IV. DES INNOVATIONS PARFOIS SYMBOLIQUES MARQUANT TROP SOUVENT UNE DÉFIANCE À L'ÉGARD DES ACTEURS DE L'ÉCONOMIE ET DE LA SOCIÉTÉ CIVILE
A. EN MATIÈRE D'ACCÈS AUX SOINS, LES AFFIRMATIONS DU PROJET DE LOI SONT SYMBOLIQUES
Les articles du projet de loi se résument parfois à des affirmations de portée symbolique. Il en est notamment ainsi en matière d'accès aux soins.
Pourtant, les difficultés rencontrées par les personnes défavorisées dans l'accès aux soins, qu'elles soient d'ordre juridique, financier ou pratique, constituent un problème majeur, qui s'aggrave depuis vingt ans.
Pour les exclus eux-mêmes, la maladie peut résulter de situations d'exclusion puis les aggraver. Pour l'ensemble des citoyens, la résurgence de certaines pathologies que l'on croyait oubliées constitue un véritable enjeu de santé publique.
Résoudre ces difficultés d'accès aux soins d'ordre juridique et financier implique un travail en profondeur de refonte de notre système de protection sociale.
En effet, les difficultés juridiques d'accès à la couverture maladie doivent être rapprochées de la structure professionnelle de notre système de protection sociale et des procédures qui ont été définies pour tendre vers sa généralisation : elles font appel à de multiples critères administratifs et s'accompagnent de contraintes « paperassières », autant d'obstacles à un accès simple à la couverture maladie pour ceux qui en ont le plus besoin.
Les difficultés financières d'accès aux soins résultent de l'insuffisante couverture complémentaire et de la diminution du taux de prise en charge des soins par la sécurité sociale: jusqu'au plan Juppé, en effet, les gouvernements ont toujours préféré diminuer les taux de remboursement plutôt que d'entreprendre une réforme en profondeur du système de santé et d'assurance maladie.
Dès lors, on pourrait attendre du projet de loi qu'il propose une réforme d'ensemble, ou du moins on pouvait attendre du Gouvernement, qu'il conforte les orientations de la réforme de l'assurance maladie entreprise en 1996.
Or, nous devons constater que le Gouvernement ne fait, ni l'un, ni l'autre. Laissant filer les dépenses de l'assurance maladie et multipliant les occasions de temporiser sur tous les volets de la réforme de l'assurance maladie, non seulement il ne propose dans ce projet de loi aucun projet de couverture maladie universelle, mais il se contente de quelques articles de modeste portée :
- un article énonce que les programmes de santé publique de l'Etat, des collectivités territoriales et de la sécurité sociale prendront en compte les difficultés des plus démunis : cette affirmation symbolique ne devrait pas bouleverser la situation des exclus et n'a pas fait obstacle, dans la loi de finances pour 1998, à la réduction de 35 % des crédits du budget de la santé destinés aux exclus (art. 40 du chapitre 47-11 du budget de la santé, de la solidarité et de la ville).
- il en est de même de l'article qui prévoit que l'accueil des exclus constitue une mission du service public hospitalier. Cette affirmation est louable, mais elle ne résoudra pas l'inadéquation des services hospitaliers pour prendre en charge l'ensemble des problèmes de santé des exclus, et surtout elle ne saurait remplacer des crédits budgétaires. Or, le plan de financement du projet de loi présenté par le Gouvernement prévoit que c'est l'assurance maladie, et non l'Etat, qui assumera les conséquences financières de l'affirmation de la mission sociale de l'hôpital ;
- un article prévoit l'obligation d'élaborer, au niveau régional, des programmes pour l'accès à la prévention et aux soins des plus démunis. Il généralise ainsi, mais au niveau régional, les programmes départementaux d'accès aux soins établis en application de la circulaire du 25 mars 1995.
Si l'on comprend que le niveau régional a été choisi en conséquence des orientations de la réforme de l'assurance maladie de 1996 qui a choisi ce niveau pour la détermination de l'offre de soins, notamment hospitalière, il n'en demeure pas moins que l'essentiel des compétences, en ce qui concerne l'accès aux soins des plus démunis, réside au niveau départemental. Or, le projet de loi ne procède pas à l'indispensable transfert des compétences sanitaires des départements au profit de l'Etat.
Fort opportunément, l'Assemblée nationale a toutefois adopté, à l'initiative de M. Patrick Devedjian, un article additionnel prévoyant que le Gouvernement déposera un rapport sur l'opportunité d'un transfert de compétence des départements à l'Etat en matière de lutte contre la tuberculose ;
- un article prévoit que les conventions d'objectif et de gestion conclues entre l'Etat et les caisses formuleront des objectifs en matière de lutte contre l'exclusion, disposition qui ne fait qu'entériner la pratique;
- un article prévoit enfin, pour la médecine scolaire, le seul dépôt d'un rapport.
Il est dès lors à craindre que le modeste impact des mesures symboliques proposées par le gouvernement en faveur de l'accès aux soins des exclus soit massivement contrebalancé par l'attentisme du gouvernement en matière d'assurance maladie et la manière dont il s'est employé à décrédibiliser, depuis un an, les dispositions du plan Juppé.