit. Ce point a d'ailleurs été
confirmé par le Conseil d'Etat, à propos de la circulaire du 24
juin 1997 (C.E., 14 novembre 1997, Arezki Gacem).
Cependant, un refus de régularisation, nécessairement
motivé, en application des principes généraux de la loi du
11 juillet 1979 sur la motivation des actes administratifs, constitue un acte
faisant grief sur lequel le juge administratif exerce un
contrôle
minimum
, celui-ci pouvant porter sur l'
exactitude
matérielle des faits
et sur l'
erreur
manifeste
d'appréciation
(C.E. 26 février 1988, ministre de
l'Intérieur C/ Selour).
En quatrième lieu, la publication d'une circulaire de
régularisation n'interdit aucunement à l'administration
d'accorder un titre de séjour en dehors des critères
prévus par la loi ou par cette circulaire, dès lors que la mesure
est prise dans le cadre juridique fixé par l'avis du Conseil d'Etat du
22 août 1996.
2.- Les précédents
La
première opération de régularisation par circulaire
remonte au 29 juillet 1968. Elle a touché des catégories
limitées de personnes.
La
" normalisation " du 13 juin 1973
concernait les
étrangers apportant la preuve d'une année de travail en France ou
de la détention d'un contrat de travail d'au moins six mois. La mesure a
bénéficié à près de 40.000 personnes.
Cette régularisation a été suivie, en juillet 1974, de la
suspension de l'immigration active
, c'est-à-dire de
l'introduction de travailleurs étrangers en France.
La circulaire du 11 août 1981
a mis en place une opération
très importante puisqu'elle a
bénéficié à
131.000 personnes (sur 149.000 demandes).
Elle concernait avant tout une " immigration de travail ".
Furent éligibles à cette régularisation les personnes
entrées avant 1981, disposant d'un logement et ayant travaillé
depuis au moins un an, l'emploi irrégulier étant pris en compte.
Toutefois, l'employeur irrégulier devait lui-même
régulariser sa relation avec l'étranger avant le 31
décembre 1981, faute de quoi il s'exposait à la
législation sur la lutte contre le travail clandestin, renforcée
par une loi du 17 octobre 1981.
Les régularisations de 1981-1982 portaient donc à la fois sur le
travail et le séjour, l'instruction des demandes étant
assurée non par les services préfectoraux des étrangers
mais par les directions départementales du travail et de l'emploi.
Plus de 95 % des étrangers régularisés en
1981-1982 avaient un emploi
, pour l'essentiel dans le bâtiment et les
travaux publics (30 %), les hôtels, cafés et restaurants
(11,8 %), l'agriculture (10,7 %) et les services domestiques
(10,3 %).
Les bénéficiaires étaient en majorité des hommes
(82,5 %), jeunes (79,5 % avaient moins de 32 ans),
célibataires (60 %) et sans enfant (64 %).
Les étrangers régularisés étaient entrés en
France au cours des trois années précédentes dans
68,5 % des cas. Ils étaient restés en France, pour
68,4 % d'entre eux, après l'expiration de leur visa touristique,
les autres étant des personnes dont l'autorisation de séjour
avait expiré (ancien étudiant, ancien saisonnier, ancien
demandeur d'asile ou personne à qui le renouvellement du titre de
séjour avait été refusé).
La circulaire du 23 juillet 1991
concernait des demandeurs d'asile
-déboutés au terme d'une longue procédure-, qui pouvaient
arguer d'une insertion en France. D'objet plus limité, elle a
bénéficié à 14.456 étrangers (sur 49.123
demandeurs).
Les requérants devaient répondre à deux conditions :
avoir demandé le statut de réfugié avant le 1
er
janvier 1989 et avoir reçu notification de la décision
définitive de refus de statut au moins trois ans après le
dépôt de leur requête (deux ans en cas d'attaches
familiales). Etaient exclus du dispositif ceux qui avaient commis un crime ou
un délit (à l'exception du délit d'entrée ou de
séjour irrégulier), introduit des demandes multiples de statut,
produit de faux documents ou formulé de fausses déclarations.
On notera enfin la publication de plusieurs circulaires en 1995 et 1996, dont
l'objet a été strictement circonscrit aux parents d'enfants
français, protégés contre l'éloignement du
territoire. Ces mesures, qui ont bénéficié à
quelques milliers de personnes, ont été suivies par une
modification de l'ordonnance de 1945 sur ce point, lors du vote de la loi du 24
avril 1997.
b) Des incidences négatives sur la maîtrise des flux migratoires
Selon
une étude transmise par la direction de la population et des migrations
du ministère de l'Emploi et de la Solidarité,
la
proportion
des étrangers
admis au séjour
chaque
année sans répondre aux conditions de la loi
-donc
des
étrangers régularisés
, sur le fondement d'une
circulaire ou non-, variable suivant les années,
est
considérable
3(
*
)
.
Les chiffres communiqués ont fait apparaître un taux de
régularisation de 95 % en 1981, année marquée par une
importante opération de régularisation par circulaire
4(
*
)
.
Force est de constater que les 131.000 régularisations des
années 1981 et 1982 n'ont pas contribué à enrayer
l'immigration clandestine. Ces régularisations massives l'ont
encouragée.
Un renouvellement périodique d'opérations globales de
régularisation par voie de circulaire constitue un
obstacle à
la maîtrise des flux migratoires
.
D'une part, les régularisations massives prouvent
qu'une
entrée clandestine peut être suivie de la délivrance d'un
titre de séjour quelques années plus tard
. Ceci sera d'autant
plus vrai que les régularisations auront été
accompagnées d'une forte médiatisation.
D'autre part, l'espoir d'une prochaine régularisation touchera en
premier lieu les personnes dont le refus de régularisation n'a pas
été suivi d'un éloignement du territoire; leur
présence irrégulière, totalement connue des services,
se trouve, désormais tolérée
. Cette
"
irrégularité contrôlée
"
n'incite pas au départ.
En réalité, la régularisation massive pourrait
être interprétée comme une incitation à ne pas se
conformer aux lois.
2. La circulaire du 24 juin 1997 : un cadre précis au service d'une politique
a) Un choix politique majeur
1.- La recherche d'un effet d'annonce
Le soir
même du second tour des élections législatives, le
1er juin 1997, des manifestants, à la Maison de l'Amérique
latine, s'adressent aux vainqueurs du jour pour réclamer
" des
papiers pour tous
".
Une "
marche pour la régularisation
",
décidée le lendemain, aboutira le 10 juin à
l'hôtel Matignon. Elle obtiendra immédiatement une réponse
de principe favorable.
C'est ce jour-là, en effet, que le
Gouvernement annoncera
l'opération de régularisation, à l'occasion de la
réception par des conseillers du Premier ministre d'une
délégation de cinq manifestants.
La régularisation annoncée devait permettre la mise en oeuvre de
critères assez larges, s'appuyant sur ceux retenus
le
12 septembre 1996 par la
Commission nationale consultative des droits
de l'Homme
, lesquels reprenaient, à quelques restrictions
près, ceux établis par le "
collège des
médiateurs
"
, constitué lors des manifestations
des étrangers en situation irrégulière en 1996
.
Dans sa déclaration de politique générale, devant le
Parlement, le 19 juin 1997, le Premier ministre confirme cette
opération de régularisation, en la situant dans le cadre de la
politique qu'il entend conduire en matière d'immigration :
" Rien n'est plus étranger à la France que le discours
xénophobe et raciste. La France doit définir une politique
d'immigration ferme et digne, sans renier ses valeurs, sans compromettre son
équilibre social.
" L'immigration est une réalité économique, sociale
et humaine qu'il faut organiser, contrôler et maîtriser au mieux,
en affirmant les intérêts de la nation et en respectant les droits
de la personne.
" Une politique d'intégration républicaine,
déterminée et généreuse, propre à recueillir
l'assentiment de nos concitoyens, sera mise en oeuvre. La République
accueille ses hôtes selon ses lois, qui doivent être claires et
précises.
" L'immigration irrégulière et le travail clandestin
-qui, je le sais, n'est pas le seul fait des étrangers- seront combattus
sans défaillance parce que l'un et l'autre compromettent
l'intégration et parce qu'ils sont contraires à la dignité
même des immigrés.
" La politique de coopération avec les Etats d'émigration
prendra en compte l'objectif de la maîtrise des flux migratoires.
" La législation sur la nationalité, le droit des
étrangers et l'immigration, rendue complexe et parfois
incohérente par trop de modifications successives, fera l'objet d'un
examen d'ensemble. Une mission interministérielle, réunissant
autour de M. Patrick Weil des représentants des ministères de
l'Intérieur, de l'Emploi et de la Solidarité ainsi que de la
Justice, présentera ses conclusions d'ici à deux mois. Un projet
de loi sera présenté à la prochaine session du Parlement.
" Sans attendre, le Gouvernement a décidé de mettre fin
à certaines situations intolérables et inextricables qui
résultent des contradictions de la législation en vigueur. Des
instructions seront données aux préfets, dans les prochains
jours, pour qu'ils procèdent, sur le fondement de critères
précis, à un examen attentif et personnel de ces
situations. "
Cet engagement se concrétise par la circulaire du 24 juin 1997
relative au réexamen de la situation de certaines catégories
d'étrangers en situation irrégulière, publiée au
Journal officiel
du 26 juin 1997.
Cependant, le nouveau Gouvernement sous-estime l'ampleur de ces
régularisations. Selon une dépêche de l'Agence France
Presse, le 24 juin 1997, "
de source proche du Gouvernement, on
estime entre 10 à 40.000 le nombre de personnes
concernées
". Il ne s'agirait donc pas de reproduire les
régularisations de 1981-1982 qui avaient bénéficié
à 131.000 étrangers.
Cette médiatisation et la recherche d'un effet d'annonce ont
été destinés à satisfaire une fraction très
minoritaire de l'opinion publique, au risque d'encourager fortement la
multiplication des demandes.
2.- Une anticipation de la loi du 11 mai 1998
Il est
intéressant de relever qu'une
instruction du 26 janvier 1998
concernant l'application de la circulaire du 24 juin 1997 a invité les
préfets à
différer
"
jusqu'à la
promulgation de la loi
"
la notification de décisions
défavorables
concernant les personnes qui, sans remplir les
conditions posées par la circulaire, répondraient à celles
de la loi nouvelle. Cette instruction concerne particulièrement les
personnes résidant de manière habituelle en France depuis
10 ans.
La circulaire du 24 juin 1997 s'est située dans la perspective du vote
d'une nouvelle législation sur l'immigration, annoncée par le
Premier ministre dans sa déclaration de politique générale.
Certes, il est précisé dans cette circulaire que son texte
"
ne saurait préjuger de celui du projet de loi qui sera soumis
à l'automne au Parlement
". De fait,
certains
critères de régularisation ne sont pas repris par la loi du 11
mai 1998. Ainsi en est-il :
- pour le conjoint de Français, dont la condition d'entrée
régulière, suspendue par la circulaire, est maintenue par la loi
nouvelle, pour l'attribution de la carte de séjour temporaire.
- de l'interdiction du regroupement familial sur place, c'est-à-dire du
droit à un titre de séjour pour des membres de famille
entrés irrégulièrement en France, confirmée par la
loi malgré les dérogations acceptées par la circulaire.
D'autres critères de régularisation préfigurent la loi
de 1998 mais en apportant des assouplissements plus nets que le nouveau
texte.
Ainsi l'étranger sans charge de famille devait, sous l'empire de
l'ancienne législation, justifier de 15 ans de résidence
habituelle pour obtenir de plein droit la carte de séjour temporaire. La
circulaire autorise la régularisation après une durée de
résidence qui devra "
n'être qu'exceptionnellement
inférieure à 7 ans
", à condition d'avoir
été "
pendant au moins une période en situation
régulière
". La loi du 11 mai 1998 abaisse, pour sa
part, de 15 à 10 ans la période de résidence
habituelle.
Plus nombreux, en revanche, sont les critères de
régularisation qui anticipent purement et simplement sur la nouvelle
législation.
La circulaire anticipe sur la loi de 1998
Les
familles constituées de longue date en France auront
bénéficié, par anticipation, de la nouvelle
législation. Ces personnes répondent désormais aux
conditions fixées par l'article 12
bis
(7°)
nouveau de l'ordonnance de 1945 ("
étranger dont les liens
personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son
séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée
et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du
refus
").
De même, les étrangers malades et ceux qui pourraient courir des
risques vitaux en cas de retour dans leur pays d'origine, régularisables
selon la circulaire, ont acquis un droit au séjour avec la loi du 11 mai
1998.
En d'autres termes et sous réserve de quelques nuances, la circulaire
anticipe bel et bien sur l'assouplissement apporté par la loi du 11 mai
1998 aux conditions de séjour en France.
Dans ces conditions, le report du 30 avril au 30 mai 1998 de la date
à laquelle toutes les décisions devaient être prises
pourrait ne plus s'expliquer seulement par l'encombrement de certaines
préfectures, la nouvelle loi ayant été promulguée
le 11 mai 1998.
b) La définition des conditions de régularisation
1.- Les critères
Avant d'énumérer les catégories d'étrangers concernés, en précisant les critères retenus, la circulaire du 24 juin 1997 indique que les préfets devront utiliser " avec discernement et chaque fois que cela est nécessaire (leur) pouvoir d'appréciation sur chacune des situations individuelles ". Elle s'appuie sur l'avis précité du Conseil d'Etat du 22 août 1996.
Des instructions complémentaires non publiées
La
circulaire du 24 juin 1997, publiée au
Journal Officiel
du
26 juin 1997, a été
suivie d'instructions
complémentaires apportant parfois des modifications de fond aux
conditions initiales
. Ces instructions, adressées aux préfets
et dont la commission d'enquête a eu communication,
n'ont, en
revanche, fait l'objet d'aucune publication
.
La circulaire a prévu que les décisions seraient fondées
sur l'ordonnance de 1945 et sur les conventions internationales, en particulier
la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des
libertés fondamentales, notamment son article 8 relatif au droit
à une vie familiale normale.
Le texte même de la circulaire ne dissimule pas qu'il s'agit souvent
de déroger aux conditions fixées par la loi. En effet, dans
plusieurs cas, les critères de régularisation sont définis
par rapport à l'ordonnance de 1945, dans sa rédaction en vigueur
en juin 1997, avec mention expresse des dispositions de celle-ci dont
l'application est temporairement écartée.
Les catégories d'étrangers concernés sont les suivantes :
a) les conjoints de Français :
L'ordonnance accorde le droit à une carte de séjour au conjoint
étranger d'un Français, marié depuis au moins un an.
La circulaire dispense les personnes concernées de la condition
d'entrée régulière
s'ils justifient de plus d'un an de
mariage "
dès lors que leur présence en France est
manifestement stable
".
Ces dispositions concernent également les Algériens et les
Tunisiens, cependant soumis à des accords bilatéraux et qui, de
fait, échappent juridiquement à l'ordonnance.
Une instruction complémentaire du ministre de l'Intérieur,
adressée aux préfets le 4 juillet 1997, ajoute que, en
contrepartie, les Algériens et Tunisiens conjoints de Français
devront, pour bénéficier de la circulaire, répondre aux
autres conditions posées par l'ordonnance, en particulier le maintien
d'une communauté de vie.
Des instructions complémentaires des 6 août, 30 septembre et
20 novembre 1997 ont assoupli la condition de durée de mariage,
opposable en principe à tous les demandeurs de régularisation.
Le mariage devra avoir été célébré depuis
un an
au plus tard à la date de la décision, mais l'admission
pourra aussi être accordée à un étranger
"
qui est proche de la durée d'un an à la date de
décision, dès lors que le couple présente par ailleurs des
garanties de stabilité et d'intégration
".
Il apparaît que certaines préfectures ont apprécié
avec la souplesse suggérée par ces instructions
complémentaires la durée de mariage,
allant jusqu'à
accepter de régulariser des personnes mariées au cours de
l'été 1997
, tandis que d'autres s'en sont tenues à une
interprétation plus stricte en exigeant que l'année de mariage
soit accomplie à la date de la circulaire.
En cas d'entrée régulière, la condition de durée
d'un an de mariage n'est pas exigée
(instructions
complémentaire du 20 novembre 1997).
b) les conjoints d'étrangers en situation régulière
Là encore,
il s'agit de faire échec à une disposition
de l'ordonnance de 1945, à savoir l'interdiction du regroupement
familial sur place
. Les conjoints entrés en dehors de la
procédure du regroupement familial peuvent, selon la circulaire, obtenir
un titre de séjour s'ils justifient d'un an de mariage -condition
appréciée avec la même souplesse que pour les conjoints de
Français-, s'ils peuvent apporter la preuve soit de cinq années
de séjour en France, soit de l'entretien d'un enfant résidant en
France.
La condition de durée de mariage n'est plus exigée si
l'entrée a été
régulière
(instruction complémentaire du 20 novembre 1997)
c) les conjoints de réfugiés statutaires
L'ordonnance de 1945 prévoit l'attribution d'une carte de
résident au conjoint d'un bénéficiaire du statut de
réfugié si le mariage est antérieur à l'obtention
du statut, ou si le couple justifie d'une communauté de vie d'un an.
La circulaire tend à suspendre une jurisprudence exigeant que le mariage
ait été célébré avant le dépôt
de la demande.
Les instructions complémentaires assouplissent la condition de
durée d'un an de mariage dans les mêmes conditions que pour les
deux cas précédents.
d) les familles constituées de longue date en France
D'une manière générale, le préfet se voit
reconnaître l'appréciation de l'opportunité de
délivrer un titre de séjour à des familles en situation
irrégulière, constituées "
de manière
stable en France
", alors que le texte législatif en vigueur
permettait l'attribution de plein droit d'une carte de séjour, sauf cas
particulier, après une résidence habituelle de quinze ans ou
depuis l'âge de dix ans.
L'ancienneté du séjour doit être "
d'au moins
plusieurs années
". Une instruction complémentaire
du 4 juillet 1997 précise que ce délai, nécessairement
supérieur à trois ans, doit être apprécié
"
au regard de la plus ou moins bonne capacité d'insertion de la
famille dans la société française
", en
particulier la scolarisation des enfants sur toute la période
concernée dans un établissement agréé.
La circulaire invite les préfets à se référer
à un "
faisceau d'indices
" :
- ressources issues d'une activité régulière. La
même instruction ajoute que l'activité régulière ne
doit pas nécessairement être stable ou exercée de
manière continue ;
- domicile ;
- respect des obligations fiscales.
On reviendra plus loin sur les difficultés auxquelles le recours au
"
faisceau d'indices
" a donné lieu et sur certaines
différences d'appréciation que cette faculté
d'appréciation a provoquées.
Les parents d'enfants étrangers de moins de seize ans nés en
France
ne disposaient pas, selon la loi en vigueur, du droit à un
titre de séjour avant quinze ans de résidence habituelle en
France. La circulaire réduit ce délai à cinq ans, pour
ceux qui subviennent aux besoins de l'enfant.
Une instruction complémentaire du 4 juillet 1997 précise que la
circulaire est applicable aux parents d'Algériens nés en France.
e) les enfants d'étrangers en situation régulière
entrés hors regroupement familial
Le regroupement familial sur place, exclu par l'ordonnance de 1945, est ouvert
dans cette hypothèse.
•
Les enfants de plus de seize ans ou majeurs entrés
illégalement
ne bénéficiaient du droit à la
carte de séjour que s'ils résidaient habituellement en France
depuis l'âge de dix ans.
La circulaire demande un réexamen de la situation de ces personnes
prenant en compte l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde
des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (droit à une
vie familiale). Les enfants doivent avoir suivi une scolarité
régulière dans un établissement français pendant
cinq ans. Les parents doivent séjourner en France de façon
régulière ou être régularisables au titre de la
circulaire du 24 juin 1997.
•
Les enfants de moins de seize ans
peuvent également
être régularisés malgré leur entrée en France
en dehors de la procédure du regroupement familial si la famille
répond par ailleurs aux conditions fixées pour le regroupement
familial, notamment en termes de ressources et de logement, que l'instruction
complémentaire du 3 juillet 1997 invite toutefois à
interpréter avec souplesse.
La commission d'enquête a pu constater que l'interprétation des
conditions de logement n'a pas été faite de manière
égale, certaines préfectures s'en tenant aux conditions de
salubrité quand d'autres se référaient aussi aux normes de
superficie.
•
Les enfants nés d'une précédente union
entrés hors regroupement familial
, s'ils ont dix ans au plus,
peuvent être régularisés si la famille répond aux
autres conditions fixées par le regroupement familial. Toutefois, si le
parent résidant en France ne peut produire le document attestant de la
déchéance de l'autorité parentale de l'autre parent
-exigé par l'ordonnance en vigueur lors de la publication de la
circulaire- une copie du jugement lui confiant la garde de l'enfant et
l'autorisation du parent résidant à l'étranger pourront
suffire.
f) les étrangers sans charge de famille
Il s'agit de personnes pour lesquelles la délivrance de plein droit d'un
titre de séjour n'est admise par l'ordonnance de 1945 que si elles
justifient de quinze ans de résidence habituelle en France (durée
réduite à dix ans par la loi du 11 mai 1998).
Deux hypothèses sont envisagées par la circulaire.
Tout d'abord celle de
l'ascendant isolé et matériellement
dépendant de ses enfants résidant régulièrement en
France
si ces derniers disposent des ressources et d'un logement permettant
sa prise en charge. Ces personnes cessent de se voir opposer toute condition de
résidence habituelle,
en dépit des dispositions de
l'ordonnance
.
Une instruction complémentaire du 25 juillet 1997 a
précisé la notion d'ascendant isolé, en indiquant tout
d'abord que l'enfant peut être étranger ou français.
L'ascendant isolé doit ne plus avoir dans son pays d'origine un autre
enfant en mesure de subvenir à ses besoins.
La circulaire envisage ensuite le cas des
étrangers sans charge de
famille
. La condition légale de quinze années de
résidence habituelle (réduite à dix années par la
loi du 11 mai 1998) doit être appréciée avec souplesse si
"
l'intéressé a été pendant au moins une
période en situation régulière
". La
résidence habituelle, c'est-à-dire non nécessairement
régulière, devra n'être "
qu'exceptionnellement
inférieure à sept ans
".
La période de résidence régulière a
été précisée par des instructions
complémentaires.
Celle du 4 juillet 1997 indique que la période en situation
régulière est attestée par la production d'une
autorisation provisoire de séjour de six mois au moins, le titre
étudiant n'étant pas pris en compte. L'instruction du
26 janvier 1998 précise que les autorisations de séjour de
trois mois délivrées aux demandeurs d'asile pendant le
délai d'instruction de leur requête ne doivent pas être
prises en compte.
Il ressort des investigations de la commission d'enquête que
cette
interprétation restrictive concernant les déboutés du
droit d'asile
, très contestée par les associations,
n'a
pas touché un grand nombre de demandeurs
. L'absence de
période de séjour en situation régulière n'a
presque jamais constitué le seul motif de refus de
régularisation, le dossier étant principalement examiné au
regard du critère de l'insertion en France.
Par ailleurs, l'instruction du 30 septembre 1997 ajoute que l'absence de
charges de famille au sens de la circulaire doit s'apprécier au regard
de la situation du requérant en France, c'est-à-dire que
l'étranger ne doit pas avoir de charges de famille
en France.
Le demandeur n'est donc pas nécessairement célibataire. Il pourra
peut-être, après sa régularisation éventuelle,
solliciter un regroupement familial.
g) les étrangers malades
Les étrangers atteints d'une pathologie grave et ne pouvant pas
bénéficier d'un traitement approprié dans leur pays
d'origine sont protégés par l'ordonnance de 1945 contre
l'éloignement du territoire.
Ils bénéficiaient généralement d'autorisations
provisoires de séjour de trois mois renouvelables, jusqu'à
l'entrée en vigueur de la loi du 11 mai 1998 qui leur confère de
plein droit une carte de séjour temporaire.
La circulaire prévoit l'attribution de cette carte à ces
personnes.
Les médecins inspecteurs de la santé publique devaient
apprécier sur dossier, d'une part, la réalité de la
pathologie grave et, d'autre part, l'impossibilité pour les demandeurs
de bénéficier d'un traitement adéquat dans leur pays
d'origine.
Ces médecins ont parfois manifesté quelques réticences
pour porter une telle appréciation
, soit en invoquant des raisons
déontologiques, soit en faisant valoir l'absence ou la faiblesse des
informations sur le système sanitaire du pays d'origine.
Dans un département visité par la délégation, cette
réticence s'est manifestée, au début de
l'opération, par le refus d'émettre un avis, mais cette
réticence n'a pas persisté.
Le plus souvent, la réticence des médecins de la DDASS parait
s'être traduite par la
délivrance systématique d'avis
favorables
.
Afin de remédier à cette situation, certaines DDASS se sont
rapprochées du ministère des Affaires étrangères et
ont obtenu des brochures d'information médicale portant sur
162 pays.
Ces difficultés illustrent une insuffisance de coordination entre les
services des ministères concernés (Intérieur, Emploi et
Solidarité, Affaires étrangères).
On notera enfin que l'instruction du 6 août 1997 étend la
possibilité de régularisation au conjoint du malade, s'il y a
communauté de vie, et au parent, s'il y a entretien effectif de l'enfant.
h) les étudiants
La circulaire, s'appuyant sur la jurisprudence, prévoit l'attribution
d'un titre de séjour à l'étudiant qui "
peut
être raisonnablement regardé comme poursuivant effectivement ses
études
"
.
i) les personnes courant des risques vitaux en cas de retour dans leur pays
d'origine
Il s'agit de personnes qui n'ont pas le statut de réfugié
politique, notamment parce que le risque de persécution ne provient pas
des autorités de l'Etat, mais de mouvances diverses souvent en
rébellion contre l'Etat.
Les dossiers peuvent être soumis par les préfectures à la
direction des libertés publiques et des affaires juridiques du
ministère de l'Intérieur en cas de doute, mais, en ce qui
concerne les Algériens, ils doivent l'être nécessairement.
Une instruction complémentaire du 1er mars 1998 précise que les
risques doivent concerner la sûreté personnelle du demandeur et
que le dossier doit comporter des déclarations écrites et
détaillées du demandeur concernant sa situation.
Selon les instructions données, ces dossiers ont très
fréquemment été transmis à la direction des
libertés publiques et des affaires juridiques qui, faute de disposer de
moyens adéquats, n'a pu répondre dans des délais
raisonnables.
Cette difficulté a contribué au retard dans la prise des
décisions par les préfectures.
j)
la condition générale d'absence de menace à
l'ordre public
Quel que soit le critère de la circulaire retenu, l'étranger ne
pouvait pas être régularisé en cas de menace à
l'ordre public, appréciée à partir du
casier judiciaire
B2
et, le cas échéant, de rapports de police.
A la préfecture des Hauts-de-Seine, les dossiers ne semblant pas
présenter de difficultés particulières ont fait l'objet
d'une décision favorable à l'issue de l'entretien,
matérialisée par la délivrance d'un
récépissé de demande de carte de séjour. Or, le
casier judiciaire n'était demandé qu'à l'issue de cet
entretien.
La préfecture a admis que, dans certains cas, le titre de séjour
lui-même ait pu être délivré avant le retour du
casier judiciaire, ce qui n'a pas manqué de surprendre la
délégation.
Une telle pratique n'a cependant été relevée dans aucune
des huit autres préfectures visitées.
L'Inspection générale de l'administration du
ministère de l'Intérieur
déplore une définition
imprécise de l'ordre public
" Cette notion paraît interprétée de
façon très variable selon les préfectures. Dans
l'ensemble, les renseignements provenant des services de police
(sécurité publique, renseignements généraux, voire
DST) ne constituent qu'un élément du faisceau d'indices et ne
sont pas mis en relief dans la motivation des décisions, pour
éviter d'éventuels contentieux.
" La notion d'ordre public dans le cadre de " l'espace
Schengen " pose tout particulièrement problème, faute
d'informations précises sur les risques de trouble à l'ordre
public constitués par la présence de l'étranger dans un
autre Etat membre.
" Mais les services s'interrogent sur ce qu'il convient de retenir comme
" trouble à l'ordre public " (...). L'ancienneté des
condamnations vaut pratiquement " amnistie ". Ne sont, semble-t-il,
retenues principalement que les condamnations pour violence grave,
pédophilie, proxénétisme, trafic de stupéfiants,
etc. "
2.- La procédure
La
circulaire laisse aux préfets, malgré la définition de
critères de régularisation, une assez large marge
d'appréciation.
En revanche, le texte comporte des règles de procédure assez
précises.
Les demandeurs devaient se manifester par écrit avant le
1
er
novembre 1997.
Une instruction complémentaire du 21 octobre 1997 a
précisé que cette date s'entendait comme celle de la remise du
courrier à la poste, et non celle de sa réception par la
préfecture, celle-ci devant intervenir avant le 8 novembre.
Toutefois, la circulaire prévoit que ce délai ne s'applique pas
à certaines catégories de demandeurs pour lesquels les
requêtes pouvaient être reçues "
jusqu'à
l'entrée en vigueur des nouveaux textes législatifs
".
Sont concernés les conjoints de réfugiés statutaires, les
personnes invoquant des risques vitaux en cas de retour dans leur pays
d'origine, les malades, les étudiants et les enfants issus d'une
précédente union entrés hors regroupement familial qui,
dans la plupart des cas, bénéficient de plein droit de la carte
de séjour depuis l'entrée en vigueur de la loi du 11 mai 1998.
Les demandeurs devaient ensuite être convoqués pour un entretien,
à l'occasion duquel ils remettaient les pièces à l'appui
de leur requête. Si l'étranger ne donnait pas suite à sa
convocation, il devait être une nouvelle fois invité à se
présenter dans les services, selon l'instruction complémentaire
du 12 mars 1998, confirmant une pratique usuelle des préfectures. Si
l'intéressé persistait à ne pas se présenter, il
était alors considéré comme ayant renoncé à
sa demande.
La non-réponse aux convocations semble avoir représenté
dans certains départements environ 15 % du total des demandes. Elle
peut provenir soit d'une prise de conscience par le demandeur de ce qu'il ne
répond pas aux critères -la présentation médiatique
initiale ayant pu laisser penser que la régularisation serait
automatique-, soit de courriers retournés avec la mention
"
n'habite pas à
l'adresse indiquée
",
pouvant notamment concerner des demandeurs ne résidant pas en France. On
peut aussi imaginer qu'un demandeur, prenant prétexte d'un changement
d'adresse, puisse avoir présenté une nouvelle demande dans un
département réputé moins rigoureux.
Dans un premier temps, l'objet de cet entretien individuel n'a pas
été apprécié de la même manière dans
toutes les préfectures.
Pour certaines d'entre elles, l'entretien s'est limité à la mise
en état du dossier, ou à un rendez-vous pour signification de la
décision de refus.
Les difficultés ont pu parfois provenir de l'absence de locaux
adaptés.
Le ministère de l'Intérieur a dû renouveler ses
instructions pour que l'entretien constitue un véritable examen de
situation, ce qu'il était, dès le départ, dans la plupart
des préfectures.
L'entretien individuel, pratiqué à la suite de ces instructions
complémentaires comme des examens de situation, a permis d'apporter des
éléments déterminants dans l'appréciation des
situations individuelles, en particulier lorsqu'il s'agissait de décider
à partir d'un faisceau d'indices ou de juger du caractère probant
des preuves apportées.
Le directeur des libertés publiques et des affaires juridiques a
indiqué à la commission d'enquête, lors de son audition du
7 mai 1998, que la mauvaise perception initiale de la portée des
entretiens individuels avait contribué à de nombreux retards dans
certaines préfectures, celles-ci ayant dû, le cas
échéant, à nouveau convoquer les intéressés.
L'entretien individuel était organisé, suivant les moyens dont
disposaient les préfectures, soit dans les locaux habituels, soit dans
des lieux spécialement aménagés.
Les entretiens individuels à Paris
Le
requérant était convoqué dans l'un des six centres de
réception des demandes, même si son dossier n'était pas
complet.
L'étranger était entendu à un guichet.
Si nécessaire, il était convoqué une nouvelle fois, ce qui
s'est produit dans 15 % des cas.
En moyenne, l'entretien durait une vingtaine de minutes.
L'étranger pouvait se faire assister par une personne de son choix et,
le cas échéant, se faire accompagner par un interprète.
La circulaire spécifie que la charge de la preuve incombe aux
demandeurs et que les services apprécient la valeur probante des
documents présentés.
Il est donc intéressant de voir quelles preuves ont pu être
demandées par les préfectures et comment celles-ci ont
apprécié l'authenticité des documents
présentés.
A cet égard, l'exemple de la préfecture du Rhône peut
apparaître assez significatif.
L'appréciation du caractère probant
des
justificatifs à Lyon
Des
formulaires spécifiant les pièces réclamées
à l'appui des demandes présentées au titre des
différents critères de la circulaire ont été
fournis aux candidats.
Quelques observations peuvent être faites à leur sujet.
La communauté de vie était justifiée par la
présentation de documents portant les deux noms (déclaration de
revenus, avis d'imposition, bail, compte bancaire...).
Les ressortissants d'un État dont la loi autorise la polygamie devaient
joindre une déclaration sur l'honneur selon laquelle ils ne vivaient pas
en France en état de polygamie.
La présence en France était justifiée par des certificats
médicaux, des factures, attestations d'organismes divers, avis
d'imposition...
La présence des enfants en France était établie par la
production de certificats de scolarité ou d'attestations indiquant que
l'enfant vivait sous le toit du demandeur, accompagnés de documents
probants d'un organisme ayant à connaître la situation de l'enfant
(services sociaux...).
En cas de logement assuré par un tiers, une attestation
d'hébergement sur l'honneur était accompagnée d'un
justificatif de domicile de l'hébergeant.
L'ancienneté de séjour était justifiée par celles
des ressources, du domicile, de l'imposition et par les certificats de
scolarité ou de santé de l'enfant.
Dans tous les cas, un passeport ou une carte d'identité était
demandé ainsi qu'un livret de famille ou une fiche familiale
d'état civil du demandeur et, le cas échéant, un extrait
d'acte de naissance et une fiche individuelle d'état civil de l'enfant.
Le parent naturel devait prouver son autorité parentale et sa
contribution aux besoins de l'enfant.
Les parents d'enfants nés en France devaient attester sur l'honneur que
ceux-ci vivaient sous leur toit et étaient à leur charge.
L'absence de charge de famille en France était justifiée par une
attestation sur l'honneur.
Pour les étrangers atteints d'une pathologie grave nécessitant un
traitement de longue durée, la présence en France depuis au moins
un an devait être établie. Ces personnes devaient présenter
un certificat médical circonstancié sous pli confidentiel
libellé à l'attention du médecin de l'administration.
L'étudiant devait produire ses cartes d'étudiant ou ses
certificats d'inscription depuis l'année de refus de son titre de
séjour, ainsi que ses diplômes ou relevés de notes, pour la
même période.
Les services ont affirmé que les faux documents étaient
facilement détectés.
Les bulletins de salaires étaient présentés, s'agissant de
personnes en situation irrégulière au moment de leur demande,
pour des périodes où ils étaient en situation
régulière.
Pour la situation fiscale, la réception de la déclaration et, le
cas échéant, le paiement pouvaient être aisément
contrôlés.
La conformité des copies à l'original était
vérifiée.
Le contrôle sur place de la véracité des pièces a
été rarement engagé. Néanmoins, 140 enquêtes
de police avaient été diligentées pour
vérification, lors de la visite de la délégation, le
12 février 1998.
La plus grosse difficulté rencontrée portait sur les preuves de
la résidence en France.
Dans les autres préfectures visitées, la méthode d'examen
des preuves était, dans l'ensemble, comparable, même si quelques
différences mineures ont pu apparaître.
Ainsi, la préfecture de Lille, contrairement aux autres, ne
présentait pas de liste indicative des pièces à fournir,
laissant à l'étranger l'initiative des preuves à
présenter.
Les preuves de la réalité du séjour ainsi que de
l'activité professionnelle, le plus souvent clandestine, ont
été les plus difficiles à apporter.
A cet égard, s'est bien évidemment posée la question de
l'authenticité des documents présentés,
singulièrement des feuilles de salaires.
En revanche, la preuve de la scolarisation des enfants, par exemple, a souvent
pu être vérifiée par téléphone.
Lorsque la communauté de vie apparaissait douteuse, des enquêtes
de police ont pu être diligentées.
Le
malaise du personnel des préfectures, selon l'Inspection
générale
de l'administration du ministère de
l'Intérieur
L'Inspection générale de l'administration a
relevé un certain malaise de bon nombre d'agents " face à la
production de documents d'origine très douteuse (y compris
présentant un caractère officiel ou émanant massivement de
tel ou tel médecin ou de tel ou tel employeur). Un tel sentiment
s'explique d'autant plus facilement que, de la consultation des dossiers de
demandes de régularisation à laquelle les membres de la mission
se sont livrés à l'occasion de leurs déplacements, il
ressort que la justification du séjour en France s'est
fréquemment fondée sur la production de fiches de paie et de
documents de même nature à l'authenticité douteuse
(notamment des fiches de paie dépourvues de n° SIRET ou URSSAF, de
la référence à la convention collective applicable,
etc.). "
La circulaire invite les préfectures à recueillir, si
nécessaire,
l'avis des
services sociaux
sur la situation
des familles et des personnes concernées.
Il ne semble pas, d'une manière générale, que cette
possibilité ait été beaucoup utilisée. On notera
toutefois que la préfecture des Hauts de Seine a attaché une
certaine importance à cette possibilité de recourir à une
enquête sociale de la DDASS, même si les délais se sont
avérés longs (parfois plusieurs mois), surtout à partir du
mois de janvier avec la mise en place du plan d'urgence sociale.
Le ministre de l'Intérieur, dans sa réponse à une question
écrite de notre collègue M. Robert Pagès concernant la
situation des
demandeurs ne
résidant plus en France parce
qu'ils avaient été frappés par un arrêté de
reconduite à la frontière
, a indiqué qu'il pouvait se
faire que des étrangers rentrés dans leur pays d'origine
reçoivent une convocation de la part de la préfecture dont ils
relevaient avant leur départ. Il a ajouté qu'il paraissait
" difficile de refuser aux intéressés de voir leur
dossier examiné par les services compétents
", la
personne concernée pouvant, si nécessaire, être
auditionnée par le poste consulaire (J.O. Questions Sénat, 12
mars 1998, p. 848).
Il était donc admis qu'un étranger résidant hors de
France puisse bénéficier d'une régularisation.
L'étranger ayant fait l'objet d'une
interdiction judiciaire du
territoire
devait préalablement avoir obtenu de la juridiction
compétente le relèvement de cette interdiction.
L'arrêté préfectoral de reconduite à la
frontière
ne faisait pas obstacle à l'instruction d'une
demande de régularisation
, étant précisé qu'en
cas d'interpellation, la demande était instruite en urgence pendant la
durée de la rétention administrative. On notera cependant que,
dans certains cas, le demandeur interpellé n'a pas fait l'objet de cette
procédure d'urgence et que son éventuelle rétention a
été différée jusqu'à l'issue de l'examen de
sa requête.
On peut à cet égard se demander s'il était vraiment
nécessaire de prévoir expressément la possibilité
de régulariser une personne en instance d'éloignement du
territoire.
Les décisions prises devaient, aux termes de la circulaire, être
fondées sur l'ordonnance du 2 novembre 1945 et les conventions
internationales, ratifiées par la France, en particulier la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, notamment son article 8.
Lorsque l'instruction du dossier conduisait à une décision de
régularisation, les services délivraient un
récépissé de demande de titre de séjour et
abrogeaient, le cas échéant, la mesure de reconduite.
Puis, les étrangers étaient invités à passer la
visite médicale
habituelle organisée par l'OMI.
La tarification de la visite médicale, destinée à
contribuer au financement des actions de l'OMI en matière d'immigration,
a été fixée à 1.050 F par adulte ou
1.750 F par famille.
Avant de recevoir son titre de séjour, l'étranger devait
également acquitter, selon le droit commun, 1.300 F au titre des
droits de chancellerie et un timbre fiscal de 220 F.
L'instruction des dossiers à Lille
Un
accusé de réception était adressé au demandeur. Ce
document ne valait pas titre de séjour provisoire, mais pouvait
être présenté en cas de contrôle d'identité.
La préfecture ne prenait pas de mesure d'éloignement à
l'encontre d'un étranger dont une demande de régularisation
était en instance.
La demande était enregistrée sur un fichier créé
spécialement pour l'opération et portée sur le fichier de
l'application de gestion des dossiers de ressortissants étrangers en
France (AGDREF) après recherche d'éventuels dossiers
précédents relatifs au séjour des étrangers
(demande de titre, mesure d'éloignement).
Le cas échéant, la demande était réorientée
vers la préfecture compétente.
Un extrait de casier judiciaire était demandé (B2).
Les étrangers étaient convoqués dans un délai d'un
mois environ.
Un service d'accueil spécifique a été créé
pour les demandeurs non connus du service des étrangers. Ceux qui
avaient déjà fait l'objet d'un dossier étaient
reçus dans les locaux habituels du service.
Après l'entretien, les dossiers étaient instruits par les agents
de la préfecture. Chacun faisait l'objet d'une fiche synthétique
comportant une proposition de décision.
Le dossier était ensuite vérifié par le chef de section
(
" régime général "
et
" Algériens "
) puis soumis au chef du bureau des
étrangers ou à son adjoint. La régularisation était
décidée par le chef de bureau ou par le directeur de la
réglementation.
En cas de refus, la décision finale appartenait au secrétaire
général de préfecture.
Une réunion hebdomadaire, à laquelle participaient le directeur
de la réglementation, le chef du bureau des étrangers et son
adjoint, les chefs de section ainsi que l'agent responsable du contentieux,
permettait l'examen des dossiers difficiles.
Les dossiers les plus délicats -notamment ceux soulevant une question de
principe- faisaient l'objet d'une note adressée à la
hiérarchie ou étaient examinés au sein d'une commission
composée du directeur de cabinet, du secrétaire
général, du directeur de la réglementation et du chef de
bureau des étrangers.
Les services de la préfecture se refusaient à tout contact avec
les associations et entendaient se situer strictement dans le cadre des
critères de la circulaire.
Seul le cabinet du préfet assurait les relations avec les associations
souhaitant soutenir tel ou tel dossier, mais se refusait toutefois à
quelque forme de cogestion.
Au total, quelques centaines de dossiers ont été défendus
par des associations, mais les demandes étaient présentées
par les intéressés seuls.
Quelques avocats ont aussi suivi certains dossiers.
Par ailleurs, la circulaire annonce l'attribution de
moyens
supplémentaires
pour permettre la mise en oeuvre de cette
opération par les préfectures, notamment par le
développement du préaccueil organisé par les agents de
l'OMI.
Enfin, les services sociaux ont été chargés d'assurer un
" suivi
social
" des personnes régularisées.
Votre rapporteur développera ultérieurement ces deux points.
Que
deviendront les dossiers
des non régularisés ?
Au cours
de son audition par la commission d'enquête, le 12 mai 1998,
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'Intérieur, a
indiqué que les dossiers individuels seraient exploités pour une
étude approfondie sur l'immigration clandestine, par l'Institut des
Hautes Etudes de Sécurité Intérieure et par le CNRS.
Il n'a pas formulé d'objection de principe à la destruction de
ces dossiers après leur exploitation aux fins d'étude, sous
réserve des contraintes fixées en matière d'archives par
la loi du 3 janvier 1979.
c) Les préfets ont conservé un certain pouvoir d'appréciation
Si les
critères de régularisation ont été
spécifiés par la circulaire, cette dernière laisse
néanmoins aux préfets un large pouvoir d'appréciation et
les invite à se référer à un "
faisceau
d'indices
", dont on peut comprendre qu'il n'a pas été
nécessairement mesuré de manière identique par les
différentes préfectures.
Les déplacements des délégations de la commission
d'enquête dans les préfectures ont permis de dégager
certaines tendances.
C'est à propos des célibataires, semble-t-il, que les plus
grandes différences d'appréciation ont pu apparaître,
certaines préfectures appliquant très strictement les principes
posés par la circulaire tandis que d'autres ont privilégié
le critère de l'insertion dans la société
française, lorsqu'il s'agissait de personnes disposant de ressources
suffisantes.
D'une manière générale, le critère de l'insertion
dans la société française a pu permettre dans de nombreux
cas de régulariser des étrangers qui ne répondaient pas
strictement à tous les critères de la circulaire.
La préfecture de Lyon, comme celle de Lille, ont examiné plus
favorablement les dossiers des personnes protégées contre
l'éloignement du territoire.
Le rôle joué par les associations a pu exercer une influence, du
moins celles qui ne revendiquaient pas la régularisation de tous les
demandeurs ou une forme de cogestion avec les services. Elles ont pu, par leurs
interventions, aider certains étrangers à mieux formuler leurs
demandes.
La préfecture de Lille, sans négliger l'examen individuel des
situations, a donné une interprétation assez stricte de la
circulaire, les agents des services ne recevant pratiquement pas d'autres
consignes que celles résultant de son texte même.
Le directeur des libertés publiques et des affaires juridiques a fait
valoir à la commission d'enquête, le 7 mai, que
les taux
variables de régularisation d'un département à l'autre
pouvaient traduire des différences dans les caractéristiques de
la population immigrée.
Certains écarts pourraient cependant laisser penser à des
différences d'appréciation dans les conditions d'examen des
dossiers.
d) Le contrôle de l'opération de régularisation
1.- La mission de M. Galabert
La
circulaire du 24 juin 1997 indique que M. Jean-Michel Galabert,
président de section au Conseil d'Etat, a été
chargé d'une mission de coordination et de proposition dans le cadre de
la mise en oeuvre de l'opération de régularisation.
La mission de M. Galabert a consisté à suivre cette mise en
oeuvre avec les ministres concernés, à leur faire part des
difficultés rencontrées et des observations qu'il estimait
justifiées des associations et groupements intéressés et
à proposer au ministre de l'Intérieur toute initiative de nature
à résoudre ces difficultés.
La circulaire invitait donc les préfets à faire connaître
à ce chargé de mission les difficultés rencontrées,
par l'intermédiaire de la direction des libertés publiques et des
affaires juridiques du ministère de l'Intérieur.
Le chargé de mission a été entendu à deux reprises
par la commission d'enquête, le 5 février puis le 7 mai 1998, ce
qui lui a permis de définir et d'illustrer sa mission puis d'effectuer
un premier bilan de l'opération.
M. Galabert disposait d'une structure administrative légère,
composée d'un administrateur civil jusqu'au 1
er
janvier 1998
ainsi que d'une secrétaire.
Il a recueilli les informations nécessaires à sa mission lors de
visites dans 25 préfectures, dont 15 à deux reprises. Il y a
rencontré, outre les préfets, des fonctionnaires chargés
de la procédure, appartenant aux différents niveaux
hiérarchiques.
Le chargé de mission a souligné que les départements
où le volume de dossiers était important rencontraient des
difficultés de gestion mais que ceux où les demandes
étaient peu nombreuses se sont heurtés, pour leur part, à
un manque perceptible d'expérience.
Des interrogations lui sont parvenues émanant de diverses associations.
Le chargé de mission a accepté d'examiner les cas particuliers
qui lui étaient présentés. Il a, en revanche,
refusé de débattre du bien fondé de telle ou telle
disposition de la circulaire.
Le chargé de mission, interrogé par des demandeurs individuels,
n'a accepté de répondre que s'il avait été saisi
par écrit.
Au total, il a été interrogé à 350 reprises
par ces différents canaux.
Le chargé de mission a été amené à fournir
des conseils aux associations ou aux demandeurs, voire à signaler
certains dossiers aux préfectures, en relevant les
éléments favorables et défavorables, sans, semble-t-il,
suggérer formellement une solution aux préfectures. Il a pu, dans
certains cas, recommander à des étrangers de ne pas donner suite
à leur demande lorsqu'il apparaissait qu'ils ne répondaient
manifestement pas aux critères de la circulaire.
Ces saisines ont permis au chargé de mission de détecter certains
cas de dysfonctionnement et de différences d'appréciation entre
préfectures et d'intervenir pour tenter d'y remédier en formulant
des observations (par exemple, au début de l'opération, le
défaut de convocation du demandeur pour un entretien individuel, la
qualité inégale des conditions d'accueil ou l'exigence de
production du carnet de santé).
Il a régulièrement rencontré les membres du cabinet du
ministre ainsi que le directeur des libertés publiques et des affaires
juridiques.
Le chargé de mission a entendu répondre aux questions qui lui
étaient soumises en recherchant une harmonisation entre les
préfectures.
Les interrogations portaient assez souvent sur le cas de personnes sans charge
de famille, pour lesquelles il a souligné les difficultés
à prouver la durée du séjour en France, y compris de la
part de celles résidant manifestement depuis longtemps sur le territoire
français.
Il a, en particulier, indiqué avoir été à la source
d'une instruction complémentaire du ministre de l'Intérieur (du
30 septembre 1997), selon laquelle l'absence de charge de famille devait
s'apprécier en France et non dans le pays d'origine.
Certaines de ses observations ont pu également contribuer aux
assouplissements signalés plus haut, concernant la durée du
mariage, s'agissant du conjoint de Français ou d'étranger en
situation régulière.
S'agissant du cas des malades, le chargé de mission a relevé que
des médecins inspecteurs de la santé publique, chargés
d'évaluer l'état de santé des demandeurs, se refusaient,
en invoquant parfois des raisons déontologiques, à émettre
un avis ou donnaient systématiquement un avis favorable.
Pour ce qui est des étrangers invoquant des risques vitaux dans leur
pays d'origine -dont la plupart des demandes ont été transmises
pour décision au ministère de l'Intérieur-, le
chargé de mission a regretté que les préfectures disposent
de peu d'informations sur la situation dans ces pays pour être en mesure
de porter elles-mêmes une appréciation.
Le chargé de mission a aussi pu expliquer à la commission
d'enquête les raisons pour lesquelles certaines personnes n'avaient pas
donné suite à leur demande. Des étrangers ont pu renoncer
à celle-ci après avoir pris conscience de ce que la
régularisation n'était pas accordée automatiquement,
d'autres n'ont pas pu se présenter aux convocations, faute de
résider en France.
Portant une appréciation globale sur l'opération de
régularisation devant la commission d'enquête, M. Jean-Michel
Galabert a considéré que celle-ci s'était convenablement
déroulée, en particulier grâce à l'implication du
personnel des préfectures.
Il a estimé que, sans remettre en cause le caractère
sélectif de l'opération, le pourcentage des
régularisations aurait pu être supérieur.
2.- Le rôle de la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'Intérieur
La
direction des libertés publiques et des affaires juridiques a
coordonné la mise en place dans les préfectures des moyens
supplémentaires annoncés par la circulaire pour
l'opération de régularisation. M. Jean-Marie Delarue, directeur
des libertés publiques et des affaires juridiques, a indiqué
à la commission d'enquête, le 7 mai, que ces moyens
supplémentaires ont été maintenus plus longtemps que
prévu, en raison des retards pris dans l'instruction des dossiers ainsi
que de la gestion des recours.
Ce service s'est efforcé d'assurer l'harmonisation entre les
procédures suivies par les préfectures et de limiter les
différences d'appréciation. Outre ses contacts réguliers
avec M. Jean-Michel Galabert, le directeur des libertés publiques et des
affaires juridiques a tenu une réunion de travail tous les quinze jours
avec le cabinet du ministre.
Les questions posées au ministère de l'Intérieur par
les préfectures ont été généralement
à la source des nombreuses instructions complémentaires.
La direction des libertés publiques et des affaires juridiques a
exercé un rôle déterminant dans l'instruction des dossiers
des personnes invoquant des risques vitaux en cas de retour dans leur pays
d'origine.
En effet, la circulaire avait invité les préfets à
consulter le ministère de l'Intérieur, en cas de
difficulté, afin que puissent être données, en liaison avec
le ministère des Affaires étrangères, les instructions
utiles.
S'agissant du cas des Algériens, les dossiers devaient
nécessairement être transmis à la direction des
libertés publiques et des affaires juridiques afin d'être transmis
à une commission interministérielle.
Il apparaît donc qu'en raison de leurs caractéristiques
particulières,
la gestion des dossiers des personnes invoquant des
risques vitaux n'a, pour l'essentiel, pas été
déconcentrée
. Ceci a entraîné certains retards
dans l'instruction de ces dossiers, compte tenu des faibles moyens en personnel
de la direction des libertés publiques.
3.- Le rôle spécifique de l'Office des migrations internationales (OMI)
L'OMI,
dont le directeur, M. André Nutte, a été entendu par la
commission d'enquête le 26 février 1998, a été
largement associé à l'opération de régularisation,
au titre des moyens supplémentaires prévus par la circulaire du
24 juin 1997 et mis à la disposition des préfectures pour cette
opération.
Cet établissement public administratif est placé sous la tutelle
du ministre de l'Emploi et de la Solidarité (direction de la population
et des migrations). Il dispose d'une expérience certaine, liée
à ses compétences en matière d'immigration, notamment en
ce qui concerne l'introduction des travailleurs étrangers,
l'organisation de la visite médicale réglementaire, la
participation aux procédures concernant le regroupement familial et le
certificat d'hébergement, au travers d'enquêtes sur le logement et
les ressources.
D'une manière plus générale, compétence lui a
été reconnu pour le contrôle médical des
étrangers et de leur famille.
Dans le cadre de l'opération de régularisation, l'OMI a
participé à
l'accueil des demandeurs
dans les
préfectures. L'OMI a aussi organisé les
visites
médicales
à l'occasion desquelles les étrangers
régularisés étaient invités à
répondre à un questionnaire social.
Les réponses à ce questionnaire ont été transmises
aux directions départementales des affaires sanitaires et sociales
(DDASS) afin de permettre le "
suivi social
" des
personnes régularisées, prévu par la circulaire.
Les étrangers régularisés ont reçu de l'OMI une
brochure d'information sur le système français de protection
sociale
Votre rapporteur reviendra plus loin sur les moyens supplémentaires mis
en place par l'OMI ainsi que sur le suivi social.
B. UN AFFLUX DE DEMANDES
1. Un nombre de demandes très important et supérieur aux prévisions initiales
a) Des prévisions initiales modestes
Dès le mois de juillet 1997, la presse se faisait
l'écho de prévisions comprises entre 10.000 et 40.000
demandes,
" selon des sources proches du Gouvernement "
.
Ces chiffres ont été repris très largement par l'ensemble
des médias sans être démentis par le Gouvernement.
Toutefois, le Gouvernement s'est toujours refusé à donner une
évaluation officielle initiale du nombre possible de demandeurs et de
bénéficiaires de l'opération de régularisation.
Répondant à notre collègue, M. Christian Demuynck, qui
l'interrogeait sur les conséquences de la régularisation des
étrangers en situation irrégulière, M. Jean-Pierre
Chevènement, ministre de l'Intérieur, a ainsi contesté le
28 octobre 1997 que le Gouvernement ait fourni la moindre évaluation du
nombre de demandes avant la date de dépôt final des
demandes :
" il n'est absolument pas exact que le Gouvernement ait
jamais avancé un chiffre. "
5(
*
)
.
Même si l'on ne dispose donc d'aucun élément officiel quant
aux prévisions formulées par les services du ministère de
l'Intérieur
, il est cependant avéré que ceux-ci ont
été surpris par l'ampleur du volume des demandes
. Ainsi,
à la date du 31 juillet 1997, alors que 54.219 demandes avaient
déjà été déposées, la presse faisait
état d'informations émanant du ministère de
l'Intérieur selon lesquelles ce chiffre dépassait largement
l'hypothèse la plus haute formulée par l'administration
6(
*
)
.
b) Un nombre de demandes en définitive très élevé
Le nombre final de demandes a atteint un chiffre beaucoup plus important que les estimations initiales reprises par la presse en juillet 1997.
1.- Le bilan global
Il
convient de distinguer :
1.
- les demandes initiales déposées dans les
préfectures : 179.264 ;
2. - les demandes qui ont été considérées
comme recevables, c'est-à-dire pour lesquelles la procédure
d'instruction a pu aller jusqu'à son terme et qui peuvent donc faire
l'objet d'une décision : 145.690 à la date du
30 avril 1998 ;
3. - les demandes qui ont effectivement fait l'objet d'une
décision : 108.684 à la date du 30 avril 1998.
Des écarts importants séparent ces trois chiffres. La
différence entre les demandes considérées comme recevables
et les demandes ayant fait l'objet d'une décision provient de ce que
l'opération de régularisation n'est pas encore
achevée ; cette différence a donc vocation à se
résorber progressivement et à disparaître à terme.
En revanche, l'écart entre les demandes initiales et les demandes
considérées comme recevables croît
régulièrement, ce qui mérite une explication
particulière.
Cet écart résulte de la combinaison de plusieurs facteurs :
-
la présence de demandes multiples
: certains demandeurs
ont tenté leur chance en déposant une demande de
régularisation dans plusieurs départements, souvent limitrophes.
La saisie de chaque dossier de demande de régularisation dans
l'application informatique AGDREF a permis de détecter les personnes
ayant déjà déposé une demande de
régularisation dans un autre département. De l'avis des
préfectures où s'est rendue la commission, ces cas de demandes
multiples sont toutefois en nombre limité.
AGDREF
: l'application de gestion des dossiers
des ressortissants étrangers
en France
Le
fichier informatique AGDREF (
D. 29 mars 1993, JO 30 mars
) s'est
substitué au fichier mis en place précédemment par le
décret du 27 septembre 1982, qui était destiné à la
fabrication des titres de séjour des étrangers.
Les
finalités
du fichier AGDREF sont au nombre de quatre :
-
finalités de gestion et d'efficacité
:
amélioration des procédures relatives au règlement de la
situation administrative des étrangers en France et établissement
de statistiques ;
-
finalités de lutte contre la fraude
(risque de falsification
des titres de séjour) et
contre l'immigration clandestine
.
Les
informations enregistrées
dans le fichier AGDREF sont
énumérées de manière limitative
à
l'article 2 du décret du 29 mars 1993 : état civil complet,
numéro national d'identification, adresse, filiation, situation
familiale, données de gestion du fichier, conditions d'entrée en
France, visas, garant, situation professionnelle, données relatives
à l'autorisation de séjour détenue, autres données
relatives à la situation administrative.
Les données sont
conservées cinq ans
pour les personnes
décédées, mais surtout pour les étrangers ayant
fait l'objet d'un refus de séjour, d'un arrêté de
reconduite à la frontière, ou dont le titre de séjour est
venu à expiration. Lorsque l'étranger a acquis la
nationalité française, la durée de la conservation des
informations contenues dans le fichier AGDREF à son sujet est d'un an.
L'accès aux données contenues
dans le fichier AGDREF a
été prévu de manière limitative par l'article 3 du
décret du 29 mars 1993, pour éviter tout détournement de
sa finalité. Toutefois, la liste des destinataires a été
modifiée dans le sens d'un important élargissement à
d'autres services : l'une des finalités du fichier étant de
lutter contre l'immigration irrégulière, la liste des services
pouvant accéder au fichier AGDREF a été élargie par
la loi n° 93-1027 du 24 août 1993.
Peuvent accéder au fichier AGDREF
selon certaines règles
précisées au cas par cas :
- les services de la direction des libertés publiques et des affaires
juridiques du ministère de l'Intérieur chargés des
étrangers ;
- les services des étrangers des préfectures et
sous-préfectures, qui ne peuvent accéder qu'au fichier national
et à leur propre fichier ;
- les magistrats de l'ordre judiciaire et les services de police et gendarmerie
nationale, qui ne peuvent accéder qu'au fichier national et
" seulement en vue de vérifier la régularité du
séjour des ressortissants étrangers en France " ;
- les services de l'Office français de protection des
réfugiés et apatrides (OFPRA), mais seulement pour les
informations portant sur l'état civil et le numéro national
d'identification ;
- les services du permis de conduire des préfectures et
sous-préfectures, mais uniquement pour les données relatives au
titre de séjour détenu, et dans le seul but d'instruire les
demandes de délivrance ou d'échange des permis de conduire ;
- les organismes chargés de la gestion des régimes de
sécurité sociale ;
- l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE).
Le
droit d'accès des étrangers au fichier AGDREF
est
un
droit d'accès direct
au sens de l'article 34 de la loi du 6 janvier
1978. L'article 6 du décret du 29 mars 1993 prévoit qu'il peut
s'exercer soit auprès du ministère de l'Intérieur
(direction des libertés publiques), soit auprès du préfet
du département concerné.
-
l'absence du demandeur aux entretiens
: malgré les
relances, certaines des personnes ayant rempli un dossier de demande de
régularisation ne se sont pas présentées aux convocations
pour un entretien individuel. Leur dossier n'a donc pas été
instruit et a été soustrait du nombre des demandes. La plupart
des dossiers qui n'ont pu être instruits l'ont été pour ce
motif.
Cette absence peut avoir des origines diverses
. Dans certains cas, les
demandeurs
n'habitent pas ou plus à l'adresse indiquée
,
soit parce qu'ils ont déménagé, soit parce qu'ils ont
donné une fausse adresse.
Dans d'autres cas, les demandeurs peuvent avoir pris conscience, après
le dépôt de leur demande
, qu'ils ne remplissaient pas les
critères de la circulaire et que leur demande avait par
conséquent peu de chances d'aboutir.
Ils renoncent alors à
poursuivre la procédure.
Certains demandeurs peuvent également être pris
d'un
réflexe de crainte
à la perspective de se rendre dans une
préfecture et refusent alors de répondre à la convocation
pour l'entretien individuel.
Enfin,
le demandeur n'a parfois jamais résidé sur le
territoire français
et sa demande a manifestement été
remplie et déposée par une autre personne, dans l'espoir qu'il
pourrait ultérieurement entrer illégalement sur le territoire
français afin de répondre lui-même à la convocation
individuelle prévue. Ce dernier cas illustre
l'effet d'appel d'air
immédiat
qu'a pu susciter la circulaire de régularisation
auprès de certaines populations qui résidaient pourtant à
l'étranger au moment de sa parution, en juin 1997.
Les demandes qui n'ont pu être instruites complètement ont
été soustraites par le ministère de l'Intérieur des
statistiques de demandes déposées.
Le ministère a ainsi
fait le choix de ne pas opérer de distinctions entre les demandes
déposées et les demandes effectivement instruites.
De
manière un peu déconcertante pour les non-initiés, le
chiffre des demandes diminue donc régulièrement, au fur et
à mesure de l'avancement de l'opération.
Cette méthode de comptabilisation statistique n'est pas
neutre
: elle a pour effet de
minorer très
sérieusement le nombre des demandes et de minimiser par
conséquent l'importance de l'opération de régularisation.
Or, le chiffre des demandes déposées révèle une
immigration clandestine présente sur notre territoire. Ces demandes de
régularisation ont bien été déposées et
émanaient, pour la majeure partie d'entre elles, de personnes
effectivement présentes sur notre territoire et qui n'ont pas
souhaité poursuivre la procédure de demande de
régularisation.
Ces personnes sont encore probablement présentes sur notre sol.
Le
choix statistique effectué par le ministère de l'Intérieur
revient à nier cette réalité dérangeante.
Il eût été par conséquent plus exact de la part du
ministère de l'Intérieur de distinguer, d'une part, les demandes
initialement déposées et, d'autre part, les demandes
considérées comme recevables et effectivement instruites.
Dès le 15 janvier 1998, le ministre de l'Intérieur
déclarait ainsi, lors de son audition par la commission d'enquête,
que "
presque 25 % des demandes doivent être
considérées comme n'étant pas valables, soit parce que
l'adresse indiquée n'est pas la bonne, soit parce qu'elles correspondent
à des doublons ".
Il ajoutait :
" Il s'agit de
chiffres bruts, incluant un certain nombre de doublons et de courriers ne
relevant pas de la circulaire. Par ailleurs, dans certains départements,
plus de 20 % des étrangers convoqués ne se présentent
pas aux entretiens. Le nombre de demandes réellement instruites devrait
sans doute être légèrement inférieur à
150.000. "
Le nombre total de
demandes de régularisation
déposées s'est élevé finalement à
179.264
pour l'ensemble de la France métropolitaine.
Ce chiffre représente 5,6 % des 3.231.891 personnes de
nationalité étrangère installées en France au 31
décembre 1996. Pour mémoire, on rappellera que la population
étrangère représente également 5,6 % de la
population française totale (58.139.070).
Tous les témoignages recueillis par la commission
lors de ses
déplacements dans les préfectures
s'accordent à
souligner que le nombre de demandes a fortement progressé dans les jours
précédant la date-limite de dépôt des demandes, le
1er novembre 1997
. Ce phénomène a été
particulièrement net à Paris où l'on a pu constater un
afflux de demandes de dernière heure.
Mais le nombre de
demandes considérées comme recevables
s'élève, à la date du 30 avril 1998, à
145.690
. Ce chiffre provisoire devrait sans doute encore diminuer dans
les prochains jours.
L'écart entre le nombre de demandes initialement déposées
et le nombre de demandes susceptibles de donner lieu à une
décision de l'administration est donc considérable puisqu'il
atteint
33.574
, soit
18,7%
des demandes initialement
déposées.
Pour des raisons évidentes, le Gouvernement a choisi de n'évoquer
que les demandes considérées comme recevables. Il apparaît
intéressant à votre rapporteur d'analyser également la
répartition des demandes initiales.
2.- Les régions et départements principalement concernés
On
analysera successivement les demandes déposées et les demandes
considérées comme recevables.
•
Les demandes initialement déposées
S'agissant du nombre de demandes de régularisation
déposées, les
écarts entre les départements sont
considérables
. La tâche à laquelle ont dû faire
face les services des préfectures est donc très variable selon
les endroits.
La région d'Ile-de-France se classe très nettement en
tête des régions françaises pour le nombre de demandes de
régularisation : avec 126.496 demandes, elle représente à
elle seule 70,6 % du total des demandes
.
Loin derrière, la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA)
occupe la deuxième place de ce classement avec 22.386 demandes, soit
12,5 % du total des demandes. Viennent ensuite les régions
Rhône-Alpes (5.094 demandes, 2,8 %) et Languedoc (4.472 demandes,
2,5 %). Ces 4 régions représentent à elles seules
88,4 % des demandes. Toutes les autres régions enregistrent un
nombre de demandes inférieur à 3.000.
L'analyse des demandes par département
confirme naturellement les
analyses formulées au sujet des régions.
Les demandes de régularisation sont essentiellement concentrées
dans moins d'une dizaine de départements.
Le nombre moyen de demandes par département (sur la base de
96 départements) s'établit à 1.867. Ce chiffre ne
reflète cependant pas l'exceptionnelle inégalité de
répartition entre les départements.
Paris occupe la première place avec 46.050 demandes (25,7 % du
total), suivi de la Seine-Saint-Denis (39.003 demandes, 21,8 % du total),
des Bouches-du-Rhône (13.410, 7,5 %), du Val-de-Marne (12.631,
7 %), des Hauts-de-Seine (10.693, 6 %), du Val d'Oise (6.811,
3,8 %), de l'Essonne (5.595, 3,1 %), des Alpes-Maritimes (5.341,
3,0 %). Ces 8 départements concentrent à eux seuls
139.534 demandes, soit 77,8 % du total des demandes.
Tous les autres départements connaissent un nombre de demandes
inférieur à 3.000.
A l'inverse, beaucoup de départements se caractérisent par une
quasi-absence de demandes (2 demandes dans le Cantal, 3 en Lozère) ou
par un nombre de demandes très faible (8 demandes dans le Lot et les
Deux-Sèvres, 11 dans la Creuse, 13 dans la Manche, 15 dans les Landes,
16 dans la Meuse et en Vendée, 17 dans l'Ariège).
A l'évidence, la procédure de régularisation n'a pas
mobilisé les mêmes moyens en Seine-Saint-Denis et dans le Lot.
Lors de ses déplacements, la commission d'enquête s'est rendue
successivement à la préfecture de police de Paris (46.050
demandes) puis dans les préfectures de Seine-Saint-Denis (39.003
demandes), du Rhône (2.294 demandes), du Nord (2.625 demandes), des
Bouches-du-Rhône (13.410 demandes), du Haut-Rhin (563 demandes), des
Alpes-Maritimes (5.341 demandes), des Hauts-de-Seine (10.693 demandes) et du
Val-de-Marne (12.631 demandes). Le total des demandes enregistrées dans
les départements visités par la commission d'enquête
s'élève à 132.610 ; la commission d'enquête a donc
fait le choix de se rendre dans un échantillon de neuf
départements, situés sur l'ensemble du territoire et donc
illustrant des situations et des conditions différentes et
qui
représentent à eux seuls 74 % des demandes
déposées
.
Une analyse des statistiques disponibles pour les demandes
considérées comme recevables et donc effectivement instruites
révèle des tendances similaires avec toutefois quelques nuances
remarquables.
•
Les demandes considérées comme recevables et
susceptibles de donner lieu à une décision de l'administration
Les demandes susceptibles de donner lieu à une décision de
l'administration s'élèvent à
145.690 au 30 avril
1998
, contre
167.613 au 31 mars
, témoignant ainsi de la
déflation progressive opérée par le ministère de
l'Intérieur.
La région d'Ile-de-France se classe toujours nettement en tête
des régions françaises pour le nombre de demandes de
régularisation avec 96.452 demandes effectivement instruites, contre
126.496 demandes déposées.
Toutefois,
sa part relative dans les demandes a baissé : elle ne
représente plus que 66,2% du total des demandes instruites
alors
qu'elle concentrait 70,6 % du total des demandes
déposées
.
Cette évolution vient du nombre considérable de demandes pour
lesquelles la procédure a été interrompue :
30.044
pour la région d'Ile-de-France, qui explique à
elle seule 89,5% de la différence au niveau national entre les
demandes déposées et les demandes considérées comme
recevables.
Le phénomène des fausses adresses et des non-réponses aux
convocations pour les entretiens a donc concerné principalement les
départements d'Ile-de-France.
Plus précisément, trois départements de cette
région attirent particulièrement l'attention : la
Seine-Saint-Denis (39.003 demandes déposées, 24.617 instruites),
Paris (46.050 demandes déposées, 34.607 instruites) et le
Val-de-Marne (12.631 demandes déposées, 9.602 instruites).
Avec 28.858 demandes n'ayant pas abouti, ces trois départements
concentrent à eux seuls 86% de " l'évaporation des
demandes ".
Demandes
déposées et demandes instruites
en Seine-Saint-Denis
La
situation en Seine-Saint-Denis illustre l'écart important qui
sépare parfois les demandes déposées des demandes
effectivement instruites.
39.003 demandes ont été déposées dans ce
département.
Selon les informations recueillies par la commission d'enquête, les
convocations retournées à la préfecture avec la mention
" n'habite pas à l'adresse indiquée " (NPAI)
représenteraient près de 1.000 lettres, qui s'ajoutent aux
3.300 doubles ou multiples demandes et aux 10.000 non-réponses aux
convocations.
Au total, seules 24.617 personnes se sont présentées pour un
entretien et ont par conséquent vu leur dossier examiné par la
préfecture en vue d'une décision.
Les demandes effectivement instruites n'ont donc représenté que
63,1% des demandes initialement déposées.
Compte tenu du mode de comptabilisation, la plupart des départements
métropolitains enregistrent une diminution du nombre des demandes.
On s'interroge dès lors sur
la situation des
Bouches-du-Rhône
, troisième département par le nombre
de demandes, qui connaît un nombre de demandes instruites
inchangé
par rapport au nombre de demandes déposées
(13.410), ce qui semble indiquer que les services préfectoraux n'ont pas
encore procédé à la déduction des demandes n'ayant
pas pu être instruites. Il faut voir là probablement les
conséquences du retard important que connaît ce département
dans l'achèvement de la procédure de régularisation.
On peut dès lors s'attendre à de nouvelles diminutions du
nombre de demandes effectivement instruites, qui devrait être, au terme
de l'opération, probablement inférieur au chiffre actuel de
145.690.
A l'inverse, on ne sait trop que penser du cas des Yvelines qui enregistre un
nombre de demandes de régularisation de 3.416 au 30 avril 1998 contre
2.812 au 28 février de la même année.
S'agissant des demandes effectivement instruites, la région
Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA) occupe toujours, loin derrière,
la deuxième place des régions françaises avec 20.478
demandes, soit 14,1 % du total des demandes. Viennent ensuite les
régions Rhône-Alpes (4.868 demandes, 3,3 %) et Languedoc
(4.385 demandes, 3,0 %). Si l'on ajoute l'Ile-de-France, ces 4
régions représentent à elles seules 86,6 % des
demandes. Toutes les autres régions enregistrent un nombre de demandes
inférieur à 3.000.
L'analyse des demandes par département
confirme les tendances
observées lors de l'analyse de la répartition des demandes
déposées.
Les demandes de régularisation sont toujours essentiellement
concentrées dans moins d'une dizaine de départements.
Paris occupe la première place avec 23,8 % du total des demandes
instruites, suivi de la Seine-Saint-Denis (16,9 % du total), des
Bouches-du-Rhône (9,2%), du Val-de-Marne (6,6 %), des Hauts-de-Seine
(9.191, 6,3 %), du Val d'Oise (6.817, 4,7 %), de l'Essonne (5.295,
3,6 %), des Alpes-Maritimes (4.115, 2,8 %) et des Yvelines (3.416,
2,3%).
Ces 9 départements concentrent à eux seuls 111.070 demandes
instruites, soit 76,2 % du total des demandes.
Le total des demandes considérées comme recevables dans les neuf
départements visités par la commission d'enquête
s'élève à 100.628,
soit 69 % du total national de
ces demandes.
2. Des moyens considérables
Le
coût budgétaire de l'opération de régularisation
devrait s'élever pour le ministère de l'Intérieur à
un peu plus de 40 millions de francs (MF).
Il correspond essentiellement au
paiement des heures supplémentaires effectuées par les personnels
du ministère de l'Intérieur, aux rémunérations des
vacataires recrutés pour l'opération et à l'achat de
matériel informatique.
La somme de 40 MF se décompose donc de la manière suivante :
• 26,051 MF pour les rémunérations des
vacataires ;
• 6,320 MF pour les heures supplémentaires ;
• 8 MF environ pour l'acquisition de matériel,
essentiellement informatique ;
On notera qu'il n'existe pas de ligne budgétaire spécifique
consacrée à l'opération de régularisation. Ces
estimations sont donc fondées sur les informations données par le
ministère de l'Intérieur lui-même.
Ce montant correspond au surcoût clairement identifiable dû
à la procédure de régularisation. Il ne représente
toutefois pas le coût total de l'opération qui devrait
intégrer le temps consacré par les personnels des services des
étrangers à l'opération de régularisation. Ce
coût paraît, dans la pratique, difficile à calculer.
Si les moyens supplémentaires mis à la disposition des
préfectures pour l'opération de régularisation peuvent
apparaître importants, ils ont été
insuffisants au
regard des besoins dans certains départements confrontés à
un afflux de demandes, particulièrement à Paris, en
Seine-Saint-Denis et dans les Bouches-du-Rhône
. Cela explique en
partie les retards dans l'achèvement de la procédure qui ont
affecté certains de ces départements.
a) Des effectifs importants
1.- La mobilisation des agents des services
préfectoraux et déconcentrés
(a) Une mobilisation
exceptionnelle
La
Commission d'enquête tient à souligner le rôle des
Préfets et le dévouement des personnels des préfectures
qui ont accompli avec sérieux, dévouement et humanité la
tâche difficile qui leur avait été confiée.
Elle a pu observer à maintes reprises, lors de ses déplacements,
la qualité, l'engagement et le dynamisme de ces personnels.
Certains des personnels mobilisés ont ainsi consenti des efforts
importants s'agissant des horaires de travail et des périodes de
congés.
(b) Une opération lourde
La
régularisation a provoqué dans certains départements un
surcroît de travail très important pour les services des
étrangers. Dans certaines préfectures (Paris, Seine-Saint-Denis,
Nord...), l'opération de régularisation a durablement
perturbé le fonctionnement du service des étrangers,
entraînant par là même des retards dans le traitement des
dossiers de demandeurs en situation régulière.
Elle a entraîné le recours aux heures supplémentaires dans
55 préfectures et à la préfecture de police de Paris,
pour un montant total de 1,955 million de francs en 1997 et, selon les
estimations, de 4,365 millions de francs en 1998.
En outre, dans certaines préfectures (par exemple, les
Bouches-du-Rhône), des agents des directions départementales des
affaires sanitaires et sociales (DDASS) et des directions
départementales de l'équipement (DDE) sont venus apporter leur
renfort aux personnels des services des étrangers.
2.- Le recrutement d'agents contractuels
La
circulaire du 24 juin 1997 prévoyait que les préfectures
disposeraient de
" moyens temporaires "
pour faire face
à la charge de travail supplémentaire entraînée par
la régularisation.
Dès le début du mois de juillet 1997, certaines
préfectures ont ainsi pu recruter des agents contractuels ou vacataires
pour des périodes de trois mois non renouvelables. Ces recrutements ont
concerné 33 préfectures et la préfecture de police en 1997
et se sont élevés à 1251 mois/vacataires, pour un montant
total de 9 MF.
De janvier à avril 1998, selon un bilan provisoire, les services des
étrangers des préfectures ont eu recours à 1.500
mois/vacataires dans 33 préfectures et à la
préfecture de police, pour un montant de 11,301 MF.
De mai à août 1998, il est prévu l'utilisation de 433
mois/vacataires dans 18 préfectures et 360 mois/vacataires à la
préfecture de police, pour un coût global de 5,75 MF.
Les vacataires ont été chargés exclusivement du
préaccueil des étrangers et de l'aide à la constitution
des dossiers et n'ont en aucun cas participé à l'instruction.
Lors de ses déplacements dans les préfectures, la commission a pu
constater que ces vacataires ont dans l'ensemble donné satisfaction.
Généralement de bon niveau -la plupart disposaient de
diplômes universitaires et étaient encore étudiants-, ils
ont accompli avec sérieux les tâches qui leur étaient
confiées.
Toutes les préfectures où la commission s'est rendue ont
toutefois regretté que ces vacataires ne puissent
bénéficier de contrats d'une durée supérieure
à trois mois. Cette contrainte a obligé les préfectures
à renouveler ces vacataires fréquemment et à se
séparer d'eux au moment où ils avaient acquis une certaine
expérience. En outre, la période durant laquelle ces vacataires
ont été effectivement opérationnels a été
réduite d'un temps de formation initiale d'une semaine à 10
jours.
3.- Le concours des agents de l'OMI
L'OMI
avait déjà, dans les préfectures les plus importantes,
45 agents chargés des fonctions d'accueil, essentiellement en
région parisienne, dans le Rhône, les Bouches-du-Rhône et le
Nord. En application de la circulaire du 24 juin 1997 qui dispose que
"
le préaccueil actuellement organisé par les agents de
l'OMI dans certaines préfectures sera développé
"
et après accord de son conseil d'administration le 10 juillet, l'OMI a,
au sein de certaines préfectures, renforcé ou mis en place des
cellules d'accueil, uniquement chargées du préaccueil des
étrangers et de l'aide à la constitution des dossiers, à
l'exclusion de toute intervention dans leur instruction.
Des conventions ont été conclues pour renforcer les antennes
existantes à titre permanent (Bouches-du-Rhône, Nord, Rhône,
Yvelines, Essonne, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne et
Val-d'Oise) ou pour créer des antennes provisoires dans le cas où
l'Office n'était pas présent antérieurement
(Alpes-Maritimes, Bas-Rhin, Haute-Garonne, Hérault, Isère et
Moselle). On notera que la préfecture de police et la préfecture
de Seine-et-Marne n'ont pas demandé de renfort de l'OMI.
Les conventions fixaient habituellement le nombre d'agents affectés,
leur champ d'intervention et l'échéance au 31 octobre 1997. En
application de ces conventions, 77 agents ont été progressivement
affectés à compter de juillet. Ils ont reçu une formation
organisée par l'Office, d'une durée de deux jours,
consacrée aux techniques d'accueil et à la réglementation.
Toutes les conventions ont été renouvelées une
première fois, jusqu'au 31 décembre ou au 31 janvier selon les
cas. Dans la plupart des préfectures, le nombre d'agents a
été réduit, sauf dans les départements les plus
concernés par le réexamen (l'Office a même augmenté
le nombre d'agents en Seine-Saint-Denis). 71,5 agents étaient en poste
en décembre.
Une troisième reconduction a été acceptée, pour des
périodes de un à trois mois, avec une baisse sensible des
effectifs, dans les préfectures ayant reçu le plus grand nombre
de dossiers (région parisienne, Bouches-du-Rhône, Hérault,
Alpes-Maritimes). 47,5 agents étaient en poste au 15 février 1998.
Les agents affectés par l'OMI étaient essentiellement des agents
contractuels recrutés pour des périodes de trois mois et
présentant un profil très proche de celui des vacataires
utilisés par les préfectures.
b) Les moyens matériels
1.- Le déroulement des entretiens individuels
Si
l'utilisation des locaux habituels du service des étrangers a
été possible dans les préfectures où le nombre de
demandes était limité, telles que le Haut-Rhin, il a fallu
ailleurs avoir recours à des locaux provisoires, spécialement
affectés à l'opération de régularisation.
Lors de ses déplacements, la commission a constaté que les
préfectures avaient généralement accordé une
attention particulière aux conditions matérielles dans lesquelles
se sont déroulés les entretiens individuels, en
s'efforçant d'aménager le mieux possible les locaux disponibles
ou en ayant recours à des locaux provisoires, afin de préserver
la confidentialité des conversations. La meilleure solution a
consisté en la mise en place de locaux situés en retrait du
public où le demandeur et le fonctionnaire pouvaient être assis de
part et d'autre d'une table.
Toutefois, la commission a regretté que dans certaines
préfectures, les entretiens aient eu lieu à des guichets, ce qui
ne favorisait pas leur déroulement dans des conditions optimales. A la
préfecture du Val-de-Marne, les demandeurs étaient debout et les
fonctionnaires assis : de telles conditions d'accueil n'ont pas paru
satisfaisantes à la commission.
De même, la délégation de la commission qui s'est rendue
à la préfecture des Bouches-du-Rhône a pu constater et
déplorer une certaine vétusté des locaux
réservés aux agents et aux demandeurs.
2.- L'avis des services sociaux
La
circulaire du 24 juin 1997 prévoyait que les préfectures
pouvaient prendre l'avis des services sociaux pour connaître la situation
des familles et des personnes concernées.
Cet avis a été dans la pratique peu sollicité.
Interrogé sur ce point par la commission, lors de son audition le
9 avril 1998, M. Jean Gaeremynck, Directeur de la population et des
migrations, a confirmé que les consultations des services sociaux
avaient été rares et surtout consacrées aux questions de
regroupement familial.
3.- Les visites médicales
La
circulaire du 24 juin 1997 précise que les
" formalités
concernant la visite médicale par l'OMI devront être
effectuées conformément aux règles de droit
commun ".
Pour faire face à l'augmentation importante du nombre de visites
médicales provoquée par l'opération de
régularisation, l'OMI s'est efforcé dans un premier temps
d'utiliser le plus possible les moyens existants. L'Office a ainsi
augmenté le nombre de vacations réalisées par les
médecins qui travaillent habituellement pour lui.
L'OMI a également été conduit à recruter
50 médecins ou infirmiers supplémentaires qui ont
été répartis soit dans ses centres, soit dans ses points
de contrôle habituels. En Ile-de-France, l'OMI a en outre signé
une convention avec deux hôpitaux publics afin que ceux-ci assurent une
prestation complémentaire.
Le coût de la visite médicale a été de
1 050 F pour la personne régularisable, soit le montant
habituellement exigé par l'OMI. Cette contribution recouvre bien
davantage que le seul coût de la visite médicale. Elle permet
à l'OMI de faire face à l'ensemble des dépenses de
fonctionnement destinées aux personnes de nationalité
étrangère : regroupement familial, aide au retour, suivi
social...
DEUXIÈME PARTIE
DES RÉSULTATS
INQUIÉTANTS QUI LAISSENT SANS RÉPONSE LA QUESTION DE
L'ÉLOIGNEMENT DES ÉTRANGERS NON
RÉGULARISÉS
I. UNE OPÉRATION QUI ABOUTIT À DES RÉGULARISATIONS MASSIVES DONT LES CONSÉQUENCES N'ONT PAS ÉTÉ SUFFISAMMENT ÉVALUÉES
A. DES RÉGULARISATIONS MASSIVES
1. Un nombre de régularisations particulièrement élevé
a) Le bilan global
Alors
que l'opération de régularisation devait théoriquement
s'achever le 30 avril 1998, les chiffres disponibles révèle
aujourd'hui le
retard considérable pris pour le traitement des
dossiers.
Au 30 avril 1998, selon les statistiques du ministère de
l'Intérieur, le nombre de dossiers considérés comme
recevables s'élevait à 145.690. Les chiffres définitifs de
la procédure de régularisation engagée en juin 1997 ne
seront vraisemblablement connus qu'au mois de juillet 1998.
1.- Au 30 avril 1998, 25% des dossiers n'avaient pas encore été examinés
Sur les
145.690 dossiers considérés comme recevables, seuls 108.684
avaient fait l'objet d'une décision
7(
*
)
et 37.006 restaient en instance.
A la date
théorique de fin de l'opération, seuls 74,6% des dossiers avaient
fait l'objet d'une décision, positive ou négative.
Au 28 février 1998, 56,5% des dossiers restaient en instance ; au
31 mars, 41,2% et au 30 avril, 25,4%.
Conscient depuis plusieurs mois que la date-butoir du 30 avril ne serait pas
respectée, le ministre de l'Intérieur a accordé à
ses services, à la mi-avril,
un délai supplémentaire
d'un mois
.
Le nombre très élevé de dossiers restant à
examiner rend cependant improbable l'achèvement de la
régularisation le 31 mai.
Il faudrait pour ce faire prendre 37.006
décisions - soit l'équivalent d'un tiers du total des
décisions prises jusqu'au 30 avril - en un mois, mois qui comporte par
ailleurs bien peu de jours ouvrables ! L'analyse des chiffres des trois
derniers mois révèle que chaque mois 15% environ des dossiers
sont traités :
il devrait rester à la fin du mois de mai
10% environ de dossiers en instance.
Il est donc probable que le traitement des dossiers ne s'achèvera
effectivement, dans le meilleur des cas, que dans le courant du mois de juin.
Au total,
cette régularisation pourrait donc avoir duré
presque une année !
Contrairement aux affirmations du ministre de l'Intérieur pour qui
" l'ensemble des dossiers aura été
" éclusé " le 30 avril 1998, à l'exception de
deux départements, ceux de Paris et des
Bouches-du-Rhône. "
8(
*
)
,
le
retard dans le traitement des dossiers concerne la plupart des
départements.
Au 30 avril 1998, 51% des dossiers restaient en instance de décision
dans les Bouches-du-Rhône, 43,5% dans le Val d'Oise, 41,0% dans
l'Hérault, 36,9% dans les Yvelines, 38,9% à Paris, 34,3% en
Meurthe et Moselle, 32,6% en Haute-Corse, 30,7% en Seine-Maritime, 29,3% dans
le Rhône, 26,5% dans l'Essonne...
En réalité, loin d'être limité à quelques
départements, le dérapage apparaît
généralisé.
Au total, sur les 96 départements métropolitains, seuls 42 ont
totalement ou presque totalement achevé l'opération de
régularisation (nombre de dossiers restants inférieur à
10).
Il s'agit généralement des départements qui ont
enregistré le moins de demandes.
Toutefois, certains des départements concernés ont
enregistré un nombre très faible de demandes de
régularisation, ce qui rend difficilement compréhensible le
retard qui les caractérise. Il en est ainsi de l'Yonne qui compte encore
40 dossiers en instance pour 137 demandes, de l'Aube (27 en instance pour 108
demandes), du Jura (19 pour 70), du Territoire de Belfort (27 pour 108), de la
Haute-Vienne (41 pour 146). Le département de la Manche n'avait
enregistré quant à lui que 9 demandes : 3 dossiers restent
pourtant en instance.
On notera la performance remarquable de la Seine-Saint-Denis qui a
traité 92,1% des dossiers au 30 avril 1998 alors même qu'elle
occupait la deuxième place de l'ensemble des départements
métropolitains pour le nombre de demandes.
Ces difficultés traduisent indubitablement une insuffisance des moyens
accordés dans certains départements pour faire face à un
nombre très important de dossiers. Elle trahissent peut-être
également une volonté de temporiser et d'étaler dans le
temps des décisions qui devraient être, pour l'essentiel, des
refus de régularisation. On peut légitimement se demander si le
ministère de l'Intérieur a fait du respect du délai du 30
avril 1998 un impératif absolu. Faut-il y voir la crainte de
réactions qui pourraient se multiplier devant une accumulation de
notifications de décisions négatives ?
Il est vraisemblable que la tentation était forte pour le
ministère de l'Intérieur de
ne pas accélérer la
procédure
afin d'attendre l'entrée en vigueur de la nouvelle
loi relative à l'entrée et au séjour des étrangers
en France et au droit d'asile, dite loi RESEDA. Ainsi pourront être
réglés un certain nombre de cas de personnes qui ne pouvaient
bénéficier de la circulaire du 24 juin 1997.
Par ailleurs, l'étalement des notifications des invitations à
quitter le territoire (IQF) favorisera une certaine dilution du
phénomène émotionnel qui se développe dans certains
milieux de la gauche plurielle.
Un des effets de ce retard programmé concerne le diagnostic de la
commission d'enquête qui ne pourra s'appuyer que sur des chiffres
partiels.
2.- Au 30 avril 1998, 58 % des dossiers traités ont débouché sur une régularisation
Au 30
avril 1998, sur un total de 108.684 décisions prises, on comptait, selon
les statistiques du ministère de l'Intérieur,
62.702
décisions favorables (régularisations accordées
9(
*
)
) et 45.982 décisions négatives (refus de
régularisation) : 57,7% des demandes ont donc fait l'objet d'une
régularisation et les refus de régularisation
s'élèvent à 42,3%.
Ce taux de régularisation est un peu supérieur au pourcentage
attendu, généralement évalué aux alentours de 50%.
Toutefois, il est douteux qu'il reflète de manière précise
le pourcentage final de régularisation lorsque l'ensemble des dossiers
auront été traités. Il apparaît en effet que les
préfectures ont eu tendance à instruire en premier lieu les
dossiers les plus faciles pour lesquels les critères de
régularisation étaient rassemblés de manière
évidente. Lors de ses déplacements, la commission a pu constater
que ces dossiers ont été traités en priorité. Les
dossiers qui soulevaient quelques difficultés et pour lesquels une
décision négative était probable ont souvent
été renvoyés à un examen ultérieur.
Les préfectures où se sont rendues des
délégations de la commission ont été unanimes
à considérer que les pourcentages de régularisation
observés au mois de février et mars étaient
supérieurs au pourcentage final, compte tenu de la mauvaise
qualité des dossiers restants au regard des critères
prévus par la circulaire du 24 juin 1997. Toutes les préfectures
interrogées ont estimé que le taux final de régularisation
serait vraisemblablement proche de 50%.
L'analyse du pourcentage de régularisation sur les trois derniers mois
révèle que le taux diminue régulièrement :
61,4% au 28 février, 58,5% au 31 mars et 57,7% au 30 avril. Si l'on
prolonge cette tendance, on peut raisonnablement estimer que
le pourcentage
final de régularisation devrait être légèrement
supérieur à 50%.
Avec 62.702 régularisations prononcées au 30 avril 1998, alors
même que seuls 75% des dossiers ont fait l'objet d'une décision,
cette opération de régularisation se caractérise par son
ampleur
. Sans atteindre le total des régularisations de 1981-1982
(131.360 régularisations prononcées), elle est déjà
très supérieure à celle de 1991 qui avait vu la
régularisation de 14.456 personnes.
Une simple extrapolation réalisée à partir des chiffres
provisoires disponibles à la date du 30 avril révèle que
le chiffre final de régularisations
devrait être proche de
80.000.
On peut dès lors parler sans hésitation d'une
régularisation massive.
b) Des régularisations inégales selon les départements
Les
départements et les régions qui connaissent le plus grand nombre
de personnes régularisées sont naturellement ceux où
avaient été déposées l'essentiel des demandes de
régularisation.
L'Ile-de-France occupe sans surprise la première place des
régions pour le nombre de régularisations accordées et de
demandes rejetées
. Avec 41.812 régularisations et 30.873
demandes rejetées au 30 avril 1998, les huit départements de la
région parisienne ont fourni les deux tiers (66,8%) du total des
régularisations et des refus de régularisation (67,1%).
Le taux de régularisation de 58% observé au niveau national
dissimule des disparités très importantes selon les
départements, reflétant les caractéristiques des
populations étrangères qui y résident.
On remarquera que les Bouches-du-Rhône et les Alpes-Maritimes
enregistrent, avec respectivement 61,6% et 63,6%, des pourcentages de
régularisation supérieurs à la moyenne nationale.
Si l'Ile-de-France connaît un pourcentage global de régularisation
conforme à la moyenne nationale (57,5%), la situation dans cette
région apparaît extrêmement contrastée selon les
départements.
Les Yvelines enregistrent un pourcentage record de régularisation de
85,4%.
Paris occupe également une place tout à fait particulière
puisque la préfecture de police connaît un taux de
régularisation exceptionnellement élevé de 80,6%.
Ce
résultat est d'autant plus spectaculaire qu'il porte sur un total de
21.136 décisions, soit 19,4% du total des décisions prises au
niveau national. Si l'on retranche le résultat parisien, le taux de
régularisation sur l'ensemble du territoire hors Paris chute à
52,2%.
Si l'Essonne (57,4%) et la Seine-et-Marne (56,5%) connaissent des pourcentages
de régularisation proches de la moyenne nationale, les quatre
départements restants se caractérisent par des taux très
inférieurs : 42,5% en Seine-Saint-Denis, 45,7% dans le Val d'Oise,
47,6% dans les Hauts de Seine et 48,3% dans le Val-de-Marne. Là encore,
ces chiffres sont particulièrement significatifs compte tenu des 50.227
demandes de régularisation instruites dans ces quatre
départements.
Très atypique par rapport à la moyenne nationale, le
département de la Seine-Saint-Denis recense ainsi 9.630
régularisations contre 13.044 refus.
Ces écarts proviennent essentiellement de différences
marquées dans les profils des populations demandant leur
régularisation : familles majoritaires à Paris,
prédominance de célibataires en Seine-Saint-Denis, dans le
Val-de-Marne et dans les Hauts-de-Seine. La circulaire du 24 juin 1997 mettant
l'accent sur les critères familiaux, il est logique que les
départements où les demandes émanent principalement de
célibataires connaissent des pourcentages de régularisation plus
faibles.
La situation de Paris peut par exemple s'expliquer par la présence
prédominante de familles, souvent de nationalité chinoise.
La régularisation des Chinois à Paris
L'opération de régularisation initiée par
la
circulaire du 24 juin 1997 a révélé l'importance de
l'immigration clandestine d'origine chinoise dont on connaissait l'existence
mais dont on ne mesurait pas l'ampleur. Les conséquences de cette
immigration très concentrée ne sont pas encore
évaluées.
Au 30 avril 1998, les ressortissants chinois représentaient, avec 10.007
demandes, 28,5% des 35.111 dossiers traités ou en instance à la
préfecture de police de Paris dans le cadre de la circulaire du 24 juin
1997.
Sur ces 10.007 demandes, 52,3% - soit 5.227 - avaient fait l'objet d'une
décision à la date du 30 avril 1998 : 4.482 avaient
reçu une réponse positive (cartes de séjour temporaires ou
récépissés) et 385 d'une réponse négative
(sous la forme d'une invitation à quitter le territoire). Les demandes
de régularisation émanant de ressortissants chinois ont donc pour
le moment été satisfaites dans 92,6% des cas.
Cet état de fait s'explique par le caractère essentiellement
familial de l'immigration irrégulière chinoise, qui permet aux
demandeurs de satisfaire généralement aux critères
fixés par la circulaire.
2. Les principales catégories d'étrangers concernés
a) La répartition des régularisations par critère
La
circulaire du 24 juin 1997 privilégie les critères familiaux pour
l'accès à la régularisation. L'analyse par
catégories des 62.602
10(
*
)
régularisations accordées à la date du 30 avril 1998
reflète de manière fidèle ce choix
délibéré du Gouvernement.
Jusqu'à présent, 76,2% des étrangers - soit un nombre
total de 47.704 - ont été régularisés au titre de
leurs attaches familiales. Les étrangers sans charge de famille ne
représentent que 16,5% des régularisations accordées.
Viennent ensuite les personnes n'ayant pas obtenu le statut de
réfugié mais qui pourraient courir des risques vitaux en cas de
retour dans leur pays (4,1%), les étrangers " malades " (1,8%)
et les étudiants à qui un titre de séjour a
été préalablement refusé (1,4%).
Les 76,2% des étrangers régularisés au titre de leurs
attaches familiales se répartissent ainsi selon un ordre d'importance
décroissant : les parents d'enfants de moins de 16 ans nés
en France (catégorie 5 : 26,7% du total des régularisations
accordées), les conjoints d'étrangers en situation
régulière (catégorie 2 : 14,2%), les familles
étrangères constituées de longue date en France
(catégorie 4 : 13,8%), les enfants mineurs de moins de 16 ans
entrés en France hors regroupement familial (catégorie 7 :
8,4%), les conjoints de Français (catégorie 1 : 6,2%), les
mineurs étrangers de plus de 16 ans ou majeurs entrés en France
hors regroupement familial (catégorie 6 : 6,0%) et les conjoints de
réfugiés statutaires (catégorie 3 : 1,0%).
Avec plus du quart des régularisations accordées, les parents
d'enfants de moins de 16 ans nés en France constituent de loin la
catégorie la plus importante numériquement parmi les personnes
régularisées.
Les parents d'enfants de moins de 16 ans
nés en France, les conjoints d'étrangers en situation
régulière et les familles étrangères
constituées de longue date en France représentent à eux
seuls près de 55% du total des régularisations.
Le chiffre relativement faible enregistré pour les conjoints de
Français (6,2%) témoigne de ce que les instructions
données par le précédent Gouvernement et la loi du 24
avril 1997 avaient déjà réglé la grande
majorité des cas.
Il eût été extrêmement intéressant de pouvoir
comparer les répartitions par catégories des demandes et des
régularisations accordées ou refusées. Au niveau national,
on ne dispose malheureusement pas d'une classification similaire pour les
demandes de régularisation dans la mesure où les étrangers
concernés n'étaient pas censés demander à
bénéficier de tel ou tel paragraphe de la circulaire. Il revenait
en effet à l'administration d'apprécier si chacune des demandes
pouvait prétendre aux différentes catégories
instaurées par la circulaire. Les dossiers de demandes de
régularisation n'ont donc pas été recensés et
classés selon la catégorie de la circulaire dont ils pouvaient
ressortir.
De même, les refus de régularisation ne sont naturellement pas
identifiés en fonction du profil des personnes concernées.
Même s'il n'est pas possible par conséquent de connaître le
profil et les caractéristiques des personnes à qui la
régularisation a été refusée, il est cependant
certain qu'une comparaison entre les répartitions des demandes de
régularisation et des régularisations accordées ferait
apparaître que
la plupart des demandes émanant de familles ont
été satisfaites tandis que la plupart des demandes
présentés par des étrangers sans charge de famille ont
été rejetées.
La proportion d'étrangers sans liens familiaux régularisés
au seul critère de leur insertion dans la société
française ne représente ainsi que 16,5% du total.
Or,
selon les évaluations des préfectures où s'est rendue la
commission d'enquête, ils composeraient pourtant près de la
moitié des dossiers déposés.
Ce résultat n'est pas dû au hasard, mais traduit bien la
conséquence
du choix politique
opéré lors de la
rédaction de la circulaire de privilégier les familles, dont la
présence dans les mouvements d'étrangers en situation
irrégulière avait ému l'opinion publique.
b) Les principales nationalités concernées
Le
fichier AGDREF permet de connaître, avec un certain retard, la
répartition par nationalité des demandes acceptées et
refusées. On ne dispose donc à la date du 30 avril 1998 que de
données partielles, qui fournissent toutefois des indications
intéressantes.
Le ficher AGDREF permet d'analyser à la date du 30 avril la
répartition par nationalité de 63.287 demandes traitées,
c'est-à-dire qui ont fait l'objet d'une réponse positive ou
négative ou qui sont en instance d'une décision immédiate.
Compte tenu du délai nécessaire au traitement statistique, ce
chiffre ne représente toutefois que 58,2% des décisions
effectivement prises à cette date.
Sur ces 63.287 dossiers traités, les ressortissants algériens
viennent en tête des demandes (13,9% du total des demandes), presque
à égalité avec les ressortissants marocains (13,0%),
suivis des ressortissants chinois (8,9%), zaïrois (7,3%), tunisiens
(5,6%), maliens (5,5%), turcs (5,1%), sénégalais (3,9%),
cap-verdien (3,1%) et congolais (3,0%).
L'Afrique noire et le Maghreb fournissent donc l'essentiel des demandes :
neuf des dix premières nationalités représentées
dans ces 63.287 dossiers appartiennent au continent africain. Occupant la
troisième place par le nombre de demandes, les Chinois font exception
à cette règle et constituent un cas tout à fait
particulier.
Au 30 avril 1998, on dispose également de la répartition par
nationalité pour les 51.394 régularisations
accordées :
les Algériens arrivent en tête (14,1%),
suivis des Marocains (11,1%).
La surprise vient des Chinois qui représentent 10,5% des
régularisations accordées et devancent nettement des immigrations
plus traditionnelles venues du Zaïre (7,7%), du Mali (5,6%), de Tunisie
(4,9%), de Turquie (4,2%). La place des Chinois témoigne de
l'émergence d'une immigration clandestine importante venue
d'Extrême-Orient.
Viennent ensuite, dans l'ordre, les ressortissants sénégalais
(3,3%), congolais (3,2%), ivoiriens (3,1%), haïtiens (3,1%), camerounais
(2,7%), mauriciens (2,3%), yougoslaves (2,0%) et philippins (1,8%).
Ces quinze nationalités représentent 81% du total des
régularisations, qui portent sur 135 nationalités dont certaines
ne sont toutefois représentées que par un seul ressortissant.
Les régularisations accordées jusqu'à présent
concernent donc essentiellement les ressortissants de trois blocs
géographiques : l'Afrique noire (36,7% des régularisations),
le Maghreb (30,1%) et l'Extrême-Orient (13,1%).
Rapprochés au nombre de refus de régularisation, ces chiffres
apparaissent encore plus significatifs.
Sur les 10.276 dossiers pour lesquels la régularisation a
été refusée, ce sont cette fois les Marocains qui occupent
la première place (22,4% des refus), suivis des Algériens
(11,8%), des Turcs (9,4%) et des Tunisiens (8,6%). Viennent ensuite les
Sénégalais (6,3%), les Zaïrois (6,0%), les Maliens (5,5%),
les Comoriens (2,5%), les Congolais (2,4%) et les Cap-Verdiens (2,3%).
Les Chinois n'occupent que la onzième place avec 2,2% du total des
refus
. Cette répartition s'explique par le caractère
essentiellement familial de l'immigration chinoise. Au contraire, les Marocains
et les Turcs vivant irrégulièrement en France sont très
souvent des hommes seuls, célibataires ou ayant laissé leur
famille au pays.
B. LES CONSÉQUENCES PRÉVISIBLES DE CES RÉGULARISATIONS
1. Un " appel d'air "
a) Une démarche solitaire dans le concert européen
L'impérieuse nécessité d'une
coopération
étroite avec nos partenaires européens résulte de la
complexité aussi bien juridique que pratique de la maîtrise
effective des flux migratoires.
Une politique moins rigoureuse menée
par un Etat membre de l'Union européenne ne pourrait qu'orienter les
flux
vers ce pays
. Le libre passage aux frontières
intérieures de " l'espace Schengen " ne peut qu'accentuer ce
phénomène.
Cet impératif a été pris en compte avec
l'intégration dans l'ordonnance de 1945, par la loi du 24 août
1993, de principes de la convention d'application des accords de Schengen, pour
la détermination de l'Etat responsable du traitement des demandes
d'asile, comme pour le renvoi d'un clandestin dans l'Etat responsable de son
entrée irrégulière.
Aussi la politique française de l'immigration ne peut plus être
définie de manière purement hexagonale.
Les critères de régularisation retenus par la circulaire du
24 juin 1997, déjà analysés, doivent donc
être rapprochés des politiques suivies dans d'autres pays
européens.
Pour illustrer ce point, on citera deux aspects de la question : le
regroupement familial et la lutte contre l'immigration clandestine.
S'agissant du
regroupement familial,
l'Allemagne exclut les prestations
d'aide sociale de l'évaluation des ressources tandis que le Royaume-Uni
et les Pays-Bas prévoient que les bénéficiaires ne devront
pas en principe avoir à recourir aux fonds publics ou sociaux pour
subvenir aux besoins de leur famille. En France, une instruction
complémentaire de la circulaire du 24 juin 1997 invite les
préfets à appliquer avec souplesse les conditions légales
de ressources pour l'évaluation desquelles seules les prestations
familiales ne sont pas prises en compte.
Quand la circulaire de 1997 organise le regroupement familial sur place, la
législation allemande exige, dans la plupart des cas, que la personne
demandant à être rejointe ait annoncé l'existence de son
lien conjugal lors de ses démarches pour obtenir son propre titre de
séjour.
L'Allemagne permet le regroupement des enfants mineurs s'ils ont moins de seize
ans et si les deux parents (sauf en cas de décès) résident
en situation régulière dans le pays. La circulaire de
régularisation prévoit l'autorisation de regroupement familial
pour les enfants de plus de seize ans et pour ceux nés d'une
précédente union dont l'autre parent réside à
l'étranger.
La législation contre l'
immigration clandestine
s'est
sensiblement durcie au cours des dernières années au Royaume-Uni
(incrimination de l'hébergement d'un étranger en situation
irrégulière), en Allemagne (incrimination de la tentative
d'entrée irrégulière), aux Pays-Bas (obligation de
vérifier la régularité du séjour de
l'étranger par consultation obligatoire du service des étrangers,
avant son immatriculation sociale, et renforcement des sanctions contre
l'emploi d'étrangers en situation irrégulière).
L'adhésion de l'Italie à " l'espace Schengen " a
conduit ce pays à adopter une législation lui permettant de
lutter plus efficacement contre l'immigration clandestine, notamment en
prévoyant de lourdes sanctions contre les " passeurs ".
Il convient toutefois de noter que, d'une manière plus
générale, le renforcement de la législation italienne (loi
du 6 mars 1998) ne pourra connaître d'application qu'après la
parution des décrets prévus.
Par ailleurs, l'opération de régularisation conduite en Italie,
quantitativement importante, concerne une immigration qui n'a pas tendance
à se fixer durablement dans le pays.
Dans le même temps, la France adopte une législation limitant
la répression des infractions liées au séjour
irrégulier et met en oeuvre une nouvelle opération de
régularisation qui, par son ampleur et sa médiatisation, est
susceptible d'orienter vers notre pays un flux d'immigration
irrégulière qui n'aura pas pu se fixer dans les pays
voisins.
b) Une singularité accentuée par la loi du 11 mai 1998 dite RESEDA
Deux
exemples pourront illustrer ce point.
La circulaire du 24 juin 1997 permet la régularisation des
étrangers qui peuvent invoquer des
risques vitaux
en cas de
retour dans leur pays d'origine, sans pour autant répondre aux
conditions pour bénéficier du statut de réfugié.
Cette ouverture trouve son prolongement dans l'article 36 de la loi du 11
mai 1998. Cette disposition autorise l'attribution d'un titre de
séjour à l'étranger qui établit que sa vie ou sa
liberté serait menacée dans son pays ou qu'il y serait
exposé à des traitements inhumains ou dégradants.
Ce que l'on qualifie d'asile territorial n'a pas attendu la circulaire de 1997
ou la loi de 1998 pour être mis en oeuvre. L'affichage voulu par ces
textes n'apporte donc pas de solutions nouvelles à des situations
difficiles.
En revanche,
l'inscription dans des textes d'une pratique déjà
admise comporte un risque sérieux d'appel d'air.
Toute personne vivant dans l'un des nombreux pays tourmentés par des
guerres ou des troubles de diverses natures pourra être tenté de
venir s'installer de préférence en France, espérant
obtenir un titre de séjour.
Le risque apparaît d'autant plus sérieux que
l'asile
territorial n'entrant pas dans le champ de la convention de Genève, la
France ne peut invoquer la convention de Schengen
relative à la
détermination de l'Etat responsable du traitement des demandes d'asile
à
l'encontre d'un demandeur d'asile territorial débouté
du statut de réfugié dans un autre pays membre.
En d'autres termes, la circulaire de 1997 n'a fait qu'engager un processus dont
les conséquences pourraient être plus nettement perçues
après la mise en oeuvre de la loi du 11 mai 1998.
De même, la circulaire permet en 1997 et 1998 la
régularisation
de très nombreuses personnes entrées
irrégulièrement sur le territoire
. Celles-ci se sont vues
délivrer une carte de séjour temporaire.
Certaines d'entre elles pourront très rapidement obtenir une carte de
résident (durée de validité de 10 ans) si elles
remplissent les autres conditions, puisque celle de l'entrée
régulière vient d'être supprimée par la nouvelle loi
pour l'attribution de cette carte de longue durée.
La loi du 11 mai 1998 se situe dans le prolongement de la circulaire. Elle
accentue l'effet d'appel
d'air puisque les étrangers clandestins
se verront, en l'espace de quelques années, reconnaître un droit
au séjour de longue durée.
Comment d'autres étrangers, informés de cette situation, ne
seraient-ils pas tentés, à leur tour, d'entrer
irrégulièrement en France, dans l'espoir de
bénéficier un jour du même traitement ?
2. Des conséquences sociales tardivement et insuffisamment évaluées
a) Un dispositif de suivi social mis en place avec retard
La
circulaire du 24 juin 1997 prévoit que
" les services sociaux
seront informés par les soins des préfets, afin qu'un suivi
adéquat des personnes et familles concernées par l'accès
au séjour soit effectué dans de bonnes conditions ".
Cette préoccupation est nouvelle : elle ne s'était pas
manifestée lors des précédentes régularisations.
Il est toutefois regrettable que cette procédure n'ait
été effectivement mise en place qu'à la fin de
l'année 1997, alors même qu'une partie non négligeable des
demandes à caractère familial (conjoints, enfants entrés
hors regroupement familial...) avait déjà donné lieu
à une décision favorable. En outre, ce suivi social a
été entrepris sans concertation véritable avec les autres
ministères intéressés.
Les modalités de ce suivi social ont été définies
par la circulaire n° 686 du 21 octobre 1997 du ministre de
l'Emploi et de la Solidarité, signée par M. Jean Gaeremynck,
Directeur de la population et des migrations, et adressée aux directions
régionales et départementales des affaires sanitaires et
sociales, ainsi que pour information au directeur de l'OMI.
L'OMI est chargé de la visite médicale que doivent passer les
bénéficiaires de la régularisation. Afin de ne pas
multiplier les démarches pour ceux-ci, le Gouvernement a
décidé de charger l'OMI d'effectuer, à cette occasion, un
entretien permettant d'examiner la situation sociale de ces personnes et
d'envisager les actions à mettre en oeuvre.
L'entretien avec les personnes régularisées est effectué
au moment de la visite médicale à l'OMI par des agents
recrutés et formés spécialement pour ce travail par
l'Office. Les agents remplissent à cette occasion un questionnaire
spécifique conçu pour l'opération de régularisation
11(
*
)
.
Ce document fait le point sur la situation des bénéficiaires et
recense les interventions à mener à bien pour chacun d'entre eux,
classées dans les rubriques suivantes : logement, sécurité
sociale, prestations familiales, santé, emploi, formation, cours de
français, alphabétisation, adaptation à la vie locale
(connaissance des transports en commun, démarches administratives,
connaissance des équipements du quartier...) et scolarité des
enfants.
L'OMI adresse, chaque semaine, les questionnaires relatifs aux
bénéficiaires résidant dans le département aux
directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS),
lesquelles les transmettent au service social qu'elles ont
désigné pour réaliser le suivi des
bénéficiaires. Il peut s'agir, selon le cas, des services sociaux
spécialisés (ASSFAM ou SSAE), s'ils sont présents dans le
département, du service social départemental ou d'associations
locales.
Les DDASS doivent tenir informé chaque mois le directeur de la
population et des migrations du suivi réalisé en remplissant un
tableau sommaire et en l'accompagnant d'un compte rendu qualitatif signalant
les problèmes éventuellement rencontrés dans sa mise en
oeuvre.
Le suivi social a pour objectif d'informer les personnes
régularisées de leurs droits et des prestations dont elles
peuvent bénéficier.
Même si, selon la circulaire du 21 octobre 1997,
" le
Gouvernement est très attaché à la mise en oeuvre de ce
suivi social qui doit jouer un rôle important dans le processus
d'intégration des personnes bénéficiaires de
l'accès au séjour ",
l'analyse des faits
révèle que
ce suivi social est de portée limitée
et n'a pas permis d'évaluer véritablement les conséquences
des régularisations sur les budgets sociaux.
b) Des conséquences sociales insuffisamment évaluées
1.- Une évaluation tardive
La
première évaluation des conséquences sociales des
régularisations n'a été réalisée que
grâce à l'insistance de la commission d'enquête.
Interrogé par la commission d'enquête, lors de son audition le 9
avril 1998, M. Jean Gaeremynck, Directeur de la population et des migrations au
ministère de l'Emploi et de la Solidarité a indiqué qu'il
n'était pas en mesure d'évaluer les répercussions des
régularisations sur l'emploi et les comptes de la protection sociale. Il
a été demandé des précisions complémentaires
dans les meilleurs délais.
La commission d'enquête n'a finalement pu obtenir ces informations que le
7 mai, à l'occasion de l'audition de la ministre de l'Emploi et de la
solidarité.
Il doit être constaté que ces
évaluations n'ont été réalisées qu'à
la demande expresse et insistante de la commission d'enquête.
Il est également préoccupant de constater que le ministère
de l'Emploi et de la Solidarité, pourtant partie prenante du dispositif
de régularisation, n'avait pas pris l'initiative de diligenter de
lui-même de telles études.
L'évaluation des
conséquences sociales de la régularisation de plus de 70.000
personnes ne figurait manifestement pas parmi les tâches prioritaires de
ses services.
2.- Une évaluation incomplète
Les
conséquences sociales des régularisations n'ont fait l'objet que
d'une évaluation incomplète.
Pourtant, la régularisation d'un nombre aussi important de personnes se
traduira nécessairement par des répercussions
considérables en matière d'emploi, de protection sociale, d'aide
sociale et de logement.
On peut en effet estimer que 70.000 à 80.000 personnes seront
régularisées. Ces personnes étaient auparavant en
situation irrégulière en France et ne bénéficiaient
que de droits sociaux extrêmement réduits.
Les
droits aux prestations sociales
des étrangers en situation
irrégulière
•
Les étrangers en situation irrégulière sur le
territoire français ne peuvent pas bénéficier des
prestations de sécurité sociale
Le bénéfice de prestations de sécurité sociale est
soumis à l'exigence de régularité du séjour des
étrangers, comme le prévoit l'article L. 115-6 du code de la
sécurité sociale introduit par la loi du 24 août 1993, qui
lie l'affiliation d'un étranger à un régime obligatoire de
sécurité sociale à la régularité de sa
situation en termes de séjour et de travail. Le code de la
sécurité sociale subordonne également l'attribution d'un
avantage d'invalidité ou de vieillesse à une personne de
nationalité étrangère à la condition de
régularité de son séjour (art. L.161-16-1 et L.161-18-1 du
code de la sécurité sociale).
Un étranger en situation
irrégulière se voit ainsi privé de toute
possibilité d'affiliation à un régime de
sécurité sociale
et ne peut dès lors
bénéficier des prestations d'assurance maladie, maternité
et décès, des prestations familiales, des avantages
d'invalidité, des avantages de vieillesse et des prestations d'assurance
veuvage.
En conséquence, les organismes de sécurité sociale qui
assurent l'affiliation, le versement des prestations ou le recouvrement des
cotisations sont tenus de vérifier lors de l'affiliation et
périodiquement que les assurés étrangers satisfont aux
conditions de régularité de leur séjour en France. La
vérification de la régularité du séjour peut
également être faite lors de la déclaration nominative
préalable à l'embauche à laquelle l'employeur doit
procéder.
Le principe de l'obligation de séjour régulier ne souffre qu'une
exception : les travailleurs étrangers ont droit, quelle que soit
leur situation sur le plan du séjour et du travail, aux prestations
d'accident du travail et de maladies professionnelles.
•
Les étrangers en situation irrégulière
peuvent bénéficier de certaines prestations d'aide sociale
L'article 186 du code de la famille et de l'aide sociale traite de
l'accès aux prestations d'aide sociale des étrangers
résidant en France, non bénéficiaires d'une convention
d'assistance sociale et médicale. Il a été
réécrit par l'article 38 de la loi du 24 août 1993. Une
circulaire ministérielle du 8 mai 1995 en a explicité les
modalités d'application.
Aux termes de ces dispositions, certaines prestations peuvent être
attribuées s'il y a résidence en France, sans
référence à une condition de régularité de
séjour. Il s'agit :
- des prestations d'aide sociale à l'enfance et de l'aide sociale dans
un centre d'hébergement et de réadaptation sociale, qui
correspondent à des situations de détresse sociale ;
- de l'aide médicale en cas de soins dispensés dans un
établissement de santé public et privé participant au
service public hospitalier ;
- de l'aide médicale à domicile sous condition de
résidence ininterrompue en métropole depuis au moins trois ans ;
- des allocations d'aide sociale aux personnes âgées et aux
infirmes, à condition d'avoir résidé en France de
façon ininterrompue depuis au moins quinze ans avant 70 ans. En fait, il
s'agit de l'allocation simple d'aide sociale aux personnes âgées
et de l'allocation représentative de services ménagers.
Il convient de rappeler que l'aide médicale est à la charge des
départements sauf pour les personnes dépourvues de
résidence stable, pour lesquelles elle est supportée par l'Etat.
La loi a également prévu qu'en cas de situation exceptionnelle,
le ministre pouvait déroger aux conditions d'accès à
l'aide médicale à domicile et à la condition de
régularité du séjour pour les prestations d'aide sociale
aux personnes âgées et aux handicapés. Les dépenses
sont alors à la charge de l'Etat.
Si les droits des étrangers en situation irrégulière aux
prestations sociales apparaissent donc très limités, il ressort
de surcroît que rares sont ceux qui demandent effectivement à
bénéficier des prestations d'aide sociale pour lesquelles la
condition de séjour régulier n'est pas exigée. Soucieuses
de ne pas être identifiées par l'administration, ces personnes
préfèrent rester dans la clandestinité.
Dans la pratique, les personnes en situation irrégulière ne
demandent donc que très exceptionnellement l'aide médicale. Elles
se font soigner à l'hôpital où elles donnent
généralement de fausses adresses. Le coût de leur
hospitalisation est alors supporté par l'assurance-maladie, au titre des
créances impayées.
La régularisation change radicalement la situation des personnes
régularisées puisqu'elle leur permet de bénéficier
de plein droit de l'essentiel des prestations sociales existantes.
Les droits aux prestations sociales des étrangers en situation
régulière sur le sol français sont en effet, pour
l'essentiel, identiques à ceux des personnes de nationalité
française. Avant la loi du 11 mai 1998 relative à l'entrée
et au séjour des étrangers en France et au droit d'asile, les
étrangers non ressortissants d'un Etat de l'Union européenne ou
d'un Etat ayant signé une convention bilatérale avec la France
étaient exclus du bénéfice de deux minima sociaux :
l'allocation aux adultes handicapés (AAH) et le minimum vieillesse.
L'article 42 de ladite loi a mis un terme à cette exception en ouvrant
aux étrangers en situation régulière le droit à ces
deux prestations.
Les personnes régularisées pourront faire valoir leurs droits aux
prestations sociales dès la notification de leur régularisation.
Elle y seront d'ailleurs incitées par le dispositif de suivi social
instauré par la circulaire du 24 juin 1997 qui vise
précisément à informer les étrangers
régularisés de leurs droits.
(a) Des incidences financières importantes sur les organismes de protection sociale
Devant
la commission d'enquête, Mme Martine Aubry, ministre de l'Emploi et de la
Solidarité, a affirmé, le 7 mai 1998, que les
régularisations
auraient un impact limité sur les comptes
sociaux
.
Elle se fondait sur une note réalisée par ses services analysant
les conséquences financières des régularisations pour les
organismes de protection sociale, note qui a été
communiquée à la commission d'enquête.
Pour les régimes de protection sociale, la régularisation
devrait se traduire essentiellement par une augmentation des dépenses
des branches famille et maladie.
Mme Martine Aubry a déclaré que les régularisations
entraîneraient un accroissement de 300 millions de francs des
dépenses d'assurance maladie en année pleine. Ce chiffre est
calculé à partir d'une hypothèse de régularisation
de la moitié des demandeurs et par référence à la
dépense moyenne annuelle des personnes appartenant aux mêmes
tranches d'âge que les régularisés.
Les études faites par l'OMI sur la composition des familles
régularisées et les données dont dispose la Caisse
nationale d'allocations familiales (CNAF) sur le montant moyen des prestations
familiales versées aux différentes catégories de familles
ont permis de faire une estimation du coût de la régularisation
pour les prestation familiales, les aides au logement et le RMI.
Mme Martine Aubry a ainsi évalué à 190 millions de
francs de dépenses supplémentaires l'impact des
régularisations sur les comptes de la CNAF, dont 27 millions de francs
pour le RMI
12(
*
)
.
Selon les propres évaluations du Gouvernement, on obtient donc un
total de dépenses supplémentaires en année pleine
estimé à près d'un demi-milliard de francs, ce qui est
loin d'être négligeable et justifie a posteriori les demandes
d'évaluation formulées par la commission d'enquête.
Si l'on raisonne par rapport à la somme totale des dépenses des
organismes de protection sociale, ce montant est très
limité ; comparé au solde des régimes de protection
sociale, il représente toutefois 4% du déficit attendu pour 1998
(12 milliards de francs).
Le solde final de l'opération de régularisation sera cependant
inférieur à ce chiffre dans la mesure où celle-ci devrait
se traduire également par une augmentation - impossible à
estimer aujourd'hui - des recettes liées aux cotisations sociales
acquittées par les étrangers régularisés occupant
désormais un emploi déclaré au lieu d'effectuer, pour
certains, un travail clandestin.
Les services du ministère de l'Emploi et de la Solidarité ont
étudié attentivement les conséquences financières
des régularisations sur les prestations familiales, l'assurance-maladie
et le RMI.
Toutefois, beaucoup de questions restent encore sans
réponse.
(b) Des conséquences encore inconnues sur la situation de l'emploi
En
ouvrant le droit à un emploi déclaré à plusieurs
dizaines de milliers de personnes, les régularisations
présentent
un risque d'aggravation du chômage
dans un
contexte déjà difficile.
Interrogé sur ce point par la commission d'enquête, lors de son
audition le 9 avril 1998, M. Jean Gaeremynck, Directeur de la population et des
migrations, a indiqué qu'il n'était pas en mesure
d'évaluer les répercussions des régularisations sur
l'emploi. Il a toutefois précisé que les questionnaires sociaux
serviraient, une fois l'opération achevée, à une
étude a posteriori permettant de mieux connaître la situation des
personnes régularisées au regard de l'emploi.
Les résultats seront certainement intéressants, mais connus
longtemps après l'achèvement de l'opération de
régularisation.
(c) Des répercussions probables sur les collectivités locales
La
régularisation est susceptible d'avoir des incidences multiples sur les
collectivités locales, incidences qui n'ont pas été
évaluées par le Gouvernement.
Elle générera inévitablement
une augmentation des
dépenses d'aide médicale
- dans la mesure où les
étrangers en situation irrégulière demandent rarement
à bénéficier de cette prestation - et une progression des
dépenses d'aide sociale pour les prestations accordées sous
condition de régularité de séjour.
Ces charges
supplémentaires pèseront principalement sur les
départements et sur les communes par le biais du contingent communal
d'aide sociale
.
La régularisation soulèvera également dans certains
départements de
difficiles problèmes de logement
, les
étrangers régularisés pouvant désormais formuler
des demandes de logements sociaux.
L'insertion de cette population régularisée risque de
s'avérer particulièrement complexe dans certains
départements, particulièrement la Seine-Saint-Denis en raison
tout à la fois de l'importance du nombre des étrangers
susceptibles de bénéficier d'une mesure de régularisation
et des difficultés propres au département.
Il doit être constaté qu'aucune disposition ne prévoit
l'information systématique des collectivités locales quant
à l'identité des personnes régularisées.
Les dépenses sociales des collectivités locales sont
déjà très lourdes. Celles-ci devront supporter, de
surcroît, les conséquences des régularisations
décidées par l'Etat seul.
Sur tous ces points, le questionnaire social aurait pu fournir un outil
intéressant d'analyse et de suivi permanent. Il est regrettable qu'il
n'est pas été systématiquement exploité pour
évaluer l'ensemble des conséquences sociales de
l'opération de régularisation.
Les conséquences sociales des régularisations soulèvent en
définitive beaucoup de questions qui restent encore sans réponse
et constituent par conséquent un élément
particulièrement préoccupant pour la commission
d'enquête.
II. L'ÉLOIGNEMENT DES ÉTRANGERS NON RÉGULARISÉS : UNE DIFFICULTÉ MAJEURE
A. UN ESPOIR DÉÇU : LA PROCÉDURE D'AIDE AU RETOUR
1. Les résultats incertains des précédents dispositifs d'aide au retour
a) Les mesures de portée générale
Depuis 1977, l'Office des migrations internationales (OMI) est chargé d'organiser le retour dans leur pays d'origine des étrangers en situation régulière ou irrégulière, grâce à des dispositifs qualifiés d'aides " à la réinsertion ".
Les
dispositifs d'aide au retour
avant la circulaire du 19 janvier 1998
•
La réinsertion des étrangers en situation
régulière
Le dispositif actuel d'aide à la réinsertion a été
créé par le décret n° 84-310 du 27 avril 1984,
abrogé et remplacé par le décret n° 87-844 du
16 octobre 1987. Les aides attribuées visent à favoriser la
réinstallation au pays d'origine des travailleurs qui le souhaitent
grâce à la réalisation d'un projet de réinsertion.
Les aides à la réinsertion, dont une partie est payée en
France et l'autre à l'étranger, se composent :
1.
- pour les travailleurs menacés de licenciement
économique lorsque l'employeur a conclu une convention avec l'OMI :
* de l'aide publique de l'Etat (aide au projet individuel de
réinsertion de 20.000 F à laquelle s'ajoutent des
indemnités forfaitaires de voyage et de
déménagement) ;
* de l'aide conventionnelle de l'assurance chômage (2/3 des droits
acquis) ;
* de l'aide de l'entreprise prévue par la convention (15.000 F
minimum).
2.
- pour les chômeurs indemnisés par le régime
d'assurance chômage depuis plus de 3 mois :
* de l'aide publique de l'Etat et de l'aide conventionnelle de
l'assurance chômage.
3.
- pour les travailleurs âgés de 45 ans minimum dont
l'employeur a conclu une convention spécifique prévoyant
l'allocation d'une rente :
* de l'aide publique de l'Etat et d'une rente-réinsertion qui leur est
versée jusqu'à 60 ans en application de l'arrêté du
7 décembre 1989.
•
La réinsertion des étrangers invités
à quitter le territoire
Depuis 1991, l'Office est chargé, en application de la circulaire
interministérielle du 14 août 1991, de la mise en oeuvre du
programme d'aide
à la réinsertion des étrangers non
autorisés à séjourner sur le territoire français et
auxquels une invitation à quitter le territoire a été
notifiée.
Avant la circulaire du 19 janvier 1998, le dispositif en vigueur
comprenait une aide de 1 000 F par adulte et de 300 F par enfant, la
prise en charge des frais de transport par avion et des bagages à
hauteur 40 kilos environ et un accompagnement social en France et dans le
pays de retour si l'Office y était implanté.
L'accompagnement social consiste à assister la personne candidate au
retour pour l'organisation de son départ. Cette assistance peut
concerner l'obtention des documents nécessaires au retour dans le pays
d'origine mais aussi une aide pour différentes démarches
administratives (clôtures de compte bancaire, recouvrement de
créances ou des cautions, vente de mobilier...).
•
Le rapatriement humanitaire
L'Office assure également le rapatriement dans son pays de tout
ressortissant étranger en situation de détresse sur le territoire
français (circulaire n° 92-21 du 14 septembre 1992).
Dans ce cas, l'aide de l'Office est similaire à celle offerte aux
étrangers invités à quitter le territoire
français.
b) Le Programme de Développement Local Migrations (PDLM)
Les étrangers qui souhaitent retourner définitivement dans leur pays d'origine peuvent en outre bénéficier d'un dispositif d'aide au retour intitulé Programme de Développement Local Migrations . Ce dispositif permet le financement et le suivi local du projet micro-économique présenté par le migrant.
La
genèse du Programme de Développement Local
Migrations
(PDLM)
A la
suite des différents accords bilatéraux signés avec le
Sénégal, le Mali et la Mauritanie en matière de
réinsertion, l'OMI avait déjà mis en oeuvre des programmes
spécifiques de réinsertion à Dakar, Bamako, Kayes et
Nouakchott grâce à ses implantations dans les trois pays
concernés. L'objectif était de faciliter l'intervention de
l'Office dans ces pays et de collaborer avec les autorités
administratives locales pour la réinsertion des migrants.
Des micro-projets économiques de réinsertion de migrants
souhaitant se réinstaller définitivement dans leur pays d'origine
ont pu être réalisés à partir de septembre 1991 par
l'affectation de crédits déconcentrés d'intervention (CDI)
par le ministère de la Coopération. L'expérience
s'étant révélée probante, le ministère de la
Coopération en collaboration avec la Direction des populations et des
migrations et l'OMI a décidé de mettre en place en janvier 1996
un programme plus élaboré pour le Sénégal, le Mali
et la Mauritanie : " le Programme de Développement Local
Migrations " (PDLM). Celui-ci conjugue le financement de micro-projets
présentés par des étrangers réinsérés
et le développement régional.
Mené à titre expérimental depuis deux ans dans ces trois
pays, le PDLM vise à associer l'aide à la réinsertion des
migrants et le développement économique. Le programme permet
ainsi de financer l'aide au démarrage d'un micro-projet
présenté par un migrant (pour un maximum de 24.000 F) et
d'assurer son suivi sur le terrain pour sa mise en oeuvre
opérationnelle.
Les premiers résultats ont incité à progresser dans cette
voie. Un protocole d'accord conclu le 10 décembre 1997 entre le
ministère de l'Emploi et de la Solidarité, le secrétariat
d'Etat à la Coopération et l'Office des migrations
internationales assure la continuité du PDLM à compter du 1er
janvier 1998. Le nouveau dispositif se caractérise par une
appréciation sur place de la viabilité du projet
présenté par le migrant et par une association des responsables
locaux à la décision finale. Ce programme est aujourd'hui
spécifique aux trois pays du bassin du fleuve
Sénégal.
c) Une mise en oeuvre modeste
L'aide au retour des étrangers invités
à
quitter le territoire français n'a concerné jusqu'ici qu'un
nombre très limité de personnes.
On a enregistré en moyenne entre 1.300 et 1.600 départs par an
depuis 1991 ; le chiffre maximal des départs n'a jamais
dépassé 2.000. Les chiffres fournis par l'OMI pour 1996 et 1997
(cf. tableau ci-après) confirment cet ordre de grandeur : 1.722
candidatures ont été acceptées en 1996 mais seules 1.443
personnes sont effectivement parties ; en 1997, le dispositif a connu une
nette diminution des candidatures acceptées (1.224) et des
départs effectifs (1.007).
Le dispositif semble bénéficier essentiellement aux
ressortissants roumains qui représentent exactement la moitié des
départs en 1996 et 1997.
Aide à la réinsertion des étrangers invités à quitter le territoire français (circulaire du 14 août 1991)
|
1996 |
1997 |
Candidatures acceptées |
1.722 |
1.224 |
Total
des départs
|
1.443*
|
1.007**
|
*
dont 725 roumains (624 bénéficiaires, 101 accompagnants)
** dont 509 roumains (485 bénéficiaires, 24 accompagnants)
S'agissant du PDLM, les résultats demeurent quantitativement
limités : à la fin 1997, 200 projets avaient
été initialisés au Mali et au Sénégal.
Les résultats obtenus par les dispositifs d'aide au retour existants
invitent à s'interroger sur l'efficacité réelle du nouveau
dispositif mis en place par la circulaire du 19 janvier 1998.
2. Les objectifs ambitieux de la circulaire du 19 janvier 1998
Emanant
à la fois des ministères de l'Emploi et de la Solidarité,
de l'Intérieur et des Affaires étrangères, la circulaire
du 19 janvier 1998 est réservée aux étrangers
invités à quitter le territoire français à la suite
du réexamen de leur situation en application de la circulaire du
ministère de l'Intérieur du 24 juin 1997.
Lors de son audition par la commission d'enquête, le 15 janvier 1998, M.
Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'Intérieur, avait
fixé d'emblée un objectif très ambitieux au nouveau
dispositif
" mis au point pour inciter au retour volontaire
une
proportion substantielle
des étrangers faisant l'objet d'une
décision de refus et, donc, invités à quitter la
France. "
Les moyens importants affectés par l'OMI à cette mission
témoignent
du volontarisme affichée par le Gouvernement.
Le budget 1998 de l'OMI repose sur l'hypothèse
de 10.000
bénéficiaires de l'aide au retour en 1998
dans le cadre de la
circulaire ministérielle du 19 janvier 1998. M. André Nutte,
Directeur de l'OMI, a déclaré devant la commission
d'enquête, lors de son audition le 26 février 1998, que son
ambition était naturellement de dépasser ce chiffre. Il a
ajouté que des crédits supplémentaires seraient
accordés si les prévisions initiales s'avéraient
insuffisantes en cours d'année.
Le coût moyen de l'aide au retour dans le cadre de la circulaire du 19
janvier 1998 s'élèverait à 11 000 F par demandeur.
L'OMI dispose aujourd'hui de 17 agents affectés dans les
différentes délégations régionales et
spécialement formés d'assurer le suivi de l'aide au retour. Si
l'on s'appuie, comme le fait l'OMI, sur une base de quatre dossiers par agent
et par jour, l'OMI est aujourd'hui en mesure de traiter 1.300 à
1.400 dossiers par mois, soit entre 15.000 et 17.000 dossiers par an.
L'OMI a de surcroît prévu de renforcer ce dispositif au fur et
à mesure de la montée en puissance de l'aide au retour
instituée par la circulaire du 19 janvier 1998. Le budget 1998 de
l'Office autorise ainsi à recruter 10 agents
supplémentaires, ce qui porterait l'effectif total affecté
à cette tâche à 27 agents, soit une capacité de
traitement de l'ordre de 2 000 dossiers par mois.
a) Un démarrage tardif
Les
évaluations du ministère de l'Intérieur étaient
connues depuis longtemps. Dans l'esprit du ministère, et pour des
raisons politiques évidentes, le traitement des situations
d'étrangers déboutés de leur demande s'avérait
délicat. L'aide au retour était un moyen sur lequel comptait le
ministre de l'Intérieur pour faciliter l'opération et encourager
les départs volontaires.
Dès le 15 janvier 1998, date de la première audition de M.
Jean-Pierre Chevènement par la commission d'enquête, voire
même avant, le Gouvernement pouvait s'attendre à devoir traiter la
situation d'environ
70 000
personnes non
régularisées.
Or à la même date, le nouveau dispositif d'aide à la
réinsertion des intéressés dans leur pays
n'était toujours pas en place
. Pour des raisons essentiellement
techniques, la circulaire prévoyant ce dispositif a pris un retard
certain.
Emanant des ministères de l'Emploi et de la Solidarité, de
l'Intérieur et des Affaires étrangères, elle a
été adressée aux préfets et au Directeur de
l'Office des migrations internationales (OMI)
le 19 janvier
(et publiée au
Journal officiel
du 24 janvier).
Le dispositif qu'elle prévoit en matière d'aide à la
réinsertion est en lien direct avec l'opération de
régularisation comme l'indique clairement son intitulé qui vise
"
l'aide à la réinsertion des étrangers
invités à quitter le territoire français à la suite
du réexamen de leur situation en application de la circulaire du
ministère de l'Intérieur du 24 juin 1997.
"
Force est donc de constater qu'il a fallu attendre
sept mois
à
compter du début de l'opération de régularisation pour que
soit définie une nouvelle procédure d'aide au retour à
l'intention des étrangers non régularisés.
Encore faut-il observer qu'au 24 janvier 1998, date de parution de la
circulaire au
Journal officiel
, le dispositif n'était
en rien
opérationnel
.
Lors de son audition par la commission d'enquête, le 26 février
1998, le Directeur de l'OMI a précisé que la notice de l'OMI
décrivant ce nouveau dispositif avait été publié
dix jours
après la parution de la circulaire du 19 janvier 1998.
Au cours de ses déplacements, la commission d'enquête a ainsi pu
constater qu'à la date du 9 février 1998 la préfecture des
Bouches-du-Rhône n'était pas encore en possession de ce document.
La préfecture du Rhône a pour sa part reçu la notice
d'information le 11 février 1998.
Le Directeur de l'OMI a reconnu devant la commission d'enquête que la
diffusion de cette notice avait pu être retardée dans certains
départements. Il a en outre indiqué que des négociations
étaient en cours entre l'OMI et certaines associations
afin d'aboutir
à une contractualisation.
Il a attribué aux arbitrages
ministériels la parution tardive de la circulaire.
Interrogé par votre rapporteur le 9 avril dernier,
M. Jean Gaeremynck, Directeur de la population et des migrations au
ministère de l'Emploi et de la Solidarité, a pour sa part
estimé devant la commission d'enquête que ce retard provenait des
difficultés à concevoir un dispositif d'aide au retour qui soit
réellement efficace. Il a considéré que ce retard n'avait
pas eu d'incidence significative pour les bénéficiaires
potentiels dans la mesure où les notifications de décisions
négatives étaient intervenues plusieurs mois après le
début de la procédure de régularisation.
Auditionnée le 7 mai 1998, Mme Martine Aubry, ministre de l'Emploi et de
la Solidarité, a expliqué ce retard par la volonté
d'instaurer un dispositif plus attractif et plus incitatif et par la
nécessité de négocier certains aspects de la
procédure avec les pays et les associations concernés. Elle a
considéré que ce retard n'avait pas été
préjudiciable aux personnes susceptibles de bénéficier de
l'aide à la réinsertion.
Quoi qu'il en soit des motifs de ce retard, force est de constater qu'il a
abouti à un
dysfonctionnement
dans le déroulement de
l'opération de régularisation.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'Intérieur, a
indiqué, le 15 janvier 1998, à la commission d'enquête
qu'au 31 décembre 1997,
15 391
décisions de
refus avaient été prises.
Or les préfectures qui ont pris ces décisions n'étaient
pas en mesure de proposer -en même temps qu'elles notifiaient la
décision de refus et invitaient l'intéressé à
quitter le territoire- le nouveau dispositif d'aide au retour.
Une circulaire du ministre de l'Intérieur adressée aux
préfets et en date du 24 septembre 1997 avait ainsi
précisé
" qu'en vertu de la circulaire du 14 août
1991
", l'étranger devait être informé, au moment
de l'envoi de l'invitation à quitter le territoire, de l'existence de la
procédure d'aide financière au retour gérée par
l'OMI "
selon les conditions en vigueur
", c'est à dire
celles
antérieures
à la circulaire du 19 janvier 1998.
Un télégramme du ministère de l'Intérieur aux
préfets, en date du 26 janvier 1998, a informé ces derniers
qu'une circulaire leur serait prochainement adressée
"
concernant les modalités particulières d'aide au retour
susceptible d'être attribuée aux
intéressés
".
La circulaire du 19 janvier 1998 a en définitive été
adressée aux préfets par le ministre de l'Intérieur par un
courrier en date du
27 janvier 1998
.
Le même courrier précisait qu'il conviendrait "
d'assurer
une bonne information des étrangers concernés sur les aides qui
leur sont offertes
". Il comprenait un nouveau modèle-type de
lettre de refus de séjour qui intégrait des précisions
relatives à cette aide au retour et qui se substituait au modèle
qui était joint à la circulaire du 24 septembre 1997.
Cette définition tardive d'un nouveau dispositif d'aide au retour,
applicable aux étrangers non régularisés, au milieu de
l'opération, semble avoir conduit à des pratiques diverses selon
les préfectures.
Devant la commission d'enquête, le préfet des
Bouches-du-Rhône, de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et
de la zone de Défense Sud, a indiqué, le 2 avril 1998, que les
invitations à quitter le territoire faisaient systématiquement
référence, avant la circulaire du 19 janvier 1998, à
l'aide au retour.
Le préfet de Seine-Saint-Denis a au contraire précisé que
les étrangers dont la régularisation avait été
refusée avant la publication de la circulaire du 19 janvier 1998
n'avaient bénéficié d'aucune information spécifique
de la part de la préfecture au sujet de l'aide au retour.
b) Les principes retenus
La
circulaire du 19 janvier 1998 complète et précise le dispositif
d'aide au retour et à la réinsertion dans le pays d'origine. Les
mesures qu'elle prévoit sont destinées aux étrangers
invités à quitter le territoire, après réexamen de
leur situation en application de la circulaire du 24 juin 1997. Sont
néanmoins exclus du champ de l'aide à la réinsertion les
étrangers à l'égard desquels a été pris un
arrêté préfectoral de reconduite à la
frontière (APRF), un arrêté ministériel d'expulsion
ou une mesure d'interdiction judiciaire du territoire. En outre, une
démarche personnelle de l'intéressé auprès de
l'OMI est requise.
L'accès à l'aide suppose également
un départ simultané du conjoint et des enfants mineurs de
dix-huit ans de l'étranger concerné, lorsque ces personnes
séjournent irrégulièrement sur le territoire
français. Le consentement exprès du conjoint est, dans ce cas,
requis. Enfin, ne peut bénéficier de ces aides l'étranger
qui a déjà bénéficié auparavant d'une aide
à la réinsertion.
Sous ces réserves, le nouveau dispositif est présenté
comme "
alternatif à la reconduite à la
frontière
". Il comprend deux volets : une assistance est
fournie à l'étranger pour préparer son départ et
établir un diagnostic personnel, familial et professionnel ; une
aide est donnée dans le pays de retour afin de permettre
l'élaboration d'un projet cohérent de réinsertion. Ces
deux volets comprennent une aide sociale, psychologique, administrative et
financière.
•
L'aide sociale et psychologique
doit être fournie au
cours d'entretiens avec un conseiller de l'OMI ou d'une association ayant
passé convention avec l'OMI, qui doivent permettre d'établir un
diagnostic personnel, familial et professionnel.
Au cours de ces entretiens, l'intéressé doit
bénéficier d'une information personnalisée sur les droits
sociaux acquis en France et sur la possibilité ou non de les
transférer dans le pays d'origine.
•
L'assistance administrative
doit permettre à
l'étranger de préparer son départ, notamment par
l'obtention des documents nécessaire au retour dans le pays d'origine,
mais aussi faciliter différentes démarches administratives
(clôture de compte bancaire, recouvrement de créances ou de
cautions, vente de mobilier...).
• L'aide matérielle et financière
se
concrétise par la prise en charge des frais de voyage pour le
bénéficiaire et, le cas échéant, son conjoint et
leurs enfants, depuis la ville de départ en France jusqu'à
l'aéroport d'arrivée du pays d'origine. S'y ajoute la prise en
charge d'un excédent de bagages dans la limite de 40 kilogrammes par
adulte et 10 kilogrammes par enfant.
L'aide matérielle et financière comprend, en outre, une
allocation de 4.500 francs pour chaque membre de la famille repartant,
âgé d'au moins dix-huit ans.
Cette somme est majorée de
900 francs par enfant mineur
. L'allocation est versée en deux
fois. Une moitié est versée en France au moment du
départ ; l'autre moitié dans le pays de retour, en monnaie
locale, à l'ambassade ou au consulat, deux mois après
l'arrivée.
Dans certains pays de retour, les aides peuvent concerner non seulement la
réinstallation des personnes mais aussi des projets économiques
de réinsertion.
L'OMI dispose, dans cet objectif, d'une délégation au Mali, au
Maroc, en Roumanie, en Tunisie et en Turquie, qui peut fournir, en accord avec
les autorités du pays, une aide aux personnes afin de faciliter leur
réinstallation. Dès l'arrivée dans le pays de retour, les
intéressés pourront bénéficier d'un accueil par
l'OMI, afin de procéder au suivi social des personnes rentrées et
de leurs familles, pendant une durée de
six mois
à
compter de l'arrivée dans le pays.
Si la situation personnelle et familiale le justifie, une aide de
première urgence, prise en charge par l'OMI, pourra leur être
accordée.
En outre, des aides spécifiques pourront financer des micro-projets
économiques portés par les intéressés, lorsqu'il
existe dans le pays un programme de développement local migrations
(PDLM). Ces projets économiques de réinsertion seront
sélectionnés sur place par des comités de pilotage
ad
hoc
et suivis pendant
un an
par des associations, des organisations
non gouvernementales, voire des bureaux d'études locaux
conventionnés par les ambassades et l'OMI.
• La circulaire précise les
procédures applicables
pour la mise en oeuvre de ce nouveau dispositif.
L'information sur les aides à la réinsertion s'effectue au moment
de la délivrance de l'invitation à quitter le territoire (IQF)
par la préfecture. Celle-ci, lorsqu'une IQF est remise à un
étranger, doit informer "
sans délai
" l'OMI au
moyen d'un formulaire type annexé à la circulaire, "
en
indiquant précisément la date à laquelle a
été notifiée l'IQF
".
L'intéressé dispose d'un délai
d'un mois
à
compter de la publication de la circulaire ou de la remise effective de l'IQF
pour demander une aide à la réinsertion. L'OMI doit informer la
préfecture du dépôt et de la recevabilité de la
demande.
Le dépôt d'une demande recevable
suspend l'IQF
pendant une
durée maximale de
deux mois
, afin de procéder à
l'instruction du dossier et de préparer le retour dans le pays d'origine.
En fonction des différentes situations susceptibles de se produire, la
préfecture doit, selon la circulaire, prendre les mesures suivantes :
1.
Soit,
un mois
après la notification de l'IQF, la
préfecture n'a pas été avertie par l'OMI du
dépôt d'une demande d'aide à la réinsertion faite
par l'étranger. Les "
procédures administratives
habituelles concernant le séjour sont applicables
".
2.
Soit, au plus tard à l'expiration du délai
d'un
mois
, la préfecture est informée par l'OMI du
dépôt d'une demande d'aide à la réinsertion. Dans ce
cas, elle doit surseoir à la reconduite, dans l'attente de l'issue de la
procédure d'instruction de la demande.
Par la suite,
trois
situations peuvent se présenter :
1.
L'OMI fait savoir à la préfecture que le dispositif
d'aide à la réinsertion
ne peut être appliqué
à la suite d'une décision défavorable ou d'un refus de
l'intéressé ou encore du fait que l'intéressé n'a
pas donné suite à sa demande. Dans ce cas, si le délai
d'un mois est expiré, "
les procédures administratives
habituelles concernant le séjour sont applicables
".
2.
Il en est de même si l'étranger ne s'est pas
présenté à la date fixée pour l'embarquement
à destination de son pays.
3.
L'OMI informe la préfecture que l'étranger a
effectivement quitté la France dans le cadre du dispositif d'aide
à la réinsertion. Le dossier est alors classé et, si un
arrêté de reconduite a été pris, il est
considéré comme exécuté et la personne est
radiée du fichier des personnes recherchées.
3. Une conséquence immédiate : la suspension des mesures de reconduite à la frontière
S'il ne
saurait être question de remettre en cause l'utilité d'un
dispositif d'aide au retour -et plus généralement de politiques
favorisant le développement des pays d'émigration- force est
d'observer que la définition tardive de nouvelles mesures au milieu de
l'opération de régularisation traduit l'embarras du Gouvernement
face au sort à réserver aux étrangers non
régularisés.
Ainsi, à la fermeté affichée s'oppose une
réalité bien différente qui s'est traduite
par la
suspension des mesures d'éloignement.
a) Une fermeté affichée
L'objectif de fermeté en matière d'immigration
irrégulière, affiché dès la déclaration de
politique générale du Premier ministre, le 19 juin 1997, a
été réaffirmé à plusieurs reprises.
Lors de sa première audition devant la commission d'enquête, le
15 janvier 1998, M. Jean-Pierre Chevènement a tenu à
souligner que la régularisation en cours n'avait pas un caractère
général mais qu'elle se fondait au contraire sur des
critères.
Répondant à votre rapporteur, il a alors affirmé que la
procédure de reconduite à la frontière serait
exécutée, même si l'aide au retour n'avait pas paru
suffisante aux intéressés.
Cette position a été confirmée à plusieurs reprises
par le ministre de l'Intérieur, en réponse à des questions
de parlementaires, que ce soit devant l'Assemblée nationale ou devant le
Sénat.
Cette fermeté apparaissait dans l'instruction donnée aux
préfets par la circulaire du 24 juin 1997, lorsque la
délivrance d'un titre de séjour ne semblerait pas possible, au vu
du dossier de l'intéressé, de prendre une décision
motivée de refus de séjour suivie d'une invitation à
quitter le territoire.
b) Une réalité très différente : le télégramme du 26 janvier 1998 suspend les mesures de reconduite à la frontière
Précisant la suite à donner au refus du
séjour,
la circulaire du 24 septembre 1997 adressée aux préfets
pouvait laisser penser que les procédures ordinaires seraient mises en
oeuvre pour l'éloignement du territoire des étrangers non
régularisés.
Elle spécifiait, en effet, que la décision était un
refus de séjour ordinaire
et qu'elle serait accompagnée
d'une invitation à quitter le territoire (IQF).
Telle est bien la procédure qui a été mise en oeuvre par
les préfectures, comme la commission d'enquête a pu le constater
au cours de ses déplacements.
La circulaire indiquait que même si l'étranger faisait
déjà l'objet d'un
arrêté préfectoral de
reconduite à la frontière
(APRF), il paraissait
préférable d'en prendre un nouveau au terme du délai de
l'IQF (soit un mois) à l'exception des cas où l'APRF
précédent serait très récent, où il serait
motivé par l'ordre public et où la demande de réexamen
aurait été introduite à l'occasion d'une interpellation.
Cependant, la même circulaire précisait aux préfets que
"
des instructions complémentaires vous seront
communiquées quant à la date à laquelle vous prendrez des
arrêtés de reconduite à la frontière à
l'égard des étrangers auxquels vous aurez notifié un refus
de séjour dans le cadre de la procédure de réexamen de la
circulaire du 24 juin 1997
".
Cette précision fait clairement ressortir que, dès cette date,
le Gouvernement n'avait pas l'intention de laisser les préfets prendre
des mesures de reconduite à la frontière à l'encontre des
étrangers non régularisés qui se seraient maintenus sur le
territoire au-delà du délai d'un mois imparti par l'IQF.
Cette interprétation est confirmée par les instructions
données aux préfets par un
télégramme du
26 janvier 1998
du ministère de l'Intérieur.
Ce télégramme indique, en effet, que par la circulaire du
24 septembre 1997, il a été demandé aux
préfets "
de différer la prise d'arrêtés de
reconduite à la frontière à l'égard des
étrangers auxquels un refus de séjour aura été
opposé à la suite d'un réexamen dans le cadre de la
circulaire du 24 juin 1997
".
Le même télégramme précise les dispositions qu'il
conviendra d'appliquer à l'égard de ces étrangers :
"
une circulaire conjointe du ministre de l'Emploi et de la
Solidarité, des Affaires étrangères et de
l'Intérieur vous sera prochainement adressée concernant les
modalités particulières d'aide au retour susceptibles
d'être attribuées aux intéressés.
"
Vous ne prendrez pas d'arrêté préfectoral de
reconduite
à la frontière
avant
l'expiration
d'un délai de
trois mois
à compter de la publication de
cette circulaire,
soit le 24 avril 1998
.
" Pour les refus de séjour et invitations à quitter le
territoire notifiées postérieurement à cette
réception, l'arrêté de reconduite à la
frontière pourra être pris et notifié à l'expiration
du délai légal d'un mois à compter du refus de
séjour, sans pouvoir intervenir cependant avant l'expiration du
délai de trois mois à compter de la publication de la circulaire
précitée
".
La commission d'enquête est donc conduite à faire plusieurs
constatations.
Entre le 24 septembre 1997 et le 26 janvier 1998, les préfets
n'ont pas disposé d'instructions précises quant à la date
à laquelle ils pourraient prendre des arrêtés de reconduite
à la frontière à l'encontre d'étrangers non
régularisés n'ayant pas quitté le territoire à
l'expiration du délai d'un mois à compter de la notification de
la décision de refus.
Or, au 31 décembre 1997,
15.391
décisions de
refus avaient déjà été prises.
Lors de ses différents déplacements dans les
préfectures, la commission d'enquête a pu observer
l'indétermination qui résultait nécessairement de cette
absence d'instructions quant à la mise en oeuvre des mesures
d'éloignement.
Cette situation s'est traduite par une incohérence majeure dans le
fonctionnement administratif.
En effet, le modèle-type de lettre notifiant la décision de refus
-annexé à la circulaire du 24 septembre 1997- contenait deux
alinéas libellés dans les termes suivants :
"
Dans ces conditions, vous êtes invité à prendre
vos dispositions pour quitter le territoire français dans le
délai d'un mois à compter de la notification de la
présente décision
.
"
Passé ce délai, si vous vous mainteniez sur le
territoire, vous seriez passible d'un arrêté de reconduite
à la frontière, conformément aux dispositions de
l'article 22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945
".
Ainsi, dans le même temps où elle demandait aux préfets
d'adresser aux étrangers non régularisés des lettres leur
spécifiant que s'ils se maintenaient sur le territoire au-delà du
délai d'un mois, ils seraient passibles d'un arrêté de
reconduite à la frontière
dans les conditions de droit
commun
, la circulaire du 24 septembre 1997 leur demandait de
différer
la prise de ces arrêtés sans leur donner de
précision sur la date à laquelle ils pourraient intervenir.
Dans ces conditions, entre le 24 septembre 1997 et le 26 janvier
1998, toutes les décisions de refus ont recelé cette
incohérence consistant à annoncer le risque d'une décision
administrative de reconduite, alors même qu'une telle décision
était écartée -au moins provisoirement- par les
instructions ministérielles.
A compter du 26 janvier 1998, les mesures de reconduite à la
frontière ont été purement et simplement
suspendues
jusqu'au 24 avril.
En conséquence, le Gouvernement a choisi la
voie aléatoire
de
privilégier la procédure d'aide au retour au
détriment des procédures de droit commun
permettant
d'éloigner du territoire des étrangers qui ont choisi de s'y
maintenir en toute illégalité.
Comme l'indique expressément la circulaire du 19 janvier 1998
relative à l'aide à la réinsertion, le dispositif qu'elle
prévoit "
est alternatif à la reconduite à la
frontière
".
Un tournant a été pris ce jour
là par le ministre de l'Intérieur.
Or, ce choix était aventureux à plusieurs égards :
- le bilan des précédents dispositifs d'aide au retour n'est pas
tel qu'il puisse garantir l'efficacité de cette procédure pour
assurer le retour dans le pays d'origine d'étrangers en situation
irrégulière ;
- rien ne permet d'indiquer que le nouveau dispositif aura un caractère
suffisamment novateur pour inverser la tendance ;
- ce report uniforme des mesures d'éloignement ne pourrait avoir pour
effet que de favoriser le maintien sur le territoire d'étrangers en
situation irrégulière qui n'ont pas pour autant l'intention de
solliciter l'aide au retour.
En choisissant de subordonner la reconduite à la frontière
à une procédure d'aide au retour, le Gouvernement a pris le
risque, en contradiction avec l'objet même de la régularisation,
de maintenir sur le territoire une forte immigration irrégulière,
désormais identifiée.
B. UN BILAN INQUIÉTANT : DES CLANDESTINS OFFICIELS
1. L'échec d'une politique ambitieuse : l'aide au retour
a) Les résultats décevants de l'expérience en cours
Il
apparaît, à l'examen des chiffres disponibles relatifs à
l'aide à la réinsertion des étrangers invités
à quitter le territoire à la suite du réexamen de leur
situation, que l'objectif de 10.000 bénéficiaires de l'aide au
retour, tel que défini par le Directeur de l'OMI le 26 février
1998 devant la commission d'enquête, n'a guère de chances
d'être atteint et a fortiori dépassé. On comprend
dès lors que les 17 agents de l'OMI chargés de l'aide au retour
ne soient pas uniquement affectés à cette tâche...
Au 30 avril 1998, les demandes d'information relatives à l'aide au
retour formulées auprès du numéro vert et des
délégation régionales de l'OMI se sont
élevées, de manière cumulée, à 2.515 depuis
le début de la procédure. Le chiffre mensuel croît
régulièrement (633 en février, 768 en mars et 992 en
avril)
mais reste très faible
par rapport au nombre de refus de
régularisations prononcés à cette date (45.982).
Seul 5,5% des personnes non régularisées et ayant fait l'objet
d'une IQF ont manifesté un intérêt pour la nouvelle forme
d'aide au retour.
Seuls 399 dossiers, portant sur 436 personnes, ont été
déposés, soit 0,9% des refus de régularisation.
Les demandes déposées concerne essentiellement des ressortissants
turcs (20,9%), algériens (11,9%), maliens (9,4%), marocains (7,8%) et
tunisiens (5,7%). Elles émanent pour moitié de l'Ile-de-France
avec, par ordre d'importance, la Seine-Saint-Denis (19,3% des demandes), le
Val-de-Marne (10,6%), les Hauts-de-Seine (8,9%), Paris (4,6%) et le Val-d'Oise
(4,4%).
Le total cumulé des départs effectifs s'élevait, au 30
avril 1998, à 194 personnes, soit 0,4% seulement du total des refus de
régularisation.
Certes, ce chiffre progresse quelque peu (19 dossiers pour 21 personnes en
février, 33 dossiers pour 37 personnes en mars, 109 dossiers pour 118
personnes en avril) mais reste véritablement très insuffisant par
rapport à la population potentiellement concernée.
Même si l'on tient compte du retard pris dans la procédure, il est
douteux que la nouvelle aide au retour concerne finalement plus de
2.000 personnes par an. Ce chiffre serait à peine supérieur
aux résultats enregistrés par l'ancienne forme d'aide au retour
depuis 1991.
Le bilan que l'on peut dresser à la date du 30 avril 1998, terme
théorique de l'opération de régularisation, est
simple : 5,5% des personnes non régularisées se sont
informées sur l'aide au retour, moins de 1% ont déposé un
dossier et 0,4% sont effectivement déjà parties.
Les chiffres sont éclairants : le nouveau dispositif d'aide au
retour n'aura qu'une action très marginale sur le nombre de personnes
non régularisées qui doivent quitter le territoire
français.
b) Les raisons pour lesquelles l'aide au retour ne peut constituer une solution au problème des personnes non régularisées
Cet
échec doit inciter à réfléchir aux raisons pour
lesquelles l'aide au retour ne peut être une solution à la
question du retour dans leur pays d'origine des personnes non
régularisées.
Plusieurs explications paraissent devoir être avancées.
• Tout d'abord,
la nouvelle aide au retour n'apparaît pas
fondamentalement différente de celle qui la précédait.
Même si le ministre de l'Intérieur a estimé, lors de son
audition par la commission d'enquête le 15 janvier 1998, que la nouvelle
aide à la réinsertion tenait
" compte des
réussites et des échecs des expériences
antérieures ",
force est de constater que la nouvelle aide
ressemble beaucoup à l'ancienne
. A l'exception du montant du
pécule financier qui a été augmenté, le reste des
améliorations apportées revêt une allure très
" cosmétique "...
• De plus,
le nouveau dispositif d'aide au retour n'a
été connu qu'à la fin du mois de janvier 1998, soit sept
mois après la circulaire du 24 juin 1997 et seulement trois mois avant
la fin théorique de l'opération de régularisation.
Ce retard a été préjudiciable aux résultats du
nouveau dispositif mis en place et aux rares personnes dont la
régularisation a été refusée avant l'entrée
en vigueur de la circulaire du 19 janvier 1998 et qui avaient
effectivement quitté la France à cette date.
Au nombre d'une
dizaine environ, ces personnes n'ont pu bénéficier que de l'aide
résultant du dispositif antérieur, datant de 1991. Le Directeur
de l'OMI a toutefois affirmé, lors de son audition par la commission
d'enquête, que ses services s'efforceraient de retrouver ces personnes
dans leur pays d'origine.
Il est assez paradoxal de constater que les personnes dont la
régularisation a été refusée avant le
19 janvier 1998 et qui n'avaient pas quitté le territoire, se
maintenant ainsi illégalement en France, ont pu, quant à elles,
bénéficier du nouveau dispositif d'aide au retour plus avantageux
que l'ancien.
•
L'aide au retour repose en outre sur le volontariat des
personnes concernées.
Elle est une possibilité offerte -et
non une obligation- pour les personnes invitées à quitter le
territoire. Elle ne peut donc convenir qu'à des personnes
désireuses de rentrer dans leur pays.
Or il apparaît que ces personnes sont très rares.
L'opération de régularisation a suscité des
espérances bien compréhensibles. Comme en témoignent les
associations que la commission d'enquête a auditionnées, l'annonce
d'un refus de régularisation est très mal acceptée des
demandeurs qui se considèrent comme des victimes. Ils s'efforcent de
tirer partie de toutes les voies de recours qui s'offrent à eux et ne
sont guère dans une disposition d'esprit propre à les inciter au
retour volontaire.
Selon certains représentants d'associations auditionnées par la
commission d'enquête, les demandeurs à qui la
régularisation a été refusée doivent au
préalable accomplir un " travail de deuil " de leur
présence en France et comprendre que leur avenir doit désormais
se jouer ailleurs.
•
La mauvaise articulation entre les délais offerts par
les recours et les délais de demande d'aide au retour compromet
fortement le dispositif.
En effet, les personnes non régularisées reçoivent une
invitation à quitter la France (IQF) qui les informe, d'une part, qu'il
leur est possible de bénéficier d'une aide à la
réinsertion en s'adressant avant la fin du délai d'un mois
à l'OMI, d'autre part, qu'ils disposent d'un délai de deux mois
pour former un recours gracieux, hiérarchique ou juridictionnel.
La coexistence de ces deux délais n'incite guère à
demander l'aide au retour, les demandeurs non régularisés
cherchant essentiellement à gagner du temps. En outre, beaucoup de
demandeurs considèrent que la demande d'une aide au retour est
incompatible avec un recours gracieux ou contentieux dans la mesure où
une telle demande pourrait fragiliser leur dossier. Il est en effet
psychologiquement difficile de contester une décision de refus de
régularisation tout en se préparant parallèlement à
rentrer dans son pays d'origine.
•
Dans la pratique, l'aide au retour repose sur une
collaboration active avec certaines associations avec qui l'OMI aura
passé une convention.
L'OMI attend beaucoup de cette collaboration
pour faire connaître et comprendre le nouveau dispositif aux populations
concernées.
L'aide que peuvent apporter ces associations est toutefois à
évaluer avec prudence.
Les finalités des associations - dont
beaucoup sont favorables à une régularisation de l'ensemble des
demandeurs - divergent très nettement des objectifs de l'OMI.
Dans les cas de refus de régularisation, les associations cherchent
davantage à aider les personnes concernées à former un
recours qu'à les inciter à quitter le territoire français.
Il est permis de s'interroger sur l'enthousiasme avec lequel elles vont faire
la promotion du dispositif d'aide au retour et sur l'efficacité
réelle de leur action dans ce domaine.
•
A ces raisons de fond, s'ajoutent des difficultés
administratives.
La circulaire du 19 janvier 1998 prévoit que les
préfectures sont tenues d'adresser sans délai à l'OMI un
double des notifications d'IQF envoyées aux intéressés.
Ces doubles permettent à l'OMI, lorsqu'il constate que
l'intéressé ne s'est pas présenté, d'envoyer au
bout de trois ou quatre semaines une lettre de relance effectués dans le
cadre de l'aide au retour rappelant l'aide que peut lui apporter l'OMI.
Parallèlement, l'OMI informe les préfectures des départs
de personnes auxquels il a contribué.
Or les transmissions par les préfectures des IQF à l'OMI ne
semblent pas se faire de manière très efficace
. A la date du
26 février 1998, soit plus d'un mois après la parution de la
circulaire relative à l'aide au retour, seules 2.000 notifications d'IQF
avaient été transmises à l'OMI. A cette date pourtant,
près de 30.000 refus de régularisations avaient
déjà été prononcés par les
préfectures.
On ne peut qu'être frappé du " fossé "
séparant, d'une part, 70.000 personnes non
régularisées qui doivent rentrer chez elles et, d'autre part, le
très petit nombre de personnes qui se sont jusqu'à présent
déclarées intéressées par l'aide au retour.
Sans condamner l'aide au retour - qui donne des résultats qualitatifs
intéressants - il convient de souligner que cette procédure ne
peut être en aucun cas une solution au problème soulevé par
la présence sur notre territoire de plus de 70.000 personnes non
régularisées qui devront repartir dans leur pays d'origine.
Comparée à cette population, l'aide au retour n'est qu'une goutte
d'eau dans l'océan.
c) Une relance par le codéveloppement ?
La
politique de codéveloppement trouve sa première expression dans
le Programme de Développement Local Migrations (PDLM).
Ce programme exige un suivi attentif et personnalisé et n'a donc pas
vocation à être un dispositif de masse. Il est
réservé à un petit nombre de personnes qui
présentent les qualités pour devenir des entrepreneurs locaux.
En 1998, le budget de l'OMI prévoit 4,4 millions de francs pour
financer le PDLM au Mali, au Sénégal et, le cas
échéant, en Roumanie. Ce montant permettrait de financer à
peu près 200 projets.
Le PDLM est donc un dispositif de
dimension modeste.
Le Gouvernement espère cependant beaucoup du concept de
codéveloppement initié par le PDLM. Décidé à
faire des expériences menées dans le cadre du PDLM une
véritable politique, il a créé, par le décret
n°98-314 du 24 avril 1998,
un délégué
interministériel au codéveloppement et aux migrations
internationales, placé auprès du ministre de l'Emploi et de la
Solidarité
. Selon l'article 2 du décret, ce
délégué
" est chargé de proposer des
orientations et des mesures visant au renforcement de la coopération de
la France avec les pays d'émigration en vue de convenir avec eux, dans
une perspective de codéveloppement, d'une meilleure maîtrise des
flux migratoires. "
M. Sami Naïr a été nommé délégué
interministériel au codéveloppement et aux migrations
internationales le 29 avril 1998, après avoir remis au Premier ministre,
le 10 décembre 1997, un " rapport d'étape "
consacré au codéveloppement que le Gouvernement avait
décidé de ne pas publier.
Cependant, dans un entretien accordé au journal
Le Monde
le 5 mai
dernier, M. Sami Naïr a repris certaines idées de son rapport. Il a
considéré que
" la mondialisation exacerbe les mouvements
migratoires et nous oblige à gérer plus souplement les
flux ".
Il a également déclaré :
" la politique de codéveloppement n'a pas pour vocation de
régler la question des sans-papiers, mais elle constitue une chance pour
eux. Les personnes invitées à quitter la France vont pouvoir
bénéficier de l'aide au projet. S'ils proposent de créer
une activité sérieuse, ils doivent pouvoir
bénéficier de stages de formation, d'un appui dans le pays
d'origine et même, pourquoi pas, de la possibilité
d'accéder à un visa de circulation avec la France. "
Mme Martine Aubry s'est désolidarisée de cette prise de position
en soulignant, devant la commission d'enquête, lors de son audition le 7
mai, que ces propos avaient été recueillis avant la nomination de
M. Sami Naïr et n'engageaient en rien le Gouvernement.
Mme Martine Aubry a précisé que le Gouvernement n'approuvait pas
l'ensemble des propos de M. Naïr ; elle a estimé qu'il ne convenait
pas d'organiser des flux migratoires temporaires sur une grande échelle
mais qu'il fallait faciliter le départ d'étrangers connaissant
des difficultés d'insertion en France et relancer la politique de
codéveloppement.
Pour votre commission,
la politique de codéveloppement est une
politique difficile et ambitieuse qui présente un aspect plus qualitatif
que quantitatif.
Elle suppose des projets minutieusement
préparés et donc en nombre limité.
Cette politique,
à encourager, repose sur une action de long terme ; elle ne
répond naturellement pas aux difficultés soulevées par
l'opération de régularisation.
2. Des mesures d'éloignement théoriques
a) La notification des décisions de refus
Au 30
avril 1998,
45 982
décisions de refus de régularisation
avaient été prises.
Selon les instructions
ministérielles résultant de la circulaire du 24 septembre
1997, la notification de la décision aux intéressés s'est
accompagnée d'une invitation à quitter le territoire
français (IQF) dans un délai d'
un mois.
Un décalage a été souvent constaté entre la
décision de refus et la notification de cette décision. Les
fonctionnaires chargés de l'opération de régularisation
ont, en effet, été très mobilisés pour les
entretiens individuels et le traitement des dossiers.
Il en a
résulté un report du décompte du délai
d'un
mois
accordé aux intéressés pour quitter le territoire
qui court à compter de la notification de la décision de refus et
non de la décision elle-même.
b) Des recours systématiques
Ces
décisions de refus ont pu faire l'objet de
recours gracieux
(qui
s'exercent auprès de l'autorité même qui a pris la
décision), hiérarchique ou contentieux.
Devant la commission d'enquête, le 7 mai, M. Jean-Marie Delarue,
Directeur des libertés publiques et des affaires juridiques a
indiqué que le taux des
recours gracieux
serait supérieur
à celui habituellement constaté de 20 %.
Au 30 avril, l'administration centrale avait été saisie d'environ
7 000
recours hiérarchiques.
Mais le nombre
total de ces recours à l'issue de l'opération sera beaucoup plus
important. Selon M. Jean-Marie Delarue, il pourrait atteindre entre 20 000 et
50 000.
Les associations ont pu apporter leur concours à la préparation
de ces recours. Devant la commission d'enquête, M. François
Martini, membre permanent du Groupement d'information et de soutien des
travailleurs immigrés (GISTI) a indiqué, le 23 avril 1998, que
sur un peu plus de 300 personnes reçues, lors de permanences
spécifiques, environ 200 avaient été aidées par le
GISTI à constituer des dossiers de recours hiérarchiques ou
gracieux, recours signés par l'association et par
l'intéressé.
M. François Martini a constaté que les personnes qui avaient fait
l'objet d'un refus de régularisation étaient beaucoup plus
animées par la volonté de former un recours contre cette
décision que véritablement intéressées par le
dispositif d'aide au retour. Sur les 300 personnes reçues par le GISTI
(dont 65% étaient des étrangers sans charge de famille) et qui se
sont vues refuser la régularisation, une seule s'est enquise des
modalités d'aide au retour.
Mme Claire Rodier, également membre permanent du GISTI, a fait valoir
qu'il était paradoxal d'offrir simultanément un délai d'un
mois pour la demande d'aide au retour et un délai de deux mois pour le
recours gracieux. Elle a jugé que les personnes concernées
n'envisageraient la demande d'une aide au retour qu'après le refus des
recours qu'elles auraient déposés.
Elle a considéré que les recours les plus recevables portaient
sur des questions d'asile territorial et sur des situations familiales qui ne
coïncidaient pas exactement avec les dispositions de la circulaire. Sur
les 16 recours gracieux formés par le GISTI, 8 avaient fait l'objet
d'une réponse positive.
Les
recours hiérarchiques
s'appuient le plus souvent soit sur des
éléments qui n'auraient pas été pris en
considération lors de l'instruction de la demande, soit sur des faits
nouveaux.
L'examen de ces recours doit, selon les informations données à la
commission d'enquête par M. Jean-Pierre Chevènement, ministre
de l'Intérieur, le 12 mai 1998, permettre de prendre en compte les
éléments intéressant la situation des pays d'origine des
demandeurs et de corriger certaines inégalités de traitement
entre les préfectures.
M. Jean-Marie Delarue a précisé que, faute d'apporter la preuve
d'éléments nouveaux ou non pris en considération, les
recours hiérarchiques feraient l'objet d'un rejet implicite à
l'issue du délai de
quatre mois.
Il a évalué
à environ 20 % le nombre de recours gracieux ou hiérarchiques qui
pourraient être satisfaits.
Lors de ses déplacements, la commission d'enquête a
constaté que certaines préfectures avaient décidé,
pour des raisons matérielles, de ne pas prendre de décisions
expresses concernant les recours gracieux et donc de laisser expirer
systématiquement le délai de
quatre mois
au terme duquel
une décision implicite de rejet intervient.
S'agissant des
recours contentieux,
Me Christian Bruschi,
représentant de la Conférence des Bâtonniers a
indiqué devant la commission d'enquête, le 23 avril 1998, que les
cabinets d'avocats étaient assez sollicités en particulier par
les étrangers sans charge de famille en France qui représentent
selon lui environ 80% des refus.
Pour les autres recours, Me Christian Bruschi a précisé qu'ils
s'appuyaient essentiellement sur l'article 8 de la Convention européenne
de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales,
relatif au droit à une vie familiale normale.
Force est d'observer que, sauf erreur manifeste d'appréciation, ces
recours auront peu de chance de prospérer, la circulaire du 24 juin 1997
n'ayant pas de caractère réglementaire et ne pouvant donc
être utilement invoquée à l'appui d'un recours.
Devant la commission d'enquête, Me Christian Bruschi a
considéré que le résultat des procédures gracieuse
ou contentieuses ne devrait pas modifier sensiblement le pourcentage des
demandeurs qui bénéficieraient d'une régularisation.
En toute hypothèse, conformément aux règles de droit
commun, ces recours n'ont pas un caractère suspensif.
c) Le " gel " des arrêtés de reconduite à la frontière
1.- Avant le 24 avril 1998
Des
instructions ministérielles précises ont invité les
préfets à suspendre les reconduites à la frontière
jusqu'au 24 avril. C'est pourquoi
aucun arrêté
préfectoral de reconduite à la frontière n'est intervenu
avant cette date.
Ainsi, pendant les dix premiers mois de l'opération de
régularisation, les préfets ont été privés,
sur instruction ministérielle, des moyens d'assurer, si
nécessaire, l'éloignement des étrangers non
régularisés qui ne se seraient pas conformés à
l'invitation à quitter le territoire leur ayant été
notifiée.
La définition d'une nouvelle procédure d'aide au retour
ne
saurait suffire
à justifier cette
suspension de mesures
administratives
ne visant que les seuls étrangers ayant choisi de se
placer en dehors de la légalité en dépit des
avertissements qu'ils avaient pu recevoir de la part des autorités
administratives.
Ce choix produit des effets d'autant plus négatifs qu'il peut conforter
chez les intéressés un sentiment d'" impunité ",
l'administration se privant elle-même des moyens de faire appliquer la
loi.
2.- Après le 24 avril 1998
D'après les informations communiquées à la
commission d'enquête, aucune instruction particulière n'a
été prise à la suite de celle tendant à
différer jusqu'au 24 avril 1998 l'exécution des mesures
d'éloignement du territoire à l'encontre des étrangers non
régularisés.
Sans doute, depuis cette date, des arrêtés de reconduite à
la frontière ont donc pu être pris par les préfets.
Cependant, de manière surprenante, le ministère de
l'Intérieur ne semble pas s'être doté des moyens
d'information -pourtant simples à concevoir- lui permettant d'identifier
les éventuels arrêtés de reconduite concernant des
étrangers non régularisés.
L'absence
de statistiques sur les mesures d'éloignement
intéressant des
étrangers non régularisés
Devant
la commission d'enquête, M. Jean-Marie Delarue, Directeur des
libertés publiques et des affaires juridiques, a ainsi
déclaré, le 7 mai, ne pas savoir si de tels arrêtés
avaient été effectivement exécutés depuis le 24
avril 1998 à l'encontre d'étrangers non régularisés
dans le cadre de la circulaire du 24 juin 1997. Il a affirmé ne pas
être en mesure de distinguer parmi les arrêtés ceux qui
concernaient ces derniers de ceux intéressant d'autres étrangers
en situation irrégulière. Il a souligné que
l'éloignement des étrangers non régularisés se
ferait dans des conditions comparables à celles concernant les autres
étrangers en situation irrégulière, à savoir
à la suite d'interpellations sur la voie publique.
Le ministre de l'Intérieur a pour sa part précisé à
la commission d'enquête, le 12 mai,
qu'aucune instruction ne serait
donnée aux préfets pour établir des statistiques
spécifiques sur les étrangers non régularisés qui
auront été reconduits à la frontière.
Cette absence d'informations spécifiques concernant l'éloignement
d'étrangers non régularisés dénote à tout le
moins une faible motivation du Gouvernement pour mettre en pratique l'objectif
de fermeté qu'il a souhaité afficher.
Cette faible motivation est confirmée par l'absence de réflexion
spécifique sur les difficultés qui pourraient se présenter
pour s'assurer du départ effectif du territoire de quelque 70 000
personnes n'ayant pas satisfait aux critères de
régularisation.
C. COMMENT FAIRE RESPECTER LES DÉCISIONS D'ÉLOIGNEMENT PRISES EN APPLICATION DE LA LOI?
1. Un cadre juridique particulièrement inadapté
Les
difficultés pour une mise en oeuvre effective des mesures
d'éloignement existent en France indépendamment du contexte
particulier créé par l'application de la circulaire du 24 juin
1997.
Elles tiennent, en premier lieu, à un
cadre juridique
inadéquat.
Ces difficultés juridiques ayant été parfaitement mises en
lumière par M. Paul Masson, dans ses deux rapports établis, au
nom de la commission des Lois, sur les lois du 24 avril 1997 (n° 200,
1996-1997) et du 11 mai 1998 (n° 224, 1997-1998), il n'est pas
nécessaire de les développer à nouveau longuement dans le
cadre du présent rapport.
On soulignera cependant
l'exiguïté du délai de la
rétention administrative
, cause principale des difficultés
rencontrées par les services chargés de l'éloignement, qui
sont confrontés à des étrangers ayant détruit leurs
documents de voyage. Comme l'a relevé M. Paul Masson dans ses rapports
précités, de tels délais sont
uniques en Europe
.
Nos voisins européens, tout aussi soucieux que nous du respect des
droits fondamentaux de la personne humaine, n'hésitent pas à
prévoir une rétention des intéressés pendant des
délais beaucoup plus longs (six à douze mois en Allemagne) voire
sans limitation de durée (au Royaume-Uni).
Cette distorsion des règles en vigueur dans les différents
Etats de l'Union européenne mérite d'être à nouveau
soulignée à l'approche de débats sur la révision
constitutionnelle rendue nécessaire par la ratification du traité
d'Amsterdam, lequel fixe la perspective d'une harmonisation des
législations en matière d'immigration, sous l'égide de la
Commission européenne.
2. Des difficultés pratiques importantes : les reconduites par voie aérienne
La
décision du ministre de l'Intérieur de suspendre toute mesure de
reconduite à la frontière d'étrangers non
régularisés
jusqu'au 24 avril 1998
ainsi que
l'absence surprenante de statistiques particulières sur les reconduites
qui auraient été opérées depuis cette date,
l'absence également de dispositif spécifique pour effectuer ces
reconduites tendraient à prouver que le Gouvernement n'a aucune
intention d'accélérer le processus de retour administratif dans
les pays d'émigration.
Car, les difficultés pratiques pour mener à bien les mesures de
reconduites à la frontière existent et s'accroissent. La
perspective de la présence répertoriée de quelque
70.000
étrangers en situation irrégulière aurait pu
justifier, de manière urgente, une réflexion sur les
difficultés susceptibles de se présenter pour éloigner
ceux d'entre eux qui ne se seraient pas conformés à l'invitation
à quitter le territoire dont ils avaient reçu notification. Il
n'en a rien été.
La commission d'enquête a pour sa part considéré qu'il
était dans sa mission d'examiner et de rendre compte au Sénat des
difficultés dont elle aurait eu connaissance à ce sujet.
Même si ces difficultés -compte tenu des décisions
gouvernementales rappelées ci-dessus- n'ont pas concerné des
étrangers non régularisés, il n'en demeure pas moins
qu'elles constituent des informations essentielles quant à la
façon dont des mesures de reconduites à la frontière les
concernant pourraient être exécutées.
Au cours de sa mission, la commission d'enquête a eu connaissance de
plusieurs
incidents sérieux
qui se sont déroulés
à l'aéroport de Roissy-Charles de Gaulle à la fin du mois
de mars et au début du mois d'avril 1998.
Les
incidents survenus
à l'aéroport Roissy - Charles de
Gaulle
entre le 26 mars et le 7 avril 1998
Sur la
base des rapports établis par le service du contrôle de
l'immigration, dont votre rapporteur a demandé la communication, ces
incidents peuvent être relatés comme suit :
Jeudi 26 mars 1998
: 9 ressortissants maliens interpellés lors
d'occupations d'églises devaient être reconduits dans leur pays,
sous escorte de 18 fonctionnaires, par un vol d'Air Afrique.
A cette occasion, 30 à 50 militants des " comités
anti-expulsions " et de l'association " Jeunes contre le racisme en
Europe " se sont rassemblés afin de perturber le départ des
reconduits. Durant toute la matinée, jusqu'à 14 h 30, 6 ou
7 militants se sont sporadiquement manifestés sur les
aérogares pour distribuer aux passagers empruntant les vols à
destination de l'Afrique des tracts les appelant à s'opposer à
ces procédures. A partir de 14 h 30, le groupe de manifestants,
renforcé de quelques unités, s'est positionné devant les
banques d'enregistrement du vol.
Les 9 ressortissants maliens ont été embarqués sans
menottes (à la demande du commandant de bord). Ceux-ci s'étant
rebellés " dans un ensemble concerté ", le recours
à la force a dû être utilisé pour les menotter et les
maintenir sur leurs sièges. Cette intervention rendue houleuse par le
comportement des intéressés a duré 30 minutes, en
présence du commandant de bord. Les passagers ont alors pu embarquer
sans difficulté. Ceux d'entre eux situés dans les
dernières rangées avant la zone " tampon " ont
manifesté une certaine inquiétude devant les cris lancés
par les " éloignés ". Après l'intervention du
commandant de bord pour convaincre les passagers de gagner leurs sièges,
la situation étant restée stationnaire, le départ a
été décidé dans ces conditions vers 15 h 50.
L'avion a effectivement décollé à 16 h 09.
Vendredi 27 mars
: 5 étrangers reconduits à la
frontière (4 Maliens et 1 Guinéen) escortés de 8
fonctionnaires devaient être embarqués sur un vol d'Air France
à destination de Bamako.
Une cinquantaine de militants des " comités anti-expulsion "
et de l'association " Jeunes contre le racisme en Europe " se sont
rassemblés plus particulièrement devant la banque
d'enregistrement du vol et ont procédé à une brève
distribution de tracts.
A 10 h 30, les premiers passagers ont embarqué. L'escalier mobile pour
l'escorte a été mis en place à 10 h 50, soit 10 minutes
avant le départ du vol. L'embarquement des étrangers reconduits a
alors été immédiatement lancé. La situation a
dégénéré au moment de l'installation sur les
sièges. Dans l'altercation, un siège a été
cassé. En accord avec le commandant de bord -présent avec son
chef de cabine tout au long de l'altercation- il a alors été
décidé de débarquer les étrangers reconduits et
leur escorte.
Samedi 28 mars
: 12 ressortissants maliens sous escorte devaient
être reconduits à destination de Bamako, par un vol d'Air Afrique.
Une vingtaine de militants des " comités anti-expulsion " et
de l'association " Jeunes contre le racisme en Europe " se sont
rassemblés près de la banque d'enregistrement du vol et de celle
de la compagnie Air Afrique. Ils ont procédé à des
distributions de tracts, interpellant les passagers sur la présence dans
l'avion d'étrangers reconduits sous escorte policière. Pendant
l'enregistrement du vol, les manifestants ont demandé aux passagers de
protester contre cette présence auprès du personnel navigant et
du commandant de bord.
A 15 heures 15, les étrangers reconduits ont été
embarqués, l'escorte ayant été
prépositionnée dans l'appareil. Malgré la
résistance des intéressés, tous étaient
maîtrisés sur leur siège après vingt minutes. Vers
15 heures 45, l'embarquement des passagers a commencé. Une
quinzaine d'entre eux ont alors refusé de monter à bord en raison
de la présence d'étrangers reconduits.
Après avoir en définitive accepté de monter à bord,
ils ont, à l'intérieur de l'avion, refusé de s'asseoir,
empêchant certains passagers de prendre place et bloquant ainsi le
départ du vol. Le commandant de bord et le chef d'escale ont alors
décidé de demander à tous les passagers de
débarquer, le départ étant impossible si certains
passagers ne respectaient pas les règles de sécurité
(position assise et ceinture attachée). Les 12 ressortissants
maliens ont été placés en garde à vue et ont fait
l'objet de procédures judiciaires sur le fondement de l'article 27
de l'ordonnance du 2 novembre 1945 (délit de soustraction
à une mesure d'éloignement). Ils ont comparu, le
lundi 30 mars, devant le tribunal de grande instance de Bobigny.
Mardi 31 mars
: Des déplacements de militants des
" comités anti-expulsion " près des banques
d'enregistrement du vol Air France à destination de Bamako-Conakry et
d'Air Afrique à destination de Casablanca-Dakar sont signalés.
Les manifestants se sont entretenus avec quelques passagers en attendant la
clôture du vol. Aucune reconduite à la frontière
n'était programmée sur ces vols.
Mercredi 1er avril
: 7 ressortissants maliens devaient être
reconduits à destination de Bamako, sous escorte, par un vol d'Air
France, en exécution de mesures d'interdiction du territoire et
d'arrêtés de reconduite à la frontière.
Des militants des " comités anti-expulsion " et de
l'association " Jeunes contre le racisme en Europe " se sont rendus
par petits groupes aux abords des banques d'enregistrement du vol pour inciter
les passagers à "
s'opposer par tous les moyens à cette
opération
". 26 manifestants ont été
interpellés et ont fait l'objet d'un contrôle d'identité.
Jeudi 2 avril
: 3 ressortissants maliens faisant l'objet d'une mesure
d'éloignement devaient être reconduits vers Bamako,
escortés par 6 fonctionnaires, à bord d'un vol d'Air Afrique.
A l'instar des jours précédents, une vingtaine de militants des
" comités anti-expulsion " et de l'association " Jeunes
contre le racisme en Europe " se sont rassemblés devant les banques
d'enregistrement du vol concerné et ont entrepris une distribution de
tracts incitant les passagers à "
s'opposer par tous les
moyens
" à cette opération. 7 manifestants
interpellés ont fait l'objet d'une procédure pour provocation
directe à la rébellion (article 433-10 du code pénal).
Les étrangers reconduits ont été embarqués à
11 heures 35. A 11 heures 50, les passagers ont
commencé à embarquer. Certains passagers ont alors refusé
de s'asseoir tant que leur exigence que les étrangers reconduits soient
débarqués ne serait pas satisfaite. Après
débarquement de l'ensemble des passagers, 9 d'entre eux ont
été interpellés et ont fait l'objet d'une procédure
pour complicité d'aide au séjour irrégulier et outrage.
Les autres passagers ont alors été de nouveau embarqués,
dans le calme, et l'appareil a pu décoller, sans autre incident,
à 14 heures 31 avec les 3 étrangers reconduits et leur escorte.
Lundi 6 avril
: A l'appel de l'association " Droits devant ",
une centaine de militants de diverses associations, organisations politiques et
syndicales se sont rassemblés devant les banques d'enregistrement du vol
Air France à destination de Bamako. A cette occasion, divers
médias sollicités par les organisateurs pour couvrir ce
rassemblement étaient présents. Le porte-parole de l'association
" Droits devant " a retenu deux idées principales des
différentes interventions : l'organisation d'un nouveau rassemblement le
même jour devant le siège d'Aéroports de Paris et la
création d'une " brigade de casques blancs de surveillance "
chargée d'assister tous les jours à l'aéroport au
départ des vols transportant des étrangers reconduits
A la suite de ces différents incidents, la compagnie
Air France
a
décidé d'adopter, à compter du 3 avril, les mesures
suivantes à l'égard des reconduites d'étrangers
frappés d'une mesure d'éloignement :
- embargo total concernant les reconduites effectuées sur la ligne
Paris-Bamako ;
- acceptation d'un seul reconduit par vol impérativement
accompagné de deux fonctionnaires d'escorte sur toutes les autres
destinations intérieures ou internationales.
La compagnie
Air Afrique
a adopté les mêmes mesures
également à compter du 3 avril.
Cette décision des deux compagnies aériennes a été
portée à la connaissance des préfectures, le 3 avril, par
la DICCILEC.
Afin d'être en mesure d'informer complètement le Sénat, la
commission d'enquête a souhaité avoir des précisions sur
les relations qui ont été établies entre la compagnie Air
France et le ministère de l'Intérieur pour les reconduites par
voie aérienne d'étrangers faisant l'objet d'une mesure
d'éloignement.
C'est une
convention signée le 15 septembre 1994
qui
définit précisément les procédures applicables et
les modalités d'accompagnement lors des reconduites. Cette convention
est renouvelable chaque année par tacite reconduction.
Elle prévoit pour les avions gros porteurs deux fonctionnaires d'escorte
pour 4 à 6 reconduits, 3 fonctionnaires pour 7 à 9 reconduits et
4 fonctionnaires pour 10 à 12 reconduits.
Ces normes d'encadrement peuvent néanmoins être adaptées en
fonction des circonstances. Ainsi, les services de police peuvent
décider de renforcer les effectifs d'escorte présents sur
certains vols. De même, les incidents survenus, le 1er avril 1998,
à l'arrivée d'un vol d'Air France à Bamako, n'ont pu
être maîtrisés qu'avec le renfort de 3 agents de
sécurité d'Air France présents sur le vol et venus appuyer
les 16 fonctionnaires de police en charge de 7 étrangers reconduits.
A la suite de trois réunions tenues les 6, 10 et 22 avril 1998, des
mesures transitoires
ont été arrêtées par Air
France et le ministère de l'Intérieur. Prévues pour
s'appliquer pendant une durée de
six mois
, elles doivent faire
l'objet de réunions mensuelles destinées à envisager leur
maintien ou leur suppression. Elles sont entrées en vigueur depuis le
lundi 27 avril.
Ces mesures transitoires prévoient qu'à destination de Bamako,
un seul étranger reconduit sera accepté sur un même vol,
avec quatre agents d'escorte.
A destination des autres pays d'Afrique (à l'exception du Maghreb) et de
la Chine un étranger reconduit sera accompagné de deux agents
d'escorte. Six agents d'escorte seront requis pour deux étrangers
reconduits et neuf pour trois étrangers reconduits. Pour les autres
destinations y compris le Maghreb, deux agents d'escorte seront prévus
pour un étranger reconduit, cinq agents pour deux étrangers
reconduits et sept pour trois étrangers reconduits.
Sur l'ensemble des destinations, deux étrangers reconduits sans escorte
seront admis par vol. A destination de Cayenne et Haïti, trois
étrangers sans escorte seront admis.
Ces mesures transitoires prévoient également que ne pourront plus
être embarqués sur un même vol des étrangers
reconduits sans escorte et des étrangers reconduits avec escorte.
Ces constatations conduisent la commission d'enquête à formuler
deux séries d'observations qui concernent, d'une part, la
nature des
difficultés
rencontrées pour mener à bien les
reconduites par voie aérienne et, d'autre part, les
conséquences
qu'il convient d'en tirer.
• S'agissant de la
nature des difficultés
rencontrées
, il convient tout d'abord d'observer qu'elles concernent
essentiellement quelques destinations : le Mali, le Zaïre pour lequel Air
France n'assure pas actuellement de vol, le Congo et la Chine.
Des incidents peuvent se produire principalement au décollage et
à l'atterrissage de l'avion. Les témoignages devant la commission
d'enquête de commandants de bord d'Air France ont mis en évidence
les conséquences graves qui pourraient résulter pour la
sécurité même du vol de certains comportements à
l'intérieur de l'avion.
Les conditions pratiques des reconduites : une mise au point nécessaire
Face
à certaines polémiques dont la presse s'est fait l'écho,
la commission d'enquête a souhaité recueillir des informations sur
les conditions pratiques dans lesquelles se déroule l'escorte des
étrangers reconduits par voie aérienne.
Interrogé par votre rapporteur le 23 avril 1998,
M. André Bizeul, chef du service de contrôle de l'immigration
de l'aéroport Roissy-Charles de Gaulle, a fait observer que les
étrangers reconduits n'étaient pas entravés pour leur
entrée dans l'avion. Après avoir indiqué que, si
nécessaire, des menottes pouvaient leur être appliquées
jusqu'au décollage, il a précisé que les menottes
pouvaient être remplacées par une bande plastique qui
présentait moins de risques. Il a également souligné que
contrairement à ce qu'avaient pu affirmer certains tracts, des
bâillons n'avaient jamais été utilisés.
Invité à répondre à la même question le
30 avril 1998, M. Jean-Louis Ottavi, directeur central du
contrôle de l'immigration et de la lutte contre l'emploi des clandestins
(DICCILEC), a déclaré que les étrangers
éloignés par voie aérienne n'étaient jamais
bâillonnés ou drogués.
Ces informations ont été confirmées le même jour par
M. Jean-Cyril Spinetta, président directeur
général du groupe Air France, qui a fait observer que les
personnes reconduites pouvaient être entravées ou non selon les
cas.
M. Joël Cathala, directeur de la sûreté du groupe Air
France, a ajouté que les services de police appréciaient la
nécessité d'entraver ou non les personnes reconduites. Il a
confirmé que les personnes reconduites n'étaient jamais
bâillonnées ou droguées.
Enfin, lors de sa seconde audition par la commission d'enquête, le
12 mai 1998, M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de
l'Intérieur, a tenu à démentir solennellement les
" allégations mensongères " selon lesquelles des
étrangers seraient " bâillonnés ou
drogués ". Il a déclaré : " Cela n'a jamais
existé. Cela relève de la fantasmagorie ".
Les manifestations d'hostilité aux reconduites, organisées dans
les aérogares par des " comités de défense ",
contribuent à créer un environnement de nature à mettre en
cause le bon déroulement de l'opération. Ainsi,
l'appel aux
passagers
pour qu'ils fassent obstacle à une mesure
d'éloignement est susceptible de sensibiliser les compatriotes des
reconduits.
Ces tentatives d'obstruction à l'application de la loi
ne sont pas
admissibles.
Pour autant, ces agissements ne semblent pas avoir empêché
gravement le déroulement des opérations de reconduites par voie
aérienne. Après la décision de la compagnie Air France de
suspendre ces reconduites, les services de police ont eu recours à
d'autres compagnies qui ont accueilli sur leurs vols des étrangers
reconduits et leur escorte.
Depuis le 27 avril, les mesures transitoires arrêtés par le
ministère de l'Intérieur et Air France ont permis la reprise des
reconduites à destination de Bamako sur les vols de cette compagnie.
Il n'en demeure pas moins que les préoccupations exprimées par
les responsables de celle-ci et par les commandants de bord ne peuvent
être sous-estimées.
Devant la commission d'enquête, M. Jean-Cyril Spinetta, Président
directeur général d'Air France, a estimé que les
difficultés rencontrées
n'étaient pas ponctuelles
.
Il a souligné que des incidents à répétition
s'étaient produits depuis deux ans à destination du Mali.
116 incidents de ce type ont été recensés
sur
l'ensemble du réseau
depuis le 16 novembre 1996.
M. Jean-Cyril Spinetta a fait observer que la compagnie Air France avait une
responsabilité propre, portant exclusivement sur la
sécurité du vol et des passagers. Il a considéré
que le statut d'Air France ne lui imposait pas, en matière de reconduite
d'étrangers, d'obligations spécifiques de service public.
Les
missions du commandant de bord
(textes de références)
1. CODE
DE L'AVIATION CIVILE (extraits)
Article L. 322-4 :
Le commandant de bord a la faculté de débarquer toute personne
parmi les passagers qui peut présenter un danger pour la
sécurité ou le bon ordre à bord d'un aéronef.
Article L. 422-2 :
Le commandant de bord est responsable de l'exécution de la mission (...).
Article L. 422-3 :
Le commandant de bord a autorité sur toutes les personnes
embarquées. Il a la faculté de débarquer toute personne
parmi l'équipage ou les passagers ou toute partie du chargement qui peut
présenter un danger pour la sécurité, la salubrité,
ou le bon ordre à bord de l'aéronef (...).
2. CONVENTION DE TOKYO (extraits)
Article 1er :
1. La présente Convention s'applique :
- aux infractions aux lois pénales,
- aux actes qui, constituant ou non des infractions, peuvent compromettre la
sécurité de l'aéronef ou de personnes ou de biens à
bord, ou compromettent le bon ordre et la discipline à bord.
2. Sous réserve des dispositions du titre III, la présente
Convention s'applique aux infractions commises ou actes accomplis par une
personne à bord d'un aéronef immatriculé dans un
État contractant pendant que cet aéronef se trouve, soit en vol,
soit à la surface de la haute mer ou d'une région ne faisant pas
partie du territoire d'aucun État.
Article 6 :
1- Lorsque le Commandant d'aéronef est fondé à croire
qu'une personne a commis ou accompli ou est sur le point de commettre ou
d'accomplir à bord une infraction ou un acte, visé à
l'article 1er, paragraphe 1, il peut prendre, à l'égard de cette
personne, les mesures raisonnables, y compris les mesures de contrainte, qui
sont nécessaires :
a) pour garantir la sécurité de l'aéronef ou de personnes
ou de biens à bord,
b) pour maintenir le bon ordre et la discipline à bord,
c) pour lui permettre de remettre ladite personne aux autorités
compétentes ou de la débarquer conformément aux
dispositions du présent titre.
2- Le Commandant d'aéronef peut requérir ou autoriser
l'assistance des autres membres de l'équipage et, sans pouvoir l'exiger,
demander ou autoriser celle des passagers en vue d'appliquer les mesures de
contrainte qu'il est en droit de prendre. Tout membre d'équipage ou tout
passager peut également prendre, sans cette autorisation, toutes mesures
préventives raisonnables, s'il est fondé à croire qu'elles
s'imposent immédiatement pour garantir la sécurité de
l'aéronef ou de personnes ou de biens à bord.
Article 8 :
1- Lorsque
le Commandant d'aéronef est fondé à
croire qu'une personne a accompli ou est sur le point d'accomplir à bord
un acte visé à l'article 1er, paragraphe 1.b, il peut
débarquer cette personne sur le territoire de tout État où
atterrit l'aéronef pour autant que cette mesure soit nécessaire
aux fins visées à l'article 6, paragraphe 1, a ou b.
2- Le Commandant d'aéronef informe les autorités de l'Etat sur
le territoire duquel il débarque une personne, conformément aux
dispositions du présent article, de ce débarquement et des
raisons qui l'ont motivé.
Article 9 :
1- Lorsque le Commandant d'aéronef est fondé à croire
qu'une personne a accompli à bord de l'aéronef un acte qui, selon
lui, constitue une infraction grave, conformément aux lois
pénales de l'Etat d'immatriculation de l'aéronef, il peut
remettre ladite personne aux autorités compétentes de tout
État contractant sur le territoire duquel atterrit l'aéronef.
2- Le Commandant d'aéronef doit, dans les moindres délais et si
possible avant d'atterrir sur le territoire d'un État contractant avec
à bord une personne qu'il a l'intention de remettre conformément
aux dispositions du paragraphe précédent, faire connaître
cette intention aux autorités de cet État ainsi que les raisons
qui la motivent.
3- Le Commandant d'aéronef communique aux autorités auxquelles
il remet l'auteur présumé de l'infraction, conformément
aux dispositions du présent article, les éléments de
preuve et d'information qui, conformément à la loi de l'Etat
d'immatriculation de l'aéronef, sont légitimement en sa
possession.
Article 12 :
Tout Etat contractant doit permettre au Commandant d'un aéronef
immatriculé dans un autre Etat contractant de débarquer toute
personne conformément aux disposition de l'article 8, paragraphe 1.
Article 13 :
Tout État contractant est tenu de recevoir une personne que le
Commandant d'aéronef lui remet conformément aux dispositions de
l'article 9, paragraphe 1.
Ces difficultés ainsi identifiées, la commission d'enquête
considère qu'elles ne sauraient remettre en cause les reconduites
d'étrangers faisant l'objet d'une mesure d'éloignement par la
voie aérienne, notamment par l'utilisation des compagnies
nationales.
C'est, en effet, le droit de tout Etat souverain de faire
respecter les règles d'entrée et de séjour sur son sol et
de reconduire à ses frontières par les moyens appropriés
ceux qui y ont pénétré et s'y sont maintenus en violation
de ses lois.
Les agissements tendant à faire obstacle à l'exécution des
mesures d'éloignement, c'est-à-dire à l'application de la
loi,
doivent être sanctionnés.
Les
sanctions applicables en cas d'obstacle
à une mesure
d'éloignement
- Le
refus d'un étranger d'embarquer dans l'avion en violation d'une mesure
de reconduite à la frontière est constitutif du délit
prévu et puni par l'article 27 de l'ordonnance du 2 novembre 1945
(soustraction à une mesure de reconduite à la frontière).
Ce délit est puni d'une peine de trois ans d'emprisonnement. La
complicité expose son auteur aux mêmes peines.
- L'article 282-1 du code de l'aviation civile punit d'un emprisonnement de
cinq ans et d'une amende de 120 000 francs ou de l'une de ces deux
peines seulement, sans préjudice le cas échéant des
articles 322-1 à 322-11 et 322-15 du code pénal (réprimant
les destructions, dégradations et détériorations),
quiconque aura
volontairement entravé de quelque manière que
ce soit la navigation ou la circulation des aéronefs.
- L'attaque ou la résistance avec violence et voies de fait envers les
agents préposés à la garde ou au fonctionnement des
aérodromes dans l'exercice de leurs fonctions est punie de peines
applicables à la
rébellion
(six mois d'emprisonnement et
50 000 francs d'amende).
- Sur un plan général, le fait d'opposer une résistance
violente à une personne dépositaire de l'autorité publique
ou chargée d'une mission de service public, agissant, dans l'exercice de
ses fonctions, pour l'exécution des lois, des ordres de
l'autorité publique, des décisions ou mandat de justice,
constitue une
rébellion
passible des peines mentionnées
ci-dessus (articles 433-6 et 433-7 du code pénal).
- La
provocation directe à la rébellion
manifestée
soit par des cris ou des discours publics, soit par des écrits
affichés ou distribués, soit par tout autre moyen est punie de 5
000 francs d'amende (article 433-10 du code pénal).
Une politique de fermeté pour faire cesser de tels agissements
devrait s'accompagner d'une réflexion sur les modalités de ces
reconduites. Une telle réflexion doit être engagée en
concertation avec nos partenaires européens.
Au cours de ses auditions, la commission d'enquête a eu des échos
assez contradictoires sur les difficultés rencontrées dans ce
domaine par les Etats voisins.
Elle a surtout constaté le manque
d'informations des responsables administratifs et des transporteurs sur les
procédures mises en oeuvre.
En outre, les pays d'origine -
le plus souvent liés à la France
par des accords de coopération
- devraient être mieux
sensibilisés à l'importance que la France accorde à ce que
ces reconduites puissent se dérouler dans de bonnes conditions. La bonne
volonté des autorités de ces pays pour délivrer, si
nécessaire, des laissez-passer consulaires mais aussi pour faciliter la
prise en charge des étrangers reconduits à leur descente de
l'avion et assurer, en cas de besoin, la sécurité des
équipages et des fonctionnaires d'escorte, est un des moyens les plus
appropriés pour assurer la sérénité des vols.
Les
conséquences d'une sensibilisation insuffisante des pays d'origine
des étrangers reconduits : le risque d'une incompréhension
croissante
Le
manque d'affirmation d'une orientation claire sur les intentions de la France
en matière de flux migratoires ne peut que retentir de manière
négative sur la perception qu'ont de cette politique les pays
d'émigration. Ces tergiversations entretiennent l'idée fausse que
les ressortissants de l'un de ces pays qui se sont maintenus en situation
irrégulière sur le territoire français seraient avant tout
des victimes.
Au cours de ses travaux, la commission d'enquête a eu connaissance d'un
compte rendu de la presse malienne sur la reconduite de sept ressortissants
maliens par un vol régulier d'Air France. Sous le titre "
La
galère des sept. Les charters ont été supprimés
mais les expulsions se poursuivent dans le bruit et la fureur
", le
journal L'Essor du 3 avril débute le compte rendu de cette reconduite
par les termes " colère, révolte, indignation ". Le
journal fait état des griefs des reconduits à l'encontre de
l'ambassade du Mali à Paris à laquelle il est reproché de
coopérer avec les policiers français en délivrant des
laissez passer lorsqu'il est établi que la personne arrêtée
est de nationalité malienne. Il relève que depuis l'arrêt
des charters décidé par le Gouvernement Jospin, les
"
expulsions
" se font par des vols réguliers;
"
ce qui occasionne des désagréments d'un autre ordre
pour les autorités françaises
" en raison des
manifestations de certaines associations à l'aéroport de
Roissy-Charles de Gaulle. Ces manifestations sont présentées
comme ayant permis de "
médiatiser un événement
que les autorités françaises auraient
préféré voir se dérouler dans la
discrétion
".
3. Les choix gouvernementaux conduisent à une situation de blocage
A ces
difficultés résultant du cadre juridique et des conditions
matérielles d'exécution des mesures de reconduite s'ajoutent les
difficultés
qui
ne manqueront pas de résulter des choix
gouvernementaux
.
La décision gouvernementale de suspendre jusqu'au 24 avril les mesures
de reconduites à la frontière aura nécessairement des
conséquences sur la suite des procédures.
Elle a placé nécessairement le Gouvernement face à un
choix entre deux solutions :
- soit une opération massive d'éloignement d'étrangers non
régularisés qui se seraient néanmoins maintenus sur le
territoire ;
- soit une " dilution " des mesures de reconduite à la
frontière, c'est à dire en pratique une acceptation du maintien
des intéressés sur le territoire.
Dans la première hypothèse, les recours gracieux,
hiérarchiques et contentieux n'ayant pas de caractère suspensif,
les arrêtés préfectoraux de reconduite à la
frontière à l'encontre d'étrangers non
régularisés n'ayant pas quitté le territoire à
l'expiration de l'IQF devraient être pris massivement au même
moment.
Ce risque serait d'autant plus grand que les préfectures ont eu tendance
à traiter en priorité les dossiers présentant le moins de
difficultés. Les dossiers examinés en fin de procédure
-comme l'ont confirmé les services préfectoraux visités
par la commission d'enquête- sont ceux les plus susceptibles de justifier
une
décision de refus
. Dans ces conditions, un grand nombre
d'invitations à quitter le territoire devrait être
notifiées et expirer au même moment, ouvrant donc la voie à
des arrêtés de reconduite à la frontière, sauf
instructions ministérielles à venir appelant l'attention des
préfets sur l'intérêt de diluer leurs mesures.
Une telle situation ne pourrait que rendre très difficile voire
irréalisable l'exécution matérielle des reconduites
à la frontière des étrangers non
régularisés.
Cette première difficulté serait aggravée par l'absence de
tout
dispositif spécifique
permettant d'assurer
l'éloignement des étrangers non régularisés.
Le Premier ministre a, en outre, souhaité écarter d'emblée
le recours à des vols spécialement affrétés. Ce
choix de principe que ne saurait justifier le bilan de cette pratique dans les
années récentes ne peut que contribuer à
limiter
l'effectivité des mesures d'éloignement.
Les
reconduites par les lignes aériennes régulières :
les
interrogations des commandants de bord
La
commission d'enquête a entendu, le 7 mai 1998, MM. Gérard Nicklaus
et Eric Tournaire, commandants de bord à Air France.
A l'invitation de M. Paul Masson, président, M. Gérard Nicklaus a
décrit les incidents survenus récemment lors de la reconduite
d'étrangers en situation irrégulière par la voie
aérienne.
M. Gérard Nicklaus a tout d'abord précisé que les droits
et devoirs du commandant de bord étaient définis par le code de
l'aviation civile et que les passagers étaient placés sous la
responsabilité du commandant de bord dès qu'ils
pénétraient dans l'aéronef. Il a fait valoir que les
incidents survenus engageaient la sécurité des clients, du
matériel et des équipages de la compagnie et qu'ils posaient le
problème plus général de la sécurité des
vols. Il a souligné que le comportement parfois violent des personnes
reconduites pouvait conduire à des dégradations et à des
émeutes à bord de l'appareil.
M. Gérard Nicklaus a déploré le comportement des autres
passagers qui prenaient fait et cause pour les personnes reconduites alors
même qu'ils ignoraient tout de la situation de ces derniers. Il a
cité l'exemple d'incidents survenus lors de la reconduite de personnes
non admises sur le territoire français, qui n'avaient donc jamais
séjourné sur notre sol. Après avoir estimé que les
passions étaient aujourd'hui exacerbées, il a souligné que
des altercations à bord d'un appareil, lors de la phase d'approche,
comme cela s'était produit récemment, mettaient en danger
l'ensemble des passagers. M. Gérard Nicklaus a signalé les
agressions physiques et verbales dont était parfois victime le personnel
navigant commercial, qui n'était dès lors plus en mesure
d'assurer la sécurité de la cabine de l'avion. Après avoir
attiré l'attention de la commission sur les conséquences
dramatiques que pourrait avoir une agression perpétrée à
l'encontre d'un des deux pilotes, il a expliqué que le personnel
navigant technique devait nécessairement rester dans le cockpit lors
d'incidents pendant le vol, attitude qui n'était pas toujours comprise
par les passagers.
M. Gérard Nicklaus a mis l'accent sur les problèmes
psychologiques et le stress important que pouvaient susciter pour les pilotes
des incidents avec les personnes reconduites. Il a considéré que
ces incidents pouvaient induire des perturbations dans le déroulement
des procédures et un manque de concentration lors d'opérations
particulièrement délicates. Il a également
dénoncé la pression parfois déstabilisante exercée
par les autorités de police pour inciter les commandants de bord
à embarquer les personnes reconduites. Après avoir rappelé
que certaines personnes reconduites étaient désormais
transportées par la SABENA, il a fait état de menaces de boycott
de cette compagnie de la part des prestataires locaux qui assurent l'assistance
à l'escale dans certains pays africains.
Estimant que la loi devait être appliquée ou alors
modifiée, M. Gérard Nicklaus a considéré
qu'à défaut les pilotes devenaient les otages de comportements
sur lesquels ils n'avaient pas prise. Il a redouté que la
sécurité des agents d'Air France devienne très
problématique dans certains pays africains, particulièrement au
Mali, où ils sont désormais assimilés aux services de
police français. Il a regretté que les étrangers
clandestins soient parfois qualifiés par les médias de
" sans-papiers ", ce qui leur confère un statut de victime,
alors qu'ils sont en infraction avec la législation sur le séjour
en France. Il a estimé que les passagers des vols dans lesquels se
trouvaient des étrangers reconduits pouvaient être
influencés par la présentation de ces derniers comme des
victimes. Il a considéré que la solution aux problèmes de
l'éloignement aérien relevait de mesures politiques et non de
solutions techniques telles que l'affrètement de charters.
En réponse à votre rapporteur, M. Eric Tournaire a jugé
que certains incidents pouvaient provenir du non-respect des procédures
de police prévues pour l'éloignement des personnes reconduites.
Il a estimé que les passagers étaient sensibles à la
médiatisation et éprouvaient une certaine compassion à
l'égard des étrangers reconduits, présentés comme
des victimes. Il a considéré que cela expliquait
l'hostilité croissante des passagers à l'égard des
procédures de reconduite par la voie aérienne. Après avoir
déclaré qu'il serait de plus en plus difficile de mélanger
dans un même vol des passagers commerciaux et des personnes reconduites,
M. Eric Tournaire a suggéré que l'on affrète
désormais des vols de l'armée de l'air pour accomplir cette
tâche.
En réponse à M. Paul Masson, président, M. Eric Tournaire
a affirmé qu'il exprimait le sentiment d'une majorité de
commandants de bord. Il a jugé que les mesures transitoires
adoptées par Air France et le ministère de l'intérieur au
cours du mois d'avril pour régir les reconduites par voie
aérienne constituaient des avancées indéniables et que les
faits montreraient si elles étaient suffisantes. Il a estimé que
les rôles respectifs des services de police et des équipages
avaient été bien répartis, même si les manquements
aux procédures écrites débouchaient souvent sur des
incidents.
M. Eric Tournaire a considéré que l'augmentation du nombre des
incidents s'expliquait par la hausse du nombre de reconduites. Il a
indiqué que les destinations pour lesquelles se produisait le plus grand
nombre d'incidents étaient l'Afrique de l'Ouest, particulièrement
Bamako, Douala et Conakry, et la Chine populaire.
Votre rapporteur, souhaitant savoir si de nouveaux incidents pouvaient fonder
une nouvelle décision de la compagnie Air France de suspendre les
reconduites sur certains vols, M. Eric Tournaire a déclaré qu'il
s'agissait là d'une décision du ressort du président de la
compagnie. Il a ajouté que les pilotes considéraient quant
à eux que l'objectif de la compagnie Air France était de
transporter les passagers commerciaux et payants et non des passagers au
comportement dangereux.
M. Eric Tournaire a souligné qu'il manquait une réelle
volonté politique de protéger les avions à leur
arrivée dans les pays de destination. Il a affirmé que
l'armée de l'air avait les moyens logistiques nécessaires pour
transporter sans difficulté les étrangers reconduits. En
réponse à votre rapporteur, qui l'interrogeait sur la
façon dont nos principaux partenaires européens traitaient le
problème de l'éloignement par voie aérienne, M. Eric
Tournaire a indiqué que de nombreux pays, dont le Danemark, les Pays-Bas
et l'Allemagne, pratiquaient un éloignement médicalisé des
étrangers reconduits, en utilisant tranquillisants et somnifères,
sous la surveillance d'un médecin.
M. Gérard Nicklaus a rappelé qu'il n'y avait jamais eu de
problèmes lors de reconduites diligentées par d'autres pays
européens sur des vols Air France, pour lesquelles chaque reconduit
était habituellement escorté de deux policiers. Il a
considéré qu'il y avait probablement moins de personnes
éloignées sur les lignes régulières dans les autres
pays. Il a expliqué que les durées de rétention de
personnes en situation irrégulière étaient
généralement beaucoup plus longues dans les autres pays
européens, ce qui facilitait les éloignements par vols
groupés.
Mais en réalité le Gouvernement s'est placé dans la
seconde hypothèse, c'est à dire celle de l'acceptation du
maintien sur le territoire des étrangers non
régularisés.
Devant la commission d'enquête, le 12 mai 1998, M. Jean-Pierre
Chevènement a souligné
qu'il n'était pas envisageable
de reconduire en quelques mois
70 000
personnes
supplémentaires
. Il a néanmoins fait valoir qu'aucun obstacle
physique ne s'opposerait au
doublement
du nombre actuel de reconduites
à la frontière.
Or, le nombre de ces reconduites effectivement exécutées
s'établit entre 10 et 12 000 (12 330 mesures d'éloignement
exécutées en 1996). Ce chiffre a fléchi au cours des
derniers mois à la suite des décisions gouvernementales
suspendant les mesures d'éloignement pour des étrangers non
régularisés.
Dans ces conditions, même en envisageant un doublement des reconduites
sur la base d'un chiffre annuel de 12 000, au maximum
24 000
reconduites seraient assurées. Or ce sont
quelque 70 000 étrangers non régularisés qui
devront logiquement quitter le territoire auxquels s'ajouteront les quelque
12.000 étrangers reconduits par ailleurs chaque année. Certes, il
conviendra de décompter de ce total ceux d'entre eux ayant
volontairement rejoint leur pays. Néanmoins, les faibles
résultats de la procédure d'aide au retour peuvent faire craindre
que ce décompte soit en définitive très
limité.
4. Des conséquences incontournables
La
méthode qu'a retenue le Gouvernement aura très probablement des
conséquences redoutables.
En effet, elle consolidera sur le territoire la situation de fait d'un grand
nombre d'étrangers non régularisés.
Vivant en situation irrégulière avant l'opération du 24
juin 1997, les intéressés auront présenté une
demande de régularisation, décliné leur identité et
leur domicile. Après une décision de refus, ils seront
retournés dans la clandestinité
sans que
l'irrégularité de leur séjour n'ait eu pour eux la moindre
conséquence pratique.
Comme avant l'opération de régularisation, ce n'est qu'en cas
d'interpellation qu'ils s'exposeront à un arrêté
préfectoral de reconduite à la frontière.
L'opération de régularisation, loin de clarifier la situation de
l'immigration irrégulière en France, aura ainsi produit deux
catégories nouvelles : les étrangers régularisés et
les étrangers déboutés de la régularisation qui
deviendront en quelque sorte des "
clandestins officiels
"
pour peu qu'ils demeurent dans des situations non exposées.
Tout porte à croire que des personnes, qui se sont maintenues dans
l'illégalité sur le territoire pendant des années, ne
seront guère incitées à le quitter au seul motif que leur
demande de régularisation aura été rejetée dans le
cadre d'une circulaire ministérielle. Au contraire, elles attendront une
autre régularisation.
Selon les précisions apportées à la commission
d'enquête par le ministre de l'Intérieur lors de sa seconde
audition, le 12 mai, 70 000 demandeurs (sur 140 000 demandes
recensées) étaient déjà connus des services
préfectoraux. Leur nom figurait au fichier AGDREF. Même si ce
chiffre ne recoupe pas nécessairement celui des refus de séjour
opposés dans le cadre de la circulaire du 24 juin 1997, il
témoigne d'un " affaissement " de la limite entre situation
régulière et situation irrégulière.
Le maintien sur le territoire de personnes dont la régularisation a
été refusée constitue une
violation de la loi
. Or
la méthode gouvernementale suspendant les mesures de reconduites
jusqu'au 24 avril, au risque de rendre matériellement impossible
l'exécution de ces mesures après cette date, aboutit à
tolérer
cette violation de la loi.
Il en résultera un effet psychologique désastreux sur les
étrangers en situation irrégulière qui, face à
l'indétermination des pouvoirs publics, seront d'autant plus enclins
à se maintenir sur le territoire avec l'espoir d'obtenir
ultérieurement leur régularisation.
Le signal ainsi donné aux pays d'émigration
ne doit pas
être sous-estimé. Il peut renforcer dans l'esprit des candidats
à l'émigration l'idée qu'il est toujours possible de
" tenter sa chance " en France, la perspective d'une
régularisation dans un délai plus ou moins long étant
prouvée par l'expérience - 1981...1991...1997...
Enfin, le maintien sur le territoire d'étrangers en situation
irrégulière aura des
conséquences au plan local
.
Contrairement au but de clarification qui aurait pu s'attacher à
l'opération de régularisation, il fera perdurer dans des
départements particulièrement concernés par les flux
migratoires des situations de non droit
dont les collectivités
locales subissent les effets
. Il accentuera les déséquilibres
sociaux observés dans certains quartiers. Il rendra plus difficile
l'intégration de la population étrangère en situation
régulière.
En fait, les conditions d'accès au territoire national deviennent
fluides. L'opportunité fait de plus en plus le siège à la
loi.
Cette situation ne sera pas non plus sans conséquences pour nos
partenaires européens. Les 70 000 étrangers non
régularisés constitueront également des " clandestins
officiels " pour l'Europe. C'est une conséquence incontournable de
l'" espace Schengen " dont la France a favorisé
l'émergence.
CONCLUSION GÉNÉRALE
Au terme
de ses investigations, la commission d'enquête se doit de dresser un
constat global
des régularisations d'étrangers en
situation irrégulière opérées depuis le 1er juillet
1997 mais aussi d'essayer de proposer quelques
perspectives
quant au
problème lancinant de l'immigration irrégulière.
1. Un constat
Le
constat
qu'a établi la commission d'enquête a
porté tout à la fois sur la
méthode
retenue pour
l'opération de régularisation et sur les
résultats
de celle-ci
qui, s'ils ne sont pas encore tous connus, peuvent
d'ores et déjà être observés.
Le droit de régulariser la situation de certains étrangers ne
saurait être contesté à l'administration. Il permet de
prendre en compte des cas individuels complexes que les textes
législatifs et réglementaires -quel que soit leur raffinement
croissant- ne sauraient appréhender. Pour autant, cette
prérogative doit être mise en oeuvre dans des conditions telles
que la simple faculté de régulariser des situations individuelles
ne cède pas la place à un supposé systématique
" droit à la régularisation "
qu'il appartiendrait
à l'administration de satisfaire.
Or la
méthode
retenue par le Gouvernement n'a pas permis qu'il en
soit ainsi. Le choix d'une opération globale de régularisation
par voie de circulaire, répondant au souci de satisfaire des engagements
politiques,
a favorisé un afflux de demandes
.
Ce choix d'une opération globale
de régularisation
-là où des instructions ponctuelles auraient pu être
données aux préfets pour régler, sans effet
médiatique, les situations difficiles-,
a eu un effet direct sur les
résultats
de l'opération de régularisation.
Celle-ci aboutit à des régularisations massives dont les
conséquences sociales n'ont pas été anticipées et
qui produiront un " appel d'air " inévitable sur les flux
migratoires.
De plus, la méthode retenue par le Gouvernement
ne garantit en rien
le retour dans leur pays d'origine des étrangers non
régularisés
. Le choix de suspendre jusqu'au 24 avril les
reconduites à la frontière, l'hypothèse de faire produire
tous ses effets à une nouvelle procédure d'aide au retour
s'avèrent inopérants. Si le Gouvernement avait réellement
voulu éloigner les étrangers non régularisés, il
n'aurait pas différé la prise d'arrêtés
préfectoraux de reconduite à la frontière.
Mais le Gouvernement ayant écarté tout dispositif
spécifique pour assurer ces mesures d'éloignement,
l'opération de régularisation s'achève par le maintien sur
le territoire des intéressés. En conséquence, des
étrangers en situation irrégulière pourront, après
avoir présenté leur demande de régularisation, retourner
dans l'irrégularité sans avoir la perspective d'être
reconduits dans leur pays d'origine. L'opération de
régularisation aura ainsi produit 70.000 "
clandestins
officiels
", au risque d'affaiblir plus encore le respect de la loi
républicaine et de démobiliser les fonctionnaires chargés
de l'appliquer. Chacun saura à l'extérieur que l'on peut en
France être en situation irrégulière et le rester. La
commission d'enquête ne saurait souscrire à une telle situation.
2. Les perspectives
Ayant dressé ce constat, la commission d'enquête s'est
interrogée sur les
perspectives
résultant de la
présence d'une immigration irrégulière persistante sur le
sol national.
Elle ne peut se satisfaire de cette nouvelle catégorie de
" clandestins officiels " issue de l'opération de
régularisation. L'inverse reviendrait à admettre que
l'irrégularité du séjour ne serait qu'un état
transitoire avant une autre régularisation. Il appartient au
Gouvernement de refuser cet état de fait et de faire respecter la loi.
Telle est la condition préalable pour une intégration des
étrangers
dans le respect des lois républicaines.
Comme le Sénat l'affirme depuis de nombreuses années,
cette intégration est, en effet, indissociable de la
maîtrise effective des flux migratoires
. Or certains courants,
certes minoritaires mais dont les positions recueillent un écho
médiatique disproportionné à leur véritable impact
dans l'opinion publique, souhaitent contester le droit de l'Etat, qui est le
droit de tout État souverain, de régler l'entrée et le
séjour des étrangers sur son territoire et de reconduire à
la frontière ceux d'entre eux qui s'y seraient maintenus
illégalement. A l'inverse, le maintien sur notre sol d'étrangers
en situation irrégulière nourrit des positions incompatibles avec
le respect de la dignité humaine et des valeurs républicaines.
La politique d'intégration, poursuivie dans notre pays depuis des
siècles, est compromise par ces flux importants et
répétés, dont l'origine a profondément
évolué, qui périodiquement déstabilisent le
dispositif national d'intégration et conduisent à la formation de
ghettos.
Sortir de cette confrontation suppose une approche fondée sur la
recherche d'une meilleure connaissance du phénomène de la
clandestinité. Une telle approche implique l'élaboration et
l'application d'une législation rigoureuse, ménageant
parallèlement la faculté régalienne de régulariser,
en dehors de tout effet d'annonce, les situations individuelles complexes non
prises en compte par les textes.
Cet objectif raisonnable aurait justifié -dans un contexte
dépassionné- une
refonte du cadre législatif et
réglementaire devenu au fil du temps, et de modifications successives,
extrêmement complexe voire illisible (25 modifications
depuis
1945)
.
Malheureusement, le Gouvernement a préféré soumettre au
Parlement au lendemain même des élections législatives,
dans la hâte et après avoir utilisé la procédure
d'urgence, un projet de loi révisant une nouvelle fois l'ordonnance de
1945.
Enfin, la commission d'enquête souligne que la question de la
maîtrise des flux migratoires s'inscrit de plus en plus dans le cadre
d'une
coopération renforcée avec nos partenaires
européens
, coopération engagée par l'accord de
Schengen et sa convention d'application. Le Traité d'Amsterdam fixe
à cet égard de nouvelles perspectives qui appelleront un examen
attentif de la part du Parlement.
Force est d'observer, qu'en dépit de certains progrès, le
chantier de cette coopération européenne reste immense. Il
intéresse tout à la fois les conditions d'entrée, de
séjour et de circulation des étrangers sur l'espace
européen mais aussi les conditions dans lesquelles les différents
partenaires organisent l'éloignement de ceux qui se maintiennent
illégalement dans cet espace. En un mot, une politique européenne
de l'immigration doit être conçue et conduite en commun. Elle est
étroitement liée aux politiques de coopération que
l'Europe devra développer avec les pays tiers, africains notamment.
La France elle-même devra faire un très grand effort d'adaptation
pour que cette coopération européenne puisse se développer
et porter tous ses fruits. Cet effort devra porter non seulement sur la
définition des règles applicables mais aussi sur les questions
matérielles que suscite la prise en compte de l'immigration. A cet
égard, une " révolution des esprits " paraît
s'imposer pour que la dimension européenne soit complètement
intégrée dans l'organisation administrative et qu'elle se
traduise par un effort d'informations réciproques et de
coopération renforcée. Jusqu'à ce jour, notre propension
nationale est à la pratique d'une politique hexagonale qui l'emporte le
plus souvent en matière d'immigration sur la prise en compte des flux
d'immigrants qui seront de plus en plus nombreux à s'inscrire aux
guichets des frontières extérieures communes de l'Europe du
XXIème siècle.
OBSERVATIONS DE GROUPES POLITIQUES
ANNEXES
1 La création de cette commission d'enquête trouve son origine dans une proposition de résolution de notre collègue M. Henri de Raincourt et des membres du groupe des Républicains et Indépendants (document n° 411 ; 1996-1997).
2 De l'immigration en général et de la nation française en particulier.
3 Il est
important de rappeler, en outre, que chaque année, sont
délivrés environ 80.000 titres de séjour d'une
durée d'au moins un an.
4 Ne sont pas compris dans ces chiffres les demandeurs d'asile, les
ressortissants de la Communauté européenne et les
Algériens.
5
J.O. Débats - Sénat, séance du
28
octobre 1997, p. 3044.
6
Le Monde, mardi 19 août 1997, p.5.
7 Ce chiffre intègre les récépissés délivrés.
8 J.O. Assemblée nationale, Débats, 2 ème séance du 24 février 1998, p. 1572.
9
Ce chiffre intègre les
récépissés délivrés.
10
Ce chiffre ne comprend que les régularisations portant sur
des dossiers déposés avant le 8 novembre 1997 ; il
diffère donc de 100 unités par rapport au nombre total de
régularisations (62.702).
11 Ce questionnaire est reproduit en annexe.
12 Le RMI est versé par les caisses d'allocations familiales mais est à la charge de l'Etat.